Préoccupation de Léon X — Sa vaste idée d'une croisade contre les Turcs. — Agrandissement de l'empire ottoman. — Offres du pape à François Ier. — Esprit chevaleresque pour la croisade. — Intérêts privés. — Développement de la guerre du Milanais. — Les Allemands au delà des montagnes. — Maximilien devant Milan. — Les Suisses. — Négociations. — Les Vénitiens. — Succession d'Espagne. - Charles d'Autriche. — Intimité avec le roi de France. — Paix avec l'Angleterre. — Nouvelles fiançailles. — Ligue perpétuelle des Suisses. — Développement de l'idée d'une croisade. — Mort de Maximilien.1515 À 1519. Avec l'amour immense de l'art, une autre pensée noble,
puissante, préoccupait Léon X. Le XIVe siècle avait assisté à l'extension
effrayante de l'empire des Turcs ; Constantinople voyait ses vieilles tours
byzantines couronnées de l'étendard du prophète, et la mer était encore le
seul obstacle que Dieu eût laissé entre la chrétienté et de terribles
conquérants : que fallait-il pour le franchir ? une flotte d'habiles marins,
et les Turcs s'exerçaient déjà sur de vastes galères à mille rames. Jamais ne
s'était révélée une plus redoutable succession de sultans : après Mahomet II[1], Bajazet II, son
fils aîné, que les Francs avaient nommé dans leurs chroniques Lamoraboquin.
Les guerres civiles avec Zizim, son frère, avaient seules empêché le
déploiement de la puissance ottomane sous ce règne ; on vit alors Zizim, prisonnier
des chevaliers de Rhodes, tour à tour conduit à Home et auprès de Charles
VIII, comme otage politique et surtout comme moyen de Jeter la division dans
l'empire ottoman. Le séjour de Zizim en Europe avait créé les premiers
rapports diplomatiques entre la chrétienté et les Turcs ; Bajazet correspond
avec les papes, l'empereur, les chevaliers de Rhodes, sur la destinée de son
frère. Depuis la prise de Constantinople, les Turcs étaient devenus puissance
active et européenne ; maîtres de Sélim Ier venait de succéder à Bajazet, son père[2], d'une manière violente, le poison avait coulé dans les veines du vieux sultan qui allait chercher un abri comme Dioclétien dans la solitude, à Didimotique ; Sélim fait étrangler son frère et son aîné comme il avait fait présenter la coupe empoisonnée à son père ; en vain son dernier frère Korkud veut se soustraire à cette cruelle politique en se jetant dans l'étude des lettres et du Koran. Sélim, toujours impitoyable, lui fait envoyer le terrible cordon. Conquérant superbe, il combat incessamment contre les derniers rois de Perse et les sultans d'Égypte ; ses armées promènent partout les cimeterres étincelants ; maître du Caire, la queue de ses pachas flotte sur le sommet des pyramides, et c'est aux bords du Nil que se fit le terrible massacre des Mameluks ; trente mille tombèrent dans un seul jour, et les flots du fleuve ensanglantés roulèrent des cadavres pendant vingt-deux heures. C'était contre Sélim que la chrétienté devait combattre : si Venise et les villes commerçantes d'Italie avaient à ménager les mécréants pour conserver les privilèges du trafic dans les comptoirs du Levant, il n'en était pas ainsi des papes, gardiens de l'Europe chrétienne et de la civilisation du monde. Depuis deux siècles, ils appelaient incessamment le retour de l'esprit de croisades ; quand ils provoquaient l'union des deux Églises grecque et romaine dans les conciles, c'est qu'ils voulaient sauver Constantinople et fondre dans une même idée toutes les forces de la catholicité pour ne plus séparer les peuples qu'en deux grandes croyances : d'un côté, les sectateurs de Mahomet avec la barbarie, le glaive ensanglanté ; de l'autre, la foi du Christ sous les clefs de Saint-Pierre, avec les arts, les sciences et le noble esprit de la chevalerie, fière aussi de ses coups d'épée et de ses nobles exploits. Grande idée que les croisades des XIe et XIIe siècles, alors affaiblies et dégénérées ! L'Europe était divisée en trop d'intérêts ; les rivalités de princes et de territoires restaient trop