Le successeur de Philadelphe fut le fils aîné de la première Arsinoé, adopté par la seconde. Longtemps tenu en suspicion et peut-être traité en bâtard par sa redoutable belle-mère, le prince était arrivé à l’âge mûr sans avoir pu apprendre autrement qu’en spectateur son métier de roi. Bien qu’il ait été associé au trône durant quelques années, on ne voit pas qu’il ait eu une part quelconque au gouvernement, et qu’il y ait eu quelque chose de changé lorsque son nom fut inscrit au protocole ou lorsqu’il en fut effacé. Nous ne savons absolument rien de sa jeunesse, pas même le nom d’un précepteur ou le souvenir de quelque excursion avec les chasseurs d’éléphants[1]. Personne, parmi les poètes de la cour, ne parle de lui, sauf peut-être à mots couverts et dans des allusions malveillantes[2]. Il avait dépassé la trentaine sans avoir d’épouse légitime et de foyer à lui. Il est probable que la règle dynastique le voulait ainsi ou était interprétée de cette façon, le mariage, dans la famille royale, impliquant et déclarant la royauté effective[3]. On s’explique ainsi qu’il soit resté, des années durant, le fiancé et non l’époux de l’héritière du royaume de Cyrène, attendant le moment où il deviendrait à la fois roi d’Égypte et roi de Cyrène[4]. Le premier acte de son règne fut donc de mettre fin au schisme qui durait depuis trente ans en épousant Bérénice, fille de Magas[5]. La Cyrénaïque fut de nouveau réunie à l’Égypte, mais en gardant son autonomie, sous forme de xotv6v, et sa monnaie particulière. La jeune reine avait montré, dans la tragédie domestique qui coûta la vie à Démétrios le Beau, une énergie peu commune. Callimaque célébra l’exploit par lequel elle avait mérité l’hymen royal, avec une vaillance que nul n’a surpassée[6]. Cette belle et fière Bérénice n’eut pas à rougir de son frère-époux[7]. Le prince jusque-là délaissé et inconnu déploya tout d’un coup une vigueur que l’on n’avait jamais connue à son père. § I. — LES CONQUÊTES. Le mariage négocié par Philadelphe pour mettre fin à la deuxième guerre de Syrie avait abouti à une catastrophe. Il est probable qu’en apprenant la mort de Philadelphe[8], Antiochos II avait voulu revoir l’épouse qu’il avait dû répudier pour épouser la fille du roi d’Égypte, et les enfants qu’elle avait emmenés avec elle. Il n’entendait sans doute pas se séparer de Bérénice, qui lui avait donné un fils et dont la dot était bonne à garder. La bigamie ne l’effrayait pas, et il comptait trouver un expédient quelconque pour réhabiliter sa famille délaissée sans rompre le mariage que lui avait imposé l’astucieuse politique du Lagide. Les choses tournèrent autrement qu’il ne l’avait pensé. La réconciliation se fit dans une ville d’Asie-Mineure, peut-être à Éphèse, où il semble que Laodice avait fixé sa résidence. Que se passa-t-il alors ? On ne peut faire à ce sujet que des conjectures. Il parait bien que le roi reconnut les droits et de Laodice et de ses enfants, et que celle-ci, craignant de voir ces droits remis en question par quelque nouveau revirement d’une volonté toujours hésitante, empoisonna Antiochos[9]. C’est du moins ce que prétend une tradition dont la critique impute la responsabilité à Phylarque de Naucratis et dénonce par là même le caractère suspect. Nous avons là un écho des propos qui circulaient et trouvaient créance en Égypte. On prétendait même que Laodice avait ajouté à l’assassinat une comédie sacrilège, dans le but de tromper l’opinion sur les volontés dernières du défunt. Cachant le cadavre encore chaud du roi, elle aurait fait coucher dans le lit royal un certain Artémon, qui ressemblait d’une façon frappante à Antiochos, et c’est ce prétendu moribond qui, en présence d’une grande affluence de peuple, aurait recommandé à la loyauté de ses fidèles sujets Laodice et ses enfants[10]. Le roi mort, Laodice fit aussitôt proclamer en Asie-Mineure son fils Séleucos II, connu dans l’histoire sous le nom de Séleucos Callinicos. Dès que le bruit de ces événements parvint à Antioche, les partisans de Laodice et de Séleucos se soulevèrent contre l’Égyptienne, qui se réfugia avec son fils et une poignée de mercenaires gaulois dans le château-fort de Daphné. Elle ne pouvait être sauvée que par une rapide et décisive intervention ; mais le secours était hors de portée, et elle n’eut pas les moyens ou la patience de l’attendre : ceux qui auraient voulu la défendre ne purent que la venger. Nous ne savons pas au juste comment finit cette tragédie, second acte de la trilogie qui se continue par l’invasion de la Syrie et le châtiment du crime. Ce qui est probable, c’est que Bérénice fut attirée hors de son refuge par de fallacieuses promesses et massacrée avec l’enfant dont Laodice tenait avant tout à se débarrasser[11]. Ainsi commença la troisième guerre de Syrie, appelée aussi guerre de Laodice[12]. D’après Justin, les villes d’Asie, apprenant que Bérénice était assiégée dans Daphné, lui envoyèrent aussitôt des secours. Puis, informées du guet-apens où Bérénice et son fils avaient trouvé la mort, elles équipent une grande flotte et joignent leurs forces à celles de Ptolémée, ou, comme le dit l’historien, se livrent à Ptolémée, sans autre motif que la compassion d’abord, l’indignation ensuite. Les cités grecques, enflammées d’un beau zèle pour la morale désintéressée, ne voient dans Séleucos que le parricide[13], dans Ptolémée que le frère vengeant sa sœur. Ce récit, qui suppose une défection générale et soudaine de toutes les villes du littoral, suivie à bref délai d’un revirement non moins soudain en faveur de Séleucos malheureux et digne à son tour de compassion, inspirait des doutes légitimes, même au temps où le témoignage unique de Justin échappait à tout contrôle. Nous avons maintenant une autre source de renseignements qui éclairent d’un jour nouveau une partie tout au moins du théâtre de la guerre. Un papyrus du Fayoum nous a rendu des fragments du rapport d’un officier de la flotte égyptienne sur les opérations militaires qui ont eu lieu au début de la guerre, entre les côtes de Cypre, de Cilicie et de Syrie[14]. Ce texte mutilé et assez incohérent offre de grandes difficultés d’exégèse et ne permet qu’une restitution approximative de la série des susdites opérations. La flotte égyptienne a dû partir de Cypre et se partager pour suffire à une double tâche. Une escadre se dirigea vers la côte de Cilicie pour intercepter les communications entre Laodice, qui se trouvait encore en Asie-Mineure, et Antioche. L’amiral égyptien parait n’avoir rencontré aucune résistance de la part des villes de la côte, surtout après qu’il eut rassuré les habitants en traitant avec humanité la première ville (Tarse ?) tombée en son pouvoir. Ce sont là vraisemblablement les cités qui, suivant l’expression de Justin, se livrent à Ptolémée. Le satrape de Cilicie, Aribaze, qui avait reçu de Laodice l’ordre d’expédier à Éphèse 1.500 talents et de défendre énergiquement sa province, se vit tout à coup cerné dans Séleucie (sur le Calycadnos) par un soulèvement concerté avec des rebelles venus de Soles, des émissaires égyptiens et les satrapes ou fonctionnaires de la localité. Il abandonne aux assaillants les 1.500 talents qui allaient être embarqués pour Éphèse et s’enfuit du côté de la montagne. Mais les passes du Taurus étaient barrées : Aribaze est pris, décapité, et sa tète est envoyée à Antioche, où, dans l’intervalle, étaient entrées les troupes égyptiennes. La prise d’Antioche[15] doit avoir été le couronnement des efforts tentés simultanément par le gros de la flotte. Le narrateur parle ici à la première personne du pluriel, c’est-à-dire en témoin oculaire. Il faisait partie de l’expédition, et on peut même se demander s’il n’en était pas le chef. La flotte, partie probablement de Salamine, effectua de nuit son trajet. Au commencement de la première veille, dit l’auteur du rapport, nous embarquâmes sur autant de navires qu’on pouvait contenir le port de Séleucie (sur l’Oronte), et nous cinglâmes vers le fort appelé Posidion (au S. des bouches de l’Oronte), où nous arrivâmes de jour vers la huitième heure. De là, reprenant la mer à l’aube, nous arrivons à Séleucie. Les prêtres, les autorités et les autres citoyens, les officiers et soldats, couronne en tète, venaient à notre rencontre sur le chemin du port[16]. Dès le lendemain, l’expédition se dirige sur Antioche. Une lacune supprime pour nous cette étape, qui put être franchie soit par terre, soit par le fleuve. Il semble que les autorités d’Antioche aient essayé des apprêts de défense, mais l’énergie du commandant égyptien fut telle que tous furent terrifiés. On vint, en effet, à notre rencontre hors de la ville, les satrapes et les autres officiers, et les prêtresses et les prêtres et les magistrats en corps, et tous les jeunes gens du gymnase et le reste de la cour avec couronnes, et on apporta tous les objets sacrés sur l’avenue devant la porte, et les uns nous tendaient la main, les autres nous embrassaient, avec de bruyantes acclamations. Pendant ce temps, Ptolémée envahissait la Syrie par le sud. La reddition spontanée d’Antioche le dispensant de marcher sur la capitale, il est probable qu’il se hâta de franchir l’Euphrate pour se saisir des provinces orientales de l’empire séleucide avant qu’une résistance quelconque y fût organisée. Les peuples de ces régions devaient être fort peu disposés à défendre l’intégrité de l’empire auquel ils avaient été incorporés par la conquête, et il leur était assez indifférent de changer de maître. Si, comme le veut Polyen, le roi d’Égypte s’était fait précéder de proclamations au nom de Bérénice et de son fils, supposés vivants et régnant à Antioche[17], il dut s’apercevoir bientôt que la précaution était superflue. Nous rencontrerons plus loin l’énumération de ses conquêtes, mais pas un seul nom de bataille. Tout se soumit, au dire de Polyen, depuis le Taurus jusqu’à l’Inde, sans guerre ni combat. Ptolémée eut le bon esprit de se contenter d’une soumission nominale et de ne pas réclamer au roi de Bactriane et aux Parthes les provinces qu’ils avaient déjà détachées de l’empire des Séleucides. On peut même penser qu’il s’arrêta à Séleucie ou à Babylone, et que, s’il envoya plus loin des corps de troupes, ce fut pour exploiter une conquête qu’il n’espérait pas garder[18]. Pendant qu’il s’emparait ainsi de la Haute-Asie, ses généraux s’attaquaient au littoral de l’Asie-Mineure, comptant sur les défections plus encore que sur les attaques de vive force. Éphèse, le quartier général de Laodice, tomba entre leurs mains[19], et peut-être Magnésie du Méandre[20] ; Priène, Smyrne, demeurèrent fidèles aux Séleucides[21]. Séleucos ne restait pas non plus inactif. Il avait équipé, sans doute dans les ports de l’Ionie, une flotte avec laquelle il espérait reprendre l’avantage sur les côtes de Cilicie et de Syrie. Mais une tempête coula ses vaisseaux, et il échappa à grand’peine au naufrage avec quelques compagnons d’infortune. C’est alors, suivant Justin, que les villes grecques, touchées de compassion, se rallièrent à sa cause. En fait, les Grecs d’Asie durent faire réflexion que la ruine totale des Séleucides les laisserait à la merci de l’Égypte, et que la domination égyptienne menaçait surtout la liberté de leur commerce maritime, c’est-à-dire la source même de leur prospérité. Les Rhodiens, jusque-là amis de l’Égypte et en tout temps intéressés à rester neutres, firent des préparatifs de guerre. D’autre part, des attaques dirigées contre les possessions des Séleucides sur les côtes de Thrace[22] alarmèrent Antigone Gonatas, qui, vingt ans après sa victoire de Cos, insuffisamment utilisée, voyait reparaître les prétentions de l’Égypte à l’hégémonie dans l’Archipel. Une coalition allait se former entre des intérêts qui se trouvaient pour le moment d’accord avec ceux du Séleucide. Ptolémée dut comprendre qu’il était dangereux pour lui de s’attarder en Orient. A vrai dire, les textes sommaires qui mentionnent son retour ne font aucune allusion à ces motifs, et il entre une trop grande part de conjectures dans l’ordonnance chronologique des faits pour qu’on y insiste. Justin et S. Jérôme s’accordent à dire que Ptolémée ne put achever la conquête du royaume de Séleucos, parce qu’il fut rappelé en Égypte par une sédition « domestique[23] ». Que pouvait bien être cette sédition, assez grave pour que le roi crût devoir rentrer précipitamment dans ses États ? Était-ce la véritable raison ou le prétexte de son retour ? Il faut nous résoudre à l’ignorer. A défaut d’une révolte de Cyrène, que les auteurs auraient aisément indiquée par une expression plus précise que le terme vague de sédition domestique, — et qu’ils n’auraient sans doute pas placée en Égypte — on en est réduit à supposer des révoltes provoquées peut-être par la fiscalité oppressive, et même sacrilège aux yeux des prêtres, organisée à la fin du dernier règne[24]. Une récolte manquée put ajouter à tous ces mécontentements l’aiguillon de la faim et faire éclater l’insurrection. Ptolémée revint donc de l’Orient, abandonnant sa conquête, mais chargé de butin. Il rapportait