Situation de François Ier après la bataille de Marignano. — Puissances diverses de l'Italie. — L'empereur. — Venise. — Le pape. — La maison d'Aragon. — Négociations avec Léon X. — Le chancelier Duprat. — Entrevue de Bologne. — Question diplomatique. — Le concordat. — Causes qui atténuent toute discussion. — La réforme. — Les élections. — La pragmatique. — Le concordat au parlement. — Esprit de dispute et de protestantisme.NOVEMBRE 1515 — MARS 1518. La magnificence de François Ier cet esprit chevaleresque qui allait au-devant du beau, du grandiose, devait ainsi se complaire à ces nouveautés qui lui rappelaient sa chère Italie ; il fallait attirer les savants, les artistes autour de lui, et le roi, avec sa largesse habituelle, jeta l'or à pleines mains. Ses universités, ses écoles, durent avoir le même éclat que les universités de Pise, de Florence, de Pavie et de Padoue. Les habiles ouvriers d'orfèvrerie, les ciseleurs de Florence, les poètes et les savants de Venise furent donc appelés à grands frais autour du roi, et bientôt avec leur aide s'accomplit cette époque de renaissance qui se mêla d'abord au moyen âge, puis domina entière le goût et la mode des générations nouvelles. La bataille de Marignano, la défaite sanglante des Suisses, l'éclatant courage déployé par la chevalerie, avaient produit une influence notable sur les négociations diplomatiques ; depuis le revers de Novare et leurs retraites fréquentes de l'Italie, las Français avaient un peu perdu de cette grande renommée de combats qui partout les précédait comme un noble retentissement : naguère n'avaient-ils pas été vaincus par les Suisses et refoulés même par les Napolitains et les Aragonais ? La chevalerie allemande pouvait aussi se vanter de quelques succès de bataille contre nos lances ; mais la double et glorieuse journée de Marignano effaça ces déplorables souvenirs. Le jeune roi y avait donné ses nobles passes d’armes et grandi son avènement par des prouesses dignes des romans d'Amadis, de Roland ou des Quatre fils d'Aymon ; les Suisses, jusque-là invincibles, s'étaient dispersés sous le canon de M. de Genouillac. Si nul n'avait jamais douté du courage des Français, on mettait toujours en question leur patience dans les combats, leur discipline, leur fermeté, et ils avaient déployé toutes ces qualités militaires dans la plaine de Marignano. Il résulta donc de ce beau succès des armées de France une
admirable situation pour traiter avec les divers gouvernements de l'Italie.
Il est dans les conditions des puissances faibles de toujours céder devant la
fortune impérative, capricieuse, et quand il y a un vainqueur, elles baissent
la tête ; aucune d'elles n'était désormais capable de lutter contre Les Médicis de Florence étaient tout entiers sous l'influence du pape, de ce Laurent, noble artiste, qui voulait donner à l'Église la souveraineté intellectuelle. Le prédécesseur de Léon X était Jules II, ce pape si patriote qui, au nom de l'Italie, avait juré haine aux Barbares, et par ce mot il entendait tous ceux qui ne parlaient pas la douce langue italienne. Léon X adopta une politique moins rude. Tout en défendant le patrimoine de Saint-Pierre et la suprématie de la tiare, il fut disposé à plus de concessions ; son âme élevée, tout orgueilleuse de sa nationalité, n'aimait pas plus les Barbares que Jules II y le pontife héroïque ; mais il savait que quand l'orage gronde, la sagesse veut qu'on le laisse passer. Léon X espérait achever son œuvre d'artiste sans être troublé par les bruits de guerre. Le pape se posait incessamment comme médiateur, demandant aux hommes de bataille un peu de répit pour achever Saint-Pierre de Rome, les fouilles antiques, et les jardins de ses palais et de ses villas. Quant à la maison d'Aragon qui régnait sur Naples, c'était comme une race finie dont la chute allait entraîner de nouvelles guerres. Le canon de Marignane retentissait encore que Léon X songeait déjà à se rapprocher de la France[1]. Ce jeune homme couronné, ce Caro figlio qui avait dormi sur un affût de coulevrine, la nuit du combat, lui paraissait bien redoutable. Maître du Milanais, François Ier songeait à revendiquer le royaume de Naples tant de fois traversé par les Français, et pour conquérir chevaleresquement ce pays à la façon de Charles VIII ou de Louis XII, il devait passer sur les terres pontificales. Or, c'était de terribles visiteurs que ces chevaliers de France ! Léon X avait envoyé, depuis la victoire de Marignano, auprès, de François Ier un homme fort habile, l'évêque de Tricarico, du nom de Louis de Canosse. Le pape ne lui avait donné pouvoir que pour traiter des questions de territoire, et particulièrement de la restitution de Parme et de Plaisance, que dans sa volonté énergique d'unité et de nationalité italiennes, Jules II avait réunies au patrimoine de Saint-Pierre. Pour hâter le traité et arrêter les Français victorieux,
après la bataille de Marignano, Léon X écrivit à François Ier, lui laissant entrevoir qu'une conférence intime pourrait
mieux terminer les questions que de simples pourparlers par des ambassadeurs.
