HISTOIRE DES LAGIDES

TOME PREMIER — LES CINQ PREMIERS PTOLÉMÉES (323-181 avant J.-C.)

 

CHAPITRE V. — PTOLÉMÉE II PHILADELPHE (285-246).

 

 

Ptolémée II, connu dans l’histoire sous le nom impropre, mais couramment employé, de Philadelphe[1], était, comme on l’a vu, associé au trône depuis deux ans quand la mort de son père le laissa seul maître de l’Égypte. Le premier acte de son règne effectif fut de porter son vieux père dans le Sêma ou sépulture royale et peut-être d’y amener de Memphis le corps d’Alexandre, le Palladium de la nouvelle capitale[2]. Aucun texte ne nous parle des funérailles du roi défunt, funérailles qui durent être l’apothéose du Σωτήρ, devenu le compagnon divin d’Alexandre. Mais nous verrons plus loin les raisons qui rendent vraisemblable la fondation d’une fête commémorative de l’apothéose ou — pour parler plus exactement — de l’héroïsation, fête annuelle et célébrée avec un éclat particulier tous les quatre ans.

Les premières années de ce règne si brillant sont plongées dans une obscurité profonde, qui, avouons-le tout de suite, se continue sous l’éclat un peu factice de la surface. Nous ne voyons à distance que l’auréole dont l’adulation officielle, transmise à la postérité par la littérature, a entouré la personne du monarque, et, çà et là, un petit nombre de faits, débris de la tradition historique, qui viennent attester les succès de sa politique ou la réalité de sa proverbiale opulence. Quand on veut ordonner ces témoignages disséminés à travers quarante ans de règne, on ne trouve qu’une matière à hypothèses en suspens dans une chronologie flottante. Par une singulière ironie du sort, le prince qui a attaché son nom à la grande Bibliothèque est peut-être celui dont les livres — en dehors de la littérature poétique et anecdotique — ont le moins fidèlement gardé le souvenir.

Il se pourrait qu’il faille reléguer dans les pages blanches qui représentent les deux années d’association au trône les premières expéditions de Philadelphe en Éthiopie et en Arabie[3]. On n’en a pour indice que le nom de Bérénice donné à une ville, située sur le rivage occidental de la Mer Rouge, dont la fondation est attribuée à Philadelphe[4] ; et la conjecture ne prend corps que par comparaison avec les autres fondations du règne, dont aucune ne porte le nom de la mère du roi. Il eût été, en effet, assez conforme aux plans de Ptolémée Soter que son héritier présomptif fît preuve d’activité et ajoutât un peu de mérites personnels à ses droits contestables avant le moment où il succéderait effectivement à son père.

 

§ I. — PTOLÉMÉE II ET ARSINOÉ I (285-278).

La transmission du pouvoir, si habilement préparée par le roi défunt, paraît s’être effectuée sans secousse. Les fils d’Eurydice, du moins ceux qui auraient pu créer des embarras, avaient probablement quitté Alexandrie avant même que leur père les eût officiellement déshérités[5]. L’aîné, le seul dont on puisse suivre la trace, s’était réfugié à la cour de Lysimachia, où il retrouvait deux sœurs, Lysandra, mariée à Agathocle fils de Lysimaque, celle-là née comme lui d’Eurydice, et Arsinoé, femme de Lysimaque, celle-ci née de Bérénice. Aigri par l’exil et décidé à tout pour se faire une place au soleil, Ptolémée Kéraunos sembla prendre à tâche de justifier l’exclusion dont il avait été frappé par son père. S’il en faut croire un historien qui jouit d’un certain crédit, il se tailla tout de suite un rôle dans une tragédie domestique qui eut de grandes conséquences. Lysimaque, en convolant sur le tard à de nouvelles noces, n’avait pas assez médité la légende classique de Thésée et Hippolyte. Soit antipathie de marâtre ambitieuse, qui voulait frayer le chemin du trône à ses propres enfants, soit vengeance de femme qui avait convoité les joies perverses de l’adultère et avait vu rebuter ses avances[6], Arsinoé accusa son beau-fils Agathocle de complot parricide. Arsinoé avait tout pouvoir sur le vieux roi, et elle exploitait cet amour sénile pour terrifier son entourage, qui ne l’aimait pas. Pour une allusion désobligeante que s’était permise sur son compte un haut fonctionnaire, Telesphoros, Lysimaque fit enfermer l’imprudent railleur dans une cage, comme une bête fauve, et l’y laissa mourir. Telesphoros n’avait que trop raison : le malheur était entré à la cour de Lysimachia avec cette femme bilieuse, qui vomissait à tout propos[7]. Elle vomissait aussi au figuré. La calomnie sortie de sa bouche eut un effet foudroyant. Lysimaque, violent et méfiant par nature, crut aisément qu’Agathocle comptait sur sa popularité pour supplanter son père, et sa décision fut bientôt prise. Il était de ceux pour qui la raison d’État répond à tout. Il avait fait assassiner son gendre Antipater, fils de Cassandre, pour ne pas lui restituer la Macédoine, et condamné sa fille Eurydice à la prison perpétuelle pour étouffer les protestations de cette veuve infortunée. C’est après avoir tenté d’assassiner le jeune Ariston, fils d’Audoléon, qu’il avait annexé la Péonie à la Macédoine. Le soupçon jeté dans son esprit par Arsinoé lui tint lieu de preuve : il condamna son fils sans l’entendre et le livra au bon plaisir d’Arsinoé. Celle-ci essaya d’abord du poison ; mais, le breuvage ayant manqué son effet et averti le patient, elle eut recours à son frère. Ptolémée, au dire de Memnon de Rhodes, se chargea de l’office de bourreau opérant clandestinement au fond d’un cachot[8] (284).

Le mystère qui enveloppait ce crime se dissipa bientôt ; l’opinion publique se souleva, et l’on vit approcher le châtiment. Le vide se fit autour de Lysimaque. La malheureuse veuve d’Agathocle, Lysandra, crut sans doute qu’elle n’avait point de pitié à attendre de son père, qui était aussi le père d’Arsinoé. Emmenant avec elle ses enfants et suivie de ses frères, elle alla demander asile à Séleucos. Même un frère de son mari, Alexandre, prit part à cet exode[9]. Si réellement, comme l’affirme Memnon, Ptolémée Kéraunos avait consommé le forfait de ses propres mains[10], il fit preuve d’une hypocrisie égale à sa scélératesse en allant, assassin insoupçonné, mêler sa voix à celles qui criaient vengeance autour de Séleucos. Ptolémée fut accueilli à Antioche avec une bienveillance significative et traité en héritier de la couronne d’Égypte. Le roi de Syrie, disait-on, n’attendait que la mort du Lagide octogénaire pour détrôner au profit de son hôte l’usurpateur Philadelphe. Séleucos en fit la promesse formelle ou le laissa croire. Il est probable, en tout cas, que Kéraunos bâtit ses plans là-dessus, et que Philadelphe prit bonne note des sentiments hostiles de son voisin. Aussi la déception de Kéraunos fut-elle grande quand, après la mort de Ptolémée Soter, Séleucos préféra entamer la conquête de l’Asie-Mineure.

Lysimaque s’apercevait trop tard que l’iniquité commise était une faute irréparable. Le gouverneur de Pergame, Philétæros, qui avait des raisons de se méfier d’Arsinoé, avait, lui aussi, engagé Séleucos à venger la mort d’Agathocle et offert de lui livrer la place avec ses trésors[11]. La défection se propagea avec rapidité dans les villes d’Asie-Mineure. Accueilli partout en libérateur, Séleucos écrasa d’un seul coup son adversaire à la bataille de Koroupédion (printemps 281). Lysimaque resta sur le champ de bataille, et tout ce qu’il avait possédé en Asie-Mineure fut théoriquement incorporé à l’empire des Séleucides[12]. Arsinoé s’enfuit en toute hâte d’Éphèse, sous un déguisement[13], et se déroba ainsi à la vengeance de Lysandra. Bien lui en prit, car Lysandra était tellement exaspérée, qu’elle aurait voulu infliger au cadavre de Lysimaque le suprême affront, la privation de sépulture[14].

Mais Séleucos ne sut pas s’arrêter à temps. Il voulait soumettre effectivement toute l’Asie-Mineure, prendre possession en Europe du royaume de Thrace pour le rendre aux enfants d’Agathocle, et garder pour lui la Macédoine, où il comptait finir ses jours en paix, laissant l’Asie entière à son fils Antiochos. Il oubliait dans ses calculs que les villes et provinces du nord de la péninsule asiatique entendaient garder ou recouvrer leur indépendance ; qu’une expédition en Europe, avec une armée où il avait enrôlé les vaincus de Koroupédion, était une aventure des plus risquées ; enfin et surtout, qu’il avait à ses côtés un ambitieux sans scrupules, enfiévré de convoitises et prêt à saisir toutes les occasions. On dit plus tard que l’oracle des Branchides l’avait averti de ne pas se précipiter en Europe, attendu que l’Asie valait beaucoup mieux pour lui[15]. Pendant que Séleucos, débarqué en Chersonèse, faisait halte sur la route de Lysimachia, il fut poignardé par Kéraunos, qui alla prendre le diadème dans la capitale et revint ensuite, entouré d’une garde brillante, se faire acclamer par les soldats[16]. Ces armées de mercenaires soutenaient toutes les causes sans s’attacher à aucune et se donnaient volontiers au plus offrant. Ainsi périt, sept mois après sa victoire de Koroupédion, le dernier survivant des compagnons d’Alexandre[17] : il n’y a plus en scène que les Épigones (fin 281).

L’aventurier félon n’avait réussi si vite à prévenir toute résistance qu’en se donnant pour le vengeur de Lysimaque et le tuteur futur de ses enfants[18]. Il se réservait de supprimer quelque jour ces prétendants de l’avenir, actuellement réfugiés, avec leur mère, dans la ville de Cassandria, qui était propriété particulière d’Arsinoé[19]. En attendant, il avait à se défendre contre Antiochos, qui ne pouvait laisser impuni l’assassin de son père, et à conquérir la Macédoine, que lui disputait Antigone Gonatas, fils du Poliorcète. Ptolémée Kéraunos déploya autant d’énergie que d’habileté, et les circonstances le servirent à souhait. Il commença par gagner à sa cause Philadelphe. Il implora par lettres, dit Justin, l’amitié de son frère le roi d’Égypte, déclarant qu’il ne gardait désormais aucun ressentiment pour avoir été dépouillé du royaume paternel et qu’il ne demanderait plus à son frère ce qu’il avait acquis d’une façon plus honorable aux dépens de l’ennemi de leur père[20]. Philadelphe ne put qu’être enchanté de voir son frère pourvu ailleurs, et il comprit très bien l’invitation suggérée par l’allusion à l’ennemi de leur père. Il est plus que probable qu’il se prépara aussitôt à reprendre la Cœlé-Syrie, cette province jadis égyptienne, que Séleucos avait toujours refusé de restituer à Ptolémée Soter. Peut-être s’en était-il déjà emparé quand Antiochos, enfin informé, vint de l’Orient pour prendre possession de son héritage[21].

Antiochos se trouva paralysé de tous côtés et faillit assister à la débâcle de son empire. Séleucos avait imprudemment exigé la soumission de peuples sur lesquels Lysimaque, Antigone et Alexandre lui-même n’avaient jamais exercé qu’une suzeraineté nominale. Le général Diodore, qu’il avait envoyé en Cappadoce, avait été battu[22]. Le dynaste de Cappadoce pontique, Mithridate dit Κτίστης, avait pris le titre de roi en 284, après la bataille de Koroupédion ou après la mort de Séleucos : le dynaste de Bithynie, Zipœtès, fils de Bas, s’était aussi rendu indépendant et probablement fait roi à la même époque[23]. Les villes grecques, encouragées par ces exemples, aspiraient aussi à l’indépendance, et elles avaient vu avec dépit Séleucos, en qui elles avaient espéré un libérateur, prendre des allures de maître. Les Héracléotes, déçus de cette façon, étaient en pleine révolte et ligués avec Chalcédoine et Byzance, d’un côté, avec Mithridate, de l’autre. Leurs navires faisaient partie de la flotte avec laquelle Kéraunos barrait l’Hellespont[24]. Pour atteindre Ptolémée, Antiochos devait d’abord pacifier l’Asie-Mineure. Le général qu’il chargea de cette mission, Patroclès, ne fut ni heureux, ni habile. Il marcha sur Héraclée, traita avec les habitants, puis se rabattit sur la Bithynie, sans prendre ses précautions en face d’un adversaire comme Zipœtès. Il tomba dans une embuscade, et il y resta, avec toute son armée (280)[25].

Du reste, Antiochos, étourdi par toutes ces complications, mal renseigné et changeant de projets au jour le jour, se conduisit comme s’il avait été l’allié de Kéraunos. Il ne sut ou ne voulut pas s’entendre avec Antigone Gonatas, qui, battu sur mer par Kéraunos, se replia sur ses possessions de l’Hellade, pour ne pas tout perdre du même coup[26]. Au lieu d’utiliser l’ambition de Pyrrhos, qui hésitait à ce moment entre la Macédoine et l’Italie, il le poussa à s’embarquer et lui fournit des subsides. Antigone et Kéraunos en firent autant de leur côté. Antigone prêta des vaisseaux : Kéraunos mit des troupes à la disposition du roi d’Épire et lui donna sa fille en mariage, si bien que Pyrrhos partit en toute hâte pour l’Italie, confiant à Kéraunos le soin de surveiller son royaume en son absence[27]. Au fond, Antiochos caressait l’espoir chimérique qui avait été la dernière illusion de son père. Il comptait annexer un jour la Macédoine à son empire et ne voulait pas laisser s’y installer une dynastie qui eût chance de durer. Mais c’était un projet qu’il fallait ajourner. Vers la fin de l’année 280, Antiochos, las de son impuissance, fit la paix avec Ptolémée Kéraunos.

Le moment était venu pour celui-ci de se défaire des prétendants qu’Arsinoé avait tenus jusque-là à l’abri de ses embûches. Ptolémée savait que ni eux, ni leur mère ne renonçaient à la succession de Lysimaque. L’aillé, du nom de Ptolémée, s’était même déjà mis en campagne, allié avec un prince illyrien appelé Monounios[28], et c’est à cette circonstance qu’il dut de ne point partager le sort de ses frères. Ptolémée avait affaire à forte partie, car Arsinoé, rompue aux intrigues, n’était pas facile à duper, surtout par un autre intrigant dont elle connaissait les aptitudes[29]. Ptolémée lui proposa de l’épouser et d’adopter ses enfants. C’était une solution simple et élégante du problème dynastique. Un mariage entre frère et sœur consanguins n’allait point contre la morale grecque, et les scrupules d’Arsinoé, si elle en avait eu, n’auraient point tenu devant la perspective de redevenir reine de Macédoine et de Thrace, avec la certitude de réintégrer dans leurs droits ses enfants, héritiers légitimes de Lysimaque. Mais Arsinoé restait défiante et enfermée dans Cassandria. Pour dissiper ses craintes, Ptolémée, au dire de Justin, joua la comédie de l’amour et prodigua les serments les plus sacrés. Il se pourrait même qu’il eût fait intervenir les conseils de Philadelphe[30], personnellement intéressé à ce pacte de famille. Convaincue enfin, Arsinoé, pour qui l’amour de Ptolémée n’était peut-être pas chose tout à fait nouvelle, consentit à épouser son frère, mais hors de Cassandria, où elle laissa ses enfants. Les noces furent splendides, et le tendre époux présenta la reine aux acclamations de l’armée. Arsinoé ne pouvait plus ajourner le moment heureux où Ptolémée, admis au foyer de sa nouvelle famille, presserait dans ses bras ses chers neveux, devenus ses enfants. Elle l’invita à venir à Cassandria. Le maître fourbe tenait enfin sa proie. L’entrevue, d’abord toute en caresses, finit par un massacre. Justin déploie ici toute sa rhétorique[31] ; il nous montre la mère couvrant de son corps ses enfants que les assassins poignardent entre ses bras, puis fuyant éperdue, les vêtements déchirés et les cheveux épars, jusqu’en Samothrace, et là, dans ce saint asile, déplorant encore de n’avoir pu mourir avec ses enfants[32]. Kéraunos déplorait sans doute, de son côté, de n’avoir pu mettre la main sur l’aîné : mais l’avenir réservait à ce jeune prince, dans quelque poste de fonctionnaire, une vie plus calme que celle de prétendant[33]. Les moralistes sont heureux de constater que la vengeance divine atteignit à bref délai le scélérat[34]. Ptolémée Kéraunos fut battu et tué l’année suivante (fin 280) par les Gaulois de la bande de Bolgios[35]. Il périt en combattant, confondu dans les rangs des patriotes macédoniens et réhabilité par un trépas que les mêmes moralistes n’auraient pas appelé une punition du ciel, si Kéraunos avait eu les vertus de Léonidas. Kéraunos mort, les Macédoniens prirent pour roi son frère Méléagre. Celui-ci, jugé incapable, fut déposé au bout de deux mois, laissant la place aux compétitions et expédients qui préparèrent le retour d’Antigone Gonatas.

Il est temps de revenir aux faits et gestes de Ptolémée Philadelphe, que nous n’avons pas perdu de vue, mais laissé à l’arrière-plan. Ici, nous sortons de la pénombre pour entrer dans l’obscurité. Il est bon de le redire après tant d’autres, ne fût-ce que pour réclamer le droit d’échouer là où ils n’ont pas réussi, la chronologie des principaux événements du règne de Philadelphe n’est qu’un assemblage de conjectures, et l’hypothèse s’étend parfois jusqu’aux actes eux-mêmes. Il en est ainsi, on l’a vu plus haut, de la prise de la Cœlé-Syrie, que nous croyons avoir été opérée au cours de l’année 280, à la faveur des troubles déchaînés par la mort de Séleucos. Cette hypothèse est la clef de bien des faits postérieurs, et il importe de l’amener à un haut degré de vraisemblance.

Il est inutile d’insister sur le concours de circonstances qui rendaient cette conquête facile. Nous savons que l’ébranlement causé par la brusque disparition de Lysimaque et de Séleucos, deux coups frappés en sept mois, se propagea jusque dans la Syrie du nord, ou Syrie Séleucide[36]. On comprend que, avec de telles affaires sur les bras, Antiochos n’ait pas voulu engager une guerre avec un voisin puissant, lequel, de son côté, prétendait ne pas faire œuvre de belligérant, mais reprendre purement et simplement son bien, que Séleucos détenait depuis vingt ans au mépris des conventions de 301, et même contre le gré des populations. Il est constant, en effet, que les Syro-Phéniciens ont toujours préféré la domination des Lagides à celle des Séleucides[37], et c’est ce qui explique que Philadelphe ait pu s’emparer de la Cœlé-Syrie sans coup férir, si bien que l’histoire, préoccupée des faits de guerre, a oublié cette annexion pacifique[38]. C’est à ce moment peut-être que Philadelphe, aidé par les circonstances, put mettre son stratège Philoclès sur le trône de Sidon, laissé vacant par la mort prématurée d’Eshmounazar II. Cependant, Philadelphe avait dû prévoir une résistance possible et réunir des forces suffisantes pour parer à cette éventualité. Peut-être même ses préparatifs avaient-ils été formidables. Il était fastueux par nature, et quelque peu poltron : parader à la tête d’une grande armée était assez conforme à ses goûts. La défection de la Cœlé-Syrie rendant cette armée inutile, il eut l’idée de l’utiliser pour célébrer en l’honneur de son père, dont il avait réparé l’affront, des fêtes splendides dont le souvenir resterait associé à son nom et à cette première gloire de son règne.

La description de ces fêtes par Callixène de Rhodes[39] est une épave, échouée dans un musée de curiosités, que les érudits s’évertuent à reporter à sa véritable place, essayant tour à tour les hypothèses qui pourraient l’encadrer d’une façon satisfaisante. La description est à la fois d’une prolixité fastidieuse, bourrée d’hyperboles charlatanesques, incohérente et amputée de tout ce qui aurait pu nous laisser deviner l’occasion, le sens, le but, de cette colossale exhibition. On voit défiler, en cortège interminable, à travers le stade d’Alexandrie, devant de luxueuses tribunes[40], des chars gigantesques, portant des dieux, des rois, des figurants de toute espèce, représentant des scènes mythologiques ; devant et derrière, des milliers d’hommes, d’enfants, en costumes divers, portant des couronnes, des vases d’or et d’argent, trépieds, cassolettes, etc. ; puis des animaux de toute sorte, sauvages et domestiques, éléphants attelés et montés, chameaux, autruches, meutes de chiens, etc. ; enfin, pour fermer la marche, une armée de 57.600 fantassins et 23.200 cavaliers, tous équipés au complet. Après cette procession fantastique, qui met à une rude épreuve la foi du lecteur le plus complaisant, il est fait mention, mais en phrases écourtées par Athénée, de jeux où la valeur des prix décernés monta à 2.239 talents et 50 mines payés séance tenante, et où Ptolémée Soter et Bérénice, ainsi que Philadelphe lui-même, figurent parmi les lauréats.

Les discussions soulevées par le rapport de Callixène[41] tendent à s’apaiser depuis qu’une inscription découverte à Nicourgia, un îlot voisin d’Amorgos, a mis sur la voie d’une explication dont la vraisemblance approche de la certitude. Ce texte épigraphique est un décret du Conseil des synèdres de la Confédération des Insulaires (Νησιώται), répondant à l’invitation, faite par Ptolémée II, d’assister aux Jeux isolympiques qu’il institue à Alexandrie en l’honneur de son père défunt[42]. Le décret, rendu à Samos dans une assemblée à laquelle assiste le délégué de Ptolémée, le roi des Sidoniens Philoclès, nous apprend que les Insulaires avaient déjà fondé à Délos un culte du Σωτήρ. Aussi enverront-ils trois théories pour les représenter officiellement à la fête. La présence de Philoclès, qui prend la parole dans l’assemblée, donne un peu à l’invitation le caractère d’un ordre. Philoclès, amiral de la flotte égyptienne, avait la police des Cyclades, et il était chargé, en ce moment même, de restaurer les finances de la confédération en faisant rentrer par ordre du roi Ptolémée, les contributions dues par les Insulaires au sanctuaire de Délos[43].

Que les Jeux en question (Σωτήρια ou Πτολεμάεια ?) dussent se renouveler tous les quatre ans, l’épithète d’isolympiques l’indique suffisamment, et l’on s’est aperçu que Callixène l’avait déjà dit en renvoyant pour les détails aux programmes des pentaétérides[44]. Sa description montre encore que la fête pentaétérique, comme celle des grandes Panathénées à Athènes, se superposait à une commémoration annuelle, anniversaire de la mort du feu roi[45]. Il est hors de doute que la procession décrite par Callixène faisait partie de la fête isolympique. Mais le décret des Nésiotes n’est pas daté, et il reste de ce chef une marge aux conjectures. On n’a pas renoncé à voir dans la figuration des villes grecques groupées sur le char qui portait les images d’Alexandre et de Ptolémée (Soter), et dans le défilé militaire, l’indice d’une date postérieure à la guerre de Syrie dont il sera question plus loin ; soit que la fête isolympique eût été instituée à cette époque, soit qu’elle fût alors célébrée pour la seconde fois, quatre ans après l’inauguration du cycle[46]. Mais cette conclusion ne s’impose pas, et l’absence, déjà tant de fois remarquée, du nom d’Arsinoé en suggère une autre. Nous verrons plus loin comment Arsinoé II fit chasser son homonyme Arsinoé, fille de Lysimaque, pour la remplacer en qualité de sœur-épouse, et quel empire elle sut prendre sur son indolent époux. Elle voulut être la seule Arsinoé, la seule reine dont se souvînt l’histoire officielle, et elle dut faire effacer partout le nom de sa rivale. Quand on voit Ptolémée Évergète, dans des documents officiels[47], la reconnaître pour sa mère, on ne s’étonne pas que Callixène, historiographe de cour, ait supprimé de son rapport le nom de la délaissée. Celle-ci y figure pourtant, dissimulée dans le pluriel qui désigne les souverains régnants (βασιλεΐς)[48]. La πομπή eut donc lieu dans le court laps de temps qui va de la mort de Ptolémée Soter (283) à la date, encore problématique, mais très rapprochée, du second mariage de Philadelphe. Nous avons déjà signalé, en admettant la reprise de la Cœlé-Syrie en 280/279, les circonstances qui justifient le caractère triomphal de la cérémonie, l’étalage de richesse et de puissance destiné peut-être à intimider Antiochos. Il n’est pas non plus indifférent de noter que, en cette même année, on rencontre le roi en excursion dans la partie orientale de son royaume, à Héroopolis (Pithom), préoccupé de remettre en état le canal de Nécho[49]. L’entreprise lui permettait de masser du côté de la Syrie une armée de travailleurs dont il pourrait faire, au besoin, des soldats.

