HISTOIRE DES LAGIDES

TOME QUATRIÈME. — LES INSTITUTIONS DE L'ÉGYPTE PTOLÉMAÏQUE. - (suite et fin)

 

CHAPITRE XXIX. — LA JURIDICTION.

 

 

En tous pays, le droit se confond à l’origine avec la loi religieuse ; les prêtres sont les premiers jurisconsultes et les premiers juges. Ce n’est pas en Égypte, à coup sûr, que l’on peut supposer une exception à la règle, règle valable même pour les Grecs et les Romains[1]. Partout aussi la royauté participe du caractère sacerdotal, et la juridiction appartient par excellence au souverain. En Égypte, les dieux eux-mêmes avaient jadis gouverné le pays et enseigné aux Pharaons leurs successeurs leur métier de justiciers. Osiris continuait à juger les morts et le dieu Thot à être un greffier modèle. Dans l’Égypte féodale, les seigneurs étaient juges de leurs vassaux ; mais le roi, protecteur du peuple, avait gardé ou acquis le droit de réviser leurs sentences, et ce droit d’appel suffit, là comme ailleurs, à ruiner la féodalité[2]. Le recours à la justice du roi était ouvert à tous : il n’était si humble sujet qui ne pût lui adresser directement sa plainte. Dans un papyrus hiéroglyphique de Turin, un ouvrier, dénonçant des vols à ses supérieurs, termine ainsi sa missive : Que l’on voie ce que vous ferez d’eux (des coupables) à ce sujet, ou bien je ferai un rapport sur eux à Pharaon mon maitre[3]. Dans le poème de Pentaour, Ramsès II s’écrie : A tout homme qui m’invoque par des suppliques, j’ai fait protection de ma personne vers lui chaque jour[4]. Dans un conte populaire, on voit un simple paysan accabler de suppliques le grand intendant Mirouîtensi et le roi Nibkamrî, de la IXe ou Xe dynastie. En attendant de lui rendre justice, le roi le nourrit à ses frais : il lui alloue un pain et deux pots de bière par jour[5].

C’est une habitude démocratique que, comme leurs prédécesseurs, les Lagides étaient intéressés à maintenir, ce qui avait été une arme contre l’aristocratie féodale pouvant servir désormais à prévenir les abus de pouvoir et les dénis de justice de la part des fonctionnaires. A Alexandrie, le palais royal avait une porte des Sentences[6], et, dans les camps, une tente spéciale servait au roi de salle à manger et de salle d’audience[7]. Le monarque, au dire d’Aristée, ne se contentait pas de prendre une connaissance sommaire des griefs exposés par écrit : c’était l’habitude que ceux qui étaient venus pour affaire importante fussent admis dans les cinq jours en présence du roi[8]. Sur la pierre de Rosette, nous lisons que Ptolémée Épiphane en tout temps a distribué à tous la justice, comme Hermès (Thot) deux fois grand. Que l’éloge fût mérité ou non, peu importe ; il n’en indique pas moins qu’aux yeux des Égyptiens, le monarque idéal était celui qui se faisait tout à tous.

De là cette quantité de pétitions au roi que nous ont conservées les papyrus, pétitions intervenant d’ordinaire lorsque les dénonciations et mémoires remis aux fonctionnaires n’avaient pas produit l’effet attendu[9]. Nul peuple n’a été phis despotiquement gouverné que les Égyptiens ; mais il ne faut pas oublier que la majesté des Pharaons et des Ptolémées était d’abord facile, et que le peuple supporte aisément le despotisme d’un maitre en qui il voit un protecteur prêt à le défendre contre les tyranneaux. En parcourant les papyrus de Magdola, amas de pétitions retournées avec apostille à quelque bureau local, on est étonné de voir pour quelles mesquines affaires les plus humbles particuliers adressent leur requête au roi, le priant de donner au stratège l’ordre de leur faire rendre justice. Il s’agit de prêts de quelques drachmes que l’emprunteur refuse de rembourser ; d’un clérouque dont on a tué les porcs ; de marchands qui fraudent sur la livraison des denrées ; de colocataires qui se disputent sur le partage d’un champ ; d’une femme qui se plaint d’avoir été échaudée dans son bain par la faute de l’étuvier ; d’une courtisane qui a couvert de crachats et d’ordures un passant insensible à ses avances ; d’un manteau volé, etc., etc. Le stratège apostille jusqu’à dix pétitions le même jour[10].

Il faut dire, pour ne rien exagérer, que dans ce genre de requêtes l’adresse au roi était de style et que, le plus souvent peut-être, la pétition était remise aux bureaux du stratège[11]. En tout cas, le roi ne pouvait étudier par lui-même et trancher toutes les questions soulevées. Il devait nécessairement déléguer ses pouvoirs et renvoyer à ses délégués la plupart des causes. Aussi lis pétitionnaires demandent-ils généralement au roi de saisir de leur affaire les juges compétents, qu’ils désignent souvent eux-mêmes[12]. Ce qu’ils veulent, c’est que le roi force les tribunaux à leur rendre justice. Il en est dans le nombre qui paraissent très au courant de la marche à suivre. Un créancier qui n’a pas de reçu signé de son débiteur veut que le serment soit déféré à celui-ci, et il écrit : je te supplie, ô roi, d’ordonner à Diophane le stratège d’écrire à Agathocle l’épistate de lui envoyer Seuthès (mon adversaire), et si les faits sont exacts, de forcer celui-ci à me payer : et s’il conteste, disant qu’il ne doit rien, qu’il se libère envers moi par serment[13]. Le plus souvent, les plaignants s’en remettent à la décision du stratège, au besoin, après enquête confiée à l’épistate.

En ce qui concerne l’exercice pratique de la juridiction, toujours déléguée théoriquement par le roi, nous éliminerons tout d’abord un certain nombre de  questions qui importent beaucoup aux juristes et qui n’ont pas pour nous le même intérêt : à savoir, en quels cas la délégation est générale ou restreinte à une cause particulière ; avec ou sans instructions écrites ; donnant compétence pour juger, ou bornée à une enquête préalable[14]. De même, la question des frais de justice, sur laquelle les textes sont à peu près muets. En principe, la justice royale est gratuite ; mais les citations de témoins et. les écritures que nécessitent les procès entraînent des frais qui étaient sans doute à la charge de la partie condamnée et peut-être incorporés dans l’amende au Trésor que prévoient et stipulent d’avance la plupart des contrats. Il est possible aussi qu’il y ait eu un tarif indépendant et proportionnel pour les causes civiles et que telle soit la raison d’être du décime en sus mentionné dans plusieurs quittances.

 

§ I. — LA JURIDICTION CIVILE.

La juridiction a charge d’appliquer le droit, et nous avons vu plus haut que, si les Lagides s’étaient bien gardés de déranger les habitudes séculaires de leurs sujets de race égyptienne, ils n’avaient pas prétendu les imposer, toutes et en bloc, aux immigrants de race étrangère. Pour ceux-ci, ils avaient cherché à adapter les institutions à d’autres habitudes et créé ainsi peu à .peu une sorte de droit mixte, qu’on pourrait appeler gréco-égyptien, à l’usage des étrangers régnicoles. En juxtaposant une nouvelle législation à l’ancienne, ils s’obligeaient à juxtaposer une nouvelle juridiction à celle de l’ancien régime. Il fallait, pour rendre la justice aux indigènes, des juges entendant leur droit et leur langue ; et de même pour les Gréco-Macédoniens. Ce furent, — abstraction faite provisoirement de la juridiction des fonctionnaires, — pour les Égyptiens, les juges populaires, successeurs des Qonbîtiou pharaoniques ; pour les Gréco-Macédoniens, les Sentenciers officiels[15]. Mais il n’était pas possible de régler la compétence des tribunaux de rune et l’autre juridiction uniquement sur la nationalité des justiciables. Les transactions entre indigènes et immigrés devaient nécessairement amener des litiges où les deux parties étaient de nationalité différente. De plus, il n’était pas interdit aux Grecs de contracter sous le régime du droit égyptien, ou aux Égyptiens de contracter sous le régime du droit grec, s’ils y trouvaient avantage dans une circonstance donnée. Ainsi la Persane Asclépias, dite aussi Sénimouthin, renouvelle devant l’agoranome de Thèbes un emprunt que son père Panas avait conclu par contrat égyptien avec le père du prêteur Harsiésis[16]. On voit ailleurs deux Grecs, l’hipparque Lysicrate et le cavalier Képhalos, contracter par συγγραφή Αίγυπτία[17]. Enfin, il s’agissait de savoir si les cultivateurs royaux et les employés du fisc, dont bon nombre étaient Égyptiens, auraient cette liberté de choix, ou s’ils devaient relever uniquement de la juridiction gréco-macédonienne, l’intérêt du roi étant en jeu dans les causes de cette espèce. De là des conflits ou des chicanes préalables sur les questions de compétence. La preuve que des inconvénients de ce genre se firent sentir, c’est que Évergète II sentit le besoin de promulguer un règlement définitif sur la matière[18].

Pour départager les deux juridictions, Évergète II choisit un critérium facile à discerner, la langue des contrats. Les rois, dit l’ordonnance, — telle du moins que la résume le comogrammate Menchès, — les rois ont décrété que, lorsque des Égyptiens auront contracté avec des Hellènes par actes helléniques, ils devront recevoir juste satisfaction par devant les chrématistes ; d’autre part, tous Hellènes ayant contracté par conventions égyptiennes devront donner satisfaction par devant les laocrites d’après les lois du pays. Quant aux actions intentées par des Égyptiens contre Égyptiens, les chrématistes ne doivent pas les évoquer, mais les laisser débattre par devant les laocrites, d’après les lois du pays. Exception est faite pour ceux qui cultivent la terre royale, les tributaires[19] et autres obligés envers l’administration des Revenus. Toute convention passée avec l’administration étant libellée dans la langue officielle, la juridiction compétente était nécessairement celle des chrématistes. L’ordonnance royale ne vise pas le cas, sans doute très rare, où les litiges naissaient de conventions verbales. Elle ne supprimait pas non plus toute indécision au sujet des procès dont le dossier contenait des actes de langues différentes, devant être interprétés d’après l’un et l’autre droit. Dans le célèbre procès d’Hermias, vidé l’année suivante (117 a. C.), l’avocat des choachytes fait observer que la cause eût pu être portée devant les laocrites.

La préoccupation qui hante visiblement l’esprit du législateur, celle de protéger contre l’indulgence possible des tribunaux l’intérêt du fisc, s’était affirmée brutalement, au temps de Philadelphe, par la défense faite aux avocats d’assister les accusés, au détriment du fisc, dans les procès où le Trésor était partie intéressée ; et cela sous peine de forfaiture, entraînant pour eux arrestation immédiate, confiscation de leurs biens et exclusion à perpétuité de leur office[20]. Le document mérite d’être cité dans son imperatoria brevitas :

Le roi Ptolémée à Apollonios, salut. Puisque certains des avocats ci-dessous mentionnés se chargent de causes fiscales au détriment des Revenus, ordonne que ceux qui ont plaidé payent an Trésor double décime[21], et qu’il leur soit interdit désormais de plaider en n’importe quelle affaire. Si quelqu’un de ceux qui font tort aux Revenus est convaincu à l’avenir d’avoir plaidé en affaire quelconque, expédiez-le nous sous bonne garde et adjugez ses propriétés au Trésor.

An XXVII, 15 Gorpiaios.

On n’avoue pas plus ingénument que rien ne doit gêner l’exploitation fiscale et que suggérer aux contribuables des moyens de défense est un crime. Le plus curieux, dans la circonstance, c’est que le décret royal est invoqué ici non par le fisc, mais par des cultivateurs royaux de Soknopaiou Nésos qui se disent exploités par leur comarque et se défient de ses avocats. Au moment de comparaître devant un jury composé de l’épimélète, du basilicogrammate et des chrématistes en tournée dans le nome, ils ont appris que le comarque Tésénouphis doit amener avec lui des avocats. Aussitôt, ils adressent une pétition aux dieux Philométors, leur demandant de la renvoyer aux chrématistes, afin que, lors de la discussion des pétitions, ceux-ci interdisent à Tésénouphis de se présenter avec un avocat. Ainsi, le décret, arme à deux tranchants, peut protéger à la fois le contribuable contre les exactions et le fisc contre les détournements des fonctionnaires. Dans un autre édit, qui peut être interprété comme un acte de bonne administration, destiné à prévenir des confusions de pouvoirs, le même Philadelphe défend aux toparques de rendre des jugements en matière de finances, causes pour lesquelles le nomarque avec le stratège sont seuls compétents[22]. Un peu plus tard sans doute, la règle fut que tous les griefs articulés contre les fermiers et agents du fisc seraient portés à Alexandrie devant le diœcète, lequel pourrait ou trancher lui-même le litige ou renvoyer l’affaire aux chrématistes[23]. Enfin, ce souci perpétuel aboutit à l’ordonnance du 23 Phamenoth an III (11 avril 114 a. C. ), par laquelle Ptolémée Soter II fait défense aux tribunaux ordinaires et fonctionnaires quelconques de recevoir des plaintes portées contre les employés de l’administration centrale, tous griefs et rapports de ce genre devant être adressés au diœcète[24]. Le gouvernement égyptien n’alla pas plus loin dans cette voie, qui l’aurait conduit, comme plus tard le Bas-Empire, à créer des juridictions spéciales pour les diverses classes de la société et de la hiérarchie administrative. On put encore déférer aux tribunaux de for hellénique, par voie de pétition au roi ou de plainte aux administrateurs de haut rang, les petits fonctionnaires, et il n’y eut pas de juridiction spéciale pour le clergé[25].

Les tribunaux ordinaires ou jurys investis directement d’une délégation royale étaient donc, d’une part, pour les Égyptiens de condition commune, les laocrites ; d’autre part, pour tous autres habitants de race étrangère ou tirés des rangs du peuple par leur condition de fonctionnaires, de clérouques ou catœques, de fermiers, cultivateurs et ouvriers au service du roi, les chrématistes.

Sur les laocrites, nous n’avons que des renseignements tout à fait insuffisants, qui ne nous laissent voir clairement ni les origines présumées de l’institution à l’époque pharaonique, ni les modifications qu’elle a pu subir sous les Lagides[26]. On s’accorde, ou à peu près, à reconnaître dans le tribunal de Vérité dont parle Diodore[27] une sorte de Haute-Cour, présidée par le grand-vizir du Pharaon régnant et vraisemblablement chargée de réviser en appel les causes jugées par les tribunaux de première instance, ou encore, d’évoquer directement celles qui intéressaient une catégorie de privilégiés. Quoi qu’il en soit, un pareil tribunal, composé de trente délégués des grands sacerdoces, était en soi une institution libérale, mettant une part de l’autorité royale à la disposition d’un jury. Un trait caractéristique de la procédure égyptienne s’y trouve signalé par Diodore comme une précaution fort sage, l’obligation de ne juger que sur pièces écrites, excluant les débats oraux et les surprises d’audience. Cette procédure paperassière a pu se transmettre aux laocrites du temps des Lagides ; mais ces juges d’ordre inférieur ne peuvent vraiment pas passer pour les successeurs des grands juges d’autrefois. La création d’une Haute-Cour royale a dû marquer le moment où la monarchie pharaonique était devenue assez forte pour soumettre à son contrôle les juridictions féodales. Peu à peu celles-ci perdirent ce qui leur restait d’autonomie, et les Qonbîtiou, les laocrites de l’époque, au lieu de rendre la justice au nom des grands vassaux, devinrent, comme les juges de la Haute-Cour, les délégués du roi. Sous l’un ou l’autre régime, il est plus que probable que la jurisprudence était aux mains des prêtres. Jusque sous les Lagides, dit Révillout, les contrats démotiques nous montrent que le tribunal des laocrites, chargés des affaires civiles à Thèbes, était confié aux prêtres d’Amon[28]. Il faut dire que Thèbes était une ville sacerdotale, où les Lagides étaient obligés à des ménagements envers une corporation puissante. La tendance bien connue de leur politique intérieure, surtout durant le premier siècle de leur domination, fait présumer qu’ils n’ont pas respecté partout au même degré ce privilège du clergé.

La découverte de la grande inscription gravée sur les parois du tombeau de Mès[29] — un plaideur du temps de Ramsès II, qui a voulu enregistrer pour l’éternité les péripéties de son procès et l’attestation de son triomphe — a fourni tout récemment, sur le rôle des Qonbîtiou de l’époque pharaonique, des indications que nous sommes en droit de transporter, sauf modifications possibles ou probables, aux laocrites de l’époque ptolémaïque. Comme le procès d’Hermias, auquel il fait penser, celui de Mès englobe dans son histoire rétrospective des transactions passées entre les générations antérieures et embrasse même un laps de temps de près de quatre siècles (de 1600 à 1250 a. Chr. environ).

L’objet principal du litige est un domaine indivisible situé dans la région de Memphis, concédé à perpétuité, comme fief prélevé sur les terres royales, par le roi Ahmès à Neshà, l’ancêtre d’une nombreuse lignée[30]. Les descendants de Neshà se partagent ses propriétés de droit commun, mais la propriété du fief entier appartenait, au temps d’Horemheb, à la dame Ournouro, grand-mère de Mès, sans doute au nom du droit d’aînesse. A la suite de réclamations portées devant les Grands Qonbîtiou, d’abord le revenu du fief, puis, en l’an LIX d’Horemheb, le fief lui-même fut partagé entre six frères et sœurs. Ournouro et son fils Houï protestent, mais l’action qu’ils intentent traîne en longueur, et le débat n’est tranché en faveur de Houi, par le Grand Conseil des Qonbîtiou et les Qonbîtiou de Memphis, qu’après la mort d’Ournouro : A la mort de Houï, un certain Khaï, se disant descendant de Neshà, entreprend de déposséder sa veuve Noubounofrit. Il l’accuse d’avoir usurpé le domaine et l’en expulse. Cité par Noubounofrit, en l’an XVIII de Ramsès II, devant le vizir (Zat) et les Grands Qonbîtiou à Héliopolis, Khaï gagne sa cause par un moyen déloyal, en produisant un extrait falsifié du cadastre. Mais plus tard, Mès, fils de Houi, intente un nouveau procès à Khaï devant la même cour. Après enquête faite sur les lieux, par un délégué du tribunal assisté des Qonbîtiou locaux, l’unanimité des témoignages recueillis confond l’imposteur, et un arrêt du Grand Conseil, auquel se joignent probablement les Qonbîtiou de Memphis sous la présidence du vizir, restitue à Mès l’oasis de Neshà. Telle fut l’issue finale des cinq procès relatés par l’inscription.

D’après l’historique du procès et le texte des pièces insérées, il semble qu’il y a lieu de distinguer comme trois espèces de Qonbîtiou formant trois juridictions superposées : 1° les Qonbîtiou locaux, sans épithète ; 2° les Qonbîtiou ou notables de Memphis ; 3° le Grand Conseil des Qonbîtiou siégeant à Memphis (ou à Héliopolis), mais ayant juridiction sur le nome entier ou même sur une région plus large de l’Égypte. Que même ce Grand Conseil soit la Cour de Vérité dont parle Diodore, ou un tribunal analogue, il se peut[31] ; mais ce n’est pas cette institution d’origine sacerdotale et à certains égards indépendante du pouvoir royal qu’ont dû conserver les Lagides sous le nom de laocrites. Pour mettre la justice civile à la portée des justiciables, il est probable qu’ils ont investi de la juridiction les Qonbîtiou locaux, soit dans les bourgs, soit dans les villes, et que, pour réformer au besoin leurs sentences, ils ont conservé, comme cours ambulantes (?) — système adopté également pour les chrématistes — les enquêteurs préposés aux appels de l’époque antérieure. Les uns et les autres, sous le nom commun de laocrites, auraient constitué une juridiction à deux degrés, plus simple que celle des Qonbîtiou d’autrefois.

Devant les tribunaux égyptiens, les preuves écrites seules faisaient foi, et Diodore en a conclu peut-être un peu vite que les juges de la Haute-Cour interdisaient les plaidoiries orales. Mais nous profiterons de ce qu’il n’a rien dit des laocrites pour accorder à ceux-ci plus de liberté. Il serait bien étonnant que le goût des Hellènes pour l’éloquence et la controverse n’ait pas gagné les Égyptiens et que les avocats aient été impitoyablement exclus des prétoires indigènes. Une autre modification que dut subir, sous les Lagides, la juridiction des laocrites, portait sur leur compétence. Celle-ci, autant qu’on en peut juger, paraît avoir été restreinte aux affaires civiles et d’ordre privé. Il n’y a pas d’exemple qu’une cause concernant des délits ou crimes ait été portée devant les laocrites de l’époque ptolémaïque, et il est évident que la dynastie étrangère avait intérêt à ne pas laisser aux mains des indigènes les instruments de coercition[32]. Dans les papyrus de Magdola, une pétition adressée au roi par une Égyptienne qui a été maltraitée et volée par une autre femme indigène est renvoyée éventuellement aux laocrites, et la question se pose de savoir si la cause leur doit être soumise telle quelle ou si elle ne doit pas être partagée entre deux juridictions, le stratège se réservant le jugement du délit de violences et ne laissant aux laocrites que l’estimation des dommages-intérêts à allouer à la plaignante[33]. On ne nous dit pas si, comme leurs congénères les chrématistes, les laocrites se déplaçaient pour se mettre à la portée des justiciables. Ce qui ne laisse pas d’étonner, c’est le peu de cas ou le peu d’usage que semble avoir fait la population des deux juridictions régulières instituées pour tenir compte de ses habitudes. Elle préférait s’adresser aux fonctionnaires, aux agents du pouvoir exécutif, auxquels il appartenait de procurer l’exécution des jugements. Elle y trouvait l’avantage d’abréger le circuit, et sans doute quelques autres encore. De là naît le désaccord étrange signalé plus haut entre la théorie et la pratique d’un côté, les juges de profession délaissés, et, de l’autre, la juridiction réellement exercée par les fonctionnaires, à quelques exceptions près, exceptions si rares en ce qui concerne les laocrites, que nous trouvons à peine trace de leur existence dans nos documents.

Nous avons heureusement un peu plus de détails, encore qu’incomplets, sur la composition et la compétence des cours ambulantes de chrématistes. Les papyrus mentionnent un certain nombre de procès qui nous les montrent, d’un peu loin toutefois, dans l’exercice de leur juridiction[34].

Un texte du Pseudo-Aristée[35], soi-disant contemporain de Philadelphe, nous apprend que la juridiction des chrématistes fut instituée par Philadelphe pour éviter mus plaideurs des déplacements coûteux et une perte de temps dommageable pour l’agriculture. Le roi se préoccupait, au dire d’Aristée, des inconvénients de la centralisation, qui faisait affluer à Alexandrie plaideurs et solliciteurs. Aussi envoya-t-il à tous les fonctionnaires des instructions écrites, leur ordonnant de juger dents les cinq jours les causes qu’ils auraient évoquées. De plus, comme la chose lui tenait à cœur, il institua des chrématistes et leurs appariteurs dans les nomes[36], afin que les cultivateurs et les défendeurs, pour se défrayer, n’eussent point à diminuer les approvisionnements de l’État, je veux dire, les produits de l’agriculture. Aussi, le roi interdit désormais aux gens de province de séjourner plus de vingt jours à Alexandrie. L’assertion du juif alexandrin qui a probablement fabriqué la légende des Septante n’inspire pas une entière confiance. Il se pourrait que, comme le soupçonne Peyron[37], il ait fait honneur à Philadelphe, son héros, d’une institution plus ancienne, qui se serait transmise des Pharaons aux Ptolémées ; et, en fait, les chrématistes ressemblent singulièrement aux Enquêteurs ambulants qui nous sont signalés à l’époque pharaonique. Le motif allégué, en la forme que lui donne Aristée, est aussi quelque peu étrange. Si le souci des économies à faire sur les déplacements des justiciables est entré pour quelque chose dans la pensée du législateur, il a dû songer surtout à diminuer l’encombrement de son prétoire tout en conservant les avantages de la centralisation, à faire pénétrer dans le chaos des juridictions déléguées à ses fonctionnaires la présence réelle de son autorité, d’une autorité informée sur place et libre de mettre l’équité au-dessus de la jurisprudence, comme avait droit de le faire le roi lui-même.

Il résulte en tout cas du texte d’Aristée, confirmé par des faits à relever plus loin, que l’institution des chrématistes laissa subsister les diverses juridictions confiées aux fonctionnaires royaux, et que les chrématistes eurent pour mission spéciale de juger, comme substituts du roi, les causes portées par voie de pétition devint le tribunal suprême du souverain.

Ainsi les pétitions adressées aux chrématistes sont théoriquement adressées au roi, et, comme telles, s’appellent έντεύξεις ; les chrématistes sont ceux qui donnent audience et décrètent aux lieu et place du roi lui-même[38]. Ce n’est pas à dire que toutes les έντεύξεις fussent renvoyées aux chrématistes. Il y avait des affaires relativement simples qui pouvaient être soumises à enquête, soit même réglées par simple apostille de la chancellerie royale ou du stratège[39]. Enfin, la voie ordinaire était la requête adressée au stratège, lequel pouvait juger lui-même ou renvoyer la cause à l’épistate, et ce, même en cas d’έντευξεις ές τοΰ βασιλέως όνομα[40]. La juridiction des chrématistes est exceptionnelle et intermittente, et d’autant plus malaisée à définir. Elle est évidemment destinée à imposer des règles de droit aux tribunaux ordinaires, et, si elle ne les dessaisit pas complètement ou dans tous les cas, elle représente cependant une autorité supérieure, saisie par voie d’appel contre une sentence ou rendue ou prévue.

Une juridiction supérieure tend nécessairement à réduire les autres à l’office d’enquêtes préparatoires, ou à les supprimer en se saisissant directement des litiges pour lesquels une première instance n’eût abouti qu’à une solution provisoire. C’est ainsi qu’à Rome, l’appel au peuple avait fait disparaître la juridiction criminelle des consuls. L’expression employée par Évergète II, quand il défend aux chrématistes de tirer à eux les causés qui sont de la compétence des laocrites, montre bien que les chrématistes avaient pris l’habitude d’évoquer des litiges qui auraient dû passer par une autre instance et ne connaissaient pas eux-mêmes très bien les limites de leur compétence. Nous verrons, en effet, les chrématistes intervenir concurremment avec les fonctionnaires, tantôt avant, tantôt après ceux-ci, ou siéger avec eux, ou même lancer des citations qui ne sont pas obéies, ou rendre des décisions qui ne terminent aucunement l’affaire soumise à leur appréciation[41]. En somme, on ne sait trop comment définir leur juridiction. Ce qui apparaît le plus nettement, c’est que les chrématistes étaient bien des jurés, et des jurés de compétence limitée aux affaires fiscales et civiles[42] ; dépourvus de pouvoir exécutif ; ils avaient besoin du concours des fonctionnaires pour mener leurs enquêtes et assurer l’exécution de leurs jugements. Aussi les sessions des chrématistes étaient-elles présidées par quelqu’un des fonctionnaires qui avaient jugé, ou étaient censés avoir jugé, en première instance[43]. Les délégués royaux semblent être là comme assesseurs, chargés de dire le droit et, au besoin, de combler par des décisions d’espèce les lacunes de la législation, d’une législation qui, tiraillée entre des coutumes diverses, se faisait un peu au jour le jour.

Les chrématistes, institués pour dire et, au besoin, pour faire le droit, n’étaient pas cependant, selon toute vraisemblance, des magistrats de carrière, investis leur vie durant d’un mandat à eux confié en vertu de leur compétence personnelle. Ce qui le ferait croire, ce n’est pas seulement le caractère temporaire de leur mission, qui ne les classe point parmi les fonctionnaires ; c’est aussi le rôle éminent que joue auprès d’eux un.de ces auxiliaires ou appariteurs dont parle Aristée, le clerc introducteur ou procureur, rôle tel qu’on a pu prendre ce subalterne pour le président du jury[44]. Toute la correspondance entre les justiciables et le tribunal, les pétitions, les pièces du procès, les convocations, passe par les mains de l'είσαγωγεύς, qui parait avoir contresigné aussi les jugements. C’est lui qui représente le tribunal dans l’intervalle des sessions : il en est la partie permanente, et son nom, connu du public, sert à désigner le jury anonyme des chrématistes. Ainsi, Apollonios, parent d’Hermias, adressant aux rois dieux Évergètes une pétition, demande que celle-ci soit renvoyée aux chrématistes compétents du Panopolite jusqu’à Syène, dont l’introducteur est Ammonios[45]. On aurait pu croire que l'είσαγωγεύς était simplement le greffier du tribunal ; mais une inscription récemment découverte[46] mentionne, à la suite des noms des chrématistes Héracléon, Nicostrate et Areios, les noms des auxiliaires, à savoir, par ordre hiérarchique, l'είσαγωγεύς Amyntas, le γραμματεύς ou greffier Démétrios et l’huissier ou appariteur Mennéas. L’introducteur parait bien ici représenter le ministère public et gouverner la procédure. C’est une façon de procureur, qui ne laisse aux chrématistes que le soin de fixer la jurisprudence.

Cette inscription assez brève, dont les dix-sept lignes ne contiennent pour ainsi dire que des noms propres, a pourtant remis en question un certain nombre de conjectures jusque-là plausibles. C’est une dédicace à Ptolémée Philométor et à la reine Cléopâtre, dédicace faite par trois chrématistes qui, en l’an VIII et en l’an IX (174/3-173/2 a. C.), ont fonctionné dans le Prosopite et les autres nomes à eux dévolus en partage. Évidemment, ces chrématistes composaient à eux trois le tribunal ambulant qui, au cours de deux années, a expédié les affaires dans plusieurs nomes du Delta, en commençant par le nome Prosopite. La dédicace précitée a dit être un hommage offert aux souverains par des chrématistes en fin de mission : mais elle ne suffit pas à démontrer que les missions confiées aux chrématistes avaient généralement une durée de deux ans et que le terme en fût marqué d’avance. S’il y avait des règles d’usage, elles devaient être assez souples pour permettre de tenir compte des circonstances, du nombre des affaires à trancher, prévues ou imprévues.

Quant à l’étendue :du ressort assigné à un de ces tribunaux, on savait déjà par le procès d’Hermias que la même cour pouvait siéger dans toute l’étendue de la Thébaïde, depuis (et y compris) le nome Panopolite jusqu’à Syène ; et, sans songer que la Thébaïde, même morcelée en nomes distincts, avait toujours conservé, de nom et de fait, le caractère d’une province unique, on en avait conclu un peu vite qu’un tribunal de chrématistes avait pour ressort l’étendue d’une épistratégie. En somme, on peut supposer que, dans le reste de l’Égypte, où il n’y avait pas encore d’épistratégie, l’ensemble de nomes contigus assigné comme ressort à un tribunal de chrématistes équivalait à peu près aux épistratégies de l’époque romaine. L’étendue du ressort, contrastant avec le petit nombre des chrématistes, ajoute à la dignité et grandit le rôle de ces missi dominici, investis d’une triple compétence, universelle en matière civile.

Le peu que nous savons de la procédure suivie devant la cour des chrématistes et des rapports de leur juridiction avec celle des fonctionnaires, nous le devons encore, sinon exclusivement, du moins principalement, au dossier du procès d’Hermias contre les choachytes de Thèbes, une affaire dont on peut suivre les phases durant dix années, de l’an XLIV à l’an LIV d’Évergète II (125-117 a. C.), et qui met en branle toutes les ressources de la chicane. Les pièces de cette cause célèbre, libellées dans les deux langues du pays, ont été trouvées ensemble dans une jarre de terre par les Arabes, vers 1820 : mais, vendues par petits lots, au jour le jour, elles sont aujourd’hui dispersées dans les musées de l’Europe, et l’exégèse n’en est pas encore épuisée[47] On ne trouverait pas, dans la masse des papyrus exhumés par les fouilles récentes un ensemble de documents aussi cohérent, qui soulève autant de questions juridiques et nous renseigne de plus près sur les sujets que nous connaissons le moins, sur la compétence des tribunaux, des jurys et des fonctionnaires, et sur les méandres de la procédure en matière civile. Le procès d'Hermias mérite de rester ce qu’il était au siècle passé, la cause célèbre par excellence. Nous y avons déjà fait tant de fois allusion que, pour ne pas le citer toujours par anticipation, il convient d’en donner dès à présent une analyse succincte, en dehors de la place que lui assignerait l’ordre chronologique.

Il parait qu’au début du règne de Ptolémée Épiphane, la Thébaïde étant en pleine révolte et les troupes royales refoulées vers la frontière éthiopienne, les étrangers, Macédoniens, Grecs, Perses, furent malmenés ou expulsés. Parmi eux se trouvait un Perse du nom de Ptolémée, qui avait épousé la petite-fille d’Hermon fils d’Hermias. Ce Ptolémée, qui faisait partie de la garnison de Thèbes, de abandonner une maison et un enclos qu’il possédait à Thèbes, du chef de sa femme, et, par la suite, il ne s’était plus soucié de revenir habiter cette maison mise au pillage et nimbant en ruines[48]. Il s’était probablement fixé avec sa femme Ombos, où nous retrouverons son fils Hermias, officier de cavalerie de la garnison[49].

Les années s’écoulant sans que Ptolémée fit acte de propriétaire, les cousins plus ou moins proches crurent pouvoir se partager le bien vacant. Entre les enfants et les petits-enfants de ces premiers occupants intervinrent quantité de partages et de ventes qui faisaient varier d’une génération à l’autre le nombre des propriétaires. Finalement, l'héritage morcelé fut vendu successivement, par parcelle, à une famille de choachytes ou entrepreneurs de pompes funèbres[50], qui, une fois maîtres de tout le terrain ou à peu près, reconstruisirent la maison et y installèrent leur industrie.

Cependant le susnommé Hermias fils de Ptolémée s’avisa un peu tard qu’on disposait ainsi de son bien. Il réussit à faire annuler une des dernières ventes, faites par Apollonios fils de Damon au prêtre d’Ammon Harmaïs fils de Nechmontès, et à remettre la main sur une parcelle de 20 coudées dont Apollonios s’était dit propriétaire. Il avait pour cela fait appel aux chrématistes et produit un certificat délivré par le basilicogrammate, sur le vu de rapports fournis par le topogrammate et le comogrammate de la région, attestant que le terrain en question était inscrit au cadastre sous le nom d’Hermon fils d’Hermias, grand-père de la mère d’Hermias[51]. Il ne prétendit pas davantage pour le moment, ayant probablement reconnu, au cours de l’affaire, qu’il lui serait plus malaisé de déloger de la maison les choachytes munis de pièces qu’il devait supposer régulières.

Un sien parent fut plus hardi. En l’an XLIV d’Évergète II (127/6 a. Chr.), un cavalier mercenaire de la garnison de Thèbes, Apollonios dit Psemmont, fils d’Hermias dit Péténéphot et de Lobais, s’avisa que, comme héritier de feu son père, il devait être propriétaire d’au moins la moitié (sept πήχεις sur seize[52]) de la maison occupée par les choachytes. Au mois de Thoyth de l’an XLIV (sept.-oct. 127 a. C.), il alla donc réclamer auprès des intrus, qui lui répondirent par des injures et des coups. La leçon le rendit perplexe durant environ dix mois. Enfin, en Épiphi XLIV (juil.-août 126), il se décida à écrire au roi une pétition, en indiquant qu’il désirait la voir renvoyer aux chrématistes compétents pour toute la Thébaïde[53]. A ce moment, les chrématistes siégeaient ou allaient siéger à Ptolémaïs, et c’est dans la botte aux lettres  de cette ville qu’Apollonios déposa sa pétition. Peut-être avait-il attendu que le jury fût à bonne distance de Thèbes pour surprendre les choachytes, leur imposer des démarches précipitées et un déplacement incommode, auquel il compte bien qu’ils seront contraints par le phrourarque Antiphane, et les effrayer en annonçant qu’une fois la question de droit réglée, il déposera une nouvelle pétition pour leur demander raison des coups et blessures[54].

Mais les choachytes ne se laissèrent pas intimider par cet assaut mené à la housarde. Ils prirent leurs renseignements[55] et firent si bonne contenance qu’Apollonios, peut-être amadoué par quelques menus cadeaux, fit acte de désistement complet, le mois suivant, 25 Mésori an XLIV (13 sept. 126), par devant Héraclide, agoranome de Périthèbes[56]. Ils auraient été plus habiles encore en affrontant le procès et terrassant ce premier adversaire, au lieu de l’amener à retirer sa plainte, comme s’ils craignaient de soumettre leur droit à l’épreuve d’un jugement.

C’est alors que le commandant Hermias fils de Ptolémée, Perse et diadoque palatin, reprend l’affaire à son compte et la poursuit avec acharnement durant dix années. Était-il réellement persuadé de son bon droit, qu’il avait laissé périmer par sa négligence au cours d’une quarantaine d’années, ou espérait-il décider les choachytes à acheter la paix, c’est ce que nous ne saurions dire. Toujours est-il qu’il vient d’Ombos à Thèbes au cours de l’année XLV, comme un homme tout récemment informé que sa maison, maison paternelle et héritage de famille, était indûment occupée par les choachytes Horos, Psenchonsis, Chonoprès et consorts. Ceux-ci se disant propriétaires de la maison pour l’avoir achetée à Lobais fille d’Érieus, Hermias, au lieu de s’en prendre directement aux choachytes, s’attaque à Lobais, qui, comme on le voit par la suite, n’était qu’une des personnes responsables à l’égard des acheteurs. Régulièrement, comme le dit plus tard l’avocat des choachytes, il aurait dû citer en justice les possesseurs actuels, qui avaient seuls droit d’appeler en garantie les vendeurs. Hermias dépose à Thèbes même, dans la botte disposée à cet effet, une pétition à l’adresse des chrématistes de Thébaïde, dont l’είσαγωγεύς était Dionysios. Les parties reçoivent assignation à comparaître pour le mois de Pachon (mai-juin 125 a. C.)[57], et, à l’audience, Lobais reconnaît qu’elle n’avait jamais eu droit de propriété sur la maison. C’est du moins ce qu’affirme Hermias. Il est probable que Lobaïs se déclara irresponsable envers le demandeur, ou incapable de produire sur le champ des titres enchevêtrés dans nombre de mutations antérieures, actes de partage et de ventes parcellaires[58], et que les chrématistes, se tenant pour insuffisamment renseignés, avaient ajourné l’affaire.

Quoi qu’il en soit, l’affaire parait arrangée, ou Hermias feint de le croire, et il retourne à Ombos. Mais, l’année suivante, il est informé que les choachytes occupent toujours la maison et l’aménagent pour leur industrie, sacrilège, assure-t-il, en un lieu voisin d’un sanctuaire de Héra (Maut) et de Démêler (Isis), divinités qui ont horreur des cadavres. Il avait enfin trouvé l’argument qu’il reproduira désormais opiniâtrement, en dépit de toutes les réfutations : à savoir, que des règlements de salubrité publique interdisaient aux choachytes d’exercer leur profession et même d’habiter sur la rive droite du Nil ; que, comme les embaumeurs avec lesquels il affecte de les confondre, ils doivent être relégués avec leurs clients défunts dans les Memnonia de la rive gauche[59]. Il savait sans doute, comme tout le monde, que les choachytes exerçaient à Thèbes même un office sacerdotal ; qu’il leur appartenait de diriger la grande procession annuelle qui transportait la barque d’Amon de l’autre côté du fleuve et ramenait au bout de quelques jours le dieu dans son temple ; que cette traversée symbolique du fleuve faisait aussi partie des funérailles des clients dont ils conduisaient le deuil. Enfin, il ne pouvait se dissimuler la faiblesse de ce moyen de droit au point de vue de sa cause. Eût-il démontré que les choachytes faisaient de la maison un usage illicite, il n’avait pas prouvé du même coup qu’il en était, lui, le légitime propriétaire[60].

Cette fois, Hermias ne songe plus à recourir aux chrématistes, qui sont des jurisconsultes trop scrupuleux. Retournant à Thèbes, il adresse en l’an XLVI (125/4 a. C.) un mémoire au stratège Hermias, auprès duquel un officier, peut-être même un parent, devait avoir quelque crédit : mais les choachytes ne répondent pas à la citation qui leur est adressée et traînent ainsi l’affaire en longueur[61]. Découragé, Hermias se tient tranquille durant trois ans dans sa garnison d’Ombos. A la fin de l’an XLIX (121 a. C.) se présente une occasion qu’il juge excellente. Le stratège Hermias, qui parait avoir été le plus souvent en tournée dans les deux ou trois nomes sur lesquels il avait autorité, s’était rendu à Thèbes. Hermias y court au mois de Mésori (août-sept. 121) et décide le stratège à agir d’autorité. Ces gens s’étant absentés, il ordonna à Hermogène, archiphylacite à l’époque, de me livrer la maison. Mais, dès que je fus reparti pour Ombos, ils firent de nouveau irruption dans la maison, qu’ils habitent encore[62]. Les choachytes se préoccupaient si peu de ses vaines intrigues qu’ils faisaient entre eux, à ce moment-là même, des actes de partage et de vente relatifs à la propriété contestée, arrangements à la suite desquels Horos se trouva être le propriétaire principal[63].

Cependant Hermias, renonçant aux voies détournées, se décide à saisir de l’affaire le tribunal régulier de l’épistate. En Méchir an L (février-mars 120 a. C.), il adresse à Héraclide, du rang des archisomatophylaques, hipparque έπ' άνδρών et épistate de Périthèbes, un mémoire dans lequel il expose ses griefs et ses démarches antérieures[64]. Héraclide fait citer les choachytes par l’huissier Artémidore ; mais ceux-ci, fidèles à leur tactique, prirent copie de l’assignation et ne comparurent pas, faisant défaut, dit Hermias, avec l’idée que, au bout d’un certain temps perdu, je quitterais la place comme précédemment[65]. Les choachytes savaient peut-être qu’Héraclide allait être bientôt remplacé et que l’assignation tomberait ainsi d’elle-même. Mais Hermite adresse une nouvelle requête au successeur d’Héraclide, l’épistate Ptolémée, du rang des amis et hipparque έπ' άνδρών[66]. Celui-ci enfin prit l’affaire au sérieux. Le 8 Payni an LI (26 juin 119), siégeant en son prétoire, assisté de Ptolémée fils d’Agatharchos et Irénée fils d’Irénée, du même grade que le président, d’Ammonios, cavalier catœque, de Sésoosis, centurion des philobasilistes et d’autres assesseurs encore, l’épistate Ptolémée ouvrit l’audience dont un papyrus du Louvre nous a conservé le procès-verbal. Cette fois, les choachytes n’avaient pas fait défaut ; ils étaient venus, Horos et ses associés avec leur assistant ou avocat Dinon. Hermias n’eut pas besoin de prendre la parole ; on lut à la cour le mémoire dans lequel il avait consigné tous ses griefs et dont la copie figure au procès-verbal. C’est là qu’il raconte comment Horos, Psenchonsis, Panas et consorts ont profité de ce que le malheur des temps l’avait obligé de transporter son domicile ailleurs pour envahir de vive force la maison de ses ancêtres et l’aménager à leur gré. C’est en vain que depuis il a multiplié les démarches ; mais le moment est enfin venu de déloger ces intrus, qui ont osé introduire des cadavres dans l’habitation usurpée.

L’avocat des choachytes n’eut pas de peine à faire crouler cet échafaudage de postulats. Il demanda à Hermias s’il pouvait fournir quelque preuve établissant que la maison était bien un héritage de ses ancêtres. Comme celui-ci avoua qu’il n’en avait aucune, il montra qu’Hermias tournait en vain autour de Horos et de ses associés pour les effaroucher et les attirer à leur perte. Dinon cita les transactions régulières intervenues antérieurement entre les choachytes et, par surcroît, un décret d’indulgence qui leur aurait permis de faire valoir, même sans titres, leur droit de propriété acquis par prescription. Enfin, il accabla le malencontreux demandeur en le mettant au défi de prouver en aucune façon que l’un quelconque de ses parents ou lui-même ait jamais habité à Diospolis, ou que la maison soit un bien de sa famille ; d’où il résulte sans conteste qu’il a formulé sa plainte par chicane et vexation mensongère[67]. Sur quoi, l’épistate Ptolémée rendit un arrêt déboutant Hermias de ses prétentions et confirmant le droit d’Horos et consorts à posséder la maison en litige[68].

Il est évident que, si l’arrêt rendu par l’épistate avait été un jugement exécutoire, Hermias devait abandonner la partie, et il faut bien admettre qu’il avait entendu constituer l’épistate arbitre et non juge de l’affaire, se réservant de contester la valeur de la sentence au cas où elle lui serait défavorable. Toujours est-il que Hermias ne se tient pas pour battu. Il a recours maintenant, comme autrefois, aux hauts fonctionnaires qui pourront, eux, évoquer la cause et, usant de leur pouvoir exécutif, faire déguerpir ces odieux choachytes. Au mois de Méchir an LIII (févr.-mars 117), il saisit le moment où le général en chef, l’épistratège de Thébaïde Démétrios, était de passage à Thèbes pour lui adresser sa requête. Démétrios, s’il faut en croire Hermias, cite les choachytes à comparaître, mais ceux-ci, suivant leur habitude, sont absents[69]. N’ayant pas le temps d’attendre, Démétrios renvoie à Hermias sa requête apostillée, et l’acharné plaideur, en retournant chez lui, la porte, le mois suivant (mars-avril), à Latonpolis, où se trouvait alors le stratège Hermias[70]. Le stratège écrivit, parait-il, à l’épistate Ptolémée de lui envoyer les choachytes incriminés : mais, si Hermias avait espéré leur infliger un déplacement désagréable, il en fut pour sa courte joie. L’épistate savait sans doute à quoi s’en tenir sur le zèle affecté de son supérieur, et il devait être personnellement froissé de voir remise en question une cause déjà jugée par lui : bref, il ne fit rien. Trois mois après, en Payni (juin-juillet), le stratège Hermias et l’épistratège Démétrios s’étaient rendus-tous deux à Thèbes pour la solennité de la traversée du très grand dieu Ammon. Hermias y était, et il remit au stratège le mémoire ou une copie du mémoire apostillé qu’il lui avait déjà présenté à Latonpolis. Le stratège, que ce fâcheux devait commencer à fatiguer, assigna ou fit semblant d’assigner les choachytes ; et, les susdits faisant la sourde oreille, comme toujours, il se rembarqua pour retourner dans les nomes du sud, faisant route avec le solliciteur déçu[71].

Cependant, Hermias ne désespérait pas encore. Les choachytes avaient tant de fois bravé les injonctions des autorités qu’on pourrait bien, à la fin, leur demander compte de cette attitude insolente. Hermias savait que l’épistate Ptolémée, par qui il avait été débouté deux ans auparavant, avait cédé la place à son successeur Héraclide[72]. Risquant donc une dernière tentative, il rédige à l’adresse du stratège Hermias un nouveau mémoire où il relate toutes les démarches faites par lui depuis dix ans, — sauf, bien entendu, le jugement rendu contre lui en l’an LI, — et signale l’obstination des choachytes à faire défaut. Il demande, cette fois, que la cause soit portée devant le tribunal de l’épistate Héraclide[73]. Le stratège transmet le document, à la date du 21 Phaophi an LIV (10 nov. 117), au magistrat désigné, Héraclide, du grade d’archisomatophylaque, épistate de Périthèbes et intendant des Revenus du nome.

C’est devant ce fonctionnaire, assisté d’autres gradés, Polémon et un autre Héraclide, également archisomatophylaques, Apollonios et Hermogène, ayant rang d’amis, Pancratos ayant rang de diadoque, Paniscos le catœque et plusieurs autres, c’est, dis-je, devant ce tribunal que s’ouvrent les débats et que plaident les avocats des deux parties : Philoclès pour Hermias, Dinon pour les choachytes. Les débats, nous les connaissons, ainsi que les pièces produites et les arguments invoqués en vertu des lois et précédents, par le résumé qu’en fait le président Héraclide s’adressant aux assesseurs, résumé qui forme les attendus et considérants de son jugement[74].

Hermias — nous le savons déjà par les débats de l’an L — n’avait pas de titre de propriété concernant la maison qu’il avait héritée, disait-il, de son père, tandis que ses adversaires produisaient des traductions en langue grecque d’actes de vente en langue égyptienne[75], remontant bien au-delà de la naissance du procès et constatant que la maison revendiquée par Hermias avait été achetée en détail par les pères des défendeurs. A défaut d’arguments topiques, Philoclès, l’avocat d’Hermias, contesta la valeur des actes produits, comme frappés de nullité par défaut de στυρίωσις au point de vue de la loi égyptienne[76] ; par défaut d’enregistrement au point de vue de la loi grecque ; par inobservance des délais d’assignation dans le passé. Enfin, il prétendit appliquer aux choachytes les règlements qui reléguaient loin des lieux sacrés l’industrie répugnante des embaumeurs, règlements qui auraient rendu les choachytes incapables d’acquérir, par achat ou par occupation de longue durée, la maison d’Hermias. Il cita à l'appui de sa thèse quantité de décisions juridiques, de protestations par écrit des prêtres d’Amon, de rapports et lettres de topogrammates et de stratèges, tous précédents en vertu desquels les choachytes devaient être expulsés, sans préjudice des pénalités par eux encourues de ce chef.

L’avocat des choachytes, Dinon, dont le plaidoyer est analysé d’une façon moins brève dans le jugement, réfuta point par point les objections de l’adversaire. Il connaissait parfaitement le dossier de l’affaire, car il avait déjà plaidé pour les choachytes devant l’épistate Ptolémée. Dinon montra que, depuis le jour où, au début du règne d’Épiphane, le père d’Hermias avait quitté Diospolis avec d’autres soldats pour s’installer dans la Haute-Égypte, c’est-à-dire depuis 88 ans, ni lui, ni son fils Hermias n’avaient habité la maison en litige ; que la dite propriété était déjà aux mains d’autres possesseurs, à qui les choachytes l’ont achetée en l’an XX VIII, de Philométor (143/2 a. C.), trente-sept ans avant le procès actuel ; que les choachytes en avaient joui durant tout ce temps sans conteste, et que, les actes de vente fussent-ils nuls, cette longue possession leur en assurait la propriété. Mais il n’avait même pas besoin de recourir à cet argument pour ses clients, car les actes de vente étaient réguliers, comme ayant acquitté les droits de mutation à la ferme de la taxe sur les ventes[77]. Quant aux titres des vendeurs, il n’y avait pas à les rechercher, un acte d’amnistie, en sus de la prescription par long usage, ayant régularisé autrefois la situation des propriétaires sans titres et dispensé ceux-ci de produire des preuves écrites de leur droit. Hermias, lui, ne produit aucun titre. S’il était héritier, il aurait dû faire enregistrer ses pièces et payer la taxe. Pour ne l’avoir pas fait, il serait de ce chef passible d’une amende de 10.000 dr. et déchu de ses droits. Enfin, les Tyolkep.lat ou délais impartis pour réclamations ne peuvent pas durer plus de trois ans au maximum, et cela pour les ayants droit. Or, ni Hermias, ni son père n’ont jamais protesté.

La cause entendue, le 22 Athyr an LIV (11 déc. 117 a. C.), l’épistate Héraclide, confirmant la sentence portée par son prédécesseur Ptolémée, rendit le jugement suivant : Nous ordonnons à Hermias de s’abstenir de violences, et à Horos et consorts de rester en possession de ce qu’ils détenaient auparavant[78].

Cette fois, Hermias comprit qu’il était inutile d’équivoquer davantage sur la portée de la sentence et d’en contester le caractère exécutoire. Il n’avait jamais compté, au fond, que sur son crédit et la complaisance des magistrats. Ceux-ci, il les avait froissés par son insistance à remettre en question leurs arrêts, et il était évident que désormais aucun épistate ni aucun stratège ne lui donnerait raison contre le droit ainsi surabondamment constaté.

Les chrématistes ne figurent dans ce procès qu’à l’arrière-plan et ont l’air de magistrats fort accommodants, autant dire d’arbitres, qui laissent volontiers aux autorités constituées le soin d’arranger les affaires sur lesquelles ils ont donné leur avis. Hermias ne s’adresse à eux qu’une fois, lorsqu’il espère faire trancher en sa faveur le point de droit ; et, en fin de compte, c’est par jugement de l’épistate qu’il est débouté de ses prétentions. Cette procédure embrouillée prête à des conclusions inconciliables entre elles. Si le tribunal des chrématistes était une cour d’appel, pourquoi Hermias s’adresse-t-il à lui en première instance, dès le début du conflit ? D’autre part, on voit Hermias, débouté une première fois par jugement de l’épistate Ptolémée, recourir à des manœuvres dont le but avéré est d’annuler l’effet du jugement. Il est singulier que les autorités s’y prêtent et laissent contester la valeur juridique d’un arrêt rendu par un tribunal régulier.

Leur impartialité n’est pas au-dessus du soupçon. Lorsque, au début, le stratège Hermias intervient un instant et fait déguerpir les choachytes, il pouvait croire qu’il faisait exécuter la décision des chrématistes, interprétée par un officier dont la parole méritait confiance. Mais, par la suite, comment ni lui, ni l’épistratège, n’opposent-ils aux doléances importunes d’Hermias l’exception de la chose jugée ? Est-ce uniquement par complaisance ou par esprit de corps, pour ne pas désobliger un compatriote luttant contre de misérables Égyptiens, qu’ils font parade de zèle, avec l’intention secrète de ne rien faire contre le droit ? En résumé, cette procédure ondoyante et irrégulière ne donne pas une haute idée de l’organisation judiciaire au le siècle avant notre ère : elle ne nous renseigne pas non plus autant qu’on pouvait l’espérer sur les rapports de compétence entre les chrématistes, les laocrites, les fonctionnaires, — stratèges et épistates, — trois juridictions qui ont été ou auraient pu être saisies de la même affaire.

Ce qui ressort le plus clairement du procès d’Hermias, c’est que, en Thébaïde tout au moins, pays gouverné militairement et pour ainsi dire en perpétuel état de siège, les chrématistes semblent se borner à faire office de jurisconsultes, à dire le droit. Les arrêts exécutoires sont rendus par l’épistate entouré d’assesseurs. A la même époque et au même lieu, le paraschiste Péténéphotès intente un procès à son collègue Aménothès et adresse sa plainte au même épistate Héraclide (II)[79]. Les deux parties étant des indigènes, le débat eût été porté devant les laocrites, si le contrat du 13 Payni an LI (1er juillet 120 a. C.), violé par Aménothès, n’avait été rédigé par un agoranome grec[80], et par conséquent destiné à faire foi devant le for hellénique. Une vingtaine d’années auparavant[81], un procès en usurpation d’héritage intenté par deux femmes de Pathyris, Semminis et Sénapathis, contre Callimède, sa femme Calibis et leurs enfants, portait sur des actes divers, testament et transactions, dont un au moins rédigé par un notaire égyptien. L’état du papyrus ne permet plus de savoir à qui les requérantes adressaient leur plainte. Il est probable que c’était au stratège, et que celui-ci devait renvoyer la cause à l’épistate[82]. L’épistate, saisi directement ou par l'intermédiaire du stratège, avait à faire le triage des causes et à déterminer la juridiction devant laquelle elles devaient être portées, retenant pour son tribunal le procès à juger d’après le droit grec, et renvoyant les autres aux laocrites[83].

Nous sommes mieux renseignés maintenant sur la compétence des épistates que sur celle des chrématistes. En ce qui concerne les chrématistes, nous ne tirerons pas beaucoup plus de lumières des papyrus du Fayoum. Dans ce .département nouveau, considéré comme pays de langue et de mœurs gréco-macédoniennes, on s’attend à trouver le pouvoir judiciaire confié à des jurys locaux, avec recours possible aux chrématistes. En effet, il est question dans des documents du temps du premier Évergète de causes diverses concernant des questions de propriété privée ou de dotations militaires, pour lesquelles la procédure suit deux voies différentes aboutissant, l’une à la cour des chrématistes, l’autre à des jurys généralement composés de dix membres, y compris le président.

La cause déférée aux chrématistes, à la suite d’une pétition adressée au roi en l’an II de son règne (246/5 a. C.), a été visée incidemment plus haut, comme fournissant, à propos d’une affaire assez insignifiante, les textes législatifs sui ont été versés aux débats, c’est-à-dire, des édits de Philadelphe fixant la jurisprudence en matière de σταθμοί. Le dossier qui nous est parvenu nous donne quelques renseignements sur les formalités observées au cours de l’instance[84]. Phamès fils de Péténouris, délogé de son σταθμός par un certain Démétrios, demande au roi de saisir de l’affaire ses délégués, c’est-à-dire évidemment les chrématistes, qu’il désigne du reste par leur titre officiel dans une seconde pièce, un mémoire adressé aux chrématistes eux-mêmes pour leur exposer ses griefs. La pétition proprement dite une fois acceptée par les chrématistes, Phamès, en guise d’assignation, en avait fait remettre une copie à Démétrios par l’huissier du tribunal. Mais Démétrios, ainsi averti, avait essayé de se dérober en partant pour Alexandrie sous un prétexte quelconque, probablement pour nécessité d’un service public qui l’appellerait ensuite à Héracléopolis[85]. Phamès avait alors (le 24 Athyr an II =16 janv. 215 a. C.) envoyé son mémoire complémentaire aux chrématistes pour leur signaler les artifices de son adversaire ; si bien que Démétrios, menacé d’être jugé par défaut, dut se présenter, et, en vertu d’un arrêt rendu le 20 Choiak (10 février), évacua le σταθμός usurpé.

Près de vingt ans plus tard, dans le même nome Arsinoïte, nous rencontrons encore la mention d’une affaire déférée par pétition au jugement des chrématistes, mais compliquée par des circonstances particulières que les lacunes du texte rendent encore pour nous plus obscures. En l’an XIX du premier Évergète (229/8 a. C.), un fonctionnaire quelconque du nom d’Argaios transmet à Aphthonétos (stratège du nome) copie d’une décision d’un tribunal de (trois) chrématistes, libellée par l'είσαγωγεύς Zoïlos fils d’Héphestion[86]. Autant qu’on peut restituer la suite des idées dans le préambule ou rapport d’Argaios, l’affaire — une affaire de créance contestée — parait avoir été engagée d’abord par le créancier Apollonios adressant une pétition aux chrématistes en tournée. Ceux-ci avaient &à lancer une assignation à laquelle le défendeur Ammonios ne put se rendre, parce qu’il était en prison. Peut-être y était-il à la requête de son créancier, qui le mettait ainsi dans l’impossibilité de comparaître au jour fixé et espérait le faire condamner par contumace. Mais le stratège Aphthonétos avait, je suppose, déjoué ce dessein. Il avait fait venir les parties, déféré le serment par écrit à Ammonios et obligé Apollonios à ne pas entraver la procédure régulière. Sur quoi, les chrématistes mieux informés, au moment de rentrer à Alexandrie, consentirent à proroger le délai et à retenir la cause. C’est la copie de cet arrêt provisoire qu’Argaios envoie à son supérieur. Les chrématistes décident que signification sera faite au défendeur Ammonios de se rendre à Alexandrie dans les délais fixés par le règlement, apportant les pièces justificatives exigibles en l’espèce. S’il faisait défaut, Apollonios aura droit au montant de son estimation ; mais si, le défendeur présent, Apollonios n’obtient pas cette somme, il devra rembourser à Ammonios ses frais de voyage et lui délivrera copie de l’arrangement qui aura été adopté.

Celte décision rentre bien dans la catégorie des consultations destinées à fixer la procédure sans préjuger la question de fond : niais elle est en même temps un jugement par contumace devenant exécutoire au cas où le défendeur ferait défaut. Quant à l’arrangement à intervenir entre les parties comparantes, le procureur Zoïlos s’exprime de telle façon qu’on ne saurait. dire s’il les invite discrètement à s’entendre à l’amiable et à faire l’économie d’un voyage à Alexandrie, ou s’il vise l’arrêt futur des chrématistes.

Des textes qui paraissent être de la même époque, fragmentaires et mutilés, laissent vaguement entrevoir l’application de la contrainte par corps à la suite d’affaires dans lesquelles les chrématistes ont dû intervenir d’une façon quelconque. Ce sont des suppliques adressées à des épimélètes, c’est-à-dire à des agents du fisc qui sans doute ont ordonné l’arrestation de débiteurs insolvables. L’un de ces détenus représente qu’il est indigent, qu’il a été indûment frappé d’une amende, qu’il risque de mourir en prison, et qu’il dépend de l’épimélète de le sauver[87]. L’autre pétitionnaire, incarcéré depuis dix mois dans une geôle où il meurt de faim, éprouve le besoin de mettre au courant de son affaire l’épimélète Nicanor, le successeur de l’épimélète Dionysodore qui, sans doute, a ordonné l’arrestation. Il rappelle à Nicanor — à qui il a déjà écrit plusieurs fois — qu’il a été mis en prison bien qu’il eût signé avec ses adversaires un compromis présenté par eux aux chrématistes. Il s’était en cela conformé au règlement dont il cite le texte : Si des personnes portent plainte contre (les administrateurs ?) résidant à Alexandrie ou leurs subordonnés ou tous autres gérant une part quelconque des deniers royaux, elles devront fournir la juste preuve et recevoir, en présence d’inspecteurs désignés, ce que le diœcète aura décidé : ou bien le diœcète exigera que l’affaire soit réglée par jugement, si le jugement est nécessaire. Néanmoins, il a été mené en prison contre toute justice, et cela, dit-il, à cause de l’esprit pointilleux de Diophane. Aussi, il demande à Nicanor ou d’écrire au diœcète ou de le faire conduire chez le diœcète[88]. Ce qui devait être clair pour Nicanor n’est plus intelligible pour nous, qui ne connaissons ni la qualité du pétitionnaire anonyme, ni la qualité et les pouvoirs de ce Diophane[89]. Il s’agit probablement d’une action intentée contre des agents du fisc, laquelle, d’après le règlement interprété par le diœcète, avait été renvoyée aux chrématistes. Il fallait de bonnes raisons pour s’attaquer à l’administration, et on le fit bien voir au plaignant. Je croirais assez que Diophane était le procureur des chrématistes, et qu’il avait trouvé ou feint de trouver quelque vice de forme dans les pièces soumises à la cour, ce qui aurait fait ajourner indéfiniment l’affaire ou même débouter le malencontreux requérant, dès lors retenu pour dénonciation calomnieuse.

Les chrématistes paraissent constituer la juridiction régulière, le recours ordinaire des plaideurs. Ils ont une compétence pour ainsi dire illimitée ; ils jugent, comme on dit alors, les affaires échéantes[90], sans restriction aucune. Et cependant, on voit siéger, à la même époque et dans la même région, à Crocodilopolis du Fayoum, des jurys dont — sauf une exception probable mentionnée ci-après — il n’est question nulle part ailleurs et qui semblent aussi armés de pleins pouvoirs[91] Les procès qui leur sont soumis sont de nature pour nous énigmatique. L’objet n’en est pas défini. Les rapports sommaires que nous possédons donnent tout au long la datation protocolaire par les noms du prêtre dynastique et de la canéphore d’Arsinoé ; mais ils se contentent d’indiquer, après les noms des jurés, les noms et qualités des parties, sous la forme : a été jugé par défaut le procès qu’a intenté par écrit A. contre B. en vertu d’un contrat[92]. Le contrat suppose une question de propriété. Une fois seulement (d), le demandeur a porté plainte pour coups, et, à l’audience du même jour, il est question de la valeur d’un manteau qui pourrait bien avoir été volé. Le verbe principal de la phrase caractéristique suffit à déterminer le sens de la solution intervenue, suivant qu’elle a été conforme ou contraire à la requête du demandeur. Cette brièveté rend assez bien, du reste, la physionomie d’audiences où les jurés ont dû se contenter de se faire lire les pièces et statuer sans débats, expédiant ainsi jusqu’à trois affaires le même jour.

En considérant de plus près ces fragments de papyrus, on s’aperçoit que toutes les causes jugées en l’an XXI et l’an XXII sont des procès désertés et que toutes sont des différends surgis entre militaires ou miliciens, dont la plupart appartiennent à la classe des épigones[93]. Il semble qu’il y ait eu là comme un arriéré d’affaires à liquider et que le gouvernement, pour en finir, ait institué une commission spéciale vaguement assimilable à un conseil de guerre jugeant sans appel. Cela ne veut pas dire qu’elle fût composée d’officiers. Les textes ne donnent aucune qualité aux juges, et il se pourrait que ce fussent simplement des notables de la région. En tout cas, le soin avec lequel les textes figurant au dossier du procès d’Hermias énumèrent les grades et qualités des jurés fonctionnaires autorise à penser que les δικασταί de la commission susdite n’étaient pas des fonctionnaires.

Cette commission siégeait encore en l’an XXV pour terminer un procès, né en l’an XXI, qui avait donné lieu à des consultations assez laborieuses[94]. L’état lamentable du texte éveille notre curiosité sans la satisfaire. Les parties en présence sont le juif Dosithée, de la classe des épigones, et la juive Héracléia, assistée de son tuteur Aristide, un Athénien τής έπιγονής[95]. On devine qu’il y eut d’abord entre eux une discussion d’intérêts, qui s’est envenimée par des injures et probablement des violences, à la suite desquelles Dosithée a porté plainte. Pourquoi l’affaire a-t-elle traîné en longueur, suscité tant de chicanes et même un recours à l’autorité législative, qui, à cette occasion, comme on l’a dit plus haut, a fixé la jurisprudence applicable dans les affaires ressortissant au for hellénique ? Nous en sommes réduits aux conjectures, mais celles que suggère la condition des parties s’appuient au moins sur quelques bribes du texte. Les Juifs ayant eu en tout pays leur statut personnel particulier et la Thora pour loi civile, il me semble que, les deux parties étant de même race, l’affaire dut être portée tout d’abord devant quelque sanhédrin juif. Elle y eût été réglée, si la défenderesse y avait trouvé son compte. Mais elle prétendait plaider sa cause, après avoir déposé un discours écrit et des justifications, ce que sans doute ne permettait pas à une femme, et encore moins à son assistant étranger, la procédure judaïque. De là des contestations, au cours desquelles ont pu naître de nouveaux griefs. Enfin, par édit royal adressé au stratège du nome, l’affaire fut portée en l’an XXV devant le for hellénique, représenté par le jury ou commission spéciale qui avait liquidé tant d’affaires en souffrance quelques années auparavant.

Il semble que c’était le cas ou jamais de recourir aux chrématistes pour dire le droit dans une affaire aussi compliquée, et l’on s’étonne de n’apercevoir nulle trace de leur intervention. Le fait qu’on n’entend plus parler par la suite du jury crocodilopolitain ni d’assises analogues suggère l’idée que nous sommes peut-être ici en présence d’une institution antérieure à celle des chrématistes, destinée à disparaître mais utilisée encore, à titre permanent ou exceptionnel, concurremment avec la juridiction des délégués royaux. Un papyrus de El-Hibeh, qui remonte peut-être au règne de Ptolémée Soter, vient à point confirmer cette induction. Il nous montre, appelé à juger une affaire d’intérêt pécuniaire, un jury siégeant à Héracléopolis[96]. Cette fois encore, il s’agit de militaires. Un décurion, officier du régiment ou escadron d’Alexandre, réclame à un certain Perdiccas, Macédonien de la même troupe, une créance qu’il estime, principal et intérêts, à 1050 dr. L’assignation, contresignée Épimène, porte que l’affaire sera appelée au tribunal d’Héracléopolis, par devant... Il n’est pas probable que la définition emportée par la lacune soit le titre de chrématistes. Les éditeurs ont remarqué que les formules sont analogues à celles des procès-verbaux concernant les causes portées devant le jury de Crocodilopolis, et la date du document — antérieure, d’après le protocole, à l’institution du culte des dieux Adelphes (271/0 a. C.) — peut être aussi antérieure à l’institution des chrématistes[97].

Quoi qu’il en soit, les chrématistes ont continué à jouer le rôle de justiciers royaux dans les nomes jusque sous les derniers Ptolémées, bien que leur intervention, rarement invoquée, tienne peu de place dans nos textes par comparaison avec la masse des affaires déférées à la justice plus abordable et plus expéditive des fonctionnaires. La plupart des pétitions demandant le renvoi aux chrématistes visent des causes très diverses, mais sont dépourvues d’intérêt, en ce sens qu’elles n’indiquent aucunement la suite donnée à l’instance[98]. Cependant, un papyrus de Turin fait exception sous ce rapport, et c’est par lui que nous terminerons la série des textes cités à propos des chrématistes. Il s’agit d’une cause banale, d’un contrat alimentaire, déjà mentionné plus haut comme combinaison matrimoniale[99]. Mais le document définit la compétence des trois chrématistes qui ont jugé le procès à Memphis en 147 a. C., en disant qu’ils jugent les affaires royales, fiscales et privées[100], et surtout — renseignement qui fait trop souvent défaut ailleurs — il nous montre le tribunal en action et la suite donnée à ses arrêts. Faisant droit à la pétition de Chonouphis, les chrématistes condamnent la partie adverse et déclarent le jugement exécutoire sans débats, si celle-ci ne se présente pas dans un délai que la mutilation du texte ne permet pas de préciser. Ce qui est certain, c’est que, dix jours plus tard, copie du jugement fut remise au it2iorrop Esytx4iv de Meinphis, avec ordre de l’exécuter.

Nous avons considéré la juridiction des chrématistes comme une juridiction d’appel, bien que les exemples précités semblent être tous ou presque tous des cas où les chrématistes sont saisis d’emblée des litiges à débattre. Ils ne montrent pas les démarches antérieures qui ont pu être faites par les intéressés, les arbitrages ou jugements qui ont pu précéder — ou suivre[101] — l’appel aux chrématistes. Mais les nombreuses pétitions ou requêtes adressées à des fonctionnaires de tout grade ne permettent pas de douter qu’en dehors de leur droit de coercition ceux-ci n’aient eu une part du pouvoir judiciaire en matière civile, part inhérente à leurs fonctions et mesurée à leur importance. On pourrait dire qu’il y avait autant d’instances superposées que de degrés dans la hiérarchie, les sentences rendues par les inférieurs pouvant toujours être révisées par leurs supérieurs. Voici, par exemple, en Thébaïde, un nommé Thotortæos qui conteste à un certain Panas la propriété ou plutôt la tenure d’une portion de terre domaniale, louée ou achetée en l’an XVI d’Épiphane. Il s’était adressé d’abord à l’économe Dionysios, qui avait instruit l’affaire, avec l’assistance des Anciens du village et d’un commis du comogrammate, et reconnu le bon droit de Panas, affirmé par serment[102]. Mais Thotortæos avait alors saisi le stratège Daïmachos, lequel avait transmis son mémoire à l’épistate Péchytès, avec ordre d’évoquer l’affaire. Donc, le 16 Épiphi an XXIV de Philométor (12 août 157 a. C.), Péchytès siégeant à Crocodilopolis, assisté de Démétrios le phrourarque, d’Asclépiade l’huissier, de Polianthos, de Psemminis, d’Hermocrate l’archiphylacite et de plusieurs autres, avait fait comparera les parties et leur avait déféré le serment. Panas ayant eu encore gain de cause, les bornes avaient été replacées à l’alignement d’autrefois, et Thotortæos s’était interdit, par un acte de cession, de mettre le pied sur le terrain contesté. Mais depuis lors, il avait intrigué pour racoler ou suborner de nouveaux témoins, et Panas, qui a eu vent de ses menées, rédige une pétition à laquelle il joint copie des décisions précédentes. Cette fois sans doute, il compte sur l’intervention personnelle du stratège.

Les procès d’Hermias et de Panas nous ont montré l’épistate du nome suppléant le stratège pour la juridiction. D’autres documents nous transportent au degré inférieur de l’échelle hiérarchique, devant les autorités de village, qui, dans tous les procès, peuvent être invitées à fournir des pièces aux dossiers, et qui sont compétentes pour accommoder en conciliation les litiges nés dans leur ressort. Dans le nome de Memphis, un certain Hermias s’adresse à l’épistate de sa bourgade, Isidore, pour faire rendre gorge à Chenephnibis, qui lui doit 6 artabes de froment avec 50 % en plus. Comme Isidore a voulu faire de la conciliation et traîné l’affaire en longueur, Marmotis, la femme du débiteur, l’a accusé par dénonciation écrite auprès de l’autorité supérieure, si bien qu’Isidore prie le stratège Cratéros de faire, comparaître devant lui, à fin d’enquête, les personnes dont il donne la liste et de régler à la fois les deux questions[103]. Dans les papyrus de Magdola, le stratège apostillant les pétitions enjoint régulièrement à l’épistate (du bourg ?) d’appeler les parties en conciliation, et, à défaut d’arrangement à l’amiable, de les renvoyer devant la juridiction compétente ou de droit commun[104]. Le cultivateur royal Apollophane a vu son champ inondé mal à propos par le fait d’un voisin, et il estime la perte subie, pour ses 2 ½ aroures, à 20 artabes de blé. Pour obtenir des dommages-intérêts, il s’adresse à Menchès, le comogrammate de Kerkéosiris, afin, dit-il, que l’individu soit cité et contraint de me solder le dommage, et que, s’il refuse, copie de ma plainte soit envoyée à qui de droit, de manière qu’elle soit mise en décision à mon bénéfice et que le roi ne perde rien[105]. Un autre cultivateur royal, Pasis fils de Pétesouchos, se plaint au même Menchès que son voisin Lycos l’empêche, au contraire, d’irriguer son champ au moyen d’un barrage qu’il s’obstine à maintenir depuis cinq ans, bien que, après expertise faite par les autorités, il ait reçu de Menchès lui-même ordre de le démolir. Pasis évalue le dommage à 150 artabes de blé et 45 talents de cuivre, et il demande au comogrammate d’envoyer copie de sa plainte à qui de droit après l’avoir apostillée[106].

Le serf du Domaine s’adresse au greffier de son village. Pour une cause tout à fait semblable, un terrain inondé par le fait des voisins, le catœque Mélas s’adresse à son supérieur dans la hiérarchie militaire, l’hipparque des catœques cavaliers[107]. Il demande que l’hipparque fasse comparaître devant lui les trois frères coupables du méfait et les force à lui rembourser le dommage. Il ajoute : ceci fait, j’aurai obtenu justice ; il n’a pas l’air de supposer que l’autorité de l’hipparque puisse n’y pas suffire. En tout cas, libre à chacun de s’adresser directement au stratège[108].

 

 

 



[1] ÆLIAN, Var. Hist., XIV, 34.

[2] Voyez G. Maspero, Un gouverneur de Thèbes sous la XII dynastie (Mém. du Congrès des Orientalistes à Paris, II, 1876, pp. 48-61). Al. Moret, Une fonction judiciaire de la XIIe dynastie et les Chrématistes ptolémaïques (Recueil de travaux, XVII [1895], p. 44-49). L’appel au roi en Égypte au temps des Pharaons et des Ptolémées (Actes du Xe Congrès des Oriental., session de Genève [1894J, IV Partie, pp. 141-165. Leide, 1896). E. Révillout, Les actions publiques et privées en droit égyptien, Paris, 1897.

[3] Th. Devéria, Le Papyrus judiciaire de Turin (Biblioth. Égyptologique, t. V, pp. 97-281). Al. Moret, L’appel au roi, p. 145.

[4] Al. Motet, op. cit., p. 144.

[5] Maspero, Hist. anc., I, pp. 269, 2. 280, 2.

[6] Polybe, XV, 31.

[7] Polybe, V, 81.

[8] Arist., Ep. ad Philocr., § 252, p. 66 Schmidt.

[9] Sur le sens technique d’έντευξις, voyez A. Peyron, ad Pap. Taur., pp. 101-102. Naber, in Archiv. f. Ppf., III, 1 [1903], p. 10. Sur les pétitions en général et les habitudes de la chancellerie, cf. l’étude récente de R. Laqueur, Quætiones epigraphicæ et papyrologicæ selectæ Strassb., 1901, pp. 1-30. D’après les textes visés par Laqueur (p. 13), la distinction, de pure forme, entre έντευξις et ύπόμνημα ne remonte pas au-delà des dernières années du IIIe siècle (vers 230 a. C.). Le mot έντευξις répond assez exactement au latin aditio, accès, audience, réception.

[10] Par exemple, six le 26 février 221 a. C. ; autant le lendemain ; dix, le 13 janvier 218. A la liste des pétitions dressée en 1901 par Wilcken, il faudrait ajouter toutes celles qu’ont fait connaître les publications postérieures. Je ne crois pu utile de surcharger mes notes de cette statistique. Les Hibeh Papyri n’y ajoutent jusqu’ici qu’une seule έντευξις (n. 34), pétition au roi d’un phylacite contre son supérieur, de 243/2 a. C.

[11] Le fait est non seulement probable, mais attesté. Pap. Petr., III, n. 29 e. Cf. Pap. Petr., II, n. 13, 3. Hibeh Pap., n. 57. Il est vrai qu’à l’époque, έντευξις pouvait s’employer pour ύπόμνημα.

[12] Laqueur (pp. 1-6) démontre, contre Strack, que les pétitions n’étaient pas renvoyées avec le placet aux pétitionnaires, à charge pour eux d’en user auprès des fonctionnaires compétents ; mais que la chancellerie royale les adressait avec l’apostille aux dits fonctionnaires on leur donnait des ordres exprès, dont, au surplus, elle informait les pétitionnaires (p. 23) en leur envoyant copie de la lettre royale. C’est toujours à un épistate qu’aboutit la filière prévue dans les papyrus de Magdola — le roi, le stratège, l’épistate — et c’est l’épistate que le stratège invite à concilier les parties.

[13] Pap. Magdol., n. 25. Les formules, rédigées par des hommes d’affaires, ont un fonds commun, et les apostilles offrent à peine quelques variantes.

[14] Cf. L. Boulard, Les instructions écrites du magistral au juge-commissaire dans l’Égypte romaine, Paris, 1906. L’auteur s’occupe aussi des précédents, sous les Pharaons et Lagides (pp. 89-104). L’opinion qu’il emprunte (pp. 27 et 94) à P. Jouguet et G. Lefebvre (BCH., 1903, p. 128), à savoir que les stratèges n’auraient eu de juridiction que sur les clérouques, est des plus contestables. En suivant cette voie, l’auteur d’une étude qui me parvient au dernier moment va jusqu’à contester toute juridiction proprement dite à tous les fonctionnaires. Pour R. Taubenschlag (Die ptolemaïschen Schiedsrichter und ihre Bedeutung für die Rezeption des griechischen Rechts in Aegypten, in Archiv. f. Ppf., IV [1907], pp. 1-46), il n’y a, en fait de tribunaux, que les cours ambulantes des laocrites pour les Égyptiens, des chrématistes pour les Grecs. Cependant, la plupart des litiges sont soumis aux fonctionnaires ; mais ceux-et les résolvent en qualité d’arbitres (Schiedsrichter), c’est-à-dire de juges qui tiennent leurs pouvoirs de la confiance des parties et n’ont pas le droit de forcer le défendeur à comparaître ou de le condamner par défaut. Je n’ai pas à discuter ici cette thèse, qui prend le contrepied des idées reçues. Il me suffit de dire que, si elle bouleverse la théorie, elle se borne à changer les qualifications juridiques, à appeler sentences arbitrales ce que nous appelons jugements. Même si j’abondais dans le sens de la dite étude, je n’éprouverais pas le besoin d’avertir à tout propos que les fonctionnaires n’ont qu’une juridiction arbitrale. Les contemporains n’avaient pas non plus ce souci : le forum du stratège est appelé κριτήριον (Pap. Taur., I, 2, lig. 29. Pap. Magdol., n. 7) ; un procès à lui déféré, κρίσις (Pap. Petr., II, n. 12 (2)). Le roi lui-même appelle κρίματα les sentences rendues jusque-là par les toparques.

[15] Les Pharaons avaient leurs Qonbîtiou ou gens de l’angle, du sud et du nord, comme tribunaux permanents, et leurs délégués ambulants ou Enquêteurs préposés aux appels. Ceux-ci apparaissent dès la XIIe dynastie. D’après la stèle 251 du Louvre, le préposé aux appels Didiou Sobkou, au cours de ses tournées, fait des enquêtes et juge en première instance : de plus, il transmet les appels aux Pharaons et donne réponse, au nom du roi, à ces appels ; il rend les arrêtés de la jurisprudence. Il est juge d’appel (Al. Moret, L’Appel au roi, p. 151). Cf. L. Griffith, The Qubt (Proceed. of Soc. of Bibl. Arch., [1890], p. 149).

[16] Pap. Par., n. 7 (règne de Philométor ?). D’après Révillout (Précis, p. 607), c’est seulement depuis le règne d’Épiphane que les juridictions macédoniennes furent ouverte aux Égyptiens de race et que ceux-ci purent contracter devant l’agoranome.

[17] Pap. Reinach, n. 7 (règne d’Évergète II). D’après le contexte, l’officier aurait en probablement l’intention de duper le soldat en lui faisant signer une pièce inintelligible pour lui.

[18] Tebt. Pap., n. 5, lig. 207-220 (de l’an 118 a. C.). Cf. le commentaire de Grenfell (pp. 54-55) et celui de L. Wenger, Rechtsurkunden aus Tebtynis (Archiv f. Ppf., II, pp. 483-514), qui précise le sens de λαμβάνειν pour le demandeur et ύπέχειν pour le défendeur.

[19] C’est-à-dire les fermiers des taxes, leurs employés et les ouvriers des manufactures royales.

[20] Pap. Amherst, II, n. 33, lig. 28-31. C’est une pièce justificative citée dans une pétition du temps de Philométor. Apollonios est connu comme diœcète du temps de Philadelphe. L’an XXVII doit donc s’entendre de Philadelphe (259/8 a. C.), d’autant que, à une époque postérieure, la date eût été donnée d’après les deux calendriers. Ce n’était pas un retour à l’ancienne procédure égyptienne, qui n’admettait que des mémoires écrits (Diodore, I, 75-76). Philadelphe n’interdit pas seulement les plaidoyers oraux, mais bien l’intervention des avocats consultants, qui προσπορεύονται πρός τάς προσοδικάς κρίσεις. Les Romains de l’Empire firent autrement et mieux ; ils constituèrent un advocatus fisci.

[21] Grenfell-Hunt, pour des raisons qu’ils discutent (ad loc., p. 40), traduisent διπλοΰν τό έπιδέκατον par twice the sum (of the damage) increased by one tenth. Il s’agit ici d’une mesure exceptionnelle, qui a pu mettre à la charge des avocats, sans en décharger les parties, et doubler pour eux l’έπιδέκατον. Le plus sûr est d’obéir à la grammaire.

[22] Pap. Petr., II, n. 22. III, n. 26. Le document n’est pas daté, mais l’attribution à Philadelphe est probable. Cf. Grenfell, in Rev. Laws, p. 93, et la traduction de Révillout (Mélanges, p. 279).

[23] Pap. Par., III, n. 38 verso.

[24] Tebt. Pap., n. 7.

[25] Cf. la réponse faite à une citation adressée au comogrammate de Kerkéosiris par les chrématistes, sur la plainte de deux habitants du village (Tebt. Pap., n. 29, de 110 a. C.). Plainte de cultivateurs royaux contre un comarque (Pap. Anas., II, n. 34). Procès du prêtre Tésénouphis contre la prêtresse Thembos, de Soknopaiou Nésos (ibid., II, n. 30) ; des prêtres et γεωργοί du dit lieu contre le λεσώνις (= άρχιερεύς ?) Pétésouchos (ibid., II, n. 35).

[26] Cf. Franz, CIG., III, p. 296. A. Peyron, Pap. Taur., I, pp. 160-164. Reuvens, Lettres, III, p. 28. Lumbroso, Rech., p. 184. Révillout, Chrestom., pp. 121-126. Rev. Égyptol., I (1880), pp. 83-89. III (1883), pp. 9 sqq. Cours, pp. 43-44. Mitteis, Reichsrecht, p. 41. Spiegelberg, Studien u. Materialien zum Rechtswesen des Pharaonenreiche der Dynast. XVIII-XXI, Hannover, 1892.

[27] Diodore, I, 75-76.

[28] Cours de droit égypt., p. 131. Voyez les textes démotiques cités par le même auteur dans Le procès d’Hermias, pp. 131-136. Transaction de l’an XXIX d’Évergète II (142/1 a. C.) s par devant les juges qui font justice à Thèbes (p. 134). Dans un acte analogue, ces juges sont dits les juges des prêtres d’Amon (pp. 137-138, en note). Enfin, le tribunal est appelé tantôt salle de la justice, tantôt salle de la vérité (p. 135).

[29] Inscription découverte à Saqqarah, durant les fouilles de 1891 à 1899, et publiée par V. Loret, La grande inscription de Mes à Saqqarah (Zeitschr. f. Aegypt. Sprache, XXXIX [1901], pp. 1-10), traduite et commentée par Al. Moret, Un procès de famille sous la XIXe dynastie (ibid., pp. 11-44) et par H. Gardiner, The inscription of Mes : a contribution to the study of Aegyptien judicial procedure (Untersuch. z. Gesch. u. Alt. Aegyptens, t. IV, 3, pp. 1-54. Leipzig, 1905). Il y a dissentiment entre les deux commentateurs sur la distribution des rôles dans le procès. L’approbation de G. Maspero (Rev. Crit., 1905, n 44, pp. 342-345) me décide pour la thèse de Gardiner.

[30] Il me semble que c’est là le type de la γή έν δωρεά, qui n’aurait pu garder ce caractère sans l’indivisibilité.

[31] Je ne parviens pas, je l’avoue, à extraire des idées nettes de tout ce qui a été dit, par Diodore et ses commentateurs modernes, sur la Cour de Vérité et les rapports supposés entre cette Cour et l’office de l’archidicaste alexandrin. C’est une crux interpretum. Le Grand Conseil siégeant à Memphis sous les Ramessides en suppose au moins un autre siégeant à Thèbes, alors résidence royale ; tandis que, d’après Diodore, la Haute-Cour eût été unique pour tout le royaume, une sorte de Cour de Cassation constituant une quatrième instance (?) et compétente en toute matière, toutes les lois étant contenues dans un code en huit volumes placés devant les juges (Diodore, I, 75). Ici, le Grand Conseil est toujours saisi directement et n’est appelé à réformer que ses propres sentences. Comme le dit Gardiner (p. 38) : the Egyptian appeal was a mere re-trial.

[32] Cf. A. Peyron, loc. cit. L. Wenger, in Archiv. f. Ppf., II, p. 491, 2. Letronne (Recueil, I, p. 213) définissait les laocrites des juges locaux chargés de prononcer dans les différends entre particuliers, sorte de juges de paix.

[33] P. Jouguet et G. Lefebvre, in Mélanges Nicole, p. 281. Le texte de l’apostille est très abrégé. Taubenschlag (op. cit., p. 9) se rallie à l’opinion de Jouguet-Lefebvre, à savoir que la juridiction pénale en matière privée appartenait encore aux laocrites au IIIe siècle a. C., ainsi que la juridiction civile entre Égyptiens ou même entre hellènes et Égyptiens. Pour Wilcken, in Archiv. f. Ppf., IV (1901), pp. 176-7, la question reste ouverte.

[34] Sur les chrématistes, outre les études connexes, voyez O. Gradenwitz, Das Gericht der Chrematisten (in Archiv. f. Ppf., III [1903], pp. 22-43). P. Jouguet, in Rev. des Études Anc., 1905, pp. 283-287. On a comparé les chrématistes aux missi dominici carolingiens (Peyron-Lumbroso-Mitteis), et, sauf leur for ambulant, au bureau a cognitionibus des empereurs romains (Laqueur).

[35] Ep. ad Philocr., §§ 110-111. G. Lumbroso (in Archiv. f. Ppf., IV, p. 10) rapproche du texte d’Aristée un passage de Polybe (IV, 73) disant qu’en Élide, les gouvernants ont eu souci de procurer aux paysans une justice locale, ΐνα τό δίκαιον αύτοΐς έπί τόπου διεξάγηται.

[36] Peyron lit κατά νόμους et traduit ex legibus. Il faut évidemment κατά νομούς : une institution nouvelle ne se fait pas en vertu de lois antérieures. Le ressort d’une cour de chrématistes peut dépasser, mais par exception, les limites d’un nome. Aristée aurait bien dû profiter de l’occasion pour nous dire quel régime avait été adopté pour la ville d’Alexandrie, où le titre d’άρχιδικαστής suppose des δικασταί, comme ceux que nous verrons plus loin fonctionner au Fayoum, peut-être même dans le nome Héracléopolite.

[37] A. Peyron, ad Pap. Taur., I, pp. 98-99. Peyron rappelle à ce propos les Quarante (Pollux, VIII, 100) ou Trente (Arist., Αθ. πολ., 16, 5 ; 26, 3) δικασταί κατά δήμους d’Athènes, qui n’étaient, eux, que des juges de paix, et les missi dominici carolingiens, qui n’étaient pas des jurés.

[38] Il est probable que la plupart des pétitions adressées au roi allaient aux chrématistes sans passer par Alexandrie. Les έντεύξεις des papyrus de Magdola sont apostillées par le stratège, et non par la chancellerie royale. Il est vrai qu’elles ne sont pas destinées aux chrématistes, même en cas de renvoi έπί τοΰ καθήκοντος κριτηρίου (n. 18) ou έπί κοινο[δικαίου] (n. 21. 23. 28).

[39] Dionysios ayant nié les faits allégués par Dorimachos, Moschion, chargé de l’exécution, renvoie Dionysios au stratège Diophane (Pap. Petr., II, n. 2 (2), du 21 mai 222 a. C.).

[40] Cf. la pétition d’Onétor, Asclépiade et Mousæos contre Lysandre, adressée au même stratège Diophane (Pap. Petr., II, n. 2 (1), même année ?), et la correspondance d’Aphthonétos, sous Ptolémée III (Pap. Petr., II, n. 12 (2-3). III, n. 29 e-f), où se retrouve la formule έντευξεις είς τό τοΰ βασιλέως όνομα. Cf. lettre d’Argaios envoyant à Aphthonétos copie d’une ύπογραφή τών τέ προπίπτοντα κρινόντων χρηματιστών (ibid., II, 38 c. III, n. 25).

[41] Aussi le caractère de juridiction d’appel parait-il douteux, et avec raison, à Peyron : nullo enim monumento constat chrematistas supremam fuisse appellationis curiam (Pap. Taur., I, p. 101). Wolff (op. cit., pp. 40-41) recense les opinions flottantes de ses devanciers (Varges-Franz) et reste fort perplexe. Gradenwitz réduit les chrématistes à n’être parfois que les assesseurs des fonctionnaires. Le mieux est de dire qu’ils peuvent juger en appel. L’exemple précité plus haut d’un Grand Conseil saisi directement d’abord, ensuite en appel de ses propres arrêts, est assez instructif.

[42] L’hypothèse de Wenger (Archiv. f. Ppf., II, p. 491, 2), à savoir que tous les délits relèvent des chrématistes, me parait le contre-pied de la vérité.

[43] Cf. Pap. Amherst, II, n. 33. 34 (le tribunal des chrématistes présidé par l’έπιμελητής Zopyros et le βασιλικός γραμματεύς Pétéarpsénésis : règne de Philométor). Cf. L. Wenger, in Archiv. f. Ppf., II, p. 49. Wilcken, ibid., p. 121. Il s’agit d’un procès intenté pour exactions à un comarque par cinq βασιλικοί γεωργοί de Soknopaiou Nésos. C’est une affaire civile, où l'intérêt pécuniaire est seul en jeu. De même, le cas des inspecteurs des semailles (?) qu’il a fallu obliger à comparaître, et qui sont punis par confiscation de leurs biens (Tebt. Pap., n. 24, an. 117 a. C.). La mention τών άλλων [κριηρίων ?] se retrouve dans BGU., n. 1001, de 55 a. C. et comprend même les tribunaux égyptiens.

[44] F. Krebs, Nachr. d. Gött. Ges., 1892, p. 536, à propos de l’Inscription de Ghazi. Peyron (I, p. 95) avait attribué à l’είσαγωγεύς des chrématistes une fonction toute différente de celle des είσαγωγεΐς helléniques : il faisait de lui non libelli et causæ apud judices introductorem, sed chrematistarum in urbes quas secum præstituerat. L’είσαγωγεύς mentionné dans Pap. Taur., I, l. 4 sqq. III, l. 37 (= Pap. Par., n. 14). Pap. Par., II. n. 38 c = III, n. 25. Strack, n. 93. Pap. Amherst, II, n. 33. Pap. Grenf., I, n. 40. Le titre et la fonction se retrouvent à Athènes (Demosth., In Pantaen., 33. Pollux, VIII, 38). Nous savons par Aristote (Άθ. πολ., 53) qu’à l’époque, ils étaient au nombre de 5, chargés d’introduire τάς έμμήνους δίκας. Ce sont des magistrats, et, en ce sens, supérieurs aux jurés.

[45] Pap. Taur., III. Pap. Par., n. 14. Hermias adresse sa pétition l’année suivante aux chrématistes de Thébaïde, dont l'είσαγωγεύς était alors Dionysios. Chrématistes ών είσαγωγεύς Δεξιός (Pap. Amh., II, n. 33), etc.

[46] Strack, n. 93. Dittenberger, OGIS., n. 106 : pierre de Ghazi, publiée par F. Krebs en 1892 dans Nachr. d. Götting. Ges. d. Wiss., p. 534. Cf. ci-dessus, tome II, chap. 10, l'indication chronologique relative au mariage de Philométor et de Cléopâtre. Dittenberger imagine que le collège ambulant des chrématistes devait avoir ses archives quelque part et que ce domicile était situé dans le nome Prosopite. C’est une conjecture singulière et pour le moins inutile.

[47] Cf. A. Peyron, ad Pap. Taur., I-IV : notamment, le Chronologicus conspectus causæ (pp. 46-48). Lettonne, Pap. grecs du Musée de Turin (Journ. des Savants, 1827-1828. Œuvres choisies, I, t, pp. 495-515). Cf. Wolff, De causa Hermiana papyris ægyptiacis tradita, Vratisl., 1874. R. Dareste, Le procès d’Hermias (N. Rev. Hist. de Droit, VII [1883], pp. 191-203), donne la traduction en français du Pap. Taur., I (311 lignes) avec quelques notes. E. Révillout, Le procès d’Hermias d’après les sources démotiques et grecques, Paris, I, 1884. II, 1903, 210 pp. (traduction du Pap. Taur., I, pp. 183-194). G. A. Gerhard et O. Gradenwitz, op. cit., pp. 545-555. Les archives de la famille des Horos remontent, sans interruption, du règne de Ptolémée Soter II aux temps des Psammétique et de Tabarka. Tous les papyrus démotiques et grecs provenant de Thèbes [connus en 1884] nous sont venus de là (Révillout, op. cit., p. 62. Cf. Précis, p. 466). Au procès d’Hermias fait pendant, comme cause célèbre et amas plus considérable encore de paperasses grecques, l’affaire des Jumelles, analysée au chapitre suivant.

[48] Le fait s’est produit έν τήι γενομένηι ταραχήι, et tout au début du règne, car l’avocat des choachytes arrive à la somme de 88 ans écoulés depuis lors, en additionnant les 24 ans du règne d’Épiphane aux années des règnes suivants. Quant à la maison, la partie adverse nia catégoriquement que la famille d'Hermias en eût jamais été propriétaire.

[49] Le fait que Hermias ήγεμών έπ' άνδρών est en service actif est une présomption de plus en faveur de l’interprétation concordante propagée ci-dessus pour ίππάρχης έπ' άνδρών. Le grade non défini d’officier devait être inférieur au grade d’hipparque, attribué à l’épistate Ptolémée.

[50] Cf. Révillout, op. cit., pp. 8-151. 170-176. Ventes de 7 coudées ½ à Tééphibis, de Pachon an XXVIII de Philométor (juin 153 a. C.) ; de 2 coudées ½ à Asos, même date ; de 3 coudées ½ à Péchytès, en Mésori XXIV (sept. 145 a. C.), etc. Il y eut jusqu’à 9 vendeurs pour la même maison (Pap. Taur., I, pp. 8, 11g. 5 ; 9, lig. 12). Voyez l’énumération, avec noms et dates, dans Pap. Par., n. 15, lig. 39-55, Pap. Taur., I, p. 5, lig. 5-18.

[51] Pap. Taur., I, pp. 3-4 du texte.

[52] En admettant, avec Peyron, que la πήχυς superficielle fut 1 % d’aroure, la maison avec ses deux cours n’aurait eu que il mètres carrés de surface. Brugsch et Révillout estiment que la πήχυς équivaut ici à l’aroure.

[53] Pap. Par., n. 14 (original) = Pap. Taur., III (copie ou brouillon) : IV (rétractation). Peyron n’avait pu vu et Brunet de Presle avait seulement soupçonné que l’affaire d’Apollonios est un épisode du procès d’Hermias. L’étude de Révillout a levé tous ces doutes.

[54] Apollonios estime, à tort ou à raison, que l’affaire correctionnelle est aussi de la compétence des chrématistes.

[55] Voyez le papyrus mutilé F de Leide (reproduit dans Pap. Par., p. 215, et Révillout, op. cit., p. 165), réponse d’Alexandre, fermier de l’έγκύκλιον pour l’an XLIII, aux choachytes, qui l’avaient consulté pour savoir si Apollonios n’avait pu quelque acte à invoquer. De même, Apollonios parait avoir consulté le topogrammate Pchorchonsis sur les droits de son père Péténéphot (Par. Par., pp. 215-6).

[56] Pap. Taur., IV. Révillout (op. cit., p. 166) lit ΚΑ au lieu de ΚΕ (Mésoré), c’est-à-dire 11 sept. 126, et il place la veille (an XLIV, 28 Mésoré) la vente par acte démotique (p. 154-156) d’une parcelle de la propriété en question, faits par Tikenis, fille de Péténéphot et de Lobaïs, à son frère le cavalier Psemmont (Apollonios), vente qui aurait été enregistrée à la banque de Thèbes en Mésori 5 (le 24 août !), et le 2 épagomène (20 sept.) au γράφιον. On se perd dans ces inadvertances déjà signalées plus haut.

[57] La citation s’opérait en envoyant copie de l’έντευξις du demandeur an défendeur (cf. Tebt. Pap., n. 29), avec indication du jour d’audience : le tout par les soins de l’είσαγωγεύς.

[58] Ou bien, comme le pense Révillout (p. 169, 1), elle ne pouvait invoquer que la possession de fait, remontant au temps de son grand-père Hermias, lequel avait occupé de bonne foi la maison abandonnée par Ptolémée, père du demandeur Hermias. Il se pourrait encore, si l’on refuse d’en croire Hermias, que Lobais eût fait défaut et que la propriété eût été adjugée provisoirement pour cette raison à Hermias (cf. BGU., n. 1004). L’avocat des choachytes se demande s’il n’y a pas eu collusion entre Lobaïs et Hermias. Lobaïs n’ayant plus alors que la propriété d’une πήχυς (Pap. Taur., I, p. 6, lig. 15).

[59] C. Wolff (op. cit., pp. 12-26) s’étend longuement sur les offices des choachytes, paraschistes et taricheutes, insuffisamment distingués per Peyron. Cf. W. Otto, Priester und Tempel, I, pp. 98-111. Personne ne défend plus l’ancienne leçon χολχύται, soi-disant d’étymologie égyptienne (Peyron-Letronne).

[60] D’après Peyron (p. 11) et Révillout (Précis, p. 282, 2), il y aurait bien eu autrefois un règlement reléguant les choachytes dans les Memnonis, mais il était tombé en désuétude, au point que les choachytes auraient eu permission d’emporter leurs morts chez eux à Thèbes. La politique des Lagides, en hostilité constante avec les prêtres d’Amon, a pu en effet les porter favoriser les empiètements du bas clergé et à permettre aux choachytes de contaminer le sol sacré de la ville sacerdotale. L’avocat d’Hermias citera plus tard des protestations des prêtres d’Amon. Ce qui est certain, c’est que la corporation habitait alors les deux rives (voyez les textes réunis par G. A. Gerhard, op. cit., pp. 528, note 85 et 534, n. 104). On rencontre même des παρασχίσται άπό Διοσπόλεως τής μεγάλης (Pap. Taur., VIII et XIV). Le père de la choachyte Tasémis possédait deux maisons, une à Thèbes, l’autre dans les Memnonia (Pap. Taur., XI).

[61] Il parle de cette requête έν τώι μϚL dans d’autres, postérieures à celle-ci (Pap. Taur., II, l. 28-33. Pap. Par., n. 15. l. 19-22). Révillout (p. 176, 3) suppose, assez gratuitement d’ailleurs, que le stratège Hermias était parent du plaignant et que ses décisions ne s’exécutaient pu, comme rendues par défaut et suspectes de complaisance. G. A. Gerhard (op. cit., pp. 545-555) fait l’historique des débats sur la qualité et les fonctions de cet homonyme, que l’on rencontre en divers lieux, mais sans que les textes définissent son ressort. Était-il stratège du nome Ombitique et juge naturel de l’officier domicilié à Ombos (Peyron-Droysen-Wolff), ou stratège de Périthèbes (Franz), ou stratège du nome Pathyrite (P. M. Meyer) ? Tout bien pesé, Gerhard conclut que Hennies avait sa résidence ordinaire à Thèbes comme stratège de Périthèbes, mais qu’il était aussi stratège du Latopolite, et par conséquent du Pathyrite, qui se trouve entre ces deux nomes et avait fait partie du nome de Thèbes avant que ce département eût été scindé en Périthèbes et Pathyrite. Hermias avait pour supérieur le gouverneur général ou épistratège de Thébaïde, Démétrios (Pap. Par., n. 15, lig. 20).

[62] Pap. Par., n. 15, l. 22-26.

[63] Voyez Révillout, op. cit., pp. 142-146. 170-176, d’après les papyrus démotiques de Vienne (121 a. C.) et du Louvre (120 a. C.).

[64] Pap. Taur., II. Pièce reproduite à peu près textuellement l’année suivante (Pap. Par., n. 15, lig. 8-33).

[65] Pap. Par., n. 15, l. 26-30.

[66] Pap. Par., n. 15, l. 8-33.

[67] Pap. Par., n. 15, lig. 63-61. Dinon renouvelle ce démenti dans son second plaidoyer (Pap. Taur., I, p. 5, lig. 32-34). On se demande si l’avocat ne joue pas sur les mots, — un garnisaire n’étant pas, selon lui, un habitant, — ou s’il n’abuse pas de ce que Hermias est démuni de preuves. Il n’est pas vraisemblable que Hermias ait tout inventé de toutes pièces, y compris le fait initial. D’après Révillout (op. cit., p. 7), Hermias avait raison d’affirmer que la maison appartenait primitivement à sa famille.

[68] C’est le jugement in extenso, avec pièces insérées, qui constitue le Pap. Par., n. 15. Cf. la traduction de Révillout (op. cit., pp. 177-181 : à rectifier l’inadvertance Héraclide alors épistratège pour épistate, p. 178). La sentence est presque textuellement conforme à celle qui terminera plus tard le procès.

[69] Pap. Taur., I, p. 2,1. 30 : c’est un refrain qui clôt l’exposé de chaque démarche (cf. I, p. 3, 1. 5. Pap. Par., n. 15, lig. 22. 24. 29). Remarquer que le tribunal de fonctionnaires auquel fait appel à plusieurs reprises Hermias est bien pour lui un tribunal régulier. Ses adversaires se dérobent à la justice. Précédemment, il a employé le mot συνέδριον (Pap. Par., n. 15. lig. 22).

[70] Peyron interprétait le texte grec par ut Chrematistarum judicio exhiberetur libellus, supposant, par surcroît, que Hermias avait permission spéciale de saisir les chrématistes dans un nome autre que celui où était l’objet du procès. Wolff (p. 42). croit aussi qu’il s’agit des chrématistes, mais non pas qu’il fallût une autorisation spéciale pour les saisir. La réfutation de G. A. Gerhard (ΩΝΗ ΕΝ ΠΙΣΤΕΙ, son sens ordinaire d’apostiller (subscribere), est convaincante : elle aurait pu être abrégée en faisant observer que les chrématistes sont toujours saisis par έντευξις, et non par ύπόμνημα. Latonpolis (Engels) est entre Thèbes et Ombos. Wolff (p. 44), supposant qu’Hermias était stratège du nome Ombitique seulement, pense qu’il n’avait rien à faire à Latonpolis et n’y était pas. Mais, fait observer Gerhard, si le stratège avait sa résidence à Ombos, où habite Hermias, pourquoi Hermias est-il si souvent obligé de courir à Thèbes et ailleurs pour rencontrer le stratège ?

[71] Pap. Taur., I, p. 3 du texte. Gerhard (op. cit., p. 551) constate que Peyron et Wolff forcent le sens du texte, en supposant que les deux Hermias partent ensemble sur le même bateau et vont au même endroit, à Ombos.

[72] Cet Héraclide était-il l’épistate de 119 ? On ne peut que le conjecturer, et c’est encore un des méfaits de l’homonymie. En tout cas, c’est pour nous Héraclide II.

[73] Pétition insérée dans Pap. Taur., I (pp. 1-3 du texte).

[74] Pap. Taur., I, pp. 3-9.

[75] Pap. Taur., I, p. 5, l. 4.

[76] La στυρίωσις (adjuratio) étant généralement sous-entendue dans les actes égyptiens, — ou plutôt résultant de l’enregistrement au cadastre des actes de mutation, — c’était une chicane de mauvaise toi. Dinon répondra que cet argument n’aurait pu dire produit que si la cause avait été portée devant les laocrites, tribunal qui aurait commencé par mettre Hermias en demeure de prouver sa filiation (Pap. Taur., I, p. 7, lig. 6). Alexandre Moret rapproche de ce passage des textes de l’époque pharaonique qui l’expliquent d’une façon satisfaisante. La loi égyptienne exigeait que, pour hériter, l’intéressé fit établir sa filiation d’après les registres du cadastre et payât les droits de mutation : condition nécessaire à tel point que l’usurpateur Khaï n’avait pu gagner une mauvaise cause qu’en produisant un extrait falsifié du cadastre.

[77] Ce sont précisément ces titres de propriété, actes de partage et de vente en démotique, que Révillout a recherchés dans les papyrus provenant des archives de la famille des choachytes, documents aujourd’hui dispersés à Paris, Berlin, Londres, Vienne. Les papyrus de Berlin ont été publiés depuis en fac-simile et analysés dans les Demot. Pap. Berl. de W. Spiegelberg. Actes de l’an XX d’Épiphane (Pap. Sallier) ; de l’an XXIII d’Épiphane (Pap. Berl., 159 et 114) ; de l’an XXVI de Philométor (Pap. Louvre, 3340) ; de l’an XXVIII (Pap. Louvre, 2416-2417) ; de l’an XXXV (Young, Hier., pl. 35) ; de l’an XXIX d’Évergète II (Pap. Berl., 113 b).

[78] Révillout (op. cit., pp. 193-209) continue l’histoire de la famille de Horos et des transactions concernant sa maison et sa clientèle de morts. Acte démotique du 19 Tybi LIV (7 févr. 116 a. C.). Pap. Leid., M. Pap. Par., n. 5 init. (Pap. Casati), de 114 a. C. Pap. Leid., N. (contrat dit de Ptolémaïs, de 103 a. C.). Pap. Demot. Leid., n. 377 (de 102 a. C.).

[79] Pap. Taur., VIII.

[80] Pap. Taur., VIII, l. 6. Disons une fois de plus qu’il me parait impossible de douter que ξενικόν signifie ici grec ou, en tout cas, non égyptien. En vertu de l’ordonnance d’Évergète II sur le départ des juridictions d’après la langue des contrats, les laocrites étaient incompétents. Péténéphotès, comme plus haut Apollonios, se réserve d’intenter une seconde action pour violences. Du moins, c’est le sens probable du texte étrange (lig. 88-90).

[81] Pap. Grenf., I, 17. La date la plus récente y mentionnée est l’an XXXII, de Philométor (150/49) ou d’Évergète II (139/8 a. C.). La mention έπί Πτολεμαίου τοΰ έπί τοΰ Παθυ(ρίτου) décide pour la date de 150/49, car le second testament de Dryton, qui était aussi de Pathyris, a été rédigé, peut-être la même année, έπί Πτολεμ]αίου άγορανόμου (Pap. Grenf., I, n. 12).

[82] Il est question de testament, d’acte passé par devant Ptolémée (agoranome), de témoins, qui ont dû sans doute signer un acte d’appel rédigé διά μονογράφου Θορταίου ou Θοτορταίου. En cas de nationalités et langues mixtes, la cause relevait du for hellénique.

[83] Révillout (Précis, pp. 1084-6) cite une requête adressée, en l’an LII d’Évergète (119/8 a. C.), à Hermoclès, épistate du nome Pathyrite, par une femme choachyte. A la suite de cette plainte s’engagea un procès civil qui, comme le montre le dossier démotique, dut être poursuivi devant un tribunal égyptien. Sur la compétence juridique des stratèges, voyez L. Wenger, in Archiv. f. Ppf., II, p. 47 sqq.

[84] Pap. Petr., II, n. 8. III, n. 20. Voyez ci-dessus (chap. XXVII, § II) l’analyse des édits royaux invoqués en la circonstance. Le papyrus contient 4 colonnes au recto, 3 au verso, soit 96 lignes en tout.

[85] Démétrios est appelé ό παρά Φανίου, et c’est à Phanias que les chrématistes écrivent de leur envoyer Démétrios. Ce Phanias devait être, comme le pense P. Foucart (op. cit., p. 163), ou un fonctionnaire royal ou l’adjudicataire d’une ferme d’impôts.

[86] Pap. Petr., II, n. 38 c. III, n. 23. Date, 23 Hyperbérélaios (oct.-nov. ?) an XIX (229/8 a. C.). Il y a place entre les deux noms de chrématistes, Alcidémas et Artémidore, pour un troisième. Aphthonétos est connu comme stratège du nome Arsinoïte en l’an VI du règne (Pap. Petr.,  II, n. 12 [1-3] : cf. III, n. 29, f-g-h-i) : il pouvait l’être encore en l’an XIX. Ce fut sans doute le prédécesseur immédiat de Diophane. Argaios pourrait être l’épistate du nome.

[87] Pap. Petr., III, n. 36 a (recto). L’expression χρηματισμοΰ γεγενημένου ne vise pas nécessairement un jugement des chrématistes : mais le cas de ce Posidonios parait tellement semblable à celui qui figure au verso que l’on peut supposer la même procédure pour l’un et pour l’autre.

[88] Pap. Petr., III, n. 38 a (verso). Le pétitionnaire reste anonyme.

[89] Il y a un Diophane auquel on songe tout d’abord, c’est le stratège qui a apostillé (entre 222 et 218 a. C.) presque toutes les pétitions de Magdola et qui peut passer pour avoir été sinon pointilleux, du moins consciencieux. Il était connu déjà, lui et ses auxiliaires, Moschion et Dioscouride, par les Pap. Petr., II, 2 (1-4), de 222/1 a. C., que Smyly (III, n. 23 a-e) persiste encore à reporter au temps de Philadelphe. Mais on ne peut rien conclure de l’homonymie, et il me semble que le détenu n’aurait pas demandé à un simple épimélète de le délivrer, s’il avait été incarcéré par ordre du stratège, ou qu’il aurait tout au moins donné à Diophane son titre de stratège.

[90] Expression trois fois répétée dans Pap. Petr., II, n. 38 e. III, n. 23.

[91] Pap. Petr., I, n. 27-28. III, n. 20, a-g. Cf. Wilcken, in Gött. gel. Anz., 1893, p. 143. Révillout, Mélanges, pp. 364-366. Les papyrus concernant le jury de Crocodilopolis ont été publiés à nouveau en 1903, avec des parties inédites, dans Pap. Petr., III, n. 21 (pp. 42-49). Ils contiennent sept procès-verbaux, chacun en double copie sur le même morceau de papyrus, datés de l’an XX et XXI et (le dernier, g) XXV d’Évergète Ier. Le jury se compose de neuf juges et d’un président. Je ne pense pas que, comme le suppose Smyly, ils soient prélevés sur un plus grand nombre de jurés, après exercice du droit de récusation par les deux parties, car il s’agit d'έρημοι δίκαι où l’un au moins des plaideurs fait défaut. Le président parait être choisi pour une séance ou une session. Jason, qui préside le 29 Péritios et le 30 Xandicos de l’an XXI, est simplement juré sous un autre président le 15 Dystros de la même année. D’autres présidents, Taskos, Maiandros, Zénothémis, sont simplement jurés en d’autres séances. C’est le système grec du roulement.

[92] Le jugement par défaut est bien défini dans BGU., n. 1004, col. II, lig. 19-21. Allusion à une έρημος δίκη dans Pap. Amherst, II, n. 34 d. Cf. Taubenschlag (op. cit., p. 12), qui fait du jugement par défaut ou contumace un critérium absolu, permettant de distinguer les juges des arbitres.

[93] a (10 Péritios an XXI, juin 226 a. C.), Pythion contre un Thrace. — b (29 Péritios), Déméas fils de Lampon, contre Diodore assisté de Zopyrion, Macédonien. — c (13 Dystros ; juillet), deux (?) procès intentés par un Thessalien, de la 5e hipparchie, cavalier à 100 aroures, contre un Thrace du même régiment. — d (30 Xandicos, septembre), Ptolémée, pour coups contre Nicasiboulos. — Nicanor, Phocéen, contre Ptolémée, Syracusain. — Nicon contre... pour ίματίου τιμής (?). — e Pythion, contre.... — f (29 Loïos an XXII, janv. 225), Polémon, Locrien, contre... Cardien.

[94] Pap. Petr., III, n. 21 g. La plainte de Dosithée (ou Dorothée, lig. 29 ?), déposée en Péritios an XXI, jugée, d’après un διάγραμμα du 16 Dystros = 19 Payni (3 août 226 a. C.), le 29 (Périt)ios an XXV (vers juillet 222).

[95] Il y avait, à l’époque, des Juifs dans l’armée territoriale. Le juif Alexandre fils d’Andronicos, de Phébichis dans le nome Héracléopolite, enrégimenté dans la cavalerie, signe avec Andronicos, un autre Juif (?), une συγγραφή άποστασίου, qui est non pas — comme à l’ordinaire — un acte de cession d’immeubles, mais un acte de renoncement à des griefs réciproques (Hibeh Pap., n. 96, de Dystros an XXVI = avril 250 a. C.). Sur les Juifs du Fayoum (Pap. Magd., n. 3. 35), voyez Wilcken, in Archiv. f. Ppf., II, p. 390. Le δεκανικός (Hibeh Pap., n. 30. 81. 90. 91. 96. 103) — terme nouveau — doit être, sous les premiers Ptolémées, l’officier qui s’appelle plus tard δεκανός.

[96] Hibeh Pap., n. 30.

[97] J’ai déjà dit et je répète que nous ne connaissons à peu près rien de l’organisation judiciaire dans et pour la ville d’Alexandrie. Cependant, le titre d'άρχιδικαστής autorise à penser que la justice était rendue à Alexandrie par des jurés, à la mode grecque, et que les premiers Lagides, avant de créer des délégués royaux pour les représenter dans les nomes, n’avaient pas imaginé d’autre régime, pour les groupes de colons grecs installés dans les nomes, que le système des jurys.

[98] Pétition de paysans au roi, lui demandant le renvoi de leur comarque devant les chrématistes (Pap. Amh., II, n. 33, vers 157 a. C.). Lettre de Polémon dit Pétésouchos, comogrammate de Kerkéosiris, pour demander un délai aux chrématistes, devant lesquels il a été cité par έντευξις de ses administrés (Tebt. Pap., n. 29, vers 110 a. C.). Pétition de Démétrios, soldat d’Evhemeria, à Cléopâtre III et Soter II, pour une affaire de prêts non remboursés, demandant qu’elle soit retournée aux chrématistes dont l’είσαγωγεύς est Dosithée (Fayûm Towns, n. 11, vers 115 a. C.). Pétition semblable de Théotimos à Ptolémée Alexandre Ier, demandant le renvoi aux chrématistes (ibid., n. 12, vers 103 a. C.). Il s’agit de violences, séquestration et vol ; mais le demandeur ne songe qu’à obtenir des dommages-intérêts, dont il fixe le montant sur chaque espèce de délit, avec espoir qu’ils seront recouvrés. Il est douteux que, comme le pensent les éditeurs et L. Wenger (in Archiv. f. Ppf., II, p. 44, 1), le rapport d’un agent qui a fait restituer à son légitime propriétaire une maison sise à Soknopaiou Nésos, usurpée à la suite des troubles suscités au Fayoum vers 165 a. C. (Pap. Amherst, II, n. 30), soit un rapport fait aux chrématistes (cf. Taubenschlag, op. cit., p. 30, 1).

[99] Pap. Taur., XIII. Jugement en matière de συγγραφή τροφΐτις, du 5 Tybi an XXXIV de Philométor = 31 janvier 141 a. C. Cf. E. Révillout, Le papyrus grec XIII de Turin, in Rev. Égyptol., II, 1882, pp. 124-142. Journal Asiatique, 1900, pp. 365/6. Untels, Reichsrecht, pp. 415 sqq.

[100] La définition τά βασιλκά κτλ. se retrouve identique dans Pap. Amherst, II, n. 33 (vers 151 a. C.).

[101] Cf. la pétition recommandée du 22 Payni XXVI (24 juin 35 a. C.), BGU., n. 1002. Le texte ne prouve pas que les autres tribunaux interviennent après les chrématistes : mais c’est bien le cas dans le procès d’Hermias.

[102] Pap. Grenf., I, n. 11. Sur l’exégèse de ce texte mutilé, il y a dissidence entre l’éditeur et les commentateurs, Naber, in Archiv. f. Pap., II, p. 39 et Mitteis, Papyrsstudien (Z. f. Rechtsgesch., XXIII [1902], pp. 214-487). Ceux-ci s’accordent à peu près entre eux. L’όρκος έπί τοΰ Κρονείου doit être un serment par le dieu local Sobk, confondu ici avec Seb-Kronos (?).

[103] Pap. Leid., A, du 30 Athyr an VI (de Philométor ? = 3 janv. 415 a. C.). Isidore demande au stratège de se faire amener les parties en écrivant Άμμονίωι τώι ύπο[στρα]τήγωι παρ' οΰ είμι (I. 33-34). Isidore aurait donc été un employé du sous-stratège.

[104] Il y a des intendants de toute sorte, et, sauf deux fois (n. 3. 23), les pétitionnaires disent simplement έπιστάτηι. Mais ils ajoutent le nom, et cela suffit au stratège. La variété de ces noms montre assez qu’il ne s’agit pas le plus souvent de l’épistate du nome. Mais, d’après le ton de leurs lettres à Diophane, j’estime que peut-être Moschion (n. 5, 21, 31), certainement Dioscouride (n. 4, 32), fils de Diophane, devaient être des épistates du nome ou d’une μερίς. Dioscouride tranche en dernier ressort. Le stratège ne lui dit pas : άπόστειλον, mais il lui marque l’estimation à adopter (n. 4) et lui donne pouvoirs (n. 32) pour émanciper une citoyenne.

[105] Tebt. Pap., n. 49, vers 113 a. C. Χρηματισμός est pris ici dans le sens général de décision officielle : il ne s’agit pas des chrématistes, qui sont toujours saisis par έντευξις. Cf. Tebt. Pap., n. 24, 1. 81 ; Pap. Grenf., II, n. 23 ; Strack, n. 103 C, etc. Χρηματισμός signifie au sens propre : décision en apostille, par opposition à πρόσταγμα, qui est un rescrit en forme.

[106] Tebt. Pap., n. 50, ann. 112 a. C.

[107] Tebt. Pap., n. 54, vers 86 a. C. Le μισθοφόρος Képhalas demande au roi de renvoyer sa pétition apostillée à Apollodoros, épistate et secrétaire des cavaliers colons, son adversaire Lysicate étant ίππάρχης τών κατοίκων ίππέων (Pap. Reinach, n. 7, ann. 141 a. C. ?).

[108] Par exemple, pétition au stratège de Memphis Posidonios, pour restitution de dot (Pap. Par., n. 13, ann. 157 a. C. ?). Le prêtre Marrès, qui se dit lésé par entente frauduleuse d’un συναλλαγματογράφος, ou notaire libre avec son locataire, s’adresse au stratège (Tebt. Pap., n. 42, vers 114 a. C.). De même le βασιλικός γεωργός Dionysios, traqué par un créancier (Pap. Reinach, n. 18-19), s’adresse en même temps au stratège et à deux basilicogrammates.