Du 5 septembre au 14 octobre 1806
§ 1er. — Réaction produite sur Napoléon par la nouvelle de l'entrée des Prussiens à Dresde. L'Empereur écrivait au major général, le 20 septembre, à 6 heures du matin : J'espère que vous
recevrez ma lettre dans la journée du 24, et qu'avant le 3 ou le 4 octobre
toutes mes intentions seront exécutées (Mouvements et dispositions générales de la Grande
Armée). Je compte être à Mayence le 30,
et probablement, le 2 ou le 3 octobre, à Würzburg. Là ! je déciderai mes
opérations ultérieures. Napoléon, en apprenant, le 18 au soir, la nouvelle de l'entrée des Prussiens à Dresde et la levée du camp de Magdebourg, dut calculer que l'armée principale où se trouvait le roi de Prusse, ne pouvait pas atteindre les frontières de la Confédération du Rhin, soit sur Francfort, soit sur Würzburg, avant le 3 ou le 4 octobre. Donc, il fallait qu'à cette date toute l'armée française fût en position, suivant l'expression de Napoléon, c'est-à-dire réunie, couverte et prête à entrer en opérations. Ces opérations, quelles seront-elles ? Napoléon l'ignore ; il se décidera à Würzburg. Mais ce qu'il sait bien, c'est que, si les Prussiens lui en laissent le temps, il portera la guerre en Saxe en dérobant ses premières marches, de façon à tourner les armées prussiennes plus ou moins engagées dans les défilés de la Thuringe et à les amener à combattre, non plus pour vaincre, mais pour couvrir leur capitale. § 2. — Création d'un corps d'observation à Mayence. L'Empereur annonce, dans la même lettre, qu'il forme à Mayence une division, sous les ordres du général Dupas, composée de deux régiments d'infanterie légère, amenés de Paris en poste à la suite de la Garde, d'un régiment venant du camp de Boulogne et d'un régiment venant de Saint-Quentin. Ce sera là le corps
d'observation de la France et le corps d'appui de l'armée du roi de Hollande. Cette division fut le noyau du 8e corps de la Grande Armée, sous les ordres du maréchal Mortier, qui vint relever à Francfort, au commencement d'octobre, le corps Augereau (7e), lorsque celui-ci fut appelé à Würzburg. § 3. — Le grand quartier général à Würzburg. La même lettre impériale ordonnait au maréchal Berthier de se rendre le plus tôt possible à Würzburg, où devait être placé son quartier général, d'étudier la situation de cette place et de faire reconnaître la nature des chemins de la région. § 4. — Ordres pour la mise en état de défense et l'approvisionnement de Kœnigshofen, Kronach et Würzburg. Dans une seconde lettre de même date (20 septembre), l'Empereur donnait des instructions pour la mise en état de défense de Kœnigshofen, de Kronach et de Würzburg et l'envoi, dans ces places, de compagnies d'artillerie et d'officiers du génie, auxquels 30.000 francs étaient alloués pour les premiers travaux de défense. En outre, des commissaires des guerres, pourvus chacun de 30.000 francs, devaient commencer les approvisionnements de ces places, auxquels on ne touchera pas pour les consommations journalières, à moins que la place ne fût cernée. La prise de possession de ces trois places devait avoir lieu le 2 octobre et, le 4 octobre au plus tard, elles devaient avoir en batterie l'artillerie nécessaire qu'on aurait fait venir de Forchheim et d'Augsburg. On y disposera
sur-le-champ (2
octobre) tous les magasins nécessaires
et le local convenable pour les hôpitaux de l'armée, et généralement tout ce qui est nécessaire dans les places qui servent de
points d'appui aux armées. § 5. — Mesures d'organisation concernant la cavalerie. Une autre lettre de Napoléon, en date du 20 septembre, contient l'ordre suivant : Il y aura à la réserve
de cavalerie, sous les ordres du prince Murat, deux brigades de hussards et
de chasseurs. Une sera commandée par le général Lasalle et l'autre par le
général Milhaud. Celle du général Lasalle sera composée des 5e et 7e hussards
; celle du général Milhaud des 11e et 13e chasseurs. Par ce moyen, le 1er corps d'armée, les 3e, 4e, 5e et 6e corps n'auront chacun que trois régiments de cavalerie légère, et le 7e n'en aura que deux. Jusqu'à ce moment, les corps de la Grande Armée, à l'exception du 7e, avaient deux brigades de cavalerie légère et, par conséquent, deux généraux de brigade de l'arme. En enlevant un régiment de cavalerie légère à chaque corps d'armée pour constituer deux brigades légères auprès de la réserve de cavalerie, Napoléon réduisait, à la vérité, la cavalerie de sûreté, mais il créait une cavalerie légère d'exploration et disposait d'un certain nombre de généraux de cavalerie, soit pour les créations nouvelles, soit pour combler les vides de la réserve de cavalerie. Cette lettre du 20 septembre se terminait ainsi : Donnez l'ordre qu'on réunisse
les deux brigades de cavalerie légère : celle de hussards à Kronach et celle
de chasseurs à Lichtenfels. Cet ordre est significatif. Tandis que les dragons et cuirassiers de la réserve.de cavalerie se rassemblent par division sur un front considérable, bordant la rive gauche du Main, depuis Aschaffenburg jusqu'à Kronach, comme un voile épais tendu entre la couverture et les rassemblements de l'armée, les deux brigades légères de la réserve vont en quelque sorte amorcer la marche que Napoléon projette d'entamer à travers le Franken-Wald, si l'ennemi lui en laisse le temps. Il faut que le débouché de la route principale, celle qui passe par Kronach, soit occupé en deçà des montagnes et surveillé au delà. Voilà un des rôles d'une bonne cavalerie légère. § 6. — Réorganisation du grand parc du génie. Le même jour, Napoléon réorganisa le grand parc du génie de l'armée, à Augsburg. Ce grand parc dut comprendre : 10 officiers du génie. 1 compagnie de mineurs. 1 bataillon de sapeurs (1000) hommes. 1 compagnie de pontonniers pourvue d'un équipage de pont. 1 convoi transportant 4.000 outils. § 7. — Missions militaires à Cassel. Le 21 septembre, Napoléon écrivit au maréchal Augereau, à Francfort, deux lettres prescrivant de lui envoyer des renseignements sur Hesse-Cassel et d'envoyer en mission un officier du génie à Cassel pour observer chemins, montagnes, rivières, population, places fortes, et rapporter des croquis. Le même jour, le général Bertrand recevait l'ordre de partir le lendemain, 22 septembre, pour Worms et d'aller de là à Cassel, à Cologne et enfin à Mayence, où il devait rejoindre l'Empereur le 29. Le but de sa mission était d'observer le local, selon l'expression du temps, et d'examiner les troupes de l'Électeur de Cassel, dont l'attitude plus que louche autorisait à croire qu'il était disposé à faire cause commune avec la Prusse. § 8. — Annonce de l'arrivée de l'Empereur et désignation des routes de l'armée. Le 22 septembre, l'Empereur annonce au major général son départ de Paris, fixé au 25, et son arrivée à Mayence le 28 ou le 29, en passant par Metz. Une seconde lettre du même jour contient l'indication des routes pour l'armée. La première, de Mayence à Bamberg, passe par Francfort, Aschaffenburg (rive gauche) et Würzburg. La seconde, d'Augsburg et d'Ulm à Bamberg, par Ellwangen, Anspach et Nuremberg. L'Empereur prescrit de reconnaître, en outre, la route de Mannheim à Würzburg, par Neckarelz et Boxberg. Cette route a deux
avantages : d'abord plus courte pour ce que j'ai du côté de Strasbourg, et je
la crois meilleure ; ensuite il peut y avoir tel événement
où la communication de Francfort serait inquiétée par des partisans. Ordre de tracer des étapes sur ces routes et d'y placer des commandants d'armes (d'étapes). § 9. — Rapport du général Belliard sur Würzburg et les Prussiens. Le 18 septembre, le maréchal Berthier, en exécution de l'ordre contenu dans la lettre impériale du 9 lui prescrivant de faire reconnaître les petites places du Main, et en particulier Würzburg et Kœnigshofen, avait envoyé à Würzburg le général Belliard, chef d'état-major de la réserve de cavalerie, sous le prétexte d'inspecter des chevaux hors de service, mais en réalité pour voir les places de la région du Main. Le général Belliard lui rendit compte, le 23, que la citadelle de Würzburg, assez bonne comme construction, ne contenait rien, absolument rien. Sa lettre disait aussi : Les Prussiens
paraissent faire beaucoup de mouvements, et qui sont fort longs et incertains
; il ne parait pas moins vrai que les armées ennemies se renforcent, se concentrent
et se rapprochent de la nôtre qui me parait bien disséminée, surtout pour les
corps qui se trouvent former l'avant-garde, et malgré les protestations
amicales du roi de Prusse, on doit, par les apparences, lui supposer des
intentions hostiles. § 10. — Trouble de Napoléon au reçu d'une lettre alarmante du major général. Le 24 septembre, l'Empereur reçut à Saint-Cloud la lettre du major général datée de Munich, 20 septembre, où il était dit : Il est de mon devoir
de faire observer à Votre Majesté que les Prussiens ne dissimulent plus leur
intention de nous faire la guerre. Leurs armées se rassemblent sur les points
du territoire prussien qui approchent de vos avant-postes. Toute l'Allemagne ne
parle que guerre ; les grandes mesures se prennent ostensiblement. Le 19 septembre, le maréchal Berthier avait écrit à l'Empereur : Il paraît que les
Prussiens se rassemblent à Hof, frontière de Baireuth, à Magdebourg, où est
le principal corps d'armée, et à Hanovre. Ces nouvelles alarmantes paraissent avoir fortement impressionné l'Empereur et l'avoir déconcerté un peu, si l'on en juge par les ordres fiévreux et quelque peu incohérents que contient la lettre qu'il dicte aussitôt (24 septembre) à l'adresse du maréchal Berthier. Quand la présente
vous parviendra, et sans doute le 25[1], des ordres auront été donnés au maréchal Soult (4e corps à Passau), qui sera parti dès le 26 ; et comme il lui faut 3
ou 4 jours de marche pour se rendre à Amberg, il pourrait y être le 30,
quoiqu'il ait l'ordre de n'y être que le 3 octobre. Vous recevrez le présent
courrier le 27[2], afin que vous accélériez le mouvement du maréchal
Soult. Il importe qu'il
arrive vite à Amberg, puisque l'ennemi est à Hof,