Prévoir une future guerre de Syrie, pour le moment où Antiochos aurait les mains libres, était à la portée du plus médiocre politique ; mais l’imprévu fondit en orages successifs sur les années suivantes. Comme un oiseau de proie chassé par la tempête, Arsinoé, la veuve de Lysimaque, encore toute meurtrie du coup brutal frappé à Cassandria par Kéraunos, vint chercher un asile à Alexandrie[50]. Avait-elle déjà autrefois, comme sœur aînée, de huit ans plus âgée que Philadelphe[51], pris conscience de l’ascendant qu’elle pouvait exercer sur une nature molle, et venait-elle avec l’espoir de remonter encore sur un trône ? Combien de temps lui fallut-il pour semer la mésintelligence dans le ménage royal, pour habituer son frère à l’idée de répudier une femme qui lui avait déjà donné trois enfants et de la prendre elle-même, sans souci ni de la disproportion d’âge, ni de l’inceste, pour sa légitime épouse[52] ? Se contenta-t-elle d’abord, comme autrefois sa mère Bérénice, d’être une épouse de second rang, ou commença-t-elle par perdre sa rivale avant de la remplacer ? Par quelles séductions, par quels leurres, politiques ou autres, vint-elle à bout de ses projets ? Autant de questions sans réponses. Il suffit de jeter un coup-d’œil sur l’amas de dissertations entassées à cet endroit[53] pour se convaincre que vingt conjectures ne valent pas un renseignement précis. Étant donné, d’une part, un enfant gâté, de complexion délicate, de caractère indolent, voluptueux et vaniteux, aimant l’étalage plus que la réalité du pouvoir, toujours en quête de distraction et d’amusements nouveaux[54] ; d’autre part, une femme énergique et ambitieuse, ne dédaignant aucun moyen de parvenir et opérant sur un terrain qu’elle connaissait bien ; il y a entre la cause et l’effet une logique suffisante, et il est inutile de chercher à deviner la marche tortueuse des intrigues dont nous connaissons le résultat. Arsinoé acheva sa victoire par un coup de théâtre qui dut terrifier Ptolémée et lui faire apprécier le bonheur d’avoir, pour le protéger, une sœur si vigilante.

Ce qui est attesté, c’est que l’on découvrit un complot tramé par la reine son épouse. La culpabilité fut démontrée par le châtiment, et ce fut une vérité officielle. Les deux complices de la reine, Amyntas et le médecin rhodien Chrysippe, furent mis à mort[55]. Quant à Arsinoé, elle fut reléguée à Koptos dans la Thébaïde, où l’on a cru récemment retrouver sa trace[56]. Elle laissait ses trois enfants, Ptolémée, Lysimaque et Bérénice, à cette rivale homonyme qui l’avait peut-être calomniée pour la supplanter, ou dont l’odieuse présence l’avait rendue jalouse d’abord, criminelle ensuite[57]. Alors, tout étant permis aux fils des dieux, imitateurs de leurs ancêtres Zeus et Héra, la seconde Arsinoé remplaça la première, et le mot d’ordre fut d’admirer ce grand amour pour son frère qui lui valut le titre de Philadelphe. Si Démétrios de Phalère avait déjà payé de l’exil la courageuse résistance qu’il avait opposée naguère à la violation du droit d’aînesse au profit de Philadelphe[58], il n’y avait plus à la cour d’Alexandrie que des adulateurs. Le mariage des Adelphes fut à leurs yeux la grande pensée du règne. Les scrupules de la morale grecque étaient levés par l’exemple décisif du grand couple olympien[59] ; la morale égyptienne, loin d’être offensée, y trouvait une satisfaction réclamée par le droit monarchique, et les théologiens ne pouvaient qu’applaudir à une union modelée sur celle d’Isis et Osiris, aussi bien que sur l’ίερός γάμος de Zeus et Héra. Enfin, les historiographes et généalogistes se chargèrent de démontrer que Philadelphe rentrait par là, non seulement dans la coutume égyptienne, mais dans la tradition paternelle, en découvrant que sa mère était la sœur de son père. Désormais, les Lagides, comme les Pharaons, se marieront, réellement ou par fiction légale, à la mode divine, qui préserve leur sang de tout mélange avec la race des simples mortels. Ce dogme monarchique, adopté par la plupart des dynasties orientales, tiendrait une belle place dans une histoire des rapports de la morale avec les doctrines religieuses. On le retrouve plus tard justifiant aux yeux de Caligula ses incestueuses amours ; et on pourrait dire qu’il se survit encore, à l’état latent, dans les théories aristocratiques sur les mésalliances. Quand on voit, de nos jours, le chef d’une vieille dynastie disqualifier ceux de ses rejetons qui descendraient par moitié d’une famille non souveraine, on se demande ce que ne pourrait pas exiger un orgueil de race survivant à tous les progrès de la raison humaine et mystérieusement concilié avec l’esprit chrétien. En tout cas, on devient indulgent pour la logique qui veillait autrefois sur la transmission de l’autorité légitime par filiation pleinement royale.

 

§ II. — PTOLÉMÉE II ET ARSINOÉ II (277-270).

Stimulé par une femme ambitieuse, qui voulait justifier son élévation en faisant sentir partout l’autorité royale, Ptolémée eut bientôt l’occasion de faire preuve d’énergie. La réputation d’Arsinoé ne put que semer la défiance parmi tous ceux qui n’étaient pas assurés de sa faveur. Il n’est pas sûr que Magas, le stratège ou vice-roi de Cyrénaïque, ait vu d’un œil indifférent l’usurpation légalisée de Philadelphe, et que, à la mort de Soter, il n’ait pas eu l’idée de profiter des circonstances pour se rendre indépendant. Il ne devait pas être alors aussi obèse et aussi pacifique que dans sa vieillesse[60], et, au surplus, il était poussé à la rébellion par le patriotisme local des Cyrénéens, qui supportaient mal d’être les vassaux du roi d’Alexandrie et qui caressaient peut-être l’espoir de se débarrasser de Magas lui-même, à la faveur des complications futures[61]. Il parait avoir donné une première satisfaction à leur orgueil et au sien en prenant le titre de roi[62]. Mais l’ébranlement sur lequel il comptait sans doute ne se produisit pas, et il dut attendre une meilleure occasion, celle qui se présenterait lorsque le Séleucide tenterait de reprendre la Cœlé-Syrie. Alors, le vice-roi de Cyrène pourrait, suivant le cas, rompre le pacte ou mettre le prix à son alliance. Le mariage — on pourrait presque dire l’avènement — d’Arsinoé II vint ajouter des motifs de toute sorte à ceux qu’il avait déjà pesés. On savait, par l’exemple de Lysimaque, ce qu’Arsinoé était capable d’obtenir d’un mari complaisant ; et, d’autre part, le trône des Adelphes n’était peut-être pas si bien affermi qu’il pût résister à un retour d’opinion en faveur de la reine disgraciée[63]. Ainsi s’expliquerait, sans avoir besoin de recourir à l’hypothèse d’une entente préalable entre Antiochos et Magas, la révolte ouverte de Magas, qui, à supposer une entente, eût été — l’événement le prouva — fort mal concertée[64]. Il est probable, en revanche, que Magas avait noué des intelligences avec ceux des frères de Philadelphe qui n’avaient pas émigré à la suite de Ptolémée Kéraunos et de Méléagre, c’est-à-dire Argæos et un autre, fils d’Eurydice, à qui Philadelphe semble avoir confié le gouvernement de Cypre. Celui-ci était en mesure d’aider efficacement Magas.

Mais Arsinoé avait l’œil ouvert sur ces menées et n’était pas femme à se laisser surprendre en s’attardant à vérifier ses soupçons. Avant même que Magas se fût mis en campagne, Argæos et le prince qui préparait la défection des Cypriotes furent mis à mort[65] ; et, très probablement, des émissaires allèrent exciter les Marmarides, des nomades libyens dont Soter avait autrefois réprimé les incursions[66], à prendre les armes contre Magas.

Magas, s’avançant avec précaution le long de la côte, franchit la frontière d’Égypte, sans rencontrer de résistance ni à Parætonion, ni plus loin, jusqu’à un endroit que Polyen appelle le Khi (τό χϊ), sur la route d’Alexandrie[67]. Que se passa-t-il alors ? D’après Pausanias, Magas, apprenant que les Marmarides s’étaient soulevés, se hâta de rentrer à Cyrène. Ptolémée s’apprêtait à l’y relancer, mais il en fut empêché à son tour par un contretemps imprévu. Dans son armée de mercenaires de toutes races éclata une sédition. Des Gaulois, qu’il venait d’enrôler au nombre de quatre mille, dignes émules de ceux qui ravageaient alors la Macédoine et la Grèce, voulurent, eux aussi, faire un usage lucratif de leurs armes ; ils ne songeaient à rien moins qu’à s’emparer de l’Égypte par un coup de main heureux. Philadelphe, averti du complot, les mena dans une île déserte formée par les bras du fleuve et les y laissa mourir de faim ou s’entretuer[68]. Ainsi, comme le dira plus tard Callimaque, les Titans de l’Occident furent défaits en même temps et par Apollon sur les pentes du Parnasse et par Philadelphe sur les bords du Nil[69]. Cet incident parait avoir suspendu les hostilités, Philadelphe craignant de s’engager à fond, sous la menace toujours pendante d’une attaque du Séleucide, et Magas n’ayant aucun intérêt à risquer de perdre la vice-royauté qu’on lui laissait.

Du côté de la Syrie, Philadelphe avait été servi à souhait par les circonstances. Antiochos avait, comme nous l’avons vu, perdu son temps à ébaucher des projets qu’il était hors d’état d’achever, guerroyant contre les dynastes et rois récalcitrants du nord, se résignant à laisser en paix Kéraunos, puis se retournant contre Antigone Gonatas, l’allié de tous ses ennemis ; et cela, au moment où une invasion gauloise, franchissant le Danube, s’abattait sur la péninsule des Balkans[70]. La Macédoine, qu’il convoitait probablement, était aux mains des Barbares. La guerre entre Antiochos et Antigone paraît avoir traîné en préparatifs et ne put être vigoureusement menée par l’agresseur, car Antiochos s’était attaqué d’abord à Nicomède de Bithynie, allié d’Antigone ; et se trouvait arrêté par ce premier obstacle. La paix qui intervint fut, en somme, pour Antigone l’équivalent d’une victoire. Elle fut évidemment hâtée par la terreur que répandaient les dévastations des Celtes, et elle fut sincère, car les belligérants durent reconnaître qu’ils n’avaient aucun intérêt sérieux, l’un en Europe, l’autre en Asie. Les fiançailles de Phila, sœur d’Antiochos, avec Antigone scellèrent la réconciliation[71], et les deux rois purent envoyer chacun un bataillon de 500 hommes pour aider les Hellènes à défendre les Thermopyles (automne 279)[72].

De l’Europe, les bandes galates se déversèrent sur l’Asie-Mineure et mirent en coupe réglée le littoral. Des indices isolés permettent de constater leur présence à Erythræ, à Éphèse, à Milet, et jusqu’à Thémisonion en Carie[73]. Il semble que leurs excès auraient dû provoquer contre eux une coalition des rois hellénistiques. Mais la discorde était partout, et chacun cherchait soit à composer à prix d’argent, soit, tels Antigone et Nicomède, à embaucher les Gaulois comme mercenaires et à s’en faire un instrument de conquête. C’est à Antiochos surtout qu’incombait le devoir de défendre la cause de la civilisation, qui se confondait avec ses propres intérêts. La question ne pouvait non plus rester indifférente au roi d’Égypte, qui, maître de la mer, devait offrir ses secours, plus ou moins intéressés, aux villes du littoral. Une inscription d’Erythræ, rédigée vers 274, parle des terreurs et dangers récemment surmontés, des dépenses engagées pour obtenir la paix des Barbares de Léonnorios et pour payer un corps de Ptolémaïques (Πτολεμαϊκοί), commandé par Hermocrate, qui a collaboré à la défense de la ville contre les Galates[74]. Antiochos, toujours pris au dépourvu, n’avait sous la main qu’une faible armée de troupes légères. Il songeait à négocier, lui aussi, quand le Rhodien Théodote releva son courage et lui remontra que ses seize éléphants pouvaient à eux seuls épouvanter les chevaux et disperser la cavalerie de l’ennemi. La défaite redoutée se changea en victoire : mais Antiochos eut le triomphe modeste, humilié qu’il était, au dire de Lucien[75], d’avoir dû son salut à ses éléphants. C’est en souvenir de cet exploit — de date (vers 278/7) et de lieu inconnus — que les villes helléniques lui décernèrent, alors ou plus tard, le prédicat de Sauveur (Σωτήρ)[76]. Les Gaulois, en effet, paraissent avoir commencé depuis lors le mouvement de concentration rétrograde qui finit par les confiner dans la région connue plus tard sous le nom de Galatie.

La victoire d’Antiochos sur les Galates dut hâter singulièrement la restauration de son autorité dans ses provinces d’Asie-Mineure. Il allait enfin avoir le loisir de songer au compte qu’il avait à régler avec le roi d’Égypte. Celui-ci avait mis le temps à profit. On rencontre de divers côtés, surtout en Carie et en Lycie, des indices qui permettent de conclure à une extension progressive de son protectorat. La flotte égyptienne était toujours prête à répondre à l’appel des villes qui, menacées dans leur indépendance, préféraient la domination du Lagide à toute autre. On s’est même demandé, sur la foi d’un texte vague, si Ptolémée n’avait pas envoyé sa flotte croiser dans le Pont Euxin, pour essayer de renouer avec les villes qui avaient autrefois appartenu à Arsinoé. Il est question d’ancres enlevées à des navires égyptiens par des Gaulois au service des dynastes-rois du Pont, exploit dont le nom d’Ancyre perpétua par la suite le souvenir[77]. On sait avec quelle facilité les logographes grecs inventaient des légendes étymologiques, et c’est vraiment de la complaisance que de prendre celle-ci au sérieux.

Antiochos, avec ses allures cauteleuses et hésitantes, prit le temps de calculer ses chances avant de s’attaquer à son puissant voisin[78]. En fait d’alliés, il n’en pouvait guère trouver d’autre, et surtout de plus utile, que celui qui avait déjà fait preuve d’hostilité contre Philadelphe, Magas de Cyrène. Nous n’avons absolument, pour nous guider ici, que le canevas fourni par Pausanias. Magas, après l’échec de sa tentative, semble méditer une revanche. Une fois marié avec Apama, fille d’Antiochos fils de Séleucos[79], Magas décida Antiochos à transgresser les conventions que son père Séleucos avait faites avec Ptolémée, et à se lancer sur l’Égypte. Comme Antiochos commençait à se mettre en campagne, Ptolémée envoya vers tous [les pays] sur lesquels régnait Antiochos des bandes de pillards pour ravager le territoire des plus faibles, de l’armée régulière pour dompter les plus puissants, si bien qu’Antiochos ne put jamais parvenir à marcher contre l’Égypte[80]. A travers le vague de ces lignes, on entrevoit une longue guerre commencée par Antiochos, détournée de son but par une série de diversions, et disséminée ainsi sur tous les points vulnérables qu’offraient aux coups de l’ennemi les possessions d’Antiochos. Ce qui est particulièrement étrange, c’est que Magas, qu’on nous donne comme le fauteur de la guerre, ne parait pas avoir aidé en quoi que ce soit son beau-père et allié. Il est probable qu’il s’était engagé à collaborer à l’invasion de l’Égypte, mais que, Antiochos n’ayant pas franchi la frontière orientale, il ne voulut pas, en agissant isolément, aller au devant d’un nouvel échec. De son côté, Philadelphe avait trop d’intérêt à le laisser en repos pour ne pas faire semblant d’ignorer ses menées[81]

Il faut renoncer à deviner de quelle façon commencèrent les hostilités. Pausanias semble avoir oublié que, pour atteindre l’Égypte, Antiochos devait être maître de la Cœlé-Syrie et de la côte phénicienne[82]. On est tenté de croire que, incapable de résolutions hardies, il s’attarda à des demi-mesures, cherchant à provoquer des défections sans déclarer ouvertement la guerre, dissimulant ou croyant dissimuler les préparatifs qu’il faisait dans la partie orientale de son empire, tergiversant et décourageant par là son allié secret, si bien que, à un moment donné, les rôles s’intervertirent et que l’adversaire, mieux avisé, passa de la défensive à l’offensive. Nous avons maintenant, par un texte cunéiforme daté de l’an 38 des Séleucides (274/3 a. Chr.)[83], quelques informations sur les agissements d’Antiochos au cours des années 275-274. Le roi s’était transporté au-delà de l’Euphrate dans une localité du nom de Sapardou, et il semble avoir installé là son quartier général. Le gouverneur d’Akkad, c’est-à-dire le satrape de Babylonie, lui amène de Babylone et de Séleucie des renforts et subsides, entre autres vingt éléphants. Puis, sans doute au printemps de l’an 273, Antiochos, avec ses gens et son épouse, lève le camp et marche contre l’armée de l’Égypte qui se trouvait de l’autre côté du fleuve. D’autre part, la stèle de Pithom nous apprend que, en l’an XII du règne (274/3), Philadelphe, accompagné de sa chère épouse et sœur, vint dans le nome d’Héroopolis pour aviser aux moyens de protéger l’Égypte contre l’étranger. On a pu conjecturer avec raison suffisante qu’il venait inspecter et hâter les travaux du canal, avec l’intention de s’en servir pour faire passer, au besoin, ses navires de guerre de la Méditerranée dans la Mer Rouge, ou inversement. Il y avait donc des préparatifs de guerre, et non pas encore guerre déclarée, au cours de cette année 274/3. Enfin, un événement qui doit avoir quelque rapport avec les projets et actes des rois prêts à entrer en conflit, l’inauguration d’une ère locale à Tyr en 275/4, est un indice utilisable[84]. Tyr avait beaucoup souffert des deux sièges qu’elle avait soutenus contre Alexandre et plus tard contre Antigone. Elle était redevenue une dépendance de son ancienne métropole, Sidon ; mais elle avait dû se relever peu à peu et reprendre avec ses forces un peu de son vieil esprit d’indépendance. Il se peut que Philadelphe, à la veille d’une guerre avec le roi de Syrie, ait jugé à propos de donner satisfaction à un désir qui aurait pu se tourner en hostilité s’il n’était satisfait à temps, en séparant Tyr de Sidon et en lui accordant l’autonomie. Cela lui était d’autant plus facile que le nouveau roi de Sidon, Philoclès, amiral de sa flotte, était tout à sa dévotion, et cette faveur put être considérée comme une juste récompense de l’héroïsme déployé par les Tyriens au temps où ils avaient bravé la colère d’Antigone pour rester sous la suzeraineté des Lagides. On rencontre encore, du côté où l’on s’y serait le moins attendu, des traces de l’activité diplomatique de Philadelphe. Les défaites de Pyrrhos en Italie venaient de révéler l’essor d’une puissance qui commençait déjà à inquiéter les Carthaginois. Philadelphe, bien que en relations amicales avec Pyrrhos, jadis l’hôte de son père à Alexandrie, jugea à propos d’être des premiers à offrir son amitié aux Romains. Songeait-il seulement à ouvrir des voies nouvelles au commerce égyptien, ou se ménageait-il quelque alliance future au cas où Magas se prêterait à une entente avec les Carthaginois ? On ne peut que chercher à deviner les motifs. Le fait certain, c’est qu’une ambassade égyptienne alla à Rome et que le Sénat fit porter ses assurances d’amitié à Alexandrie au cours de l’année 273[85]. A ce moment, la guerre était enfin déclarée entre les rois de Syrie et d’Égypte.

Donc, au mois de Nisan, c’est-à-dire au printemps de 273, l’armée égyptienne avait envahi les États d’Antiochos et marchait dans la direction de l’Euphrate. Que se passa-t-il ensuite ? Ici, le voile retombe ; mais le silence de l’inscription cunéiforme est un indice défavorable pour la cause d’Antiochos. Du côté égyptien, les bulletins de victoire ne manquent pas ; mais on ne sait à quelle époque les placer ni quel fond il faut faire sur le fatras ampoulé et les clichés de la prose sacerdotale. Un document saïtique daté de l’an XX de Philadelphe (266/5) rapporte que le roi a reçu le tribut des villes d’Asie, châtié les nomades asiatiques, coupé force têtes et versé le sang à flots. En vain les ennemis avaient mis en ligne d’innombrables vaisseaux, des chevaux et des chars, plus que n’en possédaient les princes de l’Arabie et de la Phénicie ; le roi avait célébré son triomphe par des fêtes, et la couronne d’Égypte avait été affermie sur sa tête[86] Il n’y a à peu près rien à tirer, pour le sujet actuel, de la stèle de Mendès. Les textes classiques sont d’une lamentable indigence, sans dates et sans rapports évidents avec des circonstances qui pourraient servir à les dater[87]. C’est, une fois de plus, la porte ouverte, et toute grande, aux conjectures. Nous savons seulement que, si Antiochos ne put atteindre la frontière de l’Égypte, il lit du moins quelques incursions dans la Syrie méridionale. C’est ainsi qu’il prit Damas, d’où il expulsa le stratège Dion[88]. Mais, harcelé de tous côtés par un adversaire qui, maître de la mer, se dérobait à son étreinte tout en pillant ses domaines, il devait être en état de perplexité constante et incapable d’un dessein suivi. La flotte égyptienne, après avoir assuré la conquête de la Lycie et de la Carie, remontait le long du littoral et poussait à la défection les villes grecques intimidées. Avec Samos pour point d’appui, elle menaçait également Milet et Éphèse. Milet parait avoir été occupée alors, et d’une façon durable, par les Égyptiens. Éphèse resta pour le moment fidèle aux Séleucides, car la signature de ses délégués figure au bas d’un décret du κοινόν des Ioniens, qui, quelques années plus tard, demandaient à Antiochos, en échange d’honneurs exceptionnels décernés au roi et à la reine Stratonice, l’autonomie intérieure et la restauration du régime démocratique[89]. Antiochos comprit bien vite qu’à ce jeu il risquait de perdre l’Asie-Mineure tout entière. Une série d’insuccès pouvait provoquer des trahisons de toute sorte et avoir même des répercussions lointaines. L’argent de Ptolémée était encore plus redoutable que ses soldats. Ses libéralités pouvaient réveiller l’ardeur belliqueuse des dynastes et cités du nord, qui avaient secoué le joug du Séleucide et se trouvaient être les alliés naturels de son adversaire. Bref, la paix se fit, après deux ou trois ans d’hostilités ouvertes, et elle se fit aux dépens du Séleucide. La Lycie, la Carie étaient définitivement perdues pour lui, et il dut se résigner à laisser Milet, son meilleur port sur la mer Égée, aux mains du Lagide (271).

