HISTOIRE DES SÉLEUCIDES (323-64 avant J.-C.)

 

CHAPITRE XVI. — GOUVERNEMENT ET INSTITUTIONS DES SÉLEUCIDES.

 

 

Le chapitre ainsi intitulé, faute d’une étiquette plus modeste, ne peut contenir que l’inventaire des lacunes de nos connaissances. Les Séleucides régnaient sur quantité de peuples disparates, et ils ont dû accommoder aux mœurs de ces races diverses leur façon de gouverner. Ils n’ont pas pu, comme les Lagides, administrer leur empire d’après des règles uniformes, appliquées par une bureaucratie façonnée de longue date à faire pénétrer en tous lieux l’impulsion du pouvoir central. Comme on l’a vu, la plupart des satrapes ou stratèges des provinces lointaines, investis d’une autorité autonome et presque souveraine, ont cédé à la tentation de se rendre indépendants dès que les circonstances favorisaient leur ambition, surtout quand ils avaient chance d’intéresser à leur cause les nationalités dont la tutelle leur était confiée. Les Séleucides se trouvaient bientôt hors d’état de résister à ces tendances séparatistes, à cette poussée du sentiment national excité sur place par ceux qui voulaient l’exploiter. Ils essayaient, à l’exemple d’Alexandre, d’implanter dans les diverses parties de leur domaine des colonies gréco-macédoniennes, ornées de noms dynastiques, qui, isolées par l’orgueil de race, seraient autant de points d’appui pour la domination étrangère. Mais ni la Grèce, ni la Macédoine, épuisées par de longues guerres, ni les villes grecques d’Asie Mineure ne pouvaient fournir assez de colons pour peupler ces villes soi-disant helléniques et y constituer un corps compacte, réfractaire à la fusion avec l’élément indigène. Au bout d’un certain temps, la plupart de ces colonies n’avaient plus d’hellénique que le nom et tout au plus une aristocratie locale qui conservait, avec la langue grecque, le souvenir de ses origines. Elles ont suivi la destinée des provinces dans lesquelles elles étaient englobées.

Bon gré, mal gré, les Séleucides ont dû reconnaître comme vassaux et confirmer dans leur dignité usurpée, pour prévenir leur émancipation totale, les révoltés, Hellènes ou Barbares, qui avaient pu leur résister assez longtemps pour fonder des dynasties. En quoi consistait au juste le lien de vassalité, nous l’ignorons. Il devait être assez fragile. Il consistait sans doute en l’obligation de payer tribut et, le cas échéant, de fournir des contingents aux armées royales : mais le peu que nous savons des expéditions faites par les Séleucides dans la Haute-Asie autorise à penser que les tributs n’étaient guère recouvrés que par la force et que les contingents régionaux ont servi plus souvent à combattre qu’à aider les suzerains. C’est ainsi que le protectorat nominal des Séleucides a pour ainsi dire légitimé la désagrégation progressive, en attendant la dislocation totale, de cet empire branlant. En fait, nous n’avons aucun renseignement sur le régime intérieur des provinces du royaume de Syrie et sur la somme de vie locale qui a pu être laissée, au milieu de populations gouvernées à la mode orientale, aux colonies de fondation nouvelle. Nous ne connaissons même que par à peu près le cadre extérieur, la division du royaume en satrapies ou stratégies, éparchies et hyparchies.

Ce cadre n’a sans doute pas été immuable : il a dû varier non seulement par le fait des défections qui l’ont rétréci, mais par des modifications dans l’aménagement intérieur, dans la distribution des pouvoirs tantôt plus divisés, tantôt plus concentrés pour des raisons de circonstances et d’opportunité. Les bribes de textes dont nous disposons ne permettent pas même d’ébaucher un aperçu de l’administration financière. Quant à l’armée, le recrutement régional n’en est connu de temps à autre que par ses résultats, quand on voit apparaître sur les champs de bataille, à côté des mercenaires grecs engagés pour la campagne, des contingents bariolés de races asiatiques, armés à la mode de leur pays.

On pouvait espérer plus de lumières, en ce qui concerne la condition des villes grecques, des nombreuses inscriptions exhumées du sol de l’Asie Mineure. En effet, elles nous renseignent bien sur leur régime intérieur, leur régime municipal, sur leurs magistrats, leurs prêtres, leurs divinités poliades, sur les circonstances qui motivent les décrets de leurs assemblées. Nous apprenons par là, de temps à autre, quelle est, des Lagides, Séleucides, Attalides, la dynastie à laquelle elles rendent hommage pour le moment et, accessoirement, quoique d’une façon moins nette, jusqu’où va leur autonomie. Avec les dossiers épigraphiques et numismatiques constitués pour chaque cité, on peut faire et on fait des monographies. Mais il ne faudrait pas s’exagérer la valeur de ces contributions à l’histoire générale. D’abord, bon nombre des inscriptions ne peuvent être datées que par voie de conjecture, soit que l’en-tête du document ait disparu, soit que le roi visé dans tel texte soit désigné uniquement par son nom personnel, sans épithète diacritique. Les méfaits de l’homonymie sévissent là comme ailleurs, et l’on n’arrive pas toujours à préciser de quel Ptolémée, de quel Antiochos ou de quel Attale il s’agit. Il est des discussions qui, vingt fois reprises, restent toujours ouvertes. Enfin, ce qui importe ici, dans les inscriptions les plus sûrement datées on trouve rarement ou on ne tire que par induction des renseignements sur les rapports que soutiennent les cités avec la puissance suzeraine de l’époque. Leurs décrets sont le plus souvent des actions de grâces pour des libéralités faites ou des privilèges octroyés par les rois. Quand il s’agit de privilèges, on en conclut légitimement que la condition des cités en est améliorée : mais le plus souvent on ne saurait dire si ces privilèges sont d’institution nouvelle, ou simplement confirmés, ou rétablis, et s’ils n’ont pas été révoqués plus tard. Le seul fait qu’ils se répètent à diverses époques, pour la même cité, prouve qu’ils étaient essentiellement précaires.

Les Séleucides, recueillant en Asie Mineure la succession d’Alexandre, ont dû tout d’abord accepter la situation telle que l’avaient faite les événements antérieurs. lin ce qui concerne spécialement les villes grecques, on sait qu’Alexandre les avait déclarées autonomes et exemptes de tributs, c’est-à-dire, des tributs qu’elles payaient aux Barbares. Il poussait même l’amabilité jusqu’à ajouter qu’il n’avait fait la guerre aux Perses que pour affranchir les Hellènes de leur domination. En outre, il avait aboli partout le régime oligarchique et instauré ou restauré la démocratie[1]. Cela ne veut pas dire que, exemptes d’impôts comme villes libres, elles n’aient pas été assujetties à des contributions de guerre comme alliées de leur libérateur[2]. C’est en alliées que Alexandre, et, à son exemple, Antigone le Borgne affectaient de traiter les cités helléniques. Ce qu’ils pourraient imposer, ils le demandent par voie de messages soumis aux délibérations du Conseil et du peuple. Nous avons des rescrits de ce genre adressés — entre autres — par Alexandre le Grand aux habitants de Chios[3], par Antigone aux citoyens de Téos[4] et de Scepsis. A cette épître, la cité de Scepsis répond par des honneurs décernés à Antigone et à ses fils pour avoir garanti aux Hellènes la liberté et l’autonomie dans la paix[5]. Antigone est, de tous les Diadoques, celui qui sut le mieux conserver envers et contre tous les sympathies des Hellènes. Les ressources qu’il trouva dans les trésors accumulés par les Perses lui permirent de ne pas se montrer exigeant à l’égard de ses protégés. Lysimaque était l’objet de pareilles distinctions — couronne, statue, autel, sacrifices, etc. — et pour les mêmes motifs, de la part des Priéniens[6]. C’est en arbitre désintéressé qu’il règle un litige entre Priéniens et Samiens[7]. Il va sans dire que Séleucos Nicator et ses successeurs firent preuve, à l’occasion, de la même déférence et en furent récompensés par des manifestations analogues.