profondes pour que la pensée pontificale pût s'accomplir ; ce qu'on appelait la dictature du pape ne consistait réellement que dans la réalisation d'une pensée d'unité pour préserver l'Europe du schisme et de la conquête des Barbares. Ainsi avait agi Léon X depuis son avènement au pontificat ; les républiques d'Italie s'endormaient dans leur prospérité commerciale ; les podestats, les comtes, les grandes familles d'Urbin, de Sforza, de Médicis, se disputaient quelques cités, des territoires, tandis que les Turcs menaçaient l'Italie tout entière. Déjà on avait aperçu le croissant sur le rivage ; des flottes avaient paru en Sicile, à l'embouchure du Tibre et de l'Arno ; la papauté craignait un terrible réveil pour l'Italie. Dans les conférences de Bologne y tandis qu'on discutait le concordat, Léon X s'ouvrit complètement sur ses craintes et ses douleurs à François Ier. Quand il le vit à la tète d'une si belle chevalerie, avec des hommes d'une si fière taille, il dut contempler en lui la force et l'espérance de la chrétienté. Il parla donc d'une croisade contre les musulmans ; l'empire grec était tombé par ses divisions et ses fautes ; pourquoi s'était-il séparé de l'Église romaine et de la foi de l'Occident ? S'il était resté dans l'unité, l'unité l'aurait sauvé, toute la grande chevalerie catholique ne se serait-elle pas armée pour sa cause ? Ce que Léon X offrait à François Ier devait séduire un
cœur si fier, une nature aussi entreprenante. Chef de la chevalerie, le roi
de France le serait aussi d'une nouvelle croisade ; le pape plaçait dans ses
mains l'étendard de la croix, et renouvelait la donation faite à Charles VIII
sur Constantinople et Pour arriver à un armement général contre les Turcs, il
fallait préparer la paix de l'Europe et une suspension d'armes parmi les
princes. Ce but difficile, quelle puissance humaine pouvait l'atteindre ? La
dernière guerre du Milanais avait montré toutes les vieilles querelles prêtes
à se manifester. Au fond, Marignano n'avait été qu'une journée contre les
Suisses ; ce terrible combat s'était donné entre eux et les lances de France,
sans que nulle autre puissance y eût pris part, et cependant toutes étaient à
la veille d'hostilités nouvelles. Les troupes de l'empereur Maximilien
n'étaient-elles pas aux frontières du Milanais, préparées à l'envahir ; en
guerre ouverte avec Venise, alliée de A peine la conquête du Milanais était accomplie par les
Français que déjà elle se trouvait compromise ; Sforza avait traité avec les
Français pour une pension[3], et, comme les
Suisses, il avait renoncé au duché de Milan ; mais Maximilien, le protecteur
et le suzerain de Sforza et du Milanais, n'avait pas ratifié le traité, et
par conséquent il se croyait libre de tout engagement. D'ailleurs, l'empereur
était en guerre ouverte avec Venise, et souverain impératif, il espérait
reconquérir toutes les terres, fermes de la république. Or, Venise était la
puissante alliée de La guerre existait donc de fait entre François Ier et
Maximilien. Dans ces circonstances, l'empereur résolut d'envahir le Milanais
en vertu de ses droits souverains ; ce n'était pas la première fois que les
hommes d'Allemagne descendaient dans Avant de repasser les Alpes pour revoir sa cour d'Amboise,
le roi avait confié le gouvernement de Milan au connétable de Bourbon. Nul n'avait
donné de plus dignes coups d'épée ; et puis il avait conçu et exécuté le
plan de la bataille de Marignane y sur de belles proportions. Le connétable
s'était fortifié dans la cité et la citadelle ; obligé de prêter secours à
Venise, trois cents lances, d'après ses ordres, avaient pris la route de
Vérone et de Padoue. Le connétable restait donc à Milan avec bien peu de gens
d'armes, lorsqu'on vint lui annoncer la marche rapide de Maximilien et de ses
Allemands à travers les Alpes ; les Suisses, prenant parti pour lui, voulaient
essayer une revanche de leur défaite. Quatorze mille d'entre eux avaient pris
sous la protection de leurs hallebardes et pertuisanes la cause de