Le nonce eut également l'ordre d'offrir la pourpre romaine au
chancelier Duprat, si par son ascendant de science et d'éminentes vertus, il
pouvait mettre un terme aux tristes différends qui séparaient l'Église de
Rome du roi très-chrétien. Léon X accorda d'abord toutes les questions
temporelles : Parme et Plaisance furent cédées à François Ier qui venait de prendre sous la protection de son sceptre la maison de Médicis, accepta les offres du pape[2]. La tiare resplendissait de tout son éclat, et le roi très-chrétien espérait obtenir la pacification de ses Églises et une suprématie sur son clergé. D'ailleurs, au caractère chevaleresque du roi, les pompes solennelles, les cérémonies somptueuses, convenaient parfaitement. Lui qui lisait si souvent les vieux livres de chevalerie, il se souvenait que Charlemagne, le roi des Paladins, était venu à Rome pour se faire couronner des mains d'un autre Léon sous la chape d'or. Il écrivit au pape pour solliciter cette entrevue personnelle : il y viendroit avec ses clercs, et ses plus braves, ses plus dignes chevaliers tous empressés de rendre hommage au pape. Plusieurs surtout avaient grandement besoin d'indulgences après une vie si agitée. Léon X, qui ne s'attendait pas à cette acceptation si prompte, si rapide, fut très-embarrassé de désigner le lieu de la royale visite. S'il avait suivi son penchant pour le luxe et la magnificence des arts et des cérémonies, il eût choisi Rome ; il eût aimé conduire lui-même le roi très-chrétien dans la basilique des saints apôtres Pierre et Paul, afin de voir tous ces chevaliers, baisant de leurs lèvres, noires encore de la poudre de Marignano, le tombeau des saints apôtres : à Rome, la visite de François Ier eût été un hommage. Mais Léon X craignait l'influence que l'aspect d'une cité splendide pourrait exercer sur les imaginations des hommes d'armes : pourquoi l'épée victorieuse ne serait-elle pas maîtresse de ces marbres, de cet or, de ces riches basiliques ? et le pape ne se souciait pas d'accueillir d'aussi rudes visiteurs. Choisirait-on Florence ? Moins encore, peut-être, car il n'y aurait pas même le respect des chevaliers pour Saint-Pierre et la basilique des martyres. Florence, si belle et si fiche, avec son commerce, ses monuments de marbre, n'avait-elle pas été déjà un objet de convoitise pour Charles VIII et Louis XII ? Fort embarrassé du choix, Léon X se décida pour Bologne, récemment cédée à Rome par François Ier ; là les Français viendraient jusque sur les terres papales et l'hommage serait accompli sans danger, le pape ne sortirait pas de son domaine, et l'honneur de la tiare demeurerait préservé. On vit partir de Milan un longue colonne de lances, que François Ier et le connétable de Bourbon conduisaient en personne ; il n'était chevalier qui ne voulût aller à l'entrevue ; car tous, mécréants, sacrilèges, excommuniés, avaient de grands péchés à se faire absoudre, et le saint-père ne devait avoir garde de refuser cette absolution. Traversant avec rapidité le Milanais, cette troupe de lances vint à Bologne, où le pape les attendait dans toutes les pompes du pontificat. Léon X s'était placé sur une sorte de trône fort élevé ; tout incrusté de pierreries, à la forme byzantine, chef-d'œuvre d'art et de ciselure. Le roi s'approcha la tête inclinée, voulut baiser les pieds, la main et la bouche du pape en signe de respect ; le pape accueillit le roi la bonté dans les yeux, le sourire sur les lèvres, et lui répéta deux fois ces mots : Caro figlio, et François, si plein de courtoisie, lui dit : Mon père très-saint, je suis heureux de voir à la face de moi le souverain pontife, le vicaire de Jésus-Christ. Je suis le fils et le serviteur de votre sainteté ; me voilà prêt d'exécuter ses ordres. Alors, avec un admirable à propos, une heureuse modestie y le pape répliqua : Mio figlio ben amate, ce que vous dites là s'adresse à Dieu, et non à moi, qui en suis le serviteur indigne. Là fut tout l'hommage public. Le pape ne fut plus qu'un
hôte aimable, spirituel, d'une familiarité si grande que le maître des
cérémonies eut plusieurs fois l'occasion de lui remontrer qu'il manquait à sa
dignité ; le pape voulait se découvrir perpétuellement devant François Ier
toujours la tête nue, le maître des cérémonies s'y refusa ; le roi en sut gré
au pontife, et dans la grand'messe de la basilique, noble et pieux roi de