Il entrait de la prudence dans ces prévenances du début, alors que les Diadoques étaient en conflit pour le partage de l’empire et que s’opérait le tassement définitif. Une fois maîtres incontestés de l’Asie Mineure, les Séleucides ne furent plus aussi discrets. On s’en aperçoit aux faveurs qu’ils dispensent pour restaurer des libertés qui avaient dû être supprimées par leurs prédécesseurs. C’est ainsi que Antiochos Ier — à moins que ce ne soit Antiochos II — écrit au Conseil et au peuple des Érythréens : Ayant été informé (par vos ambassadeurs) que, du temps d’Alexandre et d’Antigone, votre cité était autonome et exempte de tributs et que nos ancêtres lui ont toujours témoigné intérêt, considérant leur appréciation comme juste et voulant nous-même n’être pas en reste de bienfaits, nous respectons votre autonomie et nous concédons que vous soyez exempts de toutes taxes et même des collectes pour la caisse des Galates. Quelles sont ces taxes que le roi renonce à percevoir, le message ne le dit pas, et c’est ce qu’il importerait de savoir. Antiochos répond par cette faveur à un décret honorifique et des présents que les députés érythréens lui ont apportés à l’occasion de son jour de naissance : une couronne et une somme d’argent à titre de cadeaux d’hospitalité[8]. La remise d’impôts n’est donc pas tout à fait gratuite : il semble que les Érythréens ont acheté l’immunité et échangé le régime des redevances obligatoires contre celui des dons volontaires. Une requête adressée au même Antiochos Ier au nom du κοινόν τών Ίωνων, à l’effet d’obtenir que les cités fédérales jouissent à l’avenir des libertés démocratiques et se gouvernent suivant leurs propres lois[9], atteste également que Séleucos Nicator les avait tenues dans une dépendance assez étroite, contraire au régime inauguré par Alexandre et comportant évidemment l’obligation du tribut. Il n’est pas probable que les suzerains des cités aient poussé la condescendance jusqu’à supprimer uniformément pour toutes cette marque de sujétion. L’autonomie n’entraîne pas nécessairement l’immunité. Aussi les Séleucides paraissent avoir volontiers élargi jusqu’à l’autonomie les libertés civiques, qu’ils protègent, à l’occasion, soit contre l’usurpation de tyrans, soit contre l’assaut de puissances étrangères. Chacune de ces cités est une république on tout se décide par le suffrage populaire. Les compétitions incessantes dont elles étaient l’enjeu leur ont même donné une large part d’initiative en matière politique. En temps de troubles et de conflits, elles étaient appelées à prendre parti, et l’issue de plus d’une guerre a dépendu de leur bon vouloir. C’est grâce à l’appui des cités grecques que Séleucos II put reprendre la lutte contre Ptolémée Évergète. Les inscriptions confirment ici les dires de Justin. Smyrne se vante d’avoir souffert pour la cause de Séleucos et de l’avoir puissamment aidé, non seulement par ses propres moyens, mais en lui ramenant les sympathies de Magnésie du Sipyle, avec qui elle conclut un traité en bonne forme[10].

Ce qu’on voit le moins bien au milieu de tant de compliments échangés et d’honneurs décernés, c’est précisément ce que nous cherchons : la nature et la portée des droits exercés par le suzerain. On n’en peut juger que par ceux qu’il abandonne. Quand un roi reconnaît une cité pour sainte et inviolable, il semble bien renoncer à toute ingérence policière ; mais quand il la proclame libre et de régime démocratique, voire autonome, on ne sait trop s’il constate un fait qu’il promet de respecter ou quelle somme de libertés nouvelles il lui alloue. L’impression que laisse un coup d’œil d’ensemble et que confirme le verbiage adulatoire des documents épigraphiques, c’est que les cités ont toujours eu à compter avec le tempérament ou la politique de leurs maîtres ; que, contre les caprices de ceux-ci et les calculs de ceux-là, leurs franchises n’étaient aucunement garanties, et qu’elles n’ont jamais été plus libres que quand les rois avaient intérêt à les ménager. C’était le cas surtout lorsque des compétiteurs au trône briguaient leurs sympathies. Aussi Séleucos II fut-il particulièrement prodigue de faveurs. La plus enviée, l’exemption de tributs, devait être la plus révocable, et elle ne fut jamais étendue à toutes les cités, même par Antiochos le Grand, qui aimait à se montrer généreux par souci de sa renommée. Lors de la liquidation qui intervint après sa défaite, les Romains décidèrent que les villes qui payaient tribut (stipendium) à Attale Ier seraient astreintes à pareille obligation envers Eumène II, et que celles desquelles Antiochos tirait un revenu (vectigales Antiochi) seraient liberæ et immunes, ce qu’elles n’étaient donc pas jusque-là[11]. En fait, les villes libres étaient autonomes, et la numismatique nous en apporte ample témoignage, mais non pas indépendantes.

Assez pauvres en renseignements utilisables pour l’histoire politique el militaire, les inscriptions sont au contraire farcies de protestations d’affection et de reconnaissance pour les rois bienfaiteurs et sauveurs, d’hommages épuisant toutes les formes de flatteries et aboutissant à l’apothéose, qui était à l’époque la monnaie courante de l’adulation. Le culte des morts illustres ou héroïsation, particulièrement des œkistes des cités, était de longue date en usage chez les hellènes. Les Ioniens d’Asie transportèrent aux vivants les honneurs héroïques ou même divins. Après la bataille d’Ægos-Potamos, les Samiens transformèrent leurs Ήραΐα en Λυσάνδρεια : il ne tint qu’à Agésilas d’être dieu et d’avoir un temple à Thasos. Il préféra être homme d’esprit et se moquer des Thasiens en leur conseillant, puisqu’ils s’entendaient à faire des dieux, de se faire dieux eux-mêmes. Les Athéniens firent de Démétrios Poliorcète un dieu qu’ils associèrent, avec une impudeur sacrilège, à leur Vierge Athéna. Alexandre avait pris pour lui-même le titre de dieu, en vertu de la tradition monarchique qui faisait des rois orientaux des êtres surhumains ; mais ses successeurs immédiats — sauf les Lagides déguisés en Pharaons — ne se sentirent pas tout d’abord de taille à soutenir ce rôle, du moins aux yeux des Hellènes. Ces parvenus prirent le titre de rois, mais sans prétendre encore être des dieux.

