Du 5 septembre au 14 octobre 1806
(Journées des 8, 9, 10 et 11 octobre.)Nous avons eu maintes fois l'occasion de démontrer, au cours de cette étude, l'infériorité de la méthode de commandement suivie par Napoléon, comparée à celle du maréchal de Moltke. A la Grande Armée, peu ou point d'ordres généraux orientant les chefs des grandes unités sur l'ensemble de la situation et les opérations des corps voisins, mais des ordres partir culiers très nombreux expédiés à toute heure du jour et de la nuit. Toutefois, Napoléon rachète son insuffisance de méthode par les lettres particulières qu'il dicte ou fait écrire à ses maréchaux, ainsi qu'aux : directeurs des grands services. L'envoi de lettres explicatives fut très actif dans les premiers jours d'octobre, comme on a pu s'en convaincre par l'analyse que nous avons faite de ces lettres, mais il redoubla pendant les quelques jours de crise correspondant à la traversée du Franken- Wald, pendant cette marche en trois colonnes isolées qui devait amener la Grande Armée dans la région comprise entre la haute Saale et l'Elster. Si nous critiquons en principe la méthode de Napoléon, nous devons nous réjouir, au point de vue psychologique et militaire, de pouvoir suivre, heure par heure, dans les lettres de l'Empereur et du major général la pensée du maître, de connaître au jour le jour les renseignements vrais ou faux qui lui parvinrent et sur lesquels il échafauda ses combinaisons. Nous allons donc commenter, dans l'ordre chronologique, ainsi que nous l'avons fait jusqu'ici, les ordres, instructions et renseignements les plus importants de la période comprise entre le 8 et le 11 octobre 1806. § 1er. — La journée du 8 octobre. L'Empereur, avec le quartier impérial, passa la journée à Kronach et se transporta en voiture pendant la nuit du 8 au 9 à Lobenstein où il arriva vers 2 heures du matin. La précaution de voyager la nuit dans le défilé était bonne parce que, durant le jour, la route obstruée par les colonnes aurait été d'un parcours difficile. Lettre de Napoléon au maréchal Soult.Dans une lettre expédiée à 3 h. ½ du soir au maréchal Soult en marche, ce jour-là, de Baireuth sur Münchberg, Napoléon, après avoir fourni au maréchal des renseignements sur la position des colonnes du centre et de gauche, s'exprime ainsi : Donnez-moi plus
fréquemment de vos nouvelles ; dans une guerre combinée, comme celle-ci, on
ne peut arriver à de beaux résultats que par des communications très
fréquentes ; mettez cela au rang de vos premiers soins. Qu'entendait l'Empereur par guerre combinée ? L'expression était nouvelle, car elle répondait à un système de guerre nouveau.. On avait vu pendant la guerre de Sept Ans plusieurs armées d'une même puissance, ou des armées alliées, concerter leurs opérations d'après un plan initial, mais jamais les éléments d'une même armée n'avaient été momentanément dissociés en vue d'une combinaison. Pour la première fois, en 1805, certains corps de la Grande Armée avaient eu à remplir des rôles séparés, dont l'ensemble avait constitué une manœuvre de circonstance. Entre le système de guerre du XVIIIe siècle et celui de Napoléon la différence était la même qu'entre un chant à l'unisson et un chœur à plusieurs voix. Mais la principale difficulté d'une guerre combinée réside dans les modifications apportées au dispositif initial et dans les changements d'objectifs que provoquent les nouvelles de l'ennemi. En 1806, les communications entre les colonnes, surtout en pays montagneux, étaient précaires. Combien la télégraphie de campagne facilite aujourd'hui les opérations de la guerre combinée ! Ce moyen idéal de transmission renforce singulièrement le haut commandement, à la condition que celui-ci soit déjà fort ; mais, au service d'une direction faible, le télégraphe électrique est une cause d'énervement pour les divers organes de l'armée. Napoléon continue en ces termes : Ce moment est le plus
important de la campagne ; ils ne s'attendent pas à ce que nous voulons faire
; malheur à eux s'ils hésitent et s'ils perdent une journée ! Oui, le plus important, car la décision d'une campagne dépend de son début. Chez les Prussiens règne l'hésitation, mère de l'inertie. La Grande Armée, elle, va franchir d'un bond le massif qui-la sépare du pays ouvert et riche qui s'étend de la Saale à l'Elster. Une fois là, et lorsque les corps d'armée auront pris entre eux la liaison nécessaire aux communications rapides et sûres, Napoléon sera le maître d'accepter ou de provoquer la bataille, toutes forces réunies, avec la certitude, non seulement de vaincre, mais encore d'envelopper et de détruire le gros des forces ennemies. La Grande Armée plus nombreuse, mieux organisée, plus aguerrie que l'armée saxo-prussienne, était commandée par Napoléon. La victoire ne pouvait donc lui échapper. Ils ne s'attendent
pas à ce que nous voulons faire. C'est la situation de toute armée qui attend les événements ou ne sait prendre à temps une résolution. En la circonstance, la nouvelle que les Français débouchaient en masse au nord du Franken-Wald produisit sur l'armée prussienne réunie autour d'Erfurt un effet de surprise mêlée de terreur ! Comment ! ces troupes que l'on croyait encore cantonnées entre Würzburg, Ratisbonne et Ulm, sont à l'est du méridien d'Erfurt et marchent sur Dresde ou Berlin ! Malheur à eux s'ils
hésitent et s'ils perdent une journée. Les Prussiens arriveront-ils assez tôt à Gera pour s'opposer à la marche de la Grande Armée vers Leipzig et Berlin ? Ce n'est plus pour eux une question de jours mais d'heures. On ne peut qu'admirer l'intuition de Napoléon en fait de psychologie expérimentale. Il prévoit et il escompte l'effet d'épouvante que va produire sur l'armée prussienne la nouvelle de l'invasion de la Saxe, parce qu'il sait, à n'en pas douter, que le commandement prussien est faible et que les troupes conduites par des chefs dépourvus d'intelligence et d'énergie ne sont qu'une foule en armes. Rapport du maréchal Davout à l'Empereur.Dans la matinée du 8, l'Empereur reçut à Kronach un rapport du maréchal Davout, date de Lichtenfels, dans lequel le maréchal donnait des informations sur les mouvements de l'ennemi. Napoléon avait, à bon droit, une grande confiance en Davout, et nous aurons plusieurs fois l'occasion de montrer l'influence qu'ont eues sur son esprit les nouvelles transmises par ce maréchal. Or, dans le rapport en question, Davout disait : Les rapports sur les
Prussiens sont encore fort obscurs ; il en résulte seulement qu'ils sont en
marche et en grand mouvement. Hier, 7, tout me porte à croire qu'il en est arrivé
vers les 4 heures du soir à Coburg, d'où il ne laisse sortir ni entrer
personne. Jusqu'à ce moment il n'avait paru à Coburg que 30 ou 36 hussards
qui y étaient depuis cinq jours. On y assurait que partie de l'armée
prussienne avait du arriver le même jour à Saalfeld et avait poussé une
avant-garde à Grafenthal. Suivant les rapports, les grandes forces prussiennes
devaient se réunir sur Iéna et Saalfeld. Les rapports dont patrie le maréchal Davout sont évidemment des rapports d'espions. Les renseignements ci-dessus furent admis par Napoléon comme exacts, et la preuve en est qu'il terminait sa lettre au maréchal Soult (3 h. ½ soir), par ces mots : Il est certain que
des régiments qui ont débouché de Dresde avec le prince de Hohenlohe, venant
de Silésie, étaient lundi (6 octobre) en position à Saalfeld. Le renseignement de Davout s'était un peu transformé dans le cerveau de L'Empereur, à la suite d'un calcul de probabilités, facile à reconstituer. Si Coburg a été occupé le 7, il n'a pu l'être que pas ? la cavalerie du maréchal Lannes, et, d'autre part, si, le même jour, une avant-garde lancée de Saalfeld est arrivée à Grafenthal, c'est que le prince de Hohenlohe signalé précédemment à Iéna, s'est porté da cette ville sur Saalfeld, où il a dû arriver le 6. Mais, d'autre part, si la cavalerie de Lannes avait capturé dans la soirée du 7 les 30 ou 40 hussards prussiens signalés depuis plusieurs jours à Coburg, le maréchal n'aurait pas manqué d'adresser aussitôt un rapport qui serait parvenu à l'Empereur le 8 au matin. Par conséquent, le coup a été manqué et les hussards prussiens ont pu échapper, à l'exception de 5 ou 6 peut-être. Sous l'impression de l'idée qu'il s'était faite de la situation, l'Empereur écrivit (4 heures soir) au maréchal Lannes : Lettre de Napoléon au maréchal Lannes.Je n'ai point de vos
nouvelles. Donc, ce que je sais
du 5e corps je l'ai appris autrement que par vous. Je suis fâché que
vous soyez entré à Coburg hier. Vos instructions portaient d'y entrer ce
matin et en masse. Si vous l'eussiez fait ainsi, il vous eût été facile de
combiner vos opérations pour enlever, à la petite pointe du jour (aujourd'hui), tout ce qui était à Coburg. La prise d'une
cinquantaine de chevaux eût été agréable. Quelques instants avant la réception du rapport envoyé par le maréchal Davout, l'Empereur avait écrit (lettre de 3 h. ½ du soir) au maréchal Soult : Le maréchal Lannes
est à Neustadt ; il est entré à Coburg ce matin à la pointe du jour et a pris
quelques hussards. Ainsi, Napoléon prend ses espérances pour la réalité ; il donne comme fait accompli un événement qu'il souhaite et qu'il croit possible. En fait, le 5e corps n'atteignit Coburg, le 8 octobre, qu'à 3 heures du soir. Au prince Murat (lettre de 5 heures du soir) l'Empereur annonce également que le maréchal Lannes est entré à Coburg à la pointe du jour et couchera ce soir à Neustadt. Cette fois, l'inexactitude est voulue, car la lettre de Napoléon au maréchal Lannes est antérieure à celle qu'il dicta pour le prince Murat. En réalité, le prince Louis de Prusse ne prit position avec sa division à Saalfeld que le 9 octobre et il est au moins curieux que des espions à la solde des Français aient annoncé, le 7, qu'une partie de l'armée saxo-prussienne était arrivée à Saalfeld. Dans la conviction où il était que le rapport du maréchal Davout était l'expression de la vérité, l'Empereur fit au maréchal Lannes (lettre de 4 heures du soir) la recommandation suivante : Comme vous formez la
gauche de l'armée, je pense qu'il sera fort utile, lorsque vous ferez
bivouaquer vos divisions, que vous fassiez bivouaquer chaque division en
bataillon carré. Napoléon sous-entend : La gauche de l'armée étant la plus exposée, il convient qu'elle stationne très rassemblée, prête à combattre au premier signal. L'Empereur recommande au maréchal Lannes de lui envoyer fréquemment de ses nouvelles et de placer des postes pour se lier avec le centre constitué par le corps Davout, qui est entre Kronach et Steinwiesen. Napoléon se dispose à rejoindre l'avant-garde générale à son débouché en Saxe.A 5 heures du soir, l'Empereur annonce par lettre au prince Murat qu'il montera à cheval, le lendemain matin vers 4 heures, à Nordhalben pour se rendre à l'avant-garde. Napoléon voulait rejoindre l'avant-garde, afin d'assister en personne aux premières opérations offensives. Le maréchal Berthier écrivit de son côté au maréchal Bernadotte, le 8 au soir : L'intention de
L'Empereur est que, demain à la pointe du jour, vous soyez en marche pour
reconnaître et attaquer Saalburg, s'il y a lieu. On ne sait pas encore
si Saalburg est occupé par l'ennemi, mais c'est le point de passage de la
Saale, sur la route de Leipzig, que doit franchir la colonne du centre. A
tout événement, il faut se préparer à enlever de vive force ce point important