France, il ne dédaigna pas de tenir le pan de la grande chape d'or. Le moment
de la communion fut solennel, car toute la chevalerie se pressait dans la
basilique. La communion était le signe d'une réconciliation avec Dieu ; le
pape l'offrit au roi comme à un chrétien préparé ; mais, avec une indicible
modestie, François Ier déclara : qu'il n'étoit pas
assez pur aux yeux de l'Église, et qu il laissoit à ceux de la cour qui étoient
en état de grâce l'insigne honneur de communier de la main du pape. On
accourait autour de la sainte table, et le roi désignait de ses doigts gantés
ceux qui étaient assez nobles, assez valeureux pour communier de la main de
Léon X. La foule s'accrut à tel point qu'un chevalier qui n'avait pu parvenir
jusqu'au sanctuaire, s'écria de sa voix retentissante : Monseigneur et très saint-père, puisque je ne suis pas assez
heureux pour communier de votre main, au moins je veux me confesser à vous ;
parce qu'il ne m'est pas possible de vous dire mon péché à l'oreille, je vous
déclare tout haut que j'ai combattu en ennemi, et autant qu'il m'a été
possible, contre le pape Jules II, et que je ne me suis point mis en peine
des censures fulminées à cette occasion. Ainsi s'exprima le preux et
loyal chevalier, et la plupart des hommes d'armes qui entouraient le roi
tinrent le même langage, car tous avaient servi dans les batailles de lances
de Louis XI. Le pape leur donna l'absolution générale en souriant, et François
Ier, toujours fier, lui dit : Saint-père, ne soyez
pas surpris que tous ces gens-ci aient été ennemis du pape Jules ; car
c'était bien aussi le plus grand de nos adversaires, et nous n'avons jamais
connu d'homme plus terrible dans les combats. Il auroit été mieux à la tête
d'une armée que sur le trône de Saint-Pierre. C'est qu'en effet nul
papa n'avait défendu mieux que Jules II la liberté et la nationalité
italiennes contre les envahisseurs, que dans la fierté d'un digne successeur
des Césars, il appelait constamment des barbares. Pendant cette entrevue de Bologne, de grandes affaires furent négociées ; le pape et le roi se donnèrent réciproquement parole de respecter leurs possessions mutuelles. Bologne demeura désormais dans le domaine du pape comme le patrimoine de Saint-Pierre ; Florence fut assurée aux Médicis avec la dictature souveraine, tandis que Parme et Plaisance restaient au roi comme des adhérents au Milanais. François Ier n'imposa qu'une chose au pontife, ce fut de retirer les troupes papales du service de l'empereur et de témoigner ainsi sa velouté de briser tout rapport avec les Allemands. Léon X mit une haute importance à détourner les Français de toute expédition contre Naples, pensée qui semblait dominer l'esprit du roi ; la rapidité avec laquelle le Milanais venait d'être conquis avait enflé le cœur de cette chevalerie. J'ai déjà dit les vives impressions que le ciel de Naples avait laissées parmi ces hommes de France ; ils en rêvaient comme de la plus belle époque de leur vie, car les vieux gens d'armes avaient servi sous Charles VIII et Louis XII. Il y eut donc pour le pontife une certaine habileté à gagner du temps ; il remontra confidentiellement au roi que des traités légitimes assuroient à Ferdinand d'Aragon le trône de Naples qui, à sa mort, devenoit vacant. Le pape ne se souciait pas de voir à Capoue ces terribles voisins les Français, déjà maîtres de Parme et de Plaisance ; le roi d'ailleurs se déclarait le protecteur des vassaux du pape, et Léon X redoutait cette intervention, bienveillante d'abord, mais qui pouvait se changer en une sorte de droit du glaive. Et quels étaient ces vassaux ? les ducs de Ferrare de la maison d'Este, tour à tour amis et persécuteurs du Tasse, et le duc d'Urbin que Léon X considérait comme un rebelle. En face de ces intérêts, la tendance de François Ier était donc de se poser en médiateur pour exercer une sorte de suzeraineté sur les petits princes d'Italie ; sous ce point de vue, le pape ne devait subir que forcément ce nouveau rôle des rois de France. L'Italie ne pouvait reconnaître pour suzerain qu'un homme de race italienne, et voilà pourquoi Léon cherchait à en investir sa famille, les Médicis. A ces questions de politique intérieure vinrent bientôt se
mêler des difficultés religieuses d'une haute importance. Depuis la