Maximilien, pour chasser une fois encore les Français de Milan. Le nombre de
lances que commandait le connétable de Bourbon n'était pas assez considérable
pour résister ; les Vénitiens alliés de A Milan, la chevalerie du connétable de Bourbon était si peu nombreuse que nul ne doutait de la voir forcée d'abandonner sa récente conquête ; rappelant tous les corps qu'il avait dispersés pour défendre l'alliance des Vénitiens, le maréchal de Lautrec abandonna le siège de Brescia pour accourir sous son chef naturel, le connétable de Bourbon. Milan devenait ainsi le point central de tout système défensif, et par une rigueur militaire en rapport avec le caractère du connétable, les mineurs détruisirent les faubourgs de la noble cité y pour que l'armée pût mieux se protéger à l'abri des murailles : de beaux édifices croulèrent ainsi sous la sape des ouvriers ; à l'aspect de ces ruines, les Milanais disaient tout haut : que ceci se faisoit pour satisfaire la jalousie des Vénitiens ; la république du lion de Saint-Marc étoit envieuse de la grandeur et de la prospérité de Milan. Dans cette Italie, vaste foyer de discussions et de jalousies, on se vouait de cité à cité des haines terribles que la poésie du Dante a si puissamment retracées. Le connétable ne s'arrêta devant aucune remontrance des citoyens ; sa fermeté étouffa les complots, tandis que la renommée de sa tactique et de sa valeur lui rattachait un parti de Suisses sous le capitaine Albert de la Pierre[6]. Tout ce qu'il y avait de guerre alors se faisait par les Suisses ; les véritables batailles se donnaient entre eux, et souvent ils croisaient les hallebardes sur la poitrine de leurs compatriotes. Le Milanais fut sauvé parce que les Suisses de Maximilien ne reçurent pas leur solde de quatre-vingt mille écus : Qui nous paiera, disaient ces avares montagnards ? En vain l'empereur leur donna des acomptes, ce n'était pas assez ; il leur fallait tout ; on le leur refusa, et ils se révoltèrent, à ce point que Maximilien fut obligé de les licencier. Cette rébellion mit un terme à l'invasion des Allemands dans le Milanais ; l'étendard fleurdelisé reparut sur les riches cités que l'empereur avait conquises ; les plus fermes corps de lances se portèrent à la défense de Venise menacée. La possession de l'héritage de Sforza fut complètement acquise aux Français. Cette puissance de la couronne de France s'étendait avec une indicible activité sous un roi fier et jeune de pensée ; la politique commençait à être une science, une étude que Machiavel mettait en axiome. Charles d'Espagne et François Ier, ces deux princes que l'Europe vit ensuite sur tant de champs de bataille, continuaient à se donner les marques les plus vives, les plus sincères, d'une tendre amitié. Charles, l'archiduc, donnait an roi de France le titre de père, et François lui répondait comme à son cher fils. Toutes les difficultés se traitent personnellement entre eux dans une suite de lettres bien précieuses pour l'histoire[7] : Monsieur mon père, bien humblement à votre bonne grâce me recommande, écrit Charles au roi François. Après plusieurs longues poursuytes, intercessions et dilligences par moy faictes avec l'Empereur monseigneur et père, lesquelles j'ay continué incessamment depuis le premier traictié fait entre vous et moy, comme l'avez pu cognoistre, j'ay tellement besongné que iceluy empereur s'est condescendu à prendre appointement et amytié avec vous et que vos ambassadeurs estant ycy et moy avons présentement conclu iceluy appointement à votre désir. Je vous assure qu'il a esté bien dur à l'Empereur de habandonner Vérone et que sans grant paine et grosse despense que j'en ay et aurey à supporter, je n'en fusse venu au bout, et vous prie vouloir considérer que je l'ay fait pour mieulx assurer nostre alliance et la rendre plus ferme, espérant et congnoissant aussy que ce sera le bien de toute la chrétienneté, et que les choses traictées seront mieulx gardées qu'elles n'ont esté le temps passé, croiant fermement que vostre intencion est telle et soyez seur que de ma part n'y aura jamais faulte. Vous entendrès plus à plain l'issue de cest affaire par vos ambassadeurs qui en reportent la despesche, par quoy sera fin de ma lettre priant notre Seigneur, vous donner bonne vie et longue. Etcript à Bruxelles, le VII de décembre de la mein de vostre bon fils Charles. Cette bienveillance naturelle s'explique par les
