I. L'ÉTAT DES ESPRITS APRÈS L'ACCOMMODEMENT : LE CAHIER DE 1723.II. LA CRISE DE 1730 : LA DÉCLARATION DU 24 MARS — LE LIT DE JUSTICE DU 3 AVRIL.III. L'AFFAIRE DES AVOCATS ET LA CRISE DE 1731-1732 : L'INTERVENTION PARLEMENTAIRE — LE RÈGLEMENT DU 7 SEPTEMBRE — L'ABBÉ PUCELLE — LE CONFLIT : EXILS ET DÉMISSION — LA DÉCLARATION DU 18 AOÛT 1732 — LA PAIX FOURRÉE.IV. LES CONVULSIONNAIRES : LA MORT D'UN SAINT — LES MIRACLES DU DIACRE PÂRIS — L'ÉTAT D'ESPRIT DES CONVULSIONNAIRES — LES CRISES FURIEUSES.I. — L'ÉTAT DES ESPRITS APRÈS L'ACCOMMODEMENT. L'accommodement ne fut point la paix. Les 4 premiers évêques appelants persistèrent dans leur appel ; beaucoup d'ecclésiastiques du second ordre, moines, religieuses, aussi. Des listes de réappelants circulaient sous le manteau, parfois ouvertement. D'autre part, les ultramontains réclamaient la liberté d'épurer leur clergé, d'amender leurs ouailles par la crainte des peines canoniques ; ils aspiraient au moment où, la France entière acceptant la bulle, on pourrait supprimer l'accommodement dont le pape était mal satisfait. CAHIER DU CLERGÉ DE 1723.Dès 1723, l'assemblée du clergé inscrit dans son cahier ces revendications. Elle y supplie le roi : I. ... De vouloir permettre les conciles provinciaux... ; c'est le seul [moyen] aujourd'hui pour tout concilier et remettre les choses dans l'ordre où elles doivent être[1]. II. De déclarer que les Constitutions font loi dans l'Église et dans l'État ; et en conséquence faire inhibitions... aux Parlements... d'avoir aucun égard aux appels comme d'abus du refus des Évêques... d'accorder des visa et institutions canoniques des bénéfices, lorsque lesdits Évêques... auront déclaré leur refus être fondé sur ce que les pourvus ou présentés auxdits bénéfices n'ont pas donné des témoignages précis et suffisants de leur parfaite soumission à toutes les susdites constitutions apostoliques... dans l'examen qu'ils auront fait subir et que lesdits pourvus ou présentés auront marqué par leurs réponses être dans des sentiments contraires à ceux que lesdites constitutions exigent. IV. ... De lui accorder un tribunal non suspect, où soient portées toutes les contestations... à l'occasion des ordonnances, mandements des évêques ...en exécution des Constitutions des souverains pontifes revêtues de lettres patentes enregistrées dans les Parlements avec inhibitions et défenses auxdits Parlements et autres cours d'en connaître. VII. Autoriser... [les] archevêques et évêques [à] établir des écoles publiques de théologie et de philosophie dans les villes épiscopales... [et de se faire représenter] par tous les professeurs de théologie et de philosophie du diocèse leurs cahiers et les thèses qu'ils feront soutenir... VIII. Donner une déclaration par laquelle... toutes les maisons... des séminaires... seront déclarées appartenir aux diocèses... sans que... les ecclésiastiques... auxquels le soin et l'administration desdits séminaires avaient été confiés puissent rien prétendre dans la jouissance desdites maisons, qu'autant que l'Archevêque ou évêque jugera à propos de leur confier le soin et l'administration desdits séminaires. IX. Ceux à qui les Archevêques... auront refusé le visa... ne pourront se pourvoir... que devant les supérieurs dans l'ordre hiérarchique et il sera fait inhibitions... aux ...Parlements et autres juges de prendre connaissance desdits refus autrement que par appel comme d'abus, et audit cas qu'ils seront tenus de renvoyer par devant lesdits supérieurs... ceux qui seront en trois refus consécutifs ne seront plus reçus à se pourvoir... S. M. les déclarant... déchus de tous droits. II. — LA CRISE DE 1730. Et c'est en effet la guerre. Les mandements, les menaces, les lettres de cachet se multiplient. Désireux de s'illustrer, Tencin, archevêque d'Embrun, obtient de traduire devant un concile provincial l'évêque de Senez, Soanen, coupable d'avoir recommandé la lecture du livre de Quesnel. Et Soanen, condamné, est déposé et relégué à l'abbaye de la Chaise-Dieu. Déjà les autres appelants s'attendent