Du 5 septembre au 14 octobre 1806
§ 1er. — Rapport du maréchal Lefebvre au major général à la date du 29 septembre. Le 30 septembre, le major général reçut du maréchal Lefebvre (5e corps) un rapport, daté de Schweinfurth, 29 septembre, dont nous allons reproduire les passages importants : Je ne suis arrivé à
Schweinfurth que d'avant-hier[1], mais plusieurs jours auparavant j'avais placé une
brigade de cavalerie à Hammelburg pour couvrir Würzburg, observer Brückenau
et en général tout ce qui pourrait déboucher du pays de Fulda ; depuis, on y
a ajouté quelque infanterie, mais je conviens que ces forces seraient
insuffisantes pour défendre ce point contre une force imposante. Le maréchal Lefebvre répète, en l'abrégeant, son compte rendu du 24 septembre, où il annonçait l'établissement d'une brigade de cavalerie à Hammelburg, et celui d'une autre brigade à Munnerstadt, pour couvrir Schweinfurth. Son attention s'est portée sur Brückenau, situé au débouché de la forêt de Thuringe, sur la route de Fulda à Würzburg. Il est intéressant de remarquer à ce sujet que le même point de Brückenau est indiqué par l'Empereur, le 29 septembre, dans ses deux lettres au major général, comme direction éventuelle du œ corps, pour tomber sur l'ennemi s'il cherchait, de Fulda, à se porter sur Würzburg. La coïncidence est bonne à noter, ne serait-ce que pour montrer l'unité de doctrines qui régnait plus ou moins consciemment dans l'armée française, à la suite des guerres de la Révolution, du Consulat et de la dernière campagne (1805). Suivant vos
instructions et celles du prince de Ponte-Corvo (Bernadotte), j'ai dû porter ma principale attention sur le point
de Schweinfurth, sur lequel je vais concentrer nos troupes, dont une partie
commencera à camper aujourd'hui, pour me transporter, le 3 octobre, dans la
position de Neustadt, à cheval sur la grande route de Meiningen, pour observer
tout ce qui pourrait déboucher de cette partie de la Saxe, où il parait que l'ennemi
a concentré ses principales forces. Le maréchal Lefebvre recevait ainsi ordres et instructions du maréchal Bernadotte, comme son prédécesseur le maréchal Mortier. Cette anomalie résultait de ce que l'Empereur n'avait pas rapporté son ordre du 14 février 1806, disant que le maréchal Bernadotte réunirait sous son commandement celui du 5e corps pour l'occupation du marquisat d'Anspach. L'intention du commandant du 5e corps est de faire camper. On verra plus loin qu'en arrivant à Würzburg, le 2 octobre, vers 10 heures du soir, l'Empereur adressa très certainement des reproches au major général pour avoir laissé le maréchal Lefebvre former un camp, au lieu de placer ses troupes en cantonnements serrés. Le 1er octobre, Napoléon, encore à Mayence, écrivit sept lettres relatives aux opérations prochaines de la Grande Armée. Sur ce nombre, deux furent adressées au major général. Nous allons examiner la correspondance militaire de l'Empereur, le 1er octobre, en suivant l'ordre chronologique. § 2. — L'Empereur au major général. (Mayence, 1er octobre, 2 heures, matin.) Le maréchal Lefebvre
choisira une bonne position en avant (au nord) de
Schweinfurth, telle que 40.000 hommes puissent s'y battre. Je préfère qu'il
reste près de Schweinfurth à aller à Neustadt. A la date du 1er octobre, l'effectif du 5e corps était de 21.500 hommes et celui du 7e corps de 17.500 hommes. Ces deux corps d'armée réunis faisaient donc environ 40.000 hommes. Il est évident que l'Empereur a prescrit au maréchal Lefebvre de choisir une bonne position au nord de Schweinfurth, avec l'arrière-pensée d'y placer, le cas échéant, les 5e et 7e corps. Si les Prussiens débouchent, soit d'Hildburghausen et de Meiningen, soit de Fulda, ils viendront se heurter contre une position reconnue et préparée sur laquelle 40.000 hommes auront été concentrés en vue d'un combat défensif de Longue durée. L'ennemi sera immobilisé, tout d'abord, mettra deux jours, trois peut-être, à pousser la couverture de 40.000 hommes jusqu'à Schweinfurth et le Main, le temps nécessaire au gros de la Grande Armée pour exécuter la manœuvre que les circonstances auront inspirée à l'Empereur. N'est-ce pas, en grand, et transportée dans le domaine de la stratégie, l'application du principe tactique en vertu duquel l'avant-garde s'accroche à l'adversaire, le retient, l'immobilise, tandis que le gros des forces, grâce à sa zone de manœuvre, se prépare à fondre sur lui au point sensible ? Les grands principes de la guerre sont de tous les temps et, s'ils ne reçoivent pas leur application à certaines époques de l'histoire, on doit attribuer leur inobservation, bien moins à leur caducité qu'à une éclipse de l'art militaire. Entre les campagnes de Jules César et celles de Napoléon, des guerres de toute espèce se sont déroulées, et pourtant, qui oserait soutenir que la stratégie de Jules César a été inférieure à la stratégie de Napoléon ? Un principe constant, qu'il s'agisse de combinaisons stratégiques ou de combinaisons tactiques, nous apparaît, aujourd'hui, très clairement. Avant de tenter une manœuvre quelconque, il faut avoir pris ses mesures pour fixer l'ennemi. Qu'on appelle la troupe chargée de ce soin avant-garde, flanc-garde, arrière-garde, ou couverture stratégique, peu importe, l'essentiel est de placer sur la route de l'ennemi une force de résistance et de combat, combinée ou non avec des obstacles artificiels ou naturels, qui procure au commandement le temps et l'espace dont il a besoin pour asseoir ses combinaisons. Suivant les paroles de Napoléon, un mouvement en avant, sans fortes combinaisons, peut réussir quand l'ennemi est en retraite ; mais il ne réussit jamais quand l'ennemi est en position et décidé à se défendre, alors c'est un système ou une combinaison qui font gagner la bataille[2]. Je préfère qu'il (le maréchal Lefebvre) reste près de Schweinfurth à aller à Neustadt. Napoléon est conséquent avec lui-même quand il rapproche le 5e corps de Schweinfurth. En effet, sa troisième lettre du 30 septembre au major général donnant pour itinéraire probable au maréchal Lefebvre la route de Würzburg à Coburg, sans passer par Bamberg, en vue de le faire déboucher sur la Saale à Saalfeld, il était rationnel de ne laisser près de la frontière que de simples détachements et de concentrer le 5e corps tout près de Schweinfurth, point d'origine de sa future marche dérobée. Il (le maréchal Lefebvre) tiendra un avant-poste sur les collines, en avant de
Neustadt et de Kœnigshofen. Par le terme un avant-poste il faut entendre un détachement d'infanterie assez fort — probablement un bataillon — au delà de Neustadt, et un autre au delà de Kœnigshofen, sur les routes de Meiningen et de Hildburghausen. Ces avant-postes n'excluaient pas — bien au contraire — la présence des piquets de cavalerie encore au delà, sur les communications traversant la frontière, et un service très actif de patrouilles de cavalerie en contact avec les vedettes ennemies. La division du