extravagance dont je ne le croyais pas capable, pensant qu'il resterait sur
la défensive le long de l'Elbe. Si au lieu d'arriver le 3 octobre
à Amberg, le maréchal Soult peut y arriver le 1er octobre, ordonnez-lui d'y
être ce jour-là. En cette circonstance, Napoléon est plus humain qu'on ne pourrait le croire ; il est influencé par la menace d'un mouvement offensif, de la part de l'ennemi, et l'apparence de ce mouvement, si extravagant qu'il soit, le trouble profondément. L'Empereur pensait que l'ennemi resterait sur la défensive le long de l'Elbe. Cet aveu est bien important. Il indique la vraie solution, la seule que les Prussiens eussent dû adopter dans la situation d'infériorité où ils se trouvaient vis-à-vis de la Grande Armée et en tenant compte de la Russie leur alliée, dont les armées, si lentes d'ordinaire, n'apparaîtraient sur le théâtre des opérations que vers la fin d'octobre ou au commencement de novembre. En organisant la défense de l'Elbe, les Prussiens eussent gagné du temps, usé la Grande Armée et permis ainsi aux Russes d'intervenir utilement. Mais, quand l'orgueil et la folie se sont emparés d'une nation, les conseils de la prudence ne servent à rien. La lettre impériale du 24 continue en ces termes : Le corps du maréchal
Davout se sera sans doute réuni, le 25, lorsqu'il aura reçu vos ordres, à
Œttingen. Je suppose qu'il ne lui faut que deux ou trois jours pour cela. Cependant
je ne lui ai donné l'ordre d'y être que le 3 octobre. S'il peut y être le 1er
ou le 2, il n'y pas a d'inconvénient. Autant de mots, autant d'erreurs. Napoléon oublie qu'il a envoyé directement l'ordre au 3e corps, le 19 septembre, d'être réuni autour d'Œttingen le 25 ou le 26. L'ordre de l'Empereur pour le 3e corps n'est pas qu'il soit réuni à Œttingen le 3 octobre, mais bien à Bamberg. Ensuite, Napoléon prescrit que le 3e corps prenne possession de Kronach et mette cette place en état de défense. Cet ordre figurait déjà dans les dispositions générales du 19 septembre. L'Empereur, dans cette lettre, invite le major général à accélérer tous les mouvements de façon que l'armée soit en position deux ou trois jours avant la date primitivement fixée. Le terme en position n'a pas, sous la plume de Napoléon, le sens qu'on lui a donné plus tard. Il indique, non une prise de position, mais seulement l'arrivée des corps d'armée et des divisions de cavalerie aux points, de rassemblement prescrits. Je serai le 28 à Mayence :
c'est vous dire que je puis être le fer octobre à l'avant-garde si les circonstances l'exigent. L'Empereur n'écrivit plus au major général jusqu'au jour de son départ pour Mayence qui fut le 26 septembre. De son côté, le maréchal Berthier atteignit Würzburg, le 28 septembre à 5 heures du soir, après avoir été 42 heures en route. § 11. — Lettres et rapports transmis le 26 septembre par le major général. Au moment où le major général quittait Munich, le 26 septembre à 11 heures du soir, pour se rendre à Würzburg, il écrivit à l'Empereur pour lui faire part d'une lettre d'après laquelle M. Laforest allait quitter Berlin et pour lui annoncer l'envoi des rapports, lettres, etc. du 23 au 25 septembre, concernant l'ennemi et la sûreté des troupes. Mais il est à présumer que le courrier fut mal dirigé ou se trompa de route, car l'Empereur n'eût la lettre du 26 et les documents qu'elle annonçait que le 29 septembre, dans l'après-midi. Sans cette erreur, Napoléon aurait reçu les renseignements qui vont suivre dans la matinée du 29 et n'aurait probablement pas lancé les premiers ordres du 29 qui dénotent de sa part un trouble profond. Les rapports annoncés par le maréchal Berthier, dans sa lettre du 26, comprenaient : 1° Une lettre du maréchal Bernadotte, en date du 23, faisant connaître au major général que dans le cas où les Prussiens feraient un mouvement en avant, la division Suchet serait placée rapidement entre Anspach et Uffenheim, prête à se porter, soit sur Bamberg, soit sur Schweinfurth, soit enfin sur Würzburg ; 2° Une lettre écrite par le major général à l'Empereur, le 24, rendant compte de l'expédition des ordres de mouvement résultant des mouvements et dispositions générales de la Grande Armée et indiquant à l'Empereur les emplacements de rassemblement assignés aux six divisions de cavalerie de la réserve ; 3° Le rapport de M. le capitaine du génie Beaulieu, venant de Berlin où il a été envoyé par le major général en exécution des ordres contenus dans la lettre impériale du 5 septembre. Ce rapport ne présente pas un grand intérêt : il manque de précision en ce qui concerne les mouvements des armées prussiennes. Cependant, le capitaine Beaulieu annonce d'une façon positive que le corps du général Tauenzien, estimé à 2.000 hommes, s'est retiré des défilés de Baireuth et de Börneck sur Münchberg et Hof. Une phrase de ce rapport jette un trait de lumière sur les véritables causes de la guerre de 1806 ; la voici : C'est la position de notre
armée par rapport aux frontières des pays prussiens dont les ennemis se sont
servis pour inspirer de la méfiance à Sa Majesté le roi de Prusse. Nous avons montré, au début de cette étude, la disposition des quartiers de la Grande Armée à partir du commencement de mars 1806. Elle était assurément de nature à porter ombrage à la Prusse, et nous avons déjà dit que Napoléon, après avoir perdu en novembre et décembre 1805, toute illusion sur les sentiments de la cour de Berlin à l'égard de la France, a orienté sciemment la dislocation de la Grande Armée comme si la guerre devait éclater d'un jour à l'autre avec la Prusse ; 4° Un rapport du maréchal Soult, en date du 24 septembre, portant que : a) Suivant le général Beaumont, commandant la 3e division de dragons à Amberg, il y a 9.000 à 10.000 Prussiens à Hof ; b) Une armée de 30.000 à 40.000 hommes, après avoir pénétré en Saxe, avance très lentement ; 5° Un extrait des. rapports parvenus au maréchal Bernadotte, daté du 24, d'après lequel le roi de Prusse aurait quitté Berlin pour se rendre à Halle ; 6° Une lettre du maréchal Lefebvre (5e corps), datée de Dinkelsbuhl, 24 septembre, où il est dit que Meiningen est occupé par des hussards prussiens appartenant à un régiment autre que celui qui est dans la principauté de Coburg et qu'un régiment d'infanterie à quatre bataillons (chasseurs de Nerembauer) est en marche d'Erfurt sur Coburg ; 7° Une seconde lettre du maréchal Lefebvre, en date du 24, où il est rendu compte qu'après dispositions concertées avec le maréchal Bernadotte, une brigade de cavalerie du 5e corps a été établie à Hammelburg pour couvrir Würzburg et protéger le flanc gauche et les derrières du général Gazan autour de Schweinfurth. La 2e brigade de cavalerie légère, aux ordres du général Treilhard, a été portée à Münnerstadt pour couvrir Schweinfurth et éclairer les routes de Meiningen, Kœnigshofen et Hildburghausen. Il suit de là que le maréchal Bernadotte avait conservé, jusqu'au moment où lui parvint l'ordre de rassemblement de son corps d'armée (26 septembre), la direction supérieure des 1er et 5e corps, telle que la lui avait octroyée la prescription contenue dans la lettre impériale du 14 février 1806 ayant trait à l'occupation du marquisat d'Anspach par les 1er et 3e corps combinés. Remarquons que des dispositions de sûreté ont été prises par les maréchaux Bernadotte et Lefebvre, alors que les rapports en apparence les plus pacifiques régnaient entre la France et la Prusse et avant que l'ordre de rassemblement général de la Grande Armée fût parvenu aux maréchaux. Hammelburg, où fut envoyée la brigade de cavalerie légère Milhaud, est à 32 kilomètres, à vol d'oiseau, de Schweinfurth et à 50 kilomètres directement au nord de Würzburg. Münnerstadt, qu'occupa la brigade Treilhard, est situé à 30 kilomètres au nord de Schweinfurth ; 8° Une lettre du maréchal Bernadotte, en date du 23, rendant compte que la division Gazan étant un peu trop disséminée dans les environs de Schweinfurth, une brigade de la division Suchet a été placée entre Dettelbach et Würzburg pour l'appuyer ; 9° L'extrait des rapports du 25 septembre recueillis par le maréchal Bernadotte. Cet extrait donne des renseignements intéressants parmi lesquels les plus importants sont : On trace dans les
environs de Hof un camp pour 60.000 ou 70.000 hommes. La majeure partie des
troupes qui étaient à Magdebourg se sont portées sur Halle..... Le corps venant de
Hanovre, sous les ordres du général Rüchel est arrivé à Eisenach, Gotha et
Erfurt. Des détachements se sont avancés sur Meiningen et Coburg. Ce dernier renseignement venait corroborer le rapport du maréchal Lefebvre, en date du 24, où il était dit : Rien n'égale la
présomption des officiers prussiens. On estime de 120.000
à 130.000 hommes les troupes prussiennes et saxonnes qui se sont rendues ou
doivent se rendre entre Halle, Leipzig et Dresde. La désertion est
considérable dans l'infanterie (prussienne)
; chaque régiment a déjà perdu 200 hommes. Des rapports de la