événements. Une succession venait alors de s'ouvrir, et pour raffermir sur
son front la couronne d'Aragon et de Castille ; Charles espérait l'appui de
François Ier. Ces deux rois avaient entre eux à résoudre de vieilles et
puissantes difficultés ; la première touchait au royaume de Naples disputé
par les maisons d'Aragon et de France. Dans l'entrevue de Bologne avec Léon
X, il fut entendu que cette question de Naples serait suspendue jusqu'à la
mort du vieux roi d'Aragon et de Castille : n'aurait-on pas le loisir de se
disputer plus tard le prix du tournoi sur une tombe ? Mais Charles,
l'archiduc, venait de succéder à la couronne du vieux roi[8] ; et n'était-ce
pas le moment d'obtenir de François Ier une cession complète de ses
prétentions sur Naples en échange de la médiation que Charles d'Espagne lui
offrait pour le Milanais auprès de l'empereur ? Comme Les rapports intimes de François Ier et de Charles,
désormais roi d'Espagne, étaient jusqu'ici pleins d'affection, surtout de la
part du chevaleresque roi de France ; ils ne présageaient pas d'orageuses
disputes et un duel à mort sur un champ de bataille. Depuis son enfance,
Charles, l'archiduc, avait suivi une politique toute de famille à l'égard de
François Ier : il se fiançait avec les filles de la maison de France, l'une
après l'autre, de manière à se maintenir toujours à l'aide de ces alliances
d'avenir. Quand des contestations furent soulevées à l'avènement de Charles à
la couronne de Castille et d'Aragon, on convint d'une réunion de
plénipotentiaires pour arrêter les clauses définitives d'un traité entre les
princes qui s'appelaient si affectueusement dans leur correspondance. Noyon
fut choisi pour le lieu des conférences, et par une attention délicate les
rois désignèrent pour leurs plénipotentiaires deux amis, deux savants, les
gouverneurs de leur jeunesse : François Ier, le grand maître de Boisy,
l'homme de sa confiance et de sa tendresse ; Charles d'Espagne, ce seigneur
de Chièvres qui lui avait enseigné les premières notions de l'art de la
chevalerie, comme Erasme les avait entendues dans son livre de Amicitia.
François Ier dut se montrer généreux avec un prince qui s'alliait de si près
à sa race ; Une demanda ni les Pays-Bas, ni La politique des alliances par mariage se développait déjà
dans la tête de Charles-Quint comme un moyen d'agrandissement. En échange de
ces bons procédés, le roi d'Espagne s'engageait sur l'honneur à faire rendre
toute justice au roi de Navarre. Le traité de Noyon[10] fut moins une
convention politique qu'une alliance de famille, un pacte de mutuelle amitié.
La correspondance entre les deux rois plus affectueuse que jamais est comme l'expression
de l'accolade fraternelle[11] ; ils se donnent
les colliers de leurs ordres. Charles envoie à son bon père de fiers chevaux
d'Espagne pour figurer aux tournois, et le roi de France lui fait présent de
deux ouvrages d'orfèvrerie garnis de rubis et d'émeraudes. Reconnu et salué
par son peuple, Charles s'empresse de l'annoncer au roi ....pour continuation de la fervente amour que je vous porte,
j'ai voulu vous faire part que j'ai été proclamé roi dans mes royaumes de
Castille, Léon et Grenade, et que j'espère l'être de même en Aragon[12]. Il ajoute qu'il
sera toujours fier de lui complaire ; de s'entendre avec lui dans les actions
de la vie. Ces paroles attendrissaient l'âme chevaleresque de François Ier,
tout plein de cette foi, de cette sincérité que donne le courage à qui se
sent fort et loyal ; nul cœur fier ne se courbe pour dissimuler.