en Égypte, dit S. Jérôme, 40.000 talents d’argent, des vases précieux et des images de dieux au nombre de 2.500 : dans le nombre étaient aussi celles que Cambyse avait emportées en Perse lorsqu’il s’empara de l’Égypte. En suite de quoi, le peuple égyptien, adonné à l’idolâtrie, l’appela Évergète, parce qu’il leur avait rendu leurs dieux après de longues années[25]. Il garda pour lui la Syrie, mais il donna la Cilicie à gouverner à son ami Antiochos, et à un autre général, Xanthippe, les provinces au delà de l’Euphrate[26]. Il est probable qu’il comptait peu sur le maintien de l’autorité confiée à Xanthippe ; mais il faisait bonne contenance. L’inscription d’Adulis[27] n’oublie pas non plus de relater que Ptolémée « a recherché tous les objets sacrés que les Perses avaient emportés d’Égypte et les a rapportés de ces lieux en Égypte avec les autres trésors ». Le compliment, pour avoir servi déjà aux deux premiers Ptolémées[28], était toujours d’un effet immanquable sur le peuple égyptien, dont il flattait à la fois la dévotion et le patriotisme. Le retour du maître, les mesures qu’il prit pour remédier à la disette, en faisant venir des blés de Syrie, de Phénicie et de Cypre et de beaucoup d’autres lieux[29], quelques exécutions de rebelles traqués dans les marais du Delta[30], eurent bien vite raison de la sédition domestique. Les poètes purent déjà célébrer les triomphes de Ptolémée Évergète et l’heureuse influence de la nouvelle constellation formée au ciel par les boucles de cheveux que Bérénice avait consacrées dans le sanctuaire d’Aphrodite Zéphyritis, en guise de vœu pour le salut de son époux. Il est à croire que le galant astronome Conon de Samos ne tarda guère à découvrir ce qu’était devenue la Chevelure de Bérénice, miraculeusement disparue, et Callimaque à en informer l’univers[31]. Mais la guerre était loin d’être terminée. Le conflit entre deux puissantes dynasties avait déterminé un ébranlement général dont les répercussions se faisaient sentir tout autour de la mer Égée. Les Rhodiens se portèrent au secours d’Éphèse, livrée aux Égyptiens par Sophron. Leur flotte, sous la conduite d’Agathostratos, surprit dans le port et détruisit une escadre égyptienne commandée par Chrémonide[32]. Mais Éphèse resta au pouvoir des adversaires, qui y entretinrent désormais une forte garnison[33]. Par contre, les Égyptiens s’emparaient de la Chersonèse de Thrace et de la côte qui confine à la Macédoine, avec le concours de mercenaires thraces[34] et malgré la résistance d’un certain Adæos, probablement un dynaste de la région, vassal des Séleucides. De son côté, Antigone, inquiété par ces succès, avait aussi armé une flotte qui rencontra près d’Andros une flotte égyptienne commandée par Sophron et, bien qu’inférieure en nombre, remporta la victoire[35]. Victoire glorieuse, mais inutile ; car le vieux roi de Macédoine se trouva de nouveau assailli, à soixante-quinze ans, par des complications qui lui rappelaient les plus mauvais jours de sa jeunesse. Non seulement la Ligue achéenne, dirigée par Aratos, s’agrandissait de jour en jour à ses dépens, mais le représentant de son autorité dans l’Hellade et le Péloponnèse, Alexandre, fils de son beau-frère Cratère, fit défection et prit le titre de roi. Quand même nous ne saurions pas qu’Aratos avait été en relations suivies avec Philadelphe et que, plus tard, il fit déclarer Ptolémée Évergète allié de la Ligue et généralissime de ses forces de terre et de mer[36], nous aurions deviné que les conseils et l’argent du Lagide avaient préparé ce revirement, lequel surprit Antigone au moment où il entrait en lice dans l’Archipel, peut-être même avant la bataille d’Andros. En ce qui concerne la guerre de Syrie, Antigone était maintenant hors de combat. Il usa le reste de sa vie à lutter pour ressaisir ce qu’il avait perdu, à intriguer au jour le jour, au milieu d’un chaos anarchique dont il ne vit pas la fin. Cependant, Séleucos II, réfugié dans l’intérieur de l’Asie-Mineure, se préparait à reprendre la lutte en négociant des alliances par le procédé usuel, les mariages politiques. Ses deux sœurs, Laodice (?) et Stratonice, épousèrent l’une Mithridate de Pont, l’autre — alors ou un peu plus tard — Ariarathe de Cappadoce. Il eut ainsi des beaux-frères qui pouvaient lui fournir de l’argent et des soldats ; et lui-même, en épousant la fille d’Achœos[37], se donna un beau-père capable de lui servir au besoin de diplomate ou de général. Ainsi pourvu, il prit l’offensive et envahit la Syrie Séleucide. L’occupation égyptienne, œuvre de surprise, n’avait été supportée qu’à contrecœur ; dès qu’il y eut chance pour les Syriens et Ciliciens de secouer le joug, elle fut balayée en un instant. Séleucos rentra dans sa capitale et poursuivit sa marche victorieuse jusqu’à l’Euphrate, où il fonda, dit-on[38], en guise de trophée, la ville de Callinicon (242). Il est probable que les provinces au delà de l’Euphrate reconnurent du même coup son autorité et reprirent spontanément leurs anciennes habitudes. Ce mouvement de réaction parait avoir gagné la Cœlé-Syrie, où une trentaine d’années de domination égyptienne n’avaient pu faire oublier la communauté de race et de langue qui unissait les deux moitiés, artificiellement séparées, de l’Aram. Ptolémée, qui tenait médiocrement à ses conquêtes, ne pouvait laisser entamer son héritage. Ses troupes assiégeaient en 242/1 les villes rebelles de Damas et d’Orthosia sur la côte phénicienne ; mais Séleucos, revenant de l’Orient, réussit à les débloquer l’une et l’autre[39]. Le jeune roi, enhardi par cette suite ininterrompue de succès, se crut en état de reprendre la Cœlé-Syrie et de soutenir le choc qu’il était aisé de prévoir. Il fut complètement battu et se réfugia, avec les débris de son armée, à Antioche[40]. On ne voit pas que Ptolémée ait songé à l’y poursuivre, ni qu’il ait utilisé la scission qui se produisit alors au sein de la famille royale de Syrie. Séleucos avait sans doute secoué trop ostensiblement la tutelle et mal servi les vengeances de sa mère Laodice[41] : tout à coup, son jeune frère, Antiochos dit Hiérax, se fit proclamer roi en Asie-Mineure et annonçait l’intention de détrôner son frère. Au lieu de profiter de ces discordes pour reprendre l’offensive, Ptolémée attendit que les deux frères eussent conclu entre eux un arrangement à l’amiable : il signa alors avec Séleucos, seul responsable à ses yeux, un armistice qui devint, par sa volonté obstinément pacifique, une paix définitive (240)[42]. Il jugea qu’il était temps de mettre fin à une querelle qui ne pouvait qu’user les forces des belligérants et qui — symptôme inquiétant — commençait à attirer l’attention des Romains[43]. L’occasion qu’il avait négligée se représenta par la suite, et d’une façon continue, au cours de l’interminable guerre qui éclata bientôt après entre les deux Séleucides et se poursuivit, avec des péripéties variées, dix années durant. Ptolémée demeura spectateur indifférent de la lutte et plutôt désireux de la voir finir. Quand on songe que Ptolémée III Évergète a été le prince le plus belliqueux et l’unique conquérant de la dynastie, le seul à qui l’on a pu prêter les visées d’Alexandre le Grand, on constate que la politique héréditaire des Lagides a toujours été dirigée par l’esprit du premier ancêtre et conforme à son programme. En dehors de l’Égypte, les Ptolémées n’attachent d’importance qu’à la possession de la Cyrénaïque, de Cypre, de la Cœlé-Syrie et Phénicie ; le reste est un surcroît dont ils peuvent se passer et qui figure au chapitre des profits et pertes[44]. Une main inconnue a élevé à ce conquérant si peu soucieux de gloire un monument qui parle encore de ses exploits à la postérité, la célèbre inscription d’Adulis[45]. Au VIe siècle de notre ère, un négociant alexandrin du nom de Kosmas, passant par Adulis, sur la côte africaine de la mer Rouge[46], vit une espèce de trône de marbre, orné au dossier des figures d’Hermès et d’Héraklès, sur lequel avait été placée une stèle de basalte, le tout couvert d’inscriptions en langue grecque. Ces inscriptions, le voyageur en prit une copie, que plus tard, quand il se fut retiré dans un couvent du Sinaï, il inséra dans un livre édifiant destiné à prouver que, pour un bon chrétien instruit par l’Écriture sainte, la Terre est un rectangle recouvert par un firmament de cristal semblable à l’arche de Noé. Voici ce que Kosmas lut sur la stèle de basalte : Le grand roi Ptolémée, fils du
roi. Ptolémée et de la reine Arsinoé, dieux Adelphes, nés eux-mêmes du roi
Ptolémée et de la reine Bérénice, dieux Sauveurs, descendant par son père
d’Héraklès, fils de Zeus, et par sa mère de Dionysos, fils de Zeus[47], ayant hérité de son père la royauté sur l’Égypte, la
Libye, la Syrie et la Phénicie, et Cypre et la Lycie et la Carie et les îles
Cyclades, partit en expédition pour l’Asie avec des troupes à pied et à
cheval et une flotte et des éléphants troglodytiques et éthiopiques que son
père et lui avaient été les premiers à chasser dans ces régions, qu’ils
avaient amenés en Égypte. et équipés à usage de guerre[48]. S’étant rendu maître de tout le pays en deçà de
l’Euphrate, et de la Cilicie et de la Pamphylie et de l’Ionie et de
l’Hellespont et de la Thrace et de toutes les forces et éléphants indiens qui
se trouvaient dans ces contrées, et s’étant assujetti tous les monarques
compris dans les dits lieux, il franchit le fleuve Euphrate, et, ayant soumis
la Mésopotamie et la Babylonie et la Susiane et la Perse et la Médie et tout
le reste jusqu’à la Bactriane[49], et ayant recherché tous les objets sacrés emportés
d’Égypte par les Perses et les ayant rapportés en Égypte avec tous les autres
trésors provenant de ces lieux, il expédia des troupes par les fleuves
creusés de main d’homme... La fin de cette inscription et le début de la suivante ont disparu dans une lacune due à des dégradations que signale Kosmas. La stèle a-t-elle été gravée sur place, au temps de Ptolémée III, ou plus tard[50] ; a-t-elle été apportée en ce lieu par quelque potentat abyssinien, qui prétendait continuer les exploits et peut-être la race des Ptolémées : autant de questions que la disparition du monument original a rendues insolubles. En tout cas, on ne saurait soupçonner le naïf Kosmas d’avoir fabriqué ce texte : l’absence de critique dont il a fait preuve est une garantie de sa sincérité. L’historien est en droit d’y chercher la vérité officielle, qui n’est pas exempte de fiction, en ce sens qu’elle ne distingue pas entre les conquêtes éphémères et les acquisitions durables. La paix de 240, conclue sous forme d’armistice, dut laisser les choses en l’état. Séleucos, n’ayant pas réussi à reprendre possession de Séleucie sur l’Oronte, se résigna à laisser le port d’Antioche occupé par une garnison égyptienne[51]. C’était, en somme, s’avouer vaincu. Éphèse, qui était comme sa seconde capitale, resta de même aux mains du Lagide, et, plus haut encore, Lébédos, qui prit le nom de Ptolémaïs. Ptolémée ajouta aux possessions léguées par son père la côte de Thrace et d’Hellespont. Pour le reste, il nous est actuellement impossible de discerner les pertes et les gains qu’avait pu faire le protectorat égyptien sur le littoral de l’Asie-Mineure et dans l’Archipel[52]. Cependant, l’hégémonie égyptienne s’était affermie et étendue dans tous ces parages, car Polybe, comparant à l’indolence de Ptolémée IV Philopator l’activité de ses prédécesseurs, dit de ceux-ci : ils s’attaquaient aux rois de Syrie sur terre et sur mer, se rendant maîtres de la Cœlé-Syrie et de Cypre ; ils s’en prenaient également aux dynastes d’Asie et aux îles, disposant des plus illustres villes, localités et ports tout le long du littoral, depuis la Pamphylie jusqu’à l’Hellespont et aux régions du côté de Lysimachia ; ils s’ingéraient aussi dans les affaires de Thrace et de Macédoine, installés en maîtres dans les villes de la région d’Ænos, Maronée, et plus loin encore. De cette façon, ils étendaient la main à grande distance, poussant en avant leur domination, sans avoir jamais à lutter pour la possession de l’Égypte[53]. L’histoire des quatre-vingts et quelques années que nous venons de parcourir permet de faire approximativement, dans ce bilan d’acquisitions, la part des trois premiers Lagides. On remarquera que la Cilicie n’y figure plus[54] : mais il n’est pas probable que Ptolémée III ait cédé en entier cette conquête, car on rencontre plus tard Antiochos III occupé à déloger des principales villes du littoral les garnisons égyptiennes[55]. § II. — LES ANNÉES DE PAIX. Désormais, Évergète se consacre tout entier aux affaires intérieures du royaume. Il s’occupe d’installer au Fayoum, la nouvelle province créée par Philadelphe, les vétérans de son armée, les fils de ceux qui ont succombé dans la guerre de Syrie, et les captifs qu’il a ramenés d’Asie, ceux-ci destinés à fournir la main-d’œuvre aux colons propriétaires[56]. Son attention se tourne aussi du côté des affaires religieuses et des questions connexes. Il paraît même avoir eu, sur ces problèmes d’ordre psychologique, des idées originales