Bohême annoncent que les Autrichiens font des mouvements. Il paraît ressortir de l'examen de tous les documents relatifs aux renseignements sur l'ennemi que, pendant le mois de septembre 1806, le major général ne semble pas avoir eu un service d'espionnage bien organisé. Les agents secrets, très nombreux, étaient choisis et employés par les maréchaux commandant les corps les plus voisins des frontières. Ainsi, les maréchaux Bernadotte (pour les 1er et 5e corps), Soult (4e corps) et Augereau (7e corps), entretinrent des espions, au moyen de fonds secrets à eux alloués, jusque sur les frontières russes. Le général Belliard, en mission à Würzburg, reçut, par lettre du major général, en date 24, l'autorisation de percevoir 3.000 francs pour l'espionnage. L'organisation du service des renseignements secrets aurait dû être faite à l'état-major de l'armée, sans pour cela priver les maréchaux commandant les territoires frontières de quelques subsides destinés à l'espionnage. A la vérité, l'espionnage fut centralisé par Napoléon entre les mains du général Savary, dès que les opérations commencèrent. Une autre remarque qui vient à l'esprit, c'est la modicité des dépenses affectées à l'espionnage et, comme corollaire, les faibles prétentions des agents. Il semble, d'après certains détails épars dans la correspondance des maréchaux, qu'on ait employé comme espions un certain nombre de sous-officiers autrichiens déserteurs. Quoi qu'il en soit, les moyens d'espionnage alors en usage ont pu suffire, mais ne répondraient plus aux exigences de l'époque actuelle. § 12. — Positions qu'occuperont les corps d'armée et les divisions de cavalerie, le 3 octobre. Au cours de son voyage à Würzburg, le général Berthier passa par Œttingen, où il vit le chef d'état-major du 3e corps, et par Anspach, quartier général du maréchal Bernadotte. Les renseignements recueillis sur sa route lui permirent de rendre compte à l'Empereur, le 28 septembre à 5 heures du soir, des positions qu'occuperaient les corps d'armée et les troupes de cavalerie, le 2 ou le 3 octobre, savoir : Le 3e corps sera réuni, le 2, à Bamberg. Le 1er corps sera réuni, le 2, à Bamberg. Le 5e corps sera réuni, le 2, à Kœnigshofen. Le 21e de ligne sera placé, le 1er octobre, à Würzburg et sur la route de Fulda. Le 6e corps sera réuni à Ulm, le 28 septembre. Le 7e corps est déjà réuni à Francfort. Les brigades légères Lasalle et Milhaud seront, le 2 octobre, à Kronach et Lichtenfels. La division Beaumont (3e de dragons) sera, le 2, à Forchheim. La division Sahuc (4e de dragons) sera, le 3, à Schweinfurth. La division Becker (2e de dragons) sera, le 9 ou le 10 seulement, à Mergentheim. La division Klein (1re de dragons) sera, le 3, à Aschaffenburg. La division Nansouty (1re de cuirassiers) est à Kitzingen. La division d'Hautpoul (2e de cuirassiers) sera, le 3 ou le 4, à Windsheim. A son passage à Munich, le major général avait obtenu du roi de Bavière que l'artillerie bavaroise de place qui se trouvait à Ingolstadt se mît en marche aussitôt pour Würzburg, où elle pouvait arriver le 2 ou le 3 octobre. La lettre du major général, datée de Würzburg, le 28 septembre à 5 heures du soir, parvint à l'Empereur, le 29 dans l'après-midi. Arrivons aux ordres donnés par Napoléon le 29, au matin. § 13. — Arrivée de l'Empereur à Mayence et son état d'esprit en n'y trouvant aucune nouvelle de l'ennemi. Et d'abord, figurons-nous l'état d'esprit de l'Empereur en arrivant à Mayence, le 28, dans la matinée. Point de nouvelles de l'ennemi autres que celles qu'il a reçues à Saint-Cloud, le 24, nouvelles alarmantes qui ont motivé sa lettre du 24, où se rencontrent tant d'erreurs et de contradictions. La journée du 28 se passe sans que l'Empereur reçoive de nouveaux renseignements de son major général. Pendant la nuit du 28 au 29, rien ; le lendemain matin 29, rien encore. La nature de Napoléon ne pouvait s'accommoder d'une aussi longue attente. Alors, sous l'impression encore vivace des renseignements alarmistes du 24, l'Empereur dicte, le 29, quatre lettres pour le major général, une pour le prince Murat et une pour le maréchal Soult, dont nous allons discuter les passages essentiels en suivant l'ordre chronologique, afin de mieux suivre le courant d'idées qui s'est formé ce jour-là dans le cerveau de l'Empereur. § 14. — Première lettre du 29 septembre au major général. Écrivez au maréchal
Bernadotte qu'il se mette en marche pour Kronach et qu'il fasse occuper tous
les débouchés des montagnes de Saxe, en se tenant sur la frontière, et en prenant
cependant une bonne position qui protège le passage en Saxe ; qu'il fasse
reconnaître les chemins de Leipzig et de Dresde. Napoléon assigne au 1er corps le rôle d'avant-garde sur le débouché Kronach-Lobenstein, puisque ce corps d'armée doit occuper une position qui protège le passage en Saxe. L'emplacement du 3er corps ne pouvait être qu'au delà du pendant des eaux, suivant l'expression du temps, de la ligne de faîte ou de partage, disons-nous aujourd'hui, et très probablement plus près de Lobenstein que de Kronach. Mais, l'ordre prescrivant de ne pas dépasser la frontière, le maréchal Bernadotte établit son corps d'armée (compte rendu du 1er octobre) dans les environs de Kronach et fit occuper les débouchés occidentaux des montagnes. Sa position était donc défensive et n'assurait que très imparfaitement le passage en Saxe. L'intention de l'Empereur apparaît clairement. Il veut brusquer le mouvement d'invasion en Saxe, parce qu'il suppose les Prussiens en marche, soit sur Hof, soit sur Fulda, et que, dans le cas où l'armée principale ennemie déboucherait sur Hanau ou sur Würzburg avant que la Grande Armée n'ait franchi le Frank en- Wald, la guerre se localiserait dans le bassin du Main et ne produirait pas les effets moraux résultant de l'apparition inattendue de la Grande Armée en Saxe. Le maréchal Lefebvre (5e corps) fera reconnaître les débouchés des montagnes pour
descendre en Saxe et les chemins d'Erfurt et de Leipzig. Qu'il fasse occuper
une bonne position à son avant-garde en avant de Kœnigshofen. Qu'il envoie
des espions et des reconnaissances pour connaître les rapports des voyageurs du
côté de Fulda. On verra, pendant les jours qui ont précédé la mise en marche définitive de la Grande Armée sur la Saxe, l'Empereur attacher une importance extrême aux reconnaissances sur Fulda. Si le gros des forces ennemies débouche de Fulda[3] avant que la Grande Armée ait levé ses cantonnements de rassemblement, il sera trop tard pour porter la guerre en Saxe. Si, au contraire, l'armée du roi est encore dans les environs d'Erfurt quand la Grande Armée se mettra en marche vers l'Est, la manœuvre réussira sans encombre. De Kœnigshofen à
Brückenau, il doit y avoir une route qui passe par Neustadt, Il est
nécessaire que le maréchal Lefebvre fasse éclairer cette route, en supposant
qu'il y ait des Prussiens à Fulda, pour que de sa position de Kœnigshofen, il puisse tomber sur l'ennemi s'il cherchait, de Fulda, à
se porter sur Würzburg. Brückenau est un gros bourg situé à 35 kilomètres au sud de Fulda, sur la route de Würzburg, près du débouché d'une grande forêt, dans une plaine ondulée qui permet de voir et de manœuvrer. Un chemin conduit effectivement de Kœnigshofen à Brückenau, par Neustadt et Waldaschach. De Kœnigshofen à Neustadt, 20 kilomètres. De Neustadt à Brückenau, 35 kilomètres. Le 5e corps était un corps de couverture. Pour Napoléon, un corps d'armée placé dans ces conditions n'était pas destiné uniquement à former tampon, il était, aussi et surtout, une troupe de manœuvre. On ne doit pas fatiguer
inutilement la cavalerie. Par ces mots, l'Empereur veut dire que les brigades et régiments de cavalerie doivent rester groupés, détachant seulement des patrouilles et des postes pour assurer le service des reconnaissances et concourir à la sûreté des cantonnements. Toute la cavalerie légère
du maréchal Bernadotte (1er corps) sera placée en
avant de Kronach ; celle du maréchal Lefebvre (5e corps), en avant de Kœnigshofen. La cavalerie légère
du maréchal Soult (4e corps) prendra position sur
les confins du pays de Baireuth, vis-à-vis Kreussen ; il (le maréchal Soult) placera une avant-garde
qui occupe une bonne position. Voilà donc les cavaleries légères de trois corps d'armée placées en avant (au Nord) de Kœnigshofen (5e corps), (à l'Est) de Kronach (1er corps), et près (au Sud) de Baireuth (4e corps), sur les débouchés conduisant en Thuringe et en Saxe. Quand il donna cet ordre, l'Empereur avait sans doute oublié que, le 20 septembre, il avait prescrit la formation et l'envoi des brigades Lasalle et Milhaud à Kronach et Lichtenfels et qu'une de ses lettres du 24 septembre avait invité le maréchal Davout (3e corps) à envoyer sa cavalerie légère à Kronach pour le 2 ou le 3 octobre. Si les ordres de l'Empereur s'exécutent, il y aura à Kronach et environs : la cavalerie légère du maréchal Davout, 3 régiments ; les brigades légères de la réserve, 4 régiments ; la cavalerie légère du maréchal Bernadotte, 3 régiments ; au total, 10 régiments de cavalerie légère. N'est-ce pas beaucoup trop pour éclairer un seul débouché de montagnes ? L'Empereur veut que le 5e corps fasse occuper une bonne position à son avant-garde et il prescrit au maréchal Soult (4e corps) de placer une avant-garde qui occupe une bonne position. Ces ordres visent des avant-gardes indépendantes de la cavalerie légère, puisque Napoléon donne aux cavaleries légères des corps d'armée des emplacements définis. Les corps de la Grande Armée détachaient donc des avant-gardes, tout au moins en station, pour se couvrir dans les directions dangereuses. Quelques auteurs ont cru pouvoir conclure de l'absence d'une distance d'avant-garde, à la colonne de droite, pendant la traversée du Franken- Wald, le 8 et le 9 octobre, que le 4e corps, et en général les corps de la Grande Armée, n'avaient, pour toute infanterie, à l'avant-garde, qu'un bataillon d'infanterie légère. Ce bataillon était un repli de cavalerie mais ne constituait pas l'avant-garde tactique. Disons, dès à présent, que le maréchal Ney arriva, le 14 octobre, sur le champ de bataille d'Iéna à la tête de son avant-garde et que celle-ci comprenait la valeur d'une brigade d'infanterie (25e léger, 1 bataillon de grenadiers et 1 bataillon de voltigeurs). Il faut que le
maréchal Bernadotte fasse en secret ses reconnaissances et ses dispositions
pour qu'il puisse, de Kronach, intercepter la route d'Erfurt à Hof. Cela veut dire très probablement que si l'ennemi est signalé, marchant d'Erfurt sur Hof, le maréchal Bernadotte devra être en mesure de lui barrer la route. En quel point ? Évidemment à Schleiz. Cette prescription éventuelle de l'Empereur est importante à retenir au point de vue de la doctrine stratégique ; nous la discuterons un peu plus loin quand nous étudierons la lettre impériale du 29 septembre au maréchal Soult. La guerre n'est pas déclarée
; le langage doit être tout pacifique ; on ne doit commettre aucune