Charles-Quint est moins un chevalier qu'un politique ; François Ier apparaît
comme un dernier reflet du moyen âge. Charles, roi d'Espagne, représenté le XVIe
siècle, époque de négociations et de diplomatie ; à peine vient-il de signer
son traité avec François Ier qu'il conclut alliance peut-être plus intime
encore avec le roi d'Angleterre[13], et prépare une
ligue entre Henri VIII, l'empereur et l'Espagne. Or, contre qui cette ligue
est-elle dirigée ? on l'ignore encore, mais son dernier mot n'est-il pas une
alliance contre Singulier caractère que ce Henri VIII qui règne sur les Anglais ! Sous un corps épais de graisse, il cache un tempérament sanguin et si violent que nul n'ose lui résister ; il ne reconnaît pas d'obstacle à l'impétuosité de ses désirs ; il a étudié comme un clerc, et il en a pris l'esprit disputeur et sophistique ; ardent copiste, il écrit des livres contre Luther. Le feu de ses passions l'entraîne à tous les excès ; son sang bouillonne et reflue incessamment vers la tête et le cœur ; il aime les femmes avec frénésie ; il n'a pas de goût pour la guerre, et dans l'impuissance de se montrer noble cavalier, il préfère traiter par négociations. A peine a-t-il satisfait Charles d'Espagne, qu'il se trouve en présence du roi de France ; quelque froideur s'était depuis longtemps manifestée entre les deux couronnes. Henri VIII avait vu avec méfiance l'expédition du Milanais, et bien que François Ier se fût déjà occupé à cette époque de calmer les craintes du roi des Anglais, Henri, dès que l'armée de France fut au delà des Alpes, donna des ordres pour qu'une troupe de lances sous le lion d'Angleterre prît possession de Tournay, cité mixte et disputée. A peine de retour de la conquête de Milan, François Ier se plaignit de cette infraction à la paix : A quel titre, les Anglois s'emparent-ils de Tournay ? et pour en obtenir la restitution, il envoya une ambassade extraordinaire. Bonnivet, récemment créé amiral[14], son ami, son confident, beau gentilhomme qui, selon Brantôme, devoit réchauffer les froides températures des dames et demoiselles de Windsor et de Wincester ; Bonnivet eut pour instruction de gagner spécialement la confiance du cardinal de Wolsey[15], tête puissante et catholique qui maîtrisait Henri VIII. Le chancelier Duprat avait désigné Bonnivet comme un esprit habile, bon observateur, et il ne se trompa pas. Le résultat de la négociation de Londres fut encore une
alliance de famille i si Charles d'Espagne s'était fiancé avec Louise de
France, la fille de François Ier, Marie, la fille unique de Henri VIII fut
destinée au jeune Dauphin[16]. On abusait
peut-être de ces alliances de famille qui n'étaient, à vrai dire, que des
éventualités ; car Marie d'Angleterre avait à peine quatre ans, et
monseigneur le Dauphin venait de naître. Ces sortes d'alliances ne
constataient alors qu'un immense besoin de la paix ; Tournay fut rendu pour
une somme d'argent[17], et Henri VIII
exigea comme garantie du payement huit otages de grande noblesse, les
seigneurs de Morette, de Mouy, de Ce besoin immense de paix révélait un danger permanent,
continu, celui d'une invasion des Turcs en Europe ; la présence d'une ruine
fatale pour tous déterminait les princes à des alliances religieuses. La clef
et la tête de ce mouvement d'union des puissances chrétiennes, Léon X, avait
concédé, dans l'entrevue de Bologne, la conduite de la croisade à François
Ier. Dans cet immense mouvement de prédication, il fallut réveiller le zèle
et réunir les moyens nécessaires pour un grand armement : les corsaires turcs
avaient déjà insulté les cités d'Italie, et les janissaires apparaissaient
sur le Danube et aux frontières de les cœurs d'un beau zèle, d'un noble enthousiasme : les
troncs seront donc ornés des saintes images de Un plan de croisade rédigé par le roi d'Espagne fut
communiqué à toutes les puissances catholiques, afin de populariser son
avènement et lui donner l'empreinte religieuse d'une résistance de la
chrétienté[18]
contre l'invasion des Barbares. Il semble, disait-il,
que pour ceste année l'on ne pourra envahir ne
assaillir le Turcq ne Tandis que la pensée générale d'une croisade préoccupait
l'Europe, François Ier cherchait aussi à conserver sa conquête du Milanais,
deux fois menacée par les Allemands et les Espagnols. La bataille de
Marignano, victoire éclatante sur les Suisses, avait abaissé l'orgueil
indomptable des montagnards. Ce résultat obtenu, la politique de La république de Venise, toute reconnaissante de l'aide des
Français pour ses possessions de terre ferme, voulut donner au roi des
marques de sa gratitude ; et le Conseil des Dix lui vota cent mille sequins
pour la guerre. Les noms du connétable de Bourbon et de Trivulce furent
inscrits sur le livre d'or ; magnifique témoignage de la gratitude politique.