qui donnent quelque relief aux traits, pour nous si effacés, de sa physionomie. La transformation des κλήροι en propriété privée est déjà l’indice de réflexions sur les avantages et inconvénients de deux systèmes différents. A partir de l’an VI (241) jusqu’à la fin du règne et pendant tout le règne suivant (221-204), on ne connaît aucun didrachme ou tétradrachme d’argent daté d’après les années de règne. Les dates adoptées par Ptolémée III et Ptolémée IV appartiennent à une ère commençant en 311, c’est-à-dire l’ère de la dynastie des Lagides, considérée comme succédant immédiatement à Alexandre IV (mort en 344)[57]. Évergète voulait sans doute, à l’exemple des Séleucides[58], instituer une chronologie à la fois nationale et dynastique. Il avait du goût pour les sciences exactes, et, à en juger par la faveur dont jouit auprès de lui le grand géographe et chronographe Ératosthène, auquel il donna, quelques années plus tard (vers 235), la succession de Callimaque, on peut croire qu’il prenait conseil des savants du Musée. Ce sont certainement les astronomes et mathématiciens d’Alexandrie qui lui ont suggéré une réforme du calendrier, non pas du calendrier macédonien, de système lunisolaire, mais du calendrier égyptien, qui, une fois réformé et tiré de la routine de l’année vague de 365 jours, pourrait remplacer l’autre avec avantage et devenir le régulateur national. On est étonné d’apprendre que, deux siècles avant Jules César, un roi d’Égypte avait songé à accomplir la même réforme et à la faire accepter du clergé égyptien réuni en concile. C’est par un décret du synode sacerdotal réuni à Canope que nous connaissons ce mémorable projet du souverain, qui comptait faire prévaloir sur les habitudes de deux peuples le calendrier égyptien retouché par la science grecque[59]. Il se peut que Philadelphe, préoccupé de tenir le clergé dans une étroite dépendance, l’ait assujetti déjà à des convocations annuelles près de sa personne royale et que le synode de Canope ait été tenu en vertu de cet usage. En tout cas, l’assemblée eut, cette fois, à faire un usage exceptionnel de ses pouvoirs, et ses décrets, valables pour l’Égypte entière, ont une importance telle que le document vaut la peine d’être cité en entier[60]. Voici la traduction du texte grec : Sous le règne de Ptolémée, fils de Ptolémée et d’Arsinoé, [1] dieux Adelphes, l’an IX, Apollonide fils de Moschion étant prêtre d’Alexandre [et des dieux] | Adelphes et des dieux [2] Évergètes, Ménécrateia fille de Philammon étant canéphore d’Arsinoé Philadelphe, du mois Apellaios le 7, et du mois des Égyptiens Tybi le 17[61] | : [3] DÉCRETLes grands-prêtres et prophètes, et ceux qui pénètrent dans le sanctuaire pour la vêture des dieux, et ptérophores et hiérogrammates et les autres prêtres qui se sont réunis | [4] des temples du pays pour le 5 de Dios, jour où l’on célèbre la naissance du roi, et pour le 25 du même mois, jour dans lequel il reçut de son père la couronne, | s’étant assemblés [5] en conseil ce même jour dans le temple des dieux Évergètes à Canope, ont dit : Attendu que le roi Ptolémée, fils de Ptolémée et d’Arsinoé, dieux | Adelphes, et la reine Bérénice, sa [6] sœur et femme[62], dieux Évergètes, ne cessent de combler de nombreux et grands bienfaits les temples du pays | en aug- [7] mentant de plus en plus les honneurs des dieux et en prenant soin, en toute circonstance, d’Apis et de Mnévis et des autres animaux sacrés, avec de grandes dépenses | et des approvi- [8] sionnements ; que, les statues sacrées, emportées du pays par les Perses, il les a, à la suite d’une expédition faite au dehors, sauvées et rapportées en Égypte pour les restituer aux temples d’où | chacune avait été enlevée primitivement ; qu’il a main- [9] tenu le pays dans la paix en combattant pour lui contre beau- [11] coup de nations et ceux qui les commandaient ; qu’à tous | les habitants du pays et à toutes les autres tribus placées sous leur royauté ils procurent une bonne administration ; qu’une fois, la crue du fleuve ayant été trop faible et tous les habi- [11] tants du pays étant effrayés de l’événement et se remémorant la catastrophe survenue sous quelques-uns des rois précédents [12] où il arriva que, par l’effet de la sécheresse, les habitants du pays eurent à souffrir, ils ont montré la plus grande sollicitude à ceux qui demeurent dans les temples et aux autres habitants du pays, et que, en prenant beaucoup de mesures [13] de prévoyance, | en abandonnant une portion non petite de leurs revenus pour le salut des hommes et en faisant venir à grands frais de Syrie, de Phénicie, de Cypre et de beaucoup [14] d’autres endroits du blé | dans le pays[63], ils ont sauvé les habitants de l’Égypte, laissant une marque immortelle de leur bienveillance et un suprême souvenir de leur vertu aux [15] contemporains | et à la postérité, en récompense de quoi les dieux leur ont accordé l’affermissement de leur royauté et leur donneront tous les autres biens à toujours ; A LA BONNE FORTUNE[16] Il a paru convenable | aux prêtres du pays que les honneurs rendus antérieurement dans les temples au roi Ptolémée et à la reine Bérénice, dieux Évergètes, et à leurs parents, [17] dieux Adelphes, | et à leurs ancêtres, dieux Soters, soient augmentés ; que les prêtres demeurant dans chacun des temples du pays soient appelés aussi prêtres des dieux Éver- [18] gètes, et qu’ils soient inscrits | dans tous les actes publics, et que sur les bagues qu’ils portent soit gravé ce sacerdoce des dieux Évergètes ; qu’en outre, en plus des quatre tribus [19] actuellement existantes | dans la corporation des prêtres de chaque temple, il en soit institué une autre qui sera appelée cinquième tribu des dieux Évergètes ; puisque, avec la Bonne [20] Fortune, | il est arrivé que la naissance du roi Ptolémée, fils des dieux Adelphes, a eu lieu le 5 de Bios’, qui a été pour tous les hommes le commencement de beaucoup de biens[64], | on [21] inscrira dans cette tribu tous ceux qui sont devenus prêtres depuis la première année et tous ceux qui le deviendront jusqu’au mois de Mésori de la neuvième année, ainsi que | [22] leurs enfants, à tout jamais ; quant à ceux qui auparavant ont été prêtres jusqu’à la première année, ils resteront dans les mêmes tribus où ils étaient avant, et de même leurs enfants | seront dès maintenant rangés dans les mêmes tribus [23] que leurs pères. Relativement aux vingt prêtres délibérants choisis chaque année dans les | quatre tribus existant aupara- [24] vant, à raison de cinq par tribu[65], ces prêtres délibérants seront portés au nombre de vingt-cinq, les cinq autres devant être pris dans la cinquième tribu des dieux Évergètes ; | ceux [25] provenant de la cinquième tribu des dieux Evergètes prendront part aux lustrations et à toutes les autres cérémonies qui ont lieu dans les temples[66], et cette tribu aura un | phy- [26] larque comme il en existe dans les quatre autres ; et, attendu que chaque mois on fait dans les temples des fêtes pour les dieux Évergètes, suivant le décret écrit précédemment[67], les 5, | 9, et 25 du mois, et que pour les autres très grands dieux [27] si on célèbre chaque année des fêtes et des panégyries solennelles, il y aura chaque année une panégyrie solennelle | dans les [28] temples et dans tout le pays pour le roi Ptolémée et la reine Bérénice, dieux Évergètes, le jour où se lève l’astre d’Isis, jour qui est reconnu par les | saintes lettres comme étant le [29] nouvel an, comme maintenant cela se fait, cette neuvième année, à la néoménie du mois de Payni, dans lequel ont lieu [30] les petites Bubasties et les grandes Bubasties, la récolte | des fruits et la crue du fleuve ; et, s’il arrive que le lever de l’astre tombe sur un autre jour au bout de quatre ans, on ne trans- [31] férera pas la panégyrie, mais on la fêtera à la néoménie du mois de Payni, dans laquelle, originairement, elle a été fêtée la neuvième année ; on la célébrera aussi cinq jours durant [32] avec stéphanophorie, sacrifices, libations | et les autres cérémonies convenables. Et afin que les saisons suivent une règle absolue, conformément à l’ordre actuel du monde, et qu’il [33] n’arrive pas que quelques-unes des fêtes solennelles | célébrées en hiver le soient jamais en été, la marche de l’astre avançant d’un jour tous les quatre ans, et que d’autres fêtes, [34] parmi celles qui sont maintenant célébrées en été, | le soient en hiver dans les temps qui suivront, comme cela est déjà arrivé auparavant et arriverait encore désormais, si l’année [35] demeurait composée de | 360 jours et des cinq jours qu’on a ensuite institués sous le nom d’épagomènes, désormais on ajoutera un jour, consacré à la fête des dieux Évergètes, tous [36] | les quatre ans aux cinq épagomènes avant le nouvel an, afin que tous sachent que ce qui était défectueux auparavant dans [37] l’ordre des saisons et de l’année | et dans les règles prescrites à propos de l’arrangement général du monde a été rectifié et complété par les dieux Évergètes. [38] Et attendu que du roi | Ptolémée et de la reine Bérénice, dieux Évergètes, étant née une fille nommée Bérénice, qui aussitôt avait été proclamée reine[68], il est arrivé que cette [39] fille | étant vierge est subitement partie pour le monde éternel ; que les prêtres qui du pays viennent chaque année auprès [40] du roi, étant encore auprès de lui, | ont aussitôt célébré un grand deuil pour cet événement et ont jugé convenable de persuader au roi et à la reine de consacrer la déesse avec [41] Osiris dans le | temple de Canope, qui non seulement fait partie des temples de premier ordre, mais compte parmi les plus honorés par le roi et par tous les habitants du pays ; [42] que le transport | de la barque sacrée d’Osiris à ce temple a lieu chaque année le 29 de Choiak à partir du temple situé dans l’Hérakléion ; que tous les prêtres des temples de premier ordre, | faisant des sacrifices sur les autels qu’ils ont élevés [43] en représentation de chacun des temples de premier ordre sur les deux côtés de la route, ont après cela accompli les cérémonies de la divinisation | et de la clôture du deuil, suivant les [44] usages prescrits, magnifiquement et avec grand soin, comme il est d’usage de le faire pour Apis et Mnévis ; | il a paru [45] convenable de rendre à la reine Bérénice, née des dieux Évergètes, des honneurs éternels dans tous les temples du pays ; et puisqu’elle est allée chez les dieux | dans le mois de Tybi, [46] où jadis aussi passa de vie à trépas la fille du Soleil que, par affection, son père nomma tantôt sa couronne et tantôt son regard, et puisqu’on fait | à, celle-ci une fête et un périple [47] dans la plupart des premiers temples en ce mois où a eu lieu originairement son apothéose, on consacrera aussi à la reine Bérénice, | née des dieux Évergètes, dans tous les temples du [48] pays, au mois de Tybi, une fête avec périple, qui durera quatre jours à partir du 17, jour dans lequel le périple | et la [49] clôture du deuil ont eu lieu pour elle la première fois ; et l’on exécutera aussi sa statue d’or, ornée de pierreries, dans chacun des temples de premier et de second ordre, et | l’on placera [50] dans le sanctuaire cette statue, que le prophète ou l’un des prêtres ayant entrée dans le sanctuaire portera dans ses bras quand Ies sorties et panégyries | des autres dieux auront [51] lieu, afin que, vue par tous, elle soit honorée et adorée sous le nom de Bérénice, princesse des vierges. Sur sa statue sera placée une couronne | différente de celle que l’on met sur les [52] images de sa mère, la reine Bérénice ; cette couronne sera composée de deux épis entre lesquels sera l’uræus royale, et | derrière, de la même mesure, un sceptre de papyrus, [53] comme celui qui est d’ordinaire dans les mains des déesses, autour duquel la queue de l’uræus sera enroulée, de telle sorte aussi que la disposition de la couronne | laisse voir le [54] nom de Bérénice en caractères de l’écriture sacrée ; et lorsque l’on célébrera les Kikellies, dans le mois de Choiak, avant le périple d’Osiris, les | vierges des prêtres feront une autre [55] statue de Bérénice, princesse des vierges, pour laquelle elles accompliront pareillement, dans cette fête, un sacrifice et les [56] autres cérémonies d’usage ; | et la permission de faire ces choses sera donnée aussi aux autres vierges qui voudront rendre à la déesse les honneurs prescrits. Et celle-ci sera [57] louée par les vierges sacrées, choisies et | attachées au culte des dieux, ceintes des couronnes spéciales aux dieux dont elles sont reconnues comme prêtresses ; et, quand viendra le temps des premières semailles, les vierges sacrées apporteront [58] | des épis qui seront placés sur la statue de la déesse ; il sera aussi chanté pour elle chaque jour, même dans les fêtes [59] et panégyries des autres dieux, par les hommes les odes | et par les femmes les hymnes que les hiérogrammates auront écrites et données au maître de chant, et dont les exemplaires seront rangés parmi les livres sacrés[69]. Et attendu [60] que | l’on fournit la nourriture aux prêtres avec les revenus des