pragmatique de Charles VII, Ainsi, le chancelier Duprat avait envisagé la grande affaire de l'Église, dans un traité définitif avec le pape, convention d'autant plus urgente que la rébellion de Luther agitait déjà les écoles. Si l'on avait laissé les élections libres, insubordonnées, sans dictature, un schisme aurait pu surgir au sein des Églises de France ! En temps de crise, il faut une autorité souveraine, et le concordat la partageait autre le pape et le roi. Tous les pouvoirs forts n'avaient jamais compris le gouvernement de l'Église en d'autres proportions, et la première application de Louis XI n'avait-elle pas été de révoquer la pragmatique sanction, cet acte qui se liait aux tristes débats de ces conciles de Bâle et de Constance qui portèrent le désordre dans l'Église. Léon X intéressait François Ier au maintien de la foi, en le plaçant à la tête des bénéfices, et le roi saluait la dictature sainte et protectrice dans les mains du pape. La bulle est une admirable exposition des doctrines catholiques ; Quand le Christ, dit-il, institua son l'Église, il vit bien qu'il devoit tout instituer par lui-même, et voilà pourquoi il créa les apôtres, et les apôtres fondèrent à leur tour les évêchés, les paroisses ; sur les évêques ils placèrent le métropolitain, et par dessus eux Rome ; ils voulurent qu'eux tous fussent comme des ruisseaux, dérivant de l'éternelle fontaine de l'Église romaine. C'étoit pourquoi les papes avoient mis tant de soins afin d'arracher toutes racines et espines. Léon X avait en conséquence mûrement réfléchi combien de traités avaient été conclus entre les palpes et les rois de France, et particulièrement avec Louis XI, pour l'abolition de la pragmatique[5]. Nonobstant ces traités les évêques et les clercs ne voulaient pas renoncer à l'élection, et néanmoins les élections qui se sont faictes depuis plusieurs ans en ça es cathédrales, métropolitaines et monastères du royaume de France à grans dangers des âmes provenoient, en tant que plusieurs se faisoient par abus de puissance séculière, et les autres par précédentes pactions, symoniacles, et illicites, les autres par particulière amour, affection de sang, et non sans crime de parjuremens. Car combien que les électeurs, avant l'élection qu'ils debvoient faire, eussent promis qu'ils debvoient eslire le plus idoyne et suffisant : non pas celuy qui, par prières, promesses ou dons, les avoit sollicitez, et ainsi avant que procéder à l'élection, le jurassent ; néammoins, sans observer leur dict serment, au détriment, au préjudice de leurs âmes, ainsi que notoirement nous est apparu, par plusieurs absolutions et réabilitations obtenues de nous et de noz prédécesseurs, à leur dict serment auroient contrevenu. Et dans la vue de corriger de tels abus, le pape veut que désormais, dans le royaume, au Dauphiné et au comté de Valentinois, il n'y ait plus d'élections par chapitre ; seulement, quand il y aura vacance, le roi de France choisira un grave et scientifique maître, licencié en théologie ou docteur, et ayant vingt-sept ans au moins, et ce candidat capable sera présenté au pape dans les six mois de la vacance, et si le saint-siège ne le jugeait pas tel, le roi ferait un choix nouveau dans les trois mois de la première élection ; et quant à ce qui touche au monastère, le roi choisira également les abbés parmi les moines de vingt-cinq ans au moins, et le prieuré sera également conféré à la personne que le roi désignera, à moins que les monastères n'aient d'antiques privilèges d'élections émanés du saint-siège. Le pape renonçait de lui-même à toute réserve personnelle spéciale, et en aucune hypothèse le choix ne viendrait directement de lui. Au reste, les bénéfices dans chaque collégiale ne pouvaient être donnés qu'à gens à résidence et gradués, savoir : après dix ans d'études en théologie, ou sept ans docteur ou licencié en droit canon, et devront justifier desdits grades par lettres authentiques ; et, s'il y a concurrence, les docteurs seront préférés aux licenciés, et les licenciés aux bacheliers ; les causes ecclésiastiques pourront désormais être terminées dans ce royaume sans recourir en cour de Rome, et lesdites causes devront être jugées dans l'espace de deux années au plus, sous peine d'excommunication ; les possesseurs actuels de bénéfices, pourvu qu'ils soient paisibles, ne pourront pas être troublés. A ces prescriptions, le pape ajoute quelques dispositions
disciplinaires pour corriger l'Église : S'il y a