L’adulation des Hellènes eux-mêmes leur prouva qu’ils étaient trop modestes. Les honneurs décernés par les villes à leurs protecteurs étaient de ceux qui ne conviennent qu’aux dieux. Les Scepsiens décident de consacrer à Antigone un enclos avec autel, statue, sacrifices et processions renouvelés chaque année ; les Priéniens votent à Lysimaque une statue à ériger sur l’agora et un autel où, tous les ans, au jour de naissance du roi, les prêtres et prêtresses iront offrir des sacrifices devant tout le peuple en costume de fête, avec le même cérémonial qu’aux Panathénées[12]. L’apothéose des Séleucides fut mieux graduée, commençant par des fêtes religieuses instituées en leur honneur, dans lesquelles leur nom était associé à celui d’autres dieux, presque sur le pied d’égalité[13]. Les rois devenaient ainsi les πάρεδροι ou σύνναοι ou σύνθρονοι de divinités à qui ils communiquaient leurs prédicats distinctifs, de façon que les hypostases tendaient à se confondre. On ne savait plus bien lequel était le plus honoré, de Zeus ou de Séleucos Nicator, dans la personne de Séleucos Zeus Νικάτωρ, ou d’Antiochos Soter et d’Apollon dans la personne d’Antiochos Apollon Σωτήρ[14]. Les légendes qui certifièrent la descendance divine de Séleucos Ier et firent d’Apollon l’ancêtre de la dynastie achevèrent d’effacer la distinction entre la lignée divine et les dieux. La Nouvelle-Ilion paraît avoir devancé les autres cités dans ce genre d’hommages adressés aux Séleucides[15]. Après la bataille de Koroupédion, qui les a délivrés de la tutelle despotique de Lysimaque, les Iliens décident d’élever sur l’agora un autel qui portera le nom du roi Séleucos et sur lequel le gymnasiarque offrira un sacrifice le 12 de chaque mois ; de plus, tous les quatre ans, dans le mois Séleucien, seront célébrés des Jeux solennels suivant les rites usités dans les cultes d’Apollon ancêtre de la race et d’Athéna. Ces honneurs vont probablement à Séleucos défunt, car le libérateur survécut de peu à sa victoire ; mais peu après on constate que le roi Antiochos Ier Soter a de son vivant son prêtre à Ilion. Néanmoins, Antiochos, bienfaiteur et sauveur du peuple, n’est pas précisément dieu, car son prêtre est invité à se joindre aux membres des autres sacerdoces et à unir ses vœux aux prières adressées pour le salut de la famille royale à l’ancêtre Apollon, à Athéna, à Zeus, à Niké et à tous autres dieux et déesses. Le décret insiste avec complaisance sur l’assistance divine que le peuple a tant de fois implorée pour le roi dès le début de son règne[16]. De même, dans le document précédent, on sacrifiait à Athéna, ύπέρ τοΰ βασιλέως Σελεύκου. C’est aussi comme libérés de la tyrannie de Lysimaque que les clérouques athéniens de Lemnos élevèrent des chapelles à Séleucos Ier et à son fils Antiochos Ier. Pour eux, le défunt Séleucos était le Sauveur, titre qui approche de la divinité l’homme qui en a exercé la plus belle prérogative[17]. Un peu plus tard, la fédération ionienne décrète qu’un sanctuaire sera élevé où au culte d’Alexandre sera associé celui de la famille royale, actuellement composée d’Antiochos (I) régnant avec son fils Antiochos (II) et son épouse la reine Stratonice. Des sacrifices y seront offerts par les délégués des villes fédérées, lors des panégyries, à tous les dieux et déesses et aux rois Antiochos et à la reine Stratonice[18] [note 1].

Il y a dans tous ces hommages un certain flottement de la pensée et comme une équivoque voulue. Sans doute, dans les religions polythéistes la qualité de dieu n’emporte pas toutes les perfections que les théologies monothéistes accumulent sous ce titre. La distance entre l’humanité et la divinité n’était pas aussi énorme, et elle était encore diminuée par les généalogies héroïques qui faisaient la chaîne entre l’une et l’autre. Il y avait même telles divinités infimes ou grotesques, à demi animales, auxquelles les beaux spécimens de l’humanité pouvaient se comparer avec avantage. En somme, la ligne de démarcation se réduisant à l’immortalité attribuée aux dieux, on peut dire sans paradoxe que, ce privilège, les hommes dignes de revivre dans le souvenir de leurs semblables l’acquéraient par la commémoration perpétuelle de leur personnalité devenue objet de culte. Cette immortalité-là, les hommes pouvaient la donner ; et, à ce point de vue, le propos des Thasiens à Agésilas n’était peut-être pas si sot qu’on l’a voulu dire. C’était presque l’équivalent de la canonisation, qui depuis a assuré aux Saints un culte honorifique, laborieusement distingué par nos théologiens du culte dû à Dieu, ou culte de latrie, par les étiquettes de dulie pour les Saints et même d’hyperdulie pour la Vierge[19]. On sentait bien que le titre de dieu pouvait être donné par anticipation à un roi vivant, mais que l’apothéose affirmée par un culte stable devait être réservée aux morts. Antiochos Ier ne fut Σωτήρ ou Άπόλλων Σωτήρ honoré par des Σωτήρια, qu’après sa mort. Antiochos II fut, dit-on, acclamé dieu par les Milésiens, — et ce titre resta son prédicat historique ; — mais il ne fut le dieu Antiochos, comme son père, que sous le règne de son successeur[20]. Dans l’inscription de Séleucie de Piérie, déjà plusieurs fois citée, tous les Séleucides défunts sont dieux, honorés par un culte collectif : le roi vivant Séleucos IV Philopator, tout en ayant son prêtre spécial, est simplement le Roi[21]. L’association ou assimilation à des divinités déterminées, qui avait été employée tout d’abord, était une méthode de transition qui pouvait paraître à la fois obscure et blasphématoire quand elle allait jusqu’à l’identification avec uni aspect de la divinité. Quelle était au juste la personnalité hybride d’un Séleucos Zeus Nicator, d’un Antiochos Apollon Soter, ou d’une Aphrodite Stratonicis[22] ? Ce qu’y gagnait le composant humain était perdu par l’autre. Le procédé ne fut pas oublié, car on le rencontre encore appliqué par les Grecs à Néron Zeus Éleuthérios[23] ; mais l’association — sans confusion — était un moyen plus délicat d’arriver au mime but. C’est le genre d’hommage que les Chalcidiens offrirent à Flamininus. Leur Sauveur eut un culte desservi par un prêtre, et ils mirent sur les principaux édifices de la cité : dédié à Titus et à Héraclès, dédié à Titus et à Apollon[24]. Le dieu mortel est ainsi comparé, et même préféré, à ses modèles, sans s’absorber en eux ou les absorber en lui.

Cependant, les honneurs décrétés spontanément par les villes grecques à leurs patrons. Séleucides et plus tard Attalides, honneurs variés dans leurs rites et diversement associés aux cultes locaux, ne constituaient pas un culte dynastique officiel tel qu’on le trouve dans l’Égypte des Ptolémées, permanent et uniforme, s’adressant aux couples royaux rangés dans l’ordre de succession des dieux Soters, dieux Adelphes, dieux Évergètes, Philopators, et ainsi de suite. Ce qui était facile en Égypte, où tout obéissait passivement à l’impulsion du pouvoir central, ne l’était pas dans un royaume formé de pièces disparates. La question se pose de savoir si les Séleucides ont institué un culte monarchique ou religion d’État, et comment ils l’ont organisé.

L’exemple des Lagides suggère l’idée que les prédicats qui constituent la personnalité des rois en les distinguant de leurs homonymes ont été, quelle qu’eu soit l’origine et la signification [note 2], leurs noms cultuels. Mais on rencontre rarement chez les Séleucides des expressions comme dieu Épiphane, dieu Soter, et dans des documents qui n’ont pas un caractère officiel[25]. A plus forte raison n’a-t-on jamais trouvé de couples royaux conjugués sous le même prédicat[26]. Les inscriptions précédemment visées nous apprennent que les cités avaient institué des sacerdoces pour desservir le culte des rois, et que chacune avait organisé ce culte à sa façon. A Séleucie, le sacerdoce est scindé en deux offices à titulaires distincts ; à Antioche de Pisidie (ou de Perse), il n’y a qu’un prêtre pour le culte des morts et du vivant, et il est éponyme. Le décret qu’une inscription nous a conservé est daté de l’an d’Héraclide fils de Zoès, prêtre de Séleucos Nicator et d’Antiochos Soter et d’Antiochos Théos et de Séleucos Callinicos et du roi Séleucos (III) et du roi Antiochos (III) et de son fils le roi Antiochos[27]. Ce sont là des institutions municipales, régies par les chartes de cités autonomes, et non un culte d’État, dont la caractéristique serait d’être modelé sur un type officiel et, par conséquent, uniforme.

