HISTOIRE DES LAGIDES

TOME QUATRIÈME. — LES INSTITUTIONS DE L'ÉGYPTE PTOLÉMAÏQUE. - (suite et fin)

 

CHAPITRE XXVII. — L’ARMÉE.

 

 

L’ancienne Égypte, pareille en cela à tous les États antiques, n’avait point d’armée permanente, si l’on entend par là des troupes toujours groupées et en armes. Rome seule, pour garder les frontières de son vaste empire, s’est imposé ce fardeau, qui, alourdi par l’habitude d’une défiance mutuelle, épuise aujourd’hui les nations modernes et les rend incapables de panser leurs plaies intérieures. Mais l’Égypte entretenait une milice qui constituait non pas une caste, mais une classe à tendances héréditaires de guerriers toujours prêts à répondre à l’appel du roi[1]. Le souverain avait à son service une garde de mercenaires, étrangers pour la plupart, qui étaient des soldats de profession et formaient le noyau permanent de l’armée active. Les miliciens ne recevaient point de solde, mais des lots de  terres dont ils avaient l’usufruit. On estimait au Ve siècle avant notre ère, dit Maspero, que douze aroures de terre labourable leur suffisaient amplement[2], et la tradition attribuait au fabuleux Sésostris la loi qui avait fixé leur dotation à ce taux[3]. Ils ne payaient aucune taxe, et on les dispensait de la corvée durant le temps qu’ils passaient hors de chez eux en service actif ; à cela près, ils encouraient les mêmes charges que le reste de la population. Beaucoup d’entre eux n’avaient rien en dehors de leur fonds et y menaient la vie précaire du fellah, cultivant, moissonnant, tirant l’eau et paissant leurs bêtes dans l’intervalle de deux appels[4]. D’autres jouissaient d’une fortune indépendante ; ils affermaient le fief à prix modéré[5], et ce qu’ils en tiraient leur arrivait en surcroît du revenu patrimonial. Comme ils auraient pu oublier les conditions auxquelles ils tenaient ce domaine militaire et s’en considérer les maîtres absolus, on s’inquiétait de ne pas les laisser toujours à la même place : Hérodote assure qu’on leur retirait leur lot chaque-année pour leur en attribuer un autre d’étendue égale[6].

La domination persane, violente et contestée durant près de deux siècles, dut surveiller de près les μάχιμοι et s’attacher à les transformer en simples paysans : mais elle laissa subsister ce régime, et les Lagides, qui avaient un intérêt égal à le supprimer, s’en accommodèrent aussi, sauf à remplacer peu à peu les bénéficiers indigènes (μάχιμοι) par des soldats et vétérans étrangers[7]. Ils firent ainsi tourner au profit de la colonisation et mirent au service de la dynastie des institutions créées en vue de la défense nationale. Ce double but poursuivi par eux nous oblige à associer perpétuellement, au détriment de la clarté, les préoccupations économiques, qui sont du ressort de l’administration financière, les modifications dictées par des raisons de politique intérieure, et les détails de l’organisation proprement militaire.

 

§ I. — LE RECRUTEMENT.

Les premiers Lagides, installés en conquérants et nullement disposés à oublier ou faire oublier leur origine étrangère, n’ont compté, pour asseoir leur domination, que sur leurs mercenaires de même origine, ayant comme eux l’orgueil de race et le mépris des indigènes. Ils ne se décidèrent à enrôler des milices égyptiennes quo dans les moments de crise, et à titre d’auxiliaires des troupes gréco-macédoniennes. A la bataille de Gaza, en 312, Ptolémée Soter avait, dans son armée, en sus de ses 22.000 Macédoniens et mercenaires, une masse d’Égyptiens dont une partie était employée au transport des traits et autres bagages, et une autre pourvue d’armes et utilisable pour le combat[8]. Il dut y avoir aussi bon nombre d’Égyptiens dans l’armée de parade que Philadelphe fit défiler avec la célèbre procession décrite par Callixène[9] ; et si l’on accepte à la lettre les effectifs formidables de 200.000 fantassins et 40.000 cavaliers inscrits dans les commentaires royaux à la fin du règne de Philadelphe[10], il faut bien admettre que le roi comptait parmi ses forces disponibles les milices égyptiennes. On voit figurer encore les μάχιμοι, cette fois en grand nombre et organisés à la mode hellénique, dans l’effort mémorable qui, sous le règne de Philopator, aboutit à la victoire de Raphia et à la reprise momentanée de la Cœlé-Syrie. Polybe a fait le décompte exact des troupes rassemblées et exercées en Égypte à cette occasion, en distinguant les divers corps par arme, infanterie et cavalerie ; par origine, Macédoniens, mercenaires hellènes ou barbares assimilés, Égyptiens et Libyens ; par formations tactiques, hoplites, peltastes, phalangites ; le tout estimé à 28.700 Macédoniens, 21.000 mercenaires, 25.300 Égyptiens et Libyens[11]. La phalange de 25.000 hommes était composée exclusivement de Macédoniens ou censés tels ; dans les autres corps, cavalerie et infanterie, y compris l’άγημα ou garde royale, Macédoniens et mercenaires paraissent avoir été non pas confondus, mais associés par contingents distincts. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que l’on voit figurer ici pour la première. fois des colons et fils de colons levés en Égypte et que. Polybe ne les confond ni avec les mercenaires de même race, ni avec les Égyptiens. Après avoir mentionné un contingent de 2.000 Thraces et Galates racolés tout récemment, il inscrit à part une masse, évaluée à 4.000 hommes, de Thraces et Galates recrutés parmi les colons et leur postérité. Il n’est pas difficile de reconnaître, sous ces étiquettes dont le sens précis est encore à débattre[12], les colons transplantés au Fayoum par Philadelphe et Évergète Ier. Enfin, les Égyptiens, qui jusqu’ici n’avaient jamais été levés et armés en si grand nombre, forment une masse imposante de 20.000 hommes, équipés à la façon des phalangites[13], et fournissent encore un appoint à la cavalerie ; de même, les Libyens sont versés en partie dans la cavalerie ; le reste, armé aussi à la mode macédonienne, constitue un régiment de 3.000 hommes, commandé par un compatriote, Ammonios de Barca. Les renforts égyptiens contribuèrent sans doute à la victoire de Raphia ; seulement, comme le dit Polybe, en armant les Égyptiens pour combattre Antiochos, le roi prenait un parti conforme à l’intérêt présent, mais compromettait l’avenir[14]. En effet, les Égyptiens, persuadés qu’avec les armes et la tactique modernes ils étaient de taille à battre les étrangers, prirent une humeur séditieuse ; de là, une série de rébellions qui se prolongèrent durant plus d’un siècle et, réprimés, couvaient encore sous la cendre.

Il y avait cependant une façon moins dangereuse d’utiliser les Égyptiens : c’était d’en faire des rameurs et des matelots, employés sur les navires de guerre et les transports à voiles. Les équipages de la flotte de Patroclos, durant la Guerre de Chrémonide, étaient en majeure partie composés d’Égyptiens ; car l’amiral refusa de mettre à terre un corps de débarquement pour aider les Lacédémoniens, alléguant qu’il n’était pas possible à ses gens, étant des Égyptiens et des matelots, d’affronter à pied des Macédoniens[15]. On rencontre plus tard, au temps de Philométor et d’Évergète II, des ναυκληρομάχιμοι enrôlés sur les bateaux de garde qui faisaient la police du Nil[16]. Enfin, des μάχιμοι sont engagés comme appariteurs au service de quantité de fonctionnaires, grands et petits, et d’aucuns ont le grade d’άρχιμάχιμος[17].

Mais à cette époque, les Lagides, instruits par l’expérience, avaient changé de système. Au lieu de traquer par des mesures de rigueur la partie remuante de la population indigène[18], ils comprirent qu’il valait mieux ouvrir de plus en plus largement aux Égyptiens l’accès des emplois de toute sorte, dans les bureaux, dans la police, dans les garnisons envoyées hors d’Égypte[19], puis en Égypte et même — ce qui ne surprend plus après les exploits des Macédoniens ou prétoriens d’Alexandrie — dans la garnison et la police de la capitale. Les stratèges qui commandent en Thébaïde sont Paos, dignitaire de première classe sous Évergète II, et Phommoûs, de même rang, sous son successeur. Vers le même temps (102 a. C.), Péluse a une garnison égyptienne commandée par Pélésouchos. La qualité d’Égyptien fait prime, au point que les Grecs se mettent à la mode du jour en s’affublant de noms égyptiens[20]. Ainsi, les rois avaient fini par étendre aux Égyptiens, à des Égyptiens soigneusement triés et attachés par leur intérêt à là dynastie,. la confiance qu’ils avaient toujours témoignée aux Juifs, et pour les mêmes raisons. Un des papyrus précités mentionne, comme résidant à Alexandrie, des contingents de miliciens ; à savoir, un corps d’élite, des μάχιμοι à 7 et 5 aroures de dotation, et des ναυκληρομάχιμοι, qui ne peuvent être que des indigènes[21]. Le même document recommande à l’administration financière de ménager les pauvres gens et les μάχιμοι, dont la plupart ne peuvent pas cultiver eux-mêmes leurs lots de terre ; il accorde dispense du service militaire, en cas d’appel des réserves, à ceux qui cultivent les terres du domaine royal[22].

Tous ces Égyptiens, inscrits sur les rôles de l’administration financière comme usufruitiers de parcelles du domaine royal, et sur ceux de l’armée comme enrôlés ou susceptibles de l’être, constituent, au même titre que les clérouques étrangers dont il sera question plus loin, une milice sédentaire de cultivateurs[23]. Ils pouvaient être enrôlés isolément, pour être versés, comme nous l’avons vu, dans la marine et les garnisons ; mais le gouvernement était bien décidé à ne jamais les mobiliser en masse.

En fait d’armée active, les Lagides, comme tous les rois de l’époque hellénistique, ne conservaient sous les armes en temps de paix que le strict nécessaire. On savait qu’en cas de guerre il était facile de recruter des mercenaires, qui étaient des soldats de métier. Il suffisait d’envoyer des tevo16re, munis de fortes sommes, aux marchés où se réunissaient des aventuriers de tous pays, généralement des rebuts de la société, tout disposés à se faire embaucher par le plus offrant. Riche et en communication avec tous les ports de la mer Égée, l’Égypte était à même de se procurer promptement celte marchandise humaine[24]. L’armée active en temps de paix se composait donc uniquement de la garde royale et des garnisons disséminées en Égypte et dans les possessions extérieures.

La garde royale, recrutée exclusivement parmi les Macédoniens ou réputés tels[25], formait la garnison d’Alexandrie. Elle se composait de gardes à pied[26] et de gardes à cheval, l’infanterie comprenant environ 3.000 hommes et la cavalerie 700. Une école de cadets servait à former les futurs officiers. et contribuait au service du palais[27]. Dans l’intérieur du pays, on rencontre des garnisons en divers lieux : soit à demeure dans les villes, comme à Naucratis, à Memphis, à Thèbes, à Ombos ; soit stationnées sur des points où, tantôt pour des raisons stratégiques, tantôt pour protéger les voies commerciales ou les exploitations industrielles, l’État avait besoin de disposer de la force publique. Ces postes de garde pouvaient être d’effectif très réduit. Une inscription de l’an 254 a. Chr. nous a conservé les noms d’une quinzaine de soldats détachés du régiment de Néoptolème pour garder un puits ou citerne sur la route d’Apollonopolis Magna (Edfou) aux mines d’émeraudes et à la mer Rouge[28]. Cette escouade était sans doute relevée de mois en mois, car la liste susdite donne les noms des soldats qui ont tenu garnison durant le mois de Xandicos. Lorsque, à partir du règne de Philadelphe, les Lagides songèrent à recruter en Afrique des éléphants de guerre, ils fondèrent sur les bords de la mer Rouge une station militaire placée sous le commandement d’un stratège pour la chasse des éléphants[29]. Cet officier supérieur devait disposer d’effectifs assez importants, mercenaires ou autres[30] ; sa fonction, élargie et devenue une sinécure en ce qui concerne la chasse aux éléphants, fit partie plus tard, au dernier siècle avant notre ère, des attributions du stratège de la Thébaïde, qualifié par surcroît στρατηγός τής Ίνδικής καί Έρυθράς θαλάσσης.

Les possessions extérieures étaient toutes pourvues de garnisons commandées par des officiers dont le grade était proportionné à l’importance de leur commandement. Cypre avait eu, sous les premiers Ptolémées, un général gouverneur et un amiral. A partir du règne de Philopator, les deux commandements sont réunis et exercés par le στρατηγός καί ναύαρχος καί άρχιερεύς τής νήσου. On a vu que le gouvernement de Cypre devint une vice-royauté qui servait d’apanage à un prince du sang, et finalement un royaume[31]. Les points stratégiques de l’île étaient des postes militaires confiés à des φρούραχοι[32]. Un régime analogue fut appliqué à la Cœlé-Syrie, à la Cilicie, aux possessions d’Asie Mineure, à l’Hellespont et localités de Thrace, tant que s’y maintint la domination égyptienne. Cette domination, graduée suivant les circonstances, se réduisait à un simple protectorat pour les villes autonomes de Phénicie, d’Asie-Mineure, et la confédération des Insulaires des Cyclades, celle-ci surveillée par un navarque[33].

La plupart de ces garnisaires, pour ne pas dire toutes les troupes armées en temps de paix, étaient des mercenaires de nationalités très diverses[34], sans esprit de corps par conséquent, ce qui était une garantie contre les velléités de sédition ou de complot. En temps de guerre, ils pouvaient être rappelés pour grossir les contingents de mercenaires recrutés, à titre exceptionnel, par les ξενολόγοι[35]. Les bandes qui n’avaient loué leurs bras que pour la durée de la guerre étaient licenciées à la paix et allaient chercher fortune ailleurs ; mais ceux qui s’étaient engagés pour une durée indéfinie et avaient vieilli au service avaient droit à une retraite qui leur assurait le pain de leurs vieux jours[36]. L’État leur donnait des terres et les transformait en colons qui allaient grossir les noyaux de population grecque ou hellénisée implantés sur le sol égyptien et faire souche de soldats.

 

§ II. — LA DOTATION DE L’ARMÉE TERRITORIALE.

Ici se pose la question, complexe entre toutes, des dotations militaires, prélevées sur le domaine royal et réparties par l’administration financière entre des groupes distincts, mais qui tendent à se confondre à la longue : les colons d’origine étrangère, colons et enfants de colons, et les miliciens de race égyptienne, les uns et les autres bénéficiers ou clérouques de l’État. Il est inutile de revenir sur ce qui a été dit plus haut de la condition économique et sociale des clérouques, du caractère précaire et révocable de la quasi-propriété à eux dévolue par le lotissement, des charges fiscales qui grevaient leurs tenures. Ce qui reste à déterminer, c’est leur condition au point de vue militaire.

Nous manquons de renseignements précis sur la première phase de la colonisation, au temps de Ptolémée Soter, celle qu’on nous représente comme ayant commencé par une transplantation en masse de Juifs et de prisonniers restés aux mains du vainqueur après la bataille de Gaza (312). Josèphe, visant en bloc des faits à répartir sur un laps di temps indéterminé, assure que Ptolémée, non content d’installer une colonie juive à Alexandrie ; répartit un certain nombre d’Israélites dans les places fortes, ayant pleine confiance dans la fidélité de ces garnisaires et gendarmes, antipathiques aux autres races et d’autant plus dévoués à la dynastie[37]. Les prisonniers ramenés de Gaza furent répartis entre les nomes, et nous pouvons les considérer comme un premier ban de clérouques, installés sur des terres domaniales ou sacrées. Nous avons supposé également que Ptolémée Soter avait dû pourvoir de la même façon à la subsistance de vétérans ou soldats de son armée, au double bénéfice de la colonisation hellénique et des réserves disponibles en cas de guerre. Enfin, nous savons qu’il constitua, dans la Haute-Égypte, une cité hellénique, Ptolémaïs, dont les citoyens furent, au même Litre que ceux d’Alexandrie, des Macédoniens, les représentants de la race conquérante.

L’œuvre de colonisation à la fois agricole et militaire fut poursuivie, désormais en grand et avec méthode, par ses successeurs, qui entreprirent de dessécher le lac Mœris et de constituer dans le nouveau nome du Lac ou Arsinoïte un groupe ethnique, non pas de pure race grecque, mais de langue et de culture hellénique. C’est de ce sol, conquis sur les eaux et adjugé au domaine royal, que sont sortis la majeure partie des papyrus versés récemment dans la circulation, et c’est aussi sur la colonisation locale que ces documents nous renseignent. Les faits situés et datés qu’ils nous fournissent permettent d’esquisser, dans un cadre restreint, un aperçu de la condition des colons pourvus de lots de terres, comme les μάχιμοι égyptiens, contre l’obligation éventuelle du service militaire.

Le peuplement du nome Arsinoïte s’est opéré par afflux continu d’étrangers qui venaient grossir, à mesure que s’étendaient les surfaces cultivables, un premier fonds de population indigène, assez clairsemée sur le pourtour de la cuvette asséchée par les ingénieurs. Philadelphe avait dû y installer déjà des vétérans, Macédoniens ou mercenaires, des prisonniers restés entre ses mains au cours des longues guerres de Syrie, des aventuriers attirés par sa réputation de libéralité ou ses promesses. On verra plus loin que, dès l’an X de son règne, il dut s’occuper de faire des règlements spéciaux applicables à la colonie du Fayoum. Évergète Ier, après sa glorieuse campagne d’Orient, y amena de nouveaux bans de colons, d’origine aussi mêlée, qui furent absorbés et assimilés par la population préexistante[38]. Tous ces immigrants durent être dotés suivant leur condition : les Μακεδόνες et μισθοφόροι pourvus de lots et κληροΰχοι proprement dits ; les autres, comme les prisonniers de guerre, ayant pour ressource de louer leurs bras et de cultiver les terres des clérouques ou les terres non alloties encore du domaine royal. Du reste, il n’y avait pas de règle fixe : l’administration pouvait choisir aussi ses clérouques parmi les prisonniers[39], en considération de leur nationalité ou de leur condition. sociale antérieure ou de leur mérite personnel. Après la victoire de Raphia (217), Philopator dut disposer encore d’un grand nombre de vétérans et de prisonniers à transformer en colons ; et il est, en effet, question dans les papyrus de clérouques dont la dotation date de cette époque[40]. Mais, dans l’intervalle de ces afflux exceptionnels, la colonisation se poursuivait toujours, à mesure que des terres devenaient disponibles et qu’il se trouvait des immigrants pour les cultiver[41].

Maintenant, pour opérer sur des faits concrets et poser les données des problèmes à résoudre, retournons à Kerkéosiris, aux dossiers libellés dans les bureaux du comogrammate de la localité, en la LIIIe et dernière année du règne d’Évergète II (118/7 a. C.). Nous y trouverons, comme il a été dit plus haut, 101 bénéficiers, qui occupent environ le tiers du terroir. En tète de la hiérarchie, telle qu’elle était constituée deux ans plus tôt (120/119)[42], figurent 29 clérouques dits κάτοικοι — cavaliers et autres —possédant en moyenne chacun 33 aroures ; au-dessous, des officiers civils, chargés de la police, dont la dotation moyenne est de 15 à 16 aroures ; en dernier lieu, des miliciens indigènes, cavaliers pourvus chacun de 15 aroures et simples μάχιμοι à 7 aroures. Les chiffres moyens indiqués ici pour les κάτοικοι — il est bon d’en avertir tout de suite — ne correspondent ni à la répartition réelle des terres à Kerkéosiris, ni aux titres des bénéficiers, dont quelques-uns ont droit à des fiefs de 70, de 80, et même de 100 aroures. Certains d’entre eux possèdent à Kerkéosiris 60 et 70 aroures, tandis que d’autres n’y ont que des parcelles. Grenfell constate que, parmi les όγδοηκοντάρουροι institués par Philométor, on n’en trouve pas un qui possède plus de 40 aroures, et, parmi les έκατοντάρουροι, pas un qui en ait plus de 50. Il y a là une première difficulté qui suggère plusieurs explications possibles : d’abord les changements introduits par les mutations et aliénations ; ensuite la composition même des lots, qui n’étaient pas tous d’un seul tenant et pouvaient être prélevés sur les terroirs de plusieurs villages. Il y avait même avantage à ce que les grandes propriétés comprissent des terres de situation et de qualité différentes[43]. Enfin, il semble bien que les titres eux-mêmes ne correspondaient pas toujours et nécessairement à l’importance réelle de la dotation ; ils étaient sans doute parfois conférés, comme des décorations, à des bénéficiers déjà pourvus d’un lot inférieur et qui, promus par là à une classe supérieure, appréciaient cet honneur même sans avantage pécuniaire immédiat[44].

