HISTOIRE DES LAGIDES

TOME QUATRIÈME. — LES INSTITUTIONS DE L'ÉGYPTE PTOLÉMAÏQUE. - (suite et fin)

 

CHAPITRE XXIX. — LA JURIDICTION.

 

 

§ II. — LA JURIDICTION PÉNALE.

Les affaires civiles sont toujours une matière délicate, elles exigent de la part des juges une connaissance suffisante des lois et de la jurisprudence. Les fonctionnaires de tout ordre étaient plus compétents et avaient les mains plus libres quand il s’agit de faire droit aux plaintes relatives aux abus d’autorité commis dans leur ressort par leurs subordonnés

 et, d’une façon plus générale, aux contraventions, délits ou crimes de toute sorte portés à leur connaissance. Il n’est . pour ainsi dire pas un seul de ces fonctionnaires, même aux plus bas degrés de la hiérarchie, qui n’ait été assailli de pétitions lui demandant de rendre ou de faire rendre bonne et prompte justice aux plaignants. Il n’est pas toujours facile de faire, quand les intéressés ne le font pas eux-mêmes[1], le départ des juridictions et de déterminer si les fonctionnaires sont invités à user de leur droit de coercition administrative ou à rendre des arrêts en forme judiciaire. La plupart des doléances ont le caractère mixte d’accusations et d’instances devant le for civil : leurs auteurs demandent à la fois la punition des coupables et surtout des dommages-intérêts.

Quand il s’agit d’abus d’autorité et de malversations, il est évident que les supérieurs des fonctionnaires mis en cause peuvent agir directement sur leurs subordonnés et faire droit aux plaintes sans débats ni jugement. Il n’y a pas lieu à procès, dès lors que l’État se montre disposé à redresser les torts faits ou les négligences commises par ses agents. Quand les pastophores d’Aménophis dénoncent à Phommoûs, épistratège et stratège de la Thébaïde, les exigences nouvelles dont ils sont menacés par Isidore, économe du Pathyrite pour la perception en argent, ils lui demandent simplement — suivant la formule usuelle — d’écrire à qui de droit. Le stratège, administrateur général ou préfet du nome, écrit à Hermoclès, chef du service des finances, de ne pas tolérer d’innovations et de laisser les taxes à l’ancien taux[2]. Un économe était un personnage qu’on ne pouvait pas traiter de haut. On se gênait moins avec des fonctionnaires de petite envergure. Des inspecteurs des finances, se heurtant dans leur tournée au mauvais vouloir de certains comogrammates, demandent au stratège d’en mettre quelques-uns sous les verrous, pour l’exemple[3]. Nous avons cité plus haut une ordonnance, malheureusement sans date, interdisant aux toparques de s’immiscer dans les questions de taxes, qui sont du ressort du nomarque avec le stratège, et menaçant d’une amende de 1000 dr. les agents qui se permettraient des violences[4].

Un papyrus, entre autres, nous a conservé la série de formalités aboutissant à rectifier une erreur commise par les bureaux du cadastre. A la fin du règne d’Évergète II, Didymarchos, un cavalier macédonien, s’était fait céder par Pétron, un cavalier perse du même régiment, un lot de 24 aroures, sis près de Kerkéosiris. Il s’aperçoit bientôt que le transfert de propriété n’a pas été fait sur les registres officiels et que Pétron est toujours considéré comme le propriétaire. Il réclame donc auprès des répartiteurs des lots, Ptolémée et Hestiæos, lesquels, après avoir fait vérifier par leurs scribes le bien fondé de la plainte, renvoient copie de la pétition au basilicogrammate Apollonios, en l’invitant à y faire droit (25 avril 116). Celui-ci prend son temps : ses bureaux ne rédigent la note constatant la réalité de la cession que le 11 février 115. Le 14 février, Apollonios envoie copie du dossier avec une lettre au toparque (?) Polémon, lequel transmet le tout au topogrammate Onnophris, lequel, dès le lendemain (15 févr.), le repasse à Menchès, le comogrammate de Kerkéosiris, chargé de faire les rectifications nécessaires[5].

La plupart des pétitions ; quel qu’en soit le motif, sont adressées au stratège. D’autres montent plus haut, jusqu’à l’hypodiœcète ou au roi lui-même. On tonnait de reste la célèbre affaire des Jumelles du Sérapéum de Memphis et les pétitions dont leur protecteur, le reclus macédonien Ptolémée fils de Glaucias, accable les bureaux, mettant en cause tantôt le curateur de l’établissement, tantôt son contrôleur ou l’intendant, s’adressant tantôt au stratège de Memphis, tantôt à l'hypodiœcète d’Alexandrie, tantôt directement aux dieux Philométors, Ptolémée VI et Cléopâtre II, ou à plusieurs autorités à la fois, multipliant les démarches, envoyant et recevant dès rapports de toute sorte, pour forcer les administrateurs du Sérapéum à fournir aux jeunes religieuses les rations auxquelles elles ont droit et leur belle-mère Néphoris à leur rendre leur héritage[6]. Toute la machine bureaucratique est en branle ; les paperasses circulent à travers les étapes de la hiérarchie, les réclamations par la voie montante, les réponses par la voie descendante. Ce n’est pas un procès proprement dit, porté devant les tribunaux, mais un recours à l’autorité administrative, et l’ignorance des formalités est sans doute pour beaucoup dans l’activité intempérante du bon religieux, qui frappe au hasard à toutes les portes pour obtenir justice.

L’affaire s’engage en 164/3 a. Chr. par une réclamation adressée à l’hypodiœcète Sarapion par les Jumelles, Thauès et Thaus (ou Taoûs). Elles demandent au sous-diœcète de leur faire délivrer le métrète d’huile qui leur est dû pour l’année, à elles comme aux autres Jumelles de l’endroit, attendu qu’elles n’ont rien touché des loyers de leurs services liturgiques depuis le début de l’an XVIII (3 oct. 164 a. C.)[7]. Le document porte au revers des notes de date postérieure, qui n’ont peut-être aucun rapport avec l’affaire en question. La réclamation étant restée sans effet, les Jumelles adressent au roi Ptolémée Philométor et à la reine Cléopâtre une pétition éplorée, énumérant les méfaits de leur marâtre Néphoris, qui s’est emparée de leur héritage et n’a laissé aux pauvres filles d’autre refuge que le cloître, où elles ont été recueillies par Ptolémée, un ami de leur père. Un fils de cette mégère, Panchratès, qu’elles avaient eu l’imprudence de prendre à leur service, les a dévalisées et est allé porter à sa mère le bon du Trésor avec lequel elles devaient toucher un métrète d’huile, la ration d’une année. Les Jumelles demandent que la pétition soit renvoyée au stratège Dionysios, lequel écrira à l’épimélète Mennidès, curateur de l’établissement, et au contrôleur Dorion[8]. La pétition, munie du sceau de la chancellerie royale, fut remise en mains propres le 11 Mésori an XIX (8 sept. 163) à Sarapion, qui était venu faire ses dévotions au Sérapéum[9]. Sarapion chargea Mennidès de suivre l’affaire ; mais Mennidès, sur le rapport de ses commis, déclara à Ptolémée qu’il fallait en référer de nouveau à Sarapion. Les bureaux avaient-ils trouvé que le mandat soustrait par Panchratès ne pouvait être reconstitué au profit des Jumelles, ou suscité quelque autre objection, nous l’ignorons, et Ptolémée n’en veut rien savoir. Sur ce, Ptolémée supplie Sarapion d’intimer à Mennidès l’ordre de s’exécuter[10]. La réponse se fit sans doute attendre : la chancellerie royale avait alors bien d’auti.es soucis. Le roi restauré étant venu lui-même faire ses dévotions et actions de grâces au Sérapéum[11], Ptolémée, le protecteur des Jumelles, profite de l’occasion pour faire remettre en main propre au monarque une nouvelle pétition réitérant la requête formulée dans la première[12]. Cette fois, le roi ordonne au diœcète Asclépiade de s’occuper de l’affaire, et Asclépiade transmet la pétition apostillée à Sarapion, lequel demande un rapport au contrôleur Dorion[13]. On recommence l’enquête. Dorion rédige, en effet, un rapport à Asclépiade, daté du 3 Thoth an XIX (5 oct. 163), constatant que les pétitionnaires ont droit à l’arriéré des deux années précédentes[14]. Mais les bureaux se hâtent lentement, et les intéressées, qui ont sans doute voulu devancer l’accomplissement des formalités, se voient éconduites par les administrateurs de l’établissement, qui leur donnent raison et les bernent avec des promesses. Elles s’en plaignent amèrement dans une troisième pétition aux dieux Philométors[15], et les conjurent de renvoyer leur pétition au stratège Dionysios, afin que celui-ci écrive à l’épimélète Apollonios, — collègue ou substitut de Mennidès[16], — en le chargeant de dresser un état des fournitures qui nous sont dues et à quelles dates et par qui, et d’obliger ces gens à nous les livrer. De son côté, Ptolémée a fait tenir par son jeune frère à Sarapion un mémoire remis le fer Phaophi (2 nov. 162), et il lui écrit de nouveau pour le prier de donner suite au rapport de Dorion. La lettre est renvoyée au curateur Mennidès le 2 Athyr, et aux scribes le 3 (4 déc. 162), avec ordre de mandater après examen[17]. Cette fois, l’impulsion est donnée. Mennidès, sur le vu d’un rapport récapitulatif dressé dans ses bureaux en date du 13 Athyr (14 déc.), ordonne au caissier Théon, le 17 Athyr, de faire les mandats comme il convient pour les espèces d’huiles à fournir sur le compte des années XVIII et XIX, et Théon envoie les mandats au magasinier Démétrios, un ancien militaire ci-devant Crétois de l’escadron d’Eumélos, lequel délivre les quantités. et espèces indiquées à Cratéros, employé du banquier Dorion, le 25 Athyr, en présence d’Areus, commissionné par les Jumelles[18] ; et Ptolémée à son tour en donne reçu pour ses protégées[19].