général Dupont doit être à Würzburg ; ma garde doit y arriver demain. La division Dupont, composée du 9e léger, des 32e et 96e de ligne et du 1er hussards, était partie en deux échelons, le 23 septembre, de ses quartiers situés entre Cologne et Coblentz. Elle se réunit à Mayence, le 27, la brigade Legendre (32e et 96e) ayant parcouru les étapes suivantes : Le 23 septembre, de Cologne à Bonn 38 kilomètres. Le 24 septembre, de Bonn à Audernach 36 kilomètres. Le 25 septembre, d'Audernach à Coblentz 32 kilomètres. Le 26 septembre, de Coblentz à Baccarach 45 kilomètres. Le 27 septembre, de Baccarach à Mayence 44 kilomètres. La division une fois réunie (le 27) à Mayence, se dirigea dès le lendemain en marche de guerre sur Würzburg, qu'elle atteignit le 1er octobre après être allée : Le 28 septembre, de Mayence à Francfort 38 kilomètres. Le 29 septembre, de Francfort à Aschaffenburg 38 kilomètres. Le 30 septembre, de Aschaffenburg à Esselbach 32 kilomètres. Le 1er octobre, de Esselbach à Würzburg 32 kilomètres. On voit, par suite, que la brigade Legendre (32e et 96e), à laquelle était jointe l'artillerie divisionnaire, franchit 234 kilomètres en neuf étapes, ce qui fait une moyenne de 36 kilomètres sans un séjour. Nous n'aurions pas introduit dans cette partie de notre étude, qui vise particulièrement la doctrine stratégique, le relevé de marches ressortissant plutôt à la tactique, si nous n'avions trouvé là une occasion de donner, par un exemple historique, la mesure des efforts que l'on peut exiger de bonnes troupes au début des opérations. On entend dire parfois que les premières marches d'une campagne doivent être très courtes. Nous professons un avis diamétralement opposé. Si les hommes devaient entamer de longues marches en descendant du wagon qui les a transportés sur la zone de rassemblement, nous dirions : le résultat sera désastreux. Mais, après quelques jours passés au grand air sur la zone de réunion, au milieu de l'abondance, grâce à des distributions copieuses et variées, nous estimons que les troupes seront dans des conditions de vigueur et de résistance qu'elles n'atteindront plus au cours de la campagne. D'ailleurs, aux grandes manœuvres d'automne, ne voit-on pas les réservistes supporter parfois des fatigues excessives sans en souffrir, et cela, très peu de jours après leur arrivée dans les régiments. Les premières marches d'une campagne peuvent être moins pénibles que les suivantes parce que l'éloignement de l'ennemi contribue à ce moment à diminuer les privations, et ce ne sont pas les marches en elles-mêmes, si fortes qu'elles soient, qui ruinent la troupe, c'est la privation de sommeil, c'est une nourriture insuffisante ou mal préparée, c'est le bivouac, etc. Les grandes marches sont plus utiles au début d'une guerre que plus tard, en ce que l'ennemi ne les faisant pas entrer dans ses calculs peut en être complètement déconcerté. Ainsi les Prussiens de 1806, qui croyaient avoir accompli des prouesses parce que le régiment de Zastrow, par exemple, était venu en 16 jours de Posen à Dresde en parcourant 368 kilomètres, moins de 24 kilomètres par jour, tombèrent dans une profonde stupéfaction quand ils apprirent que des troupes françaises signalées en un point, tel jour, s'étaient transportées en deux marches, à 20 lieues plus loin. Si la guerre à venir débute de notre côté par une manœuvre telle que l'ennemi se voit contraint d'accepter la première grande bataille en fâcheuse posture, cette manœuvre exigera que nos troupes déploient des efforts presque surhumains..... et elles en seront capables quand on leur en aura montré la nécessité. S'il ne s'agissait que de marcher correctement, de maintenir le bon ordre partout et toujours, de s'engager contre l'ennemi avec méthode et courage, nous ne prônerions pas les grands efforts initiaux ; mais la question est autre. Il faut vaincre, c'est-à-dire dominer l'adversaire, le réduire à la défensive, puis le détruire s'il ne se soumet pas ou s'il ne cherche pas son salut dans la fuite. Si bonne que soit une armée, elle sera la proie d'une armée un peu meilleure, et c'est une nécessité absolue pour nous de chercher dans la vitesse des marches et la hardiesse des combinaisons des avantages qui compenseront largement certains défauts dont nos ennemis peuvent être exempts. Nous concluons que nos premières marches devront être combinées de telle sorte que l'ennemi en soit tout surpris. Nous prendrons ainsi, même avant le premier coup de canon, l'ascendant moral, gage du succès définitif. L'avis que nous venons d'exprimer au sujet des efforts très grands à demander à nos troupes au début d'une guerre n'est pas seulement l'expression de notre sentiment personnel. Le maréchal de Gouvion-Saint-Cyr partageait la même manière de voir quand il écrivait : C'est toujours au
commencement d'une guerre, d'une campagne ou dune action, que les troupes
françaises sont susceptibles des plus grands efforts et qu'on est presque certain
d'obtenir avec elles les plus grands succès. Il y a longtemps qu'on a remarqué
que la persévérance n'était pas toujours la compagne inséparable de leur
bouillant courage ; aussi, sommes-nous convaincus qu'avec des troupes
françaises, c'est au commencement d'une guerre, d'une campagne, d'une action,
qu'il faut aborder les plus grandes difficultés. La garde à pied se réunit le 28 à Mayence et en partit, le 29, en suivant le même itinéraire que la division Dupont, mais à un jour d'intervalle. Le maréchal Augereau (7e corps) y sera (à Würzburg)
le 4 ; je lui en donnerai l'ordre. L'Empereur étant encore à Mayence, un ordre de lui mettait moins de quatre heures pour arriver à Francfort où était le quartier général du 7e corps. Par conséquent, il suffisait que le maréchal Augereau fût prévenu, le 1er octobre, dans la soirée, pour qu'il pût mettre en mouvement son corps d'armée, dès le lendemain, dans la direction de Würzburg. D'après l'ordre de rassemblement du 20 septembre, le 7e corps était concentré depuis quelques jours à Francfort, prêt à partir au premier signal. Le maréchal Davout restera
aux environs de Bamberg ; le maréchal Bernadotte, aux environs de
Lichtenfels, ayant des avant-postes en avant de Kronach et au débouché de Coburg. Le 29 septembre au matin, l'Empereur avait ordonné, dans sa première lettre au major général, que le 1er corps (maréchal Bernadotte) allât à Kronach. En dictant cet ordre, Napoléon, encore sous l'impression des alarmes causées par les rapports du major général en date du 24, cherchait à brusquer l'invasion de la Saxe. Mais le 1er octobre, la situation apparaît plus calme et point n'est besoin de pousser le 1er corps jusqu'à l'extrême frontière. L'Empereur indique donc les environs de Lichtenfels comme zone de cantonnements pour le 1er corps, sans que l'on néglige, pour cela, d'occuper par une avant-garde d'infanterie — ordre contenu dans la troisième lettre impériale au major général en date du 30 septembre au matin —, la hauteur située au pendant des eaux, entre Kronach et Lobenstein. Le maréchal Bernadotte reçut du major général, le 3 octobre, l'expédition de l'ordre de l'Empereur le concernant et y répondit en ces termes : Conformément à vos premiers
ordres — expédition des ordres de l'Empereur du 29 septembre au matin —, je
porterais tout mon corps d'armée à Kronach ; mais comme vous me dites que
l'intention de l'Empereur est que je reste dans les environs de Lichtenfels,
ayant des postes en avant de Kronach et au débouché de Coburg, la volonté de Sa
Majesté va être remplie. Je me trouverai ainsi