au même sort. Mais la sentence d'Embrun produit un scandale tel que la cour, effrayée, interdit à la majorité du clergé, stupéfaite, tout concile et toute déposition nouvelle. Bientôt surgit un nouvel incident. Le pape ordonne de célébrer un office en l'honneur de Grégoire VII, le champion de la théocratie dont il résume le rôle dans la légende Romanæ vindex libertatis. Cette décision indigne le clergé gallican, plus encore les Parlements qui suppriment la légende, le bref et l'office. Inquiet de ces débats, le cardinal Fleury rédige la déclaration suivante (F., I, 617). DÉCLARATION DU 24 MARS 1730.... Puisque l'on nous oblige à expliquer encore nos intentions sur l'exécution de la bulle Unigenitus, nous croyons devoir prendre en même temps de nouvelles précautions contre ces esprits indociles que quatre bulles données successivement... n'ont pu encore réduire à une entière obéissance. Nous continuerons cependant de veiller avec attention à la conservation des maximes de notre royaume et des libertés de l'Église gallicane.., et nous sommes persuadés que nos Cours de Parlement... sauront toujours faire un juste discernement entre le zèle éclairé qui les défend avec sagesse et les intentions suspectes de ceux qui n'y cherchent... qu'un prétexte pour troubler ou pour éloigner une paix aussi désirable pour l'intérêt de l'État que pour le bien de l'Église.... I. ... Voulons... que personne ne puisse être promu aux Ordres sacrés, ou pourvu de quelque Bénéfice que ce soit..., ni même en requérir aucun sans avoir... signé le Formulaire en personne... ; que les Ecclésiastiques qui, n'ayant pas encore signé le Formulaire, refuseront de le faire... soient déclarés incapables de posséder [les bénéfices], et que tous ceux dont lesdits Ecclésiastiques pourraient avoir été... pourvus demeurent vacants et impétrables de plein droit. II. Voulons... que lesdites signatures du Formulaire soient pures et simples... III. ... Ordonnons que la Constitution Unigenitus soit inviolablement observée..., et qu'étant une Loi de l'Église par l'acceptation qui en a été faite, elle soit aussi regardée comme une Loi de notre Royaume. IV. L'article V de notre... Déclaration [de 1720] sera... exécuté... sans que, sous prétexte du silence... imposé, on puisse prétendre que notre intention ait jamais été d'empêcher les... Évêques d'instruire les ecclésiastiques et les peuples confiés à leurs soins sur l'obligation de se soumettre à la Constitution Unigenitus. V. Défendons... d'exiger... aucunes nouvelles Formules de souscription... Déclarons néanmoins que par cette défense Nous n'avons pas entendu que les Archevêques et Évêques de notre Royaume ne puissent refuser d'admettre aux saints Ordres.., Dignitez et Bénéfices, les Ecclésiastiques... qui auroient renouvelé leurs Appels de la Bulle Unigenitus.. ou déclaré par écrit qu'ils persistent dans ceux qu'ils avoient précédemment interjetes, ou qui auroient composé ou publié des Écrits pour attaquer ladite Bulle ou les explications desdits Archevêques et Évêques, des années 1714 et 1720, ou qui auroient tenu des discours injurieux à l'Eglise et à l'Épiscopat... et qui persévéreroient dans le même esprit de révolte ou de désobéissance contre la Bulle Unigenitus ou les autres Constitutions ci-dessus mentionnées... VI. Les Appellations comme d'abus... des refus de Visa ou d'institution canonique faits par.. les Archevêques ou Évêques aux ecclésiastiques qui se trouveront être dans quelqu'un des cas expliqués par les articles I, II, III et V de notre présente Déclaration n'auront aucun effet suspensif... et sans que les causes de refus marquées dans lesdits cas puissent être regardées comme un moyen d'abus. Voulons que, lorsqu'outre lesdites causes, le refus desdits Archevêques ou Evêques en renfermera d'autres... abusives, nos Cours soient tenues de déclarer qu'il y a abus seulement en ce qui concerne lesdites autres causes[2]... LE LIT DE JUSTICE DU 3 AVRIL.Cette déclaration déplut au Parlement et l'opposition se manifesta même dans le lit de justice, tenu pour la faire enregistrer (F., I, 628). M. le président de Lesseville est sorti de son rang