En fait de culte proprement officiel, institué par les rois et desservi par des prêtres d’investiture royale, nous en sommes réduits à tirer des inductions d’un document unique, le décret par lequel Antiochos II, instituant un sacerdoce de sa sœur-épouse Laodice, déclare que les άρχιέρειαι de ce culte seront éponymes et mises sur le même pied dans les mêmes lieux que les άρχιερεΐς [précédemment institués] dans notre royaume pour le culte des dieux et le nôtre. Le roi envoie un message à Anaximbrotos, qui doit être le satrape de la province de Phrygie, pour l’informer qu’il nomme prêtresse du nouveau culte, dans la dite province, Bérénice, fille de Ptolémée fils de Lysimaque, lequel est apparenté à la famille royale ; et le satrape adresse copie du message à son subordonné, [l’hyparque ?] Dionytas, avec ordre de le faire graver sur pierre et afficher dans le lieu le plus en vue[28].

Je laisse de côté les discussions soulevées par ce document célèbre depuis sa publication, en ce qui concerne la personnalité de Bérénice, discussions qui finissent par révoquer en doute même les identifications proposées de Laodice avec l’épouse d’Antiochos II et, par conséquent, la date même du décret, que certains voudraient attribuer à Antiochos III. Au point de vue de l’organisation du culte dont il s’agit, ce litige importe peu [note 3]. Il y a ici deux questions distinctes, quoique connexes, et qu’il ne faut pas confondre : le culte nouvellement institué de la reine, et le culte des rois, qui, d’après te texte, doit lui servir de modèle. Les reines avaient pu antérieurement être associées aux cultes municipaux des rois, comme la déesse Stratonice à son époux le dieu Antiochos Ier. Mais ici, Laodice doit être l’objet unique d’un culte individuel, institué par le roi, d’un culte d’État et officiel, officiel au point que les contrats seront désormais datés par les noms des prêtresses mis à la suite des noms des prêtres susmentionnés, dans toute l’étendue de la province. Ce système de datation est bien connu ailleurs, par quantité de papyrus égyptiens ; mais nous n’en avons aucun spécimen provenant de l’empire séleucide[29]. L’institution du culte de Laodice est mi fait acquis, encore que nous ne puissions pas affirmer que le projet fut mis à exécution ; mais fut-il institué dans toutes les provinces ? La réponse intéresse le culte des rois, car le décret paraît dire que des άρχιέρειαι seront nommées dans les mêmes lieux que les άρχιερεΐς.

Il faut solliciter le texte et y ajouter beaucoup pour en conclure que le culte dynastique était alors étendu à tout l’empire. Ce serait supposer qu’il y avait partout, au chef-lieu de chaque province, un άρχιερεύς voué au service des dieux, c’est-à-dire des cultes locaux, et du roi considéré comme dieu. On imagine ainsi une vaste organisation qui aurait plus tard fourni les cadres des sacerdoces provinciaux sous l’empire romain. Mais de cette organisation, nulle autre trace n’apparaît, sauf le nom de Ptolémée fils de Thraséas, qui était, au temps d’Antiochos le Grand, ainsi qu’il appert de sa dédicace[30]. Ce Ptolémée, ex-commandant de phalange au service de Ptolémée IV Philopator et passé depuis au service d’Antiochos III, qui avait reconquis la Cœlé-Syrie et la Phénicie, héritait probablement des titres et fonctions du gouverneur égyptien dont il prenait la place. On sait, en effet, que les Ptolémées avaient à Cypre un στρατηγός καί άρχιερεύς καί ναύαρχος, et il est à présumer qu’ils conféraient des pouvoirs analogues aux gouverneurs de Syrie et de Phénicie[31]. Il ne s’ensuit pas que le sacerdoce ainsi cumulé avec la stratégie soit d’institution séleucide, plus forte raison, d’institution généralisée dans tout l’empire. La fonction parait avoir été, au contraire, localisée là où elle était nécessaire ou tout au moins utile [note 4].

Le titre d’άρχιερεύς, assez rare parmi les sacerdoces helléniques, emporte l’idée d’une autorité exercée sur des inférieurs, de simples ίερεΐς, soit groupés en corporation autour de leur chef comme à Jérusalem, soit dispersés et vaquant à divers offices. Les prêtres répartis dans les sanctuaires de Daphné étaient peut-être autonomes, lorsqu’il plut à Antiochos le Grand d’investir un ami de l’άρχιεροσύνη τοΰ Άπόλλωνος καί Άρτέμιδος καί τών άλλων ίερών ών τά τεμένη έστίν έπί Δάφνης[32]. Quelles prérogatives suppose la fonction ainsi créée ? Sans doute, le contrôle du budget de ces cultes, le droit de fixer les subventions de l’État et peut-être de nommer les desservants. C’est une sorte de mainmise de l’État sur des sacerdoces jusque-là indépendants. On conçoit que le besoin d’une autorité de ce genre se soit fait sentir tout particulièrement dans des régions où existaient des sacerdoces puissants, rivaux, amenés par la concurrence à un état d’hostilité jalouse ou même, comme c’était le cas entre Juifs et Gentils, d’antipathie irréconciliable. A Cypre, le culte d’Aphrodite avait suscité des temples de la déesse Acréenne au cap Olympos, Paphienne à Palæpaphos, à Paphos, où Strabon relève plusieurs sanctuaires richement ornés, Amathusienne et associée à Adonis à Amathonte. Les cultes syro-phéniciens étaient fort nombreux et des plus vivants, tenus en haleine par l’antagonisme de l’intolérance judaïque. Dans ces régions, l’ingérence de l’État était désirable, et l’autorité nécessaire pour l’exercer ne pouvait être mieux placée qu’aux mains du gouverneur, stratège dans le domaine politique, άρχιερεύς dans le domaine religieux.

L’άρχιερεύς investi par l’État était donc non pas le prêtre d’une religion d’État, comme eût été un culte dynastique officiel, mais le surveillant autorisé de tous les cultes et sacerdoces y afférents, y compris les cultes dynastiques ou monarchiques institués par les cités. La conclusion finale, c’est que, à part le culte institué ou projeté pour Laodice à l’état d’exception, le culte des Séleucides ne nous est connu que par des dévotions privées ou locales, qui généralement ne s’adressaient pas aux reines, et qu’on ne rencontre nulle part la trace d’un culte dynastique officiel, à moins qu’on ne veuille prendre pour un temple le Νικατόρειον de Séleucie, élevé par Antiochos Ier à son père[33], tombeau ou monument funéraire impliquant tout au plus l’héroïsation à la mode grecque, pratiquée pour les œkistes.

Ce qui a été dit des Séleucides vaut pour les Attalides et autres dynasties helléniques, comme celle des rois de Commagène, ou philhellènes, comme celle des Arsacides. L’adulation passée en coutume suffisait amplement à défrayer leur culte, et ils n’ont pas senti le besoin de lui imposer des règles uniformes. Le roi de Commagène Antiochos Ier se nomme θεός Δικαΐος Έπιφανής, et sa mère Laodice est θεά Φιλάδελφος ; mais son père Mithridate Callinicos n’est ni θεός Φιλάδελφος ni θεός Κιλλίνικος. L’apothéose était donc, là aussi, individuelle, — ni héréditaire, ni conjugale, — pour les morts comme pour les vivants[34]. Rien de comparable au culte dynastique, unissant dans une même appellation les composants des couples royaux, comme on le rencontre chez les Lagides.