et l'Empereur veut y être. A l'heure où le major général envoyait cet ordre au maréchal Bernadotte, il ignorait que, le jour même, la brigade Wathier, soutenue par quatre compagnies du 27e léger, avait livré devant Saalburg un léger combat, lequel s'était terminé par la retraite de l'ennemi et l'occupation de la ville. Au début d'une campagne, le moindre engagement prend une importance énorme. Les esprits sont tendus ; que va-t-il se passer ? L'ennemi sera-t-il rencontré en forces, et les longues colonnes d'invasion auront-elles à combattre pour s'ouvrir le passage ? Dans un pareil moment, le général en chef qui, plus -tard, réservera la vigueur de sa pensée pour les vastes combinaisons que nécessite la partie grandiose entamée contre l'adversaire, se laisse entraîner parfois à des détails au-dessous de lui. C'est ainsi que Napoléon fait ordonner, par le major général, un maréchal Bernadotte de préparer, à Nordhalben et à Lobenstein quelques repos pour les ambulances. Cela veut dire qu'il faut aménager des locaux pour y recevoir les blessés. Les ordres du 8 aux maréchaux annoncent tous l'envoi de proclamations qui seront lues à la tête des troupes. La proclamation en question fut rédigée, le 6, par Napoléon et imprimée à un grand nombre d'exemplaires. Instructions du major général au maréchal Lannes.Dans la soirée, le maréchal Berthier expédia au maréchal Lannes une lettre développant les intentions de l'Empereur. Napoléon avait écrit, à 4 heures du soir, au maréchal Lannes : Marchez le plus rapidement
que vous pourrez sur Grafenthal ; le maréchal Augereau vous suivra à une
demi-journée. Le major général entre dans plus de détails. Il annonce que cinq régiments prussiens étaient, le 7, à Saalfeld et qu'ils ont pris position près de Grafenthal, ce qui n'était pas exact. Si l'ennemi est plus fort
qu'on ne le présume, il est convenable d'attendre l'arrivée du maréchal
Augereau, mais s'il n'y a que 10.000 ou 12.000 hommes, le maréchal Lannes peut
les attaquer après les avoir reconnus, et presser l'arrivée du maréchal
Augereau. On voit quelle prudence préside aux instructions de l'Empereur. il ne veut rien hasarder, ainsi qu'il l'écrivait, le 5, au maréchal Soult, et entend ne combattre l'ennemi qu'avec des forces doubles. Comme l'Empereur fera
attaquer demain Saalburg, il est convenable, si vous n'attaquez pas vous-même
l'ennemi, que vous le veilliez et le teniez en échec pour empêcher que, par
une marche de flanc, il ne puisse venir au secours de Saalburg. En 1806, le 5e corps pouvait à la rigueur tenir en échec un corps de 20.000 ou 30.000 hommes sans engager le combat. Il lui suffisait de menacer l'ennemi d'une attaque générale. Le déploiement du 5e corps forçait l'adversaire à se déployer, et, la distance de combat étant faible, le maréchal Lannes pouvait constater, de visu, les mouvements que des fractions de la ligne de bataille ennemie exécuteraient pour se dérober vers Saalburg. Mais aujourd'hui, la situation n'est plus la même ; on se forme, pour combattre, à grande distance ; les canons portent très loin, et les points d'appui de la bataille peuvent n'être occupés que par des détachements tandis que les masses d'infanterie sont abritées et masquées aux vues de l'ennemi. Pour remplir la mission dévolue au maréchal Lannes le 9 octobre, le commandant d'un corps d'armée actuel se verrait obligé d'engager l'action, parce que le combat, seul, lui permettrait de tenir l'ennemi en échec, de l'immobiliser. Il y a tant de variétés dans le mode d'engagement d'un corps d'armée qu'un chef de talent, quand il disposera de bonnes troupes, saura résoudre le problème qui consiste à menacer l'ennemi, à le fixer, sans pour cela perdre la liberté de ses propres mouvements. Premier rapport du prince Murat à l'Empereur.Un peu avant 5 heures du soir, l'Empereur reçut, à Kronach, un premier rapport du prince Murat, expédié de Lobenstein, à 10 heures du matin. Nous avons expliqué précédemment la cause du retard que la dépêche mit à parvenir au quartier impérial ; nous n'y reviendrons pas. Dans ce rapport, le prince Murat annonce que ses éclaireurs ont rencontré les Prussiens au nord d'Ebersdorf et que ceux-ci se sont retirés sans opposer la moindre résistance. A l'heure où le prince écrit, les généraux Milhaud, Lasalle et Wathier partent pour exécuter les reconnaissances ordonnées. On dit, à Lobenstein, que 500 hommes d'infanterie prussienne étaient la veille à Saalburg. Le prince Murat annonce que le 1er corps va prendre la disposition suivante : Le 27e léger, au nord d'Ebersdorf ; les deux autres régiments de la division Drouet, en position, près et au sud de Lobenstein ; la division Rivaud, sur les hauteurs de Naumdorf. Le dispositif du 1er corps est échelonné sur une profondeur de 9 kilomètres qui se divisent en 6 kilomètres de distance d'avant-garde et 3 kilomètres pour les éléments du gros. On compte 5 kilomètres d'Ebersdorf à Saalburg. Le 27e léger sera disposé à une heure de marche du pont de Saalburg, et si l'ennemi tient ce débouché, l'infanterie d'avant-garde du 1er corps pourra venir attaquer Saalburg, une heure et demie après que la cavalerie du général Wathier en aura constaté l'occupation. Les emplacements du 1er corps, le 8 octobre, avant la prise de Saalburg, furent bien ceux qu'indiquait le prince Murat dans son rapport de 10 heures du matin, comme on peut s'en convaincre en lisant le court rapport du maréchal Bernadotte, expédié de Lobenstein, à 3 heures du soir. Un tel dispositif, parfaitement approprié à la circonstance, peut, encore aujourd'hui, servir de modèle. Le 27e léger, qui sert d'appui à la brigade Wathier, est rassemblé derrière la hauteur d'Ebersdorf. Les deux autres régiments de la division Drouet sont en position au débouché des routes conduisant, d'une part, à Hof, d'autre part, à Grafenthal et Saalfeld, d'où ils peuvent appuyer, soit le général Lasalle, soit le général Milhaud, ou tous les deux, pour le cas ou ces généraux seraient refoulés par une cavalerie supérieure. Enfin, la division Rivaud, formant réserve, est plus en arrière, sur la hauteur de Naumdorf, à l'intérieur du défilé. Le combat de Saalburg.Le combat de Saalburg, peu important par lui-même, donne lieu, néanmoins, à des observations intéressantes. Voici dans quelles conditions il fut livré. Le prince Murat, dans son rapport daté de Lobenstein à 10 heures du matin, annonçait que ses éclaireurs avaient rencontré et mis en fuite l'ennemi, au nord d'Ebersdorf. Selon toute probabilité, les patrouilles de la brigade Wathier mirent beaucoup de temps à parcourir la distance qui sépare Ebersdorf de Saalburg et, vers midi seulement, elles constatèrent l'occupation de Saalburg par des troupes de toutes armes, ainsi que la destruction du pont de la Saale. Le prince Murat, prévenu, accourut de sa personne avec le général Wathier et se mit en devoir de reconnaître l'adversaire ; il fut salué par quelques coups de canon. Tout en examinant le terrain et l'ennemi, le prince Murat crut s'apercevoir qu'en face de Kloster, à 3 kilomètres en amont, dans un coude de la Saale, existait un bac ; il envoya de ce côté son aide de camp, le capitaine Lagrange, avec un groupe de cavaliers, ce que voyant, l'ennemi marcha de ce côté, craignant sans doute d'être coupé de sa ligne naturelle de retraite sur Schleiz. En attendant, le prince Murat envoya chercher, vers 2 heures, quatre compagnies d'élite du 27e léger avec une pièce de canon, à Ehersdorf, et il massa les trois régiments de cavalerie qui lui restaient (2e et 7e hussards, 5e chasseurs) à l'abri de la hauteur au nord d'Ebersdorf. Aux environs de 4 heures, le renfort demandé arriva. Le pont de la Saale, devant Saalburg, avait été incomplètement rompu. Les carabiniers (ou chasseurs) et les voltigeurs du 27e léger franchissent le pont, dont quelques madriers seulement avaient été enlevés, se précipitent sur l'ennemi sans tirer un coup de fusil et provoquent sa retraite. Le 4e hussards, qui formait primitivement l'avant-garde sous les ordres du général Wathier, traverse le pont à son tour et contribue efficacement à la poursuite. L'ennemi avait à Saalburg 3 escadrons, 2 pièces d'artillerie et 1000 hommes d'infanterie. Ces troupes ont été mises en déroute par 400 carabiniers ou voltigeurs du 27e léger. Le fait montre, indépendamment de toute considération tactique, combien le moral des Saxons-Prussiens postés à Saalburg était faible. Ce détachement qui faisait partie de la division Tauenzien lancée primitivement de Dresde sur Hof et Baireuth, avait été témoin et victime des incohérences de la haute direction militaire des armées prussiennes. Sans cesse en mouvement depuis les premiers jours d'octobre, la division Tauenzien était, le 8, en pleine marche pour rallier le prince de Hohenlohe du côté d'Iéna, et c'est pour se couvrir de la Saale dans son mouvement de Hof sur Schleiz que ce général envoya un détachement occuper Saalburg. Les défenseurs de ce bourg savaient donc qu'ils n'avaient qu'une mission temporaire à remplir, que leur retraite sur Schleiz était pour eux l'objet important et qu'à tout prix il fallait ne pas se laisser couper de cette ville. Ces considérations expliquent sans l'absoudre la conduite plus que timide des défenseurs de Saalburg. Mais, d'autre part, on ne peut qu'admirer la confiance et l'audace des 400 carabiniers et voltigeurs du 27e léger, qui, sans compter le nombre de leurs ennemis, se sont précipités à l'attaque d'un village fortement occupé, ayant d'abord à traverser la Saale sur un pont à moitié démoli. On peut donner comme circonstance atténuante, en faveur du défenseur, que son infanterie ne comprenait que des Saxons ralliés de force à la cause prussienne. Quoi qu'il en soit, l'événement prouve que les Français sur l'offensive, bien commandés et soutenus, sont capables de toutes les audaces. Le même fait pourrait se reproduire de nos jours, attendu que les meilleurs fusils n'ont guère plus de valeur que des bâtons lorsque les assaillants sont animés d'une confiance sans bornes. N'a-t-on pas vu, il y a quelques années, une cohue de Madhistes se précipiter sur un carré anglo-égyptien et le détruire totalement à coups de matraque ? Aussitôt que le maréchal Bernadotte, alors à Lobenstein, fut informé de l'enlèvement de Saalburg par les compagnies d'élite du 27e léger, il donna l'ordre à son corps d'armée de se porter en avant, la division Drouet à Saalburg, la division Rivaud à Ebersdorf. Le 27e léger dépassa Saalburg et vint bivouaquer entre cette ville et Schleiz. Dispositif de stationnement du 4e corps, à l'issue de la marche du 7 octobre.Tandis que ces événements avaient lieu à l'avant-garde de la colonne du centre, le maréchal Soult, formant avec le 4e corps la tête de la colonne de droite, gagnait les hauteurs de Münchberg, au pendant des eaux, entre Baireuth et Hof. Au début de la marche du 8 octobre, le 8e hussards, formant l'avant-garde de la cavalerie du 4e corps fut rejoint par le bataillon des tirailleurs du Pô, en raison du caractère montagneux de la région à traverser. Le dispositif adopté pour le stationnement du 4e corps, le 8 octobre, après la marche, est très intéressant parce qu'il montre à quel point, en 1806, le maréchal Soult avait la notion de la guerre napoléonienne. Le commandant du 4e corps n'envoie pas sa cavalerie en exploration ; ce rôle est dévolu à la cavalerie d'armée. Il ne vise, dans les dispositions qu'il ordonne, que la sûreté de la colonne et la conservation de sa liberté d'action. Pendant la marche du 8, le maréchal Soult s'est tenu de sa personne auprès du 8e hussards formant avec le bataillon de tirailleurs du Pô l'avant-garde de la division de cavalerie. En arrivant à Münchberg, le maréchal exécute la reconnaissance des lieux, puis dicte un ordre de stationnement, en vertu duquel les éléments du 4e corps vont occuper les emplacements figurés sur le croquis ci-contre. La 1re division, au bivouac, en ligne, adossée au bois de Sparneck. La 2e division sur son prolongement, à gauche de la route et en arrière du village de Sfrass ; le 4e régiment de cette division, a droite et près de la route. La 3e division, qui est appelée à jouer le rôle d'avant-garde tactique ou de combat, prend ses bivouacs sur la hauteur au nord de Münchberg, à 3 kilomètres (distance d'avant-garde) en avant du gros. Cette division détache trois bataillons chargés de fournir les postes nécessaires, savoir : Un bataillon (a), au nord et près de Ahornberg, surveillant la route de Selbitz et servant d'appui à la division de cavalerie cantonnée à Weissleinreuth. Stationnement du 4e corps (le 8 octobre).