Ces bourses de sequins étaient un beau lot pour François Ier, un appât qu'il
pouvait jeter à l'alliance suisse ; et ce fut sous cette influence que
s'ouvrirent les négociations de Fribourg. Jusqu'ici cinq cantons seulement
étaient toujours restés liés à Si la chevalerie, toujours impatiente de gloire, s'élançait
çà et là pour chercher des périls ; si l'on trouvait de nobles aventuriers en
Danemark, sur les terres suédoises, bravant la neige et les tempêtes ; si
d'autres brisaient encore quelques lances sur les bords du Rhin ou en deçà
des Alpes, les souverains chrétiens réunis sous l'influence de la papauté,
songeaient à la grande croisade contre les Turcs. Les récits qui venaient d'Orient
étaient terribles ; on parlait de la puissance des janissaires ; des myriades
de cavaliers sur leurs coursiers bondissants ; des spahis, beaux jeunes
hommes, et corps privilégiés ; des Timariots groupés sous l'étendard du
prophète à la première convocation, sorte de féodaux dans l'Orient. A ces
récits sur les progrès des infidèles, la digne chevalerie chrétienne devait
accourir pour briser la lance et l'épée contre les Barbares ; la croisade
partout prêchée soulevait des milliers de bras s Constantinople et Aujourd'hui, dans la cité d'Insprück, on peut voir encore quelques débris de cette magnifique grandeur ; à l'extrémité de la ville, dans un quartier presque ignoré, s'élève une basilique modeste ; on soulève la tenture qui sert de porte, tout à coup on voit devant soi vingt-huit colosses de bronze antiques, couverts d'armures, le casque en tête et la grande épée en main. Ils sont là muets avec leurs armoiries allemandes ; ce sont les ducs d'Autriche qui font tous cortége autour d'un tombeau. Sur ce cénotaphe gigantesque est couché l'empereur Maximilien[23], lui aussi couvert d'une vieille armure, avec ses éperons aux pieds, ses brassards, ses cuissards, son casque et sa lourde épée. L'admirable artiste a reproduit sur les bas-reliefs toutes les belles actions de Maximilien, les batailles livrées, les sièges accomplis, les entrevues, les traités, et sur toutes choses domine toujours l'Empereur, le digne aïeul de Charles-Quint. Maximilien laissait une immense succession : l'empire d'abord dont le sceptre était dans ses mains, la couronne d'Autriche, la suzeraineté de Hongrie et de Bohème, et puis le grand héritage de la maison de Bourgogne ; son fils aîné, Philippe, avait été roi d'Espagne ; François était mort enfant, et Marguerite[24], sa fille, révélait une tête prodigieuse de sciences et de gouvernement. Il y avait donc dans cet héritage de belles terres à disputer, et puis cette couronne impériale, toujours élective, et que la mort jetait au milieu de l'Europe comme une pomme de discorde. Deux grands faits allaient ainsi arrêter la croisade chevaleresque contre les Turcs ; la prédication de la réforme, guerre implacable à l'unité catholique, puis la mort de Maximilien, qui ouvrait le champ de la discorde à tous les prétendants. C'était un beau lot que la succession de Charlemagne et plus d'un souverain se croyait assez fort pour ramasser la grande épée ! |
[1] Mahomet II, fils d'Amurath II, succéda à son père à l'âge de vingt ans, l'an de l'hégire 855 (1451 de J. C.). Il mourut le 5 dgioumadi 1 de l'année 886 (2 juillet 1481).
[2] An 918 de l'hégire (1512 de J. C.).