parmi les clercs un concubinaire public, incontinent il sera suspendu, et le
supérieur devra l'admonester pour qu'il chasse sa concubine sous peine
d'excommunication ; et le concubinaire sera celui qui entretient femme
suspecte. Pour éviter les abus des excommunications, nul ne pourra y être
astreint si Le sens du concordat de François Ier était facile à comprendre ; il se liait spécialement à la situation agitée de l'Église, par suite de la prédication de Luther, L'abus des élections avait rempli les monastères de troubles et de mauvaises mœurs ; il y avait esprit d'ignorance et de disputes, étrange abus des bénéfices. Dans cette agitation de l'Église, il fallait constituer une dictature forte pour assurer de bons choix, un contrôle pour les candidats, et telle fut la base fondamentale du concordat. Le roi dut choisir désormais parmi les docteurs, bacheliers ou clercs capables de recevoir la dignité de l'Église, et il les désignait au pape. Tout se fît donc avec ordre et mesure ; plus de disputes, le débat est entre les deux autorités ; l'Église se monarchise, elle invoque la dictature, car elle est menacée ; la royauté se lie au pape, le catholicisme attire à lui la royauté, le concordat commande la science aux clercs, ils ont trop oublié cette destination. Le pontife si éclairé, un Médicis, leur impose la nécessité de l'étude ; les mœurs sont relâchées, Luther et les réformateurs ne se font pas faute de vivre dans le concubinage ; Léon X veut que ceux-là soient chassés de parmi les clercs ; c'est par la pureté et la sainteté que l'Église doit échapper aux dangers qui la menacent. Le concordat fut ainsi une loi d'ordre, de morale et de discipline ; et pour faire une grande concession au roi, pour lui laisser la pleine et entière souveraineté dans son royaume, le pape restreignit la faculté d'excommunication et d'interdit dont le moyen âge est tout agité encore : n'était-ce pas pour ces temps de jeunesse et de croyance l'arme immense des papes ? N'avait-on pas vu des royaumes, des provinces, tout entiers, privés des secours de l'Église, ou de ces émotions religieuses qui faisaient la douceur ou la crainte de la vie ? Léon X dirigeait mieux cette arme redoutable ; son esprit éclairé semblait deviner qu'il ne fallait pas menacer la puissance des rois en face des périls de la réforme. Pour faire consacrer la dictature des papes, il fallait la partager avec la souveraineté temporelle des rois. Le concordat, acte de force et d'intelligence de Léon X et de François Ier, heurtait trop d'habitudes pour ne pas soulever d'immenses oppositions ; il s'adressait à deux puissances spécialement inquiètes : à l'Église nationale, qui invoquait ses franchises, et au parlement, toujours éveillé sur le maintien de ses prérogatives : Église, université, parlement, plus d'une fois avaient lutté avec Rome, Sans jamais se séparer absolument de la papauté, la majorité des évêques de France tenait à la pragmatique sanction et aux doctrines proclamées par le concile de Constance sur les élections et les libertés de l'Église gallicane, sorte de constitution séparée, protestantisme sans courage. L'Église se rétrécissait dans l'État en abdiquant ce principe d'universalité, caractère divin et social du catholicisme ; les parlementaires, gardiens des libertés de l'Église gallicane, soutenaient que tous les actes émanés de la puissance royale devaient être enregistrés au parlement. Dans cette situation des esprits et afin de gagner l'appui
de son parlement, le roi s'était empressé dé lui envoyer une charte
parcheminée de tout ce que le pape : avoit octroyé
au roi très-chrestien, notre souverain naturel, à Bologne, où ledict seigneur
avoit été en personne faire l'obéissance filiale ; et premièrement le
concordat qui est le plus grand et excellent privilège que sortit oncques du
saint-siége apostolique ; qu'il luy donna cent quarante et deux mille livres
tournois et privilège sa vie durant de pouvoir nommer à toutes églises et
monastères du duché de Bretagne ; semblable privilège pour le comté de
Provence, pareil privilège pour le duché de Milan, la révocation de l'évesché
de Bourges, la révocation de l'évesché de Chambéry, une décime, la
croisade ; privilège que ceux qui suivent la cour pour la réception de
tous les sacrements seront réputés être des paroisses où seront situées les