Un bataillon (b), adossé au petit bois de Markersreuth, gardant les débouchés de Weissdorf et de Schwarzenbach. Un bataillon (c), en réserve d'avant-postes, près de la route de marche. Le dispositif de sûreté que présentent ces trois bataillons est commandé par la nature du terrain et les communications ; il affecte la forme d'un arc convexe mesurant environ 8 kilomètres de développement ; ceux de ses éléments les plus rapprochés de la 3e division en sont à 2.350 mètres, tandis que les plus éloignés (bataillon a) s'en écartent de 5 kilomètres. Le gros de la division de cavalerie légère (41e et 16e chasseurs) est disposé au sud et près de Weissleinreuth (d), à 5 kilomètres en avant de la 3e division, ayant devant lui, à 4 kilomètres, le Se hussards et le bataillon des tirailleurs du Pô (e). Le 8e hussards envoie sur Hof un peloton (f), pendant que le gros de la cavalerie dirige sur Schwarzenbach et Selbitz des détachements (g, h) de la force d'un escadron. On remarquera, sur le croquis, que le gros de la cavalerie, ainsi que les bataillons d'avant-postes, sont masqués, aux yeux d'un ennemi occupant Hof, par le grand bois compris entre Konradsreuth et Weissleinreuth. L'avant-garde de la cavalerie est couverte ; à 6 kilomètres en avant, par le peloton dirigé sur Hof ; sur son flanc droit, à 8 kilomètres, par le détachement de Schwarzenbach ; et sur son flanc gauche, à 9 kilomètres, par le détachement de Selbitz. La profondeur totale du stationnement, sans y comprendre la distance du peloton de Hof, est de 12 kilomètres, et la largeur du front battu par les reconnaissances est de 18 kilomètres. En outre, tous les passages de la Saale, depuis sa source jusqu'à Hof, sont gardés ou observés. D'une façon générale, les avant-postes d'infanterie sont disposés en arrière de défilés boisés dont ils peuvent battre les débouchés. La, 3e division, par son placement sur (ou en arrière de) la hauteur au nord de Mühherg, constitue bien une troupe de repli ou de recueil pour les troupes engagées devant les débouchés des bois, dans le cas où elles se verraient contraintes à la retraite. La position du 4e corps, le 8 octobre, présente un caractère nettement défensif. Il ne s'agit pas, en effet, pour le maréchal Soult d'attaquer l'ennemi partout où il le rencontrera suivant la formule chère aux Allemands de 1870, qui savaient ne devoir trouver devant eux que des groupes épars. Il viendra un moment, le 12 octobre, où Napoléon prescrira à ses maréchaux d'attaquer tout ce qui est en marche, mais l'heure n'en est pas encore venue, le 8 octobre, et le maréchal Soult se comporte, ce jour-là, comme devra le faire tout commandant de colonne subordonnée avant la première bataille, lorsque les intentions, la répartition et les emplacements de l'ennemi ne sont pas connus d'une façon suffisamment précise pour que l'on puisse agir en connaissance de cause. Tout stationnement avant la décision de la première lutte générale est, par essence même, défensif, et l'on ne peut qu'admirer les dispositions prudentes et réfléchies du 4e corps s'établissant, pour passer la nuit du 8 au 9, en arrière de débouchés que l'ennemi, si fort qu'il soit, ne saurait franchir que par colonnes étroites, faciles à maîtriser. La preuve que la position choisie, le 8 octobre, par le maréchal Soult dérivait d'une idée ferme, d'un système, apparaît clairement dans une note jointe à l'ordre pour la prise de position du 4e corps à Münchberg, note qui nous paraît avoir été rédigée en prévision d'une retraite possible sur Baireuth devant des forces très supérieures. En voici le texte : Dans la route de
Baireuth à Munchberg, la position qui est en arrière de Benk a été observée ;
cette position offre un beau développement ; elle domine à une grande
distance. Le terrain est en
pente rapide, boisé, coupé et parfois marécageux ; le fond de la vallée est
aussi marécageux et rempli d'étangs. Si un corps d'armée occupait cette
position, il serait convenable que son avant-garde fût placée à la tête du
défilé de Berneck qu'on peut défendre avec avantage, même contre des forces
supérieures ; du reste, la position de Benk et celle du défilé de Berneck
demandent à être étudiées avec beaucoup de soin.
Nous avons figuré, sur le croquis ci-dessus, la disposition du 4e corps dans l'hypothèse, admise par son chef, de l'occupation de la position de Benk. L'avant-garde, formée par la 3e division, est placée sur une hauteur isolée qui commande le débouché du Berneck et les deux autres divisions occupent les hauteurs de Benk. La distance entre l'avant-garde tactique et le gros, qui est de 4,500 mètres, ménage au commandant du corps d'armée sa liberté d'action, autrement dit, une zone de manœuvre plus que suffisante, eu égard à la portée des canons en ce temps-là. De l'avant-garde particulière des corps de la Grande Armée.On a constaté, aussi bien dans le stationnement du 7 auprès de Baireuth que dans celui du 8 aux environs de Münchberg, que le 4e corps place sa division de tête (la 3e) à 3 ou 4 kilomètres en avant des deux autres, comme avant-garde, et pourtant, le maréchal Soult désigne le plus souvent sous le nom d'avant-garde le régiment de cavalerie légère, appuyé d'un bataillon d'infanterie légère, qui précède la colonne, sur la route de marche à 7 ou 8 kilomètres. L'expression d'avant-garde prenait, en effet, nous l'avons déjà dit, des sens variés, suivant les moments et les circonstances. Quand il s'agissait de combattre, l'avant-garde était une grosse fraction de toutes armes, telle qu'une division pour un corps d'armée à trois divisions, ou une brigade quand il n'y avait que deux divisions, mais, en marche, on désignait sous le nom d'avant-garde la troupe de cavalerie, avec ou sans adjonction d'infanterie, qui fournissait les patrouilles de découverte. La confusion terminologique était plus apparente que réelle et tenait à ce que la colonne de combat ne présentait presque jamais le vide que nous nommons aujourd'hui la distance d'avant-garde. Tous les ordres de mouvement des maréchaux, en particulier ceux du maréchal Soult, pour les marches qui conduisirent le 4e corps depuis Baireuth jusqu'à Iéna, recommandent de ne laisser aucune distance entre les divisions ; bien mieux, le commandant du 4e corps veut que le gros de sa cavalerie précède immédiatement la division de tête. Et pourtant, l'avant-garde, telle que nous la comprenons aujourd'hui, existait dans l'esprit de tous. Lorsqu'un ennemi nombreux était signalé, en marche ou en position, par le régiment de cavalerie de pointe, le corps d'armée prenait des dispositions préparatoires de combat. A ce moment, le gros de la cavalerie et la division de tête se rassemblaient sur leurs éléments les plus avancés, pendant que les autres divisions se massaient pareillement sur l'élément qui marchait immédiatement derrière la division de tête. La distance d'écoulement étant de 4 kilomètres environ pour une division, il en résultait que, les rassemblements une fois formés, la division de tête se trouvait à 4 kilomètres en avant du gros et formait bien ainsi l'avant-garde tactique. La distance d'avant-garde ainsi obtenue répondait parfaitement, avec le maximum d'économie de temps et d'espace, aux conditions du combat d'engagement, tel qu'il pouvait avoir lieu sous l'empire d'un armement très inférieur à celui que nous possédons actuellement. De nos jours, la profondeur d'écoulement d'une brigade d'avant-garde de corps d'armée, avec tous ses accessoires, est de 5.000 mètres environ. Si la rencontre de l'ennemi a lieu, cette avant-garde se déploie sur son élément le plus avancé pendant que le gros se rassemble à hauteur de sa propre tête. Dans ces conditions, l'éloignement de l'avant-garde, facteur essentiel de la zone de manœuvre, sera suffisante, pour peu que le terrain soit mouvementé, coupé, ou couvert. La distance d'avant-garde fixée par nos règlements actuels à 2.500 mètres, que l'avant-garde soit normale ou renforcée (profondeur d'écoulement de 6.800 mètres), doit varier selon le but, la situation et le terrain ; elle peut être nulle, comme aussi elle peut atteindre 2.000 mètres ; mais on ne voit pas la nécessité de dépasser une profondeur de 7.000 mètres entre la tête de l'avant-garde et la tête du gros. En résumé, à la Grande Armée, la distance d'avant-garde n'existe pas. Voulant à juste titre diminuer la profondeur des colonnes, les maréchaux font marcher leurs corps d'armée aussi serrés que possible, en un seul bloc, à l'exception d'un détachement de cavalerie, appuyé ou non d'infanterie., qui éclaire la route en avant et sur les flancs. Mais, si la distance d'avant-garde est inconnue à la Grande Armée, on y sait très bien masser, ou déployer, selon le cas, les troupes d'une colonne de corps d'armée en deux échelons distants entre eux de la profondeur d'écoulement de l'échelon de tête, que celui-ci soit formé d'une division ou d'une brigade. Emplacements des corps et divisions de cavalerie, le 8 au soir.Le maréchal Ney (6e corps, en deuxième ligne de la colonne de droite), atteignit, le 8 octobre, les environs de Berneck et fit cantonner son corps d'armée, partie sur la route de marche jusqu'au sud de Baireuth, partie sur la route de Culmbach, de Baireuth à Neuen-Plos. A la colonne de gauche, le 5e corps bivouaqua, le 8 octobre, près de Coburg, le gros de la cavalerie très près de cette ville, sur la route de Neustadt, à Kortendorf. Le maréchal — Lannes fit explorer les directions dangereuses : 1° Par le 9e hussards envoyé à Neustadt, d'où il lança un parti sur Grafenthal ; 2° Par un fort détachement (un escadron probablement) sur Hildburghausen ; 3° Par un fort détachement sur Eisfeld[1]. Ces deux derniers détachements, poussés très loin, ne virent rien de l'ennemi. Le même jour, le maréchal Augereau fit défiler dans la matinée son corps d'armée par Bamberg et le cantonna en échelons, partie sur la rive droite, partie sur la rive gauche du Main. A la colonne du centre, le 3e corps fut échelonné dans le défilé de Kronach, la tête au confluent de la Rodach et de la Kronach, la queue près de Theisenort. La Garde, à l'exception de la brigade de chasseurs à pied qui avait suivi l'Empereur, était en arrière du 3e corps. Enfin, partageant les cantonnements très pauvres du 3e corps et de la Garde, les divisions de dragons et de cuirassiers de la réserve de cavalerie passèrent la nuit du 8 au 9 en échelon, depuis Steinwiesen jusqu'à Bamberg. Renseignements sur l'ennemi adressés à l'Empereur par les maréchaux, le 8 octobre.Les lettres et rapports, envoyés le 8 par les maréchaux et reçus le même jour par l'Empereur ou le major général, contiennent sur l'ennemi les renseignements suivants : A 10 heures du matin, le prince Murat écrit, d'après les nouvelles qu'il a recueillies à Lobenstein : L'armée (ennemie) est concentrée sur Naumburg ; le prince de