pour se jeter aux pieds du Roi ; M. le Chancelier l'a arrêté en lui disant de
rester à sa place... quand son rang fut venu, il dit qu'il voulait accuser
celui qui avait suggéré une pareille Déclaration... d'être traître à sa
patrie et à son maître, et suppliait S. M. de mettre l'affaire en
délibération, qu'il était persuadé qu'une telle personne perdrait sa vie sur
l'échafaud à la pluralité des suffrages... M. l'abbé Dalbert... a dit : Sire, les contestations présentes ne tendent à rien moins
qu'à enlever la couronne de la tête de V. M., et à lui ôter le sceptre de ses
mains ; je suis trop fidèle à V. M. pour appuyer de mon suffrage une
déclaration que je regarde comme une loi la plus injuste qui ait jamais été
proposée à un souverain. L'abbé Robert adit : J'en
appelle à vous-même, M. le Chancelier : quantum
mutatus ab illo !... M. le Chancelier a prononcé l'arrêt
d'enregistrement, sans compter le nombre des opinants. Après quoi, un
président lui a dit : Monsieur, faites-vous apporter
de l'eau pour vous laver les mains. Les membres des enquêtes voulurent protester et demandèrent l'assemblée des chambres ; mais le roi interdit toute délibération et menaça de faire un règlement sur la discipline intérieure de [la] Compagnie. La menace suffit et tout rentra dans l'ordre. III. — L'AFFAIRE DES AVOCATS ET LA CRISE DE 1731-1732. Pas pour longtemps. Dès 1731 l'agitation redouble. C'était alors l'usage des plaideurs de remettre à leurs juges, pour soutenir leur cause, une consultation d'avocats. Ainsi une trentaine d'avocats rédigèrent un mémoire contre la légalité du concile d'Embrun en faveur de Soanen, ou en faveur de certains curés gallicans d'Orléans contre leur évêque. Aussi le successeur de Noailles à l'archevêché de Paris, Vintimille, le fougueux évêque de Laon, l'archevêque d'Embrun fulminèrent contre eux des mandements violents. Tencin les qualifia d'hommes bouffis d'arrogance et de missionnaires d'hérésie et Vintimille sembla prêt à excommunier l'ordre entier. Irrités, les avocats réclamèrent satisfaction et, ne l'obtenant pas, firent grève. L'INTERVENTION PARLEMENTAIRE.Mais le Parlement intervint, à la fois pour les soutenir et pour défendre ses arrêts, cassés sans cesse par le conseil d'État, ainsi que sa compétence, abusivement réduite par des évocations continuelles. Il adressa des remontrances, même des remontrances itératives au roi. Comme il ne reçut pas de réponse favorable, l'irritation s'exagéra et le point de départ, l'affaire des avocats, fut vite oublié. Les enquêtes et les requêtes, plus jeunes, étaient les plus animées. Ils réclamaient constamment l'assemblée des chambres pour pouvoir délibérer sur les affaires politiques. Voici ce qui se passe le 31 août 1731 : MM. de la première des Enquêtes envoyèrent deux conseillers à toutes les chambres pour les prier d'envoyer leurs députés au cabinet des Enquêtes. Là il fut arrêté que MM. les députés se rendraient à la Grand'Chambre pour demander l'Assemblée. Les députés partirent dans l'instant et allèrent à la Grand'Chambre demander à M. le Président l'assemblée. M. le Premier Président, ayant hésité quelque temps et prié MM. les députés de se retirer pour mettre l'affaire en délibération, MM. les députés ne se retirèrent point, et MM. des Enquêtes, voyant que leurs députés ne revenaient point et que l'heure passait, vinrent sur-le-champ prendre leur place à la Grand'Chambre... M. le P. Président eut beau représenter à MM. qu'une telle assemblée n'était point régulière, MM. des Enquêtes tinrent bon[3]. LE RÈGLEMENT DU 7 SEPTEMBRE 1731.Les violents l'emportent. Le Parlement cite devant lui l'évêque de Laon dont un mandement ultramontain l'a blessé et il convoque les pairs et princes du sang qui, naturellement, ne viennent pas. Le 7 septembre, il arrête un règlement fameux sur les rapports des deux puissances qui reproduit les clauses de 1682 et ajoute : A la puissance temporelle seule appartient la juridiction qui