maisons esquelles seront logés ; la révocation de l'administration de l'évesché
de Tournay, baillé à l'évesque d'York ; une légation de Laterœ pour deux ans
en France ; absolution générale à tous les sujets du roy de tous les excommuniements
laissés par pape Jules à l'encontre d'eux, tant durant le concile de Pise que
les guerres qu'il eut contre le feu roy ; permission de construire deux églises
de l'ordre des Célestins, l'une à Sainte-Brigitte, au duché de Milan, et
l'autre en France, à Romorantin, indulgence plénière aux chevaliers de
l'ordre qui seront à la messe le jour Sainte-Croix de septembre ; bulles par
lesquelles annule les impétrations des bénéfices qui seront faits dedans l'an
de la présente impétration après la vacation, sous la couleur que la vraye
valeur n'a été exprimée ; provision par laquelle est enjoint à tous évêques,
archevêques et curez de admonester les clercs de porter habit et tonsure, et
vivre en la manière contenue en droit, etc., lesquelles
monitions générales veut qu elles soient de tel effet que si estoient particulièrement
faictes, et que post trinam monitionem generalem nisi, etc., non gaudeam privilegio clericali, qui est un beau
et singulier privilège en ce royaume[7]. Ces dons, émanés de la suprématie pontificale, étaient
magnifiques, et si le parlement avait compris combien, dans les périls de l'Église
attaquée par la réforme, il était essentiel de centraliser son pouvoir, il
n'eût pas essayé une formidable opposition. Mais les parlementaires ne
raisonnaient pas ainsi : les élections ecclésiastiques plaçaient, pour ainsi
dire, les bénéfices entre leurs mains. Presque toujours les cadets de race
parlementaire étaient possesseurs des dignités de l'Église, et par le nouveau
concordat le roi en prenait, de concert avec le pape, l'absolue disposition.
A peine François Ier avait-il revu sa cour de Paris[8], que cette grande
affaire du concordat prit une importance de disputes et d'agitation. Devinant
toute l'opposition parlementaire, François Ier vint en personne au palais,
accompagné du connétable de Bourbon, du prince de Voici donc la guerre qui s'engage entre la puissance royale et le parlement sur l'organisation ecclésiastique du royaume ; le roi soutient le concordat avec fermeté ; les parlementaires se Jettent dans la défense de la pragmatique sanction, système électoral désordonné en dehors du principe de l'unité. Il fallait en finir avec ces bavards de palais, et le connétable de Bourbon, symbole du parti militaire, apporta d'autorité le concordat de Bologne en demandant qu'il fût enregistré, les parlementaires répondirent par cette parole sacramentelle : La cour examinera. Alors le chancelier Duprat vient aux chambres avec tout l'appareil de l'autorité royale : dans ses mains il tient deux livres en beaux parchemins, l'un couvert de drap d'or (l'abolition de la pragmatique), l'autre de damas blanc (le concordat) ; tous deux portent le scel de plomb, aux armes du pape et du roi. Puis les huissiers annoncent le bâtard de Savoie y fier homme d'armes | il tient haut une charte royale, et il la lit à voix retentissante : Le roi, souverain seigneur ; s'étonne que le parlement se soit refusé à publier le concordat ; si voulons et vous mandons que escoutiez nostre oncle de ce qu'il vous en dira de par nous, tout ainsi que vous feriez nostre propre personne, et au surplus procédez à l'expédition dudit concordat[9], selon la forme et teneur, et affin que nous puissions sçavoir et bien entendre à la vérité, comme la matière aura esté despeschée et les difficultés qui scy seront, tant en général que en particulier, trouvées. Nous voulons et vous mandons que à la délibération de la matière nostre oncle soit présent et assiste avec vous tous, ainsy que nous pourrions faire si y étions en personne, et qu'il n'y ait point de faute, car tel est nostre plaisir. Donné à Amiens le 21e jour de juin. Signé Françoys, et plus bas, Robertet. Le bâtard de Savoie, tirant son épée, ajouta : Messieurs, le roi est fort mécontent de vous. Et le
premier président répliqua sans hésiter : Monseigneur,
nous travaillons nuit et jour, sur le dict concordat ; au reste c'est une
chose bien nouvelle que vostre présence en nos délibérations, et le
bâtard, les yeux tout colères, se relira, tandis que le parlement désignait
une députation pour aller vers le roi remontrer sur ses privilèges méconnus.