Pour apprécier les résultats acquis, nous pouvons utiliser le chant de triomphe entonné par Théocrite dans le morceau connu sous le nom d’Éloge de Philadelphe[90]. Le poète célèbre à pleine lyre la gloire du souverain qui règne sur 33.333 villes, et il énumère les provinces comprises dans son vaste empire. Ptolémée se taille sa part[91] de la Phénicie, de l’Arabie, de la Syrie, de la Libye et des noirs Éthiopiens ; un signe de lui obéissent tous les Pamphyliens, les vaillants Ciliciens, les Lyciens, les belliqueux Cariens et les îles Cyclades[92] ; car c’est pour lui que les meilleurs navires sillonnent l’onde marine ; la mer entière et la terre et les fleuves murmurants sont régis par Ptolémée. Nombreux sont les cavaliers, nombreux les porte-boucliers cuirassés d’airain brillant qui lui font le salut bruyant des armes. En opulence, il a surpassé tous les rois, et chaque jour elle s’amasse dans sa riche demeure, venant de tous côtés. Cependant ses peuples vaquent en paix à leurs travaux ; car jamais piéton ennemi, franchissant le Nil poissonneux, n’a poussé le cri de guerre dans des villages à lui étrangers ; jamais agresseur cuirassé, bondissant de son rapide navire sur le rivage, n’a effarouché les bœufs de l’Égypte. Ainsi protège les larges plaines la main virile du blond Ptolémée, expert à brandir la lance. Il a constamment souci, comme il sied à un bon roi, de garder tout l’héritage paternel et ce qu’il y a ajouté lui-même. Quelques réserves que l’on fasse sur la tendance du poète à amplifier, sur la prétention d’incorporer en entier au royaume des régions dont le littoral seul était sous la domination égyptienne, il n’en reste pas moins que Philadelphe a agrandi l’héritage paternel et tenu l’Égypte à l’abri des invasions. Il parait avoir employé les loisirs que lui fit la paix à affermir en Cœlé-Syrie et en Phénicie son autorité de suzerain. Aké se transforme en Ptolémaïs et cesse en 267 de dater ses monnaies par l’ère des Séleucides. La domination de l’Archipel et le protectorat des Cyclades étaient assurés par des postes maritimes qui comptaient ensemble plus de quatre cents navires de guerre[93].

Nous arrivons ainsi à une année critique (271/0), dont l’importance, longtemps méconnue, donne lieu aujourd’hui encore aux controverses les plus irréductibles. On savait, par une foule de témoignages, que, vers le milieu de son règne, à une date que l’on plaçait généralement en 266, Philadelphe avait décerné à sa sœur-épouse les honneurs divins, lui avait fait ériger des statues consacrées dans tous les temples égyptiens, en attendant qu’il lui bâtit des Άρσινόεια particuliers. On savait même, que, par une habileté fort admirée, il avait pris ce prétexte pour détourner, au profit du nouveau culte officiel, une bonne part des revenus des temples égyptiens. Mais rien n’avait pu ébranler la conviction que cette apothéose était décernée, par un caprice amoureux ou un calcul intéressé du maître, à Arsinoé vivante. C’est en vain que les stèles de Mendès et de Pithom, sorties de terre au cours des trente dernières années, parlaient des pieux pèlerinages de Philadelphe, de la consécration des statues d’Arsinoé, auxquelles les rites magiques insufflent une vie éternelle, ou représentaient le roi offrant ses hommages à Arsinoé figurée en compagnie d’autres divinités. Le vague de la phraséologie sacerdotale, l’usage connu de traiter les souverains en dieux vivants, permettaient toujours d’échapper à une explication qui aurait renversé toutes les idées reçues[94]. Il a fallu, pour dégager de ce fatras l’idée simple d’une apothéose posthume d’Arsinoé, qu’un nouveau fragment de la stèle de Mendès vint donner la date de l’entrée au ciel, autrement dit, de la mort d’Arsinoé, événement survenu au mois de Pachon de l’an XV de Philadelphe (juillet 270). Cette année-là, dit le texte, cette déesse, elle sortit vers le ciel ; elle rejoignit les membres de [Râ ou Harmachis][95]..... A la lumière de ce texte, on a compris enfin la signification de tous les menus faits concordants que l’on s’était ingénié à détourner de leur sens réel. L’effigie d’Arsinoé sur les monnaies, avec la double corne d’abondance, fait partie de son apothéose, et c’est précisément en 270 que commence la série des pièces ainsi frappées. Cette série, qui se continue sous le règne suivant, porte des dates comptées à partir de la dite année, devenue l’an I de l’ère d’Arsinoé[96]. Enfin, la date de la mort d’Arsinoé est aussi celle que nous serons amenés à attribuer au changement de politique intérieure dont témoigne l’association au trône de Ptolémée, dit plus tard Évergète, l’aîné des enfants d’Arsinoé I. A tout point de vue, cette année 270 est une année critique, qui partage en deux périodes distinctes, et à peu près égales en durée, le long règne de Philadelphe.

Nous considérerons désormais le fait comme démontré, et du coup tombent toutes les combinaisons qui supposent Arsinoé vivant jusqu’à une date inconnue, mais très proche de la fin du règne de Philadelphe. Nous nous abstiendrons d’entasser des conjectures oiseuses sur cette mort, dont les circonstances se dérobent à l’histoire. Il nous reste à discuter celles qui concernent l’adoption de Ptolémée Évergète par sa marâtre, et même l’existence possible d’un rejeton issu d’Arsinoé II et de Philadelphe.

Au cours des premières années de veuvage, Philadelphe est tout à sa douleur, ou à l’étalage de son zèle pour la déification de sa compagne. On le rencontre, dès la quinzième année de son règne, au mois de Pachon, c’est-à-dire immédiatement après la mort d’Arsinoé, procédant à l’apothéose d’Arsinoé, revivifiée suivant les rites sacerdotaux, dans le temple du Bélier de Mendès[97]. On le retrouve l’année suivante à Pithom (Héroopolis), occupé à introduire le culte de sa sœur-épouse, la Philadelphe, dans le temple du dieu Toum et à édifier un temple aux dieux Adelphes dans la ville neuve d’Arsinoé, fondée sur les bords du lac Kemouer (Timsah)[98]. Les cérémonies inaugurales du culte d’Arsinoé se succèdent d’année en année dans les divers temples nationaux. A Alexandrie, Philadelphe installe un culte héroïque, de rite grec, avec un sacerdoce spécial, et bientôt les dédicaces à la déesse Philadelphe se multiplient dans les villes grecques qui tiennent à faire leur cour au roi d’Égypte[99].

 

§ III. — LA CO-RÉGENCE DE PTOLÉMÉE III ÉVERGÈTE (270-258).

Arsinoé disparue, Philadelphe dut se sentir les mains plus libres pour résoudre de graves questions que l’impérieuse reine s’était probablement réservé de trancher à son gré et suivant l’occurrence. Les solutions auxquelles il s’arrêta sont l’objet de conjectures très diverses, dont chacune forme un système incompatible avec les hypothèses fondées sur un autre point de départ. A la date de 267/6 apparaissent des documents qui indiquent que Ptolémée (Philadelphe) s’est associé un fils du nom de Ptolémée ; et, comme pour compliquer encore le problème, le nom de ce co-régent disparaît à partir de l’année 260/59, an 27 de Philadelphe[100] L’explication la plus simple de la première donnée du problème est que le roi s’est associé son fils et successeur Ptolémée III Évergète ; l’explication la plus simple de la seconde est la mort du co-régent à la date où son nom disparaît : mais ces deux explications ne peuvent s’adapter à la même personne. De là les hypothèses les plus aventureuses[101]. Le nombre en est heureusement allégé pour nous, car nous pouvons écarter par la question préalable toutes celles qui supposent Arsinoé vivante et pesant sur les décisions du roi.

Il est certain que Ptolémée III Évergète, devenu roi à la mort de son père, prit dans les documents officiels la qualité de fils du roi Ptolémée et de la reine Arsinoé, dieux Adelphes[102] ; et on ne peut guère douter qu’il ait été officiellement adopté par Arsinoé II. Il importerait beaucoup pour la connaissance du caractère de Philadelphe et de sa sœur épouse, mais il importe moins à l’histoire générale du règne, de savoir si cette adoption a eu lieu lors du mariage ou plus tard ; soit du vivant d’Arsinoé, par acte réel, soit même, par fiction légale en forme d’adoption testamentaire, après sa mort. Il n’y a pas de raison sérieuse pour admettre que Philadelphe, n’ayant pas d’enfants d’Arsinoé II[103], ait volontairement compromis l’avenir de sa dynastie en s’obstinant à disqualifier son héritier légitime. Il est probable, au contraire, qu’il voulut couper court à toute cabale et assurer son repos en manifestant publiquement sa décision par un acte qui la rendait irrévocable. Cet acte, fait pour la publicité, sans partage ou communication réelle du pouvoir souverain, Philadelphe dut l’accomplir peu de temps après la mort d’Arsinoé, en tout cas avant 268. Nous n’en connaissons pas la date, précisément parce que l’association au trône ne fut qu’une fiction légale et ne compta pas dans les années du règne de Ptolémée Évergète[104]. Tranquille de ce côté, Philadelphe ne paraît pas avoir jamais songé à contracter une nouvelle union légitime, qui aurait pu lui créer de nouveaux ennuis. Sa dévotion à la déesse Philadelphe, toujours vivante par la grâce de la consécration, maintenait pour ainsi dire la défunte en rôle actif et le couple royal en état d’intégrité idéale. A l’abri de cette ombre protectrice et complaisante, Philadelphe se laissait bercer par ses favorites[105], et il ne lui déplaisait pas que l’on sût combien leur sort était enviable. C’est en 268 que la perle de son harem, la Macédonienne Bilistiché, faisait courir à Olympie et remportait le prix de la course des chars à deux chevaux[106]. On vit bientôt ces courtisanes se bâtir des palais, et l’adulation leur élever des statues en costume léger. L’une d’elles, Kleino, osa même usurper l’attribut de la corne d’abondance et s’égaler ainsi à la divine Arsinoé[107]. La carrière de Bilistiché finit, comme celle d’Arsinoé, par l’apothéose. La période tragique du règne était passée, et le deuil étalé au dehors semble avoir été porté assez légèrement dans la maison du veuf inconsolable.

Cependant, en dépit de ses goûts pacifiques, Philadelphe se trouva entraîné dans des complications engendrées par l’insurmontable antipathie des Hellènes pour la domination macédonienne. Tous n’étaient pas encore résignés à la perte de leur liberté, et les Athéniens moins que les autres. C’est d’Athènes que partit, cette fois encore, le signal de la guerre de l’indépendance, connue dans l’histoire sous le nom de Guerre de Chrémonide[108].

Les Athéniens avaient cru bien des fois toucher à la délivrance et éprouvé autant de déceptions. Leur Sauveur, Démétrios Poliorcète, leur avait montré qu’il entendait rester leur maître ; c’est lui qui, le premier, avait mis une garnison macédonienne sur le Musée. Lorsque, en 287/6, les Athéniens révoltés, trahis par le Carien Hiéroclès, dont ils avaient cru naïvement faire leur complice[109], étaient de nouveau assiégés par Antigone, Pyrrhos était venu à leur secours ; mais le roi d’Épire, an lieu de les affranchir, avait rivé leur joug en négociant avec Démétrios et Antigone une convention louche qui laissa les garnisaires macédoniens à Salamine, à Munychie et au Pirée, libres d’affamer Athènes à la première alerte. Quelques années plus tard, l’ébranlement causé par les troubles qui suivirent la mort de Séleucos Nicator provoquèrent un mouvement auquel les Athéniens ne surent pas s’associer autrement que par des déclamations patriotiques.

La campagne commencée, sous prétexte de guerre sacrée, par le roi de Sparte Areus (280) se termina par une reculade. Il n’y eut d’affranchies que les petites villes d’Achaïe qui eurent assez d’esprit politique pour se lier par un pacte et rester fidèles à leurs conventions, premiers statuts de la Ligue Achéenne. En 272, Pyrrhos avait reparu en Grèce, vainqueur d’Antigone et s’annonçant comme le libérateur des Hellènes. Mais Pyrrhos, brouillon et capricieux, s’engagea dans une sotte querelle avec Areus et les Spartiates, qui s’allièrent avec Antigone, et ces adversaires réunis le battirent sous les murs d’Argos. Pyrrhos périt dans cette aventure, peu regretté des Hellènes, à qui les façons despotiques du libérateur avaient enlevé toute illusion. Ils avaient enfin compris qu’ils ne pouvaient attendre leur salut que d’eux-mêmes, d’un effort commun et persévérant, lequel supposait, comme condition première, une entente préalable entre Sparte et Athènes, l’une entraînant à sa suite les cités où dominait l’oligarchie, l’autre, les villes démocratiques. Un jeune Athénien, Chrémonide, disciple du stoïcien Zénon, parait avoir été l’homme qui conçut la noble espérance de fonder sur l’abdication de toutes les antipathies le patriotisme hellénique.

Nous possédons encore le texte[110] du décret rendu sur la proposition de Chrémonide, fils d’Étéocle, du dème d’Æthalide, à une date qui ne peut guère varier qu’entre 268/7 et 267/6. Après avoir constaté, avec un certain optimisme de circonstance, que les Athéniens, les Lacédémoniens et leurs alliés de part et d’autre se sont toujours unis contre les ennemis de la liberté, et que le moment est venu pour l’Hellade entière de combattre ses oppresseurs, le document promet aux alliés l’assistance de l’Égypte. Il affirme que le roi Ptolémée, suivant l’exemple de ses ancêtres et l’intention de sa sœur[111], montre ouvertement son zèle pour la liberté commune des Hellènes ; c’est pourquoi le peuple des Athéniens, ayant fait alliance avec lui et les autres Hellènes, a décrété de les convier au même effort. De même aussi, les Lacédémoniens, étant amis et alliés du roi Ptolémée et avec le peuple athénien, ont décrété alliance avec les Éléens, Achéens, Tégéates, Mantinéens, Orchoméniens, Phialéens, Caphyens, Crétois, qui sont en l’alliance des Lacédémoniens et d’Areus et des autres alliés, et ont envoyé, de la part des synèdres, des députés à Athènes. On est tombé d’accord sur tous les points, et le peuple athénien décide qu’il y aura amitié et alliance perpétuelle entre tous les peuples et rois susmentionnés, pour lutter avec ardeur, d’accord avec le roi Ptolémée et entre eux, contre ceux qui actuellement violent la justice et les conventions à l’égard des cités, et afin qu’à l’avenir ils assurent par la concorde le salut des cités.

Le nom de Ptolémée figure trois fois dans ce document, et il est évident qu’on ne l’engageait pas sans son aveu, sur de simples présomptions de sympathie. La diplomatie alexandrine avait dû, déjà du vivant d’Arsinoé, préparer la mine dont l’explosion allait — on l’espérait, du moins — renverser le trône d’Antigone. Arsinoé connaissait mieux que son frère-époux les affaires de Grèce et de Macédoine, et surtout elle s’y intéressait davantage. Elle avait été un instant reine de Macédoine, et elle ne considérait pas comme périmés les droits de son fils aîné sur cet héritage. Son ambition était ici d’accord avec l’intérêt évident de la monarchie égyptienne. Aux mains d’Antigone, la Macédoine dominant la Grèce était en mesure de disputer à l’Égypte le protectorat des Insulaires, c’est-à-dire, l’hégémonie dans l’Archipel : avec un roi de sang lagide, inféodé à l’Égypte, elle eût fermé, pour ainsi dire, le cercle des possessions égyptiennes autour de la mer Égée. Antigone était pour Arsinoé l’ennemi. C’est très probablement pour préparer sa ruine qu’elle avait si aisément consenti à traiter avec Antiochos et ajourné le moment de demander des comptes à Magas de Cyrène. Mais Arsinoé n’était plus là, et il n’était pas sûr que sa volonté posthume, cette προαίρεσις que les Athéniens ont bien soin de rappeler, servirait longtemps d’aiguillon à l’indolence naturelle de Philadelphe.

Les pourparlers préalables avaient dû être secrets ; le décret cité plus haut n’a pu être rédigé et publié que comme déclaration de guerre, ou même après le commencement des hostilités. On n’imagine pas les Athéniens faisant retentir ces fières paroles aux oreilles de la garnison du Pirée. Celle-ci paraît avoir été, à l’époque, sous les ordres de Glaucon[112]. Comme son prédécesseur Hiéroclès, ce Glaucon était en rapports familiers avec les philosophes. Antigone aussi les comblait de prévenances, persuadé, non sans raison, que leurs écoles n’étaient pas des foyers de propagande démocratique et patriotique. Mais la philosophie se prête à tout ; spéculative et cosmopolite chez les professeurs, pour la plupart étrangers, elle put donner à l’âme de jeunes patriotes la trempe qui les raidit contre l’injuste oppression du faible par le fort. Antigone avait trop compté sur la garantie de l’éducation philosophique en confiant sa lieutenance à un Athénien, surtout à un frère de Chrémonide, et sur l’influence du vieux Zénon, qui était comme son chargé d’affaires auprès de la République[113]. Il est à peu près certain que, pour décider les Athéniens à le suivre, Chrémonide put leur révéler un plan concerté entre Glaucon et lui, et que la défection soudaine de Glaucon les mit, comme entrée de jeu, en possession de leurs ports.

Il eût été prudent d’attendre qu’une flotte égyptienne fût en vue, toute prête à barrer le chemin au retour offensif du Macédonien, ou que les Péloponnésiens fussent en mesure d’opérer une diversion. Mais c’eût été miracle si tant d’alliés avaient pu opérer ensemble. Du reste, bon nombre des cités dont les Athéniens avaient escompté l’alliance n’étaient pas libres de leurs mouvements. Elles se promettaient d’entrer dans la Ligue, quand la Ligue les aurait délivrées elles-mêmes du protectorat macédonien. Les ligueurs dépensaient leur belle ardeur en paroles : ils sonnaient de la trompette avant de s’être fait une armée. Pendant qu’ils faisaient des collectes et des enrôlements, Antigone bloqua Athènes par terre et par mer, rompant ainsi toute communication entre la tête et les membres de la Ligue nationale[114]. La flotte égyptienne vint bien se poster près de la côte, à l’îlot qui porta depuis le nom de l’amiral Patroclos[115] ; mais elle ne devait opérer que de concert avec les troupes de terre, et celles-ci ne vinrent pas. Quand le roi Areus, stimulé par les courriers de Patroclos, eut enfin amené jusqu’à l’isthme le contingent spartiate, il se trouva arrêté par les postes de Corinthe et de Mégare. Il attendit quelque temps ; puis, ses provisions étant épuisées, il s’en retourna avec ses troupes. Ni le roi, ni l’amiral n’avaient su rien imaginer pour tourner l’obstacle. Il parait même qu’ils manquèrent, par incapacité ou excès de prudence, une occasion inespérée de forcer le passage. Les mercenaires gaulois chargés de le défendre s’étant révoltés, Antigone laissa un rideau de troupes devant Athènes et eut le temps d’exterminer les Gaulois à Mégare avant que les coalisés eussent fait mine de s’en apercevoir[116]. C’est à se demander si l’un et l’autre prenaient leur rôle bien au sérieux, et si Areus surtout était vraiment désolé de laisser les Athéniens seuls aux prises avec Antigone. Patroclos avait sans doute pour instructions de ne pas s’engager à fond tant que la Ligue n’aurait pas frappé les premiers coups[117]. Areus parti et la flotte égyptienne tenue à bonne distance du Pirée, Antigone continua le blocus d’Athènes. Il ne répondit que par un sourire aux bravades de Patroclos, qui lui envoya un jour, raconte Phylarque, en guise de devinette, des poissons et des figues, pour lui faire entendre qu’il lui faudrait se passer de poisson et se contenter de figues tant qu’il ne serait pas maître de la mer[118]. Les Athéniens étaient encore plus mal nourris que les assiégeants, et l’événement prouva qu’Antigone ne désespérait pas d’arracher un jour à l’ennemi l’empire de la mer.

Cependant Ptolémée avait aussi ses pensées de derrière la tête. Pendant qu’Antigone était occupé à cette guerre (contre les Athéniens), Alexandre, roi d’Épire, voulant venger la mort de son père Pyrrhos, ravage les frontières de la Macédoine[119]. Quand on songe aux relations d’amitié entretenues depuis le temps de Ptolémée Soter entre les rois d’Égypte et d’Épire, on ne peut guère douter qu’Alexandre n’ait obéi à un signal parti d’Alexandrie[120]. Cette diversion produisit dans la situation un revirement soudain. Antigone dut courir en Macédoine pour arrêter l’invasion : sa couronne même était en jeu. Une de ces défections de mercenaires comme son père et lui-même en avaient tant de fois éprouvé lui fit perdre la partie. Au dire de Justin, il se trouva sans royaume et sans armée. Mais, en son absence, son fils Démétrios, un tout jeune homme, remit sur pied une armée, avec laquelle il recouvra la Macédoine, et, par surcroît, enleva l’Épire à Alexandre[121]. Cette brusque succession de péripéties est un beau thème à réflexions morales, mais nous voudrions d’autres explications que la mobilité des soldats et de la fortune. Antigone a pu éprouver des mécomptes en Macédoine et ajourner sa revanche, pour ne pas lâcher la proie qu’il tenait. Rien ne put lui faire lever le siège d’Athènes, pas même une nouvelle tentative d’Areus, qui s’était décidé ou résigné enfin à reprendre le chemin de l’isthme. A Corinthe, Areus se heurta à l’armée d’Antigone : il fut déconfit et resta sur le champ de bataille[122]. Et le cercle d’investissement se resserrait de plus en plus autour des malheureux Athéniens.

Après avoir longtemps résisté aux privations et aux déceptions les plus amères, Athènes, voyant ses faubourgs brûlés et sa population affamée, fut obligée d’accepter la paix que lui offrit Antigone[123]. Le vainqueur prit ses sûretés contre un retour des illusions passées. Il mit des garnisons jusque dans la ville, sur le Musée, et donna la chasse aux meneurs. Chrémonide et Glaucon se réfugièrent auprès de Ptolémée : l’archéologue Philochore, qui avait dû nourrir de vieilles légendes la flamme du patriotisme militant, fut mis à mort comme partisan de Ptolémée[124]. Antigone affectait de ne voir dans la rébellion d’Athènes que le résultat d’intrigues intéressées de la part du roi d’Égypte (automne 263).

L’inaction de Ptolémée avait été presque de la trahison. Il eut tout le temps de la regretter par la suite. Pendant que sa flotte, inutilisée par ses ordres, s’occupait probablement à surveiller l’Archipel et se ravitaillait en Asie-Mineure[125], Antigone se préparait à l’attaquer. Les vaisseaux ne lui manquaient pas, et il put en faire construire dans les chantiers de Thessalonique, de Chalcis, de Corinthe, ou même du Pirée. Le jour vint où il put se lancer avec sa flotte dans l’Archipel, que ses adversaires étaient trop habitués à considérer comme un lac égyptien. De cette expédition, nous ignorons à peu près tout, sauf le résultat. On apprend seulement, par des allusions éparses çà et là, qu’Antigone remporta près de Cos, au cap Leucolla, une victoire décisive sur une flotte égyptienne supérieure en nombre[126]. Cette victoire fit du bruit dans le monde, et la réputation du glorieux Philadelphe ne s’en releva jamais complètement. Son humiliation était d’autant plus sensible que les vers de Callimaque sur Cos — sa Délos à lui[127] — devenaient une ironie. Le nouvel Apollon avait laissé profaner son berceau. Antigone eut soin d’exploiter sa victoire et d’en faire un événement comparable à celle remportée jadis par son père sur le père de Philadelphe. Le trophée de Salamine avait été la couronne de roi et la Niké de Samothrace ; celui de Cos fut érigé sur le promontoire qui fait face à l’Ile, dans le téménos d’Apollon Triopien, centre de la confédération dorienne. C’était la trière, désormais sacrée, sur laquelle il avait vaincu les stratèges de Ptolémée[128]. A Délos aussi, au centre de la fédération des Insulaires et comme pour leur apprendre qu’ils avaient changé de maître, Antigone fit ses dévotions et ses offrandes[129]. Nous ne savons s’il profita de sa victoire pour prendre pied en Asie-Mineure, sous l’éternel prétexte d’affranchir les villes de la domination de son adversaire[130]. Antigone avait été trop éprouvé par les vicissitudes de la fortune pour se lancer dans les aventures. Il était plus prudent pour lui de ne pas provoquer, pour la gloriole de conquêtes précaires, un retour offensif du vaincu, et peut-être de nouvelles complications en Grèce ou en Macédoine. Sans qu’il y eût de paix signée, ni peut-être de négociations quelconques[131], les hostilités se trouvèrent suspendues en fait après la bataille de Cos, par la circonspection du vainqueur et la résignation du vaincu.