Le compte de l’huile eût été ainsi définitivement réglé sans un incident qui prolongea encore quelque temps les débats. Ptolémée n’est pas satisfait. Il voudrait échanger les deux mesures d’huile de kiki contre une mesure d’huile de sésame, et les commis de Dorien s’y refusent. Il porte plainte à Mennidès, avec plus de véhémence que d’orthographe, contre ces scribes récalcitrants qui osent désobéir au curateur et au couple royal lui-même[20]. Supposons qu’il eut gain de cause. Mais l’arriéré dû aux Jumelles ne portait pas seulement sur l’huile : elles auraient dû recevoir aussi, tant du Sérapéum égyptien que de l’Asklépiéon grec, chacune quatre miches de pain de millet par jour, équivalant à 8 artabes de grain par mois, et c’est encore un compte à liquider. Ptolémée prend le temps de s’informer. Il dressera plus tard un état constatant que, pour le semestre écourté du 1er Thoth au 7 Méchir an XVIII (3 oct. 164-8 mars 163), les Jumelles ont touché les rations, mais rien à partir du 8 Méchir jusqu’à la fin de l’année : ci, 56 artabes d’olyre à recevoir. En l’an XIX, elles ont touché un semestre complet, du 1er Thoth au 30 Mésori (3 oct. 163 - 31 mars 162) : le trimestre suivant, du lu Phamenoth au 30 Pachon (1er avril-29 juin) demi-ration seulement ; le mois suivant, quart de ration, une miche par jour ; les deux derniers mois, demi-ration, et rien pour les 5 jours épagomènes. En l’an XX, même irrégularité au détriment des pauvres affamées du 1er Thoth au 10 Choiak (3 oct. 162 -10 janv. 161), six miches à elles deux au lieu de huit par jour, et depuis le 11 Choiak jusqu’à l’heure présente, rien[21].

Ainsi, les vexations malhonnêtes et tracassières recommençaient de plus belle. L’administration coupait les vivres aux protégées de l’encombrant Macédonien, et ne leur fournissait plus ni pain ni huile. Ptolémée, de son côté, recommence ses démarches, en prenant soin de ne pas confondre les deux créances, dont l’une remonte jusqu’à l’an XVIII, tandis que l’autre ne court qu’à partir de l’un XX. Moins d’un mois après le règlement de comptes pour l’huile, il écrit à Sarapion, dont il avait espéré la visite, pour l’avertir que les Jumelles ne reçoivent point leur huile et le prier d’écrire personnellement au curateur Mennidès. La réclamation est renvoyée le 26 Choiak an XX (26 janv. 161) à Dorion, qui, à la date du 29, y annexe un rapport constatant que rien n’a été mandaté pour l’an XX[22]. Il y a donc déjà un arriéré de quatre mois.

Le rapport de Dorion passe, le 6 Tybi (5 févr.), sous les yeux d’un bureaucrate soupçonneux qui, le lendemain, pour fixer l’allocation demandée d’un χοΰς par mois, un métrète par an, éprouve le besoin dé savoir combien les Jumelles  ont reçu l’année précédente. La question est transmise à Areus, qui était porté sur la quittance du 25 Athyr comme ayant vérifié la livraison pour le compte des Jumelles. A Areus, combien elles ont reçu en l’un XIX. Areus, le 9 Tybi an XX [8 févr. 161], a rapporté qu’en l’an XIX, sien n’a été mandaté ; mais que, en Athyr an XX, elles ont reçu le dû des années XVIII et XIX, à savoir 2 métrètes d’huile[23]. Là dessus, Mennidès envoie un rapport à Sarapion, qui le renvoie avec une annotation inintelligible, du moins inintelligible pour les Jumelles. Celles-ci ont compris seulement que Mennidès est invité à faire rectifier le rapport rédigé par ses scribes, et elles prévoient de nouveaux atermoiements. Tout en s’excusant d’être importunes, elles adressent au sous-diœcète une réclamation[24], qui n’eut pas non plus d’effet rapide, car à la fin de l’année ou au commencement de la suivante, les Jumelles font encore un appel éploré à la piété et à la providence des très grands dieux Philométors. Elles ont bien reçu les deux mesures d’huile de l’an XIX, mais ni sésame, ni kiki pour l’an XX. Elles demandent donc que leur pétition soit retournée au stratège Dionysios, qui ordonnera ait curateur Apollonios non seulement de verser ce qui est dû, mais de prendre des précautions pour l’avenir[25]. La providence royale finit-elle par s’impatienter, elle aussi, et par rendre la main aux bureaux ? La correspondance que Ptolémée entretint par la suite avec les autorités, pour avancer ses propres affaires et celles de son frère, semble indiquer qu’il eut lieu d’être satisfait de ses démarches et fier de son crédit. Un indice plus favorable encore, c’est qu’un insuccès ne l’eût pas encouragé à recommencer une campagne pour obtenir le remboursement des rations de pain indûment retenues au cours de près de trois années.

Pour l’olyre, l’arriéré est tel qu’il semble que Ptolémée ait hésité à soulever la question, de crainte de se heurter à l’intérêt fiscal. Il s’y décide enfin, quand il a trouvé le moyen de mettre le fisc hors de cause. Sur une première réclamation, que les deux sœurs rappellent dans une deuxième, Sarapion avait accordé le crédit et chargé Mennidès de faire exécuter sa décision par Psinthaès[26]. Mais celui-ci, expert dans l’art des atermoiements, avait fait la sourde oreille. Alors Ptolémée intervient de sa personne. Après avoir établi le compte des versements omis pour l’an XIX et l’an XX, il écrit à Sarapion une lettre qui n’est pas seulement une réclamation, mais une dénonciation formelle. Il ne se contente pas de dire, comme à l’ordinaire, que les Jumelles sont victimes des administrateurs du temple. Il affirme que le roi est volé par eux, attendu qu’ils vendent l’olyre escamotée par eux à raison de 300 dr. l’artabe, et il signale Psinthaès comme le personnage qu’il faut forcer à restituer les 160 artabes auxquelles se monte présentement la créance[27].