La cour, l’Olympe de ces dieux mortels, avait sa hiérarchie de dignitaires, modelée sur celle des Lagides, ou plutôt sur un modèle commun qu’on est en droit d’attribuer à l’entourage d’Alexandre. Les titres que l’on trouve au complet à la cour d’Alexandrie apparaissent rarement dans l’histoire des Séleucides. On y rencontre des συγγενεΐς[35], des φίλοι[36] et des πρώτοι φίλοι[37]. Ces titres sont des décorations attachées à la personne et non à une fonction spéciale des titulaires. On en peut dire autant des σωματοφύλακες, assimilables aux άρχισωματοφύλακες égyptiens. C’est évidemment une dignité aulique, et non un service actif, que conféra un jour Antiochos Ier aux fils du flûtiste Sostratos[38]. L’auteur qui rapporte le fait a pu même abréger le titre protocolaire — en retranchant le superlatif άρχι — et n’en conserver que l’essentiel. Tite-Live connaît des purpurati dans les royaumes de Macédoine et de Syrie au temps de Philippe V et d’Antiochos III[39] ; mais il ne dit pas à qui était réservé ce manteau quasi royal. On sait par Plutarque que les officiers d’Eumène, le grand adversaire des Diadoques, reçurent de lui avec plaisir les marques d’honneur que les rois conféraient à leurs amis ; car Eumène avait le droit de distribuer des chapeaux à larges bords teints en pourpre et des chlamydes, ce qui est le don royal par excellence chez les Macédoniens[40]. C’était, sauf le diadème, le costume des rois. On raconte que le tyran de Milet, Timarchos l’Étolien, réussit à s’emparer de Samos par surprise, en revêtant les insignes — chlamyde et chapeau — du gouverneur égyptien tombé entre ses mains et mis à mort[41]. Quant aux τροφεΐς et σύντροφοι des rois, il est probable que c’étaient réellement des précepteurs et des camarades d’enfance des princes royaux, qui gardaient, les uns auprès de leurs pupilles, les autres auprès de leurs anciens condisciples, le privilège d’une sorte d’intimité. Ces appellations sont moins des titres que la constatation d’un fait[42]. Les médecins de cour n’avaient pas besoin de pareils souvenirs pour entrer de plain-pied dans l’intimité de leurs clients. Ératostrate auprès de Séleucos Ier et d’Antiochos Ier, Apollophane auprès d’Antiochos le Grand ont joué un rôle qui s’encadre dans des événements historiques de première importance. Leur titre était sans άρχίατρος, que l’on trouve accolé à ceux de τροφεύς, de premier ami et de chambellan de la reine, portés par Cratère d’Antioche sous le règne d’Antiochos IX[43]. C’est naturellement parmi les hauts fonctionnaires et dignitaires en résidence à la cour que les rois choisissaient les membres de leur Conseil.

On peut dire, d’une manière générale, que les rois Séleucides ont gardé de leur origine macédonienne une certaine familiarité avec leur entourage. Ils ne cherchaient point à imiter leurs prédécesseurs orientaux, à prendre l’attitude hiératique d’idoles affublées des titres de Grand-Roi ou Roi des Rois, isolées dans la pompe et le cérémonial d’une étiquette de cour. L’épithète de Grand donnée à Antiochos III par ses contemporains n’a pas été empruntée an protocole oriental, et, ce que les historiens ont reproché à Antiochos Épiphane, ce n’est pas la morgue d’un despote, mais plutôt l’oubli de sa dignité, précisément dans les moments où il faisait l’étalage le plus fastueux de sa puissance.

Des institutions militaires et administratives des Séleucides autant vaudrait ne pas parler. Nous ignorons même si ces rois toujours en guerre disposaient d’une armée régulière, dont le recrutement fut assuré par d’autres moyens que par la levée de soldats improvisés ou l’enrôlement de mercenaires à chaque campagne. On ne rencontre chez eux rien qui ressemble à ce qu’on pourrait appeler l’armée territoriale des Lagides. On n’entend pas dire que les colons disséminés sur la surface de leur empire aient reçu des lots de terres prélevés sur le domaine royal, à titre de tenanciers, contre obligation au service militaire[44]. Sans doute, les rois ont dû se préoccuper de doter les vétérans de leurs armées et leur attribuer des terres dans les nombreuses colonies fondées par eux ; mais il n’est pas question, que je sache, de considérer ces colons comme formant une armée de réserve, entretenue par l’usufruit de possessions précaires. Cependant, même sans obligation attachée à la propriété concédée, l’esprit militaire devait se maintenir durant les premières générations au sein de ces groupes, surtout quand ils sentaient de l’hostilité autour d’eux, ce qui était le cas ordinaire, soit au milieu de races étrangères, soit dans les anciennes cités où ils jouaient le rôle d’intrus. Les Macédoniens installés à Thyatire par Séleucos Ier conservent encore leurs cadres : ce sont les officiers et les soldats qui adressent leur hommage au roi[45]. Plus tard, au moment où Séleucos II chassé de son royaume par Ptolémée III ne gouverne plus, où les cités et les corps de troupes choisissent le parti dans lequel il leur plaît de se ranger, des pourparlers s’engagent entre les généraux de Séleucos et des militaires, les uns établis à demeure à Magnésie du Sipyle, les autres, cantonnés en plein air, cavaliers et piétons, dans des baraquements hors la ville. Ces deux groupes sont distincts, à tel point que, quand ils traitent à leur tour avec les Smyrniotes pour les gagner à la cause de Séleucos, ils sont représentés par des délégués spéciaux : les colons par Potamon et Hiéroclès, les ϋπαιθροι par Damon et Apollonicète[46]. On peut risquer, sur la condition civile et militaire des uns et des autres, bien des hypothèses ; il ne paraît pas que les avaliers et piétons campés soient les fils des colons, comme le seraient les épigones des clérouques égyptiens, et que les colonies séleucides aient été des pépinières de soldats.

Il se peut, vu l’anarchie régnante à l’époque susvisée, que les troupes casernées dans la banlieue de Magnésie aient été des milices locales levées pour la défense de la cité : mais, en régime normal, les rois ne devaient pas laisser se constituer ainsi des forces armées dans les cités soumises à leur protectorat. Il n’est même pas probable qu’ils aient permis aux garnisons placées chez celles qui n’étaient pas άφρούρητοι de se recruter sur place. C’est encore à une époque de désorganisation politique et d’affaissement du pouvoir royal, sous Alexandre Bala, qu’un incident relaté par Diodore met en scène des villes assez indépendantes pour fermer leurs portes à des garnisaires royaux ou même pour avoir des troupes à elles[47].

Il y avait une ville entre autres où il pouvait être utile — et encore plus dangereux peut-être — d’entretenir une garnison à demeure ; c’était Antioche, la capitale elle-même. C’est là sans doute que le fondateur de la ville, Séleucos Ier, réunit l’armée pour lui présenter et faire acclamer par elle son fils Antiochos Ier comme associé au trône et gouverneur des provinces situées au-delà de l’Euphrate. Soldats et habitants devaient être assez mêlés dans cette foule, et Plutarque n’a probablement pas tort de dire que c’était une assemblée populaire[48]. C’est l’armée encore qui, à la mort de Séleucos III, rappelle de Babylone son frère Antiochos III ; et la remarque qui en est faite semble indiquer que le principe de l’hérédité monarchique n’était pas encore fermement assis, et que les soldats auraient pu se choisir un autre roi[49]. On peut reconnaître à volonté l’armée ou la population de la grande ville, ou mieux les deux ensemble, dans ce peuple qui donne des tuteurs au jeune Antiochos V, et dans ces soldats qui peu après, espérant vivre grassement s’ils donnaient la royauté à Tryphon, le proclament souverain[50]. Nous avons vu que les émeutes et rébellions, quand elles ont été domptées, n’ont pu l’être que par des mercenaires étrangers. Il est infiniment probable que la garde royale et les milices disponibles en temps de paix, casernées soit à Antioche, soit à Apamée où se trouvaient les arsenaux, le matériel de guerre et le dépôt des remontes en chevaux et éléphants, que ces troupes, dis-je, se recrutaient sur place et restaient en communion de sentiments avec les foules environnantes[51].