On a pu remarquer que, dans la liste précitée, le titre générique des possesseurs de bénéfices, le titre de κληροΰχοι, a disparu. Cette disparition avait déjà été constatée ailleurs et on en avait conclu assez prématurément qu’il y avait eu, sous le règne d’Épiphane, une transformation du système antérieur[45]. Au lieu de concentrer dans des colonies militaires des miliciens qui avaient bien rarement l’occasion de porter les armes, Ptolémée Épiphane aurait disséminé dans tout le pays, par petites garnisons, les soldats de l’armée active, Macédoniens et mercenaires, chacun d’eux recevant, en guise de solde ou comme supplément de solde, un lot de terres qu’il conservait après avoir quitté le service actif. Les anciens κληροΰχοι, rayés des cadres de l’armée, seraient devenus de simples agriculteurs et auraient été remplacés par ces nouveaux μάχιμοι, qui auraient pris, en passant dans l’armée territoriale, le titre de κάτοικοι. Ainsi aurait été restauré, dans l’hypothèse, le régime militaire des Pharaons, au profit des étrangers : singulière façon de flatter l’amour-propre national, auquel on veut qu’Épiphane ait entendu faire des concessions.

Cette théorie introduit entre des termes de sens très voisins une différence qui n’est guère justifiée par la différence des conditions, car les κάτοικοι sont et font ce qu’étaient et faisaient les clérouques. D’autre part, si l’on admet que les κάτοικοι sont une catégorie spéciale de clérouques[46], une sorte d’aristocratie militaire, il est étonnant que l’on ait choisi, pour désigner l’espèce, un terme de sens plus large que le précédent, un mot qui signifie simplement habitant ou colon domicilié. Peut-être faut-il demander à la psychologie de lever ce scrupule. En tous pays, même les moins démocratiques, il y a une tendance à remplacer les appellations qui impliquent une dépendance ou une condition vulgaire par des termes plus relevés ou plus vagues, dans lesquels se déguise ou s’efface l’idée importune. Le terme technique de κληροΰχοι rappelait trop aux tenanciers qu’ils n’étaient pas propriétaires et qu’ils restaient étrangers : celui de κάτοικοι, sans changer leur condition, ménageait mieux leur susceptibilité[47]. En un temps où la politique des Lagides commençait à pousser à la fusion des races, il avait surtout l’avantage de faire disparaître le caractère étranger, inassimilable, du clérouque dès lors transformé en habitant[48]. En somme, on peut, tout en constatant que le titre de κληροΰχοι reparaît encore à l’état sporadique[49] au temps où prévaut celui de κάτοικοι, on peut, dis-je, admettre la synonymie des deux appellations, avec une nuance purement décorative du côté des κάτοικοι[50], et élaguer d’une question déjà assez complexe par elle-même les débats portant sur la différence des conditions sociale, économique, militaire, entre les anciens et les nouveaux tenanciers du domaine royal. La langue administrative a toujours appelé γή κληρουχική les tenures des uns et des autres[51].

Mais, en rendant au terme de κάτοικοι le sens général qu’il avait dans la langue courante, celui de colons transplantés  à demeure en pays étranger, on retombe dans les mêmes perplexités que nous avons déjà rencontrées à propos des φίλοι. On ne sait plus où faire commencer le système de colonisation défini plus haut par le terme juridique de clérouques, ceux-ci étant dès lors compris dans la catégorie indéfiniment extensible des κάτοικοι. Hérodote, Diodore, Josèphe, emploient les termes κατοικίζειν, κάτοικοι, κατοικοΰντες, κατοικία, en parlant des colons étrangers, Hellènes, Samaritains, Juifs, que Amasis, Alexandre le Grand, Ptolémée Soter installèrent en Égypte, et les mêmes expressions sont prodiguées à propos des nombreuses colonies fondées en Asie par Alexandre et les Séleucides. Enfin Polybe fait entrer des κάτοικοι. Thraces et Galates dans l’armée qui combattit à Raphia sous Philopator[52], et il ne s’est certainement pas douté qu’il commettait un anachronisme.

Il est donc prudent de ne pas vouloir serrer de trop près la question des origines et de n’exclure de la classe des clérouques ni les colons installés par Ptolémée Soter, ni ceux qui furent dotés à partir du règne d’Épiphane. Tous étaient des étrangers — ou indigènes assimilés — pourvus de terres ou de revenus équivalents aux frais de l’État, et cela suffit pour que leur condition sociale, à quelques détails près, soit identique. C’est cette condition maintenant qu’il s’agit de déterminer.

Un certain nombre d’entre eux, pourvus d’un κλήρος, ont de plus la jouissance d’un logement, qui ne leur appartient pas au même titre que le κλήρος, qui appartient même à un autre propriétaire, mais qu’ils ont droit d’occuper. Nous connaissons, par une série d’ordonnances contenues dans un papyrus péniblement déchiffré, un certain nombre de règles applicables à la quasi-propriété des σταθμοί[53]. Un propriétaire égyptien du nom de Phamès adresse une pétition au roi Ptolémée III Évergète et un mémoire aux chrématistes, à l’effet de faire déguerpir un certain Démétrios qui s’est installé de force chez lui, prétendant y avoir droit de σταθμός, et de faire payer une indemnité à l’intrus. Les six édits cités à l’appui de la cause sont tous de Ptolémée Philadelphe. Ils ont été rédigés au jour le jour, pour fixer la jurisprudence à mesure que se présentaient des cas litigieux dans la nouvelle colonie du Fayoum, et pour protéger l’habitant contre l’envahissement arbitraire des colons. Les deux plus anciens, de l’an X (276/5 a. C.), défendent, sous peine d’amende au Trésor, de faire argent du σταθμός, de le vendre, de l’hypothéquer ou d’emprunter sur ce gage, attendu que pris sur le domaine royal ou d’autre façon quelconque, les σταθμοί appartiennent au roi. L’année suivante, le roi fixe un point de droit en décidant le partage par moitié des locaux et dépendances entre le propriétaire et le locataire. En cas d’usurpation violente, l’intrus devra payer le loyer à raison de 30 dr. par mois pour la maison et 60 dr. pour les dépendances. Plus tard, le roi défend à celui qui est déjà pourvu d’un σταθμός d’en demander un autre, sous peine de se voir retirer celui qu’il occupe, et, en général, de s’emparer sans investiture régulière des locaux devenus vacants. Enfin, en l’an XXIV (262/1 a. C.), le roi déclare que les cavaliers dont les lots auront été repris par le Domaine, autrement dit, confisqués, perdront du même coup  leur σταθμός, à moins qu’il n’en soit autrement ordonné, par faveur spéciale et nominative. Le logement ne doit pas être séparé du κλήρος, mais ne se confond pas avec lui. Il a sa condition juridique particulière, en vertu de laquelle il est propriété privée non du garnisaire qui en a la jouissance, mais du σταθμοΰχος, et cependant propriété frappée d’une servitude et, comme telle, à la disposition du roi[54].

Il était assez difficile d’empêcher les clérouques de considérer leur lot comme une propriété, et plus encore de leur faire comprendre le caractère précaire de leur droit au logement. De leur côté, les propriétaires considéraient comme une lourde charge, et avec raison, l’obligation de loger des militaires. Aussi cherchaient-ils à y échapper par divers artifices. Un des plus originaux consistait à obstruer l’entrée de la maison en y adossant un autel, très probablement consacré au culte dynastique[55]. On s’en était avisé de bonne heure au Fayoum, et, de bonne heure aussi, l’administration s’était préoccupée de déjouer la ruse sans avoir l’air de faire fi de ce zèle religieux. En l’an VI de Ptolémée III Évergète (252/1 a. C.), au moment où l’œuvre de colonisation était en pleine activité, un inspecteur quelconque, Andronicos, adressait au stratège Aphthonétos, qui en accuse réception à la date du 9 Choiak (29 janv. 241 a. C.), le rapport suivant[56] :

Nous avons trouvé que, dans Crocodilopolis, les (occupants ?) des maisons précédemment réquisitionnées pour logements ont abattu les toitures avec l’assentiment (?) des propriétaires ; de plus, ils ont barricadé les portes des maisons en y adossant des autels, et ils ont fait tout cela pour n’avoir plus de logements à fournir. Si donc tu le trouves bon, comme nous sommes à court de logements, écris à Agénor de forcer les propriétaires des maisons à transporter les autels dans les appartements, en lieux très propices et très apparents, et de les y mieux reconstruire que les autels qui existaient auparavant, de façon que nous ayons des places à donner aux épistates des travaux qui viennent d’activer.

L’affaire suit la filière administrative : le stratège apostille le rapport et l’envoie à Agénor, chargé de faire une enquête et, si les faits sont vérifiés, de régler l’affaire en conformité avec les propositions d’Andronicos. Enfin, copie des pièces est adressée par Agénor à Théodore, un sous-agent qui opérera sur place. Ici, il paraît y avoir eu connivence entre les propriétaires et les colons déjà installés chez eux, les uns et les autres ayant intérêt à ne pas être encombrés de nouveaux arrivants.

La permission qui fut accordée aux έπίσταθμοι de disposer de leur pied-à-terre par testament, et même de le léguer à leur femme[57], — contrairement, je suppose, aux intentions de Philadelphe, — acheva d’embrouiller les idées et de compliquer la jurisprudence. Elle contribue aussi à rendre plus obscure aujourd’hui la destination des σταθμοί et le but visé par l’institution, un problème que les textes précités n’ont pas éclairci. Un logement qui se lègue n’est évidemment pas un logement assigné à des soldats ou des fonctionnaires de passage, genre de prestation bien connu par les plaintes des intéressés et dont il a été question à propos de la corvée[58]. On comprend que des colons expédiés au Fayoum pour y prendre possession de terres à peine conquises ou à conquérir sur le Lac aient pu être provisoirement logés, pendant les travaux de desséchement, chez les propriétaires de la région[59] ; mais on conçoit moins bien que ce provisoire se soit éternisé et soit devenu une institution régulière, équivalant presque à une expropriation des σταθμοΰχοι[60]. Aussi a-t-on cherché une raison aussi durable que l’institution. G. Schubart a cru la trouver dans l’organisation même de l’armée territoriale. Les clérouques pouvant être mobilisés et convoqués pour le service militaire en certains lieux bien déterminés, il fallait que des logements ou casernements leur fussent assignés à l’avance dans les centres de réunion ; et tel était le rôle du σταθμός, qui se transmettait, comme l’obligation militaire, de père en fils[61]. Dans l’hypothèse, le σταθμός aurait été un domicile inoccupé en temps de paix et, en somme, rarement utile à l’ayant droit. Tel n’est pas, ce semble, le caractère de cette quasi-propriété que l’on se dispute parfois avec acharnement. En tout cas, le but de l’institution eût été singulièrement méconnu lorsque le logement susdit était dévolu, par legs ou convention quelconque, à une femme qui l’occupait elle-même. On lit dans les papyrus de Berlin une pétition dans laquelle un familier du stratège demande, sur un ton assez rogue, qu’on fasse déguerpir de chez lui une femme qui prétend indûment avoir droit de prendre quartier dans sa maison[62]. Enfin, si le σταθμός est destiné à loger provisoirement le soldat en service, il est singulier qu’on en rencontre ailleurs que dans les villes, jusque dans de simples villages.

En rapprochant les deux conditions qui paraissent inhérentes au σταθμός, logement de militaire et logement occupé d’une façon permanente, j’en arrive à conclure qu’il doit avoir été assigné à des colons restés en service actif, décidés à ne point cultiver eux-mêmes leurs terres et logeant en ville, comme des propriétaires vivant de leur revenu. Ils étaient dispensés par là de bâtir un logement sur leur κλήρος, qu’ils ne possédaient qu’à titre précaire. Quant aux veuves qui continuent à occuper le σταθμός conjugal, il est possible qu’elles le conservent pour un fils soit mineur, soit détaché au loin dans l’armée active. C’est une conjecture que permet le silence des textes et qu’autorise, comme nous le verrons plus loin, la condition de la femme en droit égyptien, avant l’époque où se fit en jurisprudence le départ des nationalités. Cette solution n’est pas de tout point satisfaisante, il s’en faut : niais les autres me paraissent encore plus aventurées.

On a vu plus haut quels abus entraînaient les exigences des fonctionnaires de passage, logés et défrayés par les habitants. Le système des σταθμόί, permanents ou transitoires, étendu des soldats et femmes de soldats aux fonctionnaires en tournée, apparut bientôt comme la plus importune des prestations ; d’où réclamations et demandes de dispenses. Ce régime, imaginé autrefois pour hâter la colonisation du Fayoum, avait fait son temps. Évergète II, à la fin de son règne, le réforma sans l’abolir et en prépara la suppression totale. Il régla définitivement la question en déclarant dispensés de fournir des logements les Hellènes en service militaire, les prêtres, les cultivateurs de la terre royale, les..., tous les filateurs et tisseurs des manufactures, les éleveurs de porcs et d’oies, les..., les fabricants d’huile (d’olive ?) et de kiki, de miel, de bière, qui paient leur redevance au Trésor. Mais la dispense s’applique seulement à la maison que chacun d’eux occupe en personne ; pour les autres locaux utilisables, on n’en doit pas réquisitionner plus de la moitié[63].

Il est entendu que tous les bénéficiers, clérouques ou catœques, font partie de l’armée territoriale ; mais il y a divergence d’opinions sur la nature et la durée de leurs obligations militaires. Celles-ci étant la condition et la conséquence de la possession allouée par l’État, il s’agit de savoir si elles étaient inséparables de cette possession, de telle sorte que le clérouque-catœque fût lié au service militaire jusqu’à sa mort, et que son héritier présomptif, même adulte, restât jusque là en dehors des rôles de l’armée territoriale.

Il semble que l’intention de Philadelphe et de ses successeurs, en colonisant le Fayoum, a dû être tout d’abord d’assurer un établissement aux vétérans de leur armée et aux familles de ceux qui avaient succombé sur le champ de bataille. On rencontre, en effet, des όρφανοί parmi les clérouques du temps d’Évergète Ier[64]. Les vétérans n’étaient pas tous des vieillards : dans l’intérêt même de la colonisation, l’État dut allouer des terres à des hommes dans la force de l’âge et capables de fonder une famille[65]. On comprend très bien que ceux-ci, en cessant d’appartenir à l’armée active, aient été enrôlés dans l’armée territoriale ; mais on peut se demander si des clérouques de 70 ans et plus y étaient encore inscrits[66]. Il n’est pas non plus aisé de décider si les grades militaires et les numéros de régiments attribués à certains clérouques se rapportent à l’armée active dans laquelle ils ont servi avec ces grades, ou si nous avons affaire aux cadres de l’armée territoriale[67].

Les dissentiments entre érudits s’accentuent quand il s’agit de celte classe énigmatique de colons que les textes appellent individuellement τής έπιγονής ou έπιγονοι, et comme catégorie prise en bloc, l’έπιγονή[68]. Mahaffy avait d’abord pensé que ces nouveaux bénéficiers étaient un surcroît de colons installés au Fayoum par Évergète Ier lorsqu’il licencia son armée au retour de l’expédition d’Orient[69]. Mais c’est faire violence au sens usuel du mot épigone, qui ne petit s’appliquer qu’à des descendants de clérouques ou catœques[70]. Ceci admis, la première idée qui vient à l’esprit, l’interprétation la plus simple du titre en question et l’opinion commune aux érudits du siècle passé[71], est que tous les descendants des colons étrangers étaient dits épigones pour les distinguer des Macédoniens, Grecs, Thraces, etc., nés hors d’Égypte. C’est bien ainsi, ce semble, que l’entendaient les Égyptiens : on rencontre dans des documents démotiques des individus qualifiés Un tel, Grec né en Égypte (ouin nes en Keme)[72], et on ne peut guère douter que cette expression ne soit l’équivalent du grec τής έπιγονής. La lumière serait faite, s’il était certain que l’expression égyptienne fût complètement-adéquate à l’expression grecque. Mais il est possible qu’elle ne rende qu’une partie d’un sens plus complexe, en constatant seulement le fait matériel que tous les épigones sont nés en Égypte de parents étrangers. D’autre part, on se heurte à une double difficulté. Si l’on admet que tous les descendants d’étrangers s’appelaient épigones, il semble que leur nombre devrait aller croissant. Le fait se vérifie, en effet, — autant qu’on en peut juger, — pour les Perses dont il sera question tout à l’heure ; mais les épigones des autres races se font avec le temps de plus en plus rares. Enfin, le système obligerait à considérer comme des étrangers récemment immigrés tous les Macédoniens, Grecs et autres, qui n’ajoutent pas à leur ethnique τής έπιγονής c’est-à-dire la plupart des colons de race hellénique.

On a donc cherché si ces fils d’étrangers n’étaient pas dans une situation qui rendit nécessaire de les distinguer par l’épithète d’épigones, de les distinguer non pas des colons venus en personne de l’étranger, mais de leurs pères, clérouques ou catœques. Le propre du clérouque étant d’être obligé au service militaire en échange de son κλήρος, on a pensé que la condition des successeurs devait être différente. D’après P. Meyer, les fils de clérouques n’ont pas été soldats ; aucun d’eux ne porte une marque quelconque d’ordre militaire. Ils n’appartiennent pas non plus à l’έπίταγμα ou à une circonscription de landwehr. Ce sont bien des propriétaires fonciers de condition ordinaire, qui n’ont hérité en rien des fonctions militaires de leurs pères[73]. Ils conservent néanmoins la qualité d’étrangers et la nationalité de leurs pères : ceux surtout qui sont Macédoniens ou citoyens d’Alexandrie ou de Ptolémaïs ne manquent pas de le dire[74]. Comme les descendants des clérouques, ceux des κάτοικοι forment aussi une classe de propriétaires, dans laquelle sont parfois accueillis par adlection des individus nés en dehors d’elle, mais tous de condition bien différente. Comme les clérouques, et à plus forte raison, les catœques ont la pleine propriété de leurs lots ; mais ceux-ci sont constitués en majorats qui passent de plein droit au fils aîné. Ces aînés, les épigones, sont, comme leurs pères et du vivant de ceux-ci, enrôlés dans le cadres de l’armée territoriale, et ils reçoivent comme tels une solde, partie en argent, partie en nature ; mais, en fait, ils ne font aucun service actif. L’enrôlement parmi les έπιγονοι signifie une sinécure, un privilège qui est conféré en raison de la qualité de catœques[75]. L’armée active est composée de combattants étrangers, lesquels sont entretenus aussi, soit en Égypte, soit dans les possessions coloniales, par le système des κλήροι ; mais cette classe de soldats propriétaires fonciers est fort médiocrement pourvue, et on en voit qui en sont réduits à solliciter une avance de grains pour ensemencer leurs terres[76].

Voilà certes une organisation bizarre, dans laquelle il semble que tout soit calculé pour établir une proportion inverse entre les services rendus et les rémunérations. L’État s’est dépouillé de ses propriétés pour faire des propriétaires fonciers qu’il dispense de service effectif dès la seconde génération de clérouques, et il pousse la libéralité jusqu’à entretenir à ses frais les héritiers des campes, dispensés de fait, en attendant qu’ils entrent en jouissance de leur majorat. Il ne revient à ses instincts d’économie que pour rogner sur la subsistance des soldats de l’armée active, après avoir fait tout ce qu’il fallait pour n’avoir plus d’armée territoriale.

La thèse de Schubart[77] est mieux à l’abri de ces objections de sens commun. Le fait que des individus τής έπιγονής ne sont jamais dits attachés à un corps quelconque d’infanterie ou de cavalerie et ne font jamais mention d’un grade quelconque ne prouve pas qu’ils ne fussent pas inscrits sur les rôles de l’armée. On en peut conclure qu’ils y figuraient seulement comme substituts de leurs pères, du vivant de ceux-ci. Si, comme il est très probable, l’Esthladas qui est enrégimenté dans les troupes d’Évergète II combattant en Thébaïde les révoltés partisans de Cléopâtre II est bien le fils de l’hipparque Dryton[78], on peut bien le considérer comme remplaçant son père. Comme Esthladas adresse sa lettre à son père et à sa mère, il est évident que le père était resté à la maison. C’est la continuation de l’ancien système pharaonique. Les miliciens indigènes pourvus d’un lot devaient en retour le service militaire, sauf à se faire remplacer par un de leurs enfants, quand la vieillesse ou les infirmités arrivaient[79]. Cette substitution est conforme à l’ordre naturel et non moins à l’intérêt de l’État. A la mort de son père, l’épigone devenait clérouque en prenant possession du lot paternel et cessait d’appartenir à l'έπιγονή ; ou bien, s’il était encore mineur, il était classé, en attendant l’âge, parmi les όρφανοί, et son lot était grevé de certaines taxes spéciales, en remplacement des obligations militaires qu’il était encore incapable de remplir. En résumé, l’obligation du service militaire est et reste attachée théoriquement à la possession du κλήρος et tous les clérouques sont des miliciens ; mais, en pratique, ce sont les fils aînés. qui tiennent dans le rang la place des pères quand ils s’ont d’âge à les suppléer.

Ce système est rationnel, mais il laisse subsister bien des difficultés qui forceraient à le rejeter s’il était impossible de les tourner sans faire violence aux textes. Les papyrus de Gourob donnent de nombreux signalements de clérouques, dont les âges, exprimés en chiffres ronds, varient de 30 à 80 ans, et aussi d’individus τής έπιγονής qui paraissent bien âgés pour des fils de famille. On en rencontre plusieurs de 40 ans, et un de 60 ans[80]. Pour être rare, le cas d’un épigone resté héritier présomptif à soixante ans n’est pas inadmissible, d’autant que la précocité des mariages réduisait parfois à une quinzaine d’années la différence d’âge entre père et fils[81]. Une série de faits plus embarrassants à première vue, c’est que les épigones font figure de propriétaires ; qu’ils ont des maisons, des champs, cultivent, louent, vendent, achètent et disposent par testament de leur avoir, absolument comme les pères de famille. Ils sont même dits parfois, abusivement ou non, κληροΰχοι[82]. Nous verrons plus loin que ni le droit égyptien, ni même le droit grec ou gréco-égyptien sous le régime duquel vivent les clérouques, ne reconnaissait à la puissance paternelle l’autorité despotique et imprescriptible créée par le droit romain. Le Gréco-Égyptien τής έπιγονής pouvait parfaitement agir comme une personne sui juris, et il dut arriver souvent que le père cédait de son vivant à son fils ou ses fils non seulement ses obligations, mais encore ses droits. De là le grand nombre,  ou nombre relativement grand, de contrats passés par des colons τής έπιγονής. Ces coutumes égyptiennes, dont les étrangers ont nécessairement subi la contagion, permettent d’écarter une objection qu’on pourrait croire irréfutable. Elle est tirée du fait qu’un colon τής έπιγονής, Dionysios fils de Képhalas, est tuteur de sa mère[83] ; d’où il résulterait qu’un épigone reste dans l'έπιγονή après la mort de son père. Que le colon précité fût un Perse, peu importe, comme nous le verrons tout à l’heure. La question est de savoir si le père était réellement mort. Il faut noter qu’à l’époque ptolémaïque, le fils aîné κύριος remplit souvent ce rôle du vivant du père[84]. S’il peut être en pareil cas tuteur de ses frères, on ne voit pas pourquoi, le père abdiquant, il ne pourrait l’être aussi de sa mère délaissée ou répudiée.

Enfin, il faut compter aussi avec les inexactitudes d’expression et ne pas décerner à tous les rédacteurs d’actes, d’actes privés surtout, un brevet d’infaillibilité. Ptolémée fils de Glaucias était entré en religion du vivant de son père, et il avait pris l’habitude de se qualifier Μακεδών τής έπιγονής. Cette habitude, il l’a gardée, et il se dit τής έπιγονής dans la pétition même où, pour intéresser au sort de son frère le couple royal, il parle de la mort de leur père, survenue au temps des troubles suscités par la rivalité des deux Philométors, c’est-à-dire une douzaine d’années auparavant.

Mais il est une catégorie d’épigones qui n’est pas visée par les définitions précédentes, et qui cependant comprend la très grande majorité des individus connus pour être τής έπιγονής c’est celle des Πέρσαι ou Πέρσαι τής έπιγονής[85]. Celle-ci passe pour avoir constitué non pas la condition transitoire des héritiers présomptifs de clérouques ou de catœques, mais la, condition permanente et héréditaire d’une classe de militaires en service actif. Quand on songe aux souvenirs qu’avait laissés en Égypte la domination brutale des Perses, on est étonné que les Lagides aient introduit dans leur armée une légion étrangère, dont le nom semble choisir exprès pour lui conserver un caractère antipathique et l’isoler du reste de la population, alors qu’ils savaient si bien transformer en Macédoniens ou Hellènes des mercenaires venus de toutes les régions de l’Asie. Ce qui parait non moins singulier, c’est que ces Perses portent tous, ou presque tons, des noms grecs ou égyptiens, ou un nom grec et un surnom égyptien, et de même leurs femmes, les Περσΐναι[86]. Si les premiers Perses introduits dans le pays étaient réellement des Iraniens, leurs descendants n’avaient opposé aucune résistance à l’assimilation avec les autres races ; on ne voit pas pourquoi ils auraient indéfiniment conservé un ethnique qui rappelait aux Égyptiens et même aux Hellènes de fâcheux souvenirs, notamment celui des persécutions iconoclastes. On ne peut pas songer à faire de ces Perses un groupe à part, isolé, comme celui des Juifs, par l’antagonisme de religions incompatibles, car on rencontre deux prêtres Perses à nom égyptien incorporés au sacerdoce d’Aphrodite et de Souchos à Pathyris[87]. L’idée que les Perses formaient une légion ou plutôt une arme spéciale se heurte à bien des objections. Ces Perses, que l’on avait cru d’abord confinés en Thébaïde, dans le nome Latopolite, surtout dans l'άνω τοπαρχία τοΰ Παθυρίτου à Pathyris et à Crocodilopolis, dans la banlieue de Thèbes[88], comme une colonie de garnisaires tenant en respect une population hostile à la dynastie étrangère, on les retrouve dans le nome Hermopolite à Akoris (Tehneh), à El-Hibeh (Hipponon ?) dans le nome Héracléopolite[89], à Memphis[90], et en nombre au Fayoum, à la fin du règne d’Évergète II et de ses successeurs[91], là où leur présence est encore constatée à l’époque romaine. Sauf ce titre de Perses, ils ne se distinguent en rien des autres habitants ; ils cultivent la terre, passent des contrats, souvent pour emprunter du blé qu’ils rendront sur leur récolte. Ils sont propriétaires, locataires ou sous-locataires de κλήροί, voire cultivateurs royaux[92]. C’est le cas même de ceux qui sont dits expressément τής έπιγονής. Certains tenanciers, avec ou sans cette mention, paraissent être des militaires en service actif, classés dans la cavalerie des catœques, ou même dans la cavalerie des mercenaires, mais non point dans des corps spéciaux réservés aux Perses[93]. Pétron, fils de Théon, Perse est, dans la 5e hipparchie, le camarade du Macédonien Didymarque fils d’Apollonios[94]. Enfin, ce qui est tout à fait bizarre, un certain Théotime fils de Philéas, mentionné comme Perse τής έπιγονής, se retrouve douze ans plus tard classé comme Mysien dans la 4e hipparchie[95], où il aurait pu entrer — l’exemple de Pétron le prouve — en qualité de Perse. Il semble qu’il ait quitté une condition réputée inférieure pour passer dans les rangs des clérouques ou catœques de plus haute classe[96]. Les Perses du Fayoum, à en juger par quelques échantillons, ne jouissaient pas d’une excellente réputation. Un κάτοιχος τών πεζών d’Euhéméria prie la reine Cléopâtre et le roi Ptolémée Soter de faire rendre gorge au Perse de l’έπιγονή Théotime fils de Philéas, qui lui doit du blé[97], et ce même Théotime fils de Philéas, promu dans la cavalerie en qualité de Mysien et pourvu de 100 aroures à Théadelphie, ayant à se plaindre d’insultes et violences de la part de deux Perses de l’épigonie, déclare que l’un d’eux tout au moins, Dioclès, n’est pas de la meilleure société[98]. En tout cas, le fait montre que la qualification de Perse n’était pas indélébile, comme le serait un véritable ethnique, et l’on comprend de moins en moins, si ce titre n’était ni une constatation d’origine, ni un nom d’arme spéciale, qu’il se soit si obstinément conservé.

Avec de pareilles données, il n’est pas facile de résoudre le problème concernant l’origine et la condition de ces Perses nés en Égypte, assimilés à tous points de vue aux clérouques ou catœques gréco-égyptiens, sauf que, comme les mercenaires étrangers, ils gardent la marque d’une origine pour nous énigmatique.

C’est cependant à cette, patrie originelle qu’il faut recourir pour expliquer le nom des Perses d’Égypte. On ne peut se refuser à admettre que ces épigones étaient censés descendre de Perses qui étaient réellement de nationalité iranienne et qui avaient fait souche de sujets égyptiens. Il se peut même que ces premiers Perses aient été dès le début constitués en corps militaire, un corps composé soit de garnisaires persans restés en Égypte et passés au service d’Alexandre lors de la conquête du pays, soit de milices d’Épigones formées en Asie par Alexandre et envoyées par lui ou amenées par Ptolémée Soter en Égypte, soit encore de Perses déportés en Égypte par Ptolémée III Évergète lors de son expédition d’Orient. Ceux-ci, au cas où le corps eût été déjà constitué, ont dû lui fournir des recrues[99].

Comme l’armée active, sous les Lagides, fut toujours composée, en très grande majorité, de mercenaires dont les bandes conservaient le nom de leur pays d’origine[100], l’innovation, dans l’hypothèse, aurait consisté simplement à constituer avec les Perses immigrés, protégés et clients du roi, une milice permanente, assimilée par la suite à l’armée territoriale, mais reconnaissable à son étiquette spéciale. Ce nom de Perses, autrefois redouté, ne laissait pas d’en imposer encore aux indigènes, et on jugea à propos de le conserver, même lorsque les anciens cadres s’ouvrirent à des recrues qui n’étaient plus des descendants plus ou moins directs, mais des surnuméraires[101], comme ceux que mentionnent des papyrus du temps de Ptolémée Soter II[102]. Les Lagides inauguraient ainsi, ou plutôt continuaient un régime que les Romains pratiquèrent plus tard en grand, et, après eux, les nations modernes, tant qu’elles n’eurent pas d’armée nationale pouvant suffire à tous leurs besoins[103]. Seulement, nous ne voyons pas que les Ptolémées aient groupé ou continué à grouper les Perses dans des corps spéciaux. Sans doute, on rencontre des troupes de cavalerie dites à perpétuité de Thraces, Mysiens, Thessaliens, Perses ; mais le fait que nous avons rencontré un Perse et un Macédonien dans la même hipparchie et d’autres transferts montre bien la valeur de ces étiquettes. Ce qui était possible pour des corps de mercenaires ne l’était plus pour une armée sédentaire, composée de colons et prenant pour base de recrutement les circonscriptions régionales ; et, au surplus, le roi trouvait peut-être avantage à répartir ses Perses, ses hommes liges, parmi les miliciens d’esprit supposé plus indépendant. 

En somme, si l’on jette un coup d’œil d’ensemble sur les textes concernant l’armée territoriale, les clérouques, les catœques, les Perses et leur progéniture astreinte par hérédité au service militaire, on est tenté d’abaisser ou de supprimer les barrières artificielles que des érudits trop esclaves des mots ont édifié sur les plus légères variantes de la terminologie. J’ai déjà dit qu’il mo parait inutile de distinguer entre les individus qui sont dits τής έπιγονής et les έπίγονοι[104], et même d’insister sur la différence qu’on a cru remarquer entre κληροΰχοι et κάτοικοι. De même, il me semble impossible qu’il y ait eu entre les descendants ou héritiers des clérouques et catœques, tous désignés par les mêmes expressions, des différences de condition telles que les uns fussent dispensés du service, les autres stipendiés pour un service théorique. Enfin je ne vois pas pourquoi tous les Perses, même ceux qui sont simplement qualifiés Πέρσαι, seraient tous τής έπιγονής, de telle sorte que, pour eux, l’expression τής έπιγονής aurait changé de sens et désignerait non plus une condition transitoire, mais l’état permanent de toute une classe de miliciens[105]. Les Perses épigones devaient être, comme lés autres, des fils de Perses, ainsi appelés du vivant de leurs pères. La principale objection à faire à ce système, — objection déjà visée plus haut, mais plus valable encore pour les Perses, — à savoir, le grand nombre de Perses qualifiés τής έπιγονής qui tous auraient eu leur père vivant, repose sur une statistique dressée au hasard des découvertes. Elle n’est pas décisive en soi, et elle me parait moins grave que la violence faite à l’exégèse de l’expression τής έπιγονής, interprétée différemment suivant qu’il s’agit des Perses ou d’autres nationalités. Quant à la tradition qui aurait perpétué pour tous les Perses le titre d’έπίγονοι donné par Alexandre aux recrues barbares hellénisées, elle eût été, au regard des intentions du conquérant, un véritable contre-sens. Alexandre n’appelait ainsi que la nouvelle génération actuellement présente, les jeunes gens qu’il exerçait à la tactique macédonienne et qui étaient alors, au sens propre du mot, des épigones. Mais il n’entendait certainement pas, lui dont l’idéal était la fusion des races en un tout homogène, il n’entendait pas maintenir à perpétuité une appellation qui, jointe au nom ethnique, aurait constamment rappelé l’origine étrangère d’éléments rendus par là réfractaires à la fusion. Sans doute, les Lagides avaient une politique toute différente et trouvaient avantage à semer au milieu de la population égyptienne des groupes hétérogènes dotés par le roi et attachés à la dynastie par leur intérêt ; mais ils n’avaient pas besoin pour cela d’ajouter aux noms ethniques la qualification τής έπιγονής, qui eût plutôt affaibli la marque d’origine imprimée par l’ethnique. L’emploi de cette expression est, au contraire, justifié, si elle servait à distinguer les fils des colons, de préférence l’aîné, héritier présomptif de leur dotation[106].

En ce qui concerne le service militaire des épigones, le bon sens, à défaut de documents, suggère une solution plausible. En tout pays, le service militaire, pratiquement, incombe tout d’abord aux jeunes gens ; les hommes mûrs n’y sont soumis qu’en cas de nécessité et les vieillards en sont dispensés. Il est donc infiniment probable que les épigones, fils vinés des clérouques, catœques ou Perses, dès qu’ils étaient en âge, étaient substitués à leurs pères, et dispensaient effectivement ceux-ci, passés dès lors à l’état de vétérans. Comme ils n’avaient pas encore légalement la jouissance du κλήρος paternel, ils touchaient une solde quand ils étaient enrôlés dans le service actif. Apollonios, le frère de Ptolémée fils de Glaucias, étant substitué au reclus du Sérapéum, touche par mois, tant en blé qu’en argent, environ 450 dr.[107] De même, le Perse Hermias, classé parmi les fils, c’est-à-dire un épigone, fait partie des cavaliers à solde stationnés dans le bourg de Cléopatra[108]. Si les épigones n’étaient pas tous enrôlés dans le service actif, à plus forte raison les clérouques et catœques. C’est ainsi que nous rencontrons des bénéficiers à 80 ou même 100 aroures qui, arrivés à l’âge mûr, n’ont pas encore été sous les ordres d’un hipparque[109]. Ce sont des civils, et l’État ne demande probablement à ces soi-disant militaires que d’entretenir à leurs frais un cheval de guerre, lequel pourra être requis et utilisé par un cavalier véritable, un cavalier à solde. L’exemple de l’Apollonios précité montre que, à l’époque tout au moins, ni les épigones, ni les catœques — Ptolémée l’était devenu par la mort de son père — n’étaient réellement obligés au service actif, demandé ici comme une faveur. Enfin, le comble de l’incohérence, le fait sur lequel P. Meyer fonde  ses théories, c’est que le service soldé lui-même fut pour Apollonios une sinécure. Nous le retrouvons, deux ans plus tard, reclus au Sérapéum[110], où son frère l’avait amené enfant et d’où il n’était peut-être jamais sorti.

Rien ne fait mieux saisir le caractère artificiel de cette armée sédentaire, qui n’existait que sur le papier et n’intéressait que l’administration des finances. Les Lagides avaient utilisé de vieilles coutumes pharaoniques pour avoir un prétexte à doter les colons et vétérans de race étrangère dont les fils leur fourniraient au besoin des soldats ; mais il semble bien qu’ils n’ont jamais compté que sur les recrues ou engagés volontaires triés dans cette population. Les Romains après eux ont laissé debout cette façade, avec les mêmes étiquettes, catœques et épigones, et pour le même usage. Cependant, les cadres des milices territoriales avaient une certaine valeur pratique, en ce sens que le ‘recrutement pour le service actif y était régional. La faveur que demandait le reclus Ptolémée pour son frère, ce n’était pas seulement une solde, c’était de le garder auprès de lui, comme inscrit pour la forme dans la garnison de Memphis, et non pas à Héracléopolis, où était le bien de la famille. Il est au moins probable que les membres des familles de bénéficiers, au cas où ils étaient enrôlés, devaient le service militaire . dans la région où ils avaient leur domicile légal et qu’il fallait une autorisation spéciale pour qu’ils pussent changer de corps. Les exceptions et dispenses qui compliquent le cas d’Apollonios ont dû allonger pour lui la série des formalités à remplir, formalités dont il nous a laissé lui-même, comme nous le verrons ci-après, une énumération humoristique.

 

§ III. — L’ORGANISATION ET LE COMMANDEMENT.

Si nous n’avons sur les catégories d’habitants soumis au service militaire que des renseignements incertains et incomplets, nous sommes moins encore en état de préciser l’organisation du commandement dans l’armée territoriale et d’y faire la part du service actif. Nous savons vaguement que les colons de race étrangère étaient inscrits sur les rôles de corps numérotés : hipparchies subdivisées en iles pour la cavalerie ; chiliarchies subdivisées en λόχοι pour l’infanterie ; les régiments de l’une et de l’autre arme étant peut-être désignés sous le nom commun d’ήγεμονίαι[111]. D’après le dernier éditeur des papyrus de Gourob[112], les cinq hipparchies numérotées étaient probablement composées de cavaliers à 100 aroures, de nationalités diverses ; puis venaient quatre hipparchies de cavaliers à 80 aroures, dénommées Thraces, Mysiens, Thessaliens, Perses. A la suite, les μισθοφόροι κληροΰχοι, et, sur le tard, des cavaliers égyptiens à 30 aroures. L’infanterie était organisée de même, les fantassins à 30 aroures étant répartis dans les chiliarchies numérotées, les simples Avent indigènes à 7 aroures formant des bataillons ou régiments plébéiens, sorte de garde nationale.

On peut tenir pour certain que les Lagides ont importé en Égypte, sauf modifications de détail, les règlements faits pour l’armée d’Alexandre et partout imités. Nous n’avons aucune indication sur l’effectif, probablement très variable, de ces unités tactiques, ni sur le recrutement, qui, pour l’armée sédentaire, ne pouvait être que régional[113]. Les papyrus nous fournissent des noms d’officiers avec mention du grade. Abstraction faite du titre de στρατηγός, qui résume tous les pouvoirs délégués par le gouvernement central, et celui d’ήγεμών, qui a un sens encore trop large pour s’appliquer à un grade spécifié[114], nous rencontrons, dans l’ordre descendant, les grades d’ίππάρχης (ίππαρχος) ou ίππάρχης έπ' άνδρών[115], d’ίλάρχης et έπιλάρχης[116] ou έπίλαρχος, d’ούραγός, de δεκανός ou δεκανικός[117] pour la cavalerie ; de χιλίαρχος, de πεντακοσίαρχος, de λοχαγός et έπιλόχαγος, d’έκατοντάρχης ou έκατόνταρχος et de πεντηκόνταρχος pour l’infanterie. A défaut de la mention du grade, la contenance du lot est un indice qui peut jusqu’à un certain point la remplacer, la dotation s’accroissant avec l’avancement. Les manuscrits mentionnent aussi parfois des, noms de chefs de corps qui sont devenus éponymes des corps susdits, soit qu’ils les commandent actuellement, soit qu’ils aient présidé à l’installation des groupes de colons dont se compose leur effectif. C’est ainsi que les colons d’Akoris se partageaient en deux ήγεμονίαι, celle dite d’Artémidore et celle d’Asclépiade[118]. A Kerkéosiris dans le Fayoum ; il est question de la λααρχία de Choménis[119], et l’on voit que le corps a été formé par ce personnage avec des μάχιμοι égyptiens à 7 aroures, dont certains ont été versés par lui dans la cavalerie indigène annexée au régiment et sont devenus de ce fait des τριακοντάρουροι[120].

Pour les colons aussi, il y avait honneur et profit à passer de l’infanterie dans la cavalerie, les κάτοικοι ίππεΐς étant généralement pourvus d’une dotation de 100 aroures. Ces promotions sont parfois datées et désignées par le nom du fonctionnaire, officier ou intendant répartiteur, qui a conféré l’avancement. Nous savons ainsi qu’en l’an XXXI d’Évergète II (140/39 a. C.), des colons du Fayoum ont été admis dans les rangs des cavaliers catœques par Dionysios[121] ; que, six ans plus tard, les Κριτώνειοι ont été incorporés de même par Criton[122] ; que des clérouques à 30 aroures, du corps de Phyleus, ont passé dans la κατοικία[123] ; ce qui était un avancement même pour des έφοδοι ou agents de police, déjà mieux dotés que le commun des colons.

L’absence de grade suffisait à distinguer les soldats des officiers, et l’on n’apercevait pas jusqu’ici, entre soldats de même arme, d’autre distinction que la contenance variable de leurs lots. Cependant, il y avait peut-être, à l’origine du moins, parmi les non gradés, des catégories ou classes personnelles, indépendantes du montant de la dotation. On rencontre au IIIe siècle, dans les papyrus de Hibeh, quantité de militaires — reconnus tels à la désignation de leur régiment ou ban de colons[124] — qui sont qualifiés particuliers ; et cela, par opposition non pas aux titres d’officiers, mais, ce semble, à une classe supérieure de premiers soldats. Il y aurait donc eu aussi un avancement dans les rangs inférieurs de la milice. Je dois dire que la conclusion ne s’impose pas, et que ces particuliers pourraient bien être des colons sortis de tel régiment de l’armée active ou installés dans leur lot comme vétérans par un œkiste désigné, et menant désormais la vie de simples particuliers. Plus tard, clérouques et catœques étant dispensés du service militaire, pair lequel les épigones leur étaient substitués, la mention ίδιώτης put paraître superflue et cessa d’être en usage.

Pour dresser et tenir au courant le rôle de ces milices, il ne manquait pas de scribes et administrateurs de toute sorte, les uns préposés, ce semble, à toute une circonscription ou chefs des bureaux militaires d’Alexandrie avec le titre de γραμματεΐς τών δυναμέων[125], les autres chargés d’enregistrer les effectifs des diverses espèces de corps. Tels sont les γραμματεΐς τών κληρούχων[126], τών κατοίκων ίππέων[127], τών έπιγόνων[128], τών μαχίμων[129]. Ces greffiers sont des intendants, ayant pour principal office de répartir les soldes ou rations et les allocations de terres, et, comme tels, ils sont. rattachés à l’administration des finances. Lorsqu’il y avait lieu de pourvoir ou de promouvoir en même temps un certain nombre de postulants, les opérations cadastrales et autres formalités devaient être surveillées par des commissaires nommés à cet effet. Ce sont vraisemblablement ces délégués spéciaux qui sont mentionnés à plusieurs reprises sous le titre de οί γενόμενοι πρός τήι συντάξει τών κατοίκων ίππέων[130], et dont le nom reste attaché à la promotion. Dans les corps de l’armée active, des appariteurs de régiment sous les ordres d’un άρχυπηρέτης, étaient chargés de distribuer les soldes et rations[131].

La solde composite des troupes en service actif paraît avoir été assez minime : du moins, on la juge telle par une comparaison insuffisante entre des fragments de comptabilité militaire provenant de la Thébaïde, au temps d’Évergète II, et l’unique exemple que nous ayons d’une solde d’épigone, celle allouée par faveur spéciale à l’Apollonios déjà cité, pour service fictif dans la garnison de Memphis au temps de Philométor. De la correspondance administrative donnant les sommes prévues pour l’entretien des cavaliers mercenaires à Thèbes, durant un semestre de l’an XXXVII et l’année XL, il résulte que la dépense totale, pour όψώνιον, σιτώνια et ίπποτροφικόν, n’excédait pas 1 talent 978 dr. 2 ob. par mois. Mais nous ne connaissons pas le nombre de soldats prévu dans ce budget, et le chiffre proportionnellement infime de l’ίπποτροφικόν (50 dr.) ne permet que des conjectures. Il n’est pas sûr que tous les cavaliers eussent des chevaux. En tout cas, l’intendance a la main plus large pour le personnage ayant rang de diadoque, Apollonios fils d’Hellen, que l’on fait venir de Ptolémaïs, sans doute pour commander ce détachement transféré d’Hermonthis à Thèbes. Cet officier pourra même faire toucher sa solde par son ordonnance.

Les formalités. de précaution ne sont pas oubliées. La demande de l’intendant ou greffier des cavaliers mercenaires à Diospolis la Grande est transmise aux autres bureaux en copies annexées aux communications. Le mandat ne doit être présenté à la banque que sous forme de bordereau décomposé en articles spéciaux, et la signature de l’ύπηρέτης chargé de le toucher doit être légalisée par le topogrammate de la région[132]. Mais c’est sous l’amas des paperasses que se dissimulent le mieux les responsabilités personnelles. Une comptabilité régulière n’empêche pas tous les genres de fraude. Un fait connexe, de même date et même lieu, nous inspire une médiocre confiance en l’efficacité de tous ces contrôles. Un officier supérieur, qui doit être le sous-stratège, Prœtos, a été informé qu’un certain Conon s’est permis de faire admission au tableau régimentaire de quelques recrues sans son autorisation, et cela, contrairement aux instructions (du stratège ?), qui exigent en pareil cas l’approbation du sous-stratège. Ces recrues étaient-elles peut-être des prête-nom, des hommes de paille dont l’émargement profiterait à Conon et autres ? Prœtos ne le pense pas, car dans sa circulaire aux ταγματικοί ύπηρέται, en date du 29 Méchir an XL (22 mars 130 a. C.), il se borne à les aviser du cas et le prend avec eux sur un ton très doux : Vous ferez bien, pour le moment, de surseoir (au paiement) jusqu’à ce que Hermias (le banquier ?) ait donné réponse sur l’affaire, de façon que tout soit administré avec tout le scrupule possible, conformément au zèle que déploie le stratège[133]. Nous n’avons pas le droit d’être plus défiants que l’honorable Prœtos, et nous ne saurions même dire si Conon était un hypérète ou quelque autre officier d’administration ; mais, évidemment, c’était là une irrégularité que des subalternes pouvaient commettre à dessein.

Le recrutement et l’entretien des chevaux pour la cavalerie devait nécessiter aussi nombre d’inspections et d’écritures. Nous avons déjà rencontré, à propos du φόρος ϊππων et de l’άνιππία, des indications très vagues sur les obligations qui incombaient de ce chef aux cavaliers de l’armée territoriale. On peut se demander si cette cavalerie n’était pas devenue une sorte de chevalerie honorifique, qui s’était débarrassée de l’obligation d’entretenir des chevaux moyennant le paiement d’une taxe. Mais la cavalerie de l’armée active, composée de mercenaires, existait réellement, et le soin de l’équiper incombait à l’administration. Nous avons, du temps de Philadelphe, des circulaires concernant les haras, qui nous font connaître des inspecteurs des chevaux ayant pouvoir de sévir au cas où les animaux seraient mal nourris[134], et des vétérinaires, défrayés au moyen d’une taxe spéciale, analogue à celle que nous avons rencontrée plus haut pour l’entretien des médecins. Un de ces documents nous donne un recensement de chevaux fournis aux mercenaires, avec indication du sexe et de la robe de l’animal. Un fonctionnaire de Ptolémée III, par avis en date de Payni an XIX (juillet-août 228 a. C.), ordonne au banquier Clitarque de porter comme fournie pour l’entretien des haras une somme de 1000 dr., et il ajoute cette recommandation qui donne à penser : ne fais pas autrement[135]. C’est à peu près tout ce que nous savons sur le service de la remonte. Ajoutons que si l’État fournissait aux cavaliers mercenaires leur monture, les officiers de l’armée active et les miliciens de la territoriale paraissent avoir été propriétaires de leur cheval de guerre et de leurs armes. Denys d’Héraclée laisse à son fils son σταθμός reçu du Trésor, son cheval et ses armes[136] : Démétrios fils de Dinon lègue sa cuirasse et son ceinturon[137].

A titre de curiosité, jetons un coup-d’œil sur l’amas de paperasses du côté de l’administration, la série de démarches du côté de l’intéressé, que nécessita en l’an 158/7 a. Chr. l’enrôlement d’Apollonios, frère de Ptolémée fils de Glaucias, dans le bataillon de Dexilaos de Memphis. Celte faveur est demandée par une pétition au roi Ptolémée Philométor, signée du reclus Ptolémée, en date du 2 Thoth (3 octobre 158). Le saint homme, cloîtré depuis quinze ans au Sérapéum, où il est entré du vivant de son père, parle le langage mielleux qui convient à son état. Il veut maintenant pourvoir son frère orphelin, afin d’être lui-même en état d’accomplir les sacrifices pour vous et vos enfants, pour que vous régniez en tout temps sur toute la terre qu’éclaire le soleil. La chancellerie royale émet un avis favorable le 26 Choiak (24 janv. 157). Dès lors, dei copies de la pétition et des rapports circulent à travers les bureaux, se chargeant à chaque étape de copies des lettres de transmission : ordre au commandant Démétrios d’enrôler le conscrit ; rapport du commandant sur le taux usuel de la solde qu’il convient de lui allouer ; ordre d’inscrire la dite solde à la comptabilité, etc., toutes formalités composant un dossier remis, grâce à la diligence de l’intéressé, le 25 Tybi (23 février 157). Voici comment Apollonios expose la série de ses démarches :

L’an XXIV, au mois de Thoth, je présentai au roi et à la reine une pétition ; je la reçus d’eux et la portai munie du sceau à Démétrios ; de chez Démétrios, je l’ai portée à Ariston et l’ai communiquée pour la comptabilité au greffier Dioscouride, à Chérémon, de Chérémon à Apollodore, qui y inscrivit l’allocation en date du [.....]  Ensuite, j’ai reçu pour cette concession deux ordonnances, une pour Démétrios, une pour Dioscouride ; après quoi, de Démétrios, archisomatophylaque et grenier des troupes, j’ai reçu quatre lettres, une pour le stratège Posidonios, une pour l’archihypérète Ammonios, une pour le greffier Callistrate et une pour le diœcète Dioscouride, du grade des  amis u. Le diœcète reçut l’ordonnance et la lettre qui lui fut donnée à lire ; sur quoi, je portai l’ordonnance à Ptolémée l’hypomnématographe et la lettre à Épimène, et je la communiquai à Isidore le volontaire, de lui à Philoxène, de lui à Artémon, de lui à Lycos, qui y mit une estampille ; après quoi, je la portai à la chambre des comptes chez Sarapion et de lui à Eubios, de lui à Dorion, qui y mit une estampille, et je la retournai de nouveau à Sarapion et à Eubios, lequel écrivit à Nicanor. La pièce fut donnée à lire an diœcète, et je la portai à Épimène et la communiquai à Sarapion qui écrivit à Nicanor, plus deux lettres, une à Dorion l’épimélète et une à Posidonios stratège du nome Memphite[138].

On voudrait croire qui Apollonios se venge de ses tracas par des plaisanteries ou que les bureaux ont mystifié le solliciteur ; mais des gens sérieux assurent qu’on trouverait dans les règlements élaborés par la bureaucratie moderne des filières aussi tortueuses.

 

§ IV. — LA POLICE.

A côté de l’armée territoriale proprement dite, soumise éventuellement au service militaire, existe une gendarmerie, dont le personnel fournit un service actif, rétribué, de la même façon, par solde ou allocation de terres.

Les papyrus du Fayoum ont ajouté un certain nombre de renseignements à ceux que nous possédions déjà sur ces gardiens chargés de la policé intérieure[139]. Nous avons rencontré dans le bourg de Kerkéosiris neuf de ces agents, dont 3 φυλακΐται proprement dits, 3 έρημοφύλακες, 2 έφοδοι et 1 χερσέφιππος. Le bourg de Magdola avait 10 φυλακΐται, appointés comme ceux de Kerkéosiris à 10 aroures. A en juger par la valeur de leurs dotations, les agents susdits occupent un rang intermédiaire entre les μάχιμοι égyptiens et les κάτοικοι, et, parmi eux, la hiérarchie va en montant des simples gardes aux έφοδοι et au χερσέφιππος. Pour eux, l’avancement consiste à passer dans la classe des κάτοικοι ίππεΐς, cavalerie ou chevalerie de l’armée territoriale[140].

Un χερσέφιππο ne peut être qu’un garde à cheval chargé de surveiller le désert, les terres incultes qui environnaient le terroir et où pouvaient se réfugier des maraudeurs. Nous n’avons pas sur son office d’autre indication que l’étymologie de son titre. Comme cavalier et τριακοντάρουρος, il devait être le supérieur des έρημοφύλακες à 10 aroures, que l’on peut considérer comme ses auxiliaires. Les έφοδοι, qui sont mentionnés aussi dans le papyrus des Revenus et sous le titre d'άρχέφοδοι à l’époque romaine, paraissent avoir été des commissaires de police ou inspecteurs commis à la surveillance des fermiers et collecteurs de taxes et chargés, au besoin, d’arrêter les délinquants. Philadelphe leur alloue une indemnité de 400 drachmes par mois et par tête, sans doute aux frais des fermiers[141]. Ils ont pu aussi être chargés accessoirement de surveiller les digues au cours de leurs tournées[142]. Ces tournées devaient s’étendre bien au-delà du terroir, sur lequel ils avaient leur domicile, car il est question d’un Macédonien, Asclépiade, qui fait partie des éphodes divisionnaires[143].

Les έφοδοι de Kerkéosiris ne sont pas largement rentés ; mais ils pouvaient avoir des propriétés sur d’autres terroirs et des frais de tournée[144]. Nous savons, en tout cas, que ces places n’étaient pas dédaignées par les Macédoniens et que la carrière pouvait conduire au rang de κάτοικος.

Les φυλακΐται ou gardes sédentaires sont de condition plus modeste. La plupart étaient des Égyptiens ; mais leurs officiers étaient généralement des Grecs. La gendarmerie, dans chaque village, au moins dans les bourgades importantes, était sous les ordres d’un brigadier dont le supérieur immédiat était l’archiphylacite de la toparchie, et toutes les brigades d’un nome avaient pour commandant en chef un έπιστάτης τών φυλακιτών[145]. Les gendarmes et leurs officiers sont assermentés ; ils ont prêté par écrit l'όρκος βασιλικός[146]. La surveillance du terroir, l’arrestation des malfaiteurs, fraudeurs et malandrins de toute sorte, était évidemment un des devoirs des phylacites. Pour mieux dire, ce sont des gens à tout faire, depuis la besogne de nos gardes champêtres jusqu’à celle de nos commissaires de police. Les papyrus contiennent quantité de dénonciations et pétitions adressées soit directement à un archiphylacite, soit à un autre fonctionnaire qui avertit la brigade, et de rapports sur les opérations de police. C’est ainsi que des gens qui ont perdu la nuit (c’est-à-dire à qui on a volé) des moutons et des chèvres, s’adressent au garde du village, en indiquant la valeur des animaux[147] ; qu’un correspondant inconnu signale à celui qui fait fonction d’archiphylacite à Kerkéosiris la plainte d’un habitant de Tebtynis molesté par un certain Onnophris[148]. Les individus qui avaient maille à partir avec la police n’étaient généralement pas d’humeur facile. Il leur arrivait de rosser les gendarmes, comme aussi aux gendarmes d’être négligents ou indulgents pour des raisons . inavouables. Il y a là une mine à exploiter pour l’histoire des mœurs égyptiennes. C’est un sujet qui dépasse les limites de mon cadre, et je me contenterai d’y faire quelques emprunts discrets plus loin, en parlant de la répression des crimes et délits.

Un papyrus souvent commenté contient la plainte adressée à un haut fonctionnaire, D(ionysi)os, qui cumule les fonctions d’hipparque έπ' άνδρών et d’archiphylacite de Péri-Thèbes, par un malheureux conservateur des tombeaux dont les clients défunts ont été dépouillés par des voleurs et quelques-uns mangés par les loups. Le choachyte Osoroéris, plaignant, demande que deux personnes présumées coupables ou responsables soient citées devant le commandant, lequel prendra la décision convenable[149].

Le fonctionnaire précité, dignitaire du grade des amis, n’est pas un simple commandant de gendarmerie, et il ne faudrait pas conclure de cet exemple que les archiphylacites eussent une juridiction correctionnelle[150]. Un pétitionnaire entre autres indique la voie normale en demandant que ceux qui l’ont volé soient conduits au stratège[151]. Mais les brigadiers avaient, en revanche, quantité d’attributions qui faisaient d’eux et de leurs subordonnés des agents très actifs de l’administration des finances. Ils doivent prêter main forte à tous les actes de l’autorité[152], protéger les fonctionnaires chargés des recouvrements contre les contribuables et, à l’occasion, ceux-ci contre les fonctionnaires : ils sont les auxiliaires et parfois les suppléants de l’économe[153]. Dans un pays où le gouvernement ne voit dans ses sujets que des contribuables, on ne s’étonne pas de voir employer la gendarmerie à procurer la rentrée de l’impôt. C’était très probablement un phylacite de village que ce Ptolémée que ses supérieurs chargent tantôt de percevoir des taxes diverses[154] et d’acheter à prix fixe des tissus de Syrie[155], tantôt d’exécuter des mandats d’amener[156], sans compter nombre de petites commissions d’ordre privé[157]. Les phylacites ont notamment le devoir d’inspecter les récoltes sur le domaine royal et sans doute d’estimer sur place la rente à payer au Trésor. Qu’ils se soient parfois entendus avec les cultivateurs au détriment du fisc ou aient gardé par devers eux l’argent des recouvrements, c’est ce que n’ignorait pas Évergète II amnistiant les phylacites de la campagne pour les faux rapports faits à l’occasion des inspections royales et des récoltes négligées, et pour les sommes perçues par eux pour dettes et autres causes et perdues (pour le fisc ?) jusqu’à l’an L[158]. Enfin, les magistrats et hauts fonctionnaires ont encore sous la main des appariteurs et des licteurs à insignes divers qui assurent le respect de leur autorité et peuvent être détachés pour suppléer ou doubler la gendarmerie[159].

A côté de la gendarmerie proprement dite, des gardes de toute sorte pouvaient être chargés, peut-être temporairement, de surveillances particulières. Tels étaient, par exemple, les gardiens des récoltes que l’Intendant des Revenus nommait sur des listes de personnes honorables présentées par des agents de la police locale[160]. On rencontre des postes de φυλακΐται et de φύλακες dans les temples où affluaient les pèlerins, notamment dans le Sérapéum de Memphis, où le poste est commandé. par un άρχιφυακίτης[161].

 

§ V. — LA MARINE.

Nous ne nous sommes occupés jusqu’ici que de l’armée de terre et des services annexes. Il resterait à écrire sur la marine égyptienne, qui a joué un rôle si considérable au temps de Philadelphe et d’Évergète Ier, un chapitre pour lequel les informations nous manquent presque complètement. Les textes d’auteurs ne parlent guère que des constructions navales passées à l’état de curiosités par leurs proportions extravagantes ou de quelques détails de technique ou de manœuvre. Ce qui a été dit plus haut des φυλακίδες et des ναυκληρομάχιμοι et le texte de la Pierre de Rosette sur la presse des matelots (lig. 17), — dont sont dispensés les esclaves et les cultivateurs au service des temples, — contient à peu près tout ce que nous savons sur le recrutement et l’organisation de la marine égyptienne. Nous en sommes réduits à lui appliquer les renseignements que nous possédons sur la marine des Grecs et des Romains, étant d’ailleurs assurés que, soit pour le matériel, soit pour la composition des équipages et le commandement, les flottes ptolémaïques n’en différaient par aucun caractère essentiel[162] Il va sans dire qu’une marine qui, au temps de Ptolémée Philadelphe, avait, dit-on, plus de 4.000 navires expédiés dans les îles et autres villes soumises au roi ainsi qu’en Libye[163] suppose des arsenaux pour la construction, réparation et abri des navires. Les descriptions d’Alexandrie mentionnent les νεώρια et ναυπήγια de la capitale, et il est presque inutile d’ajouter que l’έπίνειον de Cyrène[164] devait avoir aussi ses arsenaux depuis le temps des Battides.

Nous ne sommes pas beaucoup mieux renseignés sur ce que j’appellerai la marine marchande de l’État, composée de bateaux ou appartenant à l’État ou requis par lui et affrétés pour son compte. Il en a été question incidemment plus haut, à propos du fret de bateau et des taxes prélevées sur les transports par eau. Nous avons vu que les denrées représentant l’impôt en nature devaient être convoyées aux magasins royaux par les contribuables ; mais la manutention et répartition de ces denrées, leur transport aux lieux de consommation ou de vente, incombaient évidemment à l’administration. Pour les transports, l’État ne pouvait compter uniquement sur les réquisitions de bateaux appartenant à des particuliers ; il eût risqué de se trouver pris au dépourvu en certains cas pressants et d’employer des embarcations mal aménagées pour cet office ou en mauvais état. Il avait donc ses bateaux et ses pilotes à lui, sans doute en quantité suffisante pour le service ordinaire, de façon à ne recourir aux affrètements qu’en cas d’urgence. En l’an XXI de Philadelphe, le Thoth (28 oct. 265 a. C.), un chef de service donne ordre de transporter à Alexandrie, par bateau royal marchant à la gaffe[165], du blé provenant de κλήροι repris par le Domaine dans le nome Héracléopolite. Xanthos à Euphranor, salut. Ordonne que soit mesuré par Killès à Horos, pour [être embarqué sur] le κοντωτός royal dont Horos est le pilote, le blé recouvré sur le lot d’Alexandre et Bromenos, et (celui) de Nicostrate et Pausanias. Que Killès ou le patron du bateau vous rédige une quittance et mette sous pli cacheté un échantillon que vous apporterez[166].

Une pièce un peu plus récente, en date protocolaire du 24 Mésori an XXXIV (13 oct. 251 a. C.), vise le cas d’un bateau à marche rapide affrété par les autorités du nome. Le patron donne reçu du chargement. Le patron Denys reconnaît avoir embarqué, sur l’aviso de Xénodocos et Alexandre, dont le pilote est Ecteuris fils de Pasis, Memphite, par ordre de Nechthembès agent des basilicogrammates, à destination du grenier royal d’Alexandrie, avec échantillon, 4.800 artabes d’orge, grain pur, non fraudé et criblé, à la mesure et au rouleau qu’il a lui-même apportés d’Alexandrie, de mesurage exact, et je ne fais aucune réclamation[167].

La navigation sur le Nil n’était pas aussi sûre qu’on pourrait le croire. La même année et dans la même région, un patron responsable d’un chargement d’étoffes syriennes, provenant sans doute des manufactures royales, a éprouvé un accident et il s’en excuse de son mieux. Ayant donc embarqué peut-être d’autres marchandises et pris les tissus en surcharge, — le document mutilé prête ici aux conjectures, — il explique ainsi le naufrage : je naviguai avec tout cela jusqu’au canal qui longe le havre d’Aphroditopolis (Atfieh) ; mais, le vent s’étant levé et les étoffes syriennes étant (empilées) sur la cabine, il arriva que la paroi droite du bateau céda et que le bateau sombra pour cette raison. Je jure le roi Ptolémée et Arsinoé Philadelphe, dieux Adelphes, et les dieux Soters leurs parents, que ce qui est écrit ci-dessus est la vérité[168].

Le gouvernement avait surtout besoin d’assurer, par ses propres moyens et par des voies rapides, le transport de la correspondance administrative. Nous savons par Hérodote[169] comment les rois de Perse avaient organisé ce service et beaucoup mieux encore comment fonctionna, à partir d’Auguste, la poste impériale (cursus publicus). La bureaucratie égyptienne n’avait sans doute pas attendu que l’exemple lui vint du dehors. La configuration de l’Égypte lui rendait la tâche facile. Il suffisait d’avoir sur la grande artère fluviale des bateaux légers, et, pour desservir les localités riveraines, des courriers que le gouvernement pouvait aisément trouver dans ses gardes et agents de police, ou par voie de réquisition. Nous ignorons si, comme dans les grands empires de Perse et de Rome, l’État se réservait l’usage exclusif de ces moyens de correspondance, s’il en supportait les frais, ou s’il en fit une corvée gratuite et obligatoire[170]. Les nombreuses lettres et circulaires officielles qui nous ont été conservées par les papyrus ne nous renseignent pas sur la façon dont elles ont été transmises. Nous n’avons, pour toute indication, qu’une page récemment publiée[171] d’un registre où, sous le règne de Philadelphe, un employé inconnu d’un bureau situé quelque part dans le nome Héracléopolite a inscrit jour par jour, et même heure par heure, les paquets ou rouleaux reçus et transmis, avec mention des agents qui les ont apportés et de ceux qui ont été chargés de les distribuer. Voici ce document curieux et jusqu’ici unique en son genre :

Le 16..... (remis à) Alexandre 6 (rouleaux), dont 1 rouleau pour le roi Ptolémée ; 1 rouleau pour Apollonios le diœcète, et deux lettres reçues en sus du rouleau ; 1 rouleau pour Antiochos le Crétois ; il rouleau pour Ménodore ; 1 rouleau contenu dans un autre pour Chellonias (?). Alexandre les a remis à Nicodème.

Le 17, heure matinale, Phœnix fils d’Héraclite, le jeune, Macédonien à cent aroures, a remis à Aminon 1 rouleau et la gratification (? τό άξιον) pour Phanias ; et Aminon l’a remis à Théychrestos.

Le 18, à la première heure, Théychrestos a remis à Dinias 3 rouleaux venant du haut pays, dont 2 rouleaux pour le roi Ptolémée ; 1 rouleau pour Apollonios le diœcète ; et Dinias les a remis à Hippolysos.

Le 18, à 6 heures, Phœnix lits d’Héraclite, lainé, Macédonien à cent aroures du nome Héracléopolite, du premier bataillon (τών πρώτων) d’Esop...., a remis [à Aminon] 1 rouleau pour Phanias, et Aminon l’a remis à Timocrate.

Le 19, à 11 heures, Nicodème a remis à Alexandre... rouleaux venant du bas pays : rouleau de la part du roi Ptolémée pour Antiochos dans le nome Hermopolite ; pour Démétrios employé à la fourniture des éléphants, 1 rouleau ; pour Hippotélès agent d’Antiochos (pour affaire ?) contre Andronicos à Apollonopolis la Grande, 1 rouleau ; à Théygène le préposé aux transports d’argent (? χρηματαγωγός), de la part du roi Ptolémée, i rouleau ; à Héracléodore en Thébeide 1 rouleau ; à Zoile, banquier du nome Hermopolite, 1 rouleau ; à Dionysios, économe dans le nome Arsinoite, 1 rouleau ; [lacune d’environ trois lignes]...

Le 20, à.. heures, Lycoclès a remis à Aminon 3 rouleaux, dont 1 rouleau pour le roi Ptolémée venant (de la région) des éléphants près (la Mer ?) ; 1 rouleau pour Apollonios le diœcète ; 1 rouleau pour Hermippos, du personnel des équipages (? έκ τοΰ πληρώματος) ; et Aminon les a remis à Hippolysos.

Le 21, à 6 heures, [.....] a remis [à Horos] deux lettres venant du bas pays pour Phanias, et Horos les a remises à Dionysios.

Le 22, à la première heure, Léon (?) a remis à Dinias 16 rouleaux, dont [8 ?] pour le roi Ptolémée, venant (de la région) des éléphants près [la Mer ?] ; pour Apollonios le diœcète, 4 rouleaux ; ..... pour Antiochos le Crétois, 4 rouleaux ; et Dinias les a remis à Nicodème.

Le 22, à 12 heures, Léon a remis à Aminon, venant du pays haut pour le roi Ptolémée (... rouleaux) ; et Aminon les a remis à Hippolysos.

Le 23, à l’aube, Timocrate a remis à Alexandre... rouleaux, dont, pour le roi Ptolémée... rouleaux ; pour Apollonios le diœcète, 1 rouleau ; pour P.... préposé aux transports d’argent, 1 rouleau ; pour Pa(siclès ?).. rouleau ; et Alexandre les a remis à .....

Il semble bien que tous les expéditeurs et destinataires de ces rouleaux étaient soit des fonctionnaires, soit des militaires en service actif, ou tout au moins avaient affaire à l’administration. Quant aux employés, on pourrait peut-être distinguer les courriers, les distributeurs, les facteurs ; mais tous sont sans doute, suivant l’usage égyptien, capables d’échanger ou cumuler toutes les fonctions, et il me parait superflu, jusqu’à plus ample informé, de risquer des conjectures sur le classement hiérarchique de si minces personnages. L’intervention des deux Macédoniens à 100 aroures, dont un semble payer une sorte d’affranchissement postal, laisse ouverte la question, importante en soi, de savoir si ce sont des particuliers qui se servent de la poste, ou peut-être des cavaliers requis pour faire le service de courriers montés. En tout cas, le destinataire Phanias, auquel s’adressent les correspondances remises par les deux frères et d’autres encore, devait être un fonctionnaire.

 

 

 



[1] Sur l'organisation des milices égyptiennes au temps des Pharaons, voyez G. Maspero, Études égyptiennes, II, pp. 35 sqq., Hist. anc., I, pp. 305-308. Journ. des Savants, 1897, p. 17. Les miliciens s’appelaient monfitou, puis aouou, âhaoutti, les combattants ; les hommes en service actif, mâshdou, c’est-à-dire les  marcheurs ou piétons. Ahaouïti (de ahaou, combattre) est l’équivalent exact du mot μαχιμος. Diodore (I, 54) parle de 620.000 fantassins, 24.000 cavaliers et 1.700 chefs au temps de Sésostris : il sait, du reste, que le système pharaonique s’est continué, les cultivateurs en Égypte fournissant des soldats (I, 28). D’après Révillout (Précis, pp. 41. 82 sqq.), ce système, essayé par Ahmès Ier, abandonné par Thoutmès III, aurait été définitivement établi par Ramsès II. Sur l’assimilation de Sésostris à Ramsès II on à un Ousirtasen ou Senwosret, de la XIIe dynastie, voyez G. Maspero (La Geste de Sésostris, Journ. des Savants, 1901, pp. 593-609, 665-683), qui relègue dans la légende Sésostris, fabriqué avec les surnoms (Sstsrï) de Ramsès II et Ramsès III.

[2] Hérodote, II, 141. Le κλήρος contenait donc 3 hectares 1/3. Maspero fait observer que ces fiefs militaires étaient presque triples, par l'étendue, des abadiehs reconnues suffisantes, dans l’Égypte moderne, pour nourrir toute une famille de paysans... A l’effectif de 410.000 hommes, chiffre donné par Hérodote (II, 162-166), les μάχιμοι auraient possédé près de la moitié du sol.

[3] Diodore, I, 51. 73. 93. Cf. Aristote, Polit., VIII, 2, 4.

[4] Maspero se réfère ici au papyrus 63 du Louvre, de l’époque ptolémaïque (164 a. C.). c’est-à-dire qu’il admet la continuité du régime ; postulat discutable, car les Lagides, défiants à l’égard des Égyptiens, n’ont pas traité les miliciens indigènes comme les étrangers. Ceux-ci pouvaient obtenir des lots de 100 amures, tandis que les μάχιμοι égyptiens étaient mis à la portion congrue de 5 à 7 aroures. De même, les Lagides se sont bien gardés de transplanter annuellement ces soldats, qu’ils voulaient, au contraire, attacher à la glèbe.

[5] Diodore, I, 74.

[6] Il est curieux de retrouver le système des fiefs ou jagirs annuels, et aussi le cadastre, chez les Gourkhas de l’Inde (Cf. S. Lévi, Le Népal [Paris, 1905], p. 297).

[7] De là les débats sur la nationalité des μάχιμοι qui, pour les uns (Schubert, Grenfell), sont encore des Égyptiens comme autrefois, et, pour les autres (Meyer, Dittenberger), sont tous des étrangers. Sur les institutions militaires au temps des Lagides, voyez Paul M. Meyer, Das Heerwesen der Ptolemäer und Miner in Aegypten, Leipzig, 1900. G. Schubert, Quæstiones de rebus militaribus quales fuerint in regno Lagidarum, Breslau, 1900, et la recension du livre de P. M. Meyer dans Archiv. f. Ppf., II (1903), pp. 147-159. Cf. J. Lesquier, Le recrutement de l’armée romaine d’Égypte aux Ier et IIe siècles (Rev. de Philol., XXVIII, 1904, pp. 4-32). En préparation, du même auteur, un ouvrage, que j’ai le regret de devancer, sur Les Institutions militaires des Lagides. Les appréciations se font de plus en plus sévères sur le travail de P. M. Meyer. En dernier lieu, Smyly (in Pap. Petr., III, p. 288) le juge full of errors and based upon false principles and Illogical inferences. Cf. P. Grenfell, in Tebt. Pap., pp. 545-558. Wilcken (Archiv. f. Ppf., III, 2 [1904], p. 322) se prononce nettement pour la thèse de Schubert contre Meyer, dont le livre, vicié par ce postulat initial, reste précieux comme répertoire.

[8] Diodore, XIX, 80, 4.

[9] On rencontre, en l’an XV de Philadelphe (271/0 a. C.), un Arimoutbés τώι μισθωτών μαχίμωι (Pap. Grenf., II, n. 14 a). Mention de μάχιμοι à la même époque (Pap. Petr., III, n. 59 a. 100 b). Un Nectanébo, petit-neveu du roi de ce nom, avait commandé en chef sous un des premiers Ptolémées (Sethe, Hierogl. Unkunden, n. 11, p. 24-26).

[10] Appien, Proœm., 10. Cf. Hieron., In Dan., XI, 5. L’Inventaire mentionne encore 300 éléphants, 2.000 chars de guerre, 360.000 armures, 1,500 vaisseaux de guerre et des agrès pour un nombre double, 2.000 bâtiments de transport, 800 thalamèges, et une réserve de 740.090 ταλάτων Αίγυπτίων. Ne pas oublier qu’Appien est un Alexandrin et que son patriotisme se complaît à ces souvenirs.

[11] Polybe, V, 83-86. Voyez les études, citées plus haut, de Mahaffy, la statistique dressée par P. M. Meyer (op. cit., p. 13-16), et, sur les points litigieux, les observations de G. Schubart (op. cit., p. 58.60).

[12] P. M. Meyer (p. 15) accuse Polybe d’avoir confondu ces mercenaires κληροΰχοι, d’origine barbare, avec les κάτοικοι gréco-macédoniens, qui auraient été institués plus tard, sous Épiphane (pp. 62-69), et qui sont pour lui les μάχιμοι. Cette assertion ne peut être acceptée qu’avec l’ensemble de son système (voyez ci-après). Depuis la publication des Tebtunis Papyri, ce système, qui pose en dogme l’exclusion complète des Égyptiens de la milice des μάχιμοι (p. 64), est devenu quite intenable (Grenfell, Tebt. Pap., p. 552).

[13] On a vu plus haut (tome I) les doutes qu’inspire à Mahaffy la phalange égyptienne commandée par Sosibios. On peut les lever en faisant observer avec Schubart (p. 58, 6) que Polybe ne parle pas de phalange égyptienne, mais de φαλαγγΐται (V, 63, 9), c’est-à-dire d’Égyptiens qui, contre leurs habitudes d’autrefois (V, 64, 1-2), sont exercés au maniement de la lance (cf. V, 85, 9).

[14] Polybe, V, 107, 2.

[15] Pausanias, III, 6, 5.

[16] Pap. Par., n. 63, lig. 22. Mahaffy (Empire, p. 320) et Schubert (p. 46, 2), revenant à l’opinion de Weston, jadis combattue par Letronne et Drumann, estiment que la σύλληψις τών είς τήν ναυτείαν, interdite par le décret de Memphis (Inscr. Rosett., lig. 11), signifie non pas une contribution pour la marine (Letronne), ni une taxe sur les bateliers du Nul (Wachsmuth), mais une conscription maritime (destinée à procurer des ναυκληρομάχιμοι) dont les desservants des temples sont dispensés. C’est à l’exégèse des versions hiéroglyphique et démotique (Brugsch-Révillout) qu’il faut demander des raisons de choisir entre ces trois hypothèses.

[17] Cf. Tebl. Pap., n. 121 ; n. 112 ; n. 116, textes dont le plus ancien (n. 112) est de 112 a. C.

[18] Pierre de Rosette (lig. 19-20).

[19] Ce sont les omnibus ostiis Nili cusiodiæ exigendi portorii causa dispositæ (Cæs., B. Alex., 13). Dans les garnisons de Crète, de There, d’Arsinoé en Péloponnèse, figurent des στρατιώται, qui sont probablement des mercenaires grecs, et des μάχιμοι. Pour ceux-ci, il importe peu qu’ils se déguisent sous des noms grecs. Comme le remarque Grenfell (Tebt. Pap., I, p. 546), nomenclature is often a very untrustworthy guide to nationality when the  practice or having double names, one Greek and one Egyptian (of which one is often omitted), was common. On voit the term Έλλην applied to persons bearing the most pronouncedly Egyptian names, white conversely many of the persons bearing Greek names were probably Egyptians. L’onomastique des fonctionnaires civils (como- et topogrammates, etc.) montre que la plupart étaient des Égyptiens, et cela dès le début.

[20] Voyez P. Meyer, pp. 80-81.

[21] Pap. Par., n. 63. Cf. Schubart, p. 61 sqq. Nous avons déjà averti que P. Meyer est d’un avis opposé. Je croirais, pour ma part, que les έπίλεκτοι font partie de la garnison ou même de la garde royale ; que les μάχιμοι sont ces gens qui  peinent nuit et jour dans les service publics (lig. 87), c’est-à-dire les vigiles aux ordres du νυκτερινός στρατηγός, les ναυκληρομάχιμοι restant pour le service du port et des douanes.

[22] Ibid., lig. 100-107, 132-133, 148-185. Sur la distinction, nécessairement conjecturale, que fait le texte entre les μάχιμοι et οί έν τώι στρατιωτικώι φερόμενοι (lig. 103), ou οί στρατεύσασθαι (lig, 175), voyez P. Meyer, qui identifie ces derniers avec les έπίγονοι ou fils aînés des κάτοικοι (pp. 16. 75), et G. Schubart (p. 64), qui en fait une sorte de landwehr égyptienne, mobilisable seulement en temps de guerre. Ce qui est certain, c’est que ces inscrits au rôle militaire vivent péniblement άπό τών έκ τοΰ βασιλικοΰ τιθεμένων, expression qui laisse à deviner qu'il s’agit d’une solde ou d’une dotation. L’opinion de Meyer — à part la question de nationalité — me parait plus vraisemblable et se trouve confirmée par les institutions égyptisantes du Bas-Empire. Cf. Cod. Theod., VII, 22 : De filiis militarium.

[23] P. Meyer appelle l’armée sédentaire έπίταγμα (Pap. Par., n.16. Pap. Grenf., II, n. 18. 19), et l’armée active σύνταγμα. G. Schubart (p. 21, 1, et Archiv. f. Ppf., pp. 148-9) conclut en disant de l’έπίταγμα : quid fuerit, plane nescimus. Le texte de Polybe (V, 53, 5) ne tranche pas la question.

[24] Sur le grand marché du Ténare, cf. Diodore, XVII, 111. Il y en avait un, très achalandé aussi, à Aspendos, sur la côte de Pamphylie ; de même en Thrace, en Crète, etc. (Meyer, p. 7). Les ξενολόγοι étaient des racoleurs, mais non les chefs de bandes (Schubart, Archive II, p. 148-9, contre Meyer). Théocrite lui-même bat le rappel des mercenaires. Son Thyonicos conseille à Eschine, amant désespéré, d’aller en Égypte se mettre au service du généreux Ptolémée (Idyll., XIV).

[25] Ce qui s’est passé à Alexandrie se reproduisit plus tard à Home, où les cohortes prétoriennes et urbaines devaient se recruter exclusivement parmi les Italiens. L’humeur arrogante et turbulente de ces troupes d’élite décida les Lagides à y faire entrer des non-Macédoniens, et les empereurs romains des légionnaires, à l’exclusion finale des Italiens. Au surplus, les Μακεδόνες, c’est-à-dire les citoyens d’Alexandrie et de Ptolémaïs, n’ont jamais été sans mélange de Grecs, et, à la longue, les mariages mixtes produisirent des Μακεδόνες issus de mères égyptiennes (cf. Meyer, p. 4-5).

[26] Cf. Pap. Per., I, n. 11. III, n. 12 ; règne de Philadelphe ? Dans les Hibeh Pap., n. 101, les éditeurs pensent que Άγημα est un nom de localité, τοΰ (τόπου) sous-entendu : cf. CPR., n. 6, lig. 3-4.

[27] Ils auraient été, au dire de Suidas (s. v.), au nombre de 6000.

[28] CIG., 4836 c. Add. p. 1215. Letronne, Rech., II, pp. 242-244. Dittenberger, OGIS., n. 38. Tous les noms sont grecs. Damon φρούραχος Μέμφεως sous Ptolémée Philométor (Strack, in Archiv. f. Ppf., II, p. 549, n. 29).  Pour la Thébaïde, toujours contenue par la force, les références sont superflues. Le phrourarque de Thèbes a le titre de Θηβάρχης. Dermias, l’adversaire des choachytes, était officier de la garnison d’Ombos.

[29] Cette station, Ptolémaïs Έπιθήρας, fut fondés au temps de Philadelphe par Eumède, qui avait succédé dans l’emploi à Satyros (Strabon, XVI, p. 769-774). Voyez les noms des stratèges, de Philadelphe à Philopator, dans P. Meyer, p. 17.

[30] Cf. Grenf. Pap., I, n. 9 (de l’an 239/8). Il devait y avoir aussi des bâtiments aménagés pour le transport des éléphants : cf. Pap. Par., II, n. 40 e.

[31] Recensement des μισθοφόροι et officiers des garnisons de Cypre dans P. Meyer, pp. 92-94.

[32] Strack, n. 3. 8. 47. Cf. 31. 45.

[33] On connaît cinq noms de navarques entre les règnes de Ptolémée Ier et Ptolémée III (P. Meyer, p. 20). Nous avons rencontré, sous Évergète Ier, entre 229 et 224 a. Chr., une garnison assez forte à Théra.

[34] Voyez le recensement des nationalités dans P. Meyer, pp. 9-16 (soldats) et 24-25 (officiers). On y rencontre jusqu’à des Syracusains, Tyrrhénien et Perses.

[35] Polybe, V, 63, 8.

[36] Agathocle, en 202, se propose de se servir pour ses desseins des mercenaires (Polybe, XV, 23 a, 11). La différence entre les deux catégories est nettement indiquée. La colonisation militaire, inaugurée par Alexandre, était une méthode nouvelle, comme le régime des armées permanentes. Aussi le grecs n’avait pas de terme technique comme ceux que les Romains, pratiquant en grand le même système, créèrent pour désigner les emeriti ou veterani. Comme Polybe, Arrien et Appien emploient encore des périphrases (Arrien, Anab., IV, 22, 5. Appien, B. C., V, 3), et, dans les diplômes de l’époque impériale, veteranus est simplement transcrit.

[37] Les noms sémitiques sont proportionnellement très nombreux dans les papyrus de Magdola.

[38] G. Schubert (p. 4-6) se refuse à admettre, avec P. Meyer (p. 32), qu’il n’y eut que trois déductions successives de colons, sous Philadelphe, sous Évergète et sous Philopator, les colons ainsi officiellement installés ayant seuls droit au titre (militaire) de κληροΰχοι, et les colons civils de l’époque postérieure étant qualifiés κάτοικοι. Les papyrus de Tebtynis confirment son opinion. On y rencontre au moins un κάτοικος dont la dotation date de Philopator (n. 62, l. 30), et on voit that the assignment of grants to them (sc. κάτοικοι) was not the result of one or two settlements on a large scale, but of a graduel process spread over several reigns (P. Grenfell, Tebl. Pap., p. 849). Mention est faite, dans un papyrus récemment publié (Hibeh Pap., n. 82), de deux essaims de  clérouques expédiés dans le nome Arsinoïte  au cours des années VI et VII d’Évergète Ier (242-240 a. C.). Chaque ban ou chaque promotion collective a son œkiste éponyme, Phyleus, Criton, Philon, Ptolémée, Xénon, Choménis, etc., dont le nom passe à perpétuité aux corps de l’armée territoriale.

[39] Ces prisonniers étaient fort surveillés au début, de peur d’évasion (Pap. Petr., II, n. 29 e, de l’an 284/5).

[40] Cf. P. Meyer, p. 32.

[41] Sur la colonisation progressive du Fayoum, outre les travaux de Wessely mentionnés ci-dessus, voyez l’Introduction des Fayûm Towns par P. Grenfell (pp. 1-26).

[42] P. Grenfell (Tebt. Pap., p. 555) dresse son tableau daprès le rapport de lan LI (n. 62), one of the few reports of Menches wich are almost free from faults of arithmetic. Les totaux sont décomposés en sommes partielles qui montrent la progression des surfaces concédées, de Philopator à Évergète II.

[43] Tebt. Pap., n. 105-106 (de 103-101 a. C.), n. 464. Je ne suppose pas que la règle précitée, de ne concéder que des terres à défricher, ait été appliquée d’une façon générale.

[44] Voyez P. Grenfell, op. cit., p. 548. On peut se demander aussi à quelle réalité correspond un titre comme μυριάρουρος (Pap. Par., II, n. 42 a) donné à un fonctionnaire qui n’a pas l’air d’être au sommet de la hiérarchie, tant s’en faut, car il est nommé tout juste avant les κώμαρχοι et κωμογραμματεΐς.

[45] C’est la théorie de Paul M. Meyer, qui suppose acquis le postulat initial, l’exclusion complète des Égyptiens (au moins jusqu’au temps d’Évergète II) et le transfert du titre de μάχιμοι aux étrangers. Elle est infirmée par les mentions de κληροΰχοι à côté des κάτοικοι dans les nouveaux documents du temps d’Évergète II et Soter II.

[46] C’est le parti auquel s’arrête P. Grenfell (op. cit., p. 545-6). Après avoir montré que les possessions des κάτοικοι font partie de la γή κληρουχική, il ajoute :  in view of the various attempts which have been made to draw a distinction between κάτοικοι and κληροΰχοι, it is necessary to emphasize the fact that in the period where the two terms are round together, the relation between the two is that of the whole and part. Et plus loin (p. 551) : the κάτοικοι ware practically the κληροΰχοι of the Petrie papyri under another name. Mahaffy (Petr. Pap., I, p. 42-3) propose de faire remonter le titre de κάτοικοι aux premières installations de colons citadins à Ptolémaïs et Diospolis sous Ptolémée Soter. Cf. A. Peyron in Pap. Taur., II, pp. 6-8. Waszynski (Bodenpacht, p. 80) constate que, sous l’Empire, les possesseurs de κλήροι κατοικικοί sont de véritables propriétaires et forment une classe privilégiée, exemple de la capitation, classe qui disparaît à la fin du IIIe siècle p. C. Mais on ne saurait affirmer — comme P. Meyer m’avait induit à le faire — que telle fût la condition des κάτοικοι, à plus forte raison, des κληροΰχοι, de l’époque ptolémaïque.

[47] C’est ainsi qu’en France il n’y a plus de portiers, mais des concierges ; plus de maîtres d’école, mais des instituteurs ; plus de maîtres-répétiteurs, mais des professeurs adjoints, etc. On a vu plus haut que, d’après Hérodote, les Pharaons déplaçaient tous les ans les μάχιμοι, de peur qu’ils n’en vinssent à se considérer comme propriétaires de leur κλήρος. Les clérouques ayant fini par acquérir à peu près tous les droits des propriétaires, le stigmate de la possession précaire fut recouvert par une étiquette plus séante, qui ne mit cependant pas l’ancienne hors d’usage.

[48] C’est White ce qui a induit en erreur Lettonne et A. Peyron et leur a fait prendre les κάτοικοι pour des Égyptiens, par opposition aux étrangers ; erreur rectifiée par Lumbroso (Rech., p. 225).

[49] On ne l'avait rencontré, jusqu’à ces derniers temps, qu’en Thébaïde, sur des quittances du Ier siècle a. C. (Wilcken, Ostr., II, n. 1496, 1528) : mais les Tebt. Pap. (n. 5, l. 90 ; 89, l. 52, 64 ; 101, l. 5 ; 124, l. 34) remploient dans des documents qui datent d’Évergète II et de Soter II (de 120 à 113 a. C.). Les Pap. Reinach (n. 10, 21. 22) attestent l’existence de κληροΰχοι à côté de κάτοικοι ίππεΐς entre 141 et 107 a. C., dans le nome Hermopolite. Au siècle précédent, les Hibeh Pap. ne signalent ni clérouques ni catœques dans le nome Héracléopolite. On retrouve encore des clérouques à l’époque romaine.

[50] On ne sait au juste ce qu’il faut entendre par συγγενεΐς κάτοικοι, classe à laquelle appartenait le Macédonien Glaucias, père du reclus Ptolémée. Schubert (p. 40) en fait une aristocratie militaire. P. Meyer (p. 69) ne voit là que l’affirmation de la communauté de race entre les κάτοικοι. Cette communauté devait se borner aux groupes ou régiments — hipparchies pour la cavalerie, chiliarchies pour l’infanterie — qui constituaient l’armée territoriale (Cf. P. Grenfell, Tebt. Pap., ad n. 32, 9, p. 126).

[51] On a supposé que les κάτοικοι n’avaient pas de terres, mais étaient logés dans les villes (Mahaffy, in Petr. Pap., I, Introd., p. 42), thèse abandonnée depuis (P. Grenfell, in Tebt. Pap., p. 547). Cependant il est possible que les κάτοικοι aient été souvent des citadins louant leurs terres et recevant peut-être une solde, tandis que les clérouques restaient des campagnards. En outre, passé le temps où des ίππεΐς étaient encore κλη[ρουχι]κοί (Pap. Petr., III, n. 43 (2), col. II, lig. 14, de 246/5 a. C.), les κάτοικοι s’intitulent presque toujours τών κατοίκων ίππέων, et c’est par conjecture seulement que P. Meyer (p. 10) proposait de reconnaître des πεζοί parmi ceux qui sont dits simplement κάτοικοι ou τών κατοίκων. Maintenant, l’existence des κάτοικοι πεζοί est attestée (Fayûm Towns, n. II, 4, vers 115 a. C.). Enfin, les κάτοικοι figurent dans un papyrus (Pap. Taur., I, 1, lig. 1) de l’an LIV d’Évergète II (11 déc. 111 a. C.) à la suite des dignitaires et officiers. Ces faits réunis montrent que les κάτοικοι étaient des clérouques de première classe, versés d’ordinaire dans la cavalerie. L’expression κλήρος κατοικικός se rencontre, dès 118 et 103 a. C., dans Tebl. Pap., n. 124, lig. 40. 105, lig. 2 ; mais elle ne devient usuelle que sous l’Empire.

[52] Polybe, V, 65, 10.

[53] Pap. Petr., II, n. 8, 14 (cf. Révillout, Mélange., p. 367-369. Précis, pp. 633-462. P. Meyer, p. 30), publié à nouveau par le premier éditeur Mahaffy dans l’Archiv. f. Ppf., I, p. 285, en partie revu et commenté par P. Foucart, Un papyrus de Ptolémée III (Rev. Archéol., IV [1904], pp. 157-171), publié en dernier lieu (1903), avec additions, par Smyly, dans Pap. Par., III, n. 20, pp. 37-42. Le mémoire est daté du 24 Athyr an II (15 janv. 245 a. C.), et l’affaire est arrangée au profit du plaignant le 20 Choiak (10 févr.).

[54] Grenfell (in Tebt. Pap., p. 45) déclare not worth discussing la synonymie que P. Meyer (p. 43) veut établir entre σταθμός et κλήρος. En revanche, l’affirmation précitée, que tous les σταθμοί sont βασιλικοί, me parait infirmer l’opinion émise par Grenfell dans les Hibeh Papyri (p. 198), à savoir, que les κλήροι dits βασιλικοί (ibid., n. 85, 101, 112) sont des lots confisqués.

[55] Usage recommandé plus tard par le décret de Memphis (Inscr. Rosett.). Le Machatas précité avait chez lui des autels consacrés à la Déesse Syrienne et à Aphrodite Bérénice.

[56] Pap. Petr., II, n. 12 (1). Voyez les traductions de Grenfell (ibid., p. 29) et de Révillout (Précis, pp. 644-5).

[57] Pap. Petr., I, n. 14. 17, (1). III, n. 6 a. 14 : des années 237 et 233 a. C.

[58] Pap. Petr., II, n. 8. 12. III, n. 20. Strack, n. 103.

[59] C’est l’opinion adoptée par P. Meyer (pp. 30-31) et Révillout, qui définit les σταθμοί logements en ville chez l’habitant (Précis, p. 40).

[60] Le propriétaire d’un immeuble grevé de cette servitude avait peut-être reçu au début une indemnité compensant la diminution de valeur dont il serait tenu compte dans les transactions futures (?).

[61] Schubert, op. cit., pp. 10-14. Dans le poème de Pentaour, le roi dit à ses soldats : Je vous ai donné la route vers vos villes, afin que je vous trouve tous ensemble au jour et à l’heure de marcher au combat (Révillout, Précis, p. 901).

[62] BGU., n. 1006, du IIIe siècle a. C. Sur les σταθμοί dans les villages, cf. Mahaffy, in Archiv. f. Ppf., I, pp. 289-290. P. Grenfell, in Tebt. Pap., p. 43, ad n. 5, lig. 101.

[63] Tebt. Pap., n. 5, lig. 168-111.

[64] Pap. Petr., II, n. 39 e. III, n. 110. Schubert (p. 23) soutient, contre Meyer, que ces όρφανοί n’ont pas reçu de κλήρος en leur propre nom, mais que ce sont des fils mineurs de clérouques décédés, n’ayant droit au titre de clérouques qu’une fois enrôlés. L’exemple allégué (Pap. Petr., II, n. 48 b) est récusé par Smyly (Pap. Petr., III, n. 57 a, III, n. 10). Il est au moins acquis que l’όρφανος n’a plus son père (Pap. Petr., II, n. 39 e, lig. 15).

[65] Mahaffy (Pap. Petr., I, Introd., p. 19) veut que l’État ait imposé à ses clérouques l’obligation d’épouser des femmes grecques, c’est-à-dire non égyptiennes, condition qui aurait été supprimée par la suite pour les σταθμοί. Schubert (p. 16) conteste qu’il y ait eu obligation, mais reconnaît qu’en fait les mariages mixtes devaient être alors assez rares, les clérouques y répugnant d’eux-mêmes.

[66] Schubart veut que tous les clérouques, y compris les vieillards (dont un de 73 ans), soient non pas des vétérans, mais des  soldats  (Cf. Wilcken, in Gött. gel. Anz., 1895, pp. 132 sqq.). En somme, il récuse (p. 21, 1) la distinction entre l’année active et l’armée sédentaire, eu faisant observer que les clérouques de 25 à 43 ans ne peuvent dire des vétérans (p. 19). Ceci peut se soutenir, une fois le régime établi ; mais pourquoi ne pas admettre que, au début tout au moins, la majeure partie des clérouques aient été des vétérans ?

[67] La question s’est posée à propos du titre ίππάρχης έπ' άνδρών, dont il sera question ci-après.

[68] D’après P. Meyer, τής έπιγονής aurait été d’usage au temps des clérouques ; έπιγονοι, au temps des σταθμοί. Thèse démentie par les textes. Έπίγονος est un synonyme exceptionnel (Pap. Petr., II, n 32, 2 a. Pap. Brit. Mus., I, n. 23) du terme technique τής έπιγονής. Je l’emploierai, ainsi que l’a fait  Polybe (V, 65), comme substitut maniable de τής έπιγονής.

[69] A fresh settlement of veterans (Mahaffy, in Petr. Pap., I, Introduction, p. 26). On rencontre des individus τής έπιγονής en dehors du Fayoum, dans la Moyenne-Égypte (Hibeh Pap.), et même la majorité des Πέρσαι τής έπιγονής (ci-après) en Thébaïde.

[70] C’est si bien le sens normal de τής έπιγονής que, dans les Hibeh Pap., n. 120, l’expression est appliquée à des portées de chèvres !

[71] Cf. Brunet de Presle, dans les Mém. d. savants étr. à l’Acad. d. Inscr., II [1852], p. 563. Opinion qua partagent encore Révillout (Précis, p. 1348, 3) et. Th. Reinach (Pap. R., pp. 20-21).

[72] Document démotique du temps de Ptolémée III, cité par Révillout (Précis, p. 1213). A l’époque, rien d’étonnant. Les Grecs nés en Égypte devaient être encore relativement rares. Mais, dans un contrat de mariage du temps de Ptolémée Alexandre (99 a. C. Spiegelberg, Pap. dem. Stransb., n. 43. Cf. Révillout, Précis, p. 1150, 1 : voyez ci-après, ch. XXVIII), le mari est un Grec né en Égypte. Contrat de location entre le Grec né en Égypte Horsiési, fils d’Hermon, et la femme Tséthornas, du 20 Choiak an XIII/X = 5 janv. 104 a. C. (Revillout, Précis, p. 1279). Contrat entre le Grec né en Égypte Psémont, fils de Pathot, et Osoroer, du 30 Thoth an IV de Soter II = 20 oct. 114 a. C. (Précis, p. 1298).

[73] P. M. Meyer, op. cit., p. 46.

[74] P. Meyer vise ici lexpression τής έπιγονής τών οΰπω έπημένων (Pap. Par., I, n. 13. 14. 27. III, n. 4[2]. 11. 14. 19 f. 21 b. 55 a), à supposer que le complément sous-entendu soit είς δήμον ou δήμους (d’Alexandrie ou de Ptolémaïs). Schubert (p. 26) estime que les fils de clérouques n’étaient inscrits dans les dèmes qu’à la mort de leur père.

[75] P. Meyer, p. 14. La raison alléguée, c’est que Ptolémée fils de Glaucias, bien que τής έπιγονής, se cloître au Sérapéum de Memphis, et que son jeune frère Apollonios, promu épigone à sa place, reçoit une solde sans faire de service militaire. C’est tabler sur une exception.

[76] P. Meyer, pp. 64-68. Comme ces μάχιμοι deviennent κάτοικοι en passant de l’armée active dans la territoriale, avec le même κλήρος (p. 68), il me parait difficile de comprendre comment ces soldats si pauvres deviennent des κάτοικοι, aisés par définition et par comparaison.

[77] Je constate au dernier moment qu’elle est appuyée par les observations de P. Ghione, I comuni del regno di Pergamo, sur les colons d’Asie-Mineure.

[78] Voyez ci-après (ch. XXVIII), à propos du testament de Dryton. Tout concorde à l’identification, le lieu et le temps. L’Esthladas susmentionné sert en Thébaïde, et Dryton habite Pathyris : l'Esthladas fils de Dryton, né en 158, avait alors vingt-huit ans, et, comme seul descendant mile, il était nécessairement l’héritier du κλήρος paternel.

[79] G. Maspero, in Journal des Savants, 1897, p. 17.

[80] Pap. Par., I, n. 13, lig. 11 ; 14, lig. 26 ; 19, lig. 6 ; 19, lig. 8. La leçon τής έπιγονής ne prête pas au doute. Le testateur de 80 ans (n. 19, lig. 6), Aphrodisios d’Héraclée, est dit παρεπίδημος, un étranger de passage : ce n’est probablement pas un clérouque.

[81] Voyez les statistiques de Wessely pour Karanis et Soknopaiou Nésos (op. cit.) à l’époque romaine (p. 22).

[82] Pap. Petr., III, n. 6 b.

[83] Pap. Reinach, n. 8. 16. 21. 24. 23. 26. 32. C’est la raison pour laquelle Th. Reinach (ibid., pp. 20-21) rejette en bloc les théories de Meyer et de Schubert et revient à l’ancienne opinion, d’après laquelle tous les descendants des premiers colons étaient à perpétuité τής έπιγονής. Il estime insoutenable l’opinion de Grenfell-Hunt (Tebt. Pap., p. 557), — qui est aussi la nôtre, — celle qui voit dans les épigones des fils n’ayant pas encore succédé au κλήρος de leur père vivant. Cf. les cas cités plus loin.

[84] Révillout, Précis, p. 286, 1.

[85] Le titre de Πέρσης τής έπιγονής est si fréquent par comparaison avec celui de Πέρσης, que Πέρσης peut toujours passer pour une abréviation. Aussi ne peut-on distinguer à coup sûr entre Πέρσαι et Πέρσαι τής έπιγονής.

[86] Au temps de Philadelphe et d’Évergète Ier, on rencontre encore quelques noms iraniens (Neroutsos, n. 38, Pap. Petr., II, n. 30) : plus tard, rien que des noms grecs ou égyptiens, sauf un Ήρωδος Άρπαλος Πέρσης qui contresigne le testament de Dryton en 148 a. C : (Pap. Grenf., I, n. 12). Le Perse épigone le plus ancien que l’on connaisse, vers 250 a. C., s’appelait Diodore fils de Straton (Hibeh Pap., n. 93) ; un autre (épigone ?), à la date de 238/7 a. C., s’appelait Ptolémée (Pap. Petr., I, n. 14. III, n. 6 a), et la grande majorité des Perses connus porte des noms grecs ou doubles. Ils relèvent du for hellénique.

[87] Pap. Grenf., I, n. 44 (du IIe siècle a. C.). Ce sont des signatures de témoins. A l’époque romaine, un Perse figure encore parmi les desservants du T. de Soknopaiou à Soknopaiou Nésos (BGU., I, n. 490 : cf. W. Otto, Priester und Tempel, pp. 225-226).

[88] Cf. P. Meyer, pp. 84-86. Il y avait certainement à Pathyris un groupe compact de Perses, une sorte de colonie étrangère non assimilée.

[89] Pour Akoris, voyez les Pap. Reinach (une douzaine de Perses) : on n’y rencontre pas d’autre nationalité τής έπιγονής. Hibeh Pap., n. 93, 90 et 124 (Perses avec le nom du régiment), 112.

[90] Pap. Leid., O (Πέρσης τής έπιγονής habitant Memphis en 89 a. C.).

[91] Voyez les Tebt. Pap. (Index IV, au mot Πέρσης).

[92] Contrats divers passés par des Perses τής έπιγονής (Tebt. Pap., n. 109. 110. 156). Pétron, fils de Théon, Perse de la 5e hipparchie, cède à Didymarque, Macédonien du même régiment, — avec la permission dûment constatée des autorités, — son lot de 24 anoures (Tebt. Pap., n. 30, ann. 115 a. C.). Le Perse τής έπιγονής Ptolémée dit Pétésouchos sous-loue un κα(τοικικόν) κλήρ(ον) en 103 et 101 a. C. (Tebt. Pap., n. 105- 108), ce qui ne prouve pas qu’il n’eût pas (lui ou son père) de κλήρος familial. Dionysies fils de Képhalas, Πέρσης τής έπιγονής, emprunte du blé presque tous les ans (Pap. Reinach, n. 8-18. 18-28. 31-32), et il invoque contre un créancier la protection des autorités, en qualité de βασιλικόν γεωργός (ibid., n. 18-19, ann. 108 a. C.). Emprunts de blé, par un Perse et un Macédonien, tous deux τής έπιγονής (Pap. Gizeh, n. 10250. Amh. Pap., II, n. 43).

[93] Pap. Reinach, n. 14. 31.

[94] Tebt. Pap., n. 30, lig, 16. Ceci prouve — soit dit en passant — que les Macédoniens n’étaient pas exclus de l’armée à partir d’Évergète II, comme l’avait cru P. Meyer (p. 92). Les témoins de Pachnoubis sont des Perses τακτόμισθοι.

[95] Fayûm Towns, n. 11. 12. Cf. Grenfell, ad Tebt. Pap., pp. 126. 546.

[96] A cette conjecture s’oppose le fait que le Perse Hermias, l’adversaire des choachytes de Thèbes, est un officier de haut rang et décoré (Pap. Taur., I. Pap. Par., n. 15). Comme militaires réputés étrangers, les Perses devaient être, au contraire, en faveur auprès des rois. La généalogie de Dionysies fils de Képhalas, dans les Pap. Reinach, me suggère une autre conjecture, tout aussi aventurée. Son père était un simple mercenaire, sans ethnique ; mais sa mère était une Περσίνη, et c’est sans doute par elle qu’il peut se dire Πέρσης τής έπιγονής. Théotime pouvait être dans ce cas, ou avoir été d’abord fils naturel d’une Περσίνη, reconnu plus tard par un père Mysien. Un certain nombre des épigones d’Alexandre n’étaient non plus Asiatiques que par leur mère.

[97] Fayûm Towns, n. 11.

[98] Fayûm Towns, n. 12.

[99] On sait qu’Alexandre tenait à former au service militaire les Indigènes de ses provinces d’Orient (Arrien, VII, 6, 1. Cf. Plut., Alex., 47. Suidas, Βασίλειοι παΐδες). On a là deux indices précieux, le titre d’épigones et l’assimilation aux Macédoniens. Les pages royaux dont parlent Plutarque et Suidas devaient être recrutés de préférence parmi les Perses, les plus braves et les plus civilisés des Orientaux, et parmi les fils nés de Macédoniens et de femmes asiatiques (Arrien, VII, 12, 2). L’idée, suggérée par ces textes, que les  Perses  ont fait d’abord partie de la garde royale (P. Meyer, p. 82), a paru confirmée par la mention d’un Hermias Πέρσης τών Πτολεμαίου καί τών υίών (Pap. Grenf., II, n. 15, lig. 13. Cf. Pap. Brit., II, n. 219 a, où la même formule est appliquée à un τακτόμισθος, vers la même époque (139 et 133 a. C.). Mais on trouve aussi des Perses τών υίών (Pap. Grenf., n. 15, lig. 14) ; τών ίππέων μισθοφόρων υίών [sc. υίοΐς ?] (Pap. Reinach, n. 31) ; et il est probable que τών υίών est un équivalent de τής έπιγονής (cf. Grenfell, ad loc., P. Meyer, p. 84. Schubert, p. 30, 3. Th. Reinach, p. 21 ;. Le Ptolémée en question n’est pas dit βασιλέως : ce pourrait être un chef de corps.

[100] Voyez ci-dessus la composition de l’armée de Philopator et les κοινά Κιλίκων, Αυκίων, Κρητών, etc., dans les garnisons de Cypre (P. Meyer, p. 93).

[101] Pap. Brit. Mus., II, n. 218. Pap. Gizeh, n. 10368. Pap. Goodspeed, n. 8 : cf. P. Meyer, p. 84. On rencontre dans les Hibeh Pap., n. 70 b (vers 228 a. C.) un certain Horos qualifié Περσαιγύπτιος, que Grenfell considère comme presumably the son of a mixed marriage. Ce terme est peut-être simplement l’équivalent de Perse né en Égypte.

[102] P. Meyer (p. 84) veut qu’il y ait eu une deuxième déduction de colons perses sous Soter II, et il classe en conséquence parmi ces πράσγραφοι (adscripti) les Πέρσαι sans épithète qui se rencontrent à l’époque (Pap. Grenf., I, n. 27. 44. II, n. 25. 27. 33. Tebt. Pap., n. 30. 79. Pap. Reinach, n. 9. 13-16. 21. 31). On ne voit pas d’où Soter II, à peine maitre chez lui, aurait pu tirer ce ban de colons. Je suis tenté de croire qu’il a voulu renforcer en Thébaïde une milice antipathique à la population rebelle du pays et qu’il n’a pas eu besoin pour cela de Perses authentiques alors qu’il y avait sans doute déjà quantité de soi-disant Perses dans les Πέρσαι τής έπιγονής. On pourrait attribuer à une cause analogue la multiplication des  Perses  dans le Fayoum, où les citoyens d’Alexandrie étaient nombreux et où Évergète II, le bourreau des Alexandrins, devait être détesté. On rencontre encore des Perses τής έπιγονής à Soknopaiou Nésos sous les empereurs, c’est-à-dire en un temps où il n’y avait plus d’armée égyptienne (cf. Wessely, Karanis, p. 25), notamment un qui est γναφεύς (ibid., p. 26). Actes de mariage de Perses τής έπιγονής, du temps de Vespasien à celui de Trajan, cités — comme toujours sans références — par Révillout (Précis, pp. 1131-1142). Contrats divers dans Pap. Brit. Mus., II, an. 163. 164. 277. 388. 310. 314, de 23 à 149 p. C.

[103] Les noms des auxilla et numeri, ailes et cohortes (Hispanorum-Gallorum-Thracum-Dacorum-Helvetiorum, etc.) sous le Haut-Empire, des auxilia et des légions pseudo-comitatenses sous le Bas-Empire (voyez la Notitia Dignitatum), sont en majorité des ethniques, dont l’étiquette, à la longue, ne garantit plus la nature du contenu. En France, sous l’ancienne monarchie, quantité de régiments, suisses, allemands, irlandais, portaient le nom de leur nation (Nassau-allemand, Dillon-irlandais, Royal-italien, Royal-corse, Royal-cravate [Croate], Royal-allemand, etc.), bien que en fait, à mesure que le recrutement à l’étranger devenait plus difficile, ils aient 8ni par être en majorité composés de Français. On en pourrait dire autant de nos hussards actuels, qui devraient être des Hongrois, et de nos zouaves, qui devraient être des Kabyles.

[104] A plus forte raison, d’agiter la question de savoir si les épigones doivent être, comme ceux du temps d’Alexandre, des métis de Macédoniens et de barbares  (Arrien, VII, 6, 1 ; 12, 2) ; s’il faut considérer comme barbares non pas seulement les Égyptiens, mais les Thraces, etc. (cf. Lumbroso pp. 77-79). Les noms ne permettent pas de distinguer le nationalité réelle des individus.

[105] Schubert (op. cit., p. 30, 1) ne doute pas du fait : il se demande seulement quonam tempore sententia vocis τής έπιγονής cœpta sit ita mutari, ut iam non genus insequens, filios cleruchorum, sed ordinem quemdam perpetuum significaret. Mais il n’est pas très sûr lui-même de la preuve, à savoir, qu’un Perse est dit τής έπιγονής en même temps que ses fils (Grenf. Pap., II, n. 23 e. 22 : de 107 et 102 a. C.) ; il y a doute sur la leçon (Πέρσαις au lieu de Πέρσου [n. 29, lig. 8] éliminerait le père), et Schubert admet que ce Perse pouvait encore avoir son père en vie. De même pour le cas visé plus haut du Perse épigone Dionysios fils de Képhalas.

[106] Le fait que plusieurs fils d’un même père sont dits τής έπιγονής ne prouve pas que le κλήρος dût leur être partagé. Les cadets pouvaient être candidats éventuels à d’autres fiefs (cf. Schubart, p. 24, 2).

[107] 150 dr. + 3 artabes de blé, dont une en nature, les deux autres estimées à 100 dr. l’une (B. Peyron, Pap. Gr. Vatic., p. 42). W. Otto (Tempel, p. 379) baisse l’estimation à 350 dr., et trouve que le traitement des Jumelles du Sérapéum, estimé à 60 dr. (d’argent) par tête et par mois, était environ trois fois plus élevé. Il a été question plus haut de τακτόμισθοι perses, qui pouvaient être ou des épigones ou des clérouques insuffisamment dotés. Le Bas-Empire, qui, a tant emprunté aux institutions de l’Égypte, avait aussi adopté le système de l’hérédité pour le service militaire. Les fils de vétérans, dès qu’ils étaient en âge, devaient s’enrôler dans la même arme et probablement dans le même corps que leur père (Cod. Théod., VII, 1, 8). En attendant, ils recevaient dans leur famille, à titre d’accrescentes, des rations qu’ils échangeaient contre une solde en entrant au service (VII, 1, 11). Sur la solde des troupes, voyez Pap. Brit. Mus., I, n. 23. Wilcken, Aktenstücke, n. V-VII.

[108] Pap. Reinach, n. 31.

[109] Pap. Petr., III, n. 10 (de 236/7 a. C.) ; II, n. 48 (règne d’Épiphane).

[110] Pap. Par., n. 40-41. A. Mai, Class. Auct., t. V, p. 230.

[111] En fait d’hipparchies, on connaît au Fayoum la deuxième (Pap. Petr., I, n. 20. II, n. 47), la troisième (Pap. Magd., n. 34. Pap. Petr., n. 112 a. c. d. 113), le quatrième (ibid., I, n. 19. III, n. 112 a. c. Fayûm Towns, n. 11. 12) et la cinquième (Pap. Petr., III, an. 21 c. 112 d. Tebt. Pap., n. 30. 32). Je ne saurais dire si la σημεά de Dexileos, dans laquelle veut entrer Apollonios fils de Glaucias, est synonyme de σπεΐος ou τάγμα. L’équivalent exact serait vexillatio, qui signifie détachement. Mention des ήγεμονίαι Άρτεμιδώρου (Pap. Reinach, n. 9. 23. 32), Άσκληπιάδου (n. 28), du règne de Soter II. Il y aurait lieu de compléter les statistiques de P. Meyer avec les nouveaux documents, pour les noms de nationalités et d’officiers éponymes servant d’étiquettes aux divers corps.

[112] G. Smyly, Pap. Petr., III, p. 288, ad n. 112 (règne de Philopator).

[113] P. Meyer (p. 39) avait cru pouvoir restituer κλ(ηρουχία) dans Pap. Petr., II, 35 et conclure que tous les clérouques d’un district formaient une κληρουχία, corps militaire portant ici le n° 7. Mais le même numéro s’est retrouvé dans les Tebt. Pap., n. 137, au temps d’Évergète II, tandis qu’il n’y a pas d’exemple de κληρουχία numérotée. La chiliarchie équivaut sans doute à la τάξις πεζών (Pap. Grenf., I, n. 10), bien que les chiliarques du temps d’Alexandre fussent des généraux de cavalerie. Les mots τών ΖΤ καί ΕΤ μαχίμων (Pap. Par., n. 63, lig. 21), que Révillout (Mélanges, p. 258. Précis, p. 648) traduit par 7e et 5e τάξις, signifient έπταρούρων et πενταρούρων.

[114] L’ήγεμών parait bien être l’officier supérieur, le premier en grade dans chaque corps.

[115] Ce titre de ίππάρχης έπ' άνδρών a donné lieu à bien des débats. Diffère-t-il et en quoi, du titre simple ίππάρχης ? A Peyrou (ad Pap. Taur., I, p. 70) proposait la solution que je trouve encore la plus plausible, à savoir que l’hipparque ou ήγεμών έπ' άνδρών est en service actif, commandant les soldats. C’est bien le cas d’Hermias, hipparque ou ήγεμών έπ' άνδρών, que son service oblige à retourner εϊς τό τεταγμένον à Ombos. Quoique sexagénaire, il ne parait pas être à le retraite. D’autres (Bœckh, Letronne, Lumbroso) ont cru que έπ' άνδρών devait être opposé à έπί πόλεως, έπί παιδών, έπ' έφήβων, etc. ; si bien que Letronne (ad Pap. Par., pp. 463-4) considère les hipparques d’hommes comme formant une sorte de corps à part, composé de tous ceux qui avaient commandé des pelotons de cavalerie dans les jeux équestres (??). Pour Grenfell, les άνδρες sont des civils, et Dryton, ΐππαρχος έπ' άνδρών (Pap. Amherst, II, 36. Pap. Genf., I, n. 10. 12. 18. 21, en 135-126, 132 a. C.), est un officier retraité, tandis que l’ίππάρχης sans épithète est en service actif. P. Meyer (p. 36) distingue les époques. Suivant lui, l’ίππάρχης έπ' άνδρών était primitivement un officier de l’armée active : à partir de Philométor, le titre n’est plus qu’une simple décoration ne supposant même pas un commandement antérieur. Comme C. Wolff (De causa Hermiana, p. 7), Schubert (in Archiv. f. Ppf., II, p. 148) conclut par un non liquet. Il ne me parait pas qu’il faille nécessairement distinguer entre ίππάρχης et ίππάρχης έπ' άνδρών, ce qui est aussi l’avis de Dittenberger (OGIS., n. 134). On n’a pas démontré jusqu’ici que les officiers retraités gardaient leur titre, et il serait bizarre que έπ' άνδρών signifiât ci-devant.

[116] Pap. Par., III, n. 11. Pap. Magdol., n. 1. Les textes portant mention de grades étant fort nombreux, je n’indique de références que pour les grades connus depuis 1900 et qui ne figurent pas dans les statistiques de P. Meyer.

[117] Tebl. Pap., n. 251. Hibeh Pap., n. 30. 81. 90-91. 96. 103.

[118] Pap. Reinach, n. 9. 25. 26. 32.

[119] Tebt. Pap., n. 60, l. 29 ; et a, l. 111 ; 62, l. 257 ; 63, l. 193 : documents des années 119-115 a. C.). La λααρχία de Choménis est un corps mixte, infanterie et cavalerie, peut-être de création récente, due au nationalisme d'Évergète II.

[120] Mention de la terre (Tebt. Pap., n. 61 a, l. 53) à 30 aroures (n. 89, l. 63 ; 98, l. 58). Ceci tend à infirmer une assertion visée plus haut.

[121] Tebt. Pap., n. 62. 63. 64 a. 79. Ce Dionysios, archisomatophylaque, devait être un fonctionnaire d’ordre supérieur, délégué πρός τήι συντάξει comme ceux qui sont mentionnés ci-après.

[122] Tebt. Pap., n. 61 a. 62. 63. 64.

[123] Pap. Petr., II, n. 38 a. Tebt. Pap., n. 62, lig. 47 ; 63, lig. 44. Cf. ibid., n. 79, ibid., n. 62. 84, n. 61 a, l. 107). Les Pap. Reinach nous font connaître des soldats, deux Libyens et un Perse, enrôlés dans les cavaliers catœques (n. 13, n. 14, n. 17). Il est difficile de décider si l’on a affaire à des éponymes ou à des commandants actuels. Le Pap. Petr., II, 38 a n’étant pas daté, on ne peut affirmer que le Phyleus dont les Tebt. Pap. (n. 62. 63) font mention dans les dernières années du règne d’Évergète II (119-116 a. C.) soit un éponyme ancien. Dans l’armée romaine, quantité d’auxilia gardaient le nom de leur premier organisateur. Cf. Marquardt, Staatsverw., II, p. 451, 3.

[124] Hibeh Pap., n. 30 ; 32 ; 33 ; 52. 89 (?). 90. 91. 94. 97. 102 ; 124. Un Macédonien à 100 aroures est dit τών πρώτων Έσοπ[...] (n. 110, lig. 72), et un autre milliaire, τών Μενελάου πρώτων (Tebt. Pap. inédit, cité ad loc.). Tous ces documents datent du IIIe siècle. Grenfell (ibid., p. 167), constatant que Xénophon oppose ίδιώτης à στρατηγός (Anabase, I, 3, 11) et que, d’autre part, la mention τών πρώτων fournit un second terme de comparaison, conclut que l’ίδιώτης est un soldat de dernière classe.

[125] Par exemple, Pap. Brit. Mus., I, n. 23, lig. 91. A Cypre, Lebas, n. 2781.

[126] Hibeh Pap., n. 82 : de 239/8 a. C.

[127] Le γρ. τών κατοίκων ίππέων Apollodore, au temps d'Évergète II, est τών πρώτων φίλων et en même temps administrateur général du corps (CIG., 4698 a Strack, n. 105). On le retrouve dans Tebt. Pap., n. 32. 61 b. 72. 124. Pap. Reinach, n. 7.

[128] Sostratos à Memphis (Pap. Brit. Mus., I, n. 23).

[129] Héliodore, en l’an V [de Philométor ?] (Ostr. du Louvre, n. 8206). Eumélos (Pap. Par., n. 63), Ptolémée et Xénon (Tebt. Pap., n. 82. 63, etc.), sont γραμματεΐς μαχίμων au temps d’Évergète II et même Soter II, époque à laquelle P. Meyer (p. 66, 225), récusant une fausse conjecture, affirmait que giebt es keine μάχιμοι mehr. Ces intendants s’occupaient aussi de l’armée active, des garnisaires en service, surtout dans les possessions coloniales.

[130] Aux six ou sept noms mentionnés par les Tebt. Pap., n. 21. 30. 31. 32. 82. 63. 79. 99. 239, ajouter Hérastratos (Pap. Reinach, n. 7), et aussi, je pense, tous ceux qui, chargés de missions analogues, ont présidé à des enrôlements et transferts d’un corps ou d’une classe dans d’autres cadres.

[131] Pap. Brit. Mus., n. 23 ; Pap. Reinach, n. 14. 15. 22 ; Pap. Petr., III, n. 112 a. D’après le Ps.-Aristée (§§ 22-26 Wendland), ces officiers sont affectés τή τών όψονίων δόσει. Défense aux chefs de corps (?) et à leurs ύπηρέται de spéculer sur les marchés et fournitures pour les troupes (Pap. Amh., II, n. 29 : vers 250 a. C.). J’ignore quelle fonction avait pu remplir un vieux soldat dit χρηστήριος τώμ Πυθαγ[γέλου] (Pap. Petr., I, n. 14. III, n. 6 a), titre qu’on est tenté de traduire par « devin ou e factotum r. On trouve la forme analogue Χαριστήριος jouant le rôle d’ethnique ou de démotique dans les Pap. Reinach (n. 9. 15. 16. 20. 23), et χρηστήριος pourrait être une graphie différente (cf. Th. Reinach, op. cit., p. 69).

[132] Tous ces renseignements sont contenus dans les numéros V-VII des Aktenstücke publiés et commentés en 1886 par Wilcken (anciens papyrus Parthey [1869] complétés avec des extraits des papyrus du Brit. Mus. et du Louvre). Semestre de Phamenoth à Mésori an XXXVII = avril-sept. 133 a. C. (n. V) : année entière, de Thoth à Mésori an XL = sept. 131 à sept. 130 a. C. (n. VI). Le chiffre de l'ΐπποτροφικόν surprend d’autant plus qu’il s’agit d’une troupe de cavalerie et que, dans la monnaie dépréciée de l’époque, l'artabe de grain pour σιτώνια est estimée à 100 dr. et 66 dr. 4 ob. Pour Apollonios, avance de 148 dr. ; solde pour le semestre de Choiak à Pachon an XL (janv.-juin 130 a. C.), 4 talents 2430 dr. (n. VII). Le papyrus, daté du 21 Méchir (14 mars 130), porte un contreseing démotique (du topogrammate ?), avec la date en grec (17 mai 130).

[133] Aktenstücke, n. VIII.

[134] Pap. Petr., II, n. 33 a-b-d. III, n. 54 : de la fin du règne de Philadelphe. Livraison de foin (III, n. 62 à sans date). Hibeh Pap., n. 44 ; de Choiak an XXVIII, janv.-févr. 237 a. C.

[135] Hibeh Pap., n. 162. D’après Strabon (XVII, p. 837), la Cyrénaïque était έπποτρόφος άρίστη.

[136] Pap. Petr., I, n. 11. III, n. 12 (de 235 a. C.). De même, Dryton (ci-après).

[137] Pap. Petr., I, n. 14. III, n. 6 a (de 237 a. C.). Remarquer que ni l’un ni l’autre testateur ne disposent de leur κλήρος, reçu aussi έγ τοΰ βασιλικοΰ. Piétas, qui a cependant un fils, lègue son cheval à sa femme (Pap. Petr., I, n. 12) : Philippe laisse à ses fils épigones tout un équipement de cavalier (Pap. Magdol., n. 117).

[138] B. Peyron, Pap. Greci, n. II. Pap. Brit. Mus. I, n. 23, lig. 105-143. Une partie des pièces visées figurent dans le papyrus, en texte ou en analyse.

[139] Cf. O. Hirschfeld, Die ægyptische Polizei der röm. Kaiserzeit (SB. der Berl. Akad., 1892, pp. 815-824). Mommsen, Strafrecht, p. 307, 1. N. Hohlwein, Note sur la police égyptienne de l’époque romaine (Le Musée Belge, VI [1902], pp. 159-166). Les Romains ont dû perfectionner l’organisation de la police. Celle des Ptolémées avait été mise sur un bon pied par Philadelphe, au dire de Théocrite (XV, 46-50). A Alexandrie, assure Praxinoé, on peut circuler dans la foule sans être détroussé en sourdine, à la mode égyptienne.

[140] En passant dans la classe des κάτοικοι, l’éphode Macédonien, Asclépiade (voyez ci-après) devient Crétois comme membre de la 5e hipparchie (Tebt. Pap., n. 32), bien qu’il y eût des Macédoniens et des Perses dans ce corps. Le φυλακίτης Maron dit Nektsaphthis, fils de Pétosiris, promu κάτοικος en 120/119 a. C., devient l’année suivante Maron fils de Dionysies ci-devant Nektsaphthis fils de Pétosiris, et finalement Maron fils de Dionysios, Macédonien (Tebt. Pap., n. 61. 63. 84. 85. 105-8. Cf. Grenfell, p. 541). Les nationalités n’étaient plus que des étiquettes pour les subdivisions des régiments. — Pour le χερσέφιππος, les textes le concernant (Tebt. Pap., n. 60. 62. 63. 64. 84. 89. 152) ne nous apprennent rien sur sa fonction, inconnue jusqu'ici, non plus que sur les έρημοφύλακες (cf. Pap. Petr., I, n. 25. III, n. 126). Ceux-ci ont sans doute à garder les vignobles, jardins, colombiers, etc., et sont dits έρημοι (Tebt. Pap., n. 60. 61 a. 62. 64 a. 84. 86. 222), abandonnés pour une raison quelconque.

[141] Rev. Laws, col. 10, lig. 1 ; 12, lig. 17-18.

[142] Pap. Par., 4, in Rev. Laws, App. II, p. 189. Tebt. Pap., n. 13. Pap. Par., n. 66.

[143] Tebt. Pap., n. 32, lig. 17-18. La μέρις est subdivision du nome Arsinoïte. Cet Asclépiade fut promu κάτοικος έκατοντάρουμος par la suite (n. 32. 62. 63) sans que son lot de 24 aroures à Kerkéosiris fût accru ; mais rien ne dit qu’il n’eût pas des terres ailleurs. On sait même (sauf erreur de personne, toujours possible avec l’onomastique grecque) qu’il en avait à Magdola (n. 83). Les archéphodes abondent à l’époque romaine, tandis que les éphodes, très communs sous les Ptolémées, disparaissent complètement sous les empereurs (J. Nicole, in Archiv. f. Ppf., III, 2, p. 230).

[144] Cependant, les devoirs dont Asclépiade, promu κάτοικος, est déchargé sont appelés έφοδικαί λειτουργίαι (Tebt. Pap., n. 32, lig. 4), ce qui, pris à la lettre, signifierait services gratuits. Mais, dans la langue de l’époque, le mot est synonyme d’officia, et nous savons par ailleurs (v. g. Tebt. Pap., n. 121. 179) que les dérangements (exceptionnels ?) étaient rémunérés par des indemnités (n. 479).

[145] Pap. Petr., III, n. 28 r. Hibeh Pap., n. 34. 73. Tebt. Pap., n. 5, lig. 159 ; 43, lig. 6-9. Grenfell, ad loc., p. 47. Tebt. Pap., n. 27, lig. 31 ; n. 251.

[146] Et même en double exemplaire (Tebt. Pap., n. 27 : de 113 a. C.). Ils n’étaient pas tous payés. Cf. la pétition (Pap. Grenf., I, n. 38), probablement du temps de Ptolémée Aulète, un roi dont la bourse était toujours vide.

[147] Hibeh Pap., n. 38. 37. 144.

[148] Tebt. Pap., n. 138. Un suppléant de cette espèce devait être un mince personnage, car, en l’an 118, les autorités de Kerkéosiris, y compris le comogrammate et Démétrios, sont mises en arrestation par Asclépiade, un simple agent d’Aminias épistate des phylacites (Tebt. Pap., p. 43). Cet Onnophris, alors disparu, doit être celui qui, plus tard (?), finit par être capturé et livré, probablement à Tebtynis (n. 230).

[149] Pap. Par., n. 6, avec le commentaire de Letronne et mention de celui d’Am. Peyron. Date 127/6 a. C. Pétition de laboureurs royaux et du comarque Κρονίωι άρχιφυλακίτες Κερκεοσιρέως contre le topogrammate Marrès (Tebt. Pap., n. 41, vers 119 a. C.). les auteurs de pétitions s’adressent généralement au fonctionnaire le plus proche, en le chargeant de faire parvenir leur plainte à qui de droit. Le fermier Apollodore, bâtonné par un fraudeur, dénonce le fait au comogrammate de Kerkéosiris (Tebt. Pap., n. 39). Tel autre s’adresse à l'épimélète (Pap. Petr., II, n. 32) ou à l’économe (ibid., col. 2 b) ou au basilicogrammate (Tebt. Pap., n. 40) ou au comogrammate (ibid., n. 44. 51. 53) ou à l’épistate du bourg (ibid., n. 52). Le catœque Mélas saisit son supérieur et patron (ibid., n. 54). Nombreuses sont les pétitions qui vont directement au stratège ou au roi.

[150] Menchès, arrêté un jour et accusé d’empoisonnement, a été l’objet d’une ordonnance de non-lieu rendue par une commission d’enquête composée de l'épistate des phylacites et du basilicogrammate (Tebt. Pap., n. 43). Sur le départ des juridictions, voyez ci-après, ch. XXIX.

[151] Pap. Reinach, n. 17 ; de 109 a. C.

[152] Ainsi, le stratège Hermias ordonne à l’archiphylacite Hermogène de remettre Hermias, fils de Ptolémée, en possession de sa maison (Pap. Par., n. 15, lig. 24-25).

[153] Tebt. Pap., n. 27, lig. 29 : an. 113 a. C. Les archiphylacites sont classés à côté des économes — soit avant, soit après — dans les ordonnances des rois ou des diœcètes (Tebt. Pap., n. 5, lig. 142, 159 ; n. 6, lig, 14 ; n. 27, lig. 21), ou encore, après l’épistate et avant les scribes, basilicogrammates et autres.

[154] Hibeh Papyri, n. 51-58. 56. 58.

[155] Hibeh Papyri, n. 51. Un chargement de ces tissus fait couler un bateau frété pour le compte du gouvernement.

[156] Hibeh Papyri, n. 55. 57. 59-62.

[157] Hibeh Papyri, n. 54.

[158] Tebt. Pap., n. 5, lig. 188-192.

[159] Voyez ci-dessus le cas d’Apollonios fixant le prix de la myrrhe (Tebt. Pap., n. 35). Sur la corporation des μαχαιροφόροι de Memphis, qui ont pour ίερεύς le stratège Dorlon, voyez le curieux décret rendu par les Iduméens en l’honneur du dit stratège, inscription des plus intéressantes pour l’étude des corporations militaires et de la gendarmerie à l’époque ptolémaïque. A propos de ces μαχαιροφόροι, qu’il tient pour des soldats réguliers, Strack ne veut pas que ce soient des appariteurs ou des gendarmes. « Die Existenz eines Gendarmeriekorps, zum Schutz der Beamten über Aegypten verteilt, würde mir das Bild des späteren ptolemäischen Aegypten durchaus verändern. Je m’en tiens à l’opinion précédemment adoptée. Pap. Amherzt, II, n. 62). P. Jonguet, in BCH., 1896, p. 119.

[160] Tebt. Pap., n. 27. La distinction entre φύλαξ, garde privé, et φυλακίτης apparaît nettement dans Pap. Par., II, n. 32, col. 2 a.

[161] Pap. Par., n. 11. 35. 31. 42. Cf. Wilcken, in Archiv. f. Ppf., I, p. 129. W. Otto, Priester und Tempel, p. 285.

[162] Sur la marine des Anciens en général, voyez la Bibliographie dressée par Ad. Bauer, Die griech. Kriegsaltertümer, in Ildb. d. Alt. d'Iwan von Müller, IV2, 2 [1893], pp. 288-290, 363-4. L’article de P. Garofalo, Sulle armate tolemaiche (in Rendiconti d. R. Acad. dei Lincei, XI, 3 (1902), pp. 131-165), n’a pas renouvelé le sujet. On connaît par les inscriptions quelques noms de navarques égyptiens (comme Philœlès, Bacchon, Callicrate), des triérarques et des types de navires. Un décret d'Ios récemment publié (Contoléon et Th. Reinach, in Rev. des Ét. gr., [1904], p. 196-201) montre que Zénon, lieutenant de Bacchon, navarque de Ptolémée Philadelphe, une sorte de vice-amiral, avait autorité sur les triérarques, et ceux-ci sur les bâtiments légers adjoints à leurs navires de guerre. Le nom d’un ύποτριήραοχος égyptien, Horos, se rencontre dans un papyrus du Fayoum (Pap. Petr., II, n. 13. 7. III, n. 64 b), au temps de Philadelphe. Était-ce un ancien officier de marine ? — Sur la solde des matelots (Polybe, V, 89, 4). Il me parait inutile d’échafauder sur cette donnée des calculs tout en conjectures sur les rations que représenteraient (pendant combien de temps ?) 20.000 artabes de blé pour les équipages de 10 trières. On avait pensé que la taxe appelée τριηράρχημα (Pap. Petr., III, n. 110, etc.) pouvait être une sorte de liturgie on taxe destinée à équiper un vaisseau de guerre ; ou, d’une manière plus générale, à entretenir la flotte (Wilcken) ; ou, au contraire, une taxi des pauvres payée par la marine (Révillout) : mais on trouve le titre de τριήραρχος donné à un conducteur des travaux dans les mines, chef d’un πλήρωμα d’ouvriers (ibid., n. 43, 3), et il n’est, par conséquent, aucunement certain qu’il soit ici question de la marine. On pourrait supposer qu’il s’agit des galériens, rameurs par destination, mais employés à d’autres besognes (?). On ne saurait dire non plus si les μισθοφόροι πληρώμα[τος] stationnés sur la mer Rouge (Pap. Great, I, n. 9) appartiennent à la marine.

[163] Athénée, V, p. 203 d. Cf. l’énumération d’Appien (Proœm., 10). Il n’oublie pas les 800 θαλαμηγά tout dorés, à l’usage de la cour.

[164] Strabon, XVII, p. 831.

[165] Ces bateaux du petit tonnage figurent dans le bilan de la marine de guerre dressé par Appien (Proœm., 10).

[166] Hibeh Pap., n. 39. Déjà, le 11 Phaophi an XIX (7 déc. 267 a. C.), Paoutès, le σιτομέτρης de Xanthos, donne reçu à Euphranor pour des grains provenant de la rente du lot d’Alexandre et embarqués sur un chaland désigné par les noms (disparus) du κυβερνήτης et du ναύκληρος (ibid., n. 100). Reçus de ναύκληροι dans Pap. Per., II, n. 47, du temps de Philopator. Correspondance officielle (de 252 a. C.) relative aux transports des grains, par bateaux neufs et vieux réparés par des ναυπηγοί (Pap. Par., II, n. 20. III, n. 36 b) .

[167] Hibeh Pap., n. 98. Même déclaration, peut-être de la même année, pour 7.500 artabes d’orge à transporter à Alexandrie (ibid., n. 156). L’artabe ptolémaïque contenant 39 lit. 39 et le poids moyen de l’orge étant de 61 kil. à l’hectolitre, les chargements précités représentent des poids de au moins 121 et 189 tonnes. La formule καί ούθίν έγκαλώ se retrouve dans d’autres documents similaires (ibid., n. 87. Pap. Par., II, n. 48). Il est encore question de grains expédiés par κέρκουροι dans Hibek Pap., n. 82, de l’an IX (239/8 a. C., datation en mois macédoniens).

[168] Hibeh Pap., n. 38. A ajouter à la liste des accidents signalés encore de nos jours comme imputables aux pontées ou chargements sur le pont, qui déséquilibrent le navire. Aventure analogue survenue dans les mêmes parages, relatée dans les Pap. Magdol., n. 31 et 11 (deux fragments du rente rapport : déclaration du patron d’un κέρακουρος, dont le bateau n’a pu coulé, mais n’a pu suivre sa route et a été tiré à la cordelle jusqu’au port d’Aphroditopolis).

[169] Hérodote, VIII, 98. Le nom perse de cette messagerie a passé, mais restreint aux gros charrois, dans la terminologie de la poste romaine sous le Bas-Empire. Il figure aussi dans la correspondance précitée, appliqué aux transports par bateaux (Pap. Petr., II, n. 20, col. IV, lig. 5. 14), et l’on voit que l’entrepreneur dispose, pour son service particulier, d’un bateau rapide. En somme, tous les transports pour le compte de l’État constituent le cursus publicus de l’Égypte.

[170] J’avais conjecturé a priori . que les Pharaons avaient dû organiser un service postal. M. Alexandre Moret veut bien me fournir sur cette époque des renseignements précis, que je me borne à transcrire, avec l’expression de ma gratitude. — Chabas (Voyage d'un Égyptien, pp. 137-138) a signalé l’existence de porte-lettres courriers des postes égyptiennes... Différents documents prouvent que le service des correspondances était organisé dès les temps pharaoniques, bien avant l’époque de la reine des Perses Atossa, à laquelle certaines traditions rapportent l’honneur de cette institution (Eusèbe, Prép. Évang., ch. VI). Les correspondances administratives de l’époque de Ramessides font en effet allusion à un service des postes royales qui semble régulier : Écris-moi par la main des porte-lettres qui viennent de ta part (Pap. Anastasi, V, pl. 12, 1. 7 : cf. Maspero, Du genre épistolaire, p. 2. Erman, Aegypten, p. 653). Antérieurement à la XIXe dynastie, les Pharaons employaient des messagers, non seulement pour les missions diplomatiques (Lettres d’El-Amarna), mais pour le service intérieur. Il semble que des textes de la VIe dynastie permettent d’affirmer que ce service des messagers était régulier (Lettre de Pépi II à Birkouf, ap. Aegypt. Zeitschrift, XXXI, pp. 65 et 70 : décret de Pépi Ier à Dahchour, ibid.,  XLII, p. 6).

[171] Hibeh Pap., n. 110 verso : écrit sur un papyrus déjà employé au recto, une quinzaine d’années plus tôt, pour un compte privé. Apollonios, destinataire de cinq envois, ayant été diœcète dans les années XXVII-XXXII (239-253 a. C.) de Philadelphe (Rev. Laws, c. 38, 3. Hibeh Pap., n. 44), le document se trouve ainsi daté approximativement. Le mot κυ(λιστός), répété à satiété, est le plus souvent écrit en abrégé.