Hohenlohe se trouve, dit-on, à Iéna. Un seul régiment se trouve à Hof ; il se
retirera ; point de troupes d'ici à Leipzig. Ensuite, c'est Davout qui annonce une concentration de forces prussiennes sur Saalfeld. Le maréchal Lannes, à 5 heures du soir, expédiait à l'Empereur une lettre qui commence ainsi : Sire, d'après tous les
renseignements que j'ai pu me procurer, il parait que la ligne de l'ennemi
est à Weimar, Erfurt et Gotha et que le corps que Sa Majesté veut faire attaquer
à Saalburg, n'est que pour observer les mouvements de notre droite. Il y a tout
à parier qu'il évitera le combat. Il y a trois jours
que le grand quartier général, c'est-à-dire le Roi, était à Naumburg. A 10 heures du soir, le prince Murat, dans son rapport à l'Empereur sur la prise de Saalburg, revient sur les renseignements qu'il a donnés le matin et dit : Il est très positif
que l'armée est concentrée sur Naumburg et Erfurt. Le prince de Hohenlohe a
son quartier général à Iéna. De ces divers renseignements, lequel va exercer une influence prépondérante sur les projets de l'Empereur ? C'est celui du maréchal Davout annonçant l'ennemi en forces à Saalfeld, ainsi qu'on peut en juger par la lettre suivante adressée, le 9, à 7 heures du matin, par le major général au maréchal Lannes. § 2. — La journée du 9 octobre. Lettre du major général au maréchal Lannes.Cette lettre fut portée au maréchal Lannes par un aide de camp, le capitaine Lamark, qui partit de Nordhalben, à 7 heures du matin et dut arriver à Grafenthal, en passant par Coburg et Neustadt, entre 4 et 5 heures du soir. Nordhalben, le 9 octobre 1806, 7 heures matin. Je vous préviens,
Monsieur le Maréchal, que le quartier de l'Empereur sera ce soir à Ebersdorf. Le maréchal Davout
sera à Lobenstein. Le prince Murat, à
Schleiz. Le maréchal
Bernadotte, à Saalburg. Le maréchal Soult,
vis-à-vis Plauen. Le maréchal Ney, à
Hof. On suppose que
l'ennemi veut défendre Saalfeld ; s'il est en force supérieure, il ne faut
rien engager que le maréchal Augereau ne vous ait rejoint. Dans la journée, on
aura des nouvelles de l'ennemi, et s'il avait des forces notables à Saalfeld,
l'Empereur marchera (sic) avec 20.000 ou 25.000
hommes dans la nuit, pour arriver demain vers midi sur Saalfeld par Saalburg. Dans cette situation
de choses, Monsieur le Maréchal, où l'ennemi réunit toutes ses forces à
Saalfeld, alors nous n'avons (sic) autre chose à faire qu'à
prendre position à Grafenthal. L'ennemi ne peut se
hasarder à marcher sur vous ayant des forces si considérables sur son flanc
gauche ; si cependant il le faisait en force très supérieure, il n'y a pas de
y doute que vous ne dussiez battre en retraite, parce qu'alors il serait pris
et attaqué en flanc par le corps du centre ; mais, si l'ennemi n'a que 15.000
à 18.000 hommes, vous devez, après avoir bien étudié sa position, l'attaquer
; bien entendu que le corps du maréchal Augereau
sera avec vous. Ce qui est le plus
important dans cette circonstance, Monsieur le Maréchal, c'est d'envoyer
trois fois par jour de vos nouvelles et de celles de l'ennemi à l'Empereur. Si l'ennemi bat en retraite
devant vous, arrivez le plus promptement possible à Saalfeld, et là, placez
vos troupes militairement. Cette lettre, lourdement écrite, et qui contient une erreur de rédaction nous n'avons au lieu de vous n'avez reflète néanmoins la pensée de l'Empereur. A ce titre, elle présente un grand intérêt. Napoléon admet que le prince de Hohenlohe, à la tête des Saxons et des contingents prussiens venus de Silésie par Dresde, en tout 50.000 hommes au plus, avait tout récemment son quartier général à Iéna (renseignements de Davout et autres). Le gros des forces prussiennes étant signalé d'une façon à peu près certaine aux environs d'Erfurt, les deux armées vont probablement marcher d'Erfurt et Iéna sur Würzburg, l'une par Fulda, l'autre par Saalfeld et Coburg. L'aile gauche, commandée par le prince de Hohenlohe, est donc la seule force redoutable pour le moment. Si elle exécute le mouvement qu'on lui prête, il faut l'accabler sous des attaques tellement supérieures qu'elle soit hors de cause pour le reste de la campagne. Étudions les dispositions que compte prendre Napoléon dans l'éventualité du débouché de l'armée du prince de Hohenlohe sur Grafenthal en partant de Saalfeld. Le maréchal Lannes devant arriver à Grafenthal, le 9, avec le gros de son corps d'armée pourra envoyer, le soir même, à l'Empereur des renseignements, fournis par sa cavalerie, sur l'importance des forces qui occupent Saalfeld ou qui en ont débouché. Si l'armée du prince de Hohenlohe a marché sur Grafenthal dans la journée du 9, le maréchal Lannes aura combattu en retraite, ce jour-là, et, suivant la recommandation que lui a faite l'Empereur le 7 octobre (lettre expédiée de Bamberg à 2 heures du soir), il se retirera lentement sur Coburg en disputant le terrain. Mais alors, l'Empereur à la tête du 1er corps marchera dans la nuit du 9 au 10 sur les derrières de l'ennemi, par Schleiz, Posneck et Saalfeld, pendant que le 3e corps ira de Lobenstein et de Nordhalben sur Grafenthal, par Lehesten et Probstzella. Le corps Augereau (à Coburg) ayant rejoint, sur ces entrefaites, le corps Lannes, l'ennemi aura en face de lui 40.000 hommes, sera attaqué sur son flanc gauche par le corps Davout (35.000 hommes) et recevra en queue l'effort des 25.000 hommes de Bernadotte, conduits par Napoléon en personne. Les 50.000 hommes de Hohenlohe seront maintenus de front, attaqués de flanc et pris en queue par trois masses formant ensemble 90.000 hommes. Le sort de l'armée de Hohenlohe, dans ces conditions, n'est pas douteux. Sa ruine sera d'autant plus certaine qu'elle n'a aucun secours à espérer, pendant les journées du 10 et du 11 octobre, du gros de l'armée prussienne, en marche d'Erfurt sur Gotha-Fulda et séparée d'elle par un massif boisé de plus de 60 kilomètres d'épaisseur. Le 10 à midi, ainsi que l'annonce le major général, l'Empereur sera avec 25.000 hommes à Saalfeld, par Saalburg et Schleiz, après une étape de 7 lieues seulement. Dans le même temps, le 3e corps (maréchal Davout) aura franchi les huit lieues qui séparent Lobenstein de Grafenthal. Si donc, les premiers engagements du 3e et du 1er corps, dans la soirée du 10 octobre, n'amènent pas un événement décisif, on peut compter que le 11 octobre ne s'écoulera pas sans que la ruine de l'armée du prince de Hohenlohe ait été consommée. L'opération dont nous venons de discuter le plan n'eut pas lieu, mais elle présente à nos yeux un intérêt presque égal à celui d'une opération vécue. L'esprit de la guerre chez un chef d'armée tel que Napoléon présente des manifestations si variées et pourtant si harmoniques que laisser les unes dans l'ombre, sous prétexte qu'elles sont restées à l'état de proj et, pour n'étudier que celles qui ont été douées de vie serait diminuer volontairement le champ de notre vision. Fidèle à notre méthode de travail, nous ne faisons pas de différence entre les idées militaires de l'Empereur, qu'elles aient été, ou non, suivies d'exécution. Le combat de Schleiz.Le prince Murat s'étant porté avec le 4e hussards et le 27e léger dans la direction de Schleiz, reconnut un ennemi assez nombreux posté dans ce bourg et aux environs. Sur ces entrefaites, Napoléon rejoignit l'avant-garde. Sur son ordre, le maréchal Bernadette fit avancer la division Drouet, qui se trouvait en arrière de Saalburg, pour soutenir le 27e léger et laissa au prince Murat ainsi qu'au maréchal Bernadotte le soin de préparer l'attaque. Elle eut lien en deux colonnes. L'avant-garde (27e léger) fouillant les bois situés à droite de la route, était suivie du 94e, tandis que le 95e formait une seconde colonne à la gauche et en arrière de la première pour déborder la droite de l'ennemi. Le village fut évacué presque sans combat ; mais les Saxo-Prussiens prirent position sur le hauteur d'Œttersdorf, à 2 kilomètres au nord de Schleiz, où ils tinrent pendant quelque temps. Le prince Murat, oubliant sans doute qu'il était le chef de l'avant-garde de l'armée, prit le commandement du 4e hussards (rouges) et les mena plusieurs fois à la charge contre la cavalerie prussienne très supérieure en nombre. Après avoir été ramené à plusieurs reprises, le 4e hussards fut secouru par le 5e chasseurs, puis, grâce à l'intrépidité de quelques compagnies d'élite, notre cavalerie prit enfin le dessus et enfonça l'ennemi. Le détachement battu à Schleiz, comprenait en majeure partie la division Tauenzien, savoir : 4 bataillons prussiens, 4 bataillons saxons et 2 régiments de cavalerie, l'un prussien, l'autre saxon. Dans cette rencontre, la cavalerie française se montra moins manœuvrière que la cavalerie saxo-prussienne. Celle-ci se composait du régiment de hussards de Bila (Prussiens) et des chevau-légers du prince Jean (Saxons). Le rapport du prince Murat à l'Empereur laisse deviner, en dépit de ses gasconnades, que sans les cinq compagnies d'élite venues à son secours, notre cavalerie eût été complètement battue par la cavalerie ennemie. On en jugera par l'extrait suivant du rapport en question : M'apercevant que
l'ennemi évacuait la ville (Schleiz), je l'ai traversée
avec le 4e régiment de hussards pour tomber sur l'infanterie qui en sortait et
qui déjà était sur les hauteurs ; j'ai alors manœuvré par ma droite pour
tâcher de a déborder l'ennemi par sa gauche et d'arriver avant lui au défilé
en avant (au
nord) de Rödersdorf. La cavalerie ennemie
a suivi notre mouvement, toujours en couvrant son infanterie qui a réussi à
gagner les premiers bois. L'idée du prince Murat était juste. La cavalerie assaillante, grâce à sa vitesse, peut atteindre un défilé situé en arrière d'une position occupée par l'infanterie adverse, et lui en interdire l'accès. Mais la manœuvre de la cavalerie prussienne a déjoué le projet de Murat, ce qui montre que cette cavalerie avait deviné les intentions du 4e hussards et su déjouer ses tentatives. Le prince Murat expose ensuite que le 4e hussards a fourni contre la cavalerie ennemie, trois charges qui, toutes les trois, ont été repoussées. J'attendais avec la
plus grande impatience le 5e chasseurs qui n'arrivait point malgré les ordres