[3] De 30.000 ducats d'or.
[4] Théodore Trivulce, qu'il ne faut pas confondre avec son oncle le maréchal Trivulce, fut fait lui-même maréchal de France en 1524.
[5] Traité entre François Ier et le roi d'Ecosse (1517). — Bibl. du Roi, Mss. de Dupuy, vol. 267.
[6] Fleuranges et du Bellay, liv. I.
[7] Lettre de Charles d'Espagne à François Ier, du 9 juin 1516 ou 1517 (autographe). — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, n° 8487.
Mons. mon bon père j'ay receu
les lettres que m'avez escriptes en faveur des manans et habitans de la ville
de Tournay, contenant comme ils Vous ont averty que plusieurs particuliez
d'icelle ville ont quelquefois esté arrestez par mes subjects en Flandre pour
les debtes deues par le corps et communausté de la d. ville qui n'est
aucunement raisonnable me requérant faire cesser tels et semblables arrêts et
ne permette que les d. habitans et marchands du d. Tournay soient doresnavant
arrestés molestez ou travaillez pour cause d'icelle sur quoy Mons. mon bon
père, je me suis esclairey des d. arrêts et trouvé qu'ils ont esté faitz a
requeste.... par voye ordinaire de justice pour
raison de debtes.... procédans.... rentes et autres deues par le corps et communaulté de la d.
ville au payement desquelles les dits bourgoiz manans et habitans d'icelle,
sont submiz et obligés par quoy quant les parties ont requis justice leur estre
adminiztrée selon les lettres obligatoires qu'ils en ont des d. de Toumay n'a
esté ny seroit licite ne raisonnable de la leur reffuscé, mais si les d. de
Tournay avoient esté ou estoient cy après aucunement foulez et traitez hors
termes de raison, j'en feroye voulentiêrs faire réparation deue et leur
administrer si bonne justice qu'ils auroient cause deulx en contenter dont je
vous ay bien voulu advertir priant Dieu vous avoir en sa garde. Escript à Gand
le IXe jour de jung.
Votre bon filz. Charles.
Mons. mon bon père le roy très chrestien.
[8] 1516. Clausula del ultimo testamento del may alto muy catholico y muy poderoso senor el senor rey don Fernando de muy gloriosa recordacion. — Bibl. du Roi, Mss. de Mesmes, Int. mémoires des testaments des rois, reines, princes et autres seigneurs tant français qu'étrangers, in-f°, tome XC, n° 9438-7, et Mss. originaux de Dupuy, vol. 81, p. 434.
Por que a nos como Padro y senor, conviene exortar, amonestar, y mandar a la dictia serenissima reina dona Juana nostra primogenita y al dictio illustrissimo principe don Carlos su primogenito nuestro nieto en loque es del cargo suyo y bien de los reynos y senorios y haviendo tant justa y urgente causa proucèr en el buen regimientoy y gonierno de aguellos-parades ques de mestros dias loque compte al deseargo de la dictia serenissima reyna loqual leguntodo loque de cella hanemos prodido conoscer en nostravida esta muy apartada de entender en governacion ni regimiento de reynos ni liene la disposicion para ello que convenia loquesabe nuestro senor quanto sentimos y porsa muy necessaria la provision dero para el buen stanientoy govierno de los dictios nuestros reynos y senorios y delos poblados enaquellos anos y atodos nuestros progèniteres fidelisimos da quien es muy fusto rengamos. Muctio recuerdo en nuestra sin para en ei iren dellos como en vida lo hanemos hecho en loque nos haseydo posiblo haunque no como quisieremos y erantos tenidos con otras grandes occupaciones y cierto y a que de l'impedimiento de la dicha serenissima reyna nostra hija primogenita sentimos la pena como Padro que es de las mas graves que en este mundo. Se puedo ofrecer nos paren quenlotro nuestra consiensia estaria muy a graviada y con muctio timor si no provey e semos en ello como conveniese porende en la mejor via y manera que podemos y deuemos. Dexamos y nombramos por governador general de todos los dictios reynos y senorios nostros al dictio al illustrissimo principe don Carlos nostro muy caronieto, etc.