hostilité. Cette guerre n'a pas été déclarée ; elle est du nombre de celles, très nombreuses dans l'histoire, qui ont commencé par un coup de carabine tiré par quelque vedette. Lorsque les avant-postes sont au contact sur la frontière, une déclaration de guerre est bien inutile ; il vient un moment où les fusils partent tout seuls. § 15. — Deuxième lettre du 29 septembre au major général. Mon intention a été
de réunir le 1er corps de la Grande Armée à Nuremberg. Cependant j'ai vérifié
sur mes minutes (mouvements
et dispositions générales de la Grande Armée) et il est vrai que je vous ai écrit à Bamberg. En conséquence,
donnez ordre au maréchal Ney de presser sa marche pour être réuni, le 3
octobre, à Nuremberg au lieu d'Anspach. Cet aveu d'un lapsus calami très grave, montre les inconvénients du travail isolé d'un commandant d'armée. Si l'Empereur eût été entouré d'officiers au courant de ses projets, l'erreur ne se fût pas produite ou tout au moins eût été rectifiée aussitôt. § 16. — Lettre rétrospective au prince Murat. Napoléon avait écrit, le 24 septembre, de Saint-Cloud au prince Murat : Vous m'attendrez à
Mayence pour en partir une heure après mon arrivée, afin que vous soyez à
Bamberg le 1er octobre à midi. Ce rendez-vous nous parait avoir été donné pour les motifs suivants : Le prince Murat, allié à la famille impériale, a toute la confiance de Napoléon qui lui communiquera ses projets et lui donnera la lieutenance de la Grande Armée à partir du 1er octobre à midi, jusqu'au moment où il pourra prendre en main le commandement effectif. L'entrevue dut avoir lieu dans la matinée du 29. Avant de quitter Mayence, le prince Murat reçut une note de l'Empereur, datée du 29 septembre, 10 heures du matin, pour lui servir de guide dans son commandement intérimaire. En voici les passages essentiels : Vous vous rendrez à
Würzburg. Ce n'est plus à Bamberg, c'est à Würzburg que le prince Murat doit aller, parce que Würzburg peut, aussi bien, être le point de départ d'opérations sur Fulda ou Erfurt que sur Leipzig. Vous écrirez
sur-le-champ au maréchal Lefebvre à Kœnigshofen, au maréchal Davout à Bamberg
et au prince de Ponte-Corvo (Bernadotte), qui doit être à
Kronach. Pourquoi le prince Murat écrirait-il aux trois maréchaux les plus rapprochés de Würzburg, sinon pour leur annoncer sa prise de commandement intérimaire ? La décision prise par l'Empereur de confier au prince Murat le commandement intérimaire de la Grande Armée est la conséquence du secret et du mystère qui présidaient aux opérations. Le maréchal Berthier devait d'abord se rendre à Mayence (lettre du 20 septembre), mais il fut invité implicitement, par lettre du 24, de ne pas dépasser Würzburg. Dans l'esprit de l'Empereur, le major général aurait trop à faire, sous le rapport des subsistances et des approvisionnements en général, pour venir à Mayence recevoir ses instructions. En confiant au prince Murat la direction des opérations, même pour quelques jours, Napoléon brisait l'unité de commandement, créait deux commandants en chef. En effet, le maréchal Berthier n'a pas cessé d'envoyer des ordres aux maréchaux et aux chefs des grands services, depuis l'arrivée de l'Empereur à Mayence (28 septembre) jusqu'à sa prise effective de commandement (3 octobre). Le dualisme du commandement en chef, si peu de temps qu'il ait duré, devait engendrer le désordre, c'était inévitable et cela eut lieu. Vous ferez marcher
les divisions de la réserve de manière qu'elles se portent, le plus possible,
entre Schweinfurth et Kronach. Les divisions de cavalerie de la réserve avaient déjà reçu des ordres pour activer leur marche, et la lettre du major général, en date du 28 septembre 5 heures du soir, indiquait les nouveaux emplacements assignés à ces divisions. Mais l'Empereur n'avait pas encore reçu, le 29 à 10 heures du matin, la lettre en question ; il ne devait l'avoir qu'à 3 heures du soir. On conçoit dès lors que, dans son impatience, ne recevant rien de Mayence, il ait donné des ordres, le 29, à 10 heures du matin, au prince Murat, pour accélérer la marche de la cavalerie de la réserve et la faire serrer dans l'espace compris entre Schweinfurth et Kronach. Ce resserrement sur la droite semble indiquer que l'Empereur avait, le 29 septembre, l'intention de faire suivre le 1er corps par toute la cavalerie de la réserve, dans le cas où ce corps d'armée franchirait le Franken-Wald en débouchant de Kronach. D'autre part, le groupement des six divisions de la cavalerie de la réserve sur le front : Schweinfurth—Kronach permettait de les utiliser encore dans le bassin du Main ou sur les directions d'Erfurt et de Fulda si la guerre ne pouvait être portée immédiatement dans la région de la haute Saale. Vous enverrez des
espions sur Fulda. Nous avons déjà montré l'importance que Napoléon attachait à être bien renseigné sur ce qui se passait à Fulda. Dans sa première lettre du 29 au major général, il prescrit que le maréchal Lefebvre envoie des espions du côté de Fulda et, dans la quatrième lettre qu'il écrit ce jour-là au major général, l'Empereur dit : J'imagine que vous
avez des espions à Fulda. Or, le 1er octobre, le maréchal Berthier, répondant aux lettres impériales du 29, écrivait : J'ai deux hommes
envoyés sur Fulda et Gotha, mais ils ne sont pas de retour. Ces deux espions ne seraient-ils pas partis le 30 septembre, seulement, au reçu des lettres de Napoléon en date du 29 ? Et pourquoi les aurait-il envoyés plus tôt ? Comment le maréchal Berthier pouvait-il deviner l'importance qu'attachait Napoléon à obtenir des renseignements sur Fulda ? N'ayant été instruit de rien, ne connaissant nullement les projets de l'Empereur, le major général était aussi bien en droit d'envoyer des émissaires à Cassel, à Dresde, à Magdebourg, en un mot dans toutes les villes de l'Allemagne, qu'à Fulda. La phrase en question n'avait de sens que pour un major général orienté sur la situation et sur les desseins de Napoléon. Cet exemple montre encore une fois les inconvénients d'une réserve absolue du commandant en chef vis-à-vis de son chef d'état-major. Vous placerez des
forces de cavalerie au delà de Karlstadt, à l'extrémité du territoire de
Fulda, pour bien connaître les mouvements de l'ennemi. La ville de Karlstadt, située sur la rive droite du Main, à 25 kilomètres en aval de Würzburg, n'est, dans l'esprit de l'Empereur, qu'un point d'indication. C'est loin au nord de Karlstadt, que les postes de cavalerie devront être placés, probablement sur la ligne Kissingen-Hamelburg-Burgsinn. Vous me communiquerez
les renseignements que vous pourrez vous procurer sur les débouchés des chemins de Kœnigshofen sur Erfurt et de
Kronach sur Leipzig. Napoléon veut être renseigné sur les débouchés des routes de Kœnigshofen à Erfurt et de Kronach à Leipzig parce qu'il a besoin de savoir quelle répartition il pourra donner à la Grande Armée en vue de la traversée des montagnes. Il est bien évident, en effet, qu'un large débouché d'accès facile se prête aux grands mouvements de troupes tandis qu'un débouché étroit ou difficile ne convient qu'à une faible colonne. On voit qu'au moment où le prince Murat reçut ses instructions, les nouvelles alarmantes du maréchal Berthier, en date du 24, n'avaient pas cessé d'exercer leur action déprimante sur l'Empereur. Napoléon croyait en effet les Prussiens plus avancés qu'ils ne l'étaient en réalité. Il ne songe plus en ce moment (29 septembre au matin) à transporter d'un seul bloc la Grande Armée sur la haute Saale en dérobant ses premières marches à un ennemi trop éloigné pour intervenir. Son ambition est plus modeste. Napoléon pense qu'il pourra faire déboucher le 5e corps directement sur Erfurt en le faisant suivre peut-être par le 3e corps. Le 1er corps marchera sur Schleiz, et le 4e corps ira disperser les troupes du général Tauenzien, postées à Hof. Le 6e corps suivra le 1er ou le 4e corps. Ensuite l'armée, en trois colonnes, se resserrera sur son aile gauche en marchant sur Weimar et viendra offrir la bataille au sud de cette ville. La lettre impériale du 29 septembre au maréchal Soult, que nous discuterons plus loin, ne laisse aucun doute sur les intentions de Napoléon le 29 septembre au matin : Contenir l'ennemi sur les routes d'Erfurt et de Fulda à Würzburg avec un ou deux corps d'armée, et faire franchir en même temps le Frank en-Wald aux quatre autres corps, lesquels marcheront ensuite vers le Nord pour déborder et attaquer l'aile gauche de l'armée prussienne. Dans sa note au prince Murat, Napoléon continue en ces termes : J'ai ordonné au
maréchal Lefebvre de prendre une bonne position à Kœnigshofen et d'éclairer
la route de Fulda, afin de tomber sur l'ennemi s'il se rapprochait trop de
Würzburg. Würzburg est le point sensible du moment. D'Erfurt, l'armée prussienne principale peut marcher sur Würzburg, soit par Kœnigshofen, soit par Fulda. Si elle arrive à Würzburg avant l'ouverture des opérations de la Grande Armée, celle-ci se verra forcée d'accepter comme théâtre de la guerre le bassin du Main moyen, la manœuvre débordante par Kronach et Baireuth ne pouvant avoir lieu avec quelque sécurité que si l'ennemi est contenu au nord de Würzburg. Une fois la Grande Armée passée en Saxe, il importe peu qu'une avant-garde prussienne se présente aux portes de Würzburg. Napoléon a prévu cette éventualité, ainsi que nous le verrons plus loin, et il ne s'en émeut nullement parce qu'il aura eu le temps de mettre ses dépôts et ses approvisionnements à l'abri d'un coup de main. Mais le 1er ou le 2 octobre, la situation est tout autre ; la Grande Armée peut être prise en flagrant délit de marches de rassemblement, et il faut à tout prix que le corps de couverture (5e) manœuvre et se sacrifie au besoin pour arrêter, ou, tout au moins, enrayer la marche de l'ennemi, que celui-ci marche directement d'Erfurt sur Kœnigshofen ou qu'il prenne la route de Würzburg par Fulda. La guerre n'est pas
déclarée. Il ne faut donc pas dépasser les confins du pays de Würzburg et de
la Bavière. Mais on pourrait passer même quelques
points, si cela était nécessaire pour occuper une bonne position