Cette résignation semble un peu étrange de la part d’un roi aussi vaniteux que Philadelphe. Il sortait du conflit frappé à l’endroit sensible, dans son prestige de dominateur des mers. Le dommage subi par sa flotte était réparable ; l’argent ne lui manquait pas, et il avait un intérêt évident à prendre sa revanche. Mais la prudence, qui s’alliait chez son père à une volonté tenace, était devenue chez lui de la timidité. Il dut redouter une alliance offensive entre Antiochos et Antigone, et s’estimer heureux que le Séleucide eût désarmé trop tôt ou fût trop préoccupé de reprendre Pergame à l’héritier de Philétæros, qui venait de mourir (263), pour recommencer la guerre en Syrie[132]. Comme, de son côté, Antigone avait d’aussi bonnes raisons pour ne pas s’engager plus avant dans l’offensive[133], les choses restèrent en l’état, chacun se réservant de régler sa conduite sur les circonstances.

Philadelphe eut donc, au milieu de son règne, quelques années de repos, durant lesquelles il put s’occuper à son aise de ses poètes et de ses savants, bâtir, réorganiser ses finances, et aussi étendre sa domination sur les côtes de la mer Rouge, où il fonda de nombreux établissements pour développer les relations commerciales avec l’Inde et le sud de l’Afrique. C’est vers ce temps que, moitié en conquérants, moitié en explorateurs, ses généraux pénétraient dans le pays des Troglodytes et s’avançaient dans l’intérieur de l’Éthiopie[134]. La science profitait de toutes ces expéditions : les officiers de Ptolémée — comme le navarque Timosthène, par exemple[135] — recueillaient des observations et des mesures qui allaient être utilisées par les naturalistes et les géographes du Musée alexandrin. Philadelphe refusa de s’immiscer dans le conflit qui venait d’éclater (en 264) entre Rome et Carthage. Il était l’ami des Romains ; mais il ne voulait pas se brouiller avec les Carthaginois, qui tenaient les routes du commerce maritime et auraient pu s’entendre avec les Cyrénéens. Sollicité par les Carthaginois de leur prêter 2,000 talents, il n’offrit que ses bons offices pour réconcilier les belligérants, en disant qu’ils étaient également ses amis, et il s’applaudit sans doute d’avoir échoué[136].

Il lui fallait cependant avoir l’œil ouvert sur les événements qui se déroulaient autour de la mer Égée. Antiochos Ier avait péri en 261, en essayant de déposséder le neveu et successeur de Philétæros, Eumène de Pergame, qui, avec des mercenaires gaulois, avait battu l’armée syrienne à Sardes[137]. Antiochos II s’apprêtait à faire un effort énergique pour reprendre cette Asie-Mineure qui échappait morceau par morceau à la dynastie des Séleucides. Ses projets ne menaçaient pas directement l’Égypte, mais il n’en était pas moins de l’intérêt des Lagides d’éloigner leurs rivaux de la mer Égée et de les refouler vers l’Orient. Aussi tous les ennemis des Séleucides, les dynastes de Pergame, les rois de Bithynie et de Pont, les républiques maritimes, y compris Rhodes, Byzance, Héraclée, considéraient le roi d’Égypte comme un allié ou un protecteur[138]. Antiochos, n’osant attaquer de front Pergame et intervenir dans les affaires de la Bithynie, revint à un projet qui avait été l’idée fixe de son père et de son grand-père. Il voulut prendre le Bosphore et la Propontide à revers, en s’emparant de la Thrace d’Europe et surtout de Byzance, la clef de tout le trafic maritime entre l’Archipel et le Pont-Euxin. Il faut croire que son plan n’éveilla pas les susceptibilités du roi de Macédoine, car l’alliance entre les deux dynasties, scellée par le mariage d’Antigone Gonatas avec Phila, la tante d’Antiochos II, fut resserrée encore par le mariage de Démétrios, fils aîné d’Antigone, avec Stratonice, sœur du roi de Syrie[139]. Antigone, qui avait à surveiller sa frontière du côté de l’Épire et plus encore l’Hellade, avait sans doute renoncé à s’étendre au-delà de l’Hèbre. La Thrace étant partagée entre des Galates établis à demeure et des Thraces indépendants, on suppose que ceux-ci aidèrent Antiochos, à des conditions pour nous problématiques[140]. Cependant, Antiochos ne réussit pas à prendre Byzance ; la ville fut si efficacement secourue par les vaisseaux des Héracléotes et l’argent de Philadelphe que la guerre s’arrêta aux menaces[141]. En revanche, on peut admettre que la plupart des villes situées sur la mer Égée acceptèrent le protectorat du Séleucide, résultat fâcheux pour la politique égyptienne et conséquence de la bataille perdue à Cos.

Mis en goût par le succès, Antiochos dut songer à reprendre l’œuvre que son père n’avait pu mener à bout, la lutte contre les envahissements des Lagides. L’Égypte possédait alors, outre la Cœlé-Syrie et la Phénicie, tout le versant méridional du Taurus ; la Cilicie, où Philadelphe avait fondé Bérénice, Philadelphie, Arsinoé ; la Pamphylie, où s’élevait une Ptolémaïs ; la Lycie même, où l’on rencontre une Arsinoé Patara. Il n’y avait pas loin d’Antioche à la frontière de Cilicie ; mais tout le littoral était surveillé par les escadres postées à Cypre, et une armée de terre engagée dans cette étroite bordure pouvait être à tout moment surprise et coupée de ses communications par une flotte se mouvant en liberté. Du reste, il importait davantage à la sécurité comme à l’honneur des Séleucides de reprendre la Cœlé-Syrie et la Phénicie. Mais c’était une grosse partie à jouer, et Antiochos prit le temps de s’y préparer. Un des moyens qu’il employa fut probablement de promettre aux villes phéniciennes plus de libertés qu’elles n’en avaient sous la suzeraineté de l’Égypte. C’est ainsi, du moins, qu’on peut interpréter l’inauguration en 259/8 d’une ère locale pour la ville d’Arados, la seule cité phénicienne qui fût demeurée sous le protectorat des Séleucides[142]. Il est probable que le roi de Syrie rendit à Arados son autonomie, comme exemple de ce qu’il comptait faire pour les autres cités, quand elles se seraient données à lui.

Il put profiter, soit pour commencer, soit pour continuer les hostilités[143], des embarras que suscitèrent à Philadelphe, vers cette époque, les affaires de Cyrène. Magas, alourdi par l’obésité et devenu très pacifique[144], n’était plus dangereux pour son frère utérin. C’était le moment de mettre fin à la situation équivoque qui, depuis quinze ans, perpétuait l’inimitié entre les membres d’une même famille et faisait de la Cyrénaïque un royaume non seulement séparé de l’Égypte, mais hostile à la politique égyptienne. Heureusement, Magas n’avait point de fils, et une entente était possible par le procédé familier aux diplomates de l’époque. Que la diplomatie ait agi seule, ou que les sollicitations venues d’Alexandrie aient pris la forme de menaces[145], Magas consentit à régler sa succession, non pas au goût des Cyrénéens, ni même de sa femme, mais au mieux des intérêts de la famille des Lagides, en acceptant pour futur gendre l’héritier présomptif du trône d’Alexandrie, Ptolémée Évergète. Sa fille Bérénice était à peine nubile ; mais il s’agissait simplement de fiançailles destinées à garantir une combinaison politique, la réunion ultérieure de la Cyrénaïque à l’Égypte en la personne des deux conjoints. Magas ne survécut pas longtemps à la conclusion de ce pacte de famille, et sa mort (259/8) déchaîna les complications les plus imprévues[146]. Sa veuve Apama,  sœur d’Antiochos II, rompit le pacte qui avait réglé sa succession[147]. L’ambition d’Apama, doublée de quelque haine dynastique et secondée par le patriotisme cyrénéen, lui suggéra l’idée d’appeler un prétendant qui, épousant Bérénice, continuerait la dynastie locale et lui laisserait à elle-même le gouvernement effectif du royaume. Elle fit choix d’un frère d’Antigone Gonatas, Démétrios dit le Beau (ό Καλός), fils du Poliorcète et petit-fils, par sa mère Ptolémaïs, de Ptolémée Soter. La combinaison avait dû être agréée, et elle avait chance d’être appuyée, au besoin, par le roi de Macédoine, qui était toujours en état d’hostilité latente avec Philadelphe : Antigone ne pouvait qu’être charmé de créer des embarras au Lagide, tout en se débarrassant lui-même d’un prince remuant, qui, une fois pourvu, cesserait d’être dangereux pour devenir un allié utile. Le bel aventurier accourut en toute hâte, et, sûr de plaire, s’installa entre la mère et la fille, sans plus distinguer entre elles qu’il ne convenait à sa morale particulière, héritée du Poliorcète[148]. Comme le dit Justin, il avait transporté son désir de plaire de la jeune fille à la mère. Amant de sa future belle-mère, il se voyait déjà roi et prenait avec tout le monde le ton du commandement. D’après Justin, qui est seul à nous renseigner sur ce roman tragique, il y eut scandale. La chose parut louche à la jeune fille d’abord, puis odieuse au peuple et aux soldats. Aussi, toutes les sympathies se tournant vers le fils de Ptolémée, on tend des embûches à Démétrios, et, au moment où il s’était retiré dans le lit de sa belle-mère, on fait entrer les meurtriers. Mais Arsinoé entendit la voix de sa fille qui, restée à la porte, demandait qu’on épargnât sa mère, et elle fit quelque temps à son amant un rempart de son corps. Par cette exécution, Bérénice vengea la honte de sa mère sans se départir de la piété filiale et suivit dans le choix d’un époux la volonté de son père[149].

Cette phraséologie sonore nous laisse entendre que la vengeance de la jeune princesse outragée servit la politique de Ptolémée et coupa court à toute tentative ultérieure de la reine mère, humiliée et déchue, pour empêcher la réunion des deux couronnes. En attendant que son fiancé fût roi d’Égypte, Bérénice continua à porter le titre de reine de Cyrène : elle garda même toujours, sur les monnaies cyrénaïques, ce titre de βασίλισσα joint à l’effigie, qui distingue les reines par droit de naissance des épouses des rois. Pour ménager la transition et ne pas devancer l’heure de la réunion effective des deux royaumes, Philadelphe jugea à propos d’ôter à son héritier le titre de roi en Égypte. C’est là, ce semble, une explication plausible de la disparition, au cours de l’année 258/7, de la formule protocolaire : Sous le règne du roi Ptolémée et de Ptolémée son fils[150]. Ce fut une concession provisoire faite au particularisme ombrageux des Cyrénéens. Elle était de bonne politique, et il n’est pas nécessaire de supposer qu’elle fut arrachée de vive force à Philadelphe. Les événements, du reste, s’étaient précipités de telle sorte qu’il n’y a point de place pour des hostilités sérieuses entre la mort de Magas et la transaction précitée[151].

Mais les accommodements improvisés provoquent le plus souvent des retours offensifs de l’opinion. Les partis extrêmes n’y trouvent pas leur compte. Ceux qui s’agitaient à Cyrène ne désarmèrent pas ; la ville en fut troublée et malade[152]. Les patriotes cyrénéens sentaient bien que leur indépendance serait purement nominale, s’ils ne profitaient du répit qui leur était laissé pour opposer à l’annexion future des institutions incompatibles avec l’obéissance passive exigée d’un fief égyptien. Ils eurent l’idée d’appeler chez eux, pour leur demander une législation rationnelle, acceptable par tous les partis, deux philosophes, Ecdélos et Démophane, disciples de leur compatriote Arcésilas et probablement recommandés par lui. Ces deux législateurs, au dire de Polybe, présidèrent brillamment, et conservèrent aux Cyrénéens la liberté[153]. Plutarque répète, après Polybe, qu’ils firent de bonnes lois et donnèrent à la cité une organisation excellente. Ni Polybe, ni Plutarque ne donnent à entendre que cette constitution fût un intermède passager entre une révolution qui l’aurait fait naître et une répression violente qui l’aurait abrogée. Rien n’oblige à croire que les réformateurs, élevés à une école qui n’avait aucune répugnance pour le régime monarchique, aient légiféré pour une république, sans tenir compte des circonstances. Il semble plutôt que, réconciliant les partis entre eux et avec la dynastie, ils ont conservé aux Cyrénéens toutes les libertés que leur eût fait perdre une intervention armée provoquée par leurs discordes.

 

§ IV. — LA FIN DU RÈGNE (258-246).

Philadelphe avait tout intérêt à laisser les Cyrénéens débattre entre eux leurs propres affaires et à ne pas les pousser à une révolte qui leur eût suggéré l’idée d’appeler noir pas des philosophes, mais le roi de Macédoine ou le roi de Syrie[154]. Antigone ne paraît pas avoir pris fait et cause pour son frère ou avoir songé à le venger. On peut croire qu’il n’en fut pas de même d’Antiochos. Qu’il ait été ou non le confident de sa sœur, les troubles de Cyrène lui fournissaient une occasion de reprendre la lutte pour la possession de la Cœlé-Syrie et de la Phénicie. Il faut avouer que nous ne savons à peu près rien sur les péripéties d’une seconde guerre de Syrie, dont la réalité même a été contestée[155]. Une lacune énorme s’est creusée ici dans la tradition, et nous n’avons pour la combler que quelques lignes échappées à la plume distraite du commentateur de Daniel. Antiochos, dit-il, fit nombre de guerres contre Ptolémée Philadelphe, qui régnait lui second sur les Égyptiens, et il lutta avec toutes les forces de Babylone et de l’Orient. Aussi, après bien des années, Ptolémée, voulant terminer cette guerre fastidieuse, donna pour femme à Antiochos sa fille appelée Bérénice[156]. Ce canevas indigent laisse entrevoir une série d’hostilités menées sans plan d’ensemble, interrompues par des périodes de lassitude, telles enfin que le fait présumer le caractère indolent et capricieux des deux belligérants. Si Antiochos II, qu’on nous dépeint comme un crapuleux ivrogne[157], y employa toutes les forces de Babylone et de l’Orient, il est probable qu’il les mit à contribution successivement et ne sut jamais les réunir pour frapper un coup décisif. La lutte s’est dispersée tout le long des côtes, où succès et revers dépendaient en grande partie des dispositions des villes dont les deux monarques se disputaient le protectorat. Ni l’un ni l’autre ne tirèrent profit de cette guerre fastidieuse ; mais le résultat en fut surtout désastreux pour le Séleucide, encore que, selon toute apparence, il ait eu finalement le dessus. L’Égypte, formant un tout compact, ne risquait de perdre que ses possessions au dehors : un empire hétérogène comme celui des Séleucides ne pouvait supporter sans se disloquer des chocs répétés, tels qu’en suppose une guerre prolongée durant peut-être dix ans. Nous allons essayer de combler ce vide béant en y alignant, dans un ordre plausible, quelques faits qui paraissent se rapporter à cette période[158].

On a vu plus haut comment l’autonomie concédée à Arados indique, de la part d’Antiochos, le dessein d’éveiller dans les villes phéniciennes le désir de recouvrer leur indépendance. C’est une vieille tactique dont les Diadoques avaient usé à l’envi les uns des autres. De son côté, Ptolémée chercha à soulever les villes d’Ionie contre le protectorat de son adversaire. Antiochos Ier ne s’était sans doute pas pressé de satisfaire le vœu exprimé par l’assemblée fédérale du Panionion, et le régime qui affermissait l’autorité royale en temps de paix devenait dangereux en cas de guerre. Par corruption ou par force, les Égyptiens prirent possession d’Éphèse, où Philadelphe installa comme gouverneur un de ses fils, un bâtard sans doute, du nom de Ptolémée[159].

La conquête du littoral, précédemment arrêtée à Milet, allait s’avancer méthodiquement vers, le nord. Mais Philadelphe eut de ce côté des mécomptes. Antiochos reprit le beau rôle en octroyant aux villes ioniennes la liberté qu’elles avaient respectueusement réclamée à son père ; et cela, non par une mesure générale qui, après tant d’expériences faites, n’eût inspiré aucune confiance, mais par chartes particulières, contrats en bonne forme, stipulant des engagements précis, notamment sur la question délicate de l’exemption ou réduction du tribut[160]. En outre, par suite de péripéties imprévues, Milet, peut-être Samos, Éphèse enfin, secouaient le joug égyptien et enlevaient ainsi aux envahisseurs leur base d’opérations. Il est à peine besoin d’avertir que nous sommes là en présence de faits mal connus et que les conjectures y ont une large place. Nous ne savons si c’est avec l’agrément ou contre le gré de la cour d’Alexandrie qu’un aventurier du nom de Timarque se fit tyran de Milet, ni à quelle date eut lieu cette espèce de coup d’État intérieur. Il est probable que Timarque était un chef de mercenaires à la solde de l’Égypte, qui supplanta le gouverneur régulièrement nommé et s’était trouvé par là en état de rébellion contre son souverain. Il réussit, parait-il, au moins pour un instant, à surprendre Samos, les sentinelles du port l’ayant pris pour le gouverneur, qu’il avait mis à mort et dont il avait endossé la défroque[161]. Puis, il entraîna dans sa défection le bâtard qui commandait à Éphèse[162]. Les deux associés caressaient l’espoir chimérique de rester indépendants à la fois des deux rois et de ne trahir qu’à leur seul profit. Mais Antiochos délivra de leur tyran les Milésiens, qui, recouvrant par sa grâce la liberté et la démocratie, lui décernèrent dans leur enthousiasme le nom de Dieu (Θεός)[163]. Enfin, une émeute de mercenaires débarrassa les Éphésiens du jeune émule de Timarque. Les Thraces enrôlés par le Ptolémée rebelle le massacrèrent, lui et sa concubine Irène, dans le temple d’Artémis où il s’était réfugié[164]. Ils avaient dû conspirer avec les Éphésiens, qui rentrèrent volontiers sous le joug, maintenant allégé, du Séleucide[165].

Pourtant, à la longue, Antiochos s’aperçut qu’il avait plus perdu que gagné à s’attarder sur les bords de la mer Égée et à engager toutes les forces de l’Orient, dans le conflit avec l’Égypte. Il n’avait pas repris la Cœlé-Syrie, ni même, à ce qu’il semble, pu tenter une attaque directe sur cette région, qui était le véritable enjeu de la partie[166]. D’autre part, les peuples iraniens, se sentant moins surveillés, commençaient à s’agiter. Le mouvement commença (vers 250) par la révolte du satrape de Bactriane, Diodotos. Un an ou deux après, les fondateurs de la dynastie des Arsacides, Arsace et Tiridate, expulsaient le satrape de Parthyène et détachaient un vaste lambeau de l’empire séleucide. Antiochos avait dû être informé des premiers symptômes de la catastrophe prochaine : il avait besoin de la paix. De son côté, Ptolémée, qui sentait son prestige décliner d’année en année, ne tenait pas à prolonger une guerre dont Antigone et les Rhodiens auraient peut-être fini par se mêler. Les relations qu’il avait nouées tout récemment avec Aratos de Sicyone pouvaient toujours fournir au roi de Macédoine un prétexte pour renouveler les hostilités suspendues depuis la bataille de Cos. Antigone savait bien que ce n’était pas uniquement pour procurer des tableaux à Philadelphe que le jeune Sicyonien avait fait le voyage d’Alexandrie, d’où il avait rapporté 40 talents à valoir sur une subvention de 150 talents. Ce voyage nous montre, par surcroît, où en était l’ancienne hégémonie de l’Égypte dans l’Archipel. Aratos, rejeté par les vents sur l’île d’Andros, avait failli être capturé par le commandant de la garnison macédonienne ; de là, il s’était fait transporter en Carie par un navire romain, et il avait dû y attendre longtemps un moment opportun pour s’embarquer à destination d’Alexandrie[167].

Nous ne connaissons ni la date, ni la teneur précise du traité intervenu entre Ptolémée et Antiochos[168]. Autant que nous, pouvons en juger, il laissait à celui-ci le littoral de l’Asie-Mineure[169], en y ajoutant peut-être les possessions égyptiennes en Cilicie et en Pamphylie, dont la mention ne figure plus dans la liste des États légués par Philadelphe à son successeur[170]. La Carie seule restait à l’Égypte. Mais ces arrangements n’étaient que le corollaire d’un pacte étrange, qui suppose des calculs à longue portée du côté de Philadelphe, beaucoup de légèreté et d’imprudence chez l’autre contractant. L’événement prouva, du reste, que l’un était aussi imprudent que l’autre. Quoique marié à sa sœur Laodice et ayant d’elle au moins quatre enfants[171], Antiochos devait épouser la fille de Philadelphe, Bérénice, qui lui apportait en dot une somme d’argent considérable et, très probablement, les revenus de la Cœlé-Syrie, constituée pour elle en apanage. Seulement, le mariage n’était conclu et cette magnifique dot livrée qu’à la condition qu’Antiochos répudierait Laodice et disqualifierait par là ses enfants du premier lit. On s’est demandé si le Lagide, spéculant sur la cupidité inconsidérée de son partenaire, ne cherchait pas à semer la discorde dans la famille royale de Syrie et à faire en sorte que, même si Antiochos n’avait pas d’enfants de son nouveau mariage, les droits des enfants de Laodice pussent toujours être contestés[172].

Quoi qu’il en soit, le mariage se fit. Ptolémée conduisit jusqu’à Péluse sa fille, qui entra en grande pompe à Antioche. On fit grand bruit des richesses qu’elle apportait à son époux : sa dot devint proverbiale[173]. On racontait que cette haute et puissante princesse ne buvait que de l’eau du Nil, laquelle lui était expédiée à grands frais par son père[174]. Il n’en fallait pas moins pour justifier la répudiation de Laodice, naguère traitée en déesse, et l’injustice commise à l’égard de ses enfants. Mais la fière Laodice, fille de roi, ne voulait ni être, ni avoir été une concubine[175]. Antiochos, chez qui des habitudes déplorables semblent avoir atrophié le sens moral, avait cru que Laodice entrerait avec résignation dans ses combinaisons politiques, satisfaite de vains honneurs et de libéralités qui lui assuraient une existence sortable à Éphèse, sa résidence ordinaire[176]. Il ne se doutait pas des rancunes qui s’amassaient dans cette âme, et du prix auquel il paierait un jour sa déloyauté. Philadelphe, qui avait cru faire un chef-d’œuvre de diplomatie, n’avait pas prévu non plus qu’il envoyait sa fille à la mort et que ses artificieuses combinaisons seraient balayées d’un seul coup par la vengeance de l’épouse outragée.

Pour le moment, il n’avait d’autre chagrin que celui de vieillir. Il versait dans l’hypocondrie. Malgré sa haute culture et la curiosité qu’on lui attribue pour les sciences naturelles, son égoïsme le rendait crédule quand il s’agissait de sa santé. Il demandait aux charlatans ce que ses médecins n’osaient lui promettre. Il était tellement gâté par la mollesse, dit Phylarque, et il se faisait de telles illusions qu’il comptait vivre toujours et disait que seul il avait trouvé le secret de l’immortalité[177]. Hâtons-nous d’ajouter que la naïveté est peut-être du côté de Phylarque, qui prend à la lettre un mot susceptible d’une autre interprétation. Son tempérament, qui n’avait jamais été robuste, commençait à plier sous le faix des années durant lesquelles il n’avait pratiqué ni la continence, ni la sobriété. Un jour qu’il était tourmenté par la goutte et que, relevant d’un long accès, il regardait par une fenêtre, il vit des Égyptiens en train de déjeuner sur le bord du fleuve avec ce qui leur était tombé sous la main et s’étaler à leur aise sur le sable. Malheureux que je suis, s’écria-t-il, de ne pas être un de ces gens-là[178]. Nous n’avons pas besoin de banalités de ce genre pour nous persuader que Ptolémée vieillissant sentait parfois la vanité des richesses et leur eût préféré la santé.

La mort, qu’il redoutait tout en faisant des rêves de longue vie, vint le prendre dans la trente-neuvième année de son règne, soixante-troisième de son âge (246)[179], à temps pour lui épargner une déception qui l’aurait atteint à la fois dans son orgueil et dans son affection paternelle. Il est sinon certain, du moins probable, que Philadelphe avait rejoint ses divins parents dans le Sema d’Alexandrie quand on apprit en Égypte quelle horrible vengeance avait tirée et de son infidèle époux et de sa rivale l’ex-reine de Syrie Laodice, répudiée pour faire place à la fille du Lagide.

C’est par cette catastrophe tragique que va s’ouvrir, par elle aussi que va être poussé dans la voie des expéditions lointaines, le règne glorieux de Ptolémée III Évergète.

 

 

 



[1] Ptolémée Il n’est appelée Philadelphe qu’un siècle après sa mort et par les historiens (cf. Polybe ap. Athénée, II, p. 45 c), pour lui donner un surnom distinctif. Officiellement, Arsinoé II a été seule Φιλάδελφος, et c’est d’elle que l’épithète a été communiquée à l’autre membre du couple des dieux Adelphes (voyez ci-après). Cependant Strack (p. 9) ne doute pu le moins du monde que Philadelphe n’ait été le nom du jeune prince, au temps où l’aîné (Kéraunos) portait le nom de Ptolémée, réservé dans la famille royale à l’héritier présomptif du trône. Cette thèse et les questions connexes seront discutées plus loin (tome III).

[2] D’après Pausanias (I, 7, 1), qui mentionne le fait après l’avènement de Ptolémée II, c’est Argæos, un frère du roi, qui avait ramené de Memphis le corps d’Alexandre.

[3] Diodore (I, 37) dit que jusqu’à Philadelphe, aucun Hellène n’avait pénétré en Éthiopie (ce qui n’est pas tout à fait exact, témoin les graffiti d’Ipsamboul), mais que le pays est mieux connu depuis l’expédition qu’y fit ce roi avec une armée grecque. Il est à remarquer que des Éthiopiens figurent, portant des présents en ivoire, ébène et or, dans la grande pompe que nous placerons plus loin en 279. D’autre part, il est question d’un roi de Méroé, Ergamène, qui élevé à l’école des Grecs sous Philadelphe, se débarrassa par un coup d’État de la domination du clergé de son pays. On est conduit à supposer que ce prince, amené tout jeune comme otage à Alexandrie, y prit ces idées de libre penseur, qui, du reste, ne l’empêchèrent pas de construire le naos du T. de Dakkeh (Pselcis) en l’honneur du dieu Thot. Cf. Fr. Kemp, Ueber die syrischen Kriege u. s. w. (Rhein. Mus., XXXIX [1884], p. 212, 1).

[4] Berenice, oppidum matris Philadelphi nomine (Pline, VI, § 168). Parmi les six Βερενΐκαι πόλεις, Étienne de Byzance en compte deux dénommées d’après la première Bérénice : une en Épire, fondée par Pyrrhos ; δευτέρα ή ύπό Φιλαδέλφου Πτολεμαίου.

[5] Nous manquons absolument de renseignements sur ce point. Il parait bien que Ptolémée Kéraunos n’était plus à Alexandrie lorsque Philadelphe fut associé au trône. Appien (Syr., 62) dit formellement qu’il avait quitté l’Égypte, avant que Soter n’eût mis son dessein à exécution. Son frère Méléagre, qu’on retrouve plus tard avec lui en Macédoine, doit s’être réfugié avec lui auprès de Lysandra (cf. Pausanias, I, 10, 4). Quant aux autres, en supposant qu’ils fussent tous deux fils d’Eurydice, ils ont pu rester ou rentrer à bref délai. Nous les retrouverons bientôt conspirant ou accusés de conspirer.

[6] Pausanias (I, 10, 3) donne les deux versions, sans garantir ni l’une ni l’autre. Justin (XVII, 1) n’allègue aucun motif.

[7] Il faut avouer que l’allusion était doublement désobligeante. Telesphoros avait raillé Arsinoé ώς έμετικήν οΰσαν, en disant : κακών κατάρχεις τήνδ' έμοΰσν είσάγων (Athénée, XIV, p. 616 c). Si les verbes κατάρχεις, είσαγών au présent ne reportaient le fait au début du mariage, je serais tenté de croire que Lysimaque y soupçonna une allusion au poison donné par cette femme émétique à Agathocle, poison que revomit la victime. Nous savons si peu de chose sur la vie privée de cette terrible Arsinoé, que nous trouvons presque intéressant d’apprendre qu’elle avait mauvais estomac, et que son goût pour les aromates fit plus tard la fortune des parfumeurs alexandrins (Athénée, XV, p. 689 a). La réclusion en cage avait été appliquée, dit-on, par Alexandre à Callisthène : Lysimaque imitait son maître. Le Lysimaque de Montesquieu (Lysimaque, 1751), roi idyllique et âme sensible, est une fiction mal réussie. Quandoque bonus dormitat Homerus.

[8] Memnon de Rhodes, 8 = FHG., III, p. 532. Cf. Strabon, XIII, p. 623. Appien, Syr., 64. Strabon parait croire à la culpabilité d’Agathocle, et Lucien, avec sa légèreté ordinaire, accepte l’accusation telle quelle (Icarom., 15). Memnon déclare au contraire Agathocle άριστον τών παίδων, et Lysimaque est un monstre aux yeux de Justin (XVII, 1, 4). Quand au rôle de Ptolémée Kéraunos, il est à remarquer que, sauf Memnon, aucun des auteurs précités n’en parle. Justin le met même hors de cause en disant : Lysimachus Agathoclem, ministra Arsinœ noverca, veneno interfecit (cf. Trogue-Pompée, Prol. XVII : occiso filio per novercam Arsinœn) ; et lorsque plus tard Ptolémée tue les enfants d’Arsinoé, Justin (XXIV, 3) ne dit pas qu’Arsinoé fut punie par la main de son complice, ce qu’un moraliste de sa trempe n’eût pas manqué de faire s’il avait cru à la collaboration criminelle de Ptolémée et d’Arsinoé. Memnon a dû recueillir un bruit qui courut lorsqu’on sut Ptolémée capable de tous les crimes. Un témoignage postérieur de trois siècles, sur un fait qui s’est passé derrière les murs d’une prison, a peu de poids.

[9] Pausanias, I, 10, 4. Appien, Syr., 64. Le texte de Pausanias est malheureusement mutilé à cet endroit. Les frères de Lysandra doivent être Ptolémée et Méléagre. Le séjour de Ptolémée à la cour de Séleucos, où il est traité comme παΐς βασιλέως et compte sur les promesses de Séleucos, qui doit le remettre en possession de son héritage, est attesté par Memnon (op. cit., 12), Pausanias (X, 19, 7) et Appien (Syr., 62). Droysen expliquait son départ de Lysimachia par une manœuvre de Philadelphe, qui aurait demandé à ce moment (283) la main d’Arsinoé, fille de Lysimaque. L’exode de toute la lignée d’Eurydice — le crime de Ptolémée restant caché — explique mieux le présent et la suite. Pausanias dit que les fugitifs allèrent trouver Séleucos ές Βαβυλώνα. Il semble bien cependant que, depuis le partage de son empire entre son fils et lui, Séleucos résidait à Antioche, et Antiochos à Babylone, ou plutôt à Séleucie sur le Tigre.

[10] Memnon de Rhodes, loc. cit.

[11] Strabon, XIII, p. 623. Pausanias, I, 10, 4. On a supposé que Philétæros était un protégé d’Agathocle, ou encore, qu’Arsinoé songeait à se faire donner Pergame et y installer une de ses créatures, etc. Strabon dit positivement qu’Arsinoé le calomniait.

[12] Une inscription funéraire récemment découverte (G. Mendel, in BCH., XXIV [1900], p. 380. B. Keil, in Rev. de Philol., XXVI [19021, p. 931-262) nous apprend que des Bithyniens combattirent à Koroupédion et fixe le lieu de la bataille Φρυγίοιο παρά ροόν, c’est-à-dire au N. de Sardes, le Phrygios étant un affluent de l’Hermos (Strabon, XIII, p. 626). Il n’est pas absolument démontré qu’il s’agisse de la bataille de 281 : cf. sur ce point les réserves de R. Bevan, The House of Seleucos, I (1902), p. 323. C’est de cette année 282/1 que date l’ère de Bithynie.

[13] Polyen, VIII, 57. Éphèse reprend alors son ancien nom, qu’elle avait dû échanger centre celui d’Arsinoé.

[14] Pausanias, I, 10, 5. Cf. la mise en scène romanesque (le chien gardant le cadavre, Alexandre reconnaissant son père, etc.) dans Appien (Syr., 64).

[15] Appien, Syr., 56.

[16] Memnon, 12. Trogue-Pompée, Prol. XVII. Justin, XVII, 2, 5-6. Pausanias, 1,16, 2. X, 19, 7. Appien, Syr., 63. Cf. Plutarque, Ser. num. vind., 10. D’après Memnon, les soldats l’accueillirent sans enthousiasme. Il faut croire alors que le coup était concerté avec les habitants de Lysimachia. La moindre résistance de leur part eût perdu Ptolémée.

[17] A l’âge de 73 ans, suivant Appien (Syr., 63), de 77 ans, suivant Justin (XVII, 1, 10). Les restes de Séleucos, rachetés à grands frais et incinérés par Philétæros, furent déposés par Antiochos dans un Νικατόρειον à Séleucie-sur-Mer (Appien, Syr., 63). Cf. Lucien, Dea Syr., 18, qui fait mourir Séleucos à Séleucie sur le Tigre !

[18] Justin, XVII, 2, 6.

[19] Arsinoé avait de Lysimaque trois fils, Ptolémée, Philippe et Lysimaque. Quant à Alexandre, fils de Lysimaque et d’une Odryse, qui avait ramené la dépouille de son père à Lysimachia (Appien, Syr., 64), on n’entend plus parler de lui, ni de Lysandra et de ses enfants. On peut supposer qu’ils étaient restés en Asie, et qu’ils y vécurent obscurément, sans plus rien attendre d’Antiochos Soter.

[20] Justin, XVII, 2, 9.

[21] Rappelons ici que cette hypothèse de Droysen et Stark, déjà discutée plus haut, est contestée par Kœpp, à l’opinion duquel se sont ralliés la plupart des historiens, y compris, en dernier lieu, U. Wilcken (art. Antiochus I, in R.-E., I, p. 2452). La question fait partie de tout un ensemble de problèmes.

[22] Ut Seleucus, amissis in Cappadocia cum Diodoro copiis, interfectus est ab Ptolemæo, etc. (Trogue-Pompée, Prol. XVII).

[23] La date initiale de l’ère bithynienne fixée par Th. Reinach, d’abord à 297 (Essai sur la numismatique des rois de Bithynie [Rev. Num., V [1887], p. 344 sqq. Trois royaumes, etc., p. 95), puis à septembre 282/1 (Rev. Num., IX [1891], p. 374).

[24] Memnon de Rhodes, 13.

[25] Memnon de Rhodes, 15.

[26] Memnon de Rhodes, 13. Cf. Justin, XXIV, 1, 8. Une ligue hellénique s’étant formée alors, dirigée contre Antigone et ses alliés les Étoliens, on e supposé (Pöhlmann, Holm, Niese) que ce mouvement avait pu être suscité ou encouragé par Philadelphe, en vue d’empêcher Antigone de reprendre les hostilités contre Kéraunos.

[27] Justin, XVII, 2, 15. XXIV, 1, 8.

[28] Bellum quod Ptolemæus Ceraunus in Macedonia cum Monunio Illyrio et Ptolemæo Lysimachi filio habuit, utque Arsinœn sororem suam imperio Macedonicarum urbium exuit (Trogue-Pompée, Prol. XXIV). C’est tout ce qu’on sait sur cette guerre, dont Justin ne s’est pas occupé.

[29] Et surtout si, comme le ferait supposer un texte de Polyen (VI, 7, 2), Ptolémée avait avec lui sa mère Eurydice.

[30] Cf. Niese, II, p. 11, 1. Cette conjecture ajouterait un motif de plus aux raisons qui ont pu décider par la suite Philadelphe à épouser Arsinoé : il se sentait un peu responsable de ses malheurs.

[31] Justin, XXIV, 3.

[32] Le sanctuaire des Kabires avait été déjà l’objet de la sollicitude de Lysimaque (cf. Gonze, Hauser, Benndorf, Arch. Untersuch. auf Samothrake, II, p. 85). Dédicace d’Arsinoé, femme de Lysimaque (II, p. 111. Strack, n° 32). Ptolémæon bâti par Philadelphe (II, p. 34-46).

[33] Voyez ci-après, à la date de 240, l’inscription de Telmessos (Lycie), alors gouvernée au nom d’Évergète par un Πολεμαϊος ό Λυσιμάχου (BCH., XIV, [1890], p. 162 = Michel, 541), et, une dizaine d’années plus tôt, un décret d’Antiochos II nommant prêtresse de Laodice une Bérénice τήν Πτολεμαίου τοΰ Λυσιμάχου (BCH., IX [1885], p. 324 sq. XIII [1889], p. 523 sq.= Michel, 40). On a beaucoup discuté sur ce nom, dont on fait deux homonymes : l’un, celui de Telmesse, petit-fils de Philadelphe, l’autre fils du roi Lysimaque ; à moins que l’un ou l’autre ne soit fils du Λυσίμαχος Πτολεμαίου Σωστατύς de Ptolémaïs (Strack, n° 36). On reviendra sur ce problème, qui ne comporte que des solutions arbitraires.

[34] Memnon de Rhodes, 14. Plutarque, Ser. num. vind., 10. Justin, XXIV, 3, 10.

[35] Niese (II, p. 15, 3) récuse la date de 279 donnée par Droysen et met la mort de Kéraunos au printemps 280. On se demande comment il peut taire tenir tant de faits en quelques mois après la mort de Séleucos.

[36] L’inscription de Sigée ou décret d’Ilion en l’honneur d’Antiochos (CIG., 3595 = Dittenberger, 156 = Michel, 525), rédigée vers 277 a. C., rappelle que le roi fut obligé de reconquérir son royaume, et qu’il eut à souffrir de défections dans les villes κατά τήν Σελευκίδα.

[37] Polybe le dit à propos d’une guerre de Syrie en 227, et il ajoute qu’il en a toujours été ainsi (V, 86, 10).

[38] Personne ne parle non plus de Samos, qui avait appartenu à Lysimaque (CIG., II, 2256) et qui, vers 280 (voyez ci-après, inscription de Nicourgia), parait ralliée à la confédération des Nésiotes et placée sous le protectorat égyptien. Inscription de Samos en l’honneur de Ptolémée II et de la première Arsinoé (Athen. Mitth., 171 [1884], p. 197 = Strack, n. 18).

[39] Callixène ap. Athénée, V, p. 196 a-203 b = FHG., III, p. 58-65. Extrait d’un ouvrage Περί Άλεξανδρείας, écrit probablement sous Philopator, plus de soixante ans après la πομπή. Callixène n’est pas un témoin oculaire.

[40] Dans la décoration, les vases et autres objets en argent pesaient είς μύρια τάλαντ' άργυρίου (Athénée, V, p. 197 c). Droysen (SB. d. Berl. Akad., 1882, p. 223, 1) s’essaie à calculer la valeur probable de la dorure (en plaqué) du grand phallus de 56 mètres de long sur 8 mètres de diamètre, et il trouve des valeurs qui approchent ou dépassent cent millions de francs ! Voilà ce que j’appelle une foi robuste. A comparer les splendeurs, quand même un peu moins extravagantes, des Jeux célébrés en 165 par Antiochos IV Épiphane (Athénée, V, p. 194 c-195 f. X, p. 439 a-d).

[41] Depuis la publication de l’Histoire de l’Hellénisme de Droysen, qui avait fixé la date de la πομπή à l’avènement définitif de Philadelphe, après la mort de son père, c’est-à-dire en 283 (III, p. 52), il n’est guère de savant qui n’ait dit son mot sur la question, les uns en passant, les autres discutant les données du problème. Cf. J. Kamp, De Ptolemæi Philadelphi pompa Bacchica, Bonnæ, 1864. J. G. Droysen, Zum Finanzwesen der Ptolemäer (SB. d. Berl. Akad., Hist. Phil. Cl., 1882, p. 207-236 = Kl. Schriften, II, p. 275-305). E. Beurlier, De divinis honoribus quos acceperunt Alexander et successores ejus, Paris, 1890. U. Wilcken, in Gött. gel. Anz., 1895, p. 139 sqq. J. Kærst, Die Begründung des Alexander- und Ptolemäerkults in Ægypten (Rhein. Mus., LII [1897], p. 42-68). On peut ramener les solutions proposées avant la découverte de l’inscription de Nicourgia à trois. — 1° La πομπή fête du couronnement de Philadelphe, soit en 285/4, du vivant de son père (Droysen [1re éd.], Beurlier), soit en  283/2, après la mort de son père, et avec le caractère d’apothéose (Droysen [2° édit.], Kamp, Holm, Gr. Gesch., LV, p. 399. Niese, I, p. 389. Mahaffy, Empire, p. 116). Le motif chronologique invoqué est que la reine Arsinoé (I ou II) n’est point nommée, d’où la conclusion que Ptolémée était encore caelebs. — 2° La πομπή fête du mariage de Philadelphe avec sa sœur Arsinoé II (en 270, d’après Droysen, Kl. Schr., II, p. 295-298). Motif chronologique, mention du couple royal dans un groupe du cortège affecté τοϊς τών βασιλέων ονεΰσι (Athénée, p. 497 d), l’absence du nom d’Arsinoé étant expliquée par les lacunes du rapport de Callixène. — 3° La πομπή apothéose de Ptolémée Soter, en 264/0, comme conséquence des honneurs divins décernés à Arsinoé Il (vivante) en 266 (Révillout, Lenschau, Gäbler, St. Poole). Motif chronologique invoqué : le défilé des villes, y compris αϊ τ' άπ' Ίωνίας (Athénée, V, p. 204 e) qui n’ont été prises que durant la guerre de Syrie. Cet argument est d’une faiblesse insigne, car Callixène parle de toutes les villes grecques, d’Asie et des Iles, qui ύπό τούς Πέρσας έτάχθησαν. Il s’agit d’un hommage pour les bienfaits que toutes sont censées avoir reçus de Ptolémée le Σωτήρ. Depuis la découverte de Nicourgia, le débat ne porte plus que sur la date de la πομπή, avant ou après le mariage d’Arsinoé II.

[42] Le texte de l’inscription, découverte en 1893 et publiée par Th. Homolle (BCH., XVII [1893], p. 205 sqq.), a été établi par J. Delamarre (Rev. de Philol., XX [1896], p. 103-115. Cf. C.-R. Acad. Inscr., 27 mars 1896. Ann. de l’Éc. des Hautes Études, 1897, p. 88-90). Ch. Michel, 373.

[43] Inscription de Délos. Cette inscription me paraît de très peu postérieure à la précédente, comme visant des faits simultanés. Le décret des théores entraînant l’ouverture de crédits au budget fédéral, les Détiens profitent de l’occasion pour signaler à Philoclès le désordre des finances : ils lui envoient une députation au sujet de l’argent que les Insulaires doivent aux Déliens, et l’amiral a mis tous ses soins afin que les Déliens reçoivent leurs revenus comme le roi Ptolémée l’a prescrit. Si les Déliens se sont hâtés de voter les honneurs qu’ils décernent à Philoclès, les deux inscriptions peuvent être l’une et l’autre de l’an 280/279.

[44] Athénée, V, p. 197 d.

[45] Une superbe femme, représentant la Πεντετηρίς, figurait dans le cortège, associée à un homme qui représentait l’Ένιαυτός, la fête annuelle (p. 498 b).

[46] Cf. M. P. Meyer, Das Heerwesen der Ptolemäer (Leipzig, 1900), p. 28. H. von Prott pense que la πομπή de Callixène a été célébrée en 275/4, après le mariage d’Arsinoé II, lorsque la mort de Bérénice eut complété le couple des θεοί Σωτήρες, tandis que les Nésiotes avaient été invités à la fête précédente, celle de 279/8, célébrée avec moins d’apparat en l’honneur du Σωτήρ seul. Toutes ces hypothèses improvisées s’effondrent avec leurs postulats. L’an 275/4 n’est pas après, mais avant la guerre de Syrie ; Bérénice est probablement morte avant Ptolémée Soter, et le culte des θεοί Σωτήρες n’est pas à antérieur à Philopator (ci-après, ch. VIII, § 3). En fait de dates, il faut s’en tenir à ce qui est presque évident, à savoir que le cycle a son point d’attache à la mort de Ptolémée Soter (283/2), et non de Bérénice, et que les époques subséquentes sont 279/8, 275/4, etc. Il n’y a aucune raison pour retarder l’inauguration de la fête isolympique jusqu’à 275/4, au moment où éclatait la guerre de Syrie.

[47] Inscription d’Adulis et Décret de Canope, de l’année 238 (voyez ci-après).

[48] L’expression τοϊς τών βασιλέων γονεΰσι (Athénée, V, p. 197 d) est certainement inexacte, appliquée à Arsinoé I ; mais c’est une inexactitude officielle et voulue, comme celle qui fait d’Arsinoé II la mère d’Évergète.

[49] Stèle de Pithom, découverte en 1883 par E. Naville, The store-city of Pithom and the route of the Exodus, London, 1885. Traduction et commentaire par H. Brugsch et Erman, Die Pithomstele (Zeitsch. f. Ægypt. Sprache, 1894, p. 74- 87) ; U. Kœhler, Zur Gesch. d. Ptol. II Philadelphos, in SB. d. Berlin. Akad., 1895, p. 965-977. E. Naville, La stèle de Pithom (Zeitschr. f. Ægypt. Sprache, 1902, p. 1-9). Les faits relatés vont de l’an VI à l’an XXI du règne de Philadelphe (280-265/4). C’est en l’an VI du règne (280/79) que Philadelphe vient faire des dédicaces de temples de Toum et d’Osiris (à Pikerehet) et commencer les travaux du canal. Il y dut employer une bonne part des soldats ou figurants de sa πομπή. Pithom est à environ 15 kil. du lac Timsah. La stèle de Mendès, dont il sera question plus loin, a été découverte en 1871 à Tmei el-Amdîd, publiée par Mariette (Mon. divers recueillis en Égypte et en Nubie, pl. 43-44), traduite par H. Brugsch, Die grosse Mendes-Stele aus der Zeit des zweiten Ptolemäers (Zeitschr. f. Æg. Spr., 1875, p. 33-40). Les faits datés sont de l’an XV et de l’an XXI de Philadelphe (271/0 — 265/4).

[50] Il n’y a aucune raison de croire qu’elle se soit attardée longtemps à Samothrace. Elle a dû venir tout droit, dès l’année 279, à Alexandrie, où elle pensait être sûre d’être bien accueillie par son frère.

[51] On a discuté plus haut la date de la naissance de Philadelphe. Ceux qui le font naître en 304 — Arsinoé étant née vers 316 — accroissent encore la différence d’âge. Arsinoé frisait la quarantaine, et Théocrite lui-même, qui vante la beauté de Bérénice (XVII, 34-38), ne dit rien des charmes d’Arsinoé.

[52] Callimaque (In Artem., 134 sqq.) fait allusion au temps heureux où les deux belles-sœurs, épouses de deux frères, s’asseyaient à la même table. S’agit-il des deux Arsinoé ?

[53] Tous les historiens, chronographes, commentateurs de Théocrite et de Callimaque, ont donné leur avis, quelques-uns sur les motifs, tous sur la date du mariage de Philadelphe avec sa sœur Arsinoé. En fait de motifs, la passion étant le moins vraisemblable, on s’est rejeté sur les calculs politiques. Droysen suppose que Philadelphe comptait revendiquer les droits d’Arsinoé sur le douaire à elle constitué par Lysimaque, à savoir Héraclée, Amastrios, Tios, Ephèse, Cassandria, — peut-être même Samothrace (Niese), — et utiliser au besoin comme prétendant, contre Antiochos pour l’Asie-Mineure, contre Antigone pour la Macédoine, le jeune Ptolémée, fils et héritier légitime de Lysimaque. Ce système, auquel s’est ralliée la majorité des suffrages (Kœpp, Niese, Strack, etc.), est bien artificiel, et on ne voit pas que Philadelphe ait jamais fait valoir les droits d’Arsinoé. On revient, en fin de compte, sur l’attraction personnelle, soit ascendant d’une femme démoniaque (Gercke), soit conformité d’humeur entre deux êtres intrigants et voluptueux, réciproquement indulgents pour leurs vices (Holm, Mahaffy), soit besoin chez Philadelphe d’avoir un auxiliaire énergique agissant pour lui (Kœhler,Wilcken). Avant que la stèle de Mendès d’abord (1871), celle de Pithom ensuite (1883), aient fourni chacune un terminus ante quem, assurant que le mariage était chose faite en l’an 15 (Mendès) et même (Pithom) en l’an 42 de Philadelphe (274/3), la question de date a été retournée de toutes les façons et avec toute espèce d’arguments, la plupart tirés des dates probables des poésies de Théocrite ou de Callimaque et tournant dans un cercle vicieux. On a essayé les dates de 277 (Champollion-Figeac, Lepsius, Krall), 276 (Buecheler, Conze, Wescher, Kœpp), 273 (Wiedemann), 271 (Willamowitz), 270 (Droysen, 1882) et même plus bas, peu avant 266 (Droysen, 1re édit., et Couat). Cf. J. G. Droysen, Arsinœ Philadelphos (SB. d. Berl. Akad., 1882, p. 226-229). A. Wiedemann, Zur Chronologie der Arsinœ Philadelphos (Rhein. Mus., XXXVIII [1883], p. 384-393). Die Ehe des Plolemæus Philadelphus mit Arsinœ II (Philol., XLVII [1889], p. 81-91). J. Krall, Stud. z. Gesch. d. alten Ægypten, II, 3 (SB. d. Wien. Akad., 1884, p. 347-385). A. Gercke, Alexandrinische Studien. III. Die Geschwisterche (Rh. Mus., XLII [18871, p. 270-275). C. Haeberlin, Quæstiones Theocriteæ (Philol., L [1891], p. 689-712). B. Ehrlich, De Callimachi hymnis quæstiones chronologicæ (Bresl. Phil. Abhandl., 1894). M. L. Strack, Die Dynastie der Ptolemäer, Berlin, 1897. Ph. E. Legrand, Étude sur Théocrite, Paris, 1898. H. von Prott, Das Έγκώμιον είς Πτολεμαΐον und die Zeitgeschichte (Rhein. Mus., LIII [1898], p. 460-476). Kœhler veut que l’excursion du couple à Pithom en 274/3 soit le voyage de noces. Strack (p. 182) s’abstient prudemment de choisir entre les dates échelonnées de 279 à 273 ; Gercke et Haeberlin resserrent la marge entre 276 et 273 ; H. von Prott, entre 278 et 275. La date de 277 me parait la plus probable.

[54] Strabon, XVII, p. 789. Élien (Var. Hist., IV, 15) dit que Philadelphe devint μουσικώτατος précisément parce qu’il était valétudinaire.

[55] Gercke (op. cit., p. 612) prétend que Théocrite renonça depuis lors à employer ce nom mal famé d’Amyntas.

[56] Stèle hiéroglyphique, découverte en 1894 par Fl. Petrie (cf. Mahaffy, History, p. 75). Lysimaque fut plus tard, sous Ptolémée Évergète, stratège de la Haute-Égypte (cf. Krall, Studien, II, in SB. d. Berl. Akad., 1884, p. 366).

[57] Le scoliaste de Théocrite (XVII, 128) ne discute pas la culpabilité d’Arsinoé I et parle du complot sans mettre en cause Arsinoé II, dont il dit simplement que Ptolémée l’épousa ensuite. Il suit la version officielle. Il se pourrait cependant, s’il y eut complot, qu’Arsinoé I ait voulu se débarrasser non pas de son mari (ce qui ne se comprendrait guère et ce que le scoliaste ne dit pas), mais d’Arsinoé II, sans doute par le poison, comme l’indique la collaboration d’un médecin. Le scoliaste ajoute, au sujet des enfants, que Ptolémée fit adopter par la seconde Arsinoé, laquelle mourut sans enfants, les enfants de la première. La raison alléguée semble indiquer que l’adoption n’eut lieu que quand il fut évident que le mariage resterait stérile, et non lors du mariage. Mais tout prête aux conjectures, et nous en verrons plus loin de romanesques. En fait, nous ignorons ce que devinrent alors les enfants ; mais, même en supposant Ptolémée décidé à les renier, parti inhumain et impolitique, Arsinoé II devait tenir à les avoir sous la main et à ne pas les laisser à sa rivale. Heureusement pour eux, Arsinoé II n’eut pas d’enfant de Ptolémée. Letronne (Recueil, I, p. 3) croit naïvement que Arsinoé témoigna toujours à ses enfants adoptifs une tendresse maternelle, et que c’est la raison pour laquelle Évergète, reniant sa mère criminelle, se dit fils de sa mère adoptive.

[58] On ne peut utiliser comme indication chronologique précise le texte d’Hermippos (ap. Diogène Laërte, V, § 78), d’après lequel Démétrios fut relégué et interné après la mort de Soter. Sa disgrâce peut avoir été un des premiers actes de Philadelphe ou — ce qui me parait plus probable — l’œuvre d’Arsinoé écartant préalablement un censeur. Il mourut de la morsure d’un aspic ; par accident, suivant Hermippos, par ordre du roi, suivant Cicéron (Pro Rab. Post., 9).

[59] C’est le thème de Théocrite (XVII, 131-134), qui, plus tard, brouillé avec la cour d’Alexandrie, décocha une pointe à « la femme aux trois maris s (XII, 5). Callimaque dut aussi payer son écot poétique et composer un épithalame : Άρσινόης, ώ ξεΐνε, γάμον καταβάλλομ' δείδειν (fr. 196). Allusion à ce mariage dans l’Ύποβολιμαΐος d’Alexis (fr. 139 Meineke). Du reste, les railleurs furent invités à la prudence par l’exemple de Sotade, qui paya de sa vie un mot plus risqué que spirituel sur ce sujet délicat (Athénée, XIV, p. 621 a). Cf. Plutarque, De liber. educ., 14. Quæst. Symp., IX, I. Lucien., Icarom., 15). Les protestations des moralistes se retrouvent dans un petit nombre de textes (Lucain, Pharsale, VIII, 692-696. Pausanias, I, 7, I. Hérodien., I, 3, 3). Cf. Ps. Manéthon, Apotelesm., V, 202-209. Incerta Ægyptus (Sénèque, Oct., 520).

[60] Agatharch. ap. Athénée, XII, p. 550 b-c.

[61] Polyen (II, 28, 1) raconte que Magas, avant de quitter Cyrène, mit des amis sûrs dans la citadelle et fit raser les créneaux des murailles, pour pouvoir rentrer en cas de sédition.

[62] Il faut dire que, les monnaies avec ΒΑΣΙΑΛΕΩΣ ΜΑΓΑ n’étant pas datées, c’est là une conjecture.

[63] Ehrlich (De Callim. hymn., p. 18) suppose gratuitement qu’Arsinoé I, du fond de son exil, excita Magas contre Philadelphe. Il y a loin de Koptos à Cyrène. C’est un débris de l’hypothèse de Niebuhr, imaginant qu’Arsinoé I s’était réfugiée à Cyrène et y avait épousé Magas (cf. Justin, XXVI, 3, 3. Hyginus, Astr. Poet., II, 24).

[64] Köhler (SB. d. Berl. Akad., 1895, p. 969-70) suppose qu’il y avait accord, mais que Magas se mit en campagne trop tôt. Ceci, contre l’ordre des faits dans Pausanias (I, 7, 3). Dans ce fouillis de conjectures, chacun se fraye une voie au juger.

[65] Pausanias, notre seul garant, mentionne l’exécution des deux princes après le mariage d’Arsinoé II et avant la défection de Magas (I, 7, I). Avec un auteur de style moins lâche, la mention né d’Eurydice pour le second frère signifierait qu’Argæos était fils de Bérénice. Quant à l’inconnu, — qui a pu intriguer à Cypre sans en être gouverneur, — Champollion voulait que ce fût Méléagre, l’ex-roi de Macédoine, déposé en 279. De même, Gutschmid. Tout ce qu’on peut dire, c’est que, dans notre système (et non pas dans celui de Droysen), la chronologie ne s’y oppose pas. On a supposé une défection réelle de Cypre (cf. l’omission de Cypre dans Théocrite) et placé le fait à des dates très diverses.

[66] Cf. l’inscription hiéroglyphique des prêtres de Pe et de Tep.

[67] Polyen, II, 28. Polyen parle d’un stratagème qui consistait à élever un feu ami soir et matin, à partir de Parætonion. La ruse avait sans doute pour but de tromper les Bédouins de Marmarique. Τό Χϊ est pour Χειμώ κώμη (Geogr. Min., II, p. 430 Müller), ou un autre endroit, en forme de X, à l’O. de Taposiris (Sethe in Pauly-W’s R.-E., s. v. Chi).

[68] Pausanias, I, 7, 2.

[69] Callimaque, In Del., 171. Schol., ibid. Le scoliaste rapporte que ces Gaulois avaient été expédiés en Égypte par un certain Antigone, ami de Philadelphe, et que, pour avoir voulu piller les trésors du roi, ils avaient été mis à mort dans la Bouche Sébennytique du Nil. Ce texte, insignifiant pour qui le prend à la lettre et voit dans ce certain Antigone un simple agent recruteur (Lumbroso, Rannow, Weinberger, Ehrlich), — peut-être l’Άντίγονος ό Μακεδών que Ptolémée Soter avait envoyé au secours des Rhodiens en 304 (Diodore XX, 98), — a obligé à des tours de force les érudits qui reconnaissent là le roi de Macédoine, Antigone Gonatas (Droysen, Wachsmuth, Kœpp, Buecheler, Couat, Haeberlin, etc.). Comme Antigone avait enrôlé des Gaulois pour reconquérir son royaume sur Antipater (Polyen, IV, 6, 17), on suppose qu’il en avait écoulé ensuite une partie en Égypte ; mais le difficile est de trouver une époque où Antigone a pu être l’ami de Philadelphe. Au temps où Antigone était en guerre avec Antiochos (280-279), une entente avec Philadelphe eût été possible ; mais, pour un enrôlement de Gaulois, la date est prématurée.

[70] Bellum quod inter Antigonum Gonatam et Antiochum Seleuci filium in Asia gestum est (Trogue-Pompée, Prol. XXIV). Justin (XXV, 1) ne parle que de la paix consécutive. Memnon (c. 18) dit vaguement que la guerre dura longtemps, et que les flottes de Nicomède et d’Antiochos se rencontrèrent sans engager le combat. On ne cite pas de bataille, navale ou autre. Droysen (III, p. 186, 2) suppose qu’Antigone battit la flotte syrienne et aborda en Asie et s’empara de villes grecques sur le littoral, par exemple, de Pitane, pour laquelle intercéda le philosophe Arcésilas (Diogène Laërte, IV, § 39). Mais ceci s’explique mieux par la victoire de Cos, remportée plus tard sur la flotte égyptienne.

[71] Le mariage parait avoir eu lieu, vers 217, en Macédoine (Vit. Aratos, p. 53 Westermann). Comme fille de Stratonice (cf. Dittenberger, 151 = Michel, 1295), Phila était la nièce d’Antigone. Suidas (s. v. Άρατος Σολεύς) confond cette Phila avec Phila, fille d’Antipater et mère d’Antigone.

[72] Pausanias, X, 20, 3.

[73] Cf. Pausanias, X, 30, 9 ; 32, 4. Nous ne pouvons que renvoyer, pour les invasions gauloises, en Grèce et en Asie, aux nombreuses histoires et études spéciales (Wernsdorf, Pelloutier, Ritter, Am. Thierry, Contzen, Robiou, Wieseler) que peuvent remplacer aujourd’hui les travaux récents de H. van Gelder, Galatarum res in Græcia et Asia gestæ usque ad medium sæculum secundum ante Christum, Amstelod., 1888. F. Stähelin, Gesch. der kleinasiatischen Galater bis zur Errichlung der röm. Provinz Asia, Basel, 1891. Cf. Gäbler, Erythræ, Berlin, 1892. Les sources anciennes ont été cataloguées et appréciées par Ad. Schmidt, De fontibus veterum auctorum in enarrandis expeditionibus a Gallis in Macedoniam atque Græciam susceptis, Berolin., 1834 (= Abh. z. alt. Gesch., p. 1-65. Leipzig, 1888), et, à un point de vue plus général, par H. d’Arbois de Jubainville, Cours de litt. celtique, tome XII, Paris, 1902.

[74] Marbre publié par P. Foucart (BCH., III [1879], p. 388 sqq.). Dittenberger, 159. Ch. Michel, 503. Ce texte sans date, n’offrant le nom de Léonnorios et de ses Barbares que par restitution, a provoqué toute espèce de conjectures. Il n’est pas évident : 1° que les Πτολεμαϊκοί soient des soldats égyptiens, et non un corps quelconque de mercenaires ainsi nommé pour une raison à trouver ; 2° que ces soldats égyptiens aient été un corps auxiliaire débarqué de la flotte, et non une garnison. Une garnison signifierait une occupation préalable, expliquée par une guerre entre Antiochos et Ptolémée (guerre de Syrie, hypothèse commune, sauf la date, à Droysen, Kœpp, Gäbler, Stähelin, etc.). Si ce sont des auxiliaires bénévoles, même en service commandé, la ville a pu prendre la dépense à sa charge. Quant à la date des faits visés, elle dépend de la restitution [τοϊς περί Λεον]νόριον βαρβάροις. Autrement, on pourrait, comme l’a fait J. Beloch, la transporter quarante ans plus tard et y voir un secours envoyé par Ptolémée III Évergète, vers 234, à Antiochos Hiérax contre ses mercenaires gaulois révoltés.

[75] Lucien, Zeuxis s. Antiochus, 8-11. Récit suspect et paradoxe de rhéteur. Les Gaulois ont une armée formidable, supérieurement organisée, avec chars à faux, etc., et Antiochos n’a qu’une poignée d’irréguliers. C’est le monde renversé.

[76] Appien, Syr., 65.

[77] Steph. Byz., s. v. Άγκυρα, d’après Apollonios d’Aphrodisias au XVIIe livre de ses Καρικά. Droysen (III, p. 265) édifie là-dessus une série de conjectures (mais à la date de 266) ; Philadelphe contre Héraclée, puis s’attaquant à Mithridate et Ariobarzane, s’alliant avec Philéta3ros de Pergame et installant un certain Eumène de Tios à Amastris, donnant le nom de Bérénice à Tios, etc. Kœpp accepte le système, sauf à faire observer que ce n’est pas Tios, mais Chios qui a pris le nom de Bérénice (Steph. Byz. s. v.), au temps de Mithridate Eupator. Si l’on veut retenir le fait matériel, on peut, puisqu’il est emprunté à une histoire des Cariens, le reporter en Carie (cf. Niese, II, pp. 79, 3. 129, 9).

[78] Sur cette guerre de Syrie, voyez Fr. Kœpp, Ueber die syrischen Kriege der ersten Ptolemäer (Rh. Mus., XXXIX [1884], p. 209-230). Kœpp a été le premier à ébranler le système de Droysen, qui faisait descendre la date initiale jusqu’en 266. Haeberlin (in Philol., L [1891], p. 696) tient encore pour Droysen, estimant Kœpp dûment réfuté par Rannow (Stud. Theocr., Berl., 1886).

[79] Le mariage a peut-être été l’occasion de la dédicace d’une statue de la reine Apama par les Milésiens (Haussoullier, Milet, etc., p. 60).

[80] Pausanias, I, 7, 3. Ce texte fondamental se plie à tous les systèmes. Quelles sont ces conventions violées par Antiochos ? Évidemment, une cession de la Syrie, consentie à Ptolémée Soter par Séleucos avant la bataille d’Ipsos, mais que Séleucos avait refusé d’exécuter ensuite et que Philadelphe avait invoquée pour reprendre la Syrie à la mort de Séleucos. Il n’y eut jamais d’autres conventions, et Kœpp n’est pas fondé à dire que, si Philadelphe avait repris la Syrie en 280, c’est lui qui aurait violé les traités.

[81] Il semble, d’après le contexte de Pausanias, que le mariage de Magas avec Apama, quoique propre à faire suspecter les intentions de Magas, ne fut pas considéré à Alexandrie comme un acte d’hostilité, mais plutôt comme une satisfaction accordée à Magas et un gage de paix avec Antiochos. S’il est vrai que Apama fût fille d’Antiochos et de Stratonice (Malalas, p. 195 et 203, éd. Bonn, la dit fille de Séleucos Ier) et qu’elle eût une sœur aînée (filiæ Stratonike et Apama, Eusèbe Arm., I, p. 249 Schœne), elle n’a guère pu être nubile avant 274 ou 275. Son identité est un thème à discussions. On ne connaît pas d’autre épouse légitime à Magas, et cependant deux auteurs prétendent que la mère de la fille unique de Magas (Bérénice II) s’appelait Arsinoé (Justin, XXVI, 3, 3. Hyginus, Astr. Poet., II, 24). De là l’invraisemblable hypothèse de Niebuhr. Le plus prudent est de supposer que Magas jugea à propos de substituer au nom exotique de sa femme celui d’Arsinoé.

[82] C’est cependant sur lui que repose le système de Kœpp : la Cœlé-Syrie et Phénicie appartenant à l’Égypte depuis 295 environ.

[83] J. N. Strassmaier (in Zeitschr. f. Assyriologie, VII [1892], p. 226 sqq.). C. F. Lehmann (ibid., p. 355). Sur les incertitudes de la traduction, voyez les obss. de Fr. Delitzsch et U. Wilcken dans Ehrlich (op. cit., p. 20-21). Strassmaier croyait reconnaître Sardes dans Sapardou ; mais il est impossible d’imaginer, dans cette hypothèse, que l’armée égyptienne fût de l’autre côté de l’Euphrate. Les dates d’après le comput chaldéen, partant de oct. 311.

[84] CISemit., I, p. 31 (Inscr. du sarcophage d’Eshmounazar II). P. Six, L’Ère de Tyr (Num. Chron., VI [1886], p. 97-113). Six rétablit comme suit les rois de Sidon-Tyr après Alexandre : Abdalonyme (332-320), Eshmounazar I (319-307), Tabnit (306-294), Eshmounazar II (293-280), Philoclès (280-267). Après 267, l’ère de Tyr est remplacée par les années de règne des Lagides, jusqu’en 228. Mon savant confrère, M. Clermont-Ganneau, a édifié sur la grande inscription du sarcophage d’Eshmounazar II des conjectures tout à fait séduisantes et bien liées. Il suppose que Philoclès, amiral égyptien, acquit des droits à la couronne de Sidon en épousant la reine-mère Amastoreth, sœur et veuve de Tabnit, et mère d’Eshmounazar II, auquel il succéda. La découverte toute récente des inscriptions de Saïda (Ph. Berger, Inscr. de fondation du T. d’Esmoun à Sidon, Mém. Acad. Inscr., XXXVII, 1902, p. 1-29) ayant fait connaître un nouveau roi, Bodastart, et soulevé des objections au système précité, M. Clermont-Ganneau s’en est habilement servi pour consolider ses hypothèses. La concurrence d’une branche cadette, représentée par Bodastart, aurait été la raison pour laquelle Amastoreth, reine et prêtresse d’Astarté, aurait pris pour époux et associé Philoclès. Un point — au moins — reste obscur, la condition de Tyr avant 274. Abdalonyme étant roi de Sidon pour Justin et Quinte-Curce, et roi de Tyr pour Diodore (XVII, 47), on admettrait volontiers que les deux villes étaient alors réunies ; mais il y a une objection grave, c’est que les rois de Sidon, Eshmounazar II, Bodastart (Bodastoreth) et Philoclès ne s’intitulent pas rois de Sidon et de Tyr.

[85] Dion. Hal., XX, 14. Tite-Live, Epit., XIV. Val. Max., IV, 3, 9. Justin, XVIII, 2, 9. Dion Cass., fr. 41 B. Zonaras, VIII, 6. Cf. Schneiderwirth, Politische Beziehungen zwischen Rom und Ægypten bis zu dessen Unterwerfung, Heiligenstadt, 1863. Schmid, Rom und Ægypten in ihren politischen Beziehungen vom Kriege mit Pyrrhus bis auf die Zeiten Konstantins, Gymn. Progr. Rottweil, 1870. P. Guiraud, De Lagidarum cum Romanis societate, Paris, 1879. H. Neuda, Ueber die politischen Beziehungen zwischen Rom und Ægyplen bis zur Thronbesteigung der Königin Kleopatra, Gymn. Progr. Krems, 1881. E. Bandelin, De rebus inter Ægyptios et Romanos intercedentibus usque ad bellum Alexandrinum a Cæsare gestum, Hal. Sax., 1893. C. F. Lehmann, Ptolemaios II und Rom (Beitr. z. alt. Gesch., II [1902], p. 347-348), émet l’hypothèse assez étrange que Ptolémée cherchait à Rome une garantie éventuelle contre Pyrrhos. Les préoccupations commerciales sont indiquées par le fait (contesté par M. Holleaux, Le prétendu traité de 306, in Mél. Perrot [Paris, 1903], p. 183-190) que, avant ou après le siège de Rhodes, les Rhodiens avaient traité avec les Romains (Polybe, XXX, 5, 6). On peut se demander si Philadelphe ne chercha pas à ce moment à nouer des intelligences avec les rois Indiens, auprès desquels on rencontre un Dionysius a Philadelpho missus (Pline, VI, § 58). C’est environ dix ans plus tard que le célèbre Açoka Piyadasi commence sa propagande bouddhique et se vante d’avoir converti ses voisins d’Occident, cinq rois, parmi lesquels Tourhmaya (Ptolémée) et Maka (Magas). Cf. E. Senart, Les inscriptions de Piyadasi (Journ. Asiat., 1881-1883). J. Vahlen, in SB. der Berl. Akad., 1888, p. 1383.

[86] Stèle du Louvre (Clarac, II, pl. 242, nr. 406). Cf. E. Révillout in Rev. Égypt., I [1880], p. 183-187. Wiedemann, in Rhein. Mus., XXXVIII [1883], p. 391. Kœpp (ibid., XXXIX [1884], p. 217, 1). Ehrlich (De Callim. hymn., p. 23-24). Wiedemann rapportait ce texte à la guerre contre Magas et au massacre des mercenaires gaulois : même en tenant compte des hyperboles traditionnelles, ce serait un incident bien mince pour un tel rapport, qui, du reste, indique formellement l’Asie comme théâtre de la guerre.

[87] Nous éliminons de la guerre de Syrie la prise de Caunos par Philoclès, que Droysen y intercalait (à la date de 266) et confondait avec la capture de Sotade à Caunos par Patroclos.

[88] Polyen, IV, 15.

[89] P. Foucart in BCH., IX (1885), p. 388 sqq. = Michel, 486. Cf. Haussoullier, Milet, p. 67-69. Inscription à dater après 266, à cause de la mention du co-régent Antiochos II. Milet ne fut reconquise que par Antiochos II. C’est probablement dans cet intervalle que fut bâti le gymnase Ptolémteon et que le culte d’Osiris fut introduit à Didymes, où la reine Philotéra, sœur de Philadelphe, eut sa statue (Haussoullier). Il est impossible de dater les inscriptions qui mentionnent un portique consacré par Halicarnasse à Apollon et au roi Ptolémée (Michel, 595), un cadran solaire d’Héraclée du Latmos dédié au roi Ptolémée (Milet, p. 67), ou qui font allusion à l’insécurité du littoral (inscr. de Bargylia, Michel, 451). Il est question de Priène libérée par Antiochos (S. Empir., Adv. Cf., p. 293), c’est-à-dire reprise sur les Égyptiens (?). C’est ici que Droysen place l’aide prêtée par les Πτολεμαϊκοί aux Érythréens. Quant à l’attaque de la flotte sur la Perse (?), d’où le roi rapporte les images des dieux égyptiens, c’est une flatterie sacerdotale qu’il faut laisser à la stèle de Pithom (lig. 11-12, avant l’an XII).

[90] La date si controversée de l’Idylle XVII devient presque certaine si l’on admet que Arsinoé II, vivante au moment où Théocrite écrivit la pièce en question, est morte en 270, ce qui sera démontré ci-après.

[91] Le sens de άποτέμνεται est controversé. Le scoliaste traduit par χωρίζεται qui n’est pas plus clair. Une possession partielle de la Phénicie étonne quelque peu ; mais il faut se souvenir que Sidon et Tyr étaient officiellement indépendantes. Arados, au N. de l’Éleuthéros, parait avoir été adjugée au Séleucide.

[92] L’omission de Cypre a donné lieu à toute espèce de conjectures : lacune (Niebuhr) ; Συρίας à remplacer par Κύπρου τε (Voss) ; Cypre comprise dans la Pamphylie (cf. Dion. Perieg., 808 : Gercke) ; ou même, défection momentanée de Cypre (Buecheler) ; rédaction plus ancienne du poème, etc. C’est vraiment trop exiger d’un poète, qui ne croyait pas rédiger un document historique et un titre de propriété. L’énumération des pays légués par Philadelphe à son successeur figure dans l’inscription d’Adulis (ci-après), et Cypre n’y a pas été oubliée. Mais, en revanche, l’Arabie, l’Éthiopie, la Pamphylie, ont disparu, et c’est un nouveau sujet de discussions. Il est fait mention, sans date, d’une expédition armée de Philadelphe en Éthiopie dans Diodore (I, 31). La meilleure raison qui ait été donnée (Haeberlin) de l’omission de Cypre et de Cyrène dans Théocrite, c’est que Cypre et Cyrène n’ont pas été plus mentionnées que l’Égypte elle-même, et pour le même motif.

[93] Athénée, V, p. 203 d.

[94] On en concluait généralement, avec Brugsch, Droysen et autres, que le mariage avait eu lieu en 270, et que l’apothéose était un cadeau de noces (cf. Droysen, in SB. d. Berl. Akad., 1882, p. 227). En 1895, Strack évite encore de se prononcer : L’année de la mort d’Arsinoé, dit-il (p. 193), est incertaine ; tout ce qui parait être assuré, c’est qu’elle mourut avant Philadelphe, cf. Pausanias, 1, 7, 3. Même en 1897, Kœhler (SB. d. Berl. Akad., p. 977) supposait Arsinoé morte après la guerre de Chrémonide.

[95] Ce nouveau texte termine la ligne 11 et est suivi d’une lacune au commencement de la ligne 12. Il est cité par H. von Prott (in Rh. Mus., LIII [1898], p. 464, 1) d’après F. von Bissing, par Mahaffy (History, p.74-79) d’après the late Mr. Wilbour. Je puis ajouter à ces autorités celle de M. Maspero, qui a bien voulu vérifier le texte sur la pierre et m’en adresser du Caire (à la date du 15 nov. 1902) la traduction littérale, en confirmant le sens réel de ce pathos sacerdotal. Il ne peut y avoir aucun doute, écrit mon éminent confrère, en présence d’un texte aussi formel : c’est la formule employée depuis les époques les plus anciennes pour indiquer par euphémisme la mort d’un roi. Arsinoé morte est traitée de la même manière que Amenemhatt Ier ou Thoutmôsis III ou tous les autres Pharaons dont on dit qu’ils sont sortis ou qu’ils se sont envolés vers le ciel, et qu’ils se sont unis au dieu Soleil, père de leur race.

[96] Voyez J. N. Svoronos, Les monnaies de Ptolémée II qui portent dates (Rev. Belge de Num., 1901, pp. 263-298, 387-412).

[97] Stèle de Mendès, lig. 11-13. Le roi est représenté faisant hommage au Bélier, derrière lequel sont rangées plusieurs divinités, et Arsinoé au bout de la série. A Pithom, disposition analogue ; en double série, Arsinoé en Isis derrière la rangée des dieux.

[98] Stèle de Pithom, lig. 21. On remarque que, sur cette stèle, Arsinoé a deux cartouches, comme les rois et les reines régentes. A la suite, il est fait mention d’une expédition, conduite par un stratège sur la mer Arabique et aboutissant à la fondation de Ptolémaïs Épithéras.

[99] Nous traiterons ailleurs les questions relatives au culte égyptien et au culte grec des souverains Lagides. Voyez, pour les dédicaces de statues à la déesse Arsinoé Philadelphe dans les villes grecques, les inscriptions réunies par M. L. Strack, p. 223-224.

[100] Le Papyrus des Revenus, de l’an 27, portait comme suscription : βασιλεύοντος Πτολεμαίου τοΰ Πτολεμαίου καί τοΰ υίοΰ Πτολεμαίου (col. I, I et col. 24) : mais, à la col. I, la formule a été corrigée, pour en faire disparaître le corégent, dont c’est la dernière mention (Grenfell et Mahaffy, Revenue Laws of Ptolemy Philadelphus, Oxford, 1896).

[101] La question a été posée en 1880 par la publication de papyrus démotiques (Pap. du Louvre, 2424, 2433, 2443, etc. ; le plus ancien, de l’an 19) portant la suscription : en telle année, tel mois du roi Ptolémée et de Ptolémée son fils (Révillout, in Rev. Égyptol., I, p. 2 sqq.). La formule a été retrouvée depuis dans les papyrus grecs (Petr. Pap., II, 26, et le Revenue Papyrus) et les ostraka. Révillout avait imaginé d’abord qu’il s’agissait de Ptolémée Soter, dont le père aurait eu pour nom Ptolémée et pour sobriquet Lagos. Mais on ne peut admettre qu’un sobriquet soit devenu le nom patronymique de la dynastie. Wiedemann (in Rhein. Mus., XXXVIII [1883], p. 384 sqq.) émit l’opinion (approuvée par Strack et Mahaffy) que le co-régent était Ptolémée Évergète, adopté par Arsinoé lors de son mariage et associé par Philadelphe pour prévenir des compétitions au cas où Arsinoé II aurait eu des enfants. La précaution étant devenue inutile lorsque Arsinoé fut morte &mot, la co-régence aurait disparu alors. Krall (SB. d. Wien. Akad., 1884, p. 347 sqq.) fut d’avis (approuvé par Wilcken et Ehrlich) que cette co-régence avait dû être établie, à l’état de fiction légale, au profit d’un fils mineur d’Arsinoé II, laquelle se serait résignée à adopter les enfants d’Eurydice après le décès du sien, mort en bas âge. Gercke (in Rhein. Mus., XLII [1887], p. 272-3), persuadé que Théocrite avait signalé comme adultérins les enfants d’Arsinoé I (cf. ci-dessus, p. 97, 3), jugea que le co-régent devait être un fils bâtard de Philadelphe, celui qui se révolta plus tard à Éphèse (Athénée, XIII, p.593 a), de connivence avec Timarque. Opinion acceptée par Haeberlin et Bevan. Enfin, H. von Prott (in Rhein. Mus., LIII [1898], p. 470-4 : de même Wilhelm et Beloch), modifiant cette hypothèse, suppose que le révolté en question n’était pas un fils, soit légitime, soit binard, de Philadelphe, mais le fils acné de Lysimaque, que sa mère Arsinoé II avait amené à Alexandrie et fait adopter par Philadelphe comme fils Biné, ayant le pas sur Ptolémée Évergète (!). Ce Ptolémée aurait succédé, en vertu des droits acquis, à sa mère, aussitôt après la mort d’Arsinoé II, dès 270/69. Un roi qui préfère à son héritier légitime tantôt un bâtard, tantôt un fils de sa femme, est bien étonnant. Plus étonnant encore est ce co-régent qui, héritier du trône d’Égypte, court sottement à sa perte. Entre tant de systèmes, nous admettrons, avec Wiedemann, que le co-régent était bien Ptolémée Évergète, et, avec Mahaffy (Revenue Laws, p. XXII-XXVI), que Ptolémée cessa d’être co-régent lorsqu’il fut fiancé avec Bérénice et virtuellement roi de Cyrène.

[102] Voyez ci-après (ch. VII) les inscriptions d’Adulis et de Canope.

[103] Il serait bien étonnant qu’un fils d’Arsinoé II et de Philadelphe ait passé inaperçu, et que le scoliaste de Théocrite ait pu dire qu’Arsinoé Il adopta les enfants de la première Arsinoé parce qu’elle-même n’eut pas d’enfants de son mariage avec Philadelphe (Schol. Théocrite, XVII, 128).

[104] Suidas (s. v. Καλλίμαχος) dit que Ptolémée Évergète inaugura son règne l’an 2 de la 127e Olympiade, c’est-à-dire en 270, l’année de la mort d’Arsinoé II. Il est possible que ce soit une erreur (ρκζ' au lieu de ρλγ') : mais on peut aussi en conclure, avec Wiedemann, que Suidas a recueilli une tradition historiquement — sinon officiellement — vraie. En tout cas, l’association au trône, une fois effectuée, put être antidatée.

[105] Athénée (XIII, p. 576 e-f) en énumère un certain nombre, Didyme, Bilistiché, Agathocléia, Stratonice, Myrtion, et ajoute καί άλλας δέ πλείστας, έπιρρεπέστερος ών πρός άφροδίσια. Plus loin, il cite encore Kleino, Mnésis et Potheine, l’une et l’autre joueuses de flûte. H. von Prott (op. cit. p. 465, en note), lisant dans la stèle de Pithom une de ces expressions équivoques qui représentent comme vivante la sœur du roi, sa royale épouse (lig. 23), est tenté de supposer que Philadelphe a pris une troisième épouse après la mort d’Arsinoé. C’est vraiment trop de conjectures à la fois. Mahaffy (History, p. 87) s’étonne que le roi n’ait pas épousé sa sœur Philotéra. Mais, était-elle encore vivante ? L’association de Philotéra à Arsinoé dans l’apothéose (Schol. Théocrite, XVII, 121 : stèle de Pithom, lig. 21) peut être aussi un honneur posthume.

[106] Pausanias, V, 8, 11. Cf. Afric. ap. Eusèbe, I, p. 207. Clément Alex., Protrept., IV, 48 (où elle est appelé Βλίστιχις). FHG., III, p. 187. Cette Bilistiché (aux dépens de laquelle le phlyacographe Sotade fit encore rire la galerie είς Βελεστίχην. Suidas, s. v. Σωτάδης Μαρωνείτης) parait avoir pris des allures de reine. D’après Plutarque (Amator., 9) c’était une βάρβαρος έξ άγοράς γυναϊον ; mais, à Olympie, elle passait pour originaire έκ Μακεδονίας τής έπί θαλάσση (Pausanias ibid.). Athénée (XIII, p. 596 e) la dit Argienne et d’illustre origine, descendante des Atrides. Elle eut, par ordre du roi amoureux, dit Plutarque, un culte et des temples, comme Aphrodite Belestiché. Arsinoé n’était pas oubliée ; au contraire, elle servait d’original à ces copies.

[107] Athénée, X, p. 425 f.

[108] Athénée, VI, p. 256 f. Sur le sujet, voyez Niebuhr, Ueber den Chremonideischen Krieg, Berlin, 1826 (Kl. Schr., I [1828], p. 451-453) ; Droysen, III, p. 219-240. J. Beloch, Zur Chronologie des Chremonideischen Krieges (Beitr. z. alt. Gesch., II, 3 [1902], p. 473-476). Cf., sous le même titre, les retouches proposées par C. F. Lehmann (ibid., III, 1 [1903], p. 170-1). Niese (II, p. 130-131) est ici à la fois sommaire et confus. Il suppose gratuitement qu’Antigone, durant la guerre de Syrie, s’allia avec Antiochos, et que la guerre égypto-macédonienne se greffa ainsi sur l’autre, sans interruption.

[109] Polyen, V, 17. Pausanias, I, 29, 10. Droysen (II, p. 560) place le fait en 293, en récusant l’assertion de Polyen (Δημήτριος περί  Λυδίαν ήν) ; mais cette indication chronologique oblige à descendre jusqu’à 287/6. Cf. Willamowitz (Philol. Untersuch., IV, p. 231, 63).

[110] CIA., II, 332 = Dittenberger, 163 = Michel, 130. Date, 9 Métagitnion de l’archontat de Peithidémos (août 266, d’après J. Beloch).

[111] Cette expression paraissait attester qu’Arsinoé II était encore en vie. Elle montre, au contraire, que Ptolémée se conforme la volonté, rendue irrévocable par la mort, de la reine défunte, mise à côté des ancêtres.

[112] Il fut un temps où Munychie et le Pirée étaient aux mains d’Hiéroclès, ό έπί τοΰ Πειραιώς (Diogène Laërte, II, § 127), ό τήν Μουνυχίαν έχων καί Πειραιά (id., IV, § 39), monté en grade depuis l’affaire de 287/6 (ci-dessus, p. 91). D’autre part, Pythermos (ap. Athénée, II, p. 44 c) έν τοϊς Πειραιώς τυραννεύουσι καταγράφει καί Γλαύκωνα ύδροπότην. Buveur d’eau était à peu près, pour le peuple, synonyme de stoïcien. Comme on rencontre un Glaucon Athénien, fils d’Étéocle, vainqueur à Olympie (Pausanias, VI, 16, 7. Cf. CIG., II, 231), et que Chrémonide est aussi fils d’Étéocle et associé à Glaucon dans la liste des bannis énumérés par Télés (ap. Stobée, Floril., II, p. 66 Meineke), la conclusion tirée par Droysen (III, p. 220, 1), à savoir que Chrémonide et Glaucon étaient deux frères, est tout à fait légitime.

[113] Ælien, V. Hist., VII, 14. Suivant Droysen (III, p. 222, 1), Zénon était mort avant la guerre, due à la disparition de ce conseiller pacifique. Mais Beloch fixe entre juillet et novembre 362 la mort du philosophe, qui put encore rendre des services aux assiégés.

[114] Pausanias, III, 6, 4.

[115] Pausanias, I, 1, 1.

[116] Il est impossible d’accommoder, d’une façon satisfaisante, les textes de Trogue-Pompée et de Justin Pour l’un, il s’agit de Gaulois qui font défection : Ut defectores Gallos [Antigonus] Megaris delevit (Trogue-Pompée, Prol. XXVI). Justin (XXVI, 2) en fait une nouvelle armée ennemie, venue de la Gallo-grèce avec femmes et enfants, et anéantie par un effroyable massacre. Aucune indication de lieu. On apprend seulement qu’Antigone attaque les Gaulois, in speciem castrorum parva manu adversus celeros relicta, et qu’ensuite, avec son armée victorieuse, bellum Atheniensibus infert. Jusque-là, Justin ne lui connaît d’autres adversaires que Ptolémée et les Spartiates. Cf. Polyen, IV, 6, 3.

[117] Pausanias, III, 6, 5.

[118] Pythermos ap. Athénée, VIII, p. 334 a-b.

[119] Justin, XXVI, 2, 9.

[120] Ptolémée avait dû songer aussi aux Étoliens, éternels ennemis de la Macédoine. C’est vers cette époque qu’a pu être fondée Arsinoé à l’embouchure de l’Achéloos (Strabon, X, p. 460), à la place de l’ancienne Conopa.

[121] Justin, XXVI, 2, 10-12. Cf. Eusèbe Arm., I, p. 243 Schœne ([Pyrrhus pour Pyrrhi filius] Derdiæ a Demetrio Antigoni filio rebus quoque privatur). On ignore où était Derdia, et il est fort probable que ce Démétrios n’était pas le fils, comme le disent Justin et Eusèbe, mais un frère d’Antigone, très probablement, suivant Droysen (III, p. 231, 3), Démétrios le Beau, alors âgé d’une vingtaine d’années. Le fils d’Antigone et de Phila était encore un enfant.

[122] [Ut Antigonus] regem Lacedæmoniorum Area Corinthi interfecit (Trogue-Pompée, Prol. XXVI). Cf. Plutarque, Agis, 3. En mai 265, selon Droysen (d’après Diodore, XX, 29) ; été 264, suivant Beloch. Je ne vois pas pourquoi Droysen place la bataille de Cos avant la mort d’Areus (III, p. 235-231).

[123] Pausanias, I, 30, 4. Droysen se sert, pour déterminer la date de la capitulation, d’une anecdote concernant la mort du comique Philémon, laquelle aurait précédé de fort peu la prise d’Athènes et aurait eu lieu dans l’été de 263. C’est une base fragile ; mais il n’y a pas d’objection péremptoire. On sait que les Athéniens résistèrent très longtemps (Pausanias, III, 6, 6), et trois ans ou plus (de 266 à 263) ne sont pas de trop pour justifier l’expression.

[124] Suidas, s. v.

[125] C’est ici (d’accord avec Droysen pour la date, mais non pour les circonstances) qu’on peut placer la capture, à Caunos, du poète Sotade, à qui Philadelphe n’avait pas pardonné ses plaisanteries sur Arsinoé et Bélestiché. Droysen rapprochait de force deux textes qui n’ont en commun que le nom de Caunos. Il est question dans l’un (Polyen, III, 16) de la prise de Caunos par Philoclès ; dans l’autre (Hegesandr. ap. Athénée, XIV, p. 621 a) de la capture de Sotade par Patroclos, έν Καύνω τή νήσω. Comme Caunos n’est pas une île, on a proposé la correction έν Κύπρω (H. van Gelder). Sotade fut noyé dans une caisse de plomb, d’après Hégésandre ; d’après Plutarque (De lib. educ., 14), il végéta des années en prison. On peut concilier ces textes, à la manière connue, qui dispense d’opter. Mais on ne comprendrait guère un supplice aussi cruel, infligé après des années de captivité.

[126] Plutarque, De se ips. laud., 16. Apophth. Antig., 2. Quæst. Symp., V, 3, 2. Athénée, V, p. 209. Diogène Laërte, IV, § 39. Rien de précis dans ces données : on ne sait même pas où était Leucolla. Quant à la date, Droysen la place en 265, deux ans avant la prise d’Athènes. Ehrlich (p. 28) estime que Philadelphe n’aurait pas abandonné les Athéniens, s’il n’avait été battu lui-même avant la fin du siège. Il est tout à fait invraisemblable qu’Antigone se soit aventuré ainsi avant d’être maître d’Athènes, et même avant d’avoir recouvré son royaume. Cf. Willamowitz (Phil. Unters., IV, p. 227). Holm (Gr. G., IV, p. 265-266). J. Beloch, Die Schlucht bei Kos (Beitr. z. alt. Gesch., I [1902], p. 289-294), fait descendre la date jusque vers 254/3. Il a, en tout cas, démontré que la bataille de Cos ne peut avoir été livrée ni avant, ni durant la guerre de Chrémonide.

[127] Callimaque, In Del., 160-190.

[128] Athénée, V, p. 209 e. Tétradrachme de Cnide (ΑΝΤΙΓΟΝΟΥ ΒΑΣΙΑΕΩΣ), à l’effigie de Poseidon ; au revers, Apollon archer assis sur la proue d’une trière. Il appartient plus probablement à Antigone Gonatas (Imhoof-Blumer) qu’à Antigone Doson (Head). C’est peut-être à ce moment que les Cnidiens consacrèrent un τέμενος à Antigone (fils d’Épigone = fils de l’épigone Démétrios ?) et à son épouse (Kaibel, Epigr. gr., 781). H. Usener (Ein Epigramm von Knidos, in Rh. Mus., XXIX [1874], p. 25-50) rapporterait plutôt l’inscription au temps où Antigone avait traité avec Antiochos et stipulé l’autonomie des villes d’Asie-Mineure, stipulation plus que problématique. J. Beloch rejette absolument l’identification d’Antigone fils d’Épigone avec Antigone Gonatas.

[129] Les offrandes d’Antigone ne commencent qu’après l’année 265. Il n’est point étonnant non plus que les présents de Stratonice, sœur et belle-mère d’Antigone, soient voisins et contemporains de ceux d’Antigone lui-même (Homolle, Archives, p. 60. Cf. BCH., IV [1880], p. 211). Ils datent de 252 (archontat de Phanos).

[130] Comme le Mon. Adulit. ne mentionne pas la Cilicie et la Pamphylie parmi les provinces léguées à Ptolémée III Évergète par son père, alors qu’elles figurent dans l’énumération de Théocrite (ci-dessus), on a supposé qu’elles avaient été perdues dans cette guerre. Mais on ne voit pas au profit de qui, et une inscription que l’on ne connaît que par le carnet de Cosmas Indicopleustès n’est pas un document d’où l’on puisse tirer des preuves négatives. Gercke pense que le Séleucide a repris au Lagide, vers cette époque (265), le littoral de l’Ionie : mais il n’est pas démontré que les villes ioniennes aient été alors sous la domination égyptienne.

[131] Droysen (III, p. 235, 3) propose de placer ici une mission d’un Sostratos (de Cnide ?) envoyé par un Ptolémée (II ?) auprès d’un Antigone (Gonatas ?) auquel il adresse les menaces voilées d’Iris à Poseidon (Homère, Iliade, XV, 201-203) : sur quoi Antigone finit par céder (S. Empir., Adv. Gramm., II, p. 106 Lips.). Rien de plus incertain, bien que Willamowitz (Phil. Untersuch., IV, p. 228) approuve sans réserve cette conjecture, rejetée par Niese (II, p. 131, 4).

[132] Antiochos avait été paralysé, durant la guerre de Chrémonide, par de cruelles épreuves. Son fils aîné, Séleucos, qu’il avait associé au trône — sans doute au temps et à cause de la première guerre de Syrie — avait conspiré contre son père. Du moins le père le crut et mit à mort Séleucos (Trogue-Pompée, Prol., XXVI. Jo. Antioch. fr. = FHG., IV, p. 558), remplacé comme co-régent par Antiochos II à partir de 266. Plutarque (Fort. Alex., II, 9) aurait bien dû ne pas classer Antiochos Ier, à côté de Philadelphe, parmi les princes qui vieillirent au sein de la félicité. Le sophiste Libanios (d’Antioche) ignore l’histoire de son pays au point d’affirmer qu’Antiochos Ier n’eut aucune guerre à soutenir, vieillit heureux, et transmit son royaume intact à son fils, lequel eut aussi un règne tout pacifique (I, p. 306 Reiske).

[133] Dans le système de Droysen, — exagéré encore par Ehrlich, — Antigone, avant la bataille de Cos, n’avait plus que sa flotte. La Macédoine et la Thessalie étaient occupées par Alexandre d’Épire ; l’Eubée avait fait défection, à l’instigation d’Alexandre, fils de Cratère, et Athènes tenait toujours. Et Philadelphe aurait donné partie gagnée à un adversaire aussi aventuré, sans faire le moindre effort pour dégager au moins les Athéniens ! Cela est absolument inadmissible.

[134] Voyez le chapitre suivant.

[135] Pline, VI, § 183.

[136] Appien, Sicil., 1. Le texte d’Appien contient deux indications qui ne peuvent convenir au temps de Ptolémée Soter, à savoir : 1° que les Romains sont en guerre avec les Carthaginois ; 2° qu’ils n’ont pas encore de marine. Il faut donc que τόν Πτολεμαΐον τοΰ Λάγου soit un anachronisme, imputable peut-être à quelque glossateur. On ne compte plus les méprises causées par l’homonymie des Ptolémées. Les deux conditions indiquées par Appien ne se rencontrent qu’au début de la première guerre punique. Dès 260, C. Duilius battait la flotte carthaginoise à Mylæ (Polybe, I, 20-24).

[137] Sur sa mort, voyez ci-après (ch. VII, § 2) les détails donnés par Phylarque et attribués aussi à la mort d’Antiochos Hiérax.

[138] C’est à Philadelphe, à Antigone, à Byzance, etc., que Nicomède Ier de Bithynie confia en mourant (vers 260 ?) la tutelle de ses enfants (Memnon, 22). Il prenait ses précautions contre Antiochos.

[139] Eusèbe Armen., I, p. 249 Schœne. La date de ce mariage est inconnue. Démétrios II, né d’un mariage conclu en 279, pouvait approcher de vingt ans en 259.

[140] Cf. Polyen, IV, 16. On a contesté que cet Antiochos, assisté au siège de Cypséla par de nombreux eupatrides thraces, fût Antiochos II, et non pas Antiochos Hiérax. Il suffit de lire Polyen pour voir que les trois paragraphes (IV, 15-17) sont consacrés à trois Antiochos différents, et dans l’ordre de succession.

[141] Memnon, 23. Don de 500 artabes de blé, envoyés d’Égypte aux Héracléotes (Memnon, 25). Au rapport de Denys de Byzance, Philadelphe fournit aux Byzantins du blé, de l’argent et des armes, et ceux-ci lui élevèrent un temple sur la côte de Péra, au Palinormikon (Dion. Byz., fr. 41). On ne voit pas trop en quelle autre occasion ils auraient eu besoin des libéralités de Philadelphe. Droysen (III, p. 206-7) veut qu’il y ait eu siège effectif, et il y fait jouer un rôle à un certain Léonide ou Léonidas (FHG., IV, p. 377) que d’autres identifient à Léon, l’ami de Phocion (Plutarque, Phoc., 14). On ne peut guère songer au Léonidas qui était au service de Ptolémée Soter cinquante ans plus tôt (Suidas, s. v. Δημήτριος).

[142] Cf. Head, p. 666. Point d’explications dans les auteurs. Strabon (XVI, p. 754) ne parle que des privilèges accordés aux Aradiens par Séleucos II Callinicos. Peut-être Ascalon était-elle ralliée aussi aux Séleucides au début du règne d’Antiochos II (E. Babelon, Les rois de Syrie, p. 28), ce qui est au moins douteux.

[143] On ne peut fixer aucune date, ni pour le commencement, ni pour la fin de cette seconde guerre de Syrie (voyez ci-après).

[144] Άπολέμητον γενόμενον καί τρυφώντα κατάσαρκον κτλ., empiffré et asthmatique (Agatharch. ap. Athénée, XII, p. 550 c).

[145] Per idem tempus rex Cyrenarum Magas decedit, qui ante infirmitatem [avant sa dernière maladie] Beronicam, unicam filiam, ad finienda cum Ptolemæo fratre certamina, filio ejus desponderat (Justin, XXVI, 3, 2). Il est excessif de prétendre que Justin parle ici de nouvelles hostilités entre Philadelphe et Magas, lequel aurait été contraint par les armes de signer le pacte matrimonial (cf. Niese, II, p. 243, 6). Ces certamina duraient depuis longtemps, et n’avaient jamais été réglés à l’amiable.

[146] Encore un nid de controverses. Le seul fait considéré comme intangible est que Magas régna cinquante ans à Cyrène (Agatharch. ap. Athénée, XII, p. 550 b). Mais à partir de quelle date ? Nous avons admis plus haut, avec la grande majorité des érudits (Thrige, Droysen, Merkel, Willamowitz, Studniczka, Kœpp, Vahlen, Kœhler, Mahaffy, Ehrlich, Kærst, H. von Prott), la date de 308, ce qui met la mort de Magas en 259/8. Ce calcul est corroboré par l’Eusèbe Arménien (I, p. 237 Schœne), qui place la mort de Démétrios le Beau en Ol. CXXX, 2 (259/8). Mais on a trouvé singulier que Bérénice soit restée fiancée à Ptolémée Évergète de 260 à 247 environ. Niebuhr (Kl. Schr., I, p. 236 sqq.) a corrigé le chiffre d’Eusèbe en Ol. CXXXII, 2 (251/0) et fait dater le règne de Magas de 302, attendu que Diodore, dont le livre XX finit avec l’année 302, ne cite même pas le nom de Magas. Droysen, hésitant entre les deux systèmes, accepte 258 pour la mort de Magas et 251/0 pour celle de Démétrios. Celui-ci aurait eu tout le temps d’accomplir les exploits qu’Eusèbe attribue par erreur à Démétrios II, fils d’Antigone Gonatas (FHG., III, p. 701 = p. 238 Schœne). Gercke invoque à l’appui du système de Niebuhr toute espèce d’arguments. Ophellas ne s’est pas insurgé contre son suzerain en 312 ; l’insurrection s’est produite plus tard, vers 303, et n’a été domptée au bout de cinq ans par Magas qu’après la bataille d’Ipsos (Pausanias, I, 6, 8). Magas était, du reste, trop jeune en 308, et le roi hindou Açoka le dit encore régnant en 251. Donc, Magas n’a commencé à régner qu’en 300 au plus tôt, peut-être même en 296, et sa mort a précédé de peu celle de Philadelphe. Tous ces arguments sont réfutables et ont été réfutés. Si Açoka a régné à partir de 266 environ (Vahlen), il a pu parler de Magas avant 258, ou n’être pas informé de sa mort. La date de la mort d’Ophellas (308) n’est pas contestée, et elle s’accorde parfaitement avec la chronologie d’Eusèbe. C’est le cadre du règne de Magas.

[147] Nous avons déjà signalé la méprise de Justin, qui appelle Arsinoé la mère de Bérénice (XXVI, 3, 3), et l’hypothèse de Niebuhr, qui identifie cette Arsinoé avec la première femme de Philadelphe. Le texte de Justin, corroboré par le titre de sœur (άδελφή) de son époux (fratrie cari. Catulle, LXVI, 22) porté par Bérénice, a fait naître toute espèce de conjectures, et notamment la confusion entre deux Bérénice, l’une et l’autre filles d’une Arsinoé (cf. Eckhel, IV, p. 13). Ces méprises ne sont pas rares dans l’histoire hellénistique. Eusèbe confond les deux Démétrios. Quant à Justin, il est coutumier du fait. Non seulement il confond les Démétrios, mais il lui arrive d’écrire rex Bithyniæ Eumenes au lieu de rex Pergami Attalus (XXVII, 3, 1). Toutefois, il se peut qu’Apama ait changé de nom à Cyrène.

[148] Il passait pour avoir été aimé d’Arcésilas (Diogène Laërte, IV, 41), § qui a pu le renseigner sur Cyrène.

[149] Justin, XXVI, 3. C’est là l’exploit célébré par Callimaque (trad. de Catulle, LXVI, 25 sqq.) : At te ego certe | Cognoram a parva virgine magnanimam. | Anne bonum oblita es facinus, quo regium adeptas | Conjugium, quo non fortius ausit alis ? Ehrlich (p. 48 sqq.) voit encore des allusions dans l’Hymne à Artémia, laquelle tue ses prétendants indiscrets, Otos et Orion. L’expression parva virgo indique bien que Bérénice était encore fort jeune (quinze ans, au maximum) et que son mariage avec Évergète n’eut lieu que plus tard, et non pu tout de suite, comme le veulent les partisans de Niebuhr (y compris Droysen et Kœpp), lesquels reportent l’affaire en 251/0. Sur la date du mariage, il y a incertitude dans tous les systèmes, sauf dans celui qui n’admet de mariage que pour les rois en possession du trône.

[150] Conjecture de Mahaffy.

[151] Le texte d’Eusèbe : [Δημήτριος] πάσαν τήν Λιβύην έλαβε κτλ. a fait imaginer une guerre entre Démétrios le Beau et Philadelphe, guerre dans laquelle Philadelphe aurait même été battu et n’aurait été débarrassé du prétendant macédonien que par le complot de Bérénice (Ehrlich, op. cit., p. 44). C’est bien de la complaisance pour un texte entaché de méprise formelle, et beaucoup d’affaires pour une seule année. Il faudrait, en ce cas, accepter l’hypothèse de Niebuhr, qui étend la marge jusqu’en 251/0.

[152] Plutarque, Philop., 1.

[153] Polybe, X, 22, 3. Ecdélos et Démophane (ou Ecdémos et Mégalophane. Plutarque, Philop., 1. Pausanias, VIII, 49, 2) étaient des Mégalopolitains, qui, disciples d’Arcésilas, avaient tourné la philosophie du côté de la pratique et collaboré avec Aratos (Plutarque, Aratos, 5) à l’affranchissement de Mégalopolis et de Sicyone (Plutarque, Philop., 1). Nous n’avons pas d’autre terminus post quem que la délivrance de Sicyone en 251/0, celle de Mégalopolis par le meurtre du tyran Aristodème (Polybe et Plutarque, loc. cit.) n’étant pas datée. Aussi, la date de la mission des deux philosophes est livrée aux conjectures. Thrige (p. 239-241) optait pour 230. Droysen, qui suppose une révolution à Cyrène en l’absence de Ptolémée III (voyez ci-après, chap. VII, § 1), la place vers 243 ; Niese (II, p. 143) vers 250, supposant aussi un soulèvement et une guerre ouverte (d’après Polyen, VIII, 70) où les Cyrénéens eurent le dessous. La date de 250 me parait encore la plus probable, mais non pas une guerre dont la royauté de Bérénice ou son mariage eût été l’enjeu. Le siège de Cyrène dont parle Polyen peut très bien être un épisode de la guerre que fit, près d’un siècle plus tard (vers 162), Ptolémée Évergète II aux Cyrénéens révoltés.

[154] Je suis tenté de supposer que les affaires de Cyrène ont attiré l’attention des Carthaginois, et que ceux-ci, à court d’argent pour soutenir la guerre contre les Romains, ont offert à Philadelphe leur alliance éventuelle contre les Cyrénéens, en échange d’un prêt de 2.000 talents.

[155] A commencer par Thrige et à finir provisoirement par Susemihl (Alex. Lit., I [1891], p. 360, 62). Mais le texte de saint Jérôme est formel, et cette guerre explique mieux que toute autre hypothèse le déchet constaté dans la liste des possessions héréditaires énumérées par l’inscription d’Adulis (ci-après), comparée à celle que donne Théocrite.

[156] Hieronym., In Daniel., XI, p. 560 B Migne.

[157] Phylarch. ap. Athénée, X, p. 438 c-d. Sans doute, il faut faire la part de l’exagération et de la malveillance dans ces bavardages.

[158] Droysen accumule ici, par voie d’hypothèses, des faits de date très incertaine, la prise de Samos (d’après CIG., 2905), celle de Magnésie par Callicratidas de Cyrène (Polyen, II, 27), qui conviennent mieux au règne de Ptolémée III (ci-après). C’est à ce règne aussi qu’il faut renvoyer (cette fois, avec Droysen) la conquête de la Thrace, où commande Hippomédon au temps de Télés (ap. Stobée, Floril., XL, 8 : ci-après, ch. VII, § I). L’unique raison pour laquelle on place le Περί φυγής de Télés entre 260 et 250 (Zeller, Phil. der Griechen, IV, p. 39, 4), c’est qu’Hippomédon y figure à côté de Chrémonide. Niese (II, p. 135) introduit encore ici les opérations des Rhodiens, alliés d’Antiochos, aux alentours d’Éphèse (cf. ci-après, ch. VII, § I). Enfin, H. von Prott (Rh. Mus., LIII [1898], p. 473, 1) trouve hors de doute que l’insurrection de Cypre doive trouver place ici.

[159] Athénée, XIII, p. 593 e. C’est ce Ptolémée qui, dans le système de Gercke, aurait été co-régent d’Égypte jusqu’à sa mort en 25918, et que H. von Prott transforme en un fils adoptif de Philadelphe, en réalité, fils de Lysimaque et d’Arsinoé II, lequel aurait voulu reconquérir l’héritage de son père. B. Haussoullier (Milet, p. 74 et 83) se rallie à cette hypothèse, qui oblige à chercher ailleurs le (ou les) Πτολεμαΐος ό Αυσιμάχου des inscriptions. Elle me parait inacceptable, parce qu’elle suppose, sans preuve aucune, l’adoption de ce Ptolémée par Philadelphe au détriment des fils du roi.

[160] Joseph., A. Jud., XII, 3, 2. Nous avons de ces chartes pour Milet, Smyrne et Erythræ : cf. Gäbler, Erythræ, Berlin, 1892.

[161] Nous supposons tranchée la question préjudicielle, l’identité de ce Timarchos avec l’Étolien Timarchos, qui, débarquant en Asie, brûla ses vaisseaux (Polyen, V, 25) et s’introduisit à Samos, occiso Charmade Ptolomæi regis præfecto, chlamyde interempti et galero ad Macedonicum ornatus habitum (Frontin, Strateg., III, 2, 11). Cf. Niese, II, p. 134, 6. Haussoullier, Milet, p. 70-71. Droysen (III, p. 390 en note) distingue entre le Timarchos, tyran de Milet, et l’Étolien, en faisant de celui-ci un allié d’Antigone Gonatas contre Ptolémée III. On peut considérer Charmade comme un préfet rde Samos, ou de Milet et Samos. Mais la leçon même in Samiorum portum receptus dans Frontin est contestée (Samniorum dans deux mss.) : Saniorum transporterait le coup de main dans la Chalcidique de Thrace. Polyen dit άποβάς τής Άσίας et représente Timarque comme un envahisseur à main armée. Dans ces témoignages incohérents, on choisit au juger.

[162] Ut in Asia filius Ptolemæi regis socio Timarcho desciverit a patre (Trogue-Pompée, Prol., XXVI).

[163] Appien., Syr. 65. Cette origine du prédicat n’est pas mieux garantie que celle de Σωτήρ pour Ptolémée Ier ne l’est par le texte de Pausanias. Une inscription récemment découverte à Didymes rappelle les services rendus aux Milésiens par l’Athénien Hippomachos (Haussoullier, Milet, p. 12-73).

[164] Athénée, XIII, p. 593 b.

[165] Droysen (III, pp. 330. 334. 363, 1) affirmait que Éphèse fut conservée à l’Égypte. On sait aujourd’hui, par une inscription de Didymes, que en 253, Éphèse appartenait aux Séleucides (Haussoullier, Milet, p. 83). Il n’est pas besoin pour cela de placer ici, avec Niese, la collaboration des Rhodiens. Nous retrouverons plus loin Antiochos II et la reine Laodice à Éphèse.

[166] On ne rencontre pas de faits de guerre de ce côté, et l’on constate, en revanche, que la domination égyptienne s’y fortifie par la fondation de colonies. Aké devient Ptolémaïs ; Rabbath-Ammon, Philadelphie ; Pella, Bérénice. Une ville nouvelle, Philotéria, est fondée sur les bords du lac de Génésareth. Estienne de Byzance connaît deux Arsinoé dans la Syrie méridionale. D’après une tradition juive (Aristeas ap. Joseph., A. Jud., XII, 2, 3), Philadelphe aurait émancipé à ses frais plus de cent mille esclaves juifs, rachetés à leurs propriétaires, sans doute pour peupler ses colonies. On ne peut pas assigner de dates à tous ces faits.

[167] Plutarque, Aratos, 12-13. Ceci se passait, selon toute apparence, en 250. Le texte de Plutarque doit être corrompu, τής Άδρίας ne pouvant guère être que τής Άvδρου. Le vaisseau romain étonne aussi un peu : ρωμαϊκής serait-il pour ροδιακής ? Plutarque ajoute (ibid., 15) qu’Aratos, desservi auprès de Philadelphe et comblé de prévenances par Antigone, changea bientôt de parti.

[168] Droysen (de même Strack et Wilcken) le plaçait en 249/8, tout à la fin du règne de l’un et de l’autre roi. Niese l’avance vers 250 (II, p. 139). De même Beloch (Beitr. z. alt. Gesch., I [1904], p. 293, 2). Il faut probablement, comme le soupçonne Haussoullier (Milet, p. 87), l’avancer encore, vers 254/3.

[169] La liste des villes grecques qui ont émis des monnaies au nom d’Antiochos II dans E. Babelon, Les rois de Syrie, p. LVI. Cf. Holm, IV, p. 264.

[170] Niebuhr (Kl. Schr., p. 292) suppose, avec assez de vraisemblance, que ces provinces faisaient partie de la dot de Bérénice. Il n’est aucunement question de la Cœlé-Syrie : mais on se demande, en voyant que Ptolémée conduit sa fille jusqu’à Péluse seulement, si la Cœlé-Syrie n’était pas cédée aussi comme apanage de Bérénice. C’était un appât auquel Antiochos devait infailliblement se prendre. Nous rencontrerons plus tard une stipulation analogue, mais en sens inverse, intervenue entre Antiochos III et Ptolémée V Épiphane.

[171] On en connaît trois par leur nom : Séleucos II Callinicos, Antiochos Hiérax, Stratonice, mariée plus tard à Ariarathe de Cappadoce. En outre, une fille (probablement Laodice) mariée à Mithridate II de Pont.

[172] Droysen, Kœpp, Mahaffy, etc. Niese (II, p. 140, 1) trouve cette conjecture peu vraisemblable. On ne peut cependant pas faire de Ptolémée un naïf.

[173] Hieron., In Daniel., c. XI.

[174] Polybe ap. Athénée, II, p. 45 b-c. Hérodote (I, 188) et Ctésias (ap. Athénée, loc. cit.) en disent autant des rois de Perse, qui ne buvaient que l’eau du Choaspe. Mahaffy (Empire, p. 171) est convaincu que ce n’est pas une légende : l’eau du Nil avait la réputation de rendre les femmes fécondes (cf. Sénèque, Q. Nat., III, 25), et Philadelphe tenait à ce que sa fille donnât un héritier à Antiochos. Cette eau pouvait servir aussi aux ablutions rituelles du culte isiaque (cf. Juvénal, VI, 527. Aristide, II, p. 362 Dindorf).

[175] Antiochus autem, Berenicen consortem regni habere se dicens et Laodicen in concubinæ locum (Hieron., loc. cit.). Cf. Polychronios ap. Mai, Scr. vett. nova collectio, I, 3, p. 21. Sur la généalogie de cette Laodice, les données sont discordantes. Polyen (VIII, 50) la dit formellement όμοπατρίαν άδελφήν de son mari Antiochos Théos. Mais l’Eusèbe arménien (I, p. 251 Schœne) la dit non moins formellement fille d’Achæos. D’autre part, on sait par Polybe (IV, 51, 4. VIII, 22, II) que Laodice, femme de Séleucos II, était fille d’Achæos. Là-dessus, les érudits se partagent en deux camps, tenant les uns (Foy, Vaillant, Frœlich, Kœhler, Wilcken, Th. Reinach, Babelon, Radet, Niese, Bevan) pour Polyen et l’épouse-sœur ; les autres (Niebuhr, Droysen, C. Mailer, Mahaffy avec variante : Laodice sœur d’Achæos), pour Eusèbe. La question parait tranchée en faveur de Polyen par l’inscription de Durdurkar (Paris et Holleaux, in BCH., IX [1885], p. 324 sqq., XIII [1889], p. 523 sqq. = Michel, 40), qui relate l’institution d’un culte en l’honneur de Laodice, qualifiée par Antiochos II de άδελφής βασιλίσσης (culte desservi dans la satrapie de Phrygie par Bérénice, fille de Ptolémée fils de Lysimaque). Laodice est encore dite άδελφής dans un papyrus postérieur à la mort d’Antiochos II (Petrie Papyri, Il [1893], XLV, p. 145. Kœhler, SB. d. Berl. Akad., 1894, p. 445 sqq.). Il reste cependant une objection possible, à savoir que, chez les Séleucides comme chez les Lagides, le titre d’άδελφή, peut être purement de protocole. Pour expliquer όμοπάτριος άδελφή, il faut, Antiochos II étant fils de Stratonice, trouver une autre mère à Laodice. Étienne de Byzance (s. v. Άντιόχεια), dans un passage que Droysen déclare inepte d’un bout à l’autre (III, p. 338, 1), raconte que Antiochos Ier Soter eut pour mère Antiochia, pour femme Nysa, et une sœur Laodice. L’existence de cette Laodice, fille de Séleucos Nicator et d’Apama, est encore attestée par Malalas (p. 198 Bonn). L’inscription de Sigée (CIG., 3595 = Dittenberger, 156 = Michel, 525) en l’honneur d’Antiochos Ier parle de τής άδελφής αύτοΰ βασιλίσσης (lig. 22). De là les partisans de Polyen concluent que Laodice, femme d’Antiochos II, était la fille de Laodice, sœur d’Antiochos Ier et épousée par lui après la mort de Stratonice. Mais ici surgit une grave difficulté. Une inscription cunéiforme (J. Oppert, in C.-R. Acad. Inscr., 5 sept. 1884. E. Peiser, in Keilsch. Bibl., III, 2, p. 136 sqq.) atteste que Stratonice vivait encore en 267, c’est-à-dire en un temps où Laodice, femme d’Antiochos II, était déjà née. C’est peut-être l’année suivante (266) que les Ioniens décernent des honneurs aux rois Antiochos et Antiochos et à la reine Stratonice (Michel, 486, lig. 37-38). S’il n’y a pas erreur, substitution de nom, etc., on en est réduit à admettre, avec Wilcken (Pauly-Wissowa, R.-E., I, p. 2452), qu’Antiochos Ier, à l’exemple de Ptolémée Soter, prit une seconde épouse du vivant de la première, singulière conclusion du roman d’amour dont Stratonice avait été jadis l’héroïne !

[176] Une inscription cunéiforme de 173/2 a. Chr. (Lehmann, Zeitschr. f. Assyriol., VII [1892], p. 330), qui relate des événements antérieurs, mentionne une donation d’un domaine en Babylonie, faite par Antiochos II à Laodice sa femme. Le titre de reine ne figure pas non plus dans un acte de vente faite par le Trésor royal à Laodice (inscription trouvée à Didymes en 1896 par Haussoullier, Milet, p. 76-89). Il s’agit d’un vaste domaine seigneurial, du côté de Cyzique, acheté trente talents. L’acquéreur ne peut être que l’ex-reine Laodice, et la vente me parait être une fiction légale, destinée à rendre la donation irrévocable. Quant aux honneurs divins rendus à Laodice, il se pourrait qu’ils aient été institués soit comme compensation à sa déchéance réelle, — compensation calquée sur le culte d’Arsinoé II réellement morte, — soit plutôt dans le court intervalle qui s’écoula entre la restitutio in integrum de Laodice et la mort d’Antiochos II. Comme Antiochos II avait commencé par établir le culte de sa propre divinité, sans s’adjoindre son épouse, il a dû y avoir à cette adjonction une raison spéciale, survenue par la suite.

[177] Phylarque ap. Athénée, XII, p. 536 e. Mahaffy (Empire, p. 163) se demande si Philadelphe ne songeait pas à l’autre vie, et si ce vague désir d’immortalité ne lui avait pu été inspiré par quelque dévotion aux Kabires, ou par les missionnaires bouddhistes d’Açoka. Il pouvait aussi faire allusion à son apothéose ; et, au surplus, rien ne garantit l’authenticité du mot.

[178] Phylarque, loc. cit. Ce doit être une variante de cette anecdote que l’on rencontre dans Cicéron (Tusculanes, V, 34) : Nec esuriens Ptolomæus ederat ; cui cum peragranti Ægyptum, comitibus non consecutis, cibarius in casa panis datus esset, nihil visum est illo pane jucundius. Les légendes se groupent toujours autour des types qui les font le mieux valoir, et Philadelphe était le type du roi opulent. On ferait un gros livre avec ce que les moralistes ont brodé sur ce thème idyllique : le souci dans les palais, le bonheur dans les chaumières. Mais les prédicateurs ont rarement prêché d’exemple.

[179] Il est probable que le décret de Canope place au 25 Dios (correspondant, par exception, à la fin de février ?) le jour non pas de l’avènement d’Évergète, mais de son association au trône.