Nous ne savons comment se termina cette affaire des Jumelles, assez banale en soi, mais qui doit au hasard d’être devenue pour nous une cause célèbre. Elle nous offre un triste exemple de la malhonnêteté des fonctionnaires, favorisée par la complication des formalités bureaucratiques, et de la difficulté qu’éprouvaient les personnes lésées à se faire rendre justice par voie administrative. Il ne faut pas oublier cependant que, dans ce débat, nous n’entendons guère que la voix des accusateurs, de gens exaspérés précisément par ces formalités et qui exaspèrent aussi les bureaux par leurs recours perpétuels à l’autorité supérieure. Dès le début, la soustraction d’un mandat régulier avait compliqué l’affaire. En outre, le traitement des Jumelles était imputable, pour parties, sur le Sérapéum égyptien et l’Asklépiéon, ce qui entraînait sans doute complication d’écritures et méprises des pétitionnaires sur le départ des responsabilités. Enfin, il parait que les Jumelles, entrées au temple au moment du deuil mené par la mort d’un Apis, en 165, n’avaient pas fait correctement leur service et que leurs rations avaient été, après jugement, allouées au gardien du taureau défunt, qui avait veillé et fait les libations à leur place. Mais, le bouvier s’étant absenté à son tour, les Jumelles avaient riposté par une demande reconventionnelle, que les scribes d’Asklépios soumettront au roi, s’il y a débat contradictoire[28]. Le papyrus porte en apostille des chiffres ayant trait aux rations de l’an XVIII et de l’an XIX, et, au verso, un commencement de copie d’une pétition adressée par les Jumelles au sous-diœcète Sarapion, où il est question encore de l’inexécution des ordres donnés au sujet de l’olyre, avec des notes d’une autre main concernant de même les rations d’olyre des susdites années.

Cette chicane peut avoir été soulevée au dernier moment, et on pourrait même supposer que le βούκολος a été l’instrument d’une machination ourdie par les bureaux ; mais le fait que celui-ci a obtenu gain de cause montre qu’il y eut dans l’affaire des dessous dont les pétitionnaires ne soufflent mot dans leurs requêtes. Il est probable, au surplus, que la protection de Ptolémée fils de Glaucias a valu aux Jumelles une bonne part des tracas dont il les a aidées sortir. En dépit de ses vertus, le religieux n’était pas en odeur de sainteté auprès du personnel égyptien du Sérapéum. Nous le savons par les doléances qui ont trait à ses affaires particulières. Dès le début de l’an XIX (oct. 163), la gendarmerie du sanctuaire avait fait irruption à plusieurs reprises et à des heures indues dans la cellule de l’Astartiéon, où il était emmuré depuis dix ans, sous prétexte d’y chercher des armes cachées ; perquisitions accompagnées de violences et de dégâts dont Ptolémée fait l’énumération au roi et à la reine[29]. Le 11 Phaophi de la même année (12 nov.), une bande de balayeurs a envahi l’Astartiéon, voulant m’arracher de force et m’emmener, comme ils l’ont essayé dans les temps passés, s’insurgeant parce que je suis Hellène. Ptolémée a échappé à ces furieux en s’enfermant dans sa cellule, mais ils ont meurtri son camarade à coups de raclettes. Il supplie le stratège Dionysios d’écrire à Ménédème, son délégué à l’Anoubiéon, de lui faire rendre justice. Le 19, la pétition est renvoyée à Ménédème, et le 21, à Ptolémée (de la part de ?) Ménédème, (affaire) des balayeurs[30]. Évidemment, l’homme lui faisait sonner haut sa qualité de Macédonien et que le sous-diœcète traitait avec tant d’égards[31] était mal vu de tout le personnel de l’établissement. Il n’en reste pas moins que les administrateurs du Sérapéum n’ont point précisément mérité en cette occurrence la réputation d’honnêtes gens.

Ce qui n’étonne plus après tant d’exemples cités, c’est la facilité avec laquelle s’ouvrait à tous, même aux plus humbles, le recours à la providence du roi, le grand justicier de son peuple. Il y avait là un correctif nécessaire à l’omnipotence des fonctionnaires. Tout le monde pouvait dire en Égypte : Si le roi le savait ! C’est aussi aux souverains, Ptolémée Alexandre et Bérénice, que s’adresse en l’an XVI du règne (99/8 a. C.) Pétésis, l’embaumeur en chef des dieux Apis et Mnévis. Il est eu butte à des vexations perpétuelles et n’est même pas en sûreté dans sa maison. Il demande que l’épistolographe royal lui adresse un rescrit protecteur, dont il fera afficher le texte sur son domicile et qu’il pourra invoquer auprès du basilicogrammate. Le rescrit lui est en effet octroyé, à la date du 29 Thoth an XVI (15 oct. 99), en la forme la plus solennelle, enjoignant aux fonctionnaires de tout ordre de laisser en paix Pétésis. Sur quoi, les bureaux transmettent de proche en proche copie des lettres royales et de la pétition aux fonctionnaires de divers ordres[32].

Mais le plus sûr moyen de faire reconnaître son droit ou d’échapper aux vexations était encore de se concilier les bonnes grâces des agents du pouvoir au moyen de pots-de-vin ou de recommandations obtenues par des précautions analogues. Un fermier des taxes sur la bière et le ‘natron de Kerkéosiris demande au basilicogrammate de le prendre sous sa protection et d’en informer les autorités du village, l’épistate, l’archiphylacite, le comogrammate et jusqu’aux anciens, afin qu’il puisse suivre les coutumes sans être molesté. Le basilicogrammate Amennœos écrit au bas de la requête : Qu’il soit fait à l’impétrant selon l’équité et les coutumes du village[33]. Un certain Koros avait été mis en prison pour dettes par le comogrammate Hermias et l’agent du fisc Chérémon : mais un officieux fait savoir que Homs est sous la protection d’un haut personnage et qu’il faut le relâcher[34]. Le gouvernement lui-même, sans vouloir couvrir les fonctionnaires véreux, comprit qu’il y avait danger à prêter trop facilement l’oreille aux doléances élevées à tout propos contre les agents des finances. On a vu plus haut que, de guerre lasse, il avait fini par réserver au diœcète l’examen des cas de ce genre. Les pétitionnaires connaissaient bien la préoccupation constante du gouvernement, car souvent les traitants ou les tenanciers du Domaine terminent leurs requêtes en disant que, faute d’être exaucés, ils seraient hors d’état de remplir leurs obligations envers le roi[35].

Les corporations sacerdotales étaient en meilleure posture que le menu fretin pour réclamer contre les abus de pouvoir, spécialement sous le règne d’Évergète II, qui n’avait rien à refuser au clergé national. Les prêtres d’Isis à Philæ, las de subir les exigences des garnisaires et fonctionnaires de passage, avaient adressé au roi une pétition. Évergète ne se contenta pas d’écrire au stratège de la Thébaïde pour couper court aux abus ; il expédia copie de son rescrit aux plaignants, en leur permettant, comme ils le demandaient, d’en faire graver le texte sur une stèle qui attesterait leurs privilèges et les protégerait à perpétuité[36]. Les prêtres, portés en tout temps à confondre leurs intérêts avec ceux de la religion, trouvaient parfois l’occasion de rappeler aux fonctionnaires les bienfaits de leur dieu et de les inviter à se montrer reconnaissants. A l’appui d’une pétition dans laquelle les prêtres de Soknopaiou Nésos réclamaient la restitution de 225 artabes de froment, ils disent au stratège : souviens-toi que tu as été sauvé dans une maladie par le grand dieu Soknopaïs et Isis Néphorsès[37]. C’est un genre d’arguments sans réplique, et qui mettait le stratège au défi de se montrer ingrat ou mécréant. L’archentaphiaste Pétésis, invoquant la protection de Ptolémée Alexandre et de Bérénice, ne manque pas de dire qu’il prie et sacrifie pour la santé, la victoire, la puissance, la force et la domination terrestre du couple royal. Aussi le roi s’empresse d’écrire à toutes les autorités de Memphis et à tous autres fonctionnaires : Que tout soit fait comme il le désire[38].

Un marchand du bourg de Pétosiris, Marrès, a vu saisir ses moutons, pour un motif qu’il ignore, probablement sous prétexte de taxe impayée, par l’archiphylacite Dorion, qui a consigné le troupeau chez un de ses subordonnés. Il adresse sa plainte à l’épistate de Philadelphie en le priant de la transmettre au stratège Ptolémée, de qui il attend justice. Il ne demande pas de dommages-intérêts, mais simplement qu’on lui rende ses moutons[39]. Un document de l’an 117 a. C. met en cause une douzaine de fonctionnaires, probablement des phylacites, coupables de malversations ou exactions commises aux dépens des cultivateurs, et, cette fois, il semble bien que l’autorité supérieure se dispose à les punir par confiscation de leur avoir[40].