qui favorisât les débouchés de la (en) Saxe. Napoléon corrige par ces mots : On pourrait passer
même quelques points la prescription formelle contenue dans sa lettre au
maréchal Bernadotte de se tenir sur la frontière. En effet nous avons déjà montré, en étudiant la lettre impériale au maréchal Bernadotte, que la frontière n'offre pas toujours une position commandant le débouché et que, dans l'espèce, la position de Kronach, purement défensive, ne présentait aucune des propriétés demandées à une position pouvant protéger l'offensive vers l'Est. Envoyez des officiers
du génie sur Kœnigshofen et sur Fulda, afin de bien connaître les routes ;
ils rédigeront des mémoires sur les positions militaires qu'elles présentent. Le soin de faire étudier les positions militaires situées à cheval sur les routes d'Erfurt à Kœnigshofen et au Sud, et sur celles de Fulda à Würzburg, montre d'une façon éclatante que Napoléon compte retarder la marche de l'ennemi en faisant combattre le 5e corps défensivement afin de gagner le temps nécessaire, soit au franchissement du Franken-Wald par le gros de son armée, soit à sa concentration sur une zone convenablement choisie, en arrière ou sur un flanc du corps de couverture. § 17. — Troisième lettre du 29 septembre au major général. L'Empereur dicta cette lettre dès qu'il eût reçu celle du major général, datée de Munich le 26, à 11 heures du soir. La troisième lettre impériale, de 3 h. ½ du soir au major général, ne contient guère que la confirmation des ordres contenus dans la première lettre du 29 septembre. Toutefois, elle annonce que la division Dupont sera à Würzburg le 1er octobre, et la Garde à pied, le 2 octobre. La cavalerie, les gros bagages et l'artillerie de la Garde passent le Rhin à Mannheim et continuent sur Würzburg. La division bavaroise qui devait faire partie du 1er corps sera sous les ordres directs de l'Empereur, le maréchal Bernadotte ne voulant pas la commander. Elle viendra le plus tôt possible d'Eichstsedt à Nuremberg. Cette lettre annonce que toutes les divisions de cavalerie ont reçu ou recevront des ordres directement du prince Murat pour prendre leurs positions de Schweinfurth à Bamberg. Entre sa troisième lettre (3 h. ½ du soir) et sa quatrième lettre (10 heures du soir) au major général, Napoléon reçut, probablement vers 9 heures du soir, une lettre d'envoi du maréchal Berthier, en date du 29 dans la matinée, contenant divers rapports d'officiers envoyés en Thuringe et en Saxe, à la suite des prescriptions impériales du 5 septembre. C'étaient : 1° Un rapport du maréchal Lefebvre, ne présentant qu'un très faible intérêt ; 2° Un rapport du chef de bataillon Legrand sur les communications entre Ratisbonne, Nuremberg, Bamberg, Kronach et Géra ; 3° Un rapport du chef de bataillon Huart envoyé en Thuringe ; 4° Un rapport du chef de bataillon Guilleminot envoyé à Dresde. Ces deux derniers rapports durent prendre aux yeux de Napoléon une importance considérable puisque, sous l'impression qu'ils lui causèrent, il dicta depuis 10 heures du soir jusqu'à 3 h. ½ du matin douze lettres qui révèlent une nouvelle orientation de ses projets dans le sens nettement offensif. Nous allons reproduire ou analyser les passages principaux des deux rapports Huart et Guilleminot afin de mettre sous les yeux du lecteur les renseignements qui exercèrent une grande influence sur l'esprit de Napoléon. Rapport du chef de bataillon Huart. Schweinfurth,
28 septembre 1806. J'ai vu Coburg,
Hildburghausen, Meiningen, Eisenach et Fulda..... aucune de ces villes n'a de
mur d'enceinte ; un parti de cavalerie pourrait y entrer à toute heure et de
tous côtés. Les Prussiens étaient et sont encore
à Eisenach, Meiningen, Hildburghausen
; il m'a fallu avoir du front pour pénétrer jusqu'à Eisenach qui est le
quartier général de leurs avant-postes et boire la honte de m'en faire
chasser et reconduire bien escorté jusqu'aux frontières de la Saxe. Rapport du chef de bataillon Guilleminot. Ce rapport, — daté de Würzburg, 28 septembre 1806, — présente un intérêt de premier ordre. En voici le résumé : Les forces ennemies se divisent en trois groupes : L'aile gauche, de 62.000 hommes, sous le prince de Hohenlohe, ayant avec lui le prince Louis. Le centre, de 75.000 hommes, sous les ordres immédiats du roi ; le duc de Brunswick est lieutenant de Sa Majesté. Les généraux Moellendorf et Kalkreuth commandent chacun une aile de cette armée. L'aile droite, de 50.000 hommes, sous M. de Rüchel. Total 187.000 hommes. Cette force est donnée
d'après les rapports les moins exagérés. L'aile gauche, formée des troupes de Silésie et de Pologne, est entrée en Saxe, le 6 septembre. L'armée saxonne est sous les ordres du prince de Hohenlohe. L'armée du roi s'est avancée très lentement de Magdebourg, par Mersebourg et Leipzig. Le 23 septembre, le prince de Hohenlohe était encore à Dresde, mais se disposait à transporter son quartier général à Freyberg. Quelques bataillons savons sont échelonnés entre Plauen et Chemnitz. L'aile droite est dans le Hanovre et doit, dit-on, agir sur le Bas-Rhin. Le général Tauenzien est à Hof avec 2.000 hommes. On n'a rien pu savoir
de bien positif sur les Russes. L'esprit de l'armée
prussienne, surtout chez l'officier, parait très monté ; on emploie à cet
effet tous les moyens a imaginables. L'armée saxonne n'est pas aussi bien disposée. Les jugements que porte ensuite le chef de bataillon Guilleminot sur les principaux chefs de l'armée prussienne sont des modèles de concision et de vérité. Le duc de Brunswick
ne désire pas la guerre ; il craint de compromettre sa réputation ; il est
timide, lent, irrésolu, en un mot, c'est le Daun des Prussiens. M. de Moellendorf
craint également d'exposer son nom ; on lui a fait, ainsi qu'à M. de
Kalkreuth, un commandement fictif à l'armée du roi, afin de ne pas
intervertir l'ordre du tableau en donnant de préférence un corps d'armée aux généraux
Hohenlohe et Rüchel, moins anciens qu'eux. Ces deux derniers
veulent la guerre ; les uns accordent des talents et de l'énergie à M. de
Rüchel, les autres, en grand nombre, les lui contestent. Le prince de
Hohenlohe est très animé contre les Français. Il a de la réputation. Le prince Louis est
très débauché ; on le ramène ivre toutes les nuits ; c'est une tête exaltée.
On lui donne de l'esprit. M. de Kalkreuth est
rongé de maladies ; on le considère comme incapable. Ainsi, d'une part, le chef de bataillon Huart annonce qu'il a vu les Prussiens à Eisenach, Meiningen et Hildburghausen et que Fulda est vide d'ennemis. D'autre part, le chef de bataillon Guilleminot affirme que, le 23 septembre, l'armée du roi ne pouvait pas être beaucoup au sud de Leipzig, qu'à la même date l'aile gauche (Hohenlohe) quittait à peine Dresde, et qu'enfin au même moment le corps de Rüchel était encore en Hanovre. Les troupes signalées à Eisenach, Meiningen et Hildburghausen ne sont donc que des détachements d'avant-postes. Par conséquent, la Grande Armée va pouvoir franchir le Franken-Wald avant que le gros des forces ennemies n'arrive devant Würzburg. Cette idée explique les nombreuses lettres dictées par l'Empereur le 29, à partir de 10 heures du soir. § 18. — Quatrième lettre du 29 septembre au major général. Il faut nommer un
général pour commander à Würzburg. Un pivot d'opérations de cette importance exigeait, en effet, un commandement très solide. Le rôle du général à désigner ne devait pas se borner au commandement de la place. Napoléon ne dit pas pour commander Würzburg, mais bien à Würzburg. L'expression signifie que le général qui commandera à Würzburg aura dans ses attributions le commandement territorial du pays entre Rhin et Main et, par suite, la haute surveillance des routes de l'armée venant de Mayence et de Mannheim sur Würzburg. J'imagine que vous avez des
espions à Fulda. Nous avons précédemment commenté cette phrase qui montre bien que l'Empereur tout secret et mystère était inconséquent avec lui-même quand il demandait, à ceux qui ne connaissaient nullement la situation générale, d'agir comme s'ils eussent été tenus au courant de ses projets. Si vous pouvez vous
porter rapidement à Kœnigshofen, pour voir la position
défensive du maréchal Lefebvre (5e corps)
et les rapports de cette place pour
tomber sur l'ennemi, dans le cas où celui-ci se porterait de Fulda sur Würzburg,
faites-le. Une des principales préoccupations de l'Empereur, pendant cette journée du 29 septembre, est que les Prussiens marchent par Fulda sur Würzburg avant le moment où les opérations de la Grande Armée seront démasquées. Napoléon attache, en conséquence, une grande importance aux rapports de Kœnigshofen avec Fulda et Würzburg. L'expression : Les rapports de tel point avec tel autre, prise dans le sens de communications, a disparu du langage militaire moderne sans avoir été remplacée par une autre équivalente. On ne voit aucun motif empêchant qu'on l'emploie à nouveau quand l'occasion s'en présentera. Je désire bien
connaître les rapports de Kœnigshofen avec Coburg et Kronach, et de Kronach
avec Hof. Envoyez des officiers
du génie, qui non seulement reconnaîtront les
débouchés de Kœnigshofen sur la grande route qui conduit sur Halle, de
Bamberg sur Coburg, et de Kronach sur Saalburg et Schleiz, et qui conduit à
Leipzig, mais encore, les rapports de Kœnigshofen avec Coburg et Kronach. Si après avoir placé
le maréchal Lefebvre en avant de Kœnigshofen, il ne me convenait pas de le
faire déboucher sur Hildburghausen pour ne point
le commettre avec l'ennemi, et que je voulusse le faire venir sur
Coburg, en dérobant une marche à l'ennemi, sans dépasser les limites de la Saxe
et la petite chaîne de montagnes que je suppose être entre la Saxe et
Würzburg, quel chemin devrait prendre pour cela le corps du maréchal Lefebvre
? Combien aurait-il à rétrograder ? Car il serait possible que, ne voulant point engager une affaire avec l'ennemi qui se
serait avancé jusqu'à Hildburghausen, je le fisse appuyer sur mon
centre à Coburg, et que, mon centre réuni, je le fisse replier sur Kronach.