réitérés que j'avais envoyés ; il a paru enfin et fort à propos dans le
moment où, après une nouvelle charge (la troisième),
le 4e hussards u venait encore d'être repoussé. Le brave 3e a chargé avec
sa bravoure accoutumée et a coupé en deux la ligne de l'ennemi. Les dragons rouges (chevau-légers) du prince Jean qui chargeaient le 4e hussards ont
manœuvré par leur gauche pour le prendre en flanc, et les hussards prussiens
ont fait la même manœuvre par leur droite ; mais déjà les éclaireurs du 27e
léger que j'avais fait demander débouchaient sur le mamelon et ont été chargés
en queue par ces mêmes dragons. Ces incomparables chasseurs (carabiniers), auxquels je n'ai eu que le temps de faire faire
demi-tour et qui n'ont pas eu le temps de se former en carré, ont fait un feu
de files à brûle-pourpoint ; moitié des dragons sont restés sur la place ; le
reste s'est sauvé dans la plus grande déroute. On admettra difficilement que le 5e chasseurs ayant coupé en deux la ligne de cavalerie ennemie, celle-ci ait pu aussitôt manœuvrer par régiment, l'un par la gauche, l'autre par la droite, en vue de prendre en flanc le 4e hussards. Le maréchal Bernadotte dans son rapport sur le combat de Schleiz dit, de son côté : L'ennemi (la cavalerie) qui avait abordé et enfoncé la droite du 4e
hussards a voulu prendre à dos le 5e chasseurs en marchant sur le corps à
cinq compagnies d'éclaireurs (d'élite) du 27e et du 94e. Cherchons à reconstituer l'épisode. Le 4e hussards, après sa troisième charge malheureuse, est poursuivi par les hussards prussiens de Bila ayant en arrière de leur aile droite, en seconde ligne, le régiment de chevau-légers saxons. A ce moment, arrive sur le terrain de la lutte le 5e chasseurs. Les hussards de Bila, abandonnant la poursuite du 4e hussards à une fraction, se portent à la rencontre du nouvel assaillant, pendant que les chevau-légers décrivent un mouvement excentrique qui doit les amener dans le flanc gauche et sur les derrières du 5e chasseurs. Mais, derrière ce régiment arrivent, au pas de course, cinq compagnies d'élite, sous les ordres du général Maison, que le prince Murat a fait demander au général Drouet pour servir de point d'appui à sa cavalerie en venant occuper le mamelon situé entre Œttersdorf et Rödersdorf. Les chevau-légers saxons, qui ont contourné ledit mamelon par l'ouest, tombent à l'improviste sur les compagnies françaises se dirigeant en bataille, du sud-ouest au nord-est, vers le mamelon précité. Les fantassins font demi-tour et fusillent à bout portant les chevau-légers qui s'enfuient affolés, laissant sur le terrain bon nombre des leurs. Alors, chasseurs et hussards français tournent leurs efforts contre les hussards prussiens et les rejettent définitivement dans le défilé de Rödersdorf. Sans les incomparables voltigeurs du général Maison, c'en était fait du 4e hussards et du 5e chasseurs. L'épisode montre que lorsqu'on est inférieur en nombre ou en qualité à la cavalerie ennemie, il est bon de faire soutenir sa propre cavalerie par un détachement d'infanterie, lequel prenant position en un point convenablement choisi constitue un pivot de manœuvres. Le combat de Schleiz offre encore d'autres sujets de réflexions. L'ennemi occupe et défend Schleiz, pourquoi ? Le général Tauenzien avait l'ordre de rallier l'armée du prince de Hohenlohe près de Géra. Devait-il accepter ou refuser le combat ? L'engagement de Saalburg était un avertissement, et le général Tauenzien ne pouvait pas ignorer, le 9 au matin, que des colonnes françaises très profondes marchaient de Baireuth et de Kronach vers la Saxe. Il semble que la présence des Français à Saalburg ait eu le don de cristalliser le détachement de Schleiz, alors qu'il devait forcer de vitesse pour se mettre promptement hors d'atteinte. En supposant que le général Tauenzien ait voulu combattre afin de reconnaître les forces de l'ennemi, il avait à occuper les bois et villages formant d'excellents points d'appui sur la petite rivière qui passe à Schleiz et à proximité. Mais, les Prussiens de 1806 ignoraient la puissance défensive que l'infanterie acquiert par l'occupation des localités. Les belles positions découvertes exerçaient sur eux une attraction décevante et, durant toute la campagne, ils ne surent utiliser une seule fois les villes, bourgs, ou villages situés aux points de passage des cours d'eau dont ils avaient à défendre l'accès. Il en a été de même à l'armée française de 1870. Au cours des batailles du mois d'août, en particulier, les villages compris dans le rayon d'action des Français furent occupés et défendus par de faibles détachements dont l'ennemi eut facilement raison, et ces localités devinrent entre les mains de nos adversaires des points d'appui inexpugnables. Deux exceptions fortuites montrent l'extraordinaire puissance défensive des localités dans la bataille. Le 18 août 1870, la prise de Saint-Privat, par les Allemands r a nécessité de leur part des efforts et des moyens exceptionnels. Le 1er septembre 1870, à Bazeilles, la division d'infanterie de marine a tenu en échec des troupes bien supérieures en nombre et s'est acquis une réputation qui rejaillit sur l'armée coloniale actuelle. Pendant que la division de Vassoigne défendait Bazeille, les autres divisions d'infanterie de l'armée de Châlons étaient déployées sur des crêtes, ayant devant elles, en contrebas, de nombreuses localités masquées, pour la plupart, aux vues des batteries allemandes et capables d'assurer une longue résistance. Après avoir assisté au début de l'opération de la division Drouet sur Schleiz et constaté que le combat était en bonne voie, l'Empereur revient à son quartier général d'Ebersdorf. Le rapport du prince Murat sur les résultats de l'affaire est daté du 10, à 2 heures du matin. Le même jour, le 10, à 5 heures du matin, c'est-à-dire avant d'avoir reçu ce rapport, l'Empereur écrivait au prince Murat : Le général Rapp m'a
fait connaître l'heureux résultat de la soirée. Il m'a paru que vous n'aviez
pas sous la main assez de cavalerie réunie ; en l'éparpillant toute il ne
vous restera rien. Vous avez 6 régiments, je vous avais recommandé d'en avoir
au moins 4 dans la main ; je ne vous en ai vu hier que 2. S'il eût vu les échecs du 4e hussards, le débouché tardif du 5e chasseurs et la crise que l'arrivée opportune du général Maison avec ses 5 compagnies d'infanterie put heureusement conjurer, nul doute que Napoléon n'eût manifesté son mécontentement au prince Murat en termes plus sévères. Quoi qu'il en soit, le combat de Schleiz venait de démontrer combien la tactique articulée de l'infanterie française agissant par petites colonnes précédées de tirailleurs était supérieure au mode de combat rigide de l'ordre linéaire encore usité dans l'armée prussienne. En dépit des premiers échecs de la cavalerie de Murat, les 6 bataillons de la division Drouet avaient eu raison des 8 bataillons saxo-prussiens. Rapport du maréchal Lannes à l'Empereur.Pendant la nuit du 9 au 10, l'Empereur reçut un rapport du maréchal Lannes, daté de Grafenthal, le 9, à 5 heures du soir, où il était dit : La journée a été
terrible pour les troupes et l'artillerie ; les chemins sont affreux ; le pays
n'offre absolument aucune ressource. Suivant le maréchal Lannes, le 7e corps (maréchal Augereau) qui doit être le 9, à Coburg, ne pourra pas arriver le 10, à Grafenthal. Il y a douze mortelles lieues
de Coburg à Grafenthal. La lettre annonce la capture de 8 hussards prussiens et l'envoi de leurs interrogatoires. Enfin, le maréchal Lannes confirme à l'Empereur, d'après les questions posées à un grand nombre de personnes, les renseignements des rapports précédents sur la position de l'ennemi. Rapports et dispositions du maréchal Soult.A la colonne de droite, le maréchal Soult rendit compte à l'Empereur, le 9, à 10 heures du matin, de l'arrivée du 4e corps d'armée à Hof et de la continuation de sa marche sur une position à choisir à moitié chemin entre Hof et Plauen. Le commandant du 4e corps donnait, en outre, les renseignements suivants : Hof a été évacué le 8 par l'ennemi qui s'est retiré, partie sur Schleiz, partie sur Plauen, quelques fractions sur Œlsnitz, enfin les équipages et chevaux de main sur Plauen ce qui me confirme que c'est un point de réunion. De Hof, le maréchal Soult dirigea un escadron sur Schleiz, par Gefell, et un autre escadron sur Œlsnitz, l'un pour lier communication avec la colonne du centre et remettre à l'Empereur le rapport du 4e corps, l'autre pour éclairer la droite du corps d'armée. Le maréchal Soult laissa sa division de queue (Saint-Hilaire) et son parc sur les hauteurs de Hof (rive gauche de la Saale) jusqu'à ce qu'il eût une parfaite connaissance des dispositions de l'ennemi. Le maréchal Soult savait que, le 9, le maréchal Ney avec le 6e corps arriverait à Münchberg. Sa 1re division placée à 2 ou 3 kilomètres en arrière de Hof est appelée à jouer le rôle de troupe de repli ou de recueil, et aussi, de troupe de liaison avec le 6e corps. Il résulte de cette disposition que la cavalerie et les 2
divisions de tête du 4e corps constituent bien réellement une forte avant-garde destinée à reconnaître
l'ennemi que le maréchal Soult suppose réuni à Plauen, à le tâter avec la
plus grande prudence, pendant que la 1re division que viendra renforcer, s'il
le faut, tout le 6e corps stationné à 12 kilomètres en arrière, occupe une
position défensive sur la rive gauche de la Saale. Rendant compte à l'Empereur, dans la soirée (6 heures) du 9 octobre, des emplacements occupés par le 4 e corps, le maréchal Soult écrivait : La cavalerie légère
est à Rosenthal et Rosemberg, sur l'Elster ; son avant-garde composée du 8e
hussards et d'un bataillon d'infanterie légère (tirailleurs du Pô) est à Messbach, à une lieue de Plauen ; elle a
ordre de pousser jusque dans cette ville s'il n'y a pas d'ennemis. Les divisions
commandées par les généraux Legrand (3e) et
Leval (2e) campent (bivouaquent)
sur les hauteurs de Gross-Zöbern et occupent Geilsdorf. La division commandée
par le général Saint-Hilaire (1re) est restée en position
sur les hauteurs de Hof, ainsi que le parc d'artillerie. La citation qui précède appelle quelques commentaires. Le 8e hussards, avec le bataillon des tirailleurs du Pô, n'est pas l'avant-garde du corps d'armée, mais bien celle de la division de cavalerie. La distinction que nous avons déjà signalée est importante, car l'étude superficielle des documents français relatifs à la campagne de 1806 pourrait faire croire aux officiers de l'époque actuelle que les colonnes de corps d'armée, sous le premier empire, n'avaient pour toute avant-garde qu'un régiment de cavalerie soutenu par un détachement d'infanterie. Le gros du 4e corps (2e et 3e divisions) au bivouac sur les hauteurs de Gross-Zöbern, a fait occuper Geilsdorf, c'est-à-dire a constitué une avant-garde laquelle tient un point d'appui situé sur une hauteur à faible distance du pont de Plausch sur l'Elster. Il va de soi que le pont et le village de Plausch ont été pourvus d'une garde détachée de Geilsdorf, dans le double but d'assurer le libre passage et de recueillir la cavalerie dans le cas où elle serait ramenée. De Gross-Zöbern à Geilsdorf, la distance est de 12 kilomètres. La position du gros du 4e corps, le 9 octobre, au soir, est purement défensive, et cependant, le maréchal Soult, en poussant toute sa cavalerie au delà de l'Elster, s'est ménagé la possibilité de faire déboucher son corps d'armée sur la rive droite de cette rivière au cas où l'ennemi venant de Plauen n'attaquerait Messbach qu'avec des forces peu nombreuses. En résumé, les dispositions prises pour le stationnement du 4e corps, le 7, le 8, et le 9 octobre, sont essentiellement défensives et répondent bien aux intentions de l'Empereur qui avait fait écrire au maréchal Soult (lettre du 5 octobre) par le major général : Sa Majesté s'en
rapporte à votre prudence et à vos talents militaires pour ne faire donner
ses troupes qu'après avoir mûrement examiné la position de l'ennemi et avoir
toutes les probabilités de succès. Dans le même rapport daté de Gross-Zöbern à 6 heures du soir, le maréchal Soult annonce à l'Empereur que, d'après les renseignements qu'il a sur Plauen, cette ville a été évacuée, le matin même, par l'ennemi qui s'est dirigé sur Gera. Cette nouvelle exerça une telle influence sur l'esprit de Napoléon que tous les mouvements prescrits aux corps de la Grande Armée, le 10 et le 11 octobre, en découlèrent directement. Le maréchal Soult n'ayant d'ordres que jusqu'à Plauen attend impatiemment de nouvelles instructions, afin que la journée du 10 ne soit pas perdue pour les opérations. Enfin, le commandant du 4e corps rend compte que l'escadron du 11e chasseurs lancé de Hof sur Gefell et Schleiz a rencontré à hauteur de Tanna deux partis du 5e hussards (brigade Lasalle) se rendant à Mühltruff. Déjà la veille, en pénétrant dans Hof, une reconnaissance du 8e hussards avait communiqué avec un escadron du 5e hussards venant de Lichtenberg (brigade Lasalle) et les deux troupes qui ne se reconnaissaient pas d'abord avaient failli en venir aux mains. La méprise s'explique moins par la diversité de couleur dans l'uniforme des régiments de hussards à cette époque que par l'étonnement qu'éprouvent toujours deux troupes à cheval quand elles s'aperçoivent tout à coup à faible distance. Les Bavarois.La division bavaroise, rattachée par ordre au 6e corps, arriva, le 9 octobre, à Baireuth et se disposa à faire Je blocus du fort de Plassenburg, près de Culmbach. § 3. — La journée du 10 octobre. Le 9 octobre, dans la soirée, les deux régiments de cavalerie qui avaient combattu à Schleiz, poursuivirent les débris de la division Tauenzien jusqu'au delà (nord) de Rödersdorf, puis vinrent passer la nuit à Lohma, sous la protection du 27e léger. Dans le même temps, la division Drouet coucha près d'Œttersdorf, et la division Rivaud, non loin de Schleiz. Le prince Murat rédigea son rapport sur l'affaire, le soir même, et ne l'expédia que le 10, à 2 heures du matin, sans doute afin d'y joindre le rapport du maréchal Bernadotte. Dans la nuit, l'Empereur connut les détails du combat de Schleiz par le général Rapp, son aide de camp, qui avait assisté à l'affaire depuis le commencement jusqu'à la fin. Le 10, à 5 heures du matin, avant que les rapports lui fussent parvenus, Napoléon dicta une lettre à l'adresse du prince Murat. Le début de cette lettre, que nous avons reproduit précédemment, critique l'éparpillement de la division de cavalerie légère d'avant-garde ; nous n'y reviendrons pas. L'Empereur montre ensuite que, le 4e corps arrivant à Plauen sans avoir rencontré l'ennemi, les reconnaissances sur la droite deviennent peu importantes. Par contre, c'est sur Pösneck et Saalfeld qu'il faut porter de fortes reconnaissances pour savoir ce qui s'y passe. Le maréchal Lannes est arrivé,
le 9 au soir, à Grafenthal ; il attaquera demain (le 11) Saalfeld. Vous savez combien il m'importe de
connaître dans la journée (le 10) le mouvement (de l'ennemi) sur Saalfeld, afin que, si l'ennemi avait réuni là
plus de 25.000 hommes, je puisse y faire marcher des renforts, par Pösneck,
et les prendre en queue. Napoléon sait par le rapport du maréchal Lannes (Grafenthal, 9 octobre, 5 heures soir) que, le 10 au matin, le 5e corps sera réuni à 2 lieues au delà de Grafenthal, sur la route de Saalfeld, en attendant des ordres. Il suppose que le 7e corps pourra rejoindre le 5e corps dans la soirée du 10 octobre. Ces deux corps attaqueront l'ennemi, le 11, à Saalfeld ; mais il faut que, le 10 au soir, les forces qui occupent Saalfeld aient été reconnues très exactement. Si elles sont supérieures à 25.000 hommes, une partie des troupes qui ont débouché de Lobenstein se porteront, par une marche de nuit, sur Saalfeld en passant par Pösneck et prendront l'ennemi en queue pendant que Lannes et Augereau l'attaqueront en tête. Donc, le 10 octobre, à 5 heures du matin, avant d'avoir reçu les rapports sur le combat de Schleiz et les interrogatoires des prisonniers, Napoléon admet que l'armée de Hohenlohe, en tout ou partie, puisse être à Saalfeld. Toutefois, cette hypothèse ne lui fait pas perdre de vue l'éventualité d'une offensive de l'armée du prince de Hohenlohe, dirigée d'Iéna sur le débouché de Schleiz. La lettre de Napoléon porte en effet : Il faut, à tout
événement, reconnaître une belle position en avant (nord) de Schleiz qui
puisse servir de champ de bataille à plus de 80.000 hommes. Aux 60.000 on 70.000 hommes dont dispose le prince de Hohenlohe, Napoléon veut pouvoir opposer, dès le 11 octobre, 80.000 hommes bien postés, et ces 80.000 hommes, il les aura en concentrant en moins de 24 heures, au nord de Schleiz, les 1er, 3e, 6e corps, la Garde et deux divisions de dragons, sans compter la division de cavalerie légère. Dans la même lettre, Napoléon annonce au prince Murat l'arrivée, le matin même, des divisions Dupont et Beaumont (3e division de dragons) à Schleiz, le débouché du 3e corps au delà d'Ebersdorf dans la matinée, enfin la marche du 6e corps sur Tanna. Mais, entre 5 et 6 heures du matin, les rapports sur le combat de Schleiz et les interrogatoires des prisonniers arrivent à l'Empereur. De la direction prise par la division Tauenzien battant en retraite, Napoléon conclut que le gros de l'armée du prince de Hohenlohe se trouve encore du côté d'Iéna. Les prisonniers ont déclaré, de leur côté, que le prince de Hohenlohe est encore à Iéna et que le prince Louis avec une division d'avant-garde occupe depuis quelques jours les environs de Saalfeld. Ces renseignements permettent aussitôt de faire écrire au maréchal Lannes (d'Ebersdorf, 6 heures du matin) par le major général : L'Empereur, Monsieur
le Maréchal, approuve les dispositions que vous avez prises ; pressez
l'arrivée de M. le maréchal Augereau et, immédiatement après, attaquez Saalfeld. Suit la nouvelle du combat victorieux de Schleiz. Nos postes vont sur Pösneck,
et, si les forces de l'ennemi sur Saalfeld devenaient trop considérables, on
marcherait à elles par derrière, mais rien ne donne à penser à l'Empereur
qu'il puisse y avoir là plus de 12.000 à 15.000 hommes. A la même heure (6 heures du matin), furent lancés les ordres pour amener la 3e division de dragons (général Beaumont) de Röppisch à Schleiz et le 3e corps à Saalburg (cavalerie et 1re division), Lobenstein et Ebersdorf. Avant le jour, la division Dupont avait reçu l'ordre de rejoindre immédiatement le 1er corps d'armée, à Schleiz. L'Empereur dicta ensuite plusieurs lettres datées d'Ebersdorf à 8 heures du matin et, parmi elles, une lettre au maréchal Soult dont nous allons reproduire et commenter quelques passages importants. Nous avons culbuté
hier les 8.000 hommes qui, de Hof, s'étaient retirés à Schleiz où ils
attendaient des renforts dans la nuit..... Voilà ce qui me
parait le plus clair. Il parait que les Prussiens avaient le projet
d'attaquer ; que leur gauche (armée de Hohenlohe) devait
déboucher par Iéna, Saalfeld et Coburg ; que le prince de Hohenlohe avait son
quartier général à Iéna et le prince Louis à Saalfeld ; l'autre colonne (armée de Brunswick) a débouché par Meiningen sur Fulda ; de sorte que
je suis porté à penser que vous n'avez personne devant vous, peut-être pas
10.000 hommes jusqu'à Dresde. Si vous pouvez leur écraser un corps, faites-le. Voici du reste mes
projets pour aujourd'hui : Je ne puis marcher, j'ai trop de choses en arrière
; je pousserai mon avant-garde (1er corps, 3e division de dragons et division de cavalerie
légère) à Auma ; j'ai reconnu (fait reconnaître par le
prince Murat) un bon champ de bataille
pour 80.000 ou 100.000 hommes. Je fais marcher le maréchal Ney (6e corps) à Tanna (par Hof) ;
il se trouvera à 2 lieues de Schleiz ; vous-même, de Plauen, n'êtes pas assez
loin pour ne pas pouvoir en 24 heures y venir. Le 5, l'armée prussienne (armée de Brunswick) a encore fait un mouvement sur le Thuringe, de
sorte que je la crois arriérée d'un grand nombre de jours. Ma jonction avec
ma gauche (5e
et 7e corps) n'est pas encore faite. Le
maréchal Lannes (5e
corps) n'arrivera qu'aujourd'hui à
Saalfeld, à moins que l'ennemi n'y soit en force considérable. Ainsi, les
journées du 10 et du 11 seront perdues. Si ma jonction (avec la gauche) est faite, je pousserai en avant jusqu'à Neustadt
et Triptis ; après cela, quelque chose que fasse l'ennemi, s'il m'attaque je
serai enchanté, s'il se laisse attaquer je ne le manquerai pas ; s'il file
par Magdebourg, vous serez avant lui à Dresde. Je désire beaucoup une
bataille. S'il a voulu m'attaquer, c'est qu'il a une grande confiance dans
ses forces ; il n'y a point d'impossibilité alors qu'il ne m'attaque ; c'est
ce qu'il peut me faire de plus agréable. Après cette bataille, je serai à
Dresde ou à Berlin avant lui..... L'Empereur, on le voit, était bien renseigné, grâce à un bon service d'espionnage et aux interrogatoires des prisonniers faits la veille au combat de Schleiz. Il pense que le prince de Hohenlohe, encore à Iéna, a détaché le prince Louis en avant-garde, à Saalfeld. Cette présomption lui fait croire que le maréchal Lannes ne rencontrera qu'une simple division de 12.000 à 15.000 hommes à Saalfeld et qu'il en aura facilement raison. Les derniers renseignements remontaient évidemment au 8 octobre, époque à laquelle la division du prince de Weimar, formant l'avant-garde de l'armée principale, venait d'arriver à Meiningen, tandis que la division du prince Louis, avant-garde de l'armée secondaire, atteignait Rudolstadt. Le mouvement que Napoléon attribue à l'armée principale, le 5 octobre, est erroné ; il se rapporte à la division Rüchel qui s'était portée de Mülhausen à Eisenach. L'intention de marcher avec le gros de ses forces sur Neustadt, dès qu'il aura fait sa jonction avec la colonne de gauche, indique, de la part de Napoléon, le projet de prendre Iéna, où il suppose le prince de Hohenlohe, comme premier objectif de ses opérations, en rase campagne. La pensée de l'Empereur est nette : Réunir sur Neustadt, dans la direction d'Iéna, les 1er, 3e, 5e, 6e, 7e corps, éventuellement le 4e corps, et se trouver en situation d'accepter ou d'offrir la bataille sur Iéna avec toutes ses forces. Si l'ennemi, refusant la lutte immédiate, file sur Magdebourg, le 4e corps se portera à grandes marches de Plauen à Dresde, point de passage important sur l'Elbe situé en dehors de l'action de l'adversaire, y franchira le fleuve dont il fera tomber la défense avant même que les Prussiens ne l'aient atteint (à Magdebourg), et formera ainsi l'avant-garde de la Grande Armée dans sa marche sur Berlin. Si, au contraire, l'ennemi accepte la bataille sur Iéna., la Grande Armée sera en mesure de franchir l'Elbe avant lui et de le devancer, soit à Dresde, soit à Berlin. Ces prévisions étaient absolument justes parce qu'elles reposaient sur l'affaissement moral qu'allait créer, dans le milieu dégénéré de l'état-major prussien, la nouvelle de l'envahissement de la Saxe par l'armée française. Connaissant les idées stratégiques alors admises dans les armées européennes, Napoléon avait la certitude, soit de provoquer la retraite des armées prussiennes en menaçant leurs lignes de communication avec Berlin, soit de les amener à livrer une bataille, uniquement pour couvrir ces mêmes communications. Fort d'un système de guerre basé sur la quantité de mouvement, l'Empereur ne pouvait rien désirer de mieux qu'une bataille parce qu'il prévoyait que l'ennemi la lui offrirait, non dans l'espoir de vaincre, mais pour échapper à un danger imaginaire. Napoléon avait à peine terminé la dictée de la lettre qui précède, qu'il reçut du maréchal Soult un rapport daté de Hof, le 9 octobre, à 6 heures du soir, et contenant la phrase suivante : Les rapports que j'ai sur Plauen portent que ce matin, l'ennemi a évacué cette ville et s'est dirigé sur Géra : il y avait 1000 chevaux, un train d'artillerie et quelque infanterie. Aussitôt, Napoléon ajoute à sa lettre, en post-scriptum : Les renseignements
que vous me donnez que 1.000 hommes de Plauen se sont retirés sur Gera ne me
laissent plus aucun doute que Gera ne soit le point de réunion de l'armée
ennemie. Je doute qu'elle puisse s'y réunir avant que j'y sois. Alors, sans perdre une minute (8 heures du matin), l'Empereur fait adresser au prince Murat, le billet suivant : Ordre au grand-duc de
Berg et au maréchal Bernadette de partir, sur-le-champ, pour se rendre à Auma
et intercepter la route de Saalfeld à Gera. Le renseignement du maréchal Soult induisit Napoléon en erreur. Les Prussiens, en les supposant concentrés, le 10, entre Weimar et Iéna, ne pouvaient plus arriver à Géra avant la Grande Armée, et leurs hésitations, ainsi que leurs lenteurs depuis le début de la campagne, ne pouvaient faire supposer de leur part une détermination aussi audacieuse. Nous verrons, néanmoins, les mouvements de la Grande Armée se succéder, le 10 et le 11 octobre, sous l'empire de l'idée fausse qui fut suggérée à Napoléon par le rapport à la cosaque du maréchal Soult, tant il est vrai que l'homme, même supérieurement doué, s'accroche à une apparence de vérité quand il se trouve momentanément privé de toute lumière sur une question. Un autre ordre de 8 heures du matin prescrivit au maréchal Ney[2] de se rendre à Tanna, à 2 lieues de Schleiz. Sur ces entrefaites, la division Dupont (1er corps), partie d'Ebersdorf vers 6 heures du matin, était arrivée à Schleiz entre 8 et 9 heures. De son côté, le 3e corps s'était mis en mouvement, à 7 heures, dans la direction de Saalburg. Vers 11 heures, on entendit, à Ebersdorf, où se trouvait le quartier général de l'Empereur, le bruit de la canonnade de Saalfeld. Cette circonstance provoqua une série d'ordres laconiques, tous datés de 11 heures du matin qui dénotent chez Napoléon une forte dose de nervosité. Il est ordonné à
Monsieur le maréchal Lefebvre de se porter en toute hâte avec la Garde à
Schleiz (d'Ebersdorf) ; Au général Klein (1re division de dragons), à Bamberg (!) ; Au général d'Hautpoul
(1re division
de cuirassiers), à Küps (!) ; Au général Nansouty (2e division de
cuirassiers), à Ebensfeld (!) ; Au général Grouchy (2e division de dragons), plus loin que Bamberg (!) ; Au parc d'artillerie,
à Kronach ; Au parc du génie, à
Kronach ; L'Empereur ordonne au
prince Jérôme qu'au lieu de se rendre à Lobenstein, il se rende (avec le corps bavarois) en toute diligence à Hof ; Ordre, à Monsieur le
maréchal Augereau, de partir et de rejoindre à
grandes marches de guerre, le maréchal Lannes qui a ordre
d'attaquer Saalfeld de concert avec lui (!) ; Ordre au maréchal Davout
de se rendre en toute diligence à
Schleiz où il portera son quartier général ; il prendra position en avant de
cette ville avec ses trois divisions ; Ordre au maréchal
Soult de se diriger sur Géra ; il occupera d'abord la ville de Weyda, où il
se mettra en communication avec l'avant-garde (de l'armée) qui sera au delà d'Auma, sur la route de Saalfeld à Géra. Arrivé à Hirschbach,
il se mettra également en communication avec Auma. Ces ordres, sauf ceux qui se rapportent à la Garde, au grand quartier général, au maréchal Davout et au maréchal Soult, étaient absolument inexécutables en raison de l'éloignement des troupes auxquelles ils s'adressaient. En particulier, l'ordre du major général au maréchal Augereau à Coburg, de rejoindre à grandes marches le maréchal Lannes, dans un moment où celui-ci est sûrement aux prises avec l'ennemi, montre, de la part du maréchal Berthier, ou bien une naïveté sans bornes, ou bien le désir de se couvrir contre les reproches que ne manquera pas de lui adresser l'Empereur quand il saura que le 7e corps n'a reçu ni ordres, ni instructions depuis le 7 octobre. L'Empereur, devant la gravité de la situation, confia, vers midi, au maréchal Davout la mission de diriger en personne la division Dupont sur Saalfeld par Pösneck. Cette division quitta les environs de Schleiz vers une heure, mais, par suite du mauvais état des chemins et de la longueur du trajet, ne dépassa guère Pösneck où elle arriva au milieu de la nuit. Un peu après 4 heures du soir, l'Empereur n'entendant plus le canon de Saalfeld acquit la conviction que le maréchal Lannes avait forcé l'ennemi. Il écrivit peu après, à 5 h. ½ du soir, de Schleiz au prince Murat : Comme j'ai cessé d'entendre
la canonnade ce soir, je suis porté à penser que l'ennemi ne s'est pas
longtemps défendu à Saalfeld. Cette simple phrase en dit long sur la valeur que Napoléon prête à ses troupes. Lannes eût-il été plus faible que son adversaire, ce n'est pas à 4 heures du soir que se Mt arrêté le combat, mais bien à la nuit close, et on eût entendu le bruit de la canonnade se rapprocher de plus en plus, tandis que, le canon s'éteignant sur place, Lannes était vainqueur et l'ennemi en fuite. Pendant que s'écoulaient, non sans une certaine anxiété, Les heures de l'après-midi du 10 octobre, Napoléon vit naître des douées dans son esprit au sujet de la nouvelle contenue dans la lettre du maréchal Soult, en date du 9 octobre, 6 heures du soir. Aussi, écrivit-il (6 heures du soir), à ce maréchal : A Géra, les affaires
s'éclairciront. Je crois être encore en mesure d'être à Dresde avant eux (avant qu'ils ne puissent atteindre
l'Elbe à Magdebourg) ; mais, une fois
que je serai tranquille sur ma gauche, tout prendra une vive tournure. Sous l'empire des mêmes doutes, Napoléon fit expédier le soir même (de Schleiz, 7 heures du soir) au maréchal Lannes, par le major général, une lettre contenant cette phrase : L'Empereur attend avec
impatience que vous vous rendiez à grandes journées sur Neustadt. Vous devez
former la gauche de l'armée qui va se porter sur Gera. En effet, les 5e et 7e corps une fois arrivés aux environs de Neustadt, toute l'armée sera réunie hors des montagnes, c'est-à-dire prête à manœuvrer et à combattre, où, quand, et comme il conviendra le mieux pour vaincre. Nous ne reviendrons pas sur le combat de Saalfeld gagné par la division Suchet, du 5e corps, luttant contre la division saxo-prussienne du prince Louis. Le récit de cet engagement avec commentaires figure dans notre livre De Rosbasch à Ulm, à titre d'exemple typique montrant l'abîme qui séparait les méthodes de combat usitées dans l'une et dans l'autre des armées opposées. C'est à 4 heures du soir seulement que le maréchal Augereau, encore à Coburg par manque d'ordres, d'instructions et même de communications avec le maréchal Lannes, mit en mouvement le 7e corps dans la direction de Saalfeld. La passivité du maréchal Augereau, demeurant à Coburg vingt-quatre heures en attendant des ordres, est un signe des temps. Mais aussi, l'oubli dans lequel le major général et le maréchal Lannes laissèrent le 7e corps, le 8 et le 9, était impardonnable. Le 10 octobre, le 1er corps précédé de la 3e division de dragons, couverte elle-même par la cavalerie légère du prince Murat, se porta sur Auma sans rencontrer l'ennemi. Le prince fut rejoint, au cours de la marche, par la brigade Lasalle, laquelle, après avoir établi, le 8 et le 9, la liaison de la colonne du centre avec la colonne de droite et constaté l'absence de tout ennemi vers Plauen, avait reçu l'ordre, le 9, de se rabattre, le 10, sur Schleiz. N'est-il pas étrange de voir le prince Murat réunir le commandement de l'avant-garde générale, de la division de cavalerie légère d'avant-garde et des divisions de la réserve de cavalerie encore fort éloignées ! Une telle méthode est vraiment