Les contraventions ou délits qui n’intéressaient pas l’État ou ses agents devaient être châtiés d’une façon expéditive, par ordre et sans jugement proprement dit, surtout quand les délinquants savaient arranger l’affaire avec les gendarmes. Ainsi, un cambrioleur qui avait forcé l’entrée d’une maison, Semphtheus, fut relâché après avoir payé 200 dr. à l’agent de police. Mais il n’en fut pas moins remis ensuite, parait-il, au gardien de la prison, qui peut-être lui fit payer une deuxième rançon. Horos, pour avoir volé des gerbes, s’en tire avec un déboursé de 200 dr. Pemnas est taxé à 600 dr. pour quelque méfait analogue. C’était sans doute un abus de confiance, et sa qualité d’employé ou domestique aggravait son cas[41].

Il n’en arrivait pas moins que des détenus de toute espèce, débiteurs insolvables du Trésor, et même de particuliers, arrêtés en vertu de la contrainte par corps, prévenus démunis d’argent ou de protections dont les procès freinaient en longueur, encombraient les prisons. Une amnistie, le plus souvent octroyée à l’inauguration d’un nouveau règne, comme don de joyeux avènement, était un moyen commode de liquider l’arriéré. Dans le décret de Memphis, les prêtres louent Épiphane d’avoir relâché et amnistié ceux qui avaient été emmenés dans les prisons et ceux qui étaient en procès depuis longtemps[42]. Philométor et surtout — comme nous avons eu maintes fois occasion de le dire — Évergète II ne ménagèrent pas à leurs sujets ces indulgences.

Pour toutes les causes relevant de la juridiction pénale, nos papyrus, débris de paperasses bureaucratiques et d’archives de famille, ne nous fournissent guère que le fait initial. Ce sont des plaintes adressées soit au stratège, soit aux agents de police, soit aux autorités de village, avec prière de les transmettre à qui de droit, et concernant le plus souvent des rixes avec coups et blessures, des vols et actes de brigandage. Un des plus anciens parmi ces documents est la plainte adressée par un habitant de Ptolémaïs-Neuve à Dionysodore, économe du district d’Héraclide dans le nome Arsinoïte. Apollonios explique à Dionysodore comme quoi, ayant été insulté par un certain Cotys et ayant porté plainte, il avait ensuite été battu par le dit Cotys, lequel s’imaginait n’avoir rien à craindre des tribunaux[43]. On ne voit pas pourquoi Apollonios s’adresse à l’économe, si ce n’est parce que tous les fonctionnaires ont qualité pour instruire, sinon pour juger, ces sortes d’affaires[44]. Nous avons cependant, pour un cas analogue survenu dans li même région, un commencement de procédure, la déposition de témoins qui ont vu un des ouvriers occupés à la réfection des digues, Apollodore ; armé d’une pelle et d’un maillet, se ruer sur le contremaître Serambos, le souffleter, le jeter en bas de la digue et le frapper à tour de bras sur la nuque et sur n’importe quelle partie du corps[45].

Les papyrus de Tebtynis nous renseignent d’un peu plus près sur la suite donnée aux actions pénales. En 118 a. C., Menchès, comogrammate de Kerkéosiris, est accusé de tentative d’empoisonnement, lui, son frère et nombre d’autres personnes, par Haruotès, un Crocodilopolitain avec lequel ils avaient dîné dans une auberge de Kerkéosiris. Il est arrêté dans son village, devant ses administrés, avec ses prétendus complices, le 7 décembre, par le gendarme Asclépiade, traduit deux jours après devant son supérieur le basilicogrammate et le commandant de la gendarmerie du nome et relâché aussitôt, vu que l’accusateur soi-disant empoisonné ne s’était pas présenté. Il avait tant bien que mal digéré cet affront ; mais, se sentant peu aimé et redoutant de nouvelles machinations, il adresse une pétition aux dieux Évergètes, les suppliant de le recommander, lui, fidèle serviteur de l’État, à la protection du stratège Apollonios. Au bout de six mois (22 mai 117 a. C.), la chancellerie retourne la pièce à Apollonios, avec cette brève apostille : A Apollonios. Si les choses alléguées sont exactes, aviser à ce qu’ils ne soient point molestés. An LIII, Pachon 4[46].

Le cas d’Héras fils de Pétalos, habitant de Kerkéosiris, est encore plus bénin. Bien qu’il fût accusé de meurtre et autres méfaits, il ne parait pas qu’on l’ait arrêté, ou du moins il n’en est pas fait mention. Héras est seulement cité à comparaître dans les trois jours au chef-lieu de l’arrondissement de Polémon, Ptolémaïs Évergétis, par l’intermédiaire du comogrammate Menchès, lequel est invité en même temps à mettre sous séquestre les biens de l’accusé. Menchès a fait la signification et l’inventaire, qui n’a pas dû lui prendre beaucoup de temps : Héras ne possède qu’un petit champ estimé 1 talent de cuivre[47].

On voit que, suivant un usage général dans l’antiquité, les biens d’un accusé étaient séquestrés et, en cas de condamnation, confisqués. L’emprisonnement préventif, dont usent et abusent nos juges d’instruction, eût été une charge pour l’État : le jugement devait suivre l’arrestation dans un délai de quelques jours, le temps nécessaire pour amener l’accusé devant le tribunal. L’accusé pouvait aussi obtenir un sursis et être laissé en liberté sous caution. L’archiphylacite de Kerkéosiris ayant ordonné l’arrestation d’un certain Alkimos, deux Perses de la classe épigone, probablement ses camarades, répondent dé lui et se chargent de le faire comparaître dans les cinq jours à partir du moment où ils en seront avisés : faute de quoi, ils lui seront substitués et verseront au Trésor une amende de 4 dr. d’argent[48]. A plus forte raison l’arrestation pouvait-elle être évitée par des cautions de ce genre dans les affaires civiles ou mixtes où jouait la contrainte par corps. Les plus anciens spécimens de ce genre de pactes remontent au règne de Philadelphe[49].

Sur le détail de la procédure et la conduite des débats, nous ne savons à peu près rien. On ne se tromperait guère en pensant qu’elle était brutale et sommaire pour les gens de peu, violente surtout quand l’intérêt du fisc était en jeu[50]. Le plus grand crime en Égypte, et aussi le plus fréquent, était la fraude au détriment du Trésor, attendu qu’avec le système des déclarations et des serments royaux il se compliquait de mensonge, de parjure et de lèse-majesté. Il est question de nécessité persuasive ou persuasion par nécessité appliquée à une femme, Senpoéris, qui n’avait pas déclaré une palmeraie[51] ; et Évergète II dut défendre d’user de la πειθανάγκη envers les administrateurs des revenus sacrés[52]. On peut bien admettre qu’il ne s’agit pas de torture proprement dite, mais il y a sous cet euphémisme au moins une poignée de verges. Contre les fraudeurs, les fermiers avaient droit de requérir la force publique et de faire des perquisitions à domicile. C’est ainsi que, le 2 mars 113 a. C., le fermier Apollodore aurait fait arrêter un certain Thrace qui vendait de l’huile de contrebande, si le délinquant n’avait pris la fuite à temps[53]. Enfin, qu’il s’agisse de fraude à punir ou d’impôts à recouvrer, la plupart du temps les affaires fiscales n’allaient pas aux tribunaux : elles étaient réglées par l’administration sur simple constat et se terminaient, dans les cas les plus favorables, par paiement de doubles droits et des frais[54].

Il y avait cependant, en matière fiscale, une procédure régulière permettant aux contribuables un recours contre les abus de pouvoir des fonctionnaires et les exactions des traitants. Mais un exemple cité plus haut permet de croire que les plaintes portées coutre les agents de l’administration n’étaient pas sans danger pour les plaignants. Il dépendait du diœcète de trancher lui-même le litige ou de saisir les tribunaux. En justice, la procédure se compliquait, et il pouvait arriver que le plaignant, mis tout d’abord en arrestation comme débiteur du fisc, fût oublié dans sa prison, pour lui apprendre qu’il eût mieux fait de se taire.

Au point de vue de la juridiction compétente, criminelle ou civile, il n’y a pas de différence faite suivant la qualité des accusés ou la nature du délit. Particuliers, prêtres, fonctionnaires, sont justiciables du droit commun[55].

Les temples, avec leurs auberges pour pèlerins, leurs sacristains cupides et leur clientèle grossière, n’étaient pas des lieux très sûrs. On y discutait parfois à coups de bâton ou de sabre. Aussi avait-on soin de placer des postes de police dans lei établissements les plus fréquentés. Le reclus Ptolémée fils de Glaucias nous édifie sur les mœurs de la valetaille dans le Sérapéum de Memphis. En sa qualité de Macédonien, il était détesté de ces sacristains indigènes, panetiers, frotteurs, marchands d’habits, et à tout moment il a l’occasion de porter plainte. Nous avons déjà vu plus haut comme quoi il a été assailli dans sa cellule par des forcenés qui, ne pouvant l’atteindre, ont déchargé leur rage, à grands coups de raclettes en cuivre, sur son compagnon, le reclus Harmaïs. Il demande que le stratège leur fasse administrer une semonce, et, s’ils ne modifient pas leur attitude, les cite devant lui[56]. Un rapport de police contient les doléances de deux Onnophris, qui ont été fort malmenés, à les entendre, dans le Sérapéum[57]. Il fallait se méfier même des agents de l’autorité. Un cultivateur royal, qui avait l’habitude d’aller faire ses dévotions au Sérapéum, a eu le malheur d’y rencontrer les satellites du stratège auquel il adresse sa plainte. L’un de ces forbans a voulu lui prendre son manteau et lui a porté à la cuisse un coup d’épée dont il est resté boiteux[58]. Un autre cultivateur royal se plaint au comogrammate Menchès d’avoir été assailli à coups de bâton dans le temple d’Isis à Kerkéosiris, où il allait prier pour sa santé, par un bedeau appelé Horos. II y était entré mal portant ; il en est sorti en danger de mort[59]. A Crocodilopolis de Thébaïde, le pastophore Péadios, du temple de Souchos, a administré une volée de coups de bâton à un certain Pocas, phylacite surnuméraire, dont l’aubergiste n’avait sans doute pas voulu reconnaître la qualité. Le gendarme novice, rossé et surtout humilié de l’avoir été devant des assistants, prie le stratège de se faire amener le délinquant par l’épistate[60]. Ces mœurs fâcheuses s’étaient implantées aussi, et de bonne heure, dans la colonie du Fayoum. On ne voit pas trop pour quel motif un, pauvre vieillard a été séquestré dans un pastophorion d’Aphroditespolis[61] ; mais le grand-prêtre d’Héraklès à Phébichis, le nommé Pétosiris, était persuadé, en 241 a. C., qu’il y avait dans son personnel des gens capables de le voler et d’intriguer contre lui. Il avait porté plainte auprès de l’épistate Dorion contre le prêtre Chesménis, l’accusant d’avoir dérobé le sceau du temple en- vue d’en user pour sa propre correspondance, autrement dit, pour fabriquer des lettres officielles au nom de la corporation. L’enquête ordonnée sur ses instances réitérées eut une issue comique. Chesménis nia avoir pris le sceau, et quatre autres desservants déclarèrent le lendemain que le sceau était bien dans le sanctuaire, mais qu’ils l’avaient caché, de peur que leur supérieur ne s’en servit pour authentiquer la dénonciation portée contre eux tous[62]. Enfin, nous verrons plus loin que les temples servaient parfois d’entrepôt à des contrebandiers.

En fait de délits de toute sorte, le bourg de Kerkéosiris a sa chronique fort chargée. Le mauvais exemple vient de haut. Le topogrammate Marrès y vient de temps à autre avec une bande de spadassins et terrorise les habitants pour leur extorquer de l’argent. Ceux-ci, leur comarque en tête, demandent à l’archiphylacite Kronios d’infliger au coupable, en donnant des ordres à qui de droit, un châtiment convenable[63]. Les pauvres gens semblent n’avoir pas une idée bien nette de l’autorité que pouvait avoir un commandant de gendarmerie sur un topogrammate. Une autre année, l’épistate du bourg, Polémon, a été attaqué par deux individus, père et fils. Maron, le fils, a été arrêté et traduit le jour même devant le stratège Ptolémée ; mais le père, Apollodore, s’est échappé. Sur quoi, dès le lendemain, rapport du comogrammate Menchès à son supérieur le basilicogrammate Horos, qui, en somme, n’avait plus à intervenir, mais que son subordonné a jugé à propos d’informer, en prévision de ce qui pourrait s’ensuivre[64]. Apollodore, en effet, ne tarde pas à donner de ses nouvelles. Le même mois, aidé de son fils que le stratège avait relâché trop tôt, il s’introduit, le sabre à la main, dans la maison de Pétésouchos, fils de l’épistate, et y dérobe 8 dr. d’argent. Nouveau rapport de Menchès à Horos, qui se contente de mettre en apostille : A qui de droit : faites en sorte qu’ils soient appréhendés et reçoivent un châtiment convenable[65].

On devine que, si les agents du fisc employaient souvent la courbache pour pressurer les contribuables, ceux-ci prenaient leur revanche à l’occasion, et parfois avec la complicité indulgente des autorités locales. Le publicain fut détesté en tout pays. A Kerkéosiris encore, Apollodore, qui avait soumissionné le monopole de l’huile pour l’an IV de Ptolémée Soter II (114/3 a. C.), était sur la piste d’un fraudeur. Le 27 Phaophi (16 nov. 114), il avait appris qu’un certain Sisoïs, logé dans le T. de Thoéris, avait chez lui de l’huile de contrebande, et il avait aussitôt dénoncé le fait à Polémon, l’épistate du bourg, demandant main forte pour une perquisition à domicile. N’ayant pu décider aucun fonctionnaire du bourg à l’accompagner, il avait requis Trychambos, un agent de l’économe qui était venu régler des comptes avec lui, et fait irruption chez Sises. Mais Sises et sa femme Tausiris lui administrèrent une verte correction et le mirent à la porte « et du temple et de la maison ». Trychambos s’était sans doute contenté de marquer les coups au lieu d’en prendre sa part. Huit jours après, le 4 Athyr, Apollodore rencontrant Sisoïs veut l’arrêter, cette fois avec l’assistance d’un porte-glaive doublant Trychambos. Mais toute une bande armée de gourdins se rue sur le traitant, le rosse d’importance et blesse sa femme à la main droite. H adresse donc sa plainte au comogrammate, avec prière de la renvoyer à qui de droit, déclarant qu’il perd à cette affaire 10 talents de cuivre[66]. Apollodore n’était pas au bout de ses tribulations. Le 11 Méchir (27 févr. 113 a. C.), il apprend qu’un certain Thrace de Kerkéséphis, dont il ne sait même pas le nom, a un dépôt d’huiles chez le tanneur Pétésouchos et en a vendu à plusieurs personnes. Accompagné cette fois de l’épistate du bourg et d’un gendarme prêté par l’archiphylacite, il fait perquisition chez Pétésouchos et découvre sous des peaux les huiles incriminées, ou plutôt ce qui en restait : mais le Thrace s’était esquivé durant les opérations. Apollodore porte aussitôt sa plainte à Menchès, qui l’envoie apostillée à Horos le 14 Méchir. Le fermier estime sa perte à 15 talents de cuivre[67].

Quantité d’autres papyrus nous parlent de violences avec préméditation exercées sur les collecteurs de taxes ou sur leurs recors, gardes particuliers et gendarmes. A Aphroditespolis de Bérénice, il y eut un certain jour une mêlée entre des individus qui avaient envahi un jardin et des gardes. Un des intrus, arrêté par un garde, lui avait été arraché de force par une bande venue à la rescousse, et le garde lui-même n’a été relâché qu’au bout d’un certain temps[68]. A Sébennytos, des gardes de vignoble ont été assaillis la nuit par des malandrins, qui n’ont pu être arrêtés parce qu’il n’y avait pas de phylacites au poste de police, et qui ont récidivé la quatrième nuit ensuite. La plainte est adressée au stratège[69]. A Sébennytos encore, des cultivateurs ont trouvé un beau jour les vaches d’un bouvier de Crocodilopolis paissant à même leur champ de croton. Comme ils emmenaient le troupeau au poste des phylacites, un certain Calliphon, du village de Persès, les assaillit et leur enleva les animaux avec le bouvier. Ils demandent à l’économe d’écrire au stratège, lequel ordonnera à l’épistate de Persès de lui amener Calliphon pour qu’il puisse examiner le cas et faire justice[70]. C’est à l’épimélète, administrateur des manufactures royales, que s’adresse un tanneur ou cordonnier de Crocodilopolis qui a été dévalisé, sous prétexte de contravention, par un employé du traitant. Il demande que le curateur force cet individu à lui rendre les objets dont il donne la liste[71]. Une apostille au verso indique que l’épimélète Dorothée a répondu au tanneur de s’adresser à l’inspecteur de la tannerie.

Les fermiers et agents du fisc n’étaient pas seuls à demander de l’argent aux contribuables. Suivant une coutume que le Bas-Empire eut soin d’emprunter à l’Égypte, ce qu’on pourrait appeler la municipalité des villages, c’est-à-dire le comarque et les Anciens, étaient responsables de l’impôt foncier ; et, de plus, ils recevaient parfois ordre de fournir d’urgence de quoi défrayer les hauts fonctionnaires. Le comarque et les Anciens de Kerkéosiris, sur injonction du toparque Polémon, avaient dû s’engager par écrit à fournir au Trésor, le 10 Pachon, 1.500 artabes de blé, plus 80 de supplément, pour la visite du roi. Ils ont peiné jour et nuit, disent-ils, pour satisfaire à temps aux réquisitions : mais, s’étant transportés à l’aire à battre, ils ont été mal accueillis par Lycos et une bande d’individus armés de sabres, qui ont dégainé et les ont mis en fuite. Le manteau du comarque est resté aux mains des assaillants. Le lendemain, ils ont voulu arrêter ces forcenés, mais[72]... La fin de la plainte adressée au comogrammate Menchès ayant disparu, nous ignorons la suite de l’affaire ; mais il est évident que Lycos avait de nouveau bafoué et peut-être rossé les autorités.

Outre les contrebandiers et les contribuables récalcitrants, il y a des maraudeurs, qui ne sont pas tous de la basse classe. Le cavalier Thrace Dosithée, un de ces colons à 100 aroures qui excitaient la jalousie des indigènes, se plaint au comogrammate de Lysimachis de déprédations commises sur son aire : dans la nuit du ln au 2 Pachon, on a mis le feu à sa récolte[73]. Les malheureux cultivateurs de Kerkéosiris dénoncent successivement, dans cinq pétitions adressées la même année à Menchès, les exploits d’un certain Pyrrichos, cavalier catœque, qui, à la tête d’une bande armée, a envahi les domiciles, enfonçant les portes, faisant main basse sur l’argent et emportant jusqu’à des vêtements de femme. C’est un concert de plaintes à renvoyer à qui de droit[74]. L’emploi de Menchès n’était vraiment pas une sinécure. La désorganisation du pouvoir en haut lieu y est sans doute pour quelque chose : on sent que la main ferme du vieil Évergète n’est plus là. La même année probablement, une femme, Tapentos, a été attaquée dans sa maison par une voisine et le fils de celle-ci, qui lui ont dérobé ses titres de propriété. Tapentos, malade, dépourvue de tout, adresse sa plainte à l’épistate de Kerkéosiris[75]. Trois ans plus tard, le 9 octobre 110 a. C., ce sont des habitants relativement aisés d’un bourg voisin qui font une razzia de 40 moutons sacrés — dont 12 brebis pleines — paissant dans les plaines près de Kerkéosiris sous la garde d’Horos, lequel adresse sa plainte à Pétésouchos successeur de Menchès. Il demande que copie en soit envoyée à qui de droit, et il insiste pour que provisoirement les terres et récoltes des délinquants soient mises sous séquestre[76]. Peut-être les moutons avaient-ils commis quelques dégâts sur des propriétés particulières, ce que le berger se garde bien d’avouer : mais, même ceci admis, les prévenus Pétermouthis, Pasis et autres, n’en avaient pas moins commis un délit, car une ordonnance royale avait prévu ce cas et défendu précisément aux personnes lésées de s’indemniser elles-mêmes, en saisissant le bétail, sous peine d’une amende de 1.000 dr. et d’annulation de la saisie. Les dommages-intérêts doivent être fixés par jugement et recouvrés d’office par un agent de l’État[77].

En somme, sur dix-sept pétitions trouvées dans les papyrus de Tebtynis et datant de la fin du règne d’Évergète II ou des premières années de son successeur, une seule est , adressée au roi, et elle est signée d’un fonctionnaire, le comogrammate Menchès, qui, accusé d’empoisonnement, plaide sa propre cause. La chose en valait la peine. Les autres sont adressées pour la plupart au comogrammate, une seulement à l’épistate du bourg, une au basilicogrammate pour affaire de finances, une à l’archiphylacite contre le topogrammate Marrès, une à un hipparque, invoqué non comme officier, mais comme propriétaire. La hiérarchie administrative s’est assise : les particuliers ont pris l’habitude de suivre la filière pour faire arriver leurs plaintes à qui de droit et n’expédient plus au roi, comme au temps des premiers Ptolémées, des placets qui s’arrêtaient quand même dans les bureaux du stratège.

 

FIN DU QUATRIÈME ET DERNIER VOLUME

 

 

 



[1] Cf. ci-dessus, la distinction faite par les pétitionnaires Apollonios et Péténéphotès.

[2] On a trois rédactions ou brouillons de la même pétition (Pap. Taur., V-VII). L’apostille à Hermoclès est datée de Payni an VI (juillet 111 a. C.). Phommoûs, qualifié ici de cousin du roi, est connu par l’inscription d’Assouan (Strack, n. 140), où est inclus un rescrit royal de l’an II (115 a. C.). Des χηνοβοσκοί, surtaxés par un économe pour son intérêt particulier, demandent à un autre économe d’envoyer leur plainte (Pap. Petr., II, n. 10). Cf. les plaintes des carriers contre un entrepreneur, adressées au chef de service, l’ingénieur Cléon, lequel parait en avoir référé au diœcète, et les faits de grève qui s’ensuivent (Pap. Par., II, n. 4 [treize pièces de l’an 253/4 a. C.] ; n. 9, [2-3], de 241-239 a. C.).

[3] Tebt. Pap., n. 29, vers 114 a. C. Au siècle précédent, un scribe de Phylé, allant rendre ses comptes à un bureau central a été arrêté sans plus de façon par un appariteur (du stratège ?) et reste détenu au corps de garde. Pap. Par., II, n. 10 (2). Cf. Wilcken, Ostr., p. 220 : une amende infligée par le diœcète à un κωμογραμματεύς.

[4] Pap. Petr., II, n. 22. III, n. 26.

[5] Tebt. Pap., n. 30. Les pièces, selon l’usage, sont rangées en ordre inverse, à partir du point d’arrivée, le bureau de Menchès.

[6] Le dossier du Sérapéum, aujourd’hui dispersé, brouillons et copies, affaire des Jumelles et affaires personnelles de Ptolémée, dossier connu depuis 1830, est considérable. L’affaire des Jumelles couvre un laps de temps de cinq années (165-181 a. C.). au bout desquelles tout n’était pas encore définitivement réglé. Les affaires personnelles de Ptolémée se continuent jusqu’en 153. Il faut renvoyer pour le détail aux diverses collections et commentaires, aux Pap. Par., n. 22-60 ; Pap. Brit. Mus., pp. 7-43 ; Pap. Vatic. de B. Peyron, n. A-D ; Pap. Leid. de Leemans (n. B-E). Soit en tout 63 pièces, dont 38 à Paris, 17 à Londres, 4 au Vatican et 4 à Leide, rangées dans un ordre qui, surtout dans le catalogue de Londres, ressemble au désordre. Leemans (pp. 15-11) a dressé la liste des vingt-trois personnes citées dans les affaires des Jumelles, avec leurs qualités. Une question plus importante est de savoir si les femmes en général et les prêtresses en particulier pouvaient actionner en justice, et, inversement, être défenderesses, sans l’assistance d’un κύρίος. L. Wenger (Stellvertretung im Rechte der Papyri [Leipzig, 1906], pp. 121-142) constate que les papyrus ptolémaïques comme ceux de l’époque romaine fournissent des exemples de pétitions adressées et de procès intentés par des femmes avec ou sans κύρίος ; que l’affaire des Jumelles (pp. 135-142) nous les montre agissant tantôt de leur propre initiative, tantôt par l’intermédiaire de Ptolémée faisant office de κύρίος, ou tout au moins de patron ou fondé de pouvoirs. Que les pétitions fussent au nom des Jumelles ou au nom de Ptolémée, il est évident qu’elles ont toutes été rédigées par Ptolémée. Wenger conclut des faits que la jurisprudence laissait aux femmes, y compris les ίερείαι, le choix entre l’une ou l’autre des procédures, et même la faculté d’employer les deux alternativement au cours de l’instance.

[7] Pap. Brit. Mus., n. 22. L’an VII du texte (?) est évidemment du comput commun aux deux frères (an XVIII/VII). C’est le moment où s’accomplit la révolution de palais qui aboutit à l’expulsion de l'aîné des deux Philométors, suivie à bref délai de la réintégration du susdit et de l’installation du cadet, le futur Évergète, à Cyrène.

[8] Pap. Par., n. 22. 23. Le n. 23 est le brouillon ou canevas, et le n. 22 la pétition mise au net.

[9] Pap. Brit. Mus., I, n. 21, p. 13, lig. 1-7. Voyez Mélanges Perrot, p. 20.

[10] Pap. Brit. Mus., I, n. 21, lig. 20-30.

[11] Pap. Par., n. 29 : cf. n. 26, l. 18.

[12] Pap. Leid., B. Apostilles : du 6 Thoth an XX (8 oct. 162) ; du 20 Phaophi (21 nov. 162) ; du 30 Mésori an XIX (21 sept. 162).

[13] Filière indiquée dans Pap. Brit. Mus., I, n. 11 a et 21 : pp. 11 et 13.

[14] Pap. Par., n. 25 : le texte mutilé laisse à l’interprétation une part de conjecture. Dans les apostilles figurent les noms d’Asclépiade, d’Apollonios, de Ptolémée, et l’approbation définitive (?) en date du 22 Mésori an XX (18 sept. 161).

[15] Pap. Par., n. 28. Pap. Vatic., C. Les pétitionnaires ne connaissent peut-être pas très bien les titres des administrateurs.

[16] Le nom d’Apollonios est écrit après coup au-dessus de celui de Mennidès, dans la pétition n. 22 ; et cependant, c’est Mennidès qui exécute les ordres. Apollonios a pu doubler ou suppléer temporairement Mennidès.

[17] Pap. Brit. Mus., I, n. 20, p. 9 : cf. n. 21, lig. 13-18. Sarapion a reçu la requête εϊς Πτολεμαΐδα τοΰ Άρσινοίτου, et il donne des ordres είς Μέμφις (lig. 14-18). Cela montre, ce semble, qu’il n’est pas l’hypodiœcète de Memphis, comme on l’a dit, mais l’hypodiœcète tout court, l’auxiliaire du diœcète ou ministre des finances du royaume.

[18] Pap. Brit. Mus., n. 17 a-c (pp. 10-11). 31 (pp. 15-16).

[19] Pap. Leid., C : la date du 7 Athyr doit être sans doute rectifiée en 27 [κ]ζ'. Le scribe a dû se tromper aussi en écrivant Πτολεμαΐος Πτολεμαίου au lieu de Γλαυκίου.

[20] Pap. Par., n. 31.

[21] Pap. Brit. Mus., n. 19, pp. 22-24.

[22] Pap. Leid., D. Pap. Par., n. 30. Au papyrus de Leide, qui parait être l’original, est annexé, par une bande de papyrus, le rapport de Dorion, reproduit dans Pap. Brit. Mus., n. 34, lig. 5-13.

[23] Pap. Brit. Mus., n. 34, p. 18, lig. 14-23.

[24] Pap. Brit. Mus., n. 33 (brouillon, 35 lig.). Pap. Par., n. 33 (copie mutilée, 23 lig.). Aucune apostille. Ptolémée n’avait pu déchiffrer complètement l’apostille de la requête précédente.

[25] Pap. Par., n. 29.

[26] Pap. Par., n. 27-28. Pap. Leid., E. Pap. Vatic., D.

[27] Pap. Brit. Mus., n. 35 (original ?) et n. 24 verso (copie), pp. 24-28. Le chiffre de 180 artabes indique que la lettre doit dater peu près d’Épiphi (août 161), onzième mois de l’année.

[28] Pap. Brit. Mus., n. 41, pp. 27-29.

[29] Pap. Par., n. 35. Le n. 37 est une plainte, un peu plus brève, rapportant les mêmes faits au stratège. La police du Sérapéum, comme la presque totalité de son personnel, était sans doute aux mains des indigènes. On sait que Ha-hape, mort en 203 a. C, un Phénicien égyptianisé, avait été chef de la police soit du Sérapéum entier, soit du quartier des Tyriens (Hérodote, II, 112). Voyez M. Schäfer, in Zeitschr. f. Aeg. Spr., XL (1902), pp. 31-35. Les Grecs y étaient vraiment dépaysée.

[30] Pap. Par., n. 30.

[31] Voyez par exemple, la lettre de Sarapion aux frères Ptolémée et Apollonios, salut (Pap. Par., n. 43 : du 21 Phaophi an XXVIII, 20 nov. 154 a. C.).

[32] Pap. Leid., G-K. La communication se fait assez rapidement. Celle qui parvient à l’épistate de l’Anoubiéon est datée du 5 Phaophi (21 oct. 99).        

[33] Tebt. Pap., n. 40, du 13 Tybi an LIII (1er févr. 117 a. C.).

[34] Tebt. Pap., n. 34, vers 100 a. C. Cf. la curieuse lettre de recommandation trouvée cachetée — ou recachetée — sur une momie, sans date (Pap. Par., n. 70, avec le commentaire de Letronne, pp. 349-410). Timoxène recommande à Moschion le porteur de la lettre, lequel est frère d’un commis de l’épistolographe Lysis et fils d’un employé de Pétonouris. Nous ne savons pu de quoi un certain Péteuris voulait être débarrassé, mais il promet un στέφανος de 15 talents de cuivre à une personne qui lui rendra ce service (Pap. Cairo, n. 5. Pap. Grenf., I, n. 41).

[35] Pap. Petr., II, n. 32 (2 a) — Pap. Grenf., I, n. 11 — Tebt. Pap., n. 40. 41. 49. 50, et autres formules semblables.

[36] Base de l’obélisque de Philæ : A. Lettre des rois aux prêtres : B. Lettre des rois au stratège Lochos. C. Pétition des prêtres (CIG., 4898. Strack, n. 103 : date, 22 Pachon d’une année inconnue). De même, les prêtres de Chnoubo Nebieb ont fait graver sur la stèle d’Assouan (publiée en 1881 : Strack, n. 140) les faveurs obtenues d’Évergète II et de Soter II.

[37] Wilcken, in Archiv. f. Ppf., II, pp. 122-3.

[38] Pap. Leid., G : du 29 Thoth an XVI (15 oct. 99 a. C.).

[39] BGU., n. 1012 : du 28 Épiphi an XXI (de Philométor ? 31 août 170 a. C.) — τήν ύπάρχουσάν [μο]ι ύποτελή λείαν signifie probablement tributaire, sujette à la taxe.

[40] Tebt. Pap., n. 24, l. 91. Le rapport vise des délinquants dans les trois μερίδες du nome.

[41] Pap. Petr., III, n. 28 e verso : sans date. Le recto est une note du stratège Diophane à Moschion, de l’an XXV d’Évergète II (223/2 a. C.).