a droit d'employer la force visible et extérieure pour contraindre les sujets du roi... Les ministres de l'Église sont comptables au Roi, et en cas d'abus, à la Cour... de l'exercice de la juridiction qu'ils tiennent du Roi même, et de tout ce qui pourrait, dans. l'exercice du pouvoir qu'ils tiennent directement de Dieu, blesser la tranquillité publique, les lois et les maximes du royaume[4]. L'ABBÉ PUCELLE.Les discours s'échauffent : si on respecte le roi, on s'attaque aux ministres. Le premier président, trop docile, est pris à partie, parfois hué et traité d'infâme. En revanche les chefs de la résistance sont applaudis, traités de Romains, de Spartiates. Le plus en vue est le célèbre abbé Pucelle. Voici par exemple la façon dont il opine, le 30 juillet (F., I, 257). L'abbé Pucelle parla encore plus vertement qu'à son ordinaire et dit tout net que la source de tous les maux provenait de la façon dont M. le Cardinal avait élevé le Roi : qu'il abusait manifestement de l'autorité royale, et qu'il était temps de lever le blocus ; et... par le blocus, il entendait que le trône... était enceint de quelques cardinaux et évêques qui ne cherchaient qu'à semer la division et à indisposer le roi contre son Parlement... LE CONFLIT : EXILS ET DÉMISSION.De son côté le roi s'irrite. Tantôt il refuse de recevoir le Parlement ou ses remontrances, tantôt il mande au contraire des députations pour leur signifier sa colère (11 janvier 1732 à Versailles, mai et juin à Compiègne). Enfin il se résout aux mesures de rigueur, exile d'abord Pucelle et Titon (14 mai), puis (15 juin) 4 autres parlementaires — président Ogier, conseillers Robert, de Vrevins, Davy de la Faultrière —. Le Parlement réplique en suspendant le service (mai) et en donnant sa démission. Tous MM. des Enquêtes et Requêtes, retirés dans leurs chambres, se trouvèrent réunis dans celui de signer un acte contenant démission de leur charge... Cette résolution avait pour motifs... les termes durs et injurieux... de l'arrêt du Conseil ; la privation de la liberté des suffrages, résultant de l'emprisonnement de quatre des Messieurs qui avaient opiné très sagement dans l'affaire présente[5]... Le premier président ayant refusé de recevoir ces démissions, ils allèrent les porter au chancelier en cortège, marchant deux par deux. Barbier nous a laissé un tableau amusant de la scène. Quand cela a été fait [la signature des démissions], toutes les sept chambres sont sorties en même temps, se sont jointes dans la grande salle, et ont été, par l'escalier de la Sainte-Chapelle... chez M. le Premier Président. Ils marchaient deux à deux, les yeux baissés, au nombre de plus de 150, passant au milieu d'un monde infini dont le palais était plein ; dans leur chemin, le public disait : Voilà de vrais Romains et les pères de la patrie. L'affaire n'eut pas de suites. La Grand'Chambre ayant menacé de cesser ses audiences, le gouvernement fit quelques concessions : et les magistrats, qui craignaient la confiscation de leurs charges, décidèrent de rentrer (9 juillet 1732)[6]. LA DÉCLARATION DU 18 AOÛT 1732.Mais à peine le Parlement était-il réuni qu'une nouvelle crise éclate. Le roi remit au parlement, avec ordre de l'enregistrer sur-le-champ, la déclaration dont voici l'essentiel. Art. Ier. — Les ordonnances..., publiées en notre présence seront inviolablement observées, à compter du jour de la publication... sans que l'exécution en puisse être différée, même sous prétexte des remontrances... Art. 2. — Dans tous les cas où... notre dit Parlement aura cru devoir nous représenter ce qui lui paraîtra utile... dans les matières qui sont de son ressort, nous lui ferons savoir notre volonté, après avoir fait examiner ses remontrances ou ses représentations en notre conseil, et elle sera tenue de s'y conformer... sans pouvoir nous faire de nouvelles remontrances... sur le même sujet, à moins que nous ne le lui ayons permis expressément. Art. 3. — Les réquisitions... faites par nos avocats et procureurs généraux, verbalement ou par écrit, soit pour