fâcheuse. Comment le prince pouvait-il, à la fois, diriger les opérations de l'avant-garde générale, surveiller la marche des quatre divisions de cavalerie échelonnées à la suite du 3e corps et commander directement, sans l'intermédiaire d'un général de division, les trois brigades légères de l'avant-garde ? De ces trois rôles si différents, le prince Murat devait choisir celui qui convenait le mieux à son tempérament et à ses aptitudes. Aussi, le vit-on, durant cette partie de la campagne qui aboutit à Iéna, se consacrer presque exclusivement au commandement des brigades légères d'avant-garde et faire le coup de sabre, comme à Schleiz, à la façon d'un colonel de hussards. Le 10 octobre et pendant la nuit suivante, la brigade Milhaud (13e chasseurs) établie à Pösneck eut ses patrouilles en contact avec des postes de hussards prussiens s'étendant de Saalfeld dans la direction de Neustadt, le long des lisières boisées qui bordent la route au Nord. La brigade Wathier eut aussi ses détachements de sûreté et d'exploration arrêtés par une chaîne de postes de hussards mélangés avec de l'infanterie qui tenaient les lisières depuis Neustadt jusque vers Mittel-Pöllnitz. Enfin, la brigade Lasalle, à Mittel-Pöllnitz, eut devant elle (au nord) des détachements mixtes formant comme les mailles d'un filet qu'aucune patrouille ne pouvait franchir. Devant la colonne de droite, au contraire, pas l'ombre d'un ennemi. Le nœud de la situation était donc à gauche, entre Saalfeld, Neustadt et Géra, et c'est du côté de cette ville que l'armée allait se porter, en masse de guerre, aussitôt qu'elle serait entrée en liaison étroite avec les 5e et 7e corps après leur débouché de Saalfeld. A 8 h. ½ du soir, l'Empereur fit adresser plusieurs ordres dans le but d'assurer, le lendemain, la concentration de toutes ses forces disponibles sur Géra. L'avant-garde (1er corps, 3e division de dragons et division de cavalerie légère) dut partir avant le jour pour Géra. Le maréchal Davout (à Pöllnitz) eut à revenir de sa personne auprès du 3e corps lequel irait à Auma. La division Dupont (à Pöllnitz) reçut l'ordre de marcher, le 11, à la pointe du jour, sur Neustadt et Gera en se faisant flanquer sur sa gauche par la brigade Milhaud dont tous les postes auraient été au préalable relevés. Ainsi, le 11 octobre, si le 5e corps arrive à Neustadt, l'armée, à l'exception du 7e corps encore en arrière vers Saalfeld, sera réunie entre Neustadt use), Gera (1er), Weyda (4e), Auma (3e et Garde) et Schleiz (6e). A partir de ce jour-là, les manœuvres proprement dites pourront commencer parce que, libre de se mouvoir et de se concentrer sous toutes les formes, après avoir achevé son écoulement par les trois déversoirs d'Hof, d'Ebersdorf et de Saalfeld, la Grande Armée va devenir, dans la main de Napoléon, l'instrument à la fois souple et fort auquel rien ne saurait résister. La manœuvre d'Iéna commencera donc le lendemain de l'arrivée du maréchal Lannes à Neustadt, autrement dit, le 12 octobre au matin. Le 10 octobre au soir, les corps et divisions de cavalerie de la Grande Armée se trouvaient auprès des points suivants :
§ 4. — La journée du 11 octobre. A 6 heures du matin, le major général expédia au maréchal Ney, à Tanna, l'ordre de venir à Schleiz avec son corps d'armée et de lui faire prendre position au nord de la ville. A la même heure, ordre au général Sahuc (4e division de dragons) de marcher, à 10 heures du matin, de Schleiz sur Auma. A 9 h. ½ du matin, le prince Murat rendit compte à l'Empereur que l'ennemi avait évacué Géra, la nuit précédente, et que les troupes battues à Schleiz, ainsi que celles qui occupaient Géra, s'étaient dirigées sur Roda. Ces dernières comprenaient la majorité des deux divisions saxonnes, venues de Dresde, que le prince de Hohenlohe avait arrêtées pendant quelques jours, à Mittel-Pöllnitz, avec F arrière-pensée de les pousser sur Schleiz et Kronach dans le temps que les deux divisions prussiennes marcheraient, par Saalfeld, sur Coburg. De très bonne heure, le général Lasalle avait traversé Gera sans voir un seul ennemi et continuait au delà, lorsqu'il rencontra et prit un convoi saxon de 300 voitures, qui se rendait à Roda à la suite des divisions saxonnes. Les hussards de Lasalle firent une centaine de prisonniers et allèrent bivouaquer à 10 kilomètres au delà, sur la route de Zeitz, ayant derrière eux, à 6 kilomètres (à Tinz), la 3e division de dragons. La brigade Wathier resta auprès de Neustadt et de Triptis pour surveiller les nombreux postes de cavalerie prussienne établis de ce côté. Lorsque le 1er corps atteignit Géra, sa brigade d'avant-garde (général Werlé) alla s'installer à Tinz, auprès de la 3e division de dragons, et le gros forma ses bivouacs au nord de la ville (Géra). Le 3e corps quitta les environs de Schleiz, à 4 heures du matin, et marcha sur Auma puis, de là, sur Mittel-Pöllnitz, où s'établit la 1re division en avant-garde, les deux autres, en bivouacs échelonnés, à distance d'écoulement. Le maréchal Lannes attendit jusqu'à 10 heures du matin, près de Saalfeld, sur la route de Neustadt, l'ordre parti la veille à 8 h. ½ du soir qui lui prescrivait d'arriver le plus vite possible à Neustadt. Le 5e corps se mit en mouvement à midi et parvint à destination dans la soirée. Le maréchal Augereau qui, faute d'ordres ou d'indications quelconques, était resté, le 9 et le 10, à Coburg, mit son corps d'armée en marche, le 10 à 4 heures du soir, en recevant une lettre du maréchal Lannes lui annonçant que le 5e corps allait attaquer l'ennemi posté près de Saalfeld. Le 7e corps marcha depuis ce moment jusque vers le milieu de la nuit du 11 au 12, en ne prenant que quelques heures de repos. Le 11 au soir, ce corps d'armée atteignit Saalfeld et poussa encore au delà. Il avait ainsi parcouru 70 kilomètres en 30 heures. Le maréchal Augereau témoigna au major général, quoique en termes contenus, son vif mécontentement dans une lettre écrite, le 11 à 5 heures du soir, à Saalfeld. Je prie Votre Altesse
de croire, disait-il, que si j'avais reçu des ordres je les aurais exécutés
sans retard et que mes troupes n'auraient pas fait vingt lieues dans la nuit
dernière et dans la journée d'aujourd'hui. Au maréchal Lannes, il écrivit : Dorénavant, il faudra
nous entendre pour agir de concert ; donnons-nous mutuellement de nos
nouvelles, le plus souvent et le plus promptement possible ; le besoin du service
l'exige. Cependant telle était la valeur physique et morale des troupes françaises en 1806, que le 7e corps supporta sans faiblir la dure épreuve qui lui était imposée. Un officier saxon, fait prisonnier le 10 près de Saalfeld, vit passer le 7e corps dans les rues de cette ville, le 11 octobre au soir. Voici en quels termes il a donné son impression[3] : Pendant un passage de
plusieurs heures, je ne remarquai pas le moindre mouvement défectueux, je
n'aperçus pas un traînard. A la rencontre d'un
obstacle, les rangs s'ouvraient puis se refermaient soudain comme par
enchantement, sans la moindre apparence de désordre. Dans ces circonstances,
les accélérations et les ralentissements partiels de marche, nécessaires pour
le raccordement de l'ensemble, s'exécutaient avec une précision, une dextérité
prodigieuse. Ce défilé avait
Vallure majestueuse et puissante d'un grand fleuve. Dans la soirée du 11 octobre, à la suite des marches effectuées ce jour-là, la Grande Armée pouvait être considérée comme réunie, autrement dit, prête à manœuvrer en tous sens, et déjà son dispositif, en demi-cercle autour de Roda, semble indiquer, de la part de Napoléon, la pensée que la première bataille aura lieu sur la rive droite de la Saale, à l'est d'Iéna. En dehors du renseignement expédié à 9 h. ½ du matin par le prince Murat, qui annonçait de la façon la plus formelle le récent départ de troupes ennemies de Gera sur Roda, l'Empereur ne sut rien de l'adversaire dans le courant de la journée. Le matin, il s'était transporté de Schleiz à Géra, derrière le 1er corps, y avait appris la nouvelle de la capture d'un convoi saxon, puis s'était rendu à son quartier général installé, ce jour-là, à Auma. Napoléon ignora jusque fort avant dans la nuit du 11 au 12 où se trouvait le maréchal Lannes, le 11 au soir. Pendant toute la journée du 11 octobre, l'Empereur semble avoir vécu dans une grande perplexité, car aucun ordre émanant de lui ou du major général ne vient donner l'impulsion aux différents corps pour le lendemain. Toutefois, à minuit, Napoléon se décide à faire envoyer par le major général au maréchal Ney (à Schleiz), l'ordre de marcher sur-le-champ sur Neustadt. Il est à croire
qu'arrivé à Neustadt vous recevrez des ordres pour continuer votre marche. La continuation de la marche eût conduit le 6e corps sur Iéna. Sous l'influence de quelle suggestion l'Empereur envoie-t-il le 6e corps à Neustadt ? La réunion des armées prussiennes n'a pas eu lieu à Géra ; voilà le fait. Ces armées se réunissent-elles sur la rive gauche de la Saale ou sur la rive droite ? Le rapport de Murat (9 h. ½ du matin) dit positivement que les troupes battues à Schleiz et d'autres encore venant de Leipzig et de Géra, se sont rendues à Roda. Si Roda est le point de réunion des troupes du prince de Hohenlohe, c'est que l'armée principale a l'intention de passer sur la rive droite de la Saale, par Lobeda et Kahla, en vue d'agir offensivement. La bataille que Napoléon souhaite tant est donc imminente, et l'ennemi va l'offrir de lui-même. En conséquence, il faut que, le 12 au matin, la Grande Armée soit disposée de la façon suivante : A Géra, le 1er corps, en échelon offensif d'aile droite ; A Weyda, le 4e corps, formant l'aile droite ; A Mittel-Pöllnitz, le 3e corps, formant le centre ; A Neustadt, le 6e corps, formant la gauche ; Entre Saalfeld et Neustadt, les 5e et 7e corps, en échelons défensifs d'aile gauche. Les trois corps de bataille, à Weyda (4e), Mittel-Pöllnitz (3e) et Neustadt (6e), sont à 10 kilomètres les uns des autres sur un front (de 20 kilomètres) orienté comme pour une marche générale sur Roda. Napoléon allait sans doute lancer des ordres de mouvement aux corps d'armée, autres que le 6e, pour la journée du 12, afin d'amener leur concentration sur Roda par une marche concentrique, quand il reçut, entre 1 heure et 2 heures du matin, le 12 octobre, des rapports qui modifièrent du tout au tout ses projets assez mal définis de la veille et lui firent adopter la combinaison très précise en vertu de laquelle s'est effectuée la manœuvre d'Iéna. |