L’intrusion de l’armée et des prononcements militaires dans les affaires politiques fut longtemps un accident négligeable et ne prit jamais la forme d’une investiture du souverain par une sorte de serment d’allégeance. Elle ne devint un mal endémique qu’au temps où les compétitions dynastiques multiplièrent les occasions pour les soldats de choisir leur maître ; et alors ce furent le plus souvent les mercenaires racolés par les divers partis, et non des milices de citoyens, qui tranchèrent la querelle pendante. On s’est plu à dire que le favori d’Antiochos Grypos, Héracléon de Berœa, avait cherché et réussi à rétablir la discipline dans l’armée royale, en faisant valoir que le silence était imposé aux soldats dans leurs réfectoires et qu’on n’y buvait que du vin trempé d’eau fraîche. La suite prouva que ces banquets, où le gros pain et la viande étaient servis par des valets ayant sabre au côté, avaient été pour Héracléon un bon moyen de les attacher non à leur devoir, mais à sa personne. En tout cas, les expériences faites à Antioche et ailleurs n’encourageaient pas les rois à introduire dans les chartes municipales l’obligation du service militaire pour les citoyens : ils l’en auraient plutôt effacée comme une réminiscence importune. D’autre part, ils ne trouvaient pas chez les populations indigènes de classe prédestinée au métier des armes, comme les μάχιμοι égyptiens. Et cependant, ils ont dû recourir de bonne heure à ce réservoir d’hommes et y puiser largement. A la bataille de Raphia (217), où figuraient, dans l’armée ptolémaïque, 20.000 Égyptiens armés et organisés en phalangites, l’armée séleucide était formée en majeure partie de contingents indigènes, Cardaces, Lydiens, Cissiens, Mèdes, Carmaniens, Arabes, Dahes, Ciliciens, Agrianes, Perses, Thraces, Cadusiens, armés à la mode de leur pays, équipés à la mode macédonienne[52]. Par quel procédé étaient-ils recrutés, de gré ou de force, on ne sait. Justin dit bien, d’une manière générale, que Alexandre le Grand, pour ne pas épuiser la Macédoine, avait formé, avec les fils des soldats, des corps d’enfants de troupe destinés à remplacer leurs pères, et que cette coutume resta en vigueur sous ses successeurs[53]. Mais il entend par successeurs d’Alexandre, au sens vrai du mot, ceux de la génération contemporaine, les Diadoques ; et, au surplus, ce mode de recrutement, borné par la suite à la jeune garde-noble des pages royaux, ne s’appliquait pas aux troupes indigènes.

On connaît mieux le rôle joué dans les armées du temps par les mercenaires, soldats de métier qui louaient leurs bras au plus offrant et servaient indifféremment toutes les causes, même, le cas échéant, contre des compatriotes. A Raphia, il y avait des Crétois dans les deux camps. Les mercenaires n’étaient pas enrôlés individuellement par les États qui avaient recours à leurs services, mais par bandes déjà recrutées par des ξενολόγοι, espèce de traitants qui tenaient marché de chair humaine, exercées et commandées par des capitaines dont elles portaient le nom. Les pays qui fournissaient le plus de recrues à ces rabatteurs étaient la Thrace, la Crète, la Cilicie, la Galatie. Il n’y a rien là qui intéresse particulièrement les Séleucides, si ce n’est peut-être qu’ils ont été plus à même que d’autres de transformer en colons les mercenaires passés à l’état de vétérans. L’armement à la mode macédonienne était de tradition courante ; les corps indigènes suivaient leurs coutumes nationales. C’est eux qui apportaient les armes de trait, arcs et frondes, plus familières aux Orientaux qu’aux Gréco-Macédoniens. On a vu plus haut le rôle joué par les éléphants, les magnifiques colosses de l’Inde, qui intimidaient leurs congénères africains, et l’insuccès des chars de guerre mis en ligne par Antiochos le Grand.

Les Séleucides ont eu si souvent besoin d’avoir des troupes sur pied de guerre qu’ils ont approché du régime des armées permanentes, inconnu de l’antiquité avant l’empire romain. Josèphe s’y est peut-être trompé quand il oppose la conduite de Démétrios II à celle de ses prédécesseurs[54]. Démétrios, dit-il, voyant que la paix régnait et qu’il n’y avait ni danger ni crainte de guerre, licencia son armée et diminua la solde, ne payant plus que les troupes étrangères qui étaient venues avec lui de Crète et des autres îles. Il s’attira ainsi l’inimitié et la haine des soldats auxquels il ne donnait plus rien, tandis que les rois ses prédécesseurs les payaient même en temps de paix afin de s’assurer leur fidélité et leur dévouement dans les combats, si jamais il était nécessaire. Il a paraphrasé ainsi le passage où le chroniqueur des Macchabées distingue les troupes indigènes, les armées de ses pères, congédiées chacune en sa région par Démétrios, et les mercenaires qu’il garde autour de lui[55].

Pauvres en ce qui concerne les institutions militaires, nos renseignements ne sont ni plus abondants ni plus précis sur les institutions administratives, en dehors du régime des cités grecques d’Asie Mineure. Quant aux villes fondées ailleurs par les Séleucides, nul témoignage ne nous en est resté, sinon que la population d’Antioche était divisée en tribus, dont le nombre était de dix-huit au temps de Libanius[56]. Il y a un point de contact entre les pouvoirs militaires et l’autorité civile dans la compétence des gouverneurs de provinces, qui devaient être pourvus d’une force publique suffisante pour assurer l’exécution de leurs ordres et la défense des frontières. On les appelle tantôt satrapes et tantôt stratèges, et parmi leurs inférieurs figurent des épargnes, des hyparques, des méridarques, peut-être des chiliarques, dont les noms sont supposés correspondre à des subdivisions territoriales. Il y a beaucoup de conjectures, mais peu de conclusions assurées à ajouter à l’esquisse sommaire qui a été faite plus haut de la carte administrative de l’empire au temps de Séleucos Ier. Il est à présumer que les divisions et subdivisions du territoire ont été remaniées de temps à autre, comme a pu être modifiée de même la compétence des administrateurs. La partie de l’empire administrée directement par les fonctionnaires royaux s’est d’ailleurs restreinte de plus en plus, nombre de provinces s’étant constituées en États vassaux ou indépendants, dotés d’un régime intérieur autonome. Le sommet de la hiérarchie émerge un peu de l’obscurité qui nous cache le reste. L’histoire a retenu les noms de quelques hauts fonctionnaires qui ont joué un rôle politique, mais sans définir leur compétence, car ils ne se sont d’ordinaire haussés à ce rôle qu’en la dépassant et en abusant de leur pouvoir. Tels ont été Hermias sous Antiochos III, Lysias sous Antiochos IV, Héliodore sous Antiochos V, Ammonios sous Alexandre Bala, Lasthène sous Démétrios II, Héracléon de Berœa sous Antiochos VIII. Le titre de ces premiers ministres ou grands-vizirs est une appellation vague, diversement écourtée ou paraphrasée, et qui n’est probablement pas plus officielle que la fonction n’est régulière. Ces expressions emportent l’idée d’une compétence indéfinie qui, aux mains d’ambitieux, pouvait devenir universelle et faire d’eux les tuteurs des rois faibles ou les suppléants des absents.

Ils devaient tenir avant tout à mettre la main sur l’administration des finances, et c’est en ce sens qu’on a pu les comparer aux dicecètes égyptiens. Avec le système des armées mercenaires, qui dispose du Trésor est maître de l’armée. On se demande si le titre de ό έπί τών προσόδων donné par Appien à Héraclide, favori d’Antiochos IV, n’équivaut pas, au fond, à celui de ό έπί τών πραγμάτων[57]. Nous n’avons aucune lumière sur la gestion financière et le personnel qui en était l’instrument. Cette indigence de renseignements fait un contraste fâcheux avec l’abondance de ceux que nous out apportés, pour la bureaucratie des Lagides, les papyrus égyptiens. Ce qu’en ont retenu les historiens, c’est que la prévoyance et l’économie étaient des vertus étrangères à la plupart des Séleucides, toujours obérés, réduits aux expédients et ne reculant pas devant les confiscations ou les spoliations sacrilèges. Il leur eût été d’ailleurs difficile, autant dire impossible, d’étendre sur tant de peuples divers un réseau administratif uniforme et de maintenir à un niveau relativement stable des revenus qu’ils ne percevaient souvent qu’au cours de leurs rondes armées, dans des provinces mal soumises, travaillées par leurs aspirations nationales ou en proie aux convoitises des voisins, et qui se détachaient pièce à pièce de leur empire.

Si l’on groupait en un tableau d’ensemble les jugements portés sur les Séleucides pris individuellement [note 5], le résumé prendrait l’allure d’un réquisitoire contre la dynastie. Il est juste de faire étal, des difficultés au milieu desquelles elle s’est débattue, de tenir compte de la partialité avec laquelle les chroniqueurs et historiens qui disposent de la renommée ont stigmatisé les tyrans des Juifs et les adversaires des Romains. Il ne faut pas oublier non plus qu’ils ont été pendant des siècles les représentants et les propagateurs de la culture hellénique en Orient. Ils ont apporté à cette tâche — dont se sont dispensés chez eux les Lagides — un zèle non pas désintéressé, mais constant, rarement tourné en intolérance et seulement contre l’intolérance elle-même, incarnée dans un peuple qui a lassé plus tard la patience réfléchie des Romains. Ils se sentaient les seuls et véritables successeurs d’Alexandre le Grand sur le continent asiatique, appelés à maintenir et à poursuivre son Leurre, à se faire tout au moins le rempart du monde civilisé contre les Barbares orientaux. Ils ont eu vaguement conscience de la grandeur de leur rôle, et ils en ont conçu un certain orgueil qui les aidait à conserver, dans leurs rapports avec les cauteleux et désormais inévitables Romains, plus de dignité, de tenue royale, que les autres dynasties contemporaines. A ce point de vue, ils ne peuvent que gagner à être comparés non seulement avec les Attalides, asservis dès le début aux volontés du Sénat, mais même avec les Lagides après Ptolémée IV Philopator. Enfin, la plupart d’entre eux, les derniers surtout, déjà tarés, dit-on, de vices héréditaires, partageant leur brève existence entre les plaisirs et les dangers, n’ont pas eu le temps de se recueillir et d’arriver à maturité. Leur personne étant l’unique lien qui pût maintenir en cohésion l’agrégat de tant de races hétérogènes, ils étaient obligés de garder partout l’attitude de conquérants ; dès que se desserrait leur étreinte commençait aussitôt la dislocation. Le génie d’Alexandre le Grand lui-même n’eût pas sans doute longtemps réussi là où ils ont échoué.

Mais, ceci dit, il faut convenir aussi — et répéter comme conclusion dernière — que la déchéance définitive de la dynastie a été hâtée par ses dissensions intérieures, par la lutte féroce de deux branches irréconciliables, qui se sont disputé jusqu’au bout les débris d’un empire en perdition.

 

FIN DE L’OUVRAGE

 

 

 



[1] Diodore, XVII, 24, 1. Arrien, Anabase, I, 18, 2.

[2] Ainsi, Antipater, en guerre contre Eumène, impose aux villes des contributions είς τόμ πόλεμον (Michel, 363. Dittenberger, OGIS., 4).

[3] Michel, 33.

[4] Michel, 34. Sentence arbitrale entre Téos et Lébédos, dans laquelle Antigone emploie constamment l’expression Οίόμεθα δεΐν. Ce sont des conseils qu’ils donnent, non des ordres.

[5] Dittenberger, OGIS., 5-6.

[6] Dittenberger, OGIS., 11-12.

[7] Michel, 36. Dittenberger, OGIS., 13.

[8] Michel, 37. Dittenberger, OGIS., 223. Dittenberger se rallie maintenant à l’opinion qu’il avait d’abord combattue et qui attribue ce texte à Antiochos Ier Soter. Le roi désigne sans doute par οί ήμέτεροι πρόγονοι les Diadoques en général.

[9] Michel, 486. Dittenberger, OGIS., 222.

[10] Michel, 10. Dittenberger, OGIS., 229. Smyrne est — ou était déjà — έλευθέρα καί άφορολόγητος, et consécration de son inviolabilité a été demandée à l’oracle de Delphes (Michel, 258. Dittenberger, ibid., 228).

[11] Tite-Live, XXXVII, 55, 6. La comparaison avec le texte de Polybe (XXII, 7, 8) montre que Tite-Live emploie stipendium et vectigal comme synonymes.

[12] Dittenberger, OGIS., 5-6. 11-12.

[13] Σελεύκεια associées aux Διονόσια à Erythræ (Michel, 502. 507).

[14] CIG., 4458. Dittenberger, OGIS., 213.

[15] Dittenberger, OGIS., 212. L’attribution à Séleucos Ier n’est que probable, l’inscription à graver sur l’autel étant βασιλέως Σελεύκου (lig. 6), sans prédicat.

[16] Inscription de Sigée : Michel. 525. Dittenberger, OGIS., 219.

[17] Athénée, VI, p. 255 a.

[18] Michel, 436. Dittenberger, OGIS., 222.

[19] La langue ecclésiastique a conservé au mot λατρεία le sens que lui avait donné Platon (Apol., 23 c. Phædr., 244 e) ; mais le sens religieux de δουλεία ou δουλία et le superlatif ύπερδουλία lui appartiennent en propre. La canonisation — voire même la béatification — a une autre efficacité que l’apothéose antique ; celle-ci n’empêchait pas de prier les dieux pour (ύπέρ) les dieux vivants, leurs associés, et on n’attendait guère de protection des morts divinisés.

[20] CIG., 3131. Michel., 19. Dittenberger, OGIS., 229.

[21] Dittenberger, OGIS., 243, et mieux encore, l’inscription de Téos (ibid., 246), où, de Séleucos Ier à Démétrios Ier, tous les rois (sauf Antiochos ό Μέγας), sont θεοί. Il semble que, en fait, Antiochos III ait estimé son titre de Μέγας au-dessus du titre désormais banal de θεός, et que la postérité ait été de cet avis.

[22] On peut douter que la θεά Στρατονίκη (lig. 9) soit, dans l’inscription précitée de Smyrne ci-dessus, identifiée avec la Στρατονικίς Άφροδιτη (lig. 11) ; mais c’est bien parce que Aphrodite est comme enrôlée dans la clientèle de Stratonice que son temple est pourvu d’un droit d’asile étendu même à la ville (OGIS., 228. Tacite, Ann., III, 63).

[23] Voyez l’inscription d’Acræphiæ, découverte et publiée par M. Holleaux (BCH., XII [1888], pp. 510-528). — Discours prononcé par Néron à Corinthe, etc. (Lyon, 1889). Décret voté sur la proposition d’Épaminondas, prêtre des Augustes, en l’honneur de Néron libérateur des Hellènes (lig. 41-49-51). Le nom de Néron a été martelé dans les lignes où il est associé au nom de Zeus.

[24] Plutarque, Titus, 16.

[25] Dittenberger, OGIS., 216. L’adresse βασιλεΐ  Άντιόχω θεώ Έφιφανεΐ figure sur une lettre des Samaritains à Antiochos IV (Joseph., XII, 5, 5) : mais cette pièce est plus ou moins authentique, et, au surplus, les Samaritains devaient être habitués au protocole égyptien. Les prédicats distinctifs, malheureusement rares dans les inscriptions, n’apparaissent sur les monnaies séleucides qu’à partir de Séleucos IV Philopator (Babelon, pp. 225-229).

[26] On convient aujourd’hui que l’expression θεοΐς Σωτήρσι dans l’inscription de Milet (OGIS., 214, lig. 15) ne s’applique pas à un couple royal, qui, du reste, à l’époque ne pourrait être qu’une association de deux rois : soit Séleucos II et Antiochos Hiérax (Bœckh-Beloch), soit plutôt Séleucos Ier et son fils Antiochos VII (Dittenberger).

[27] Dittenberger, OGIS., 233. Le dernier roi Antiochos est le fils aîné d’Antiochos le Grand, mort avant son père, en 193/2 a. C.

[28] Inscription de Durdurkar (Phrygie), publiée en ISS3 par M. Holleaux et P. Paris (BCH., IX [1883], pp. 324-330, et XIII [1889], pp. 523-529). Michel, 40. Dittenberger, OGIS., 224. Cf. Histoire des Lagides, I, p. 153, 3. IV, pp. 312-313. A la ligne 24, la restitution πρότερον καθεστήκασιν (Michel) est plus discrète que πανταχοΰ (Dittenberger), qui comporte une affirmation des plus contestables. L’expression κατά τήν βασιλείαν ήμών άρχιερεΐς (lig. 24) prête à l’équivoque ; mais τούς τών [τε θε]ών καί ήμών άρχιερεΐς (lig. 27) est de sens clair. La leçon θεών n’est pas sûre : on a proposé [πατέρ]ων, qui serait encore plus probant. Parmi tant de Laodices, — à part la jeune sœur-épouse du fils d’Antiochos III, associé au trône, — on ne connaît que l’épouse d’Antiochos II qui soit ou qui ait pu être dite άδελφή et je ne sais où l’on trouverait un Ptolémée fils de Lysimaque, de race royale, au temps d’Antiochos le Grand.

[29] La prérogative allouée par Antiochos III à un άρχιερεύς préposé aux temples de Daphné — (Dittenberger, OGIS., 244, lig. 33) — ne me parait pas comparable, et nous n’en connaissons pas non plus l’application.

[30] Michel, 1229. Dittenberger, OGIS., 230.

[31] Voyez, sur les fonctionnaires coloniaux de l’Égypte, D. Cohen, De magistratibus Ægyptiis externas Lagidarum regni provincias administrantibus. Hag. Comit., 1012.

[32] Dittenberger, OGIS., 241.

[33] Appien, Syr., 63.

[34] Michel, 735. Dittenberger, OGIS., 383-405. Laodice n’avait pas non plus hérité le titre de Φιλάδελφος de son père Antiochos VIII Grypos, lequel était Έπιφανής Φιλομήτωρ. C’est bien une apothéose personnelle.

[35] I Macchabées, 10, 89 ; 11, 31.

[36] II Macchabées, 11, 1.

[37] I Macchabées, 10, 65 ; 11, 21. Ch. Michel, 1158. Dittenberger, OGIS., 255-256.

[38] Athénée, I, p. 19 d.

[39] Tite-Live, XXX, 42, 6. XXXVIII, 23, 7.

[40] Plutarque, Eumène, 8. Cf. Anton., 54.

[41] Frontin, Strateg., III, 2, 11.

[42] Voyez le travail ci-dessus mentionné de G. Corradi.

[43] Michel, 1158 A. Dittenberger, OGIS., 256.

[44] Voyez Hist. des Lagides, IV, pp. 1-62, et, en dernier lieu, l’ouvrage cité plus haut de J. Lesquier. Le système avait été appliqué jadis par les rois de Babylone, comme on le voit par les institutions d’Hammourabi. Je dois l’obligeance de mon confrère le P. Scheil, éditeur, traducteur et premier interprète de la célèbre inscription découverte à Suse en 1901-1902, les précisions suivantes. Dans l’empire chaldéen, les soldats de carrière — analogues aux égyptiens — constituaient une sorte de féodalité dotée du revenu de biens-fonds inaliénables. Le bénéficiaire est tenu au service ; mais il peut se donner un suppléant, à qui il cède momentanément la jouissance du fief. Il est suppléé d’office, s’il est prisonnier de guerre, au maximum pendant trois ans : passé ce délai, il ne peut plus être réintégré. Mais l’État, sans faire de cette classe une caste, s’intéresse maintenir la continuité et la transmission héréditaire de la possession. Il oblige le temple d’abord, puis le district, enfin le Trésor lui-même, à payer la rançon du soldat captif, si le soldat lui-même n’est pas solvable. Si le bénéficiaire empêché — pour cette raison ou pour une autre — a un fils, celui-ci peut le remplacer ; si ce fils n’est pas encore en âge, la mère reçoit pour l’élever un tiers de l’usufruit. (Code des lois de Hammourabi, §§ 26-38). Que restait-il de ces institutions sous les Achéménides et les Séleucides ? Je ne puis que poser la question. Le texte de Justin (XII, 4, 6) n’y répond pas. C’est avec des præmia aux pères et des stipendia aux fils, non en biens-fonds, que Alexandre le Grand dotait ses pupilli.

[45] Dittenberger, OGIS., 211.

[46] Michel, 19. Dittenberger, OGIS., 229, lig. 14, 21, 35.

[47] Les Acadiens, de concert avec le grand-vizir Ammonios, complotent de s’emparer de Marathos et y envoient des soldats à eux, qui sont censés devoir aider les Marathéniens contre les troupes royales (Diodore, XXXI, 5).

[48] Appien, Syr., 61. Plutarque, Démétrios, 38.

[49] Eusèbe, I, p. 253 Sch.. Hieron., In Dan., 11, 10. Aussi a-t-on pensé que Antiochos III n’était pas à ce moment l’héritier légitime.

[50] Justin, XXXIV, 3, 6. XXXVI, 1, 7. Joseph., XIII, 7, 1.

[51] R. Bevan (II, pp. 271-272) me semble forcer le sens des textes en admettant non seulement une home-born army, contenant une large proportion d’Antiochéniens, et un camp de soldats à Antioche, mais une solidarité telle entre les militaires et la population que celle-ci prenait part à l’assemblée impériale de l’armée macédonienne. Nous ne connaissons pas mieux ce genre d’assemblées que l’assemblée civique où les mêmes citoyens votaient comme membres d’un dêmos hellénique. On a vu plus haut comment et dans quelle mesure les séditions populaires ou militaires ont parfois disposé de la couronne. Les précédents invoqués ne permettent pas de conclure que la royauté séleucide était, au rond, démocratique. Quant aux exhibitions ou revues d’armées de parade en forme de cortéges ou processions religieuses, nous n’avons pas le moyen de faire le triage des vrais soldats et des figurants.

[52] Polybe, V, 79-82. Sur les diverses armes, les unités tactiques d’infanterie et de cavalerie, etc. je renvoie aux ouvrages spéciaux qui traitent de l’art militaire helléno-macédonien, connue ceux de H. Droysen (1889), de H. Delbrück (1900) et autres. L’armée séleucide n’a rien qui lui soit particulier.

[53] Justin, XII, 4, 6. Polybe cite un corps de 10.000 hommes armés à la macédonienne (V, 79, 4), la plupart argyraspides. Voyez le déploiement de troupes à la procession de Daphné sous Antiochos IV (Polybe, XXXI, 3), où figurent 5.000 'Ρωμαΐκόν έχοντες καθοπλισμόν. Les βασιλικοι παΐδες y étaient au nombre de 600.

[54] Joseph., XIII, 4, 9, trad. Chamonard.

[55] I Macchabées, II, 38.

[56] Libanius, Orat., I, p. 631 Reiske.

[57] Appien, Syr., 45.