[42] Inscr. Rosett., lig. 14. On a un exemple d’emprisonnement en matière civile, du temps de Philadelphe (255/4 a. C.), celui de Démétrios, qui, pour des difficultés avec des carriers ou mineurs, a été άπηγμένος είς τό δεσμωτήριον et supplie qu’on le relâche (Pap. Petr., II, n. 4 [7]). Un insolvable, détenu pour une amende impayée (?), supplia un épimélète de ne pas le laisser mourir en prison. Il est question aussi de prisonniers arrêtés par ordre du diœcète, pour lesquels on n’a pas assez de place (ibid., n. 5 c. 13 [3]). Ce sont sans doute des ouvriers paresseux, comme ceux dont se plaint un entrepreneur (ibid., n. 19 [2]), qui craint d’aller, lui aussi, en prison, si sa tâche n’est pas terminée à temps ; ou des carriers mal payés, qui auraient déserté, comme menacent de le faire ces matelots dont le fisc oublie de servir les rations (ibid., n.15 [1]). Plaintes de détenus qu’on laisse croupir en prison (ibid., n. 19 [1 a-b]). Bateliers arrêtés à Héracléopolis par l’archiphylacite (ibid., n. 20). Pétition d’un détenu demandant son élargissement (Bull. de la Soc. Archéol. d’Alexandrie, II (1899), p. 46). Pour une simple dette, le prix d’un âne, estimé 20 dr., Callidromos a été incarcéré au bourg de Sinary (Hibeh Pap., n. 34. 73 : de 242 a. C.).

[43] Pap. Petr., II, n. 18 (1). La première plainte pour injures était du 21 Mésori an II (8 oct. 245 a. C.).

[44] Dans une affaire où sont intervenus l’archiphylacite, l’économe, le basilicogrammate, le comarque, le comogrammate, un individu se plaint d’avoir été emmené dans une ignoble prison (Bull. de la Soc. Arch. d’Alex., II, pp 69-71).

[45] Pap. Petr., II, n. 18 (2 a-b).

[46] Tebt. Pap., n. 43. Nous ne savons pas la date de la pétition, mais il est probable qu’elle a suivi de près la première alerte.

[47] Tebt. Pap., n. 14 : du 14 Phaophi, an IV (3 nov. 114 a. C.). L’expression αύτοΰ τά ύπάρχοντα θεΐνει έν πίστει signifie prendre en gage, autrement dit, séquestrer les biens.

[48] Tebt. Pap., n. 156. Alkimos leur a été remis le 21 Phamenoth an XXIII (9 avril 91 a. C.).

[49] Hibeh Pap., n. 92. 93.

[50] C’est en Égypte surtout que — comme nous l’avons déjà remarqué plus haut — les jurisconsultes de l’Empire ont dû apprendre à distinguer les honestiores des humiliores, les deux races en présence fournissant des cadres tout faits.

[51] Pap. Amherst, II, n. 31 ; du 6 Choiak an VI (24 déc. 112 a. C.). Cf. L. Wenger, in Archiv. f. Ppf., II, p. 45. Wilcken, ibid., p. 119, 1. Sur les procès de sorcellerie, de lèse-majesté, la torture, etc., voyez E. Révillout, Les actions publiques et privées en droit égyptien, Paris, 1891.

[52] Tebt. Pap., n. 5, lig. 58.

[53] Tebt. Pap., n. 38 : du 14 Méchir an IV.

[54] Voyez le cas précité de la dame Senpoéris, qui verse les 1286 dr. et suppléments à banque d’Hermonthis, sur bordereau de l’Intendant des Revenus, d’après une série de rapports signés du comogrammate, du topogrammate et du basilicogrammate.

[55] Sauf l’exception, peut-être temporaire, signalée plus haut, en faveur des agents du fisc, pour qui Soter II institue le forum spécial du diœcète. Quant aux militaires, nous ne les connaissons que pour affaires privées, sans rapport avec leur qualité et de droit commun.

[56] Pap. Par., n. 36. Pap. Vatic., B, pp. 94-95 B. Peyron. Le stratège apostille, à la date du 19 Phaophi : A Ménédème : aviser à ce qu’il obtienne justice, et la pièce est retournée le 21.

[57] Pap. Par., n. 11 (du 20 Épeiph an XXV : 18 août 158 a. C.). Malfaiteurs réfugiés au Sérapéum (Pap. Par., n. 42).

[58] Pap. Par., n. 12 : le fait est du 29 Phaophi an XXV (28 nov. 151 a. C.).

[59] Tebt. Pap., n. 44 : fait advenu le 23 Pachon an III (10 juin 114 a. C.).

[60] Pap. Grenf., I, n. 38. L’épistate Cléarque doit être ici l’épistate des phylacites.

[61] Pap. Pert., II, n. 1 : sans date.

[62] Hibeh hep., n. 72 : la dernière enquête est datée des 6 et 7 Phamenoth an VI (25.26 avril 211 a. C.). Pétosiris croit que Chesménis et consorts βούλωνται γράφειν Μανεθώι καί οΐς άν βούλωνται (lig. 6-1). Il ne s’agit pas nécessairement du célèbre Manéthon, dont l’existence même est problématique.

[63] Tebt. Pap., n. 41 : vers 119 a. C.

[64] Tebt. Pap., n. 15 : du 2 Mésori an III (18 août 114 a. C.), remis le 3 à Horos.

[65] Tebt. Pap., n. 16. C’est aussi au basilicogrammate que s’adresse un inspecteur des semailles, attaqué, à Kerkéosiris également, par un certain Xénon (Pap. Petr., II, n. 23 [2], sans date ; vers 119 a. C., si le basilicogrammate Asclépiade est identique à l’auteur de la lettre à Marrès dans Tebt. Pap., n. 11, du 10 août 119 a. C.).

[66] Tebt. Pap., n. 39. Philadelphe avait réglé la procédure des perquisitions dans les Rev. Laws (col. 55-56), exigeant la présence de l’économe et de son άντειγραφεύς, remplacés ici par les autorités du village.

[67] Tebt. Pap., n. 38. Le Thrace appartenait sans doute au régiment de cavalerie ainsi nommé ; il vendait de l’huile importée de Syrie et de l’huile de ricin (cf. n. 125). L’épistate Polémon est remplacé ou suppléé par Apollonios τώι διεξάγοντι τά κατά τήν έπιστατείαν, définition qui convient aussi à un titulaire, mais mieux à un intérimaire ou un adjoint.

[68] Pap. Petr., II, n. 32, 2 a. Ce papyrus, daté du 4 Phaophi an V (243 a. C. ?) et peu intelligible en l’état, doit être un rapport du topogrammate Harmaïs.

[69] Pap. Petr., III, n. 28 e : faits survenus entre le 27 Pachon et le 2 Payni (an ? sous l’administration du stratège Diophane), c’est-à-dire, vers juillet-août.

[70] Pap. Petr., II, n. 32, 2 b. III, n. 32, recto b ; le délit a été commis le 21 Phaophi an V (12 déc. 243). Sébennytos au Fayoum, localité inconnue.

[71] Pap. Petr., II, n. 32, (4) : daté du 17 Mésori an VIII d'Épiphane (22 sept. 191) ou de Philométor (16 sept. 173) (3 oct. 239 a. C.). Le fripon lui a volé jusqu’à un contrat qui lui donnait droit à une rente (?) en blé.

[72] Tebt. Pap., n. 48, vers 113 a. C.

[73] Pap. Petr., III, n. 34 a, add. p. X (règne de Ptolémée III).

[74] Tebt. Pap., n. 45-47. 126-127 : de l'an 113 a. C.

[75] Tebt. Pap., n. 52 : de 114 ou 113 a. C. On lui a volé ses titres de rente.

[76] Tebt. Pap., n. 63 : du 30 Thoth an VIII.

[77] Pap. Petr., II, n. 22. III, n. 26. Le règlement pourrait être de Philadelphe. Il interdit aux toparques de trancher ces débats, qui sont du ressort du nomarque avec le stratège. Plus tard, le stratège cumule souvent les fonctions de nomarque, et, si l’on distingue encore les πράκτορες ξενικών, les πράκτορες royaux sont assez connus pour qu’on se dispense de définir, comme ici, leur office en spécifiant : ό πράκτωρ ό έπί τών βασιλικών προσόδων τεταγμένος.