en échelons depuis Lichtenfels juste
qu'à Steinwiesen, et je pourrai déboucher, soit sur Culmbach, soit sur
Coburg, ou en avant sur Lobenstein, si j'en reçois l'ordre, et je suis bien aise
que votre lettre soit venue à temps pour arrêter quelques troupes. Je suis bien content
que vos nouvelles dispositions me permettent de ne pas être aussi concentré,
car le pays offre bien peu de ressources, et les environs de Kronach,
surtout, sont très stériles. La légère modification apportée par l'Empereur au dispositif de rassemblement qui résulte de ses ordres du 29 et du 30 septembre ne change rien aux conclusions que nous avons tirées de son examen. Le dispositif est nettement orienté pour l'offensive en Saxe, à travers le Franken-Wald. La première lettre au major général, du 1er octobre, 2 heures du matin, contient ensuite des ordres concernant l'organisation de Würzburg, Kronach et Forchheim en places de dépôt. § 3. — L'activité cérébrale de l'Empereur. Cette lettre est une de celles qui montrent le mieux l'état d'esprit fébrile de l'Empereur se traduisant par des prescriptions n'ayant entre elles aucun lien commun ; qu'on en juge ! Les petits dépôts de
cavalerie seront réunis à Forchheim. On doit calculer que
l'ennemi viendra à Würzburg. Je demande à la Hesse
600 hommes..... Tous les
convalescents de l'armée, à raison de 12 ou 15 par régiment, seront placés,
etc. Ainsi, de l'organisation de l'arrière, l'Empereur passe à une idée stratégique : la venue probable de l'ennemi à Würzburg, puis il s'occupe des contingents alliés et revient aux services de l'arrière. Pour être un homme de génie, Napoléon n'est pas moins un être humain. Son cerveau s'épuise en vibrations dont le sens change, à chaque instant, avec les idées très diverses qui s'entrechoquent pour ainsi dire tumultueusement. Et puis que penser, au point de vue hygiénique, de cette activité cérébrale dépensée à toute heure du jour et de la nuit ? Les lettres de Napoléon se ressentent souvent de l'état en quelque sorte pathologique de son cerveau et, chose digne de remarque, celles qui présentent le plus d'incohérence dans la succession des idées ont été dictées vers la fin de la nuit, à la suite d'un grand nombre d'autres lettres, en sorte que l'on peut suivre, à la lecture, l'épuisement, progressif du cerveau de Napoléon durant une longue période de travail intensif. Par exemple, un grand nombre de lettres impériales datées du 29 septembre, à 10 heures du soir et à minuit, sont suivies de plusieurs autres datées du 30 septembre, 3 heures et 3 h. ½ du matin. Aux lettres impériales du 30 septembre, minuit, succède la lettre que nous analysons, en ce moment, écrite à 2 heures du matin. Il résulte de là que, du 29 septembre, 10 heures du soir, au 1er octobre, 2 heures du matin, l'Empereur n'a pour ainsi dire pas cessé de travailler et de dicter des ordres. Quelle est la constitution humaine qui résisterait longtemps à un tel régime ? Ce n'est pas tout. Napoléon, arrivé à Mayence le 28 septembre au soir, après quatre journées de voyage en poste, se met au travail le lendemain matin et dicte presque sans interruption, jour et nuit, jusqu'au 1er octobre dans la soirée, moment où il monte en voiture pour se rendre à Würzburg. Donc, pendant trois jours et deux nuits, l'Empereur ne prend que quelques heures de repos ; l'effort est colossal. Dans une lettre écrite à l'impératrice le 13 octobre, de Géra, 2 h. ½ du matin, Napoléon donne un aperçu de son régime au début de la campagne : Je fais, de ma personne,
20 à 25 lieues par jour, à cheval, en voiture, de toutes les manières. Je me
couche à 8 heures et suis levé à minuit..... J'ai déjà engraissé depuis mon
départ (!)..... Résultat pitoyable, dirons-nous. § 4. — L'Empereur au maréchal Augereau. (Mayence, 1er octobre, matin.) Napoléon ordonne au maréchal Augereau de partir avec le 7e corps, les troupes de Hesse-Darmstadt, de Nassau et du prince primat, de manière à être arrivé à Würzburg le 4 au soir. On distribuera quatre jours de vivres et on se fera suivre de quatre autres jours de vivres. Il est à prévoir que les troupes alliées ne seront pas prêtes. Toutefois, le contingent de Hesse-Darmstadt devra jeter 600 à 800 hommes de garnison dans Würzburg, au plus tard, le S octobre, à midi. § 5. — L'Empereur au maréchal Mortier. (Mayence, 1er octobre, matin.) Après lui avoir annoncé sa nomination au commandement du 8e corps de la Grande Armée, l'Empereur énumère au maréchal Mortier les troupes qu'il aura sous ses ordres, savoir, les divisions Dupas et Lagrange composées des 2e, 4e et 12e légers, du 58e de ligne et de deux régiments italiens, du 26e chasseurs et du 4e dragons, de 18 pièces d'artillerie et d'une compagnie de sapeurs. Ces troupes commenceront à arriver le 8 octobre. A cette lettre était jointe une instruction dont nous détachons les passages essentiels. Aussitôt qu'une des
divisions du 8c corps d'armée aura plus de 3.000 hommes, elle pourra occuper
Francfort, et vous pourrez même y porter votre quartier général, en prenant
bien soin, toutefois, de ne pas vous compromettre, ni de vous laisser couper
d'avec Mayence, et même, à cet effet, dès que vous aurez réuni toutes les
troupes qui doivent former votre corps d'armée, vous en placerez en échelon, depuis
Francfort jusqu'à Mayence. Le 8e corps devant être, pendant le premier acte de la guerre, un corps de couverture régionale, c'est-à-dire un corps couvrant, non pas une armée, mais un territoire, la plus grande prudence doit présider à ses opérations et, dans aucun cas, il ne doit se laisser couper de Mayence son refuge suprême. L'ordre de placer des troupes en échelon depuis Mayence jusqu'à Francfort, une fois le corps d'armée au complet, mérite qu'on l'examine avec attention. Le 8e corps devait comprendre 25.000 hommes, d'après l'estimation exagérée à dessein par l'Empereur ; nous lui supposerons 15.000 hommes. Il aura 5.000 hommes à Francfort. Quant aux 10.000 autres, nous estimons que 5.000 pourront être échelonnés entre Francfort et Mayence, les 5.000 restants ne devant pas quitter cette place. Ce qui nous donne à penser que telle était l'intention de l'Empereur c'est, qu'un peu plus loin, l'instruction porte qu'au cas où le maréchal Mortier croirait bon d'aller au secours de Würzburg investie, le tiers de ses forces devrait toujours rester rapproché de Mayence pour que cette place ne coure aucun danger. Francfort est située à 40 kilomètres de Mayence. Les troupes échelonnées entre Francfort et Mayence devaient avoir surtout pour objet d'éclairer au loin les flancs de la route qui réunit les deux villes, afin que le détachement de Francfort fût averti en temps opportun de l'approche d'un ennemi nombreux sur ses derrières. La ligne extrême du service de sûreté devait affecter la forme des rayons d'un secteur, dont la ligne Francfort-Mayence était la hauteur, avec une base double de celle-ci. La garnison de Mayence pouvait facilement garder le Rhin, en amont, en aval, sur une longueur de 40 kilomètres. Les détachements échelonnés entre Francfort et Mayence avaient à assurer, de concert avec la garnison de cette ville, les deux rayons du secteur dont Francfort occupait le sommet. Ce dispositif est de nature à recevoir de nouvelles applications ; il indique bien l'idée qui doit présider au fonctionnement des forces lorsque, dans un but démonstratif, on détache un corps de troupe à 30 ou 40 kilomètres d'une place forte de laquelle il ne doit jamais se laisser couper. L'échelonnement de 5.000 ou 6.000 hommes entre Mayence et Francfort présentait cet autre avantage de permettre au détachement de Francfort, s'il était attaqué de front et refoulé par des forces supérieures, de trouver en arrière de lui des positions organisées à l'avance et pourvues de troupes de recueil. Vous surveillerez