[9] Louise de France, née le 19 août 1513, n'avait pas encore un an. Charles était déjà cependant fiancé à Mlle Renée, sœur de la reine, par le traité du 24 mars 1515. Voyez dans ce volume le chap. V.
[10] Traité de paix, confédération et alliance entre le roi François Ier et Charles, roi de Castille, pour lequel est convenu du mariage dudit Charles avec Louise de France, fille aînée de François Ier. Ledit traité fait à Noyon, le 13 août 1516. — Bibl. du Roi, Mss. de Colbert, vol. 36, reg. en parchem. — Rec. de Léonard, tome II, page 138.
[11] Lettre de Charles d'Espagne à François Ier. — Mss. de Béthune, vol. coté 8489, fol. 44. (Autographe.)
Monsieur mon bon père, par les
lettres que par le sieur de
[12] Bibl. Roy., Mss. de Béth., cot. 8489.
[13] Le 29 octobre 1516 ; cette alliance portait que l'empereur, le roi d'Angleterre et l'archiduc, roi d'Espagne, se secoureroient mutuellement contre tout prince qui voudroit attaquer l’un des trois.
[14] Guillaume Gouffier, seigneur de Bonnivet, était frère du grand maître Gouffier de Boisy. Il fut élevé à la dignité d*amiral de France, par lettres patentes datées d'Amboise, le 31 décembre 1517.
[15] Le cardinal Thomas Wolsey, né en 1471, dans le comté de Suffolk, était aumônier du roi à l'avènement de Henri VIII, qui le fit bientôt son premier ministre et archevêque d'York.
[16]
Promesse faite au roy et à la reine d'Angleterre, par l'amiral Bonnivet, pour
le mariage de M. le Dauphin avec la princesse d'Angleterre (20 octobre 1518.) —
Bibl. du Roi, Mss. de M. de
[17]
Traité entre le roi François Ier et Henri VIII, roi d'Angleterre, qui rend à
[18] Mémoire concernant le dessein de faire la guerre aux infidèles, 1517-18. — Mss. de Béthune, vol. coté S489, f° 20.
[19] François Ier, sous la médiation du duc de Savoie, son oncle, avait déjà conclu un traité de paix et d'alliance, avec les cantons de Zurich, de Berne, de Lucerne, Ury, Schwitz, Undervalden, Zoug, Glaris, Basle, Fribourg, Soleure, Schaffousen et Appenzel, la ligue grise, la ville et abbé de Saint-Gall et le pays de Valais. A Genève, l'an 1515, le 7 novembre. — Bibl. du Roi, invent. Mss. du trésor des chartes, in-f°, vol. VIII, vol. coté 9425, fol. 342, n° Ier.
[20] Fribourg, 29 novembre 1516. Léonard, Rec. des trait., t. II.
[21] Le 12 janvier 1519.
[22] Lettre autographe de Maximilien à sa fille Marguerite (1543).
Très chère et très amée fille,
je entendu l'avis que vous m'avez donné par Guillain Pingun, noire garde robbe
uyées dont nous avons encore pensé dessus, et ne trouvons point pour nulle
resun bon, que nous nous devons franchement marier, mais avons plus avant mis
notre délibération et volonté de jamais plus hanter faem nue, et envoyons
demain M. de Gurec, eveque à Rome devant le pape, pour trouver Fachion que nous
puyssun accorder avec ly de nous prenre pour ung coadjuteur, afin qu'après sa
mort pourons être assuré de avoer le Papat, et devenir prêtre ; et après être
saint ; et que yl vous sera de nécessité que après ma mort vous serez contraint
de me adorer dont je me trouverai bien glorifioes, et à Dieu fuet de la main de
votre bon père Maximilianus futur pape, le XVIIIe jour de septembre.
A ma bonne fille l'archi duchesse d'Ostrice, douairière de Savoye et en ses mains.
[23] Maximilien, inhumé après sa mort à Neustadt, fut ensuite transporté à Insprück, dans l'église de Hofkirche (église de cour), où l'empereur Ferdinand Ier, son petit-fils, lui fit élever le magnifique mausolée qu'on y admire encore aujourd'hui ; il est l'œuvre d'Alexandre Collin.
[24]
Marguerite d'Autriche, née en 1480, épousa en