Il est donc nécessaire que je sache quel chemin le maréchal Lefebvre doit suivre
pour se rendre à Coburg, en deçà de la ligne de mes postes, et de Coburg à
Kronach, également en deçà de la ligne de mes postes. Envoyez un officier
d'état-major au maréchal Soult, qui viendra vous rejoindre du moment que ce
maréchal sera en position. C'est par là
que je veux commencer, si toutefois je suis obligé de faire la guerre..... Faites étudier tout le
local, soit comme débouché, soit comme mouvement parallèle, depuis Hof
jusqu'à Kœnigshofen. La citation qui précède est curieuse et intéressante : Curieuse, en ce qu'elle montre Napoléon se reprenant à deux fois pour soulever aux yeux du major général un coin du voile qui cache ses projets, sans pour cela les éclairer d'une bien vive lumière. L'allusion au maréchal Soult est même totalement incompréhensible pour qui n'a pas lu la lettre de l'Empereur à ce maréchal, en date du 29 septembre, à 10 heures du soir. Mais, la citation est intéressante parce qu'elle répond à un nouvel état d'esprit, amené par les rapports Huart et Guilleminot, qui porte Napoléon à reprendre son premier projet d'opérations en Saxe et à lui donner une forme tangible, comme on peut s'en convaincre en lisant la lettre qu'il dicta, à 10 heures du soir, pour le maréchal Soult. Cette lettre contient, en ce qui nous intéresse immédiatement, les passages ci-après : J'espère que votre
corps d'armée (4e) sera arrivé le 3 octobre à Amberg. Je vais partir demain
pour porter mon quartier général à Würzburg. La guerre n'est pas
encore déclarée ; mais elle tient à un fil bien faible. Vous vous préparerez
à exécuter le plan suivant : Mon intention serait
que vous puissiez arriver, le 5, à Baireuth avec tout votre corps réuni,
ayant quatre jours de pain, et en manœuvre de
guerre ; et, que, le 7, vous puissiez arriver à Hof et en déloger
l'ennemi. ..... Par ce plan
vous seriez le premier destiné à entrer dans le pays ennemi. Ceci n'est pas un
ordre d'exécution, mais une instruction pour vous préparer, en attendant mes
ordres pour entrer dans le pays de Baireuth. Le 3 octobre, le maréchal
Ney (6e corps) sera avec son corps d'armée à Nuremberg ; le maréchal
Davout (3e), à Bamberg ; le maréchal Bernadotte (1er), à Kronach ; le maréchal Lefebvre (5e), à Kœnigshofen ; le maréchal Augereau (7e), à Würzburg ; toute la réserve de cavalerie entre Kronach
et le Main. J'ai pensé qu'il
était nécessaire que je vous donnasse cette idée de la position générale de
l'armée. Du moment que vous serez à Baireuth, votre ligne d'opérations doit être sur Nuremberg. La quatrième lettre de l'Empereur au major général et celle qui fut adressée au maréchal Soult, toutes deux datées de 10 heures du soir, le 29 septembre, montrent chez Napoléon une tendance à revenir au plan primitif, consistant à pénétrer en Saxe et à marcher droit sur Berlin. L'ennemi signalé à Hildburghausen n'est pas à craindre, puisqu'il fait partie d'un réseau d'avant-postes dont la réserve est à Eisenach, tandis que le gros des forces prussiennes est encore loin. Sous l'influence des nouvelles contenues dans les rapports Huart et Guilleminot, l'Empereur fait taire ses alarmes et conçoit, à l'instant même, un projet d'opérations que nous croyons pouvoir définir de la façon suivante : Le 5e corps (maréchal Lefebvre), en couverture, se tiendra prêt à rejeter dans les bois l'avant-garde ennemie qui, contre toute vraisemblance, chercherait à déboucher de Fulda sur Würzburg. Cette idée, antérieure à la réception des renseignements de la soirée, persiste néanmoins, comme pour montrer qu'une nouvelle orientation de l'esprit ne détruit pas brusquement les décisions précédentes. Mais si l'éventualité, devenue bien improbable, d'une offensive prussienne de Fulda sur Würzburg ne se présente pas, le 5e corps (maréchal Lefebvre), masquant par un détachement les troupes ennemies d'Hildburghausen, se portera sous la protection de ses propres avant-postes et en dérobant une marche, à Coburg. En ce point, le maréchal Lefebvre (5e) couvrira la marche de flanc qu'effectueront, vraisemblablement, les 4 et 5 octobre, le 7e corps, la division Dupont et la Garde, pour se porter de Würzburg sur Bamberg où se trouve déjà le corps Davout (3e). A partir du 6 octobre, le 5e corps sera libre de rétrograder sur Kronach et, le même jour, le 3e corps ira occuper Coburg, comme avant-garde de la colonne formée du 7e corps, de la division Dupont et de la Garde. Mais, le 6 octobre, le 4e corps aura marché de Baireuth sur Hof qu'il atteindra le 7, poussant devant lui et battant le détachement du général Tauenzien. Le 8, le 4e corps se portera sur Schleiz pour faciliter le débouché en ce point du 1er corps venant de Kronach. Le 6e corps, partant de Nuremberg le 4 octobre, suivra le 4e corps, à une journée de marche, et se réunira à lui, le 9, à l'est de Schleiz, vers Auma. Enfin, derrière le 1er corps viendra le 5e corps. Les 4e et 6e, les 1er et 5e corps, s'élèveront alors, à partir du 9 octobre, vers le Nord, par la rive droite de la Saale, et parviendront, le 10, aux environs de Saalfeld. Le débouché de Coburg sur cette ville, par Grafenthal, étant dès lors assuré, les 3e et 7e corps, la division Dupont et la Garde pourront déboucher, à leur tour, en Saxe. La jonction des trois colonnes au delà du Franken- Wald une fois faite, la Grande Armée pourra se porter, en bataillon carré, là où les circonstances du moment indiqueront qu'une bataille doit procurer la plus ample moisson de lauriers. Dans l'esprit de l'Empereur, il faut tout d'abord ouvrir des débouchés en Saxe aux colonnes de la Grande Armée. C'est au 4e corps qu'il réserve ce rôle, parce que ce corps se trouve à l'aile droite du dispositif de réunion, par conséquent du côté opposé à la direction du gros des forces ennemies. Hâtons-nous d'ajouter que la manœuvre du 4e corps ne fut pas nécessaire, attendu que l'éloignement et la torpeur de l'ennemi procurèrent à Napoléon la certitude qu'il pouvait oser la traversée simultanée du Franken-Wald sur trois colonnes sans avoir à redouter un retard au débouché. Cependant, Napoléon, par mesure de prudence, prit ses précautions comme si un retard au débouché était possible, et nous verrons plus tard, au titre de l'entretien de l'armée, quelles mesures furent adoptées dans ce sens pour l'approvisionnement de Kronach. Quoi qu'il en fut, la discussion que nous venons de faire met en lumière la combinaison ayant pour objet de faire déboucher la. Grande Armée en Saxe, malgré la présence de l'ennemi en Thuringe. Cette discussion montre également que les opérations de la Grande Armée seront démasquées, le 12 octobre. C'était aussi l'avis de Napoléon qui, dans la deuxième note de sa lettre du 30 septembre au roi de Hollande, que nous étudierons plus loin au sujet du plan d'opérations, écrivait : Je ne compte sur votre
corps que comme un moyen de diversion et pour amuser l'ennemi jusqu'au 12
octobre, qui est l'époque où mes opérations seront démasquées. Voici un détail, pris dans la lettre de Napoléon au maréchal Soult, en date du 29 septembre, 10 heures du soir, qui n'est pas dénué d'importance : Napoléon prescrit au maréchal Soult de marcher sur Baireuth en manœuvre de guerre. Cette expression était usuelle à la Grande Armée. On disait aussi marcher en guerre ou marcher militairement. Les trois expressions avaient la même signification. Cela voulait dire qu'une troupe devait marcher aussi serrée que la route le permettait en observant toutes les règles du service en campagne, comme si elle pouvait d'un instant à l'autre rencontrer l'ennemi. L'arrivée du 7e corps à Würzburg est annoncée pour le 3 octobre. L'Empereur semble s'être décidé seulement le 29 septembre, dans la soirée, à faire venir le 7e corps à Würzburg, après qu'il eut acquis la certitude du grand retard des armées prussiennes. Certes, il avait commencé à prendre des mesures pour la formation d'un 5e corps de la Grande Armée, à Mayence, sous les ordres du maréchal Mortier, mais cette nouvelle organisation exigeait au moins une quinzaine de jours ; or, sans l'éloignement des armées prussiennes et l'impossibilité reconnue où elles étaient d'arriver sur le Rhin avant la mi-octobre, Napoléon n'eut pas dégarni prématurément Francfort et Mayence en rappelant à lui le 7e corps. La preuve que l'Empereur n'avait pas songé avant le 29 septembre au soir à donner au 7e corps une destination nouvelle en l'incorporant en quelque sorte dans le gros de la Grande Armée, c'est que le major général ne fut informé de l'arrivée prochaine de ce corps d'armée à Würzburg que le 2 octobre (lettre impériale du 1er octobre, 2 heures du matin). Une autre preuve en est donnée par la lettre que l'Empereur fit écrire au maréchal Augereau, le 29 septembre à minuit, dans laquelle il lui disait : Je vous prie de me faire
connaître ce qui serait arrivé à votre connaissance du côté de Fulda et de Cassel. Comme il serait possible que vous receviez l'ordre de vous rendre
à Würzburg, il serait nécessaire que vous vous procuriez des
vivres pour quatre jours et de vous préparer à replier vos postes, de manière
à arriver à Würzburg le 3 octobre. Je vous enverrai des
ordres, demain 30, avant minuit. Le major général, en recevant, le 24 septembre, les mouvements et dispositions générales de la Grande Armée, expédiés de Saint-Cloud, le 20, à 6 heures du matin, avait envoyé des ordres aux divisions de la réserve de cavalerie pour les amener en position sur le Main. Nous avons précédemment indiqué les emplacements choisis par lui. Le prince Murat, une fois investi de la lieutenance de la Grande Armée (29 septembre), se mit en devoir d'exécuter les intentions de l'Empereur d'accélérer au moyen d'ordres directs l'arrivée des divisions de la réserve de cavalerie. Il envoya donc ses aides de camp à la rencontre des troupes à cheval pour qu'elles vinssent occuper les emplacements suivants : 1re division de cuirassiers (Nansouty), le 3, à Hassfurt, sur le Main, venant de Kitzingen ; 2e division de cuirassiers (d'Hautpoul), le 3, à Burg-Ebrach, venant de Cbam, par Nuremberg et Bamberg ; 1re division de dragons (Klein), le 4 ou le 5, à Aschaffenburg, venant de Siegen ; 2e division de dragons (Grouchy), le 7 ou le 8, à Mergentheim, venant de Fribourg ; 3e division de dragons (Beaumont), le 3, à Hallstadt, Zapfendorf et Rattersdorf, venant de Amberg ; 4e division de dragons (Sahuc), le 3, à Eltmann, sur le Main, venant de Œllingen ; Division légère (Lasalle et Milhaud), le 3, à Kronach et Lichtenfels. Suivant un vieux dicton militaire : Ordre, contre-ordre, désordre. Les emplacements donnés par le major général avaient l'avantage de ne pas amener d'encombrement. Ceux que choisit le prince Murat eurent pour effet d'agglomérer cinq divisions de cavalerie sur une zone trop restreinte et d'encombrer les villages situés sur la route, si importante pour les opérations, de Würzburg à Bamberg. Quoi qu'il en fut, les ordres, instructions et projets de l'Empereur, à la date du 29 septembre, qu'ils aient été, ou non, suivis d'exécution, devaient provoquer un nouveau dispositif de rassemblement, pour le 3 octobre, d'après lequel le 7e corps ne forme plus couverture à Francfort ; il s'est rapproché de la Grande Armée et a constitué, à Würzburg, avec la Garde à pied et la division Dupont, une réunion de troupes équivalant à deux corps d'armée. Mais, ainsi qu'on le verra plus loin, le poste de Francfort n'est pas pour cela abandonné. Une division du 8e corps, en voie de formation, sous les ordres du maréchal Mortier, à Mayence, doit y remplacer le 7e corps, afin que le double rôle d'appât et de couverture régionale ne cesse pas d'être rempli. Suivant ce nouveau dispositif, trois corps d'armée sont détachés du gros des forces, savoir : 1° Le 5e corps (Lefebvre), en couverture, à Kœnigshofen, face à Hildburghausen et à Meiningen, est prêt à manœuvrer entre Fulda et Hamelburg ; 2° Le 1er corps (Bernadotte), en avant-garde, à Kronach, est prêt à franchir le Franken-Wald pour intercepter, à Schleiz probablement, la route d'Erfurt à Hof ; 3° Le 4e corps (Soult), en avant-garde à Amberg et à la veille d'occuper Baireuth, doit, de là, se porter sur Hof et en chasser les 2.000 hommes du général Tauenzien ; 4° Le gros, ou centre de l'armée, est constitué par :