temples, dès leur entrée dans la corporation, on donnera aux filles des prêtres, dès leur naissance, sur les revenus [61] sacrés, | la provende, qui devra être répartie, en proportion des revenus sacrés, par les prêtres délibérants qui demeurent en chaque temple ; quant au pain que l’on donne aux femmes [62] des prêtres, | il aura une marque distincte et sera appelé le pain de Bérénice. Le curateur établi dans chacun des temples ainsi que l’archi- [63] prêtre et les hiérogrammates graveront | ce décret sur une stèle de pierre ou d’airain en lettres sacrées égyptiennes et helléniques et le placeront dans l’endroit le plus apparent [64] des temples | de premier, de second et de troisième ordre, afin que dans le pays les prêtres montrent la vénération qu’ils ont pour les dieux Évergètes et leurs enfants, ainsi qu’il convient. Ce verbeux document nous montre, entre autres choses, la place que tenait, même dans le train ordinaire de la vie sacerdotale, le culte monarchique, et quelle médiocre différence il y avait, chez cette race servile, entre les souverains et les dieux. La mort de la jeune Bérénice, survenue pendant la session du synode, a fait ajouter au programme de ses délibérations un paragraphe imprévu, et les prêtres se sont étendus avec tant de complaisance sur les honneurs rendus à la famille royale que l’on distingue mal, à première vue, l’innovation à laquelle Ptolémée tenait sans doute le plus, la réforme du calendrier. Le synode est visiblement embarrassé de concilier l’infaillibilité des saintes lettres avec l’aveu que lui arrache la volonté du roi, à savoir que l’ancien système était défectueux et que le nouveau sera irréprochable. Les prêtres se résignent ; mais ils ont soin de dégager leur responsabilité en déclarant que la correction du calendrier a été ordonnée par les dieux Évergètes. Ptolémée tombait dans une illusion qu’on a vu reparaître depuis ; il ne savait pas qu’on ne déracine point à coups de décrets des habitudes séculaires et que, quand elles font corps avec des pratiques religieuses, même l’évidence mathématique ne prévaut pas contre elles. Sa réforme resta lettre morte, et il se trouva qu’en fin de compte, les astronomes eux-mêmes jugèrent le comput des années vagues, numérotées dans le cycle sothiaque, plus commode pour rattacher leurs observations à celles de leurs devanciers. Cet essai avorté eut pourtant un résultat durable : ce fut de discréditer le calendrier luni-solaire des Macédoniens et de reléguer au second plan ou même de supprimer dans les actes — sauf les rescrits royaux — la concordance de ses dates avec le calendrier égyptien[70]. La complaisance des prêtres méritait bien quelque reconnaissance. L’année suivante, le 7 Épiphi de l’an X (23 août 237), Ptolémée inaugurait en personne les travaux de construction du grand temple d’Edfou (Apollinopolis Magna), dédié à Horos (Horhoudit, Râ-Harmakhis), l’Apollon égyptien ; œuvre colossale qui, continuée par ses successeurs, ne fut achevée qu’au bout de près de deux siècles par Ptolémée Néos Dionysos, surnommé Aulétès[71]. Il avait dû commencer déjà ou même achever, avant d’être le dieu Évergète, le temple d’Osiris à Canope, où eut lieu la canonisation de sa fille Bérénice[72]. On retrouve encore la trace de ses libéralités en divers lieux. Son image figure, en costume gréco-égyptien, sur le grand pylône de Thèbes ; un petit temple, aujourd’hui disparu, dans le voisinage d’Esneh, paraît avoir été un monument commémoratif de ses victoires, et on voit encore le couple royal sur la façade d’un sanctuaire élevé à Isis-Sothis sur la rive du Nil, à Assouan (Syène). A Philæ, il se contenta sans doute d’être le continuateur anonyme de l’œuvre paternelle ; mais il a laissé son nom, associé à ceux d’anciens Pharaons, sur les débris d’un temple bâti dans l’île voisine de Bigèh. Si jaloux qu’il fût de son repos, la querelle des deux Séleucides dut lui causer de temps à autre quelques préoccupations. Il avait assez de possessions disséminées sur le littoral asiatique pour que le souci même de maintenir sa neutralité l’obligeât à suivre de près les péripéties de cette interminable guerre. Vers 234, pendant que Séleucos, battu à Ancyre, profitait d’un répit obtenu par un accommodement provisoire avec Antiochos Hiérax pour aller repousser en Orient une invasion des Parthes, sa tante Stratonice, en rupture de mariage avec Démétrios II de Macédoine[73], nouait à Antioche d’obscures intrigues, qui aboutirent à soulever la population contre l’autorité du roi absent. Au dire d’Agatharchide[74], cette ambitieuse et chimérique princesse avait voulu se faire épouser par Séleucos, et elle se vengeait ainsi de son refus. Suivant Justin[75], elle avait d’abord, en quittant la Macédoine, cherché asile auprès de son autre neveu Antiochos, espérant le déterminer à déclarer la guerre à son ex-mari, le roi de Macédoine. On peut se hasarder à conjecturer que cette femme, dont Agatharchide fait une vieille coquette, voulait, en effet, se servir pour sa vengeance de l’un ou l’autre des deux frères, et qu’elle cherchait à détrôner celui qui n’avait aucun intérêt à se brouiller avec la Macédoine au profit de l’autre. Séleucos, qui n’était encore qu’à Babylone, revint précipitamment et rentra de vive force dans sa capitale. Stratonice s’enfuit à Séleucie sur l’Oronte, où elle pouvait se croire en sûreté sous la protection du Lagide. Mais Ptolémée n’aimait pas les fauteurs de désordre, et il est à supposer que Stratonice fut mise en demeure de partir et capturée en route, ou peut-être arrêtée dans le port même. En tout cas, elle paya de sa vie sa folle tentative[76]. Il est possible que, vers la même époque, pour tenir la balance égale entre les deux frères, ou plutôt pour empêcher les mercenaires gaulois révoltés contre Antiochos de saccager Magnésie du Méandre, des troupes égyptiennes, parties d’Éphèse, se soient portées au secours d’Antiochos. On lit dans la version arménienne d’Eusèbe que Antiochos, traqué par les Barbares et réfugié à Magnésie du Méandre, les vainquit avec le secours d’auxiliaires, parmi lesquels se trouvaient des soldats de Ptolémée[77]. Nous pouvons accepter ce renseignement sans y rattacher une série de conjectures inutiles, toutes fondées sur l’idée préconçue que Ptolémée a joué un rôle actif dans les guerres entre Séleucos Callinicos, Antiochos Hiérax et Attale de Pergame. Tout indique chez lui une disposition d’esprit tout opposée. Son intervention ne fut jamais provoquée que par des incidents qu’il réglait sur place sans en prolonger les conséquences. Nous ne saurons jamais à quelle date et par suite de quelle aventure le beau-frère de Séleucos, Andromachos, qui avait poursuivi Hiérax jusqu’en Arménie[78], tomba entre les mains de Ptolémée et fut déporté à Alexandrie, où il était encore en 220[79]. Mais cet internement, loin de prouver qu’il y eut une reprise d’hostilités entre Ptolémée et Séleucos, tend à démontrer qu’Andromachos s’était rendu coupable de quelque violation du droit international. On ne traite pas ainsi les prisonniers de guerre, surtout un membre d’une famille royale ; et il n’aurait pas fallu l’intercession des Rhodiens pour délivrer Andromachos, s’il n’avait eu d’autre tort que d’être battu. Ce n’était pas un ennemi loyal, mais un brouillon ou un conspirateur que Ptolémée mit ainsi sous les verrous. Enfin, le grand agitateur de l’époque, l’artisan de toutes les discordes qui mettaient l’Asie à feu et à sang, Antiochos Hiérax, traqué comme une bête fauve par Séleucos, d’un côté, par Attale, de l’autre, chercha un dernier refuge sur territoire égyptien, peut-être à Éphèse. Ptolémée le traita comme un être malfaisant, qu’il était bon de mettre dans l’impossibilité de nuire. Il mit l’Épervier en cage, et donna ordre de le tenir sous bonne garde[80]. En fait d’honneur et de délicatesse, il avait les idées de son temps, et elles n’avaient guère changé depuis que Séleucos Nicator avait interné à perpétuité son beau-père, l’illustre Poliorcète. Mais Antiochos, aidé par une courtisane avec laquelle il avait des rapports familiers, réussit à tromper la surveillance de ses gardiens et s’enfuit en Thrace[81]. Comptait-il peut-être intéresser à sa cause un pays qui, moins de vingt ans auparavant, appartenait encore aux Séleucides, reprendre cette portion de son héritage et se venger par surcroît de Ptolémée ; ou la Thrace, anarchique à l’intérieur, lui apparaissait-elle comme le lieu où il serait le plus sûrement hors d’atteinte et le plus à portée de nouvelles aventures ? Les aventures ne lui manquèrent pas, et elles eurent même un prompt dénouement. Il avait probablement enrôlé à son service des bandes de maraudeurs gaulois, qui, depuis la grande invasion celtique de 279, pullulaient sur cette terre classique du brigandage. Dépourvu d’argent, il dut leur faire des promesses qu’il ne put tenir, et ceux-ci, s’estimant dupés, lui demandèrent la bourse ou la vie. Antiochos, qui, devant Magnésie, avait échappé à grand’ peine à la fureur de ses mercenaires, périt cette fois dans la bagarre (227). Séleucos ne jouit pas longtemps du repos que lui avait valu la mort de son incorrigible frère : il mourut l’année suivante d’une chute de cheval, sans avoir pu recouvrer les provinces désormais incorporées au nouveau royaume de Pergame (226)[82]. Le conflit engagé entre les rois de Syrie et de Pergame ne pouvait que profiter à l’Égypte. Ptolémée n’avait nulle envie de s’immiscer dans la querelle : il tenait plus à conserver qu’à agrandir ses possessions en Asie-Mineure. Séleucos III Soter, dit aussi Kéraunos, ne fit que passer sur le trône (226-223) ; il périt dans un guet-apens au cours d’une expédition contre Attale. Mais il eut pour successeur son frère Antiochos III le Grand, secondé par les talents militaires de son cousin Achœos (II)[83] et entouré de conseillers qui flattaient son humeur entreprenante. Il y avait là un danger à prévoir. Cependant, Antiochos III eut trop à faire en Asie-Mineure et en Orient pour s’attaquer tout d’abord à l’Égypte, et Ptolémée HI ne vit que le prologue de cet inévitable conflit. Ses derniers tracas lui vinrent d’un autre côté, et par suite de la politique traditionnelle des Lagides, protecteurs de la Ligue achéenne et, en général, de tous les Hellènes impatients du joug macédonien. Antigone Gonatas, le vainqueur de Cos et d’Andros, était mort en 240/239, à peu près au moment où Ptolémée signait la paix avec Séleucos. Son fils Démétrios II (239-229) eut à combattre à la fois les Achéens et les Étoliens, les ennemis et les anciens alliés de son père, qui, sans s’accorder entre eux, harcelaient leur commun adversaire. Il usa sa vie dans cette guerre de Démétrios qui lui valut le surnom d’Étolique et le laissa, épuisé, à la merci d’une invasion des Dardaniens. Il mourut peu de temps après sa défaite (229), laissant à son neveu, Antigone dit boson, fils de Démétrios le Beau, la tutelle de son fils Philippe, un enfant de dix ans, dont les droits furent réservés pour des temps meilleurs. Le Tuteur (Έπίτροπος) épousa Phthia, la reine-mère, et prit le titre de roi. Antigone justifia son usurpation en déployant une énergie et une habileté diplomatique qui, en peu de temps, changèrent la face des choses. Après avoir expulsé du royaume les Dardaniens et réprimé une révolte des Thessaliens, il songea à faire reculer l’incommode voisin qui avait pris sur la côte de Thrace un point d’appui pour sa marine et tenait les clefs de l’Hellespont, l’ennemi masqué dont il trouvait partout la main dans les affaires de Grèce. Il faut avouer que nous sommes fort embarrassés d’expliquer comment Antigone fut amené à tourner son attaque contre la Carie, dont, au dire de Trogue-Pompée, il réussit à s’emparer (225 ?)[84]. Peut-être voulait-il, avec la collaboration éventuelle des Rhodiens[85], qui auraient leur part des bénéfices, se saisir d’un gage qu’il pourrait échanger plus tard, et agit-il par surprise, en se tournant brusquement du côté où on ne l’attendait pas[86]. Les Béotiens crurent un instant, en voyant la flotte macédonienne engagée dans le canal d’Eubée, qu’Antigone allait envahir leur pays : c’est le chemin qu’il avait choisi pour aller en Asie[87]. Nous ne savons ce qu’il faut retrancher à l’expression vaguement hyperbolique : il soumit la Carie, ni ce qu’Antigone fit de sa conquête[88]. Il suivit probablement jusqu’au bout, et malgré lui, l’exemple d’Antigone Gonatas, c’est-à-dire qu’il ne put utiliser ses succès, et pour les mêmes raisons. Nous le retrouvons en 224 dans le canal d’Eubée, se dirigeant sur Corinthe, où l’appelait un traité secret avec Aratos. Le grand stratège achéen trahissait, par dépit, la cause qu’il avait jusque là glorieusement défendue. Battu à plusieurs reprises par le roi Cléomène de Sparte et voyant les Achéens disposés à entrer en pourparlers avec lui, il appelait dans le Péloponnèse le roi de Macédoine, l’ennemi héréditaire de la Ligue. Polybe, qui se fait l’avocat d’Aratos, l’excuse d’une façon assez singulière en disant que les Achéens avaient d’abord voulu vider leur querelle avec le Spartiate sans intervention du dehors, pour conserver l’amitié qui les attachait à Ptolémée en raison des bienfaits passés ; mais que, voyant Cléomène se transformer en tyran révolutionnaire et prêt à s’allier aux Étoliens, ils avaient dû, en ce danger extrême, faire appel à Antigone[89]. Ptolémée dut trouver étrange cette façon de conserver son amitié ; mais il faut convenir qu’il était quelque peu responsable de ce revirement, dont les conséquences furent si graves et irrémédiables. Ami des Achéens, mais plein de bienveillance pour les Spartiates, qu’il savait irréconciliables avec la Macédoine, il crut pouvoir rester neutre dans un conflit passé à l’état aigu et ne sut ni offrir sa médiation en temps utile, ni abandonner son système de bascule lorsque les Spartiates restèrent seuls en face de la coalition achéo-macédonienne. Plutarque rapporte que Ptolémée promit du secours à Cléomène, mais en exigeant que celui-ci envoyât ses enfants et sa mère comme otages à Alexandrie, ce à quoi Cléomène finit par se résigner. En même temps, Ptolémée négociait sous main avec Antigone, et il se laissa aisément persuader que le roi de Macédoine allait simplement réprimer l’anarchie déchaînée par les mesures révolutionnaires de Cléomène[90] En conséquence, au lieu d’envoyer à Cléomène les subsides sur lesquels celui-ci comptait, il lui expédia un ambassadeur chargé de lui déclarer que Ptolémée cesse de fournir des subventions et conseille de s’entendre avec Antigone[91]. Cléomène ayant refusé de poser les armes, Ptolémée le laissa écraser à Sellasie (222) par Antigone, qui passa du coup pour le restaurateur de l’ordre et le pacificateur de la Grèce. Ptolémée avait trop bien montré, et cette fois contre son
intérêt évident, qu’il n’aimait pas les aventuriers. Il se contenta
d’accueillir à Alexandrie le héros vaincu, avec
affabilité, mais une affabilité banale et mesurée. Plutarque assure
que Ptolémée, appréciant enfin son hôte, revint bientôt à de tout autres
sentiments. Il éprouva une honte extrême et un vif
regret d’avoir négligé un tel homme et de l’avoir abandonné à Antigone, qui
avait acquis par là tant de gloire à la fois et de puissance. Il combla
Cléomène d’honneurs et de marques d’amitié ; il l’encourageait, lui
promettant de le renvoyer en Grèce avec des vaisseaux et de l’argent et de le
rétablir dans la royauté. Il lui alloua même une pension de vingt-quatre
talents par an. Sur cette somme, Cléomène ne prélevait pour lui et ses amis
qu’une dépense des plus modestes ; il en employait la plus grande partie en
charités et secours aux bannis de Grèce réfugiés en Égypte. Mais il
était un peu tard pour réparer la faute commise. Le
vieux Ptolémée mourut avant d’avoir accompli sa promesse[92], une promesse
qui, en exaltant l’impatience de Cléomène, fut plus tard la cause de sa mort
tragique. Ce ne fut pas la seule occasion qu’eut Ptolémée de regretter l’inertie imprévoyante où il s’était parfois complu. Il est possible que, sevré de plaisirs dans sa triste jeunesse, il ait eu de bonne heure le goût de la vie molle à laquelle il dut, paraît-il, le surnom peu glorieux de Tryphon[93], et que sa politique s’en soit ressentie. Mais il est aisé de trouver dans ses qualités même une explication plus honorable de ses illusions et de ses mécomptes. C’est peut-être le seul Lagide en qui l’on puisse reconnaître des vertus d’homme privé, un goût dominant pour les arts de la paix, et comme un vague désir de voir régner partout la tranquillité qu’il s’efforçait d’assurer à son peuple. Il vivait en bonne intelligence avec son frère Lysimaque, qui était, en l’an VII du règne, stratège de la Haute-Égypte[94] et qui, malheureusement pour lui, survécut à son aîné. Il parait avoir aimé sincèrement sa femme Bérénice, à qui on ne connaît point de rivale, et s’être occupé en bon père de l’éducation de ses enfants. Les prêtres qui, en 238, divinisèrent avec tant d’empressement la petite reine Bérénice croyaient sans doute flatter l’amour paternel autant que la vanité du souverain. Le choix qu’il fit d’Ératosthène comme précepteur du prince royal témoigne d’une sollicitude qui aurait dû porter de meilleurs fruits[95]. Mais cette humeur pacifique devenait, avec l’âge, un parti pris d’ajourner, pour les affaires du dehors, les décisions graves et de laisser passer le moment d’agir. Telle fut, vers la fin de sa vie, l’occasion qui se présenta une dernière fois d’aider au démembrement de l’empire des Séleucides et d’affaiblir cette puissance rivale qui allait désormais tenir sans cesse en haleine ses incapables successeurs. Le nouveau roi de Syrie, Antiochos III, celui qui prit plus tard comme unique surnom le titre de Grand, était un jeune homme d’une vingtaine d’années, actif, ambitieux, et d’une ambition vaniteuse, qui s’étalait au grand jour. Au début de son règne, son autorité était encore bien précaire[96]. Pendant qu’Achœos (II) reprenait au roi de Pergame les provinces d’Asie-Mineure enlevées à Antiochos Hiérax, les deux satrapes de Médie et de Perse, deux frères, Molon et Alexandre, méprisant la jeunesse du nouveau roi et espérant qu’Achœos s’associerait à leur défection[97], se mirent en rébellion ouverte, et Molon prit même, alors ou plus tard, le titre de roi. Une entente de l’Égypte avec les révoltés ou avec Attale, ou même avec Achœos, qui — la suite le prouva — devait être tenté de suivre l’exemple d’Antiochos Hiérax[98], eût été alors de grande conséquence. Mais Ptolémée n’aimait pas les intrigants : il avait le respect des conventions et de l’autorité légitime. En outre, il était sans doute déjà atteint du mal qui devait l’emporter et moins disposé que jamais à se départir de l’attitude expectante. Il pouvait d’ailleurs se croire assez garanti contre une attaque de son jeune et bouillant voisin par les tracas que suscitait à celui-ci la défection des satrapes d’Orient, et en mesure d’être informé à temps par le poste avancé que constituait pour lui l’occupation de Séleucie de Piérie, aux portes mêmes d’Antioche. Quels qu’aient été ses projets, sa mort, survenue dans le cours de l’année 221, vint brusquement déchaîner l’ardeur agressive d’Antiochos, qu’il avait pu deviner et su contenir[99]. Sa succession fut dévolue sans trouble à son fils aîné, qu’il avait peut-être associé au trône ou formellement désigné avant de mourir et qui devait, suivant l’usage de la dynastie, épouser sa sœur Arsinoé (III) quand elle serait en âge[100]. La reine-mère, Bérénice, survivait à son époux, et rien ne faisait prévoir qu’elle dût regretter un jour d’avoir vu commencer le règne de son fils. On entend dire, il est vrai, que ce fils mérita le surnom ironique de Philopator en assassinant son père et sa mère[101] ; mais Polybe dit expressément que Ptolémée Évergète mourut de maladie[102], et il le dit avec l’intention de démentir les faux bruits dont Justin s’est fait plus tard l’écho. Un parricide suffit au Philopator. S’il avait réellement reçu son surnom de l’indignation publique tournée en sarcasme, il se fut appelé plutôt Philométor. |
[1] L’inscription d’Adulis dit de lui, en parlant des éléphants, que son père et lui le premier les ont capturés en Troglodytie et Éthiopie et les ont dressés à usage de guerre en Égypte. L’expression est équivoque, et on ne peut guère l’adjuger à Ptolémée prince royal. Suivant Agatharchide (ap. Photius, p. 71 Bekker), le premier chasseur d’éléphants fut Philadelphe.
[2] C’est peut-être de sa jeunesse désœuvrée que lui vint le surnom — d’ailleurs contestable — de Tryphon (Trogue-Pompée, Prol. XXVII et XXX. Eusèbe Arm., I, p. 251 Schœne).
[3] Voyez ci-dessus les théories de Mahaffy et Strack.
[4] Nous ignorons absolument ce qui s’est passé à Cyrène entre 258 et 247. Il se peut que le fiancé de Bérénice ait été, en fait, régent de Cyrène.
[5] La date de l’avènement de Ptolémée III, au plus tard, le 24 octobre (1er Thoth) de l’an 246 (Strack, p. 182 et 194, 13). Bérénice avait alors environ 23 ans.
[6] Catulle, XXVI, 25 sqq.
[7] Bérénice, cousine de Ptolémée III, devient άδελφή αύτοΰ καί γυνή (Inscr. Canop. Strack, nn. 38. 40. 41. 43). Hyginus (Astron., II, 24) s’y est trompé. Il croit cette Bérénice fille de Philadelphe, et il la dit magnanima pour avoir dégagé son père cerné par les ennemis.
[8] Il est impossible de décider, avec les textes dont nous disposons, si la mort d’Antiochos II a précédé ou suivi la mort de Philadelphe. Polyen (VIII, 50) attribue à Philadelphe, vengeur de sa fille, tout ce qu’a fait Évergète. C’est une méprise qui ne mérite pas de réfutation. S. Jérôme (In Dan., XI), dit : occisa Berenice et mortuo Philadelpho ; mais il est excessif de prétendre que l’ordre des mots est nécessairement l’ordre chronologique. Le récit de Justin (XXVII, 1) exclut toute intervention de Philadelphe.
[9] (Antiochus) post multum temporis amore superatus Laodicen cum liberis suis reducit in regiam (donc à Antioche, ce qui est improbable). Quæ metuens ambiguum viri animum, ne Berenicen reduceret (ce qui suppose Bérénice éloignée), virum per ministros veneno interfecit (Hieronym., In Dan., XI). L’Eusèbe arménien dit simplement qu’Antiochos ægrotavit et CXXXV Olompiadis anno tertio Ephesi diem obiit (I, p. 251 Schœne). De même Polyen : Ά. έτελεύτησε, διάδοχον τής άρχής άρχής άποδείξας Σέλευκον (VIII, 50). Justin (XXVII, 1, 1) ne parle pas non plus de poison. En revanche, Appien (Syr., 65) affirme l’empoisonnement.
[10] Pline, VII, § 53. Valère Max., IX, 14 Ext. 1. Artémon est un mime, d’après Pline ; un prince de sang royal dans Valère Maxime. Ce conte fut réédité propos de Plotine et de Trajan (Spartien, Hadrien, 4).
[11] En fait d’histoire, nous n’avons ici que des ébauches de romans. D’après Valère Maxime (IX, 10 Ext. 1), Bérénice, armée et montée sur un char, poursuit l’assassin de son fils, un certain Cæneus, envoyé par Laodice, l’abat d’un coup de pierre, ac super ejus corpus actis equis, inter infesta contrariæ partis agmina ad domum in qua interfecti pueri corpus occultari arbitrabatur perrexit. Polyen (VIII, 50) complique l’intrigue. Les meurtriers du jeune prince lui substituent un autre enfant, auquel ils rendent les honneurs royaux, et traitent avec Bérénice, qu’ils assassinent traîtreusement au milieu des négociations ; mais les suivantes de Bérénice cachent son cadavre, et lui substituent une femme qui joue le rôle de blessée, si bien que Bérénice et son fils sont encore censés vivants quand Ptolémée (Philadelphe !) arrive et expédie des dépêches en leur nom. S. Jérôme (In Dan., XI) donne les noms de deux Antiochéniens, Icadion et Genneos, chargés par Laodice de tuer Bérénice et son fils. Il tient surtout à constater l’accomplissement de la prophétie de Daniel : et tradetur ipsa et qui adduxerant eam. Justin résume ainsi les faits : Bérénice, d’abord réfugiée à Daphné avec son fils, ante adventum auxiliorum, cum vi expugnari non posset, dolo circumventa trucidatur (XXVII, 1).
[12] Λαοδίκειος πόλεμος dans le procès-verbal d’arbitrage entre Priène et Samos (CIG., 2905. G. I. Brit. Mus., 403, lig. 135).
[13] Le parricidale scelus est le meurtre de Bérénice, marâtre de Séleucos (novercam suam). Justin relègue Laodice au second plan (hortante matre), tandis que l’inscription de Priène et le papyrus visé ci-après la considèrent comme l’auteur responsable de la guerre.
[14] Papyrus publié en 1893 par Mahaffy dans The Flinders Petrie Papyri, II, n° XLV, réédité et commenté par U. Köhler, SB. der Berlin. Akad., 1894, p. 445-460. Le document comprend 74 lignes de texte, sur trois colonnes, dont celle du milieu seule complète. Il y a des lacunes et des surcharges, et l’ensemble est assez décousu. Ce qui embrouille l’exégèse, c’est the stupid Hellenistic habit of repeating a few names everywhere (Mahaffy, Empire, p. 197). On trouve une Antioche, une Séleucie, et même un Posidion, aussi bien en Cilicie qu’en Syrie, de sorte qu’on choisit souvent au juger entre des directions opposées. Cf. Ad. Bauer, in Revue Historique, LXX [1899], p. 127.
[15] Von Willamowitz (cité par Mahaffy, Empire, p. 198, 1) est persuadé que cette Antioche est celle de Cilicie, surnommée έπί Κράω.
[16] Il n’y a pas de raison sérieuse de douter qu’il s’agisse de Séleucie sur l’Oronte, qui depuis cette époque et jusqu’en 219 fut occupée par une garnison égyptienne (Polybe, V, 58, 10). Wilcken (in Hermès, XXIX [1894], p. 450,1) pense que la Syrie était déjà au pouvoir d’Évergète, et qu’il s’agissait non pas de conquérir Séleucie, mais d’y organiser une’ station navale. En tout cas, comme il n’y eut pas de résistance, la conquête était moralement faite.
[17] Polyen, loc. cit. Il ne faut pas oublier que l’auteur fait collection de stratagèmes et voit des ruses de guerre partout. Celle-ci, à l’entendre, est suggérée à Philadelphe par la femme de chambre Panariste.
[18] Vastatum fines iverat Assyrios (Catulle, LXVI, 12). Cf. Appien, Syr., 65.
[19] Éphèse fut probablement livrée par Sophron, qui, devenu suspect à Laodice, fut sauvé de ses embûches par sa maîtresse Danaé, fille de l’épicurien Léontios, celle-ci mise à mort pour ce fait par Laodice (Phylarch. ap. Athénée, XIII, p. 593 c).
[20] Si elle a été prise alors, et non du temps de Philadelphe, par Callicratidas de Cyrène — un exploit qu’on ne sait où placer. D’après Haussoullier (Milet, p. 117-123), ce n’est pas par les Égyptiens que Smyrne fut attaquée, mais par les Magnésiens du Sipyle, qui avaient pris parti d’abord contre Séleucos.
[21] Inscr. de Priène et de Smyrne (CIG., 3137 = Dittenberger, 171 = Michel, 19).
[22] On a admis plus haut que la Thrace, le littoral tout au moins, avait été conquise par Antiochos II.
[23] [Ptolemæus] nisi in Ægyptum domestica seditione revocatus esset, totum regnum Seleuci occupasset (Justin, XXVII, 1, 9), — cumque audisset in Ægypto seditionem moveri etc. (Hieron., In Dan., XI).
[24] C’est ici que Droysen (III, p. 388), après Niebuhr, place une révolte de Cyrène et la proclamation d’une république dont Ecdémos et Démophane auraient été les législateurs. Mahaffy (Empire, p. 204) suppose que les prêtres étaient mécontents de la spoliation effectuée par l’άπομοΐρα, et les paysans exaspérés par des assignations de terres aux prisonniers expédiés d’Asie dès la seconde année du règne (Petr. Papyr., II, XXIX e, p. 101). De lui aussi la conjecture suggérée par la famine mentionnée dans le décret de Canope. En guise de confirmation, on pourrait y ajouter un texte d’Athénée (V, p. 209 b), où il est dit que Hiéron de Syracuse envoya à Alexandrie un vaisseau monstre chargé de blé, parce que ήν σπάνις σίτου κατ' Αΐγυπτον. En 245, Hiéron ne payait plus tribut aux Romains et était à même de faire des libéralités, sous cette forme un peu juvénile de surprise. Niese (II, p. 148) s’abstient de qualifier ces troubles, qui paraissent avoir été promptement réprimés.
[25] Par compensation des Juifs ne manquèrent pas de dire que Ptolémée avait offert un sacrifice d’actions de grâces à Jahveh dans le Temple de Jérusalem (Joseph., C. Apion, II, 48), ce qui n’est pas, après tout, impossible.
[26] Hieronym., loc. cit. En ce qui concerne la personnalité de cet Antiochos (Antiochos Hiérax pour l’école de Niebuhr, Droysen, C. Millier, Kœhler, Kœpp, Mahaffy, etc.) et de Xanthippe (revenu de Carthage ?), et, en général, pour toutes les combinaisons arbitraires des textes relatifs aux événements compris entre 246 et 227, je crois inutile de revenir sur les fastidieux débats que j’ai exposés tout au long dans Le règne de Séleucus II Callinicus et la critique historique (Rev. d. Univ. du Midi, III [1897], p. 1-63). Je tiens pour certain (avec Cless, Beloch, et tout récemment Niese) que le dogme niebuhrien, avec toute la série de ses conséquences, est faux, et que cet Antiochos n’est pas Antiochos Hiérax, annos XIIII natus (Justin, XXVII, 2 6). C’est un φίλος de Ptolémée. Son autorité s’étendait sans doute aux autres possessions égyptiennes du littoral, car le procès-verbal d’arbitrage entre Samos et Priène (CIG., 2905) rappelle que le débat avait été porté antérieurement devant Άντ]ίοχος τόν ΰπό βασιλέως Πτολεμαίου τεταγμένον (lig. 155).
[27] CIG., 5127.
[28] Voyez les stèles sacerdotales citées plus haut. Dépouiller l’ennemi de ses dieux était le dernier outrage que le vainqueur était toujours censé infliger (Cf. S. Reinach, Rev. Archéol., XXVI [1895], p. 389-390). Ce qui rend plus suspecte encore cette phraséologie, c’est que la stèle de Pithom fait revenir Philadelphe de Perse (où il n’est jamais allé ?) par le canal de la mer Rouge au Nil, et que l’inscription d’Adulis se termine aussi par δυνάμεις άπέστειλεν διά τών όρυχθέντων ποταμών... Droysen voyait là une expédition dirigée de Babylone par les bouches du Tigre et de l’Euphrate contre l’Inde ou l’Arabie. Mais Évergète n’en était pas à chercher des aventures, et le contexte indique qu’il s’agit d’un fait postérieur à son retour. A titre de conjecture libre, je suppose qu’il s’agit de troupes envoyées dans l’enchevêtrement des canaux du Delta, refuge ordinaire des rebelles.
[29] Fait relaté, sans date, dans l’inscription de Canope.
[30] On raconte que Ptolémée, jouant aux dés, se faisait lire une liste de gens qu’il devait condamner à mort, et que Bérénice survenant lui fit honte de cette façon de juger (Ælien, V. H., XIV, 43). Le procédé conviendrait assez à des fournées d’insurgés.
[31] Catulle, LXVI. Hyginus, II, 54. Pour parler en simple prose, Conon donna un nom propre à un groupe de sept étoiles (stellæ obscuræ VII, quæ vocantur crines Berenices Εύεργέτιδος (Schol. German., p. 394 Eyssenhardt) avoisinant la queue du Lion.
[32] Polyen, V, 18. Frontin., III, 9, 10 : date conjecturale. On s’est demandé (H. van Gelder) si les Égyptiens n’avaient pas pris leur revanche, parce que Ampelius (c. 35) écrit : Ptolemæus Soter, qui ingenti classe Rhodios vicit. Il est très ingénieux de supposer qu’Ampelius a traduit par Soter le Primus accolé Evergetes ; mais c’est prendre bien au sérieux un auteur qui fait d’Évergète le compagnon d’Alexandre.
[33] Il y avait encore, au début du règne suivant, στρατιωτών πλήθος έν τοΐς κατ' Έφεσον (Polybe, V, 35, II).
[34] Cf. Polybe, V, 34, 7-8 ; 65, 10.
[35] Le texte altéré de Trogue Pompée (Prol. XXVII) pose deux problèmes en deux lignes : Ut Ptolemæus adeum [Achæum, Niebuhr ; Ecdemum, C. Müller ; Adæum, Gutschmid et Jeep] denuo captura interfecerit, et Antigonos Andro prœlio navali oprona [Sophrona, C. Müller, Gutschmid, Jeep] vicerit. Comme on rencontre plus tard à Bubastis un stratège Adæos (Polybe, XV, 27, 6), on a voulu faire d’Adæos un rebelle égyptien (Gutschmid, Wilcken) ou cyrénéen (Droysen). Mais le nom se rencontre aussi dans la région thraco-macédonienne, et, au jugement d’Imhoof-Blumer (ap. Niese, II, p. 150, 2), les monnaies d’Adæos, dynaste de Cypséla et autres lieux, peuvent remonter jusqu’à l’époque de cette guerre. Quant à la bataille d’Andros, Droysen s’obstine après Niebuhr à lire ut Ptolemæus... Antigonum... pervicerit et à écarter Sophron, ou à faire de lui le vainqueur. Il est persuadé qu’Antigone est sorti affaibli de la lutte, et que, par conséquent, il a été vaincu. Άντίγονος ό γέρων, ότε ναυμαχεΐν περί Άνδρον έμελλεν (Plutarque, Pelop., 2), est pour lui non pas le vieil Antigone, mais Antigone-le-Vieux, c’est-à-dire le Borgne. La date de la bataille est, comme toujours, problématique. Mahaffy (Empire, p. 171 et 490) la reporte en 247 et en fait une victoire égyptienne, la revanche de Cos. Quot capita, tot sensus. Nous la plaçons, comme Droysen, vers 244. J. Beloch la fait descendre vers 228.
[36] Plutarque, Aratos, 24 : fait daté par la deuxième stratégie d’Aratos (243/2). Comme protecteur de la Ligue, Ptolémée eut un parti en Crète, et l'île se trouva en quelque sorte sous sa dépendance. Il est question d’un traité entre Gortyne et Knosos, conclu sous la garantie d’un Ptolémée et juré έν [Σικυον]ία έν τώ ναώ τάς Άθαναίας (Cf. Dümmler, Zwei Gortynische Urkunden, in Philologus, LIV [1895], p. 205-210).
[37] Laodice, fille d’Achæos I (père d’Andromachos et grand-père d’Achæos II). Antiochos III est né de ce mariage en 242, et il avait un frère plus âgé : la date probable du mariage ne peut être qu’entre 245 et 244 au plus tard.
[38] Chron. Patch., p. 330 Bonn. C’est une explication suspecte et anticipée du surnom de Séleucos Callinicos. La Callinicon en question (Zosime, III, 13. Théodoret., H. E., 26, etc.), doit être la Nicéphorion d’Alexandre.
[39] Ptolomæus autem, qui et Triphon, partes Syriorum occupavit : quæ vero apud Damascum et Orthosiam obsestio fiebat, finem accepit Ol. CXXXIV, 3 (242/1 a. Chr.), quum Seleukus eo descendisset (Eusèbe Arm., I, p. 251 Schœne).
[40] Justin, XXVII, 2, 5.
[41] Le texte de Plutarque (De frat. amor., 18) affirmant que Laodice prit parti pour son fils cadet suffit à réfuter Appien (Syr., 65), d’après lequel Évergète Λαοδίκην τε έκτεινε καί ές Συρίαν ένέβαλεν.
[42] Justin prétend que Ptolémée signa la paix cum Seleuco, ne cum duobus uno tempore dimicaret, comme si les deux étaient plus redoutables qu’un seul en possession du tout. La date de la paix in annos X cum Seleuco parait être 240/39 : J. Beloch propose de la reporter en 237, en substituant la leçon post annos X.
[43] Eutrope (III, 1) insère entre les dates de 241 et 237 la mention suivante : Finito Punico Bello, quod per XXIII annos tractum est, Romani jam clarissima gloria noti legatos ad Ptolemæum, Ægypti regem, miserunt auxilia promittentes, quia rex Syriæ Antiochus ei bellum intulerat. Ille gratias Romanis egit, auxilia non accepit : jam enim fuerat pugna transacta. Le nom d’Antiochus, au lieu de Seleucus (et Antiochus Hierax ?) a fait chercher dans les guerres d’Antiochos III et de Ptolémée IV une autre date que celle qu’exige le contexte d’Eutrope (v. g. ann. 217 : Schneiderwirth, Guiraud). Droysen (III, p. 373, 2) songeait à Antiochos II. Il est inutile de ressasser les raisons alléguées pour et contre. C’est ici que le fait trouve raisonnablement sa place (cf. Mommsen, Gutschmid, Schmid, Bandelin, Beloch). Niese (II, p. 153, 4) considère cette allégation, ainsi que la prétendue intervention des Romains (auprès de Séleucos I ou de Séleucos II ?) en faveur d’Ilion (Suétone, Claude, 25), comme des inventions des historiens romains d’époque postérieure. Il ne me parait pas invraisemblable que les Romains aient voulu, par une démonstration platonique, sonder les dispositions du successeur de Philadelphe.
[44] Ce n’est pas tout à fait l’avis de Polybe (V, 34, 8). Mais Polybe distingue aussi les pays (Cœlé-Syrie et Cypre) dont les Ptolémées voulurent être les maîtres, et les accessoires.
[45] Le texte dans la Χριστιανική τοπογραρία de Kosmas Indicopleustès (Montfaucon, Coll. nova Patrum, t. II [1707], p. 141-143 = Migne, Patrol. gr., LXXXVIII, p. 103-104. CIG., 5127. Strack, n° 39. Michel, 1239). L’inscription couvrait les faces d’une stèle quadrangulaire de basalte, posée debout sur un char ou trône de marbre blanc. Kosmas copia le tout sans remarquer qu’il y avait une différence de style et de sujet entre le texte de la stèle, relatant les conquêtes de Ptolémée III, et celui du trône, où l’on a reconnu depuis l’énumération des possessions et conquêtes d’un roi abyssinien, régnant depuis vingt-sept ans, à une époque très postérieure. L’authenticité du texte a été suspectée par la plupart des érudits jusqu’au jour où la découverte par Salt (1805 ; publ. en 1809) de l’inscription d’Axoum, où le roi Aizanas (du IVe siècle p. Chr.) raconte ses victoires sur six roitelets éthiopiens, a donné la clef de l’énigme et permis de restituer à quelqu’un de ses prédécesseurs la seconde partie de l’inscription d’Adulis. Le débat ne porte plus qu’accidentellement (cf. Deramey) sur la scission opérée. Voyez Ph. Buttmann, Ueber die Æchtheit des Adulitanischen Monuments (Mus. d. Alterthumswiss., II [1808-1810], p. 105-166 ; 573-612) ; B. G. Niebuhr, Ueber das Alter der zweyten Hälfte der adulitanischen Inschrift (ibid., 1810 = Kleine Schriften, I [1828], p.399-412). Sur l’inscription abyssinienne, dissertations de Dillmann, Glaser, P. de Lagarde. La thèse de l’unité reprise par P. Deramey, Les inscriptions d’Adulis et d’Axoum (Revue de l’Hist. des Relig., XXIV [1891], p. 316-365).
[46] Άδουλις (Steph. Byz.), Άδούλη (Ptol.), aujourd’hui Zoulla, au S. de Massaouah.
[47] Bifurcation généalogique singulière, les parents officiels de Ptolémée étant frère et sœur de même père et même mère. Chishull pensait à une filiation dionysiaque par Arsinoé, fille de Lysimaque, la mère véritable. D’autres (Bayer, Buttmann, Lacroze) estiment que άπό (au lieu de πρός) πατρός ou μητρός ne désigne pas les parents, mais les ancêtres, et que la mère de Ptolémée Soter, Arsinoé, passait pour une descendante de Dionysos (Satyrus ap. Theophil., Ad Autolyc., II, p. 94 = FHG., III, p. 164-165). Le scoliaste de Théocrite (XVII, 23-30) ne connaît que la parenté de Ptolémée Soter et d’Alexandre le Grand, tous deux descendants d’Héraklès. Ptolémée III n’est pas qualifié ici « dieu Évergète s, soit parce qu’il n’avait pas encore pris ce titre, soit parce que le titre divin ne convient réellement qu’au couple royal et n’est correct qu’au pluriel.
[48] Plus exactement, ό τε πατήρ αύτού καί αύτός πρώτος. Diodore (III, 18, 4) dit, en effet, que Ptolémée III était passionné pour la chasse aux éléphants, et qu’il envoya Simmias explorer dans ce but le littoral de la mer Rouge. C’est un des rares traits de caractère enregistrés par l’histoire au compte du premier Évergète.
[49] Cf. l’énumération des pays (soumis par Évergète ?) dans l’inscription hiéroglyphique d’Esneh (F. Lenormant, Notice sur un monument des conquêtes de Ptolémée Evergète Ier, dans les Trans. of R. Soc. of Literature, vol. VI [1859], p. 65-99).
[50] Il se pourrait que le monument eût été érigé plus tard, par les chasseurs d’éléphants au service de Philopator, que l’on rencontre comme signataires de dédicaces. Tels Charimortos, Alexandre et Apoasis (H. R. Hall, in Class. Review, 1898, p. 274-280. Mahaffy, History, p. 138), Lichas (Strack, n. 56). La généalogie dionysiaque de la dynastie parait avoir été, en effet, inventée ou fixée par Philopator.
[51] Polybe, V, 58, 10. Polybe affirme que Séleucie resta au pouvoir des Égyptiens depuis l’expédition d’Évergète jusqu’en 119.
[52] La domination égyptienne en Thrace allait jusqu’à Maronée (Polybe, V, 34, 8). Décret de Samothrace en l’honneur d’Hippomédon (Athen. Mitth., XVIII [1893], p. 346 sqq. = Michel, 351), personnage déjà connu par ailleurs (Teles ap. Stobée, Floril., II, p. 66 Meineke). Samos resta à l’Égypte, en dépit du coup de main de Timarque. Théra avait une garnison à poste fixe : c’était probablement la résidence du gouverneur des Cyclades. On a un rescrit adressé au commandant Apollonios, le 15 Épiphi de l’an XVIII d’un Ptolémée, qui doit être Évergète, car on voit que l’on célèbre à Théra des Πτοεμαΐκά Σύρια en souvenir des victoires de Syrie (donc 29 août 229 a. Chr.). Le roi, faisant droit aux réclamations des soldats, leur donne des terrains détachés du domaine royal (IGInsul., III [1898], n. 327. Add., p. 230). Cf. Hiller von Gaertringen, Thera, I, Berlin, 1899.
[53] Polybe, V, 34, 6-9.
[54] La Cyrénaïque n’y figure pas non plus, mais c’est parce que Polybe la considère comme partie intégrante de l’Égypte. Il oublie un peu qu’elle n’y est pas entrée sans lutte. On a vu ci-dessus que, vers 240, la Lycie était gouvernée par un Ptolémée, fils de Lysimaque (fils d’Arsinoé II ou petit-fils d’Arsinoé I ?), résidant à Telmesse. Décrets de Lissa (Lycie) βασιλεύοντος Πτολεμαίου τοΰ Πτολεμαίου, l’un de 239, l’autre de 236 (Hicks, Journ. of Hell. Stud., IX [1888], p. 88-89. Michel, 548-549). Il n’est pas probable que la vente de Caunos aux Rhodiens (Polybe, XXXI, 7, 6) date de cette époque. Les hypothèses émises sur la date vont de Ptolémée Ier à Ptolémée V. Ptolémée III se fût gardé d’accroître en Carie les possessions des Rhodiens, dont Séleucos avait payé l’alliance en leur cédant Stratonicée (Polybe, XXXI, 7, 6).
[55] Tite-Live, XXXIII, 19 et 20 (197 a. Chr.).
[56] Dès l’an II (244), d’après les papyrus Petrie (nn. 29.31), le triage s’opère entre les trois espèces de κληροΰχοι : les Μακεδόνες et μισθοφόροι avec les όρφανοί, et les αίχμάλωτοι άπό τής Άσίας, parmi lesquels figurent des Juifs. Les lots de terre sont proportionnés au grade et aux services des bénéficiaires, depuis les έκοντάρουροι jusqu’aux τριακοντάρουροι et sans doute au-dessous pour les simples soldats. Les colons, usufruitiers sous le régime de Philadelphe, deviennent propriétaires, et ceux dont les pères sont d’Alexandrie ou de Ptolémaïs restent citoyens de ces villes (Cf. P. M. Meyer, Heerwesen der Plolemäer, p. 32-45). En 241, un certain Andronicos se plaint au stratège que les habitants de Crocodilopolis cherchent à se soustraire à l’obligation de loger des soldats. Quantité de testaments de vétérans datent des années 237-225 (Fl. Petrie Papyri). Colonie juive dans le Delta : ύπέρ βασιλέως Πτολεμαίου καί βασιλίσσης άδελφής καί γυναικός καί τέκνων τήν προτευχήν οί Ίουδαΐοι (Bull. d’Alex., 4e fasc. [1902], p 48 sqq.).
[57] J. N. Svoronos, Les monnaies de Ptolémée II, etc. Περιγραφή κτλ., pp. 170-176. 195-200. Ptolémée V revient au comput habituel. L’auteur signale (p. 128) quelques essais du système sous Philadelphe (années 269, 263-261), du temps où Évergète était co-régent et où la difficulté de dater d’après les deux rois a pu suggérer cet expédient.
[58] Ou plutôt, à l’exemple de leurs sujets chaldéens et phéniciens. On trouve des inscriptions cunéiformes et des monnaies phéniciennes datées des premières années de l’ère des Séleucides ; mais, en Syrie, l’ère ne devient comput officiel qu’à partir de 158 Sel. = 155 a. Chr. Comme l’ère des Séleucides est aussi appelée ère après la mort d’Alexandre, et qu’elle comporte, en effet, une variante κατά Χαλδαίους qui prend son point de départ en 311 (équinoxe de printemps ou d’automne ?), il est probable que Ptolémée voulut se rallier à ce comput, susceptible de devenir international dans le monde hellénistique.
[59] Science que les Grecs disaient empruntée aux prêtres égyptiens (cf. Strabon, XVII, p. 806), ce qui est admissible pour la durée de l’année tropique, les prêtres disposant de longues observations et ayant pu fixer à 1461 années vagues la durée de leur période Sothiaque. Mais, à coup sûr, ce ne sont pas les prêtres qui ont poussé à la réforme.
[60] Ce texte bilingue ou trilingue (hiéroglyphique, démotique, grec) sur stèle en calcaire, a été découvert en 1865 à Sàn (Tanis) par un ingénieur français, pendant les travaux du canal de Suez, publié et traduit par Lepsius (Das bilingue Dekret von Canopus, Berlin, 1866), puis traduit en diverses langues et commenté par Reinisch et Rœsler (Die zweisprâchige Inschrift von Tanis, Wien, 1867), Wescher, Birch, Sharpe, Révillout et Brugsch (versions du démotique), Pierret, Chabas, etc. Un nouvel exemplaire, également sur stèle calcaire, plus complet et plus correct que la pierre de Sàn, a été découvert en 1881, à Kom-el-Hisn par M. Maspero, publié et traduit sur le grec par E. Miller (Journ. des Savants, 1883, p. 214-229), dont nous donnons ci-après la version. Le texte est reproduit, avec indication des variantes du démotique, par Mahaffy (Empire, p. 229-239) ; avec variantes des deux textes grecs, par Strack, n° 38, et Ch. Michel, n° 551. Le Louvre possédait déjà un fragment, sur basalte noir, d’un troisième (ou premier) exemplaire, qui servait de seuil à une mosquée du Caire ; mais le texte grec est à peu près effacé, et il ne reste au-dessus que deux lignes de démotique. On discute encore — comme pour la célèbre pierre de Rosette — sur la question de savoir en quelle langue a été rédigée la minute du décret. L’hiéroglyphique est hors de cause : le débat est entre le démotique, ou langue vivante à l’époque, et le grec. Révillout estime que l’original a dû être rédigé en grec et traduit, avec quelques contresens, en démotique : Mahaffy soutient la thèse contraire. La solution importe peu au point de vue du contenu ; beaucoup au point de vue historique. S’il est avéré que le clergé égyptien était obligé, en 238, d’employer officiellement la langue grecque, tandis qu’à Memphis, en 196 (pierre de Rosette), il était libre de rédiger ses décisions en sa propre langue, on en doit conclure que l’asservissement de ce clergé est allé en s’atténuant et que la race conquérante perdait peu à peu son hégémonie. Strack constate que l’humble synode de 238 date les anniversaires royaux à la mode grecque, tandis que l’ecclesia triumphans de 196 emploie les quantièmes égyptiens.
[61] Avec le système de l’année vague le 17 Tybi de l’an IX correspond au 7 mars 238. Mais le mois macédonien Apellaios devrait correspondre à peu près à novembre, et ce déplacement anormal inspire des doutes sur la date réelle du document. Le décret de Canope nous donne la plus ancienne mention du titre d’Évergète, qui ne figure ni dans l’inscription d’Adulis, ni dans la plaque relatant la fondation du T. d’Isis à Canope (CIG., 4694).
[62] άδελφή est ici évidemment formule de protocole. On la retrouve dans CIG., 4694, dans une dédicace de publication récente aux « dieux Évergètes (Strack, n° 43), et dans la προσευχή des Juifs.
[63] Nous avons bien là le quantième, mais non l’année de la naissance d’Évergète, à placer vers 283.
[64] ή καί πολλών άγαθών άρχή γέγονεν πάσιν άνθρώποις. Il est curieux de voir cette formule passer (avec paraphrase) dans les inscriptions en l’honneur d’Auguste, considéré comme Sauveur de l’humanité (Inscr. de Priène, Apamée, Eumeneia, Halicarnasse), et de là dans l’Évangile, en l’honneur du Christ Sauveur (Cf. W. Soltau, Die Geburtsgeschichte Jesu Christi, Leipzig, 1902). L’idée se retrouve dans le décret de Memphis (pierre de Rosette, voyez ci-après, ch. IX) en l’honneur de Ptolémée Épiphane.
[65] Βουλευταί ίερεΐς : ce sont les membres d’un Conseil d’administration.
[66] Il y a doute sur le sens d’άγνειών καί τών άλλων τών έν τοΐς ίεροΐς. Les versions égyptiennes semblent indiquer qu’il s’agit de suppléments de traitement alloués aux conseillers, ce qui offre un sens plus naturel.
[67] Ce décret a peut-être été rendu lors du couronnement du roi (?).
[68] Mention de cette Bérénice sur un vase provenant de Bengali, publié en 1862 par Beulé (Strack, n° 48).
[69] Remarquer, à l’appui de ce qui a été dit plus haut sur l’incompétence du clergé égyptien en matière de culte dynastique du rite grec, que cette Bérénice n’a point de place dans la série des cultes desservis par les sacerdoces de ce rite, même sous forme de culte individuel, comme il en fut institué pour Arsinoé Philadelphe, Bérénice Évergétis et Arsinoé Philopator.
[70] M. L. Strack, Der Kalender im Ptolemäerreich (Rhein. Mus., LIII [1898], p. 399-431). Le calendrier gréco-macédonien fut même dénaturé ou solarisé, c’est-à-dire que ses mois furent mis en concordance une fois pour toutes avec les mois égyptiens (1 Dios = 1 Thoth) et réduits à l’état de doublure inutile. Aussi ne figurent-ils jamais sur les oatraka, qui sont pourtant des quittances délivrées par des fonctionnaires royaux (Cf. U. Wilcken, Ostraka, I, p. 782). Une question soulevée par Strack, d’après les lignes 28-29 du décret de Canope, est la coexistence, antérieurement à la réforme, de deux calendriers égyptiens, l’un d’année vague, l’autre d’année fixe.
[71] Cf. Joh. Dümichen, Bauurkunde der Tempelanlagen von Edfu (Z. f. Æg. Spr., 1870, pp. 1-13) : compte-rendu chronologique des travaux.
[72] La plaque d’or trouvée dans les fondations porte, gravée au pointillé, la mention suivante : Βασιλεύς Πτολεμαΐος Πτολεμίου καί Άρσινόης, θεών Άδελφών, καί βασίλσσα Βερενκη, ή άδελφή καί γυνή αύτοΰ, τό τέμενος σίρει (Letronne, Recueil, I, p. 2. CIG., 4694. Strack, n° 40).
[73] Elle n’avait pas voulu tolérer une seconde femme, Phthia, princesse épirote que Démétrios venait d’épouser (Justin, XXVIII, 1, 1-4).
[74] Agatharchide ap. Joseph., C. Apion., I, 22 = FHG., III, p. 196.
[75] Justin, XXVIII, 1, 4. Malheureusement Justin écrit : sponte sua ad fratrem Antiochum [c’est-à-dire Antiochos II] discedit, et c’est un prétexte à controverses sans fin. Une étourderie de plus ou de moins, dans Justin, importe peu.
[76] Agatharchide (loc. cit.) entend autrement les choses : il suppose que Stratonice n’avait fait que passer par Séleucie, et qu’elle fut prise seulement pour avoir retardé son départ. Il pense évidemment que Séleucie appartient à Séleucos ; mais cette distraction ne peut prévaloir contre le témoignage exprès de Polybe. Cependant, Niese (II, p. 468) préfère encore admettre que Séleucie était syrienne au moment de l’insurrection de Stratonice et retomba plus tard aux mains de Ptolémée III, au cours d’une guerre dans laquelle aurait été fait prisonnier Andromachos, beau-frère de Séleucos, qui était encore captif à Alexandrie en 220 (Polybe, IV, 51, 1). Mais on n’a aucun autre indice de cette guerre hypothétique.
[77] Antigonus [sc. Antiochus] a suis barbaris satellitibus tradilus est, ex quibus cum paucis se eripiens Magnesiam proficiscebatur et sequenti die aciem instruebat, atque inter alios milites etiam auxiliares a Ptlomæo accipiens vicit (trad. Petermann, I, p. 251 Schœne). Là dessus, Droysen imagine que Magnésie, libre en 244 (CIG., 3131), avait alors une garnison égyptienne : conjecture que Kœpp fortifie en plaçant dans l’intervalle l’exploit sans date de Callicratidas de Cyrène, argument rejeté par J. Beloch, O. Kern et Haussoullier (Milet, p. 136, 2). Beloch propose de reconnaître ces auxiliaires égyptiens dans les Πτολεμαϊκοί de l’inscription d’Erythræ, qui ont été visés plus haut. Droysen veut encore qu’à Magnésie, Ptolémée ait secouru Antiochos contre Séleucos, qui n’avait pas le droit de relancer son frère sur territoire égyptien. Après quoi, Ptolémée est en guerre avec Antiochos et Antigone Doson, mais allié avec Attale, etc. Droysen rencontre Ptolémée partout, et ne veut pas qu’il soit resté en repos au milieu de tous ces agités (cf. Séleucus II et la critique historique).
[78] Polyen, IV, 17.
[79] Il est étonnant que Séleucos ne l’ait pas réclamé ou l’ait réclamé en vain. Peut-être Andromachos avait-il machiné quelque coup de main (sur Séleucie ?), que Séleucos dut désavouer — après insuccès — pour ne pas amener une rupture ouverte avec l’Égypte.
[80] Justin, après avoir dit qu’Antiochos avait eu plus de confiance dans la loyauté d’un ennemi (hostis) qu’en son frère, ajoute : Sed Ptolemæus non amicior devicto quam hosti factus adservari eum artissima custodia jubet (XXVII, 3, 9-10). Le terme hostis est, pour Droysen, la preuve que Ptolémée était en guerre avec Antiochos. Mais Justin a besoin d’un mot qui fasse antithèse à frater, et il n’en trouve pas de meilleur que hostis, ramené au sens primitif d’étranger. Du reste, il est probable que Ptolémée n’avait jamais reconnu Antiochos Hiérax comme roi légitime : c’est avec Séleucos qu’il avait signé la paix.
[81] Attamen Ol. CXXXVII, 4 (229/8 a. Chr.) in Lidiorum terra bis adgressus debellatus est, et e regione Koloæ cum Attalo prælium committebat, et Ol. CXXXVIII, 1 (228/1 a. Chr.) in Thrakiam fugere ab Attalo coactus post prælium in Karia factum moritur (Eusèbe Arm., I, p. 253 Schœne). Sur les hypothèses incroyablement divergentes adaptées à ce texte, voyez le mémoire déjà cité, Séleucus II et la critique historique. Une des plus étonnantes consiste à chercher une Carie en Thrace (C. Mailer, Droysen).
[82] Polybe appelle Antiochos Hiérax ό μεταλλάξας τόν βίον περί Θράκης (V, 14, 4). Ut a Callinico fusus in Mesopotamia Antiochus insidiantem sibi effugerit Ariamenem, dein postea custodes Tryphonis : quo a Gallis occiso Seleucus quoque frater ejus decesserit (Trogue-Pompée, Prol., XXVII). Antiochus opera cujusdam meretricis, quam familiarius noverat, deceptis custodibus elabitur fugiensque a latronibus interficitur. Seleucus quoque isdem ferme diebus amisso regno equo præcipitatus finitur (Justin, XXVII, 3, 11-12). Phylarque donnait sur la mort d’Antiochos, vengé par son cheval qui se jette avec le meurtrier Centaretus dans un précipice, des détails romanesques (Pline, VIII, § 158. Cf. Ælien, H. An., VI, 44). Solin (c. 45, 13) intervertit les rôles, et on ne sait plus s’il faut corriger Pline d’après Solin (Saumaise, Cuper, Wernsdorf, Pelloutier), ou Solin d’après Pline (Schmidt). Cf. Ad. Schmidt, Ueber den Tod des Antiochos Hierax (Z. f. Alterthumsw., 1840 = Abhand. z. alt. Gesch., p. 234-240). Mais il est fort possible aussi (Wilcken, in P.-W., R.-E., I, p. 2354) que l’anecdote se rapporte à la mort d’Antiochos Ier Soter en 261. L’amisso regno de Justin, suivi de exules ambo post regna, aggravé par un texte de S. Jérôme commentant Daniel : Post fugam et mortem Seleuci Callinici, duo filii ejus etc., met aussi à l’épreuve la patience des érudits acharnés à triturer les bévues des compilateurs.
[83] Mahaffy, d’après Niebuhr et Droysen, appelle constamment Achæos II fils d’Andromachos l’oncle d’Antiochos III ; d’autres disent son beau-frère. En fait, il était son cousin. La tante d’Achæos II, Laodice, fille d’Achæos Ier et sœur d’Andromachos, avait épousé Séleucos II Callinicos, et Séleucos III ainsi qu’Antiochos III étaient issus de ce mariage. Achæos, marié avec une Laodice, fille de Mithridate II (Pont), devint le beau-frère d’Antiochos lorsque celui-ci eut épousé une autre Laodice, fille du même Mithridate (lequel avait épousé une sœur cadette de Séleucos Callinicos, si bien que les deux Laodice étaient nées cousines de leurs futurs maris). Les historiens, anciens et modernes, se perdent dans ces dédales d’homonymes sans numéros d’ordre. J. Beloch se refuse à admettre deux sœurs homonymes, comme s’il n’y en avait pas d’autres exemples. Reprenant une conjecture de Niebuhr, il veut que Achæos ait épousé (plus tard, vers 218) une Laodice fille d’Antiochos Hiérax, et pris ainsi la succession de son beau-père. Mais pour cela, il faut ou récuser Polybe ou corriger dans son texte (VIII, 22, 11) Λαοδίκην τήν Νιθριδάτου en τήν Άντιόχου, sauf à maudire les copistes, qui ont bon dos.
[84] [Demetrio mortuo] tutelam fui ejus Philippi suscepit Antigonus, qui Thessaliam et in Asia Cariam subjecit (Prol. XXVIII). Droysen suppose qu’Antigone, appelé peut-être par les villes grecques et allié d’Antiochos Hiérax, garda la Carie de 228 à 221 et ne la rétrocéda à Ptolémée qu’à la condition que celui-ci abandonnerait la cause de Cléomène. Mais il me parait impossible que, rentré en Macédoine et occupé en Grèce, Antigone ait pu garder ces possessions lointaines. Il est à remarquer que son successeur, Philippe V, voulut les reprendre.
[85] À moins qu’il ne faille placer avant cette expédition le fameux tremblement de terre qui renversa le colosse de Rhodes et dont les dommages furent réparés par les libéralités de tous les princes de l’époque. Parmi ceux-ci, Polybe cite expressément Ptolémée, Antigone et Séleucos ό πατήρ Άντιόχου (V, 89, 8), c’est-à-dire Séleucos II. Le Chron. Pasch. (p. 331 Bonn) donne, en effet, la date de 221 ; mais la majorité des chronographes tiennent pour 223. Aussi, certains érudits (Schneiderwirtb, II. van Gelder), conciliants à outrance, prennent le parti d’avancer quelque peu, en 225 ou 224, la date traditionnelle et de retarder jusqu’en 224 la mort de Séleucos II.
[86] On s’attendait à quelque tentative sur Samothrace, qu’Hippomédon mettait en état de défense.
[87] Polybe, XX, 5, 7-11.
[88] Niese (II, p. 420, 2) se demande si la bataille d’Andros n’avait pas déjà fortement ébranlé le protectorat égyptien sur les Cyclades. Je ne pense pas qu’Évergète se fût résigné à cette déchéance, qui doit avoir été plus tard la conséquence naturelle de l’incurie de Philopator.
[89] Polybe, II, 47.
[90] Plutarque, Cléomène, 22. D’après Droysen, Ptolémée aurait sacrifié Cléomène pour rentrer en possession de la Carie.
[91] Polybe, II, 63, 1.
[92] Plutarque, Cléomène, 32-33. Il témoigna au moins de sa bonne volonté en faisant ériger une statue de Cléomène à Olympie (Strack, n. 42).
[93] Cf. les témoignages de Trogue-Pompée et d’Eusèbe. Mais, d’après Pline (VII, § 208) et Élien (V. Hist., XIV, 31), c’est Ptolémée IV Philopator qui et Tryphon cognominatus est, et pour des raisons plus évidentes. Enfin, il n’est pas impossible qu’il y ait eu confusion entre les deux Évergètes, et qu’on ait imputé au premier les vices du second, qui put s’appeler indifféremment Physcon ou Tryphon (Ptolemæus Tryphon dans Ampelius, 35, 3). On rencontre plus tard Tryphæna comme nom ou surnom de reines d’Égypte et de Syrie. Au gré de certains astrologues, Πτολεμαΐος ό Άρσινόης était né, comme Cléopâtre et Olympias (?), sous la constellation du Chien (Philosophum., V, 2, 14). Je ne me hasarderai pas à en tirer des inductions sur son caractère ; d’autant plus que le fils d’Arsinoé pourrait aussi bien être Ptolémée V Épiphane.
[94] On a trouvé à Koptos une inscription hiéroglyphique ainsi conçue : Dame d’Ascher, donne vie à Lysimaque, le frère des rois, le stratège. L’an VII, Tybi (Krall, Studien, II, p. 366). E. Révillout (Rev. Égypt., I, p. 44, 1) avait traduit srlîqos (stratège) par Sardique et, sans souci du titre de frère des rois, en avait conclu qu’il s’agissait du roi Lysimaque, père d’Arsinoé I.
[95] Cf. l’épigramme (Anthol. Gr., Append., 25) où Ératosthène fait allusion au jeune prince, et le commentaire de Willamowitz, Ein Weihgeschenk des Eratosthenes (Gött. Nachr., 1895, p. 45-35).
[96] L’hypothèse d’une usurpation consommée au détriment d’un prétendu neveu en bas âge, fils de Séleucos III, usurpation qui aurait motivé les défections des légitimistes de l’époque, est aujourd’hui définitivement abandonnée (en dernier lieu, par une rétractation de Niese, II [1899], p. 679, 3), cet Antiochos, mentionné avant Antiochos III dans CIG., III, 4458, ayant été reconnu (Gutschmid et Wilcken) pour un fils prédécédé d’Antiochos III, nommé après son père dans une inscription de Magnésie (O. Kern, Die Inschr. von Magnesia am Masander [Berlin, 1900], n° 61), antérieure à sa mort (cf. ci-après, ch. IX, § 2).
[97] Polybe, V, 41.
[98] Rappelons que le père d’Achœos, Andromachos, était encore interné à Alexandrie, et que sa libération fut plus tard le prétexte des pourparlers qui aboutirent à une alliance ou entente secrète entre Achæos et Philopator.
[99] Le Canon des Rois ne donne que 25 ans de règne à Évergète Ier. Le fait, connu par de nouveaux documents (inscr. phénicienne de Masoub [Clermont-Ganneau, Recueil d’arch. orientale, I, p. 81. Paris, 1888] et Pap. Petrie, cf. Strack, p. 194), que, contre la coutume, l’an I de Philopator (222/1) a été compté comme an XXVI à son prédécesseur, parait indiquer ou bien que Évergète a vécu la majeure partie de cette 26e année, laquelle finit le 17 octobre 221, ou plutôt, que Philopator fut co-régent en cette année, avant d’être roi, Évergète ayant pris ses précautions contre une compétition possible de son fils cadet Magas. On peut considérer l’association au trône de l’héritier présomptif comme une règle générale, de tradition pharaonique.
[100] On verra plus loin qu’Arsinoé n’était encore que la sœur du roi en 217, et on ne trouve guère d’autre raison que son tige pour expliquer la date tardive du mariage, qui ne fut fécond que vers 210/9. Bérénice ne devait pas avoir plus de 52 ans à la mort d’Évergète, et Arsinoé était sans doute leur dernier enfant.
[101] Justin, XXIX, 1, 5. Il est évident que le nom officiel porté par le couple des θεοι Φιλοπάτορες n’est pas un sobriquet. D’après Gutschmid (Kl. Schriften, IV, p. 113), le surnom de Philopator indique en général le successeur désigné par son père. Strack (p. 111 sqq.) n’est pas de cet avis : il tient pour les noms ou surnoms à signification individuelle, antérieurs parfois à l’avènement. En fait, il faut renoncer à fonder des inductions historiques ou descriptives sur les surnoms des rois. Évergète II ne rappelle en rien Évergète Ier ; de même Soter II. Les derniers Ptolémées cumulent les surnoms les plus disparates. De même, hors d’Égypte. On rencontre un roi de Pont qui s’appelle Mithradate Philopator et Philadelphe, un roi de Commagène Antiochos Épiphanes Mégas, des Évergètes, des Eupators, etc.
[102] Polybe, II, 71, 3. Polybe n’a pas l’habitude de noter ainsi la plus commune des causes de mort.