attentivement tous les mouvements de l'Electeur de Hesse-Cassel. Votre position
lui donnera assez d'ombrage pour qu'il ne dégarnisse pas ses Etats et pour qu'il
soit forcé à rester neutre. L'idée est la même, sous une autre forme, que celle émise au roi de Hollande : J'aime fort à voir à
mon ennemi 10.000 ou 12.000 hommes de moins sur un champ de bataille où ils
pourraient être. L'Empereur prescrit ensuite au maréchal Mortier de maintenir libre, autant que possible, la route de Mayence à Würzburg, de correspondre journellement avec le commandant de cette place, de convenir avec lui d'un signal en cas d'investissement, et de ne marcher à son secours que si l'ennemi était très inférieur aux forces à lui opposer, lesquelles ne devraient, en aucun cas, dépasser les deux tiers disponibles, le dernier tiers devant toujours être rapproché de Mayence pour que cette place ne coure aucun danger. Napoléon, envisageant ensuite l'éventualité d'une bataille perdue, indique au maréchal Mortier les dispositions à prendre en conséquence : Correspondre avec le roi de Hollande sur tout ce qu'il faudrait entreprendre pour s'opposer au progrès de l'ennemi sur Mayence et Cologne ; repasser le Rhin si les forces adverses sont trop considérables et le border, en appuyant la droite à Mayence, la gauche à l'aile droite du corps de Hollande. Dans des circonstances
aussi improbables qu'imprévues, c'est de ces circonstances mêmes que vous prendrez
conseil ; et, s'il arrivait que Mayence dût craindre d'être cernée, vous vous
y enfermeriez avec votre corps d'armée. Cette dernière recommandation a une importance majeure pour nous qui avons vu en 1870 les tristes résultats de la protection que le maréchal Bazaine a cru trouver dans la place de Metz[3]. Aujourd'hui, on professe en France une profonde aversion pour les grandes places de guerre considérés comme refuges des corps en opérations. Des prescriptions draconiennes font une loi aux troupes tenant la campagne d'éviter tout camp retranché ou même de requérir une partie des ressources comprises dans un large périmètre tracé autour des ouvrages avancés de ces places. Mais, il ne saurait y avoir, à la guerre, de règle absolue, et l'ordre de Napoléon au 8e corps de s'enfermer dans la place de Mayence, au cas où elle dût craindre d'être cernée, est à la fois sage et prudent. Le Se corps, bien qu'appartenant nominalement à la Grande Armée, ne participe pas aux grandes opérations. Il est corps de couverture régionale, assurant l'intégrité de la frontière du Rhin aux environs de Mayence. Tant qu'il tiendra Mayence, rien n'est compromis et Napoléon pourra le dégager à la suite d'une victoire. Si le Se corps abandonne au contraire Mayence à ses faibles moyens de défense, le siège durera peu, ou bien l'ennemi masquera la place à l'aide d'un détachement et continuera sa marche vers l'ouest. Quelle résistance pourrait opposer, en effet, un corps de 15.000 hommes, en rase campagne, à toute une armée ? Au contraire, le Se corps enfermé dans Mayence force l'ennemi à immobiliser devant lui 20.000 ou 30.000 hommes qui ne seront pas sur le champ de bataille où ils pourraient être, selon l'expression de Napoléon. Nous concilierons qu'un corps d'observation, ou de couverture régionale, peut s'enfermer dans une grande place quand il a épuisé tous les moyens d'arrêter un ennemi nombreux, mais qu'une armée d'opérations n'a pas le droit de se reposer ni de chercher un abri, même temporaire, dans un camp retranché. La destinée d'une armée est de marcher, de combattre et de marcher encore. § 6. — L'Empereur au maréchal Augereau. (Mayence, 1er octobre, 1 heure de l'après-midi.) Napoléon annonce qu'il partira le soir même à 9 heures pour Würzburg. Il est très important
que vous soyez arrivé le 4 à Würzburg avec tout votre corps d'armée ; ceci
est une manœuvre de guerre. Vous ne devez laisser
ni dépôts ni hôpitaux à Francfort ; tout ce qui n'est point destiné à vous
suivre doit revenir à ce Mayence. Vous laisserez un
commandant d'armes à Francfort pour correspondre avec le maréchal Kellermann. L'Empereur ayant calculé que ses premières opérations seraient démasquées le 10 ou le 12 octobre, le 7e corps aurait tout juste le temps d'y participer, en supposant qu'il pût arriver le 4 à Würzburg. On comprend dès lors que sa présence à Würzburg, le 4 au soir, fût considérée par Napoléon comme très importante. L'ordre de renvoyer les dépôts et les malades à Mayence s'explique par le retard forcé des premières troupes du maréchal Mortier à venir occuper Francfort, celles-ci ne pouvant commencer à arriver à Mayence que le 8 octobre. Le maréchal Kellermann étant commandant du territoire de Mayence, c'est avec lui et non avec le maréchal Mortier que devra correspondre le commandant d'armes laissé à Francfort pour surveiller, sans doute, la municipalité de cette ville et se procurer des renseignements sur la Hesse-Cassel ainsi que sur les ennemis pouvant venir de Fulda ou de Gotha. Comme dans mon projet
général je refuse ma gauche, il se pourrait que les communications de l'armée
prissent pendant la campagne différentes directions. Que la Grande Armée refusât sa gauche, le fait dut paraitre évident au maréchal Augereau, mais la suite de la phrase n'était pas faite pour l'éclairer beaucoup sur le projet général de l'Empereur. Celui-ci a peut-être voulu expliquer l'évacuation de Francfort par des motifs d'ordre général se rapportant aux communications de l'armée, mais, encore une fois, — il n'a rien livré de son plan. En la circonstance, la réserve de l'Empereur était justifiée. Le maréchal Augereau devant arriver à Würzburg dans trois jours y verrait le major général et pourrait, par conséquent, apprendre de vive voix ce qu'il avait intérêt à connaître. § 7. — L'Empereur au prince primat. (Mayence, 1er octobre.) La guerre est inséparable de la politique. Dès qu'une grande nation cesse de jouir des bienfaits de la paix et se lance bon gré mal gré dans une guerre de frontières, l'unité de commandement s'impose aussi bien pour la direction des opérations militaires que pour celle des relations extérieures. Napoléon fait prévoir, le 30 septembre, au roi Louis de Hollande, qu'une fois le premier acte de la guerre fini, il sera chargé de conquérir Cassel. Le maréchal Mortier, par lettre du 1er octobre, est invité à surveiller attentivement tous les mouvements de l'Electeur de Hesse-Cassel. Cette fois, c'est le prince primat de la Confédération du Rhin que l'Empereur va charger d'endormir l'Electeur de Cassel avec des assurances de paix. Si le prince de
Cassel est sincère et qu'il veuille rester vraiment neutre, je n'ai pas
l'intention de l'en empêcher. Je prie Votre Altesse de lui envoyer un
courrier qui lui en donne l'assurance..... Je n'ai, dans le
fait, aucun sujet de me plaindre de Cassel. Je ne
l'attaquerai jamais de mon plein gré. Que l'on rapproche cette assurance de la phrase suivante, contenue dans la 4e note au roi de Hollande, datée de la veille : Le premier résultat d'une
grande victoire doit être de balayer
de mes derrières cet ennemi secret et dangereux. L'opposition est flagrante. Choque-t-elle nos sentiments d'honneur et de délicatesse ? Oui et non. On conçoit que Napoléon, ne voulant pas être dupe de la neutralité de Cassel comme il l'avait été l'année précédente de la neutralité armée de la Prusse, ait conçu le projet de balayer de ses derrières un ennemi secret et dangereux, mais était-il bien nécessaire de faire parvenir à l'Electeur de Cassel la promesse de ne jamais l'attaquer de plein gré ? Ne pouvait-on pas éviter de se compromettre par une assurance aussi formelle ? On dit et répète que l'honnêteté vulgaire n'a rien à voir à la politique. Nous ne partageons pas absolument cette conception des rapports internationaux et nous pensons que, tout en se servant, en politique, de moyens d'investigation que la conscience ne saurait admettre dans les relations sociales, on ne doit jamais mentir ouvertement et surtout fournir des armes politiques, sous forme d'écrits, à ceux qui peuvent devenir nos ennemis. § 8. — L'Empereur au major général. (Mayence, 1er octobre, 2 heures après-midi.) L'Empereur annonce son départ de Mayence et son arrivée probable à Würzburg le 2 octobre, vers 6 heures du soir. Il informe le major général de la nomination du maréchal Mortier au commandement d'un nouveau Se corps, et lui en détaille la composition. Voilà donc un major général qui, non seulement n'a participé en rien à la création d'un nouveau corps de la Grande Armée, mais encore en apprend la formation lorsque déjà les troupes qui doivent le constituer sont en mouvement de toutes parts. Que le maréchal Berthier n'ait pas eu les moyens de constituer le Se corps et que ce soin ait été réservé au ministre de la guerre de concert avec l'Empereur, la chose est admissible. Mais ne fallait-il pas, au moins, que le major général fût averti des projets de Napoléon au sujet d'une création qui modifiait la composition de l'armée ? Encore une fois, le maréchal Berthier n'est pas un major général tel que nous le concevons aujourd'hui. Je désire que vous
gardiez à Würzburg les officiers du génie qui ont fait les reconnaissances
des routes, pour que je puisse causer avec eux de la nature du pays. L'ordre qui précède est important parce qu'il montre la nécessité pour un général en chef de causer avec les officiers qui ont visité depuis peu le pays où se dérouleront les opérations. Une conversation de quelques heures avec des officiers intelligents et connaissant bien leur sujet en apprend plus à un chef que la lecture attentive de volumineux dossiers. Voyez à faire un
dictionnaire de la population des villes, bourgs et principaux endroits de la
Saxe, surtout de ce qu'on trouve sur la route de Leipzig à Dresde. Il était un peu tard pour commencer un pareil travail. C'est pendant la paix que l'on doit réunir les renseignements dont parle Napoléon. Les notices statistiques que nous possédons aujourd'hui, à l'imitation de nos ennemis de 1870, ne sont donc pas une innovation allemande ; mais le grand état-major prussien, en cela comme en beaucoup d'autres points, a singulièrement exploité l'idée première qui a jailli du cerveau de Napoléon pour répondre à une nécessité du moment. Il doit y avoir des
Bavarois qui connaissent parfaitement la Saxe ; il est important d'en avoir
un avec nous. Il est important, en effet, d'avoir à l'état-major de l'armée au moins un officier connaissant parfaitement la région que l'on va parcourir. Les cartes, aujourd'hui surtout qu'elles sont très bien faites, indiquent presque tout ce qu'un général d'armée a besoin de connaître, mais certaines particularités du sol ou des chemins, telles que les prairies marécageuses, l'espèce d'empierrement des routes, le degré de praticabilité des bois, la nature des constructions rurales, etc. n'y figurent pas. Ces lacunes ne peuvent être comblées que par les renseignements qu'un homme du pays peut procurer, à défaut de notices topographiques spéciales. Je n'ai aucun nouvel
ordre à vous donner. L'Empereur va partir pour Würzburg ; ses ordres antérieurs ont atteint les bornes de la prévoyance humaine ; il ne s'agit plus, pour lui, que de constater, sur place, jusqu'à quel point l'exécution de ses ordres est conforme à leur conception. Néanmoins, Napoléon renouvelle ses recommandations relativement aux travaux de Würzburg, de Kronach et de Forchheim. Au sujet de 250.000 rations de biscuit fabriquées par les soins du maréchal Bernadotte, et dont il sera question au titre des ordres administratifs en vue du rassemblement de la Grande Armée, l'Empereur écrit : Envoyez-les à
Kronach, d'où on les tirera pour approvisionner l'armée, si elle est obligée
de rester quelques jours en position pour déboucher en sûreté. M. le lieutenant-colonel Foucart, qu'on ne saurait trop louer d'avoir mis au grand jour tous les documents se rapportant aux opérations de la Grande Armée en 1806, a cru devoir commenter les lignes qui précèdent en ces termes : L'armée peut être
obligée de rester quelques jours en position sur
la crête des montagnes pour déboucher en sûreté. L'inspection de la carte montre que la crête des montagnes du Franken-Wald est couverte de forêts traversées par des routes en petit nombre. On ne voit pas très bien la Grande Armée en position sur la crête du Franken- Wald, mais si l'on se reporte à notre discussion des ordres contenus dans la lettre de l'Empereur au maréchal Soult, le 29 septembre, on comprend que la manœuvre de dégagement des débouchés pouvant exiger plusieurs jours, l'armée, concentrée à l'origine de ses lignes de marche, dût pouvoir, durant cette période, tirer ses subsistances d'un magasin central. Le commentaire de M. le lieutenant-colonel Foucart s'appuie probablement sur la phrase suivante d'une lettre écrite, le 3 octobre, par le maréchal Berthier à l'intendant général : Il est possible que
nous restions sur les hauteurs quelque temps avant de déboucher. De deux choses l'une, ou bien le major général a voulu dire que les colonnes de la Grande Armée pourraient stationner quelques jours en échelons sur les routes qui mènent aux cols du Franken-Wald, par conséquent, dans les hautes vallées, ou bien il n'a pas compris la phrase de l'Empereur : Envoyez-les (250.000 rations de
biscuit) à Kronach, d'où on les tirera
pour approvisionner l'armée, si elle est obligée de rester quelques jours en
position pour déboucher en sûreté. Avant de quitter Mayence, Napoléon reçut du maréchal Augereau un rapport daté de Francfort, 3 heures du soir, en réponse à la lettre expédiée le matin même. Le maréchal annonce le départ du 7e corps pour le lendemain (2 octobre), mais il fait observer qu'il y a quatre grandes marches et que, par suite, les troupes ne pourront arriver à Würzburg que le 6 octobre. Néanmoins, le 7e corps parvint à sa destination, dans les délais fixés, en parcourant les étapes suivantes :
Pendant la journée du 1er octobre, ou dans la nuit du 30 septembre, nous ne savons pas au juste, l'Empereur reçut du maréchal Augereau un rapport sur les agissements de l'ennemi, qui porte le nom de Bulletin de Hanau du 30 septembre. Ce bulletin a dû être rédigé par un officier d'état-major envoyé à Hanau pour y centraliser les renseignements. Les passages essentiels du bulletin en question sont : Le roi de Prusse se
trouvait à Merseburg le 24 septembre avec les maréchaux duc de Brunswick et
Moellendorf. Le prince de Hohenlohe
ayant passé l'Elbe avec son corps d'armée qu'on évalue à 30.000 hommes, et le
général Rüchel ayant quitté Göttingen pour aller par l'Eichsfeld vers Gotha,
la très grande masse des forces prussiennes se trouve en ce moment rassemblée
sur une ligne qui part de Dresde et vient finir aux frontières de la Hesse. On estime, mais sans
doute avec un peu d'exagération, qu'il peut y avoir 150.000 hommes sur cette
ligne. On assure qu'on trace
dans ce moment un camp pour 22.000 hommes de troupes hessoises dans la plaine
appelée Bevern, à 7 lieues de Cassel, dans la direction de Francfort. Le fait certain affirmé par le bulletin de Hanau est la présence du roi et de ses conseillers à Merseburg, le 24 septembre. Une telle constatation n'était pas faite pour déplaire à Napoléon, car elle lui donnait de la marge pour préparer son invasion de la Saxe. En outre, le long développement des colonnes saxo-prussiennes s'allongeant depuis Dresde jusqu'aux confins de Cassel indiquait clairement que l'ennemi éprouverait les plus grandes difficultés et de longs retards pour se concentrer en vue de la bataille lorsque l'irruption de la Grande Armée en Saxe lui serait connue. Plus les colonnes ennemies s'étireraient en longueur vers Cassel et Francfort, mieux réussirait la manœuvre de Bamberg sur Berlin en masse de guerre, parce que la Grande Armée réunie pourrait battre séparément les différentes colonnes ennemies avant qu'elles aient pu se réunir au point de concentration que le généralissime prussien ne pouvait manquer de fixer quand il apprendrait la présence des Français sur la Saale. Le renseignement douteux qui termine le bulletin de Hanau, au sujet des Hessois, dut confirmer Napoléon dans son projet de faire envahir l'Electorat de Cassel par le corps de Hollande aussitôt qu'une première victoire sur l'armée principale de l'ennemi lui aurait donné, les coudées franches. L'Empereur partit de Mayence, comme il l'avait annoncé, le 1er octobre, à 9 heures du soir. En route, il rencontra deux courriers du major général et trois courriers du prince Murat dont il prit aussitôt connaissance. § 9. — Premier rapport du major général à l'Empereur. (Würzburg, 1er octobre.) Le maréchal Berthier s'excuse de ne pouvoir aller reconnaître, faute de temps, la position du maréchal Lefebvre à Kœnigshofen, suivant l'ordre de l'Empereur en date du 29 septembre, 10 heures du soir. Le major général annonce l'envoi d'un rapport du maréchal Soult, daté de Munich, 26 septembre, où il est dit : Le 29, mon quartier
général sera à Ratisbonne et, le 1er octobre, à Amberg où je recevrai les
ordres que Votre Altesse aura la bonté de m'adresser. Le 3, le corps d'armée (4e) sera rendu à sa destination, et le 4 il sera dans le
cas d'entreprendre de nouvelles marches. Le 28 septembre, le maréchal Berthier avait écrit au maréchal Soult — au reçu de la lettre impériale datée de Saint-Cloud, 24 septembre — pour lui dire d'atteindre Amberg avec son corps d'armée, le 1er octobre, si c'était possible. Le 1er octobre, le maréchal Soult répondit de Ratisbonne à la lettre du major général, datée du 28 : Il est impossible que
toutes les divisions soient à Amberg le 1er octobre : la tête de la colonne
n'y arrivera seulement qu'aujourd'hui ; mais, le 3, tout y sera réuni. Or le major général disait dans la lettre à l'Empereur que nous analysons actuellement : Je vous envoie un
rapport (du 26
septembre) que je reçois de M. le
maréchal Soult qui est dans ce moment en position
à Amberg où tout son corps d'armée sera réuni demain (20 octobre). Le maréchal Berthier s'était imaginé qu'il suffisait d'envoyer un ordre pour qu'il fut exécuté. L'erreur est manifeste. Mais le major général commet une faute grave quand il affirme que le maréchal Soult est en position, le 1er octobre, à Amberg. On est même étonné de rencontrer de la part du maréchal Berthier une violation aussi flagrante des règles les plus élémentaires du service d'état-major, qui veulent que l'on distingue toujours entre ce que l'on sait d'une façon certaine et ce que l'on suppose d'après des renseignements que l'on n'a pu contrôler. Le major général rend compte ensuite que, par lettre du 30, le maréchal Ney annonce l'arrivée de sa cavalerie et de sa 1re division, le 1er octobre, à Anspach, la 2e division venant à un jour d'intervalle. Enfin, la tête du grand parc d'artillerie atteindra Würzburg le 2, au dire du général Songis. § 10. — Deuxième rapport du major général à l'Empereur. (Würzburg, 1er octobre.) Deux heures après le départ du premier courrier, le maréchal Berthier en envoya un second moins important où il n'est question que de matériel d'artillerie. L'équipage de 25 pontons, parti de Strasbourg, est annoncé à Würzburg pour le 3 ou le 4. § 11. — Premier rapport du prince Murat à l'Empereur. (Würzburg, 1er octobre, 10 heures du matin.) Le prince Murat quitta Mayence, le 29 septembre, à 1 heure de l'après-midi, et parvint à Würzburg, le 30 septembre, à 8 heures du matin. Il rendit compte aussitôt qu'aux termes d'un rapport du maréchal Lefebvre, reçu à l'instant, les Prussiens n'avaient pas encore pénétré dans la principauté de Fulda. Le général Rüchel a
fait sa jonction avec l'armée du roi le 23 au lieu du 25, et on m'assure à
l'instant que le prince de Hohenlohe qui, après avoir passé l'Elbe, semblait d'abord
se diriger sur Hof, s'est dirigé sur Erfurt, où
doit, dit-on, se réunir toute l'armée prussienne. Le renseignement, pour n'être pas certain, était néanmoins très important, car il indiquait la tendance des Prussiens à se réunir sur Erfurt. § 12. — Deuxième rapport du prince Murat à l'Empereur. (Würzburg, 1er octobre, 5 heures du soir.) Le prince Murat confirme dans ce rapport le renseignement du matin, à savoir que l'opinion générale est que les armées prussiennes se réuniront à Erfurt. Ensuite, le prince indique à l'Empereur les emplacements qu'occuperont les divisions de cavalerie de la réserve, le 3 octobre et jours suivants. Nous avons donné par anticipation ces emplacements. Inutile d'y revenir. Le rapport se termine par une demande de fonds : Je n'ai plus un sol et ne trouve pas à emprunter. L'Empereur dut encore recevoir, le 2 dans la soirée et au cours de son voyage, un troisième rapport du prince Murat, expédié, ce jour-là, à midi. Ce rapport confirme les premiers renseignements adressés la veille à l'Empereur : Il parait assez
constant, d'après tous les avis qui viennent de toutes parts, que les
Prussiens se réunissent sur la ligne d'Erfurt et de Weimar. § 13. — Arrivée de Napoléon à Würzburg. Le 2 octobre, vers 9 heures du soir, Napoléon arriva à Würzburg, après s'être arrêté pendant quelques heures de la matinée à Aschaffenburg, résidence du prince primat. L'Empereur alla loger au château de l'Electeur de Würzburg. Le maréchal Berthier qui l'attendait lui présenta les rapports de la veille et de la journée, puis répondit aux questions de l'Empereur au sujet des approvisionnements. Rien ou presque n'était fait. Napoléon, furieux, lui ordonna de prescrire sur-le-champ aux maréchaux Davout et Bernadotte de faire réquisitionner des farines et de faire construire sans retard huit grands fours à Bamberg et autant dans le fort de Kronach. L'Empereur ordonna aussi d'écrire au maréchal Lefebvre pour lui dire de ne faire baraquer ni bivouaquer ses troupes, mais de les cantonner aux environs de Schweinfurth, de manière à pouvoir les réunir en trois ou quatre heures sur la position (d'alarme) qui aura été choisie. Vous devez continuer
à avoir un poste de votre cavalerie sur le débouché de Hamelburg, écrit le
major général, la division Dupont ne devant pas rester à Würzburg. Vous devez placer
quelques postes de cavalerie intermédiaires jusqu'à Schweinfurth, afin
d'avoir des nouvelles et de les envoyer au quartier général. Le débouché de Hamelburg c'est le pont de la route de Fulda sur la Saale. Hamelburg est à 30 kilomètres de Schweinfurth et à 40 kilomètres de Würzburg. La route de Fulda à Würzburg continue à attirer l'attention de Napoléon. Cette route est, en effet, la plus dangereuse de toutes celles qui conduisent de la Thuringe dans la vallée du Main. Si l'ennemi se présente en grandes forces devant Hamelburg, avant que la Grande Armée ne se soit engagée complètement dans les défilés du Franken- Wald et n'ait mis en sûreté ses impedimenta dans les places de Würzburg, de Kronach et de Forchheim armées et approvisionnées, la manœuvre en Saxe n'est pas possible et il faudra combattre au sud du Thuringer-Wald. C'est pour cette raison que l'Empereur attache tant d'importance à recevoir promptement des nouvelles de Fulda par le poste de Hamelburg. A cet effet, il est prescrit au maréchal Lefebvre de placer entre Hamelburg et Schweinfurth, implicitement entre Schweinfurth et Würzburg, des postes intermédiaires qu'on nomme aujourd'hui des postes de correspondance. Les lettres aux maréchaux Davout, Bernadotte et Lefebvre, que nous venons de mentionner ou d'analyser, sont, toutes les trois, datées de 11 heures du soir, le 2 octobre. Les rapports écrits que le major général mit le même soir sous les yeux de Napoléon émanaient des maréchaux Bernadotte, Davout, Soult et Ney. § 14. — Rapport du maréchal Bernadotte au major général. (Bamberg, 1er octobre.) Le maréchal accuse réception au major général de sa dépêche du 30 septembre (expédition des ordres de l'Empereur en date du 29) et lui rend compte que le 1er corps sera réuni, le 2 octobre, le 3 au plus tard, aux environs de Kronach. On sait que, le 1er octobre, à 2 heures du matin, l'Empereur adressa au major général une lettre modifiant la position du 1er corps et lui donnant les environs de Lichtenfels comme point de réunion. Les ordres en conséquence ne parvinrent au maréchal Bernadotte que le 3 octobre. § 15. — Premier rapport du maréchal Davout au major général. (Nuremberg, 1er octobre.) Le maréchal Davout accuse réception des ordres reçus le 29 septembre — expédition des ordres contenus dans la lettre impériale du 24 septembre, datée de Saint-Cloud — pour accélérer le rassemblement de la Grande Armée. Le maréchal Davout fait observer que la tête de colonne du 3e corps ayant rencontré, à Nuremberg, les colonnes du 1er corps d'armée se dirigeant sur Bamberg — par suite de l'erreur de mot commise par l'Empereur dans les dispositions et mouvements pour la réunion de la Grande Armée —, le 3e corps a dû faire halte pendant vingt-quatre heures. En conséquence, la 1re division et la cavalerie légère atteindront Bamberg le 2 octobre seulement, les deux autres divisions, le lendemain. Les sapeurs, le commandant du génie et la cavalerie légère iront ensuite de Bamberg à Kronach à marches forcées, probablement en deux jours. Nous avons montré précédemment que l'Empereur, sous le coup des nouvelles alarmantes envoyées par le maréchal Berthier, avait écrit, le 24 septembre, de Saint-Cloud, au major général, pour faire filer la cavalerie du 3e corps sur Kronach et mettre la citadelle en état de défense par les soins du maréchal Davout. § 16. — Deuxième rapport du maréchal Davout au major général. (Bamberg, 1er octobre.) Le maréchal annonce qu'il vient d'arriver à Bamberg (assez tard dans la soirée) et qu'il a eu une entrevue avec le maréchal Bernadotte. Ce dernier lui ayant communiqué ses ordres du 30 — expédition des instructions contenues dans la lettre impériale du 29 — qui lui prescrivent d'aller avec son corps d'armée à Kronach, le commandant du 3e corps ne comprend plus l'ordre de détacher sa cavalerie à Kronach et de faire mettre cette place en état de défense. Il demande, en conséquence, de nouvelles instructions mais ne commence pas moins l'exécution des ordres donnés. Quoi qu'il en soit, le 7e hussards, qui doit faire partie de la brigade Lasalle, marchera sans retard sur Kronach. Comme on le voit, le maréchal Davout eut à supporter dans l'espace de quelques jours les conséquences de deux fautes imputables au commandement suprême. La première consistait à n'avoir pas collationné l'ordre général pour la réunion de la Grande Armée, ordre dans lequel le point de rassemblement assigné au 1er corps est Bamberg au lieu de Nuremberg que voulait l'Empereur. La seconde faute résulte de la précipitation et du trouble qui ont présidé à la dictée de la fameuse lettre du 24 septembre, datée de Saint-Cloud, qui fourmille d'erreurs matérielles et de prescriptions irraisonnées. Le maréchal Davout rend compte ensuite de la position du 3e corps. La 1re division (et la cavalerie) est arrivée (1er octobre)
et est établie entre Bamberg et Forchheim, sa tête à une lieue de cette
première ville où demain elle appuiera sa gauche, sa droite se prolongeant du
côté de Staffelstein. Demain, 2 octobre, le
reste du 3e corps sera entre Bamberg et Forchheim. Il résulte des lignes qui précèdent que la 1re division et la cavalerie forment bien l'avant-garde du 3e corps. Mais, on pourrait croire, en lisant le rapport du maréchal Davout, que sa 1re division va se déployer face.au nord, le 2 octobre, sa gauche à Bamberg, sa droite vers Staffelstein. Ce serait bien mal connaitre les idées qui régnaient à la Grande Armée. A la vérité, les apparences sont en faveur du déploiement de l'avant-garde ou, ce qui revient au même, à son cantonnement en largeur. Seulement, un rapport postérieur (Bamberg, 2 octobre) fait connaître que la 1re division s'est échelonnée, le 2 octobre, sur la route de Kronach, entre Staffelstein et Hallstadt, ayant un régiment à Bamberg. L'expression gauche à....., droite vers..... signifiait, pour le maréchal Davout, queue à....., tête vers..... La locution est vicieuse, à coup sûr, et doit être évitée en pareil cas. On remarquera combien est grande la distance d'avant-garde, le 1er et le 2 octobre, au corps Davout. Le 3e corps ne marche pas encore en guerre ; il s'étend profondément sur la route et néanmoins il est pourvu d'une forte avant-garde, mais il faut que celle-ci soit poussée en avant d'autant plus loin qu'il faudra plus de temps au gros du corps d'armée pour être en état de combattre. Si un corps d'armée occupe sur une route des cantonnements profonds de 40 kilomètres, l'avant-garde devra être poussée deux fois plus loin que si le même corps d'armée occupait des cantonnements de marche mesurant 20 kilomètres seulement. Cela est évident, car un corps d'armée échelonné sur 40 kilomètres de profondeur exigera, pour se concentrer en vue d'une action de guerre, deux fois plus de temps que s'il était échelonné sur 20 kilomètres seulement. Or, deux conditions commandent le rôle d'une avant-garde, l'espace et le temps. L'espace donne du temps, mais le temps ne tient pas toujours lieu d'espace. Ainsi, une avant-garde éloignée du gros, fera gagner à celui-ci le temps dont il a besoin pour manœuvrer ou combattre. Par contre, une avant-garde rapprochée ne pourra pas toujours, même en supposant qu'elle soit douée d'une haute capacité de combat, préserver le gros des atteintes directes ou indirectes de l'ennemi. § 17. — Rapports du maréchal Soult au major général. Deux rapports du maréchal Soult, expédiés de Ratisbonne le 1er octobre, ne présentent qu'un intérêt médiocre. Le premier débute ainsi : J'ai l'honneur de
remercier Votre Altesse de la bonté qu'elle a eue de me prévenir de l'arrivée
de l'Empereur à Mayence ; nous espérons que Sa Majesté sera bientôt au milieu
de sa fidèle armée et qu'elle lui
donnera le signal des combats pour tirer
vengeance de la perfidie de
ses ennemis. Le style c'est l'homme, a dit Buffon. En fait, le maréchal Soult annonçait que son corps d'armée serait réuni à Amberg, le 3 octobre, à la suite de marches de 10 et 11 lieues. § 18. — Rapport du maréchal Ney au major général. Enfin, un rapport du maréchal Ney (6e corps) daté d'Anspach, le 1er octobre, répond à la lettre du major général du 30 septembre (expédition des ordres de l'Empereur du 29) et rend compte que, le 2 octobre, le 6e corps aura sa tête à Nuremberg et sa cavalerie sur les routes allant de cette ville à Baireuth. § 19. — Emplacements de la Grande Armée à la date du 4 octobre. Dans la journée du 2 octobre, avant l'arrivée de l'Empereur à Würzburg, le maréchal Berthier avait expédié aux maréchaux les ordres contenus dans la lettre impériale du 1er octobre, 2 heures du matin, que nous avons analysés. Il résulta de leur exécution que, le 4 octobre, les corps de la Grande Armée occupaient les emplacements suivants : Le 1er corps autour de Lichtenfels, ayant une avant-garde auprès de la cavalerie légère de la réserve de cavalerie, entre Kronach et Steinwiesen avec postes au delà, vers Nordhalben ; Le 3e corps, près de Bamberg ; Le 4 e corps, au nord d'Amberg ; Le 6e corps, près de Nuremberg ; Le 5e corps, près de Schweinfurth ; Le 7e corps, à Würzburg, ainsi que la division Dupont et l'infanterie de la Garde ; La 1re division de cuirassiers (général Nansouty), à Eltmann ; La 2e division de cuirassiers (général d'Hautpoul), à Burgebrach ; La 3e division de dragons (général Beaumont), à Hallstadt ; La 4e division de dragons (général Sahuc), à Bannach ; Les deux brigades légères (généraux Lasalle et Milhaud), à Kronach et au delà ; Les 1re et 2e divisions de dragons (généraux Grouchy et Klein), non arrivées. La Grande Armée est donc réunie, le 4 octobre, suivant la forme définitivement adoptée par l'Empereur. Les rassemblements, largement articulés, et qui, loin de présenter le dispositif primitivement conçu par Napoléon, offrent déjà l'embryon de la marche d'invasion à travers le Franken-Wald en trois colonnes, n'auront qu'une durée éphémère. § 20. — Échelonnement des corps d'armée, préparatoire à la marche d'invasion en Saxe. Le 3 et le 4 octobre, l'Empereur fera donner des ordres aux maréchaux pour que les corps d'armée s'échelonnent en cantonnements serrés sur leurs routes de marche. En procédant ainsi, Napoléon se sera ménagé la possibilité de faire exécuter de grandes étapes aux colonnes de la Grande Armée lorsque viendra le moment d'entamer les opérations et il aura conservé, jusqu'à l'extrême limite, la possibilité de faire agir ses troupes dans la région du Main au cas où, contrairement aux prévisions les mieux calculées, le gros des forces prussiennes déboucherait de la Thuringe avant le 7 ou le 8 octobre. Par conséquent, à la phase du rassemblement proprement dit succédera celle de la préparation de la marche dans le sens choisi, et cette phase sera suivie du départ des trois colonnes d'invasion, ne varietur. La phase intermédiaire est indispensable lorsque l'on veut surprendre l'adversaire par la rapidité des mouvements. Aussi longtemps que les corps sont rassemblés, l'armée peut agir dans un sens quelconque. Dans le cas historique que nous étudions, la Grande Armée pouvait avoir à lutter, soit contre la Prusse seule, soit contre la Prusse alliée à La Saxe, soit contre la Prusse alliée à la Saxe et à l'Autriche. La seconde hypothèse s'est réalisée. L'ennemi, ayant l'avance des armements, peut choisir son théâtre d'opérations et l'imposer à la Grande Armée. Il faut donc que celle-ci se rassemble tout d'abord en position défensive, prête à faire face de toutes parts. Mais, les lenteurs de l'état-major prussien offrent à Napoléon la possibilité de mettre en œuvre son premier projet de manœuvre débordante en Saxe. Alors, il modifie peu à peu son premier dispositif de rassemblement et le transforme de telle sorte que, le 3 octobre, les corps de la Grande Armée sont prêts à s'engager, deux par deux, sur les trois routes Baireuth-Hof, Kronach-Schleiz, Coburg-Saalfeld, qui les conduiront sur la haute Saale en deux marches. Le 3 et le 4 octobre, les renseignements sur l'ennemi étant de plus en plus rassurants, Napoléon organise les colonnes, étend les corps d'armée sur leurs routes de marche, bande en quelque sorte l'arc qui doit lancer le trait, puis, le lendemain, 5 octobre, il lance son ordre général de mouvement qui embrasse les journées du 7 et du 8 octobre. Alea jacta est. L'invasion de la Saxe par les défilés du Franken-Wald est dès lors entamée, et rien ne pourra détourner l'Empereur de l'exécution de son plan. Nous allons revenir un peu en arrière pour examiner l'ordre du jour par lequel Napoléon prit, le 3 octobre, le commandement effectif de la Grande Armée. Ensuite, nous étudierons en détail les dispositions arrêtées par les maréchaux en arrivant sur leurs zones de rassemblement, le 3 octobre et jours suivants jusqu'au 7 octobre. Enfin, nous terminerons cette partie de notre étude, relative à la réunion de la Grande Armée en 1806, par l'exposé des renseignements sur l'ennemi, qui parvinrent à Napoléon pendant son séjour à Würzburg, renseignements qui le décidèrent à prescrire des dispositions préparatoires à la marche générale d'invasion par les routes désormais célèbres de Coburg à Saalfeld, de Kronach à Schleiz et de Baireuth à Hof. |
[1] Le maréchal Lefebvre avait précédemment transféré son quartier général de Dinkelsbühl à Mergentheim. (Voir ses deux lettres au major général, en date du 24 septembre, page 109.)
[2] Instruction de Napoléon au vice-roi d'Italie.
[3] La question du maintien voulu de l'armée de Lorraine en liaison étroite avec la place de Metz, les 16, 17 et 18 août 1870, est des plus complexes ; nous l'étudierons, avec les développements qu'elle comporte, dans notre prochaine publication sur la manœuvre de Saint-Privat.