Un corps d'armée est placé sur chacune des trois routes principales qui conduisent en Saxe. Trois corps d'armée, l'un d'eux (le 7e) doublé par la valeur d'un quatrième, occupent les sommets d'un triangle dont chaque côté mesure environ deux marches. Bamberg, au sommet le plus rapproché de la Saxe, est à deux marches de chacun des points (Kœnigshofen—Kronach—Baireuth) occupés par les corps de couverture ou d'avant-garde. On le voit, les rassemblements qui découlent des dispositions prises par l'Empereur dans la nuit du 29 au 30 septembre présentent un caractère beaucoup plus objectif que ceux qui résultaient des mouvements et dispositions générales de la Grande Armée en date du 19 septembre. Le 29 septembre au soir, l'idée d'offensive immédiate vers l'Est apparaît clairement. Ce jour-là, l'éventualité d'opérations sur le Main ou sur le Rhin est bien faible, tandis que s'affirme la certitude presque absolue de porter la guerre en Saxe, sinon en un seul bloc au moins en manœuvrant. Nous verrons l'idée de la marche sur Berlin, la première en date, mûrir, de jour en jour, sans que, pour cela, Napoléon se prive de la faculté d'accepter la lutte dans la région du Main inférieur. Lorsque, le 30 septembre au soir, l'Empereur enverra le capitaine de Turenne, un de ses officiers d'ordonnance, porter à son frère, le roi Louis de Hollande, une lettre contenant sous forme de notes ses projets d'opérations, la première de ces notes discutera la possibilité d'acculer les Prussiens au Rhin en les manœuvrant par leur gauche. Mais, ainsi que l'écrit Napoléon : Les observations de
ma première note sont toutes de prévoyance. Mes premières marches menacent le
cœur de la monarchie prussienne. Napoléon dicta encore de nombreuses lettres pendant la nuit du 29 au 30 septembre, une entre autre à son frère Louis, dont nous extrayons les passages suivants : § 19. — Annonce du plan de campagne au roi de Hollande. Faites beaucoup de bruit
avec votre corps d'armée. Nous avons déjà mentionné cette ruse de Napoléon pour attirer l'ennemi le plus possible vers le Rhin, afin de mieux l'envelopper ou de le mettre en retard d'un grand nombre de jours lorsqu'il voudra se porter au secours de sa capitale menacée par la brusque irruption de la Grande Armée en Saxe. Répandez la croyance
que votre armée sera de 80.000 hommes. Plus les forces réunies auprès de Wesel paraîtront grandes aux Prussiens, mieux ils tomberont dans le piège. Je vous ferai connaître mon
plan de campagne, mais, pour vous seul, par un officier que je vous
expédierai demain. Ainsi donc, le plan de Napoléon était fait, en partie au moins, le 29, puisque son envoi est annoncé pour le 30 septembre. Seul le frère de Napoléon connaîtra ce plan, tant est grande la méfiance de l'Empereur à l'égard de ceux qui ne font pas partie de sa famille. Le sentiment familial, poussé chez Napoléon à l'état de manie par suite de ses instincts ataviques, fut, on le sait, une des causes principales des malheurs de la France. § 20. - L'invasion de la Saxe est décidée ; ordres en conséquence. Pendant la nuit mémorable du 29 au 30 septembre, Napoléon, tout en dictant lettres et instructions, dut réfléchir profondément aux moyens de mettre à exécution son premier projet, reconnu facile désormais, qui consistait à porter la guerre en Saxe avant que les Prussiens ne pussent l'en empêcher. Il fit adresser quatre lettres, dans ce sens, au maréchal Berthier, dès les premières heures de la matinée du 30 septembre. Nous allons les analyser en ce qu'elles présentent d'intéressant au point de vue stratégique : Première lettre de l'Empereur au major général. (30 septembre, 3 heures du matin.) Napoléon réitère ses ordres d'armer et d'approvisionner Würzburg et Forchheim ; il entre à ce sujet dans les plus petits détails. L'idée qui domine, c'est que les deux places en question soient pourvues : de sorte qu'à tout
événement mes corps pourraient se replier sur Forchheim ou Würzburg, et
trouver là des cartouches, des vivres et un point d'appui. Je n'aime pas
Bamberg, parce que c'est un lieu ouvert, et qu'il est important que mes dépôts
soient dans une petite place. Vous avez assez
d'expérience de la guerre et de ma manière de diriger les opérations pour
sentir l'importance des places de Forchheim et de Würzburg. Ajoutez que
Forchheim a le double avantage de me servir contre la Bohême et qu'il peut y
avoir telle opération où, refusant entièrement ma gauche, je sois privé pour
longtemps du point d'appui de Würzburg..... Forchheim va être
dans cette nouvelle campagne ce qu'a été Braunau l'année passée. Aux yeux de l'Empereur, Würzburg passe au second plan depuis que l'éloignement du gros des forces ennemies autorrise le passage sans coup férir de la Grande Armée en Saxe par les défilés du Franken-Wald. C'est alors Forchheim dont il faut s'occuper le plus activement, parce que cette petite place, située au sud de Bamberg, va être le point de départ de la ligne d'opérations qui passera par Bamberg et Kronach. Napoléon ne dévoile pas ses projets au major général, il se contente de lui insinuer qu'il peut y avoir telle opération où refusant entièrement sa gauche il soit privé pour longtemps du point d'appui de Würzburg. Une telle réserve n'indique pas une grande intimité d'esprit entre Napoléon et son major général. Le maréchal Berthier était-il incapable de suivre et de comprendre les idées de son maître ? Mais l'ignorance où Napoléon le tenait sur les opérations projetées ne pouvait que renforcer sa paresse d'esprit et le préparer aux pires sottises pour le jour où, livré à ses propres inspirations, il aurait à faire acte de général en chef. D'autre part, l'Empereur pouvait-il avoir une grande confiance dans la perspicacité du major général, quand on a vu le maréchal Berthier placé à Munich, auprès de la Cour de Bavière, au centre de l'Allemagne du Sud, adresser à l'Empereur des renseignements sur les armées prussiennes qui respirent la pusillanimité et la sottise. Ainsi, le 24 septembre, le major général écrivait, de Munich, à l'Empereur : On a pendu un espion
à Magdebourg. Je ne pense pas que les officiers que j'ai envoyés en Saxe
puissent parvenir à faire les reconnaissances que je leur ai ordonné de faire
; ils ont des espions à leur suite. Puis, de Würzburg, le 28 septembre, 5 heures du soir : La plus
grande activité parait régner dans
les dispositions de la Prusse. Les troupes arrivent
sur des voitures (!) Et la lettre expédiée à l'Empereur par le maréchal Berthier le 29 septembre ! Le major général y a joint les rapports Huart et Guilleminot, rapports si rassurants que de leur lecture Napoléon conclut à la possibilité de franchir le Franken-Wald sans coup férir. Eh bien ! le maréchal Berthier accompagne ces documents de la phrase suivante, preuve accablante d'une indigence d'esprit lamentable : Votre Majesté
remarquera la grande activité qui
règne dans les dispositions de l'armée prussienne ; elle verra que leurs
troupes légères bordent toutes les frontières de la Saxe et de la Prusse et
sont en contact avec les armées de Votre Majesté. Décidément, Napoléon était trop grand et Berthier trop petit pour que le moindre trait d'union pût s'établir entre ces deux hommes. Alors, point de major général proprement dit, mais seulement un secrétaire général des commandements. Qu'une indisposition vienne paralyser les forces physiques et mentales de Napoléon, l'armée française sera décapitée. Un tel concept du commandement suprême ne nous séduit pas, nous l'avons déjà dit, et il est gros de conséquences désastreuses, ainsi que le démontre l'histoire des campagnes de 1809 et suivantes. Mais revenons au sujet spécial qui nous occupe. On verra plus tard que le projet de l'Empereur sur Forchheim se modifia en mûrissant et que ce fut Kronach qui devint le centre principal des approvisionnements destinés à nourrir la Grande Armée, en cas de retard au débouché des montagnes du Franken-Wald. Deuxième lettre de l'Empereur au major général. (30 septembre, 3 h. ½ du matin.) Cette lettre, tout entière consacrée à l'organisation du parc général d'artillerie, fera l'objet de nos observations quand nous étudierons les mesures administratives prises par Napoléon pendant la période des rassemblements. Troisième lettre de l'Empereur au major général. (30 septembre dans la matinée.) La troisième lettre de l'Empereur au major général, en date du 30 septembre, étant en quelque sorte une réponse à celle que le maréchal Berthier écrivait, le 29, pour annoncer l'envoi d'un rapport du maréchal Lefebvre (5e corps) et des rapports de reconnaissance que nous avons analysés plus haut, il convient de reproduire les principaux passages du rapport du maréchal Lefebvre : J'ai l'honneur de
prévenir Votre Altesse Sérénissime que le corps d'armée sous mes ordres (5e) commencera à se réunir, le 29, dans un camp, près
de Schweinfurth, pour de là me porter à la position indiquée (Kœnigshofen) par votre lettre du 24 courant. Le point de
Kœnigshofen n'étant abordé par aucune route et absolument inabordable en cas
de pluie, j'établirai, le 3 octobre, à moins que vous n'en ordonniez
autrement, mon camp à Neustadt sur la Saale, où passe la seule grande route
qui conduit en Saxe dans cette partie. De cette position, j'éclairerai