être reçus appelant comme d'abus d'ordonnances émanées de l'autorité ecclésiastique, soit pour réprimer les entreprises... sur le pouvoir que nous tenons de Dieu seul, ou contre les libertés de l'Eglise gallicane, les droits des évêques et les maximes du royaume ne seront portées qu'à la Grand'Chambre... Art. 4. — Il ne pourra être fait aucunes délibérations au sujet des matières mentionnées dans l'article précédent que sur les réquisitions de nosdits avocats et procureurs généraux, ou sur la proposition... par le premier président... ou celui qui présidera en son absence ; sauf à ceux... qui estimeraient qu'il y aurait lieu de faire quelque délibération au sujet desdites matières d'en informer... ledit premier président en particulier... ou celui qui présidera en son absence, pour y être ensuite pourvu en la Grand'Chambre. Art. 5. — Défendons... aux officiers... des enquêtes et requêtes... de délibérer ailleurs que dans l'assemblée de toutes les chambres..., soit sur ce qui concerne l'enregistrement de nos ordonnances, soit sur toutes autres matières publiques, dont la connaissance est attribuée à notre dite cour de Parlement, ou de s'assembler chacune séparément pour conférer ensuite par députés et prendre des délibérations communes... ; déclarons nul et de nul effet tout ce qui pourrait être fait ou entrepris au préjudice de la présente disposition. Art. 6. — Enjoignons à toutes... les chambres... de vaquer assidûment et sans interruption... à l'administration de la justice ; leur défendons de cesser sans notre permission... de la rendre à nos sujets... N'ayant pas été obéi, le roi tint à Versailles un lit de justice où il fit exécuter sa volonté. Mais le Parlement rentré à Paris affecta de contester la légalité de l'enregistrement, et prit le 4 septembre l'arrêté suivant (F., I, 298) : ... Attendu le lieu où ledit lit de justice a été tenu, et le défaut de communication d'aucune des matières qui devaient y être traitées, la Cour n'a pu, ni dû, ni entendu donner son avis ; et, en conséquence... en ce qui concerne la déclaration du 18 août 1732... la Compagnie ne cessera de représenter au roi l'impossibilité dans laquelle elle est d'exécuter ladite déclaration, et que cependant elle continuera toujours de se conformer aux anciens usages, maximes et disciplines qui lui sont propres, les chambres demeurant assemblées jusqu'à ce qu'il ait plu au Roi de donner réponse... LA PAIX FOURRÉE.Le roi très irrité exila 139 parlementaires. La Grand'Chambre seule restait en état de rendre la justice. Bien qu'émus du sort de leurs collègues, ses membres restèrent en fonctions. Les avocats ne venaient pas, les procureurs non plus aussi. Le peuple... murmura contre les magistrats, les traitant de lâches qui abandonnaient leurs confrères[7]. Aussi peu à peu la Grand'Chambre changea-t-elle d'avis et inclina-t-elle à cesser, elle aussi, de rendre la justice. Le premier président s'entremit et, après des négociations longues et pénibles, il aboutit à trouver la formule d'un accord. Le gouvernement qui, malgré tout, avait besoin du Parlement, rappelait les exilés, et mettait en surséance sa déclaration ; les magistrats s'engageaient en échange à se taire sur les questions religieuses. C'était donc la paix, mais une paix fourrée. Le Parlement est prudent parce qu'il se sait faible. Qu'il trouve un point d'appui, il recommencera, et ce point d'appui il va le trouver dans le peuple et la bourgeoisie, à cause d'abord des passions religieuses, et ensuite des difficultés politiques. IV. — LES CONVULSIONNAIRES. Le mouvement janséniste, qui avait toujours incliné les âmes au mysticisme et à l'austérité, provoqua, aux alentours de 1730, une crise d'exaltation religieuse qu'on appelle le mouvement des convulsionnaires. Les exaltés du parti considéraient depuis longtemps leurs apôtres comme des saints ; ils entouraient leur mémoire d'un culte, adoraient leurs reliques. Voici par exemple quelles scènes d'adoration provoque, parmi ses amis, la mort de l'abbé Tissart ; diacre de Saint-Josse. LA MORT D'UN SAINT.Depuis le moment de sa mort jusqu'à celui de son enterrement, il y a eu un grand concours de dévots et de dévotes chez lui. On y a continuellement psalmodié des psaumes, et il a été gardé par deux prêtres de Saint-Josse, en habit long, sans surplis. On a tiré son portrait après sa mort, et on prétend qu'il va paraître gravé. On lui a coupé les cheveux et les ongles des pieds et des mains. On a aussi pris sa calotte, son bonnet, et sa coiffe de nuit, que l'on s'est partagés ; et, du tout, l'on en a fait des reliques. Le curé de Saint-Josse voulait avoir le corps ; mais le curé de Saint-Eustache s'y est opposé, prétendant qu'il ne se laisserait pas enlever un pareil trésor... Tous ceux qui suivaient le convoi se disaient que c'était un grand saint de moins sur la terre, et, sitôt qu'il a été enterré, ils se sont jetés sur la fosse, et les uns ont mis de la terre dans leur bouche, et les autres en ont rempli leurs poches[8]. LES MIRACLES DU DIACRE PÂRIS.De cette vénération à la croyance aux miracles il n'y avait qu'un pas qui fut bientôt franchi : Nul temps ne fut jamais plus fertile en miracles que les années 1727 et 1728. On en signale partout, à Amsterdam, à Reims, à Paris. De tous ces faiseurs de miracles, le plus célèbre est le diacre Pâris. Riche et de bonne famille, il était entré dans les ordres. Converti aux idées jansénistes, il renonça au sacerdoce, s'en jugeant indigne, se dévoua aux œuvres de charité dans le quartier Saint-Médard. Après sa mort, ses anciens assistés, ses amis, qui le pleuraient comme un saint, répandirent le bruit que des miracles s'opéraient sur sa tombe. Un conseiller au Parlement, Carré de Montgeron, nous a donné la liste et les preuves prétendues de ces miracles. De nombreux fervents, même de la plus haute noblesse, allaient au cimetière, s'étendaient sur la tombe du saint, et parfois, dans leur commotion nerveuse, étaient pris de convulsions. La grâce opérait, disait-on alors. Le trouble fut tel que Fleury fit fermer le cimetière. L'ÉTAT D'ESPRIT DES CONVULSIONNAIRES.Ces fanatiques avaient l'âme des anciens puritains anglais. Ils brûlaient de confesser leur foi. Carré de Montgeron veut convaincre le roi de la vertu du diacre Pâris, compose dans cette intention un livre qu'il présentera à Louis XV ; et voici comment il se prépare à l'entrevue. Il s'est préparé à l'action éclatante qu'il méditait[9], et aux tribulations qu'il espérait en devoir être la récompense par des prières qu'il n'a point manqué de faire chaque jour pour ce sujet, par des jeûnes et d'autres pratiques de pénitence, par d'abondantes aumônes, par une application particulière aux devoirs de sa charge, par un mépris général de tous les biens, de tous les plaisirs, et de toutes les espérances du monde... Les huit derniers jours, il s'était fait un lit de cendres qu'on a trouvé sous son lit ordinaire : il jeûna au pain et à l'eau ; il communia à sa paroisse le 25 juillet, fête de saint Jacques, et parut dans cette action comme un ange. Le samedi 27, avant que de partir pour Versailles, il assembla environ douze, tant ecclésiastiques que laïques qu'il logeait et entretenait dans sa maison, leur fit un discours plein d'onction sur la Providence, les exhorta à s'y fier pleinement, et se recommanda très particulièrement à leurs prières. Après ces préparations assez semblables à celles d'Esther, il se revêtit comme elle des habits convenables à son état, et alla dans les mêmes sentiments s'exposer pour son Roi et pour son peuple[10]. Voici de même l'état d'esprit d'un petit bourgeois. Il y a quelques jours, on dénonça au Parlement le sieur Simara, ancien libraire de la rue Saint-Jacques, comme prêtant sa maison et son ministère aux intrigues de ce parti ; le Parlement nomma un conseiller pour s'y transporter, dresser procès-verbal, et même arrêter l'homme s'il le trouvait coupable. Il l'était et il se laissa mener en prison avec autant de joie qu'un autre un peu plus raisonnable en aurait eu à se sauver ; sa femme même à qui le magistrat crut devoir faire un petit compliment pour la tranquilliser, n'y répondit qu'en lui disant : Plût à Dieu, Monsieur, que vous et moi fussions pendus pour une si bonne cause ? Dieu permet que les justes soient persécutés ; mais le martyre sauve[11]. LES CRISES FURIEUSES.Malheureusement le délire janséniste entraîna les exaltés parfois beaucoup plus loin. Une secte se forma qui jugea les temps révolus. La terre était trop chargée d'iniquités : le Rédempteur allait venir : tandis que certains fous commettaient délibérément des abominations pour hâter la vengeance céleste, d'autres s'imaginaient être les envoyés de Dieu, ou voulaient découvrir un sauveur. Les deux principaux chefs d'école furent Jean-Robert Cosse de Montpellier, dit frère Augustin, qui s'intitulait serviteur des serviteurs de Dieu, précurseur d'Élie et 4e personne de la Sainte-Trinité, et l'abbé Vaillant, le fondateur des Élisiens qui se donnait pour Élie. A quel degré de scènes sauvages menaient ces prédications, le fait divers suivant le montrera. A l'égard des jansénistes — j'entends les convulsionnaires ou les cerveaux brûlés du parti —, c'est encore pis. Ils se sont mis en tête qu'Élie allait venir renouveler l'Église, mais qu'avant il fallait que tous les crimes fussent consommés et expiés entre les frères zélateurs sur le terrain de Port-Royal-des-Champs... Ils ont fait à Paris diverses processions nocturnes qui avaient pour but des amendes honorables ; ils se sont transportés à Port-Royal ou plutôt sur la terre où a existé cette maison ; ils y ont égorgé un animal et, de son sang qu'ils avaient recueilli, ils ont eu l'audace d'aller marquer, jusque dans Versailles, les maisons de ceux qui devaient être épargnés par l'ange exterminateur, à l'arrivée d'Élie. Ensuite ils ont tiré au sort pour savoir lequel d'entre eux devait être crucifié pour la parfaite expiation des crimes des autres, et le sort est tombé sur un abbé Sévin, fils d'un notaire de cette ville. La crainte de mourir lui a rendu le bon sens, et il a fait tout ce qu'il a pu pour s'en dispenser. On avait déjà, malgré sa résistance, commencé à le flageller ; et s'il ne se fût pas avisé de représenter aux frères que la victime devait être volontaire, qu'il ne se défendait pas absolument d'en servir, mais que J.-C. avait sué sang et eau avant d'être résolu, et qu'il avait besoin comme lui, de quelque temps pour se déterminer, peut-être eût-il passé le pas. Sa représentation fit son effet, on lui accorda 24 heures de délai et il en profita pour se sauver. Depuis M. Héraut l'a fait mettre à la Bastille avec beaucoup d'autres et sa famille a sollicité une lettre de cachet pour le faire enfermer pour le reste de ses jours[12]. BIBLIOGRAPHIE. — CARRÉ DE MONTGERON, La vérité des miracles opérés par l'intercession de M. de Pâris, Utrecht, 1737, 2 vol. in-4° ; JOURNAL DU CONCILE D'EMBRUN (attribué au jésuite Montlauzon), 1727 ; Lettre des cardinaux, archevêques et évêques au roi (18 oct. 1727), in-4° ; MARVILLE, Lettres à Maurepas, éd. Boislisle (publications de la Société d'Histoire de Paris), Paris, 1896-1901, 3 vol. in-8° ; DUBUISSON, Lettres au marquis de Caumont, éd. Roussel, Paris, 1882, in-16 ; Commissaire NARBONNE, Journal des règnes de Louis XIV et Louis XV, publié par Le Roy, Paris, 1866, in-8° ; BOUGEANT, Les quakers français, comédie, Utrecht, 1732, in-12 ; WILLE (Jean Georges), Mémoires et journal, éd. G. Duplessis, Paris, 1857, 2 vol. in-8°. |
[1] En déposant les évêques récalcitrants : la même idée est reprise avec plus de force dans les discours au Roi et dans les cahiers de 1725 et 1726.
[2] L'article VII défend d'imprimer, colporter aucun ouvrage contre la bulle ou l'autorité des évêques.
[3] Bibl. Nat., Français, 10908, f° 87 et 88.
[4] Mention, Documents, II, 70.
[5] Hénault, Mémoires, p. 399.
[6] Barbier, Journal, I, 430.
[7] Hénault, Mémoires, p. 425.
[8] Marville, Lettres, II, 213.
[9] Présenter son livre au roi.
[10] Montgeron, Avertissement (dans l'exemplaire de la B. Nat. Ld. 4/2140A).
[11] Dubuisson, Lettres, 13-14.
[12] Dubuisson, Lettres, 6-7.