Elle partit bientôt pour Amiens, cette députation en robe rouge, avec tout le
cérémonial capable de frapper les yeux. Le vieux président Jehan de Les députés insistèrent pour obtenir que le bâtard de
Savoie ne fût pas présent aux délibérations de François Ier s'était donc hautement exprimé sur le
concordat ; il avait menacé son parlement et les gens de loi qui défendaient
pied à pied la pragmatique sanction, la charte électorale de l'Église
gallicane. La résistance se déploya quelque temps encore ; mais les hommes
d'armes s'indignaient que les gens de justice fissent opposition et le bâtard
de Savoie en était comme le représentant brutal dans le sein même de la cour
souveraine. Le parlement se décida donc à enregistrer : mais d'exprès commandement de Sa Majesté, sorte de
formule déjà consacrée, qui exprimait sa désapprobation. Ce concordat de
François Ier et de Léon X devint ensuite la loi du royaume, réglant désormais
les rapports des rois avec les papes. Ce fut une forte pensée à la face de la
réforme que de créer cette double dictature ! On enlevait les idées
catholiques au désordre de la pragmatique électorale pour les faire passer
sous la loi de l'unité. Le concordat préserva peut-être |
[1] Le roi ne laisse pas une seule occasion d'instruire sa mère bien-aimée de sa situation en Italie.
Lettre de la main de François Ier à madame d'Angoulême. — Bib. des Célest., collect. de M. Menant, audit, et doyen de la chamb. des compt., tome VIII, fol. 84.
Madame, pour ce que je suys certayn que ne trouverés facheux l'apointement des Souysses comme je suis seur que des seteure le savés ne vous saroys dire autre chouse synon que j'ay espérance de bientoust vous rapporter an France, l'onneur, la victoyre, le pays et la terre, laquelle à l'aide de vous et de votre fis puisquel est si bien commensée se conservera. Noutre St.-Père fayt bon sanblant de vouloyr antretenyr le bien de pays. J'ay espérance bientoust de sa propre bouche d'en savoyr son intensyon et cela fait m'an retourneray en sète vyle pour vous aller le plustout quy me sera posyble trouver. Car je vous asseure, Madame, que la plus grant anvye que j'aye en ce monde celle qu'a de vous povoyr voyr et ouy parler.
Madame, vous avez donné une abaye au frère de Chandyon. J'ay seud l'on luy fayt empêchement, vous avés fayt le commasemant je vous suplye faire la fyn an sorte que sond. frère demeure paysyble.
Madame, je vous envoie Tranche Lyon, lyeutenant de ma garde qui m'a tousjours bien servyt pour se que il ne peut plus porter la poyne de me suivre. Je l'ay ordonné pour demeurer aveques ma fyle sy vous plest Madame, vous l'y mettrés.
Votre très humble et très obéissant fis. François.
Madame, toutes chousses sont faittes jusqUes à sabyfère aus Souysses et a contynues la despance commansée a quoy juques icy vous aves fayt plus que le possyble, je vous supplye parachever et que les estats qu'avez fays pour les moys de décembre et janvier sortet effet car sans sela je seroys demeure ce que je suys sens ne voudryez et croyés que de ceuste ysy s'est fait et fera ce qu'on pourra. À Madame.
[2] Henri VIII, alors grand protecteur de l'Église, avait écrit à François Ier, pour lui recommander le pape, 11 septembre 1515. — Mss. de Béthune, vol. coté 8582, fol. 185.
Très hault et très puissant
prince, notre très chier et très amé frère et cousin, a vous très
affectueusement et de bon cueur nous recommandons. Votre ambassadeur, icy vers
nous, a porté vos lettres dactées au camp le XXIIIe jour du mois d'aoust
précèdent, le contenu desquelles nous avons bien au long entendu, et vous
merchions très cordialement de l'advertissement que nous faictes de votre bonne
prospérité en vos affaires de la les Montz, et en suysmes autant joyeulx que si
la bonne fortune estoit venue à nous mesmes, pour la très singulière delection
que vous portons, et nous avez fait grand plaisir de nous avoir adverty combien
que nous entendons au dernier de votre lettre qu'il y a quelque différens qui
sont envoye de soudre entre notre très sainct père le pappe et vous, de quoy
serions très dolens et marris autant qu'il est comprins de votre part et de la
notre, traictié de paix comme nôtre principal confédéré et allié, et toutes
fois nous esperons que vous conduyrez envers sa saincteté comme vray et
obéissat fils de l'église, et que ne ferez ne atemperez aucune chose
allencontre d'icelle. Car au cas que vous le faictes vous pourrez procurer le
mal vouloir et desplaisirs de tous autres princes chrétiens, lesquels sont
tenuz et nous principalement obligez pour plusieurs considéracions de luy ayder
et deffendre comme nous l'avons dit et déclairé en plus oultre à votre
ambassadeur, lequel ne faisons aucune doubte, vous en advertir bien au long.
Priant au surplus notre Seigneur qu'il vous ait, très hault et très puissant
prince, notre très cher et très amé frère et cousin, en sa très saincte et
digne garde. Escript en notre manoir de Olking, le XIe jour de septembre, l'an
1515.
Votre bon frère et cousin. Henri.
[3] Un décret porté dans la vingt-huitième session du concile de Bâle, défendait qu'il ne fût pris à la cour de Rome, et partout ailleurs, aucune chose pour les élections, confirmations d'icelles, présentations, collations, provisions, institutions, installations et investitures de toutes sortes de bénéfices, ni aussi pour les ordres sacrés, bénédiction et envoi du pallium.
[4] Voyez mon travail sur Philippe Auguste, t. II, in-8°.
[5] Pie II, en 1464, obtint de Louis XI, l'abolition de la pragmatique ; mais l'Université s'y opposa, et la déclaration du roi ne fut pas mise en exécution. Paul II, en 1467, revint à la charge ; Louis XI se laissa encore gagner ; sa déclaration passa au Châtelet sans opposition ; mais l'Université et le parlement ne voulurent pas se rendre. Charles VIII et Louis XII firent exactement observer la pragmatique. Jules II, dans le concile de Latran, lança les foudres de l'Église contre ceux qui la soutiendraient.
[6] Le concordat conclu à Bologne au mois de décembre 1515, et signé à Rome le. 16 août 1516, fut enregistré au parlement le 22 mars 1518, par ordonnance et commandement exprès du roi (de expressissimo mandato regis). Registre du parl., 1er vol. de François Ier, coté K, f° 253.
[7] Bibl. Royale, Mss. de M. A. Faur, coté 8470, 2.
[8] François Ier avait averti M. de Lafayette de son prochain retour à Paris.
Lettres de François Ier à M, de Lafayette, 23 janvier 1516. — Bib. du Roi, Mss. de Béthune, vol. coté 8582, f° 25.
Mons. de
Je vous envoyé ung pacquet de
lettres que j'escriptz au président Bapaumes, mon ambassadeur en Angleterre,
lequel vous lui envoyerez en toute dilligence par homme exprez et vous me
service très grand, en vous dizant à Dieu, Mons. de
[9] Voici les protestations que le parlement rédigea lors de l'enregistrement du concordat :
.... La cour, toutes chambres assemblées, voyant et considérant les grandes menaces dont on a usé à cet égard, ayant tout lieu d'appréhender sa propre dissolution qui entraîneroit celle du royaume, craignant que si aucunes peines étoient suscitées à l'occasion du délai de la publication du concordat, on ne lui impute les malheurs qui pourroient arriver ; craignant encore que les alliances faites ou à faire avec les autres princes chrétiens ne fussent rompues ou empêchées par le refus d'enregistrement, et après que la cour a fait tout ce qui étoit humainement possible pour obvier à cette publication et enregistrement, par-devant et en présence de sire Michel Blondel, évêque et duc de Langres, pair de France ; comme authentique personne elle a protesté et proteste tant en général qu'en, particulier, conjointement et divisément, qu'ils n'étoient et ne sont en leur liberté et franchise ; et si la publication a lieu ce n'étoit ni de l'ordonnance ni du consentement de la cour, mais par le commandement du roi, force et impressions ci-dessus déclarées, que ce n'étoit point leur intention déjuger les procès conformément au concordat, mais de garder, observer comme auparavant les saints décrets de la pragmatique sanction dont le procureur du roi auroit appelé, tant pour et au nom de la cour, que de tous les sujets du royaume, la cour adhérant à ce premier appel et y persistant, appelle de nouveau au pape mieux informé, au premier concile général, et à celui et à ceux auxquels il appartiendra.
[10] Procès-verbal des remontrances faictes en la cour de parlement, au mois de mars 1517 (1518) sur la publication des concordats d'entre le pape Léon X et le roy François Ier. — Bibl. Royale, Mss. et in-12° imprimé, n° 4426.
[11] Consultez aussi pour tous ces faits, Ms. de M. A. Faur, cot. 8470-2, Bibl. Roy.