parfaitement tout ce qui pourrait venir par les routes de Meiningen et
Hildburghausen et, en général, tous les petits débouchés de la Saxe sur
Schweinfurth et Würzburg. Je remercie Votre
Altesse Sérénissime de m'avoir indiqué la position que prendra, le 3 octobre,
le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo (Bernadotte, 1er corps). Continuez, je vous en prie instamment, de me faire
connaître à chaque mouvement la position des corps qui seront à ma proximité et
surtout prévenez-moi toutes les fois que ma droite ou ma gauche se trouveront
dégarnies. Le moyen simple par excellence d'orienter chaque commandant de corps d'armée sur l'ensemble de l'armée et, en particulier, sur les emplacements des corps collatéraux, était sans contredit de communiquer à tous les dispositions générales arrêtées par l'Empereur. Le major général ne le faisait pas et se trouvait ainsi dans l'obligation d'informer séparément chaque maréchal des positions occupées par les corps voisins, et ce soin était souvent négligé. On voit, aux termes de la lettre du maréchal Lefebvre, je vous en prie instamment, quelle importance un commandant de corps d'armée attachait à être renseigné sur les positions et mouvements des corps les plus rapprochés. Napoléon répondit au major général : Je ne vois pas
d'inconvénient à ce que l'on occupe Neustadt. Ce qui m'avait fait
porter une avant-garde à Kœnigshofen, c'est que je pensais qu'il existait sur
le territoire du pays, en avant (au nord) de
Kœnigshofen, appartenant à la Bavière, une bonne
position qui rendait maître des débouchés sur Meiningen et Hildburghausen. Le pays de Meiningen et d'Hildburghausen étant couvert de forêts et Kœnigshofen se trouvant sur une hauteur dénudée à proximité des lisières de bois, la position devait pouvoir en battre les débouchés, ce qui, au point de vue tactique, est le procédé par excellence pour contenir avec peu de monde des colonnes aussi fortes que l'on peut le supposer. Mon intention n'étant
pas de déboucher par Meiningen et Gotha, mais de faire
ployer ma gauche sur Coburg, il faut que les deux divisions du maréchal
Lefebvre occupent une position en arrière de Neustadt, et qu'il fasse
reconnaître une route telle qu'il puisse se
porter par une marche de flanc, qui sera dérobée à l'ennemi, sur le chemin de
Würzburg à Coburg, sans passer par Bamberg, pour ne pas faire confusion avec
les autres corps d'armée. Il faut aussi qu'il
ait des détachements de cavalerie sur les hauteurs, entre Meiningen et
Neustadt, jusqu'aux limites du territoire bavarois, afin d'empêcher, quand le
moment sera arrivé, toute communication, et de pouvoir masquer le mouvement à
l'ennemi, mon intention étant d'arriver à Saalfeld avant que l'ennemi s'y
trouve en très grande force. Du 29 septembre, 10 heures du soir, au lendemain matin, les idées de l'Empereur se sont modifiées. Le 29 au soir (10 heures), Napoléon annonce le projet de faire venir le 5e corps de Kœnigshofen à Coburg par une marche dérobée, puis de le faire replier sur Kronach lorsque le centre sera réuni à Coburg ou au sud. En ce moment (30 septembre au matin), l'Empereur pense, après mûre réflexion, qu'il n'aura pas besoin d'autant de précautions et que le 5e corps pourra se porter à Coburg par la belle route de Würzburg avec la simple précaution de laisser des détachements de sûreté sur les hauteurs, entre Meiningen et Neustadt. En disant : faire ployer ma gauche sur Coburg, Napoléon sous-entend : tout ou partie de ce qui est ou sera à Würzburg, c'est-à-dire le 7e corps et peut-être la Garde, sans compter bien entendu le 5e corps. Voilà donc la future colonne de gauche déjà formée dans l'esprit de l'Empereur ; quant au but de sa marche, il est tout aussi clairement indiqué : C'est Saalfeld qu'il
s'agit d'atteindre avant que l'ennemi s'y trouve en très grande force. Napoléon a donc calculé que l'ennemi ne saurait avoir beaucoup de troupes à Saalfeld au moment où le 5e corps, suivi du 7e, s'y présentera, en supposant, cela va de soi, que l'on ne perde pas de temps pour entamer la marche. Nous sommes au 30. Le 5e corps sera, le 3 octobre, sur la position choisie et pourra la quitter le 4 ou le 5 octobre, pour arriver à Coburg le 7. De ce point à Saalfeld on compte deux fortes marches. Le 5e corps pourra donc déboucher à Saalfeld le 9, ayant derrière lui le 7e corps. Le 23 septembre, l'armée ennemie principale était encore auprès de Leipzig et celle du prince de Hohenlohe à Dresde. Napoléon n'ignore pas que chacune des armées prussiennes marche en une seule colonne comme au temps de la guerre de Sept Ans. En supposant le cas le plus défavorable pour les Français, celui où l'armée du roi marchera sur Schleiz par Naumburg, l'armée de Hohenlohe sur Hof et celle de Rüchel, venant de Göttingen ou de Mulhausen, sur Saalfeld, les avant-gardes ennemies ne pourront atteindre ces trois débouchés du Franken-Wald qu'en 6, 8 et 5 jours ; mais, connaissant la faiblesse et la pusillanimité du commandement prussien, on peut compter que les trois armées ennemies voudront aborder la Saale, le même jour, avec leurs avant-gardes, en se réglant sur la colonne la moins avancée, celle du prince de Hohenlohe. D'où il résulte que le 3 ou le 4 octobre, au plus tôt, des avant-gardes prussiennes pourront se présenter devant les débouchés orientaux du Franken-Wald. Toutefois, si les mouvements des Prussiens continuent avec la lenteur du début, leurs premières troupes n'atteindront pas la Saale avant le 8 ou le 9 octobre. Il s'agit donc d'être prêt à déboucher le 8 ou le 9 pour refouler les avant-gardes prussiennes et prendre de l'espace en vue de se réunir au delà des débouchés. Le calcul de l'Empereur s'est trouvé justifié par les événements, mais il faut convenir que sa manœuvre eût été singulièrement téméraire en face d'une armée bien commandée Envoyez donc un officier du génie reconnaître la frontière
bavaroise jusqu'à Heldburg et même jusqu'au pendant
des eaux qui est, je crois, au delà de
Coburg. Envoyez-en un autre reconnaître
le pendant des eaux entre Meiningen et Melrichstadt, en avant de Neustadt..... J'attends ces deux
reconnaissances, qui sont très importantes. Ces deux reconnaissances n'étaient pas importantes par elles-mêmes, mais par le projet qu'avait l'Empereur de faire travailler à des fortifications de campagne sur le pendant des eaux (ligne de partage des eaux) au nord de Neustadt, éventuellement à l'est de Coburg, pour tromper l'ennemi, ainsi qu'il ressort des lignes suivantes de la même lettre : Si vous avez des outils
à Würzburg, je ne serais pas éloigné d'avoir l'air
de faire travailler à des redoutes sur les hauteurs entre Meiningen et
Neustadt, sur la hauteur du pendant des eaux. Et Napoléon ajoutait : ..... également sur
le pendant des eaux entre Kronach et Lobenstein. Toutefois, il est nécessaire
que le maréchal Bernadotte ait sur cette hauteur une avant-garde d'infanterie
; il suffit qu'elle y soit placée le 4 octobre. Cette fois, l'ordre de faire occuper par une avant-garde d'infanterie le sommet du col de la route de Kronach à Lobenstein donne un cachet nettement offensif à l'occupation du défilé de Kronach. Précédemment, l'ordre (29 septembre au matin) au major général d'envoyer le corps du maréchal Bernadotte, alors à Bamberg, sur Kronach, me visait que l'occupation d'une bonne position à l'extrême frontière, mais ne parlait pas du pendant des eaux entre Kronach et Lobenstein. Quatrième lettre de l'Empereur au major général. (30 septembre, minuit.) Dans cette lettre, Napoléon approuve le choix du général Thouvenot pour commander à Würzburg — nomination faite en exécution de l'ordre contenu dans la 4e lettre impériale au major général, en date du 29 septembre, 10 heures du soir. Je n'ai point la
reconnaissance de Kronach. Cette position, avec celle de Würzburg et de
Forchheim, assurerait bien nos derrières. Kronach fortifié serait l'appui de mon avant-garde ; et ma droite appuyée à Forchheim, ma gauche à Würzburg,
je serais environné de places fortes.
Faites donc armer ces trois places. Napoléon veut que le jour où il entamera ses premières opérations par la levée des cantonnements de rassemblement, il n'y ait sur les routes de l'armée, ni un homme, ni un cheval. Depuis ce moment jusqu'à celui où la première grande bataille aura décidé du sort de la campagne, les parcs, convois et détachements seront remisés dans les places de dépôt, afin que si la nombreuse cavalerie prussienne vient fourrager sur les derrières de l'armée, elle ne trouve que des places bien armées ayant leurs ponts-levis hissés. Cette disposition, toute de transition, puisqu'elle ne s'applique qu'à la période de huit à dix jours, comprise entre la rupture des rassemblements et la première bataille, est peut-être applicable encore aujourd'hui en ce qui concerne les convois autres que les trains de combat renforcés des parcs d'artillerie et des hôpitaux de campagne. Dans tous les cas, elle offre une grande sécurité au commandement pendant les quelques jours de crise qui précèdent le gros événement du début de la guerre et elle assure une liberté de manœuvre ainsi qu'un dégagement des derrières de l'armée que toute autre mesure ne saurait procurer aussi complètement. Mais on peut aussi bien remplacer les places-dépôts de Napoléon par une barrière naturelle telle qu'une rivière large et profonde sur laquelle des localités importantes, bien gardées et mises à l'abri d'un coup de main, serviront de refuges aux immenses impedimenta que les armées modernes traînent à leur suite. La crise une fois passée, — victoire ou défaite, — les convois rejoindront leurs corps d'armée ou prendront les devants pour marcher en retraite, sans encombrer les routes si nécessaires aux éléments de combat. § 21. — Mesures de prévoyance à l'intérieur. L'Empereur, en se décidant, le 29 septembre au soir, à exécuter définitivement son premier projet de porter la guerre en Saxe, dut songer aux mesures de précautions que nécessitaient des hostilités possibles de la part des Anglais et des Suédois, alors en guerre avec la France. Dans cet ordre d'idées, il écrivit trois lettres, l'une à l'archichancelier Cambacérès, l'autre au général Junot gouverneur de Paris, enfin la troisième au maréchal Kellermann commandant l'armée de réserve sur le Rhin, à Mayence. Outre ces trois lettres, Napoléon adressa au roi de Hollande, son frère, une instruction comprenant quatre notes relatives aux opérations prochaines. Ces documents furent expédiés, le 30 septembre, dans la journée. 1°. — Note sur la défense générale de l'Empire, pour l'archichancelier Cambacérès.Napoléon énumère les forces dont disposent le roi de Hollande, le maréchal Kellermann et le général Junot. Les attaques du côté
du Rhin ne peuvent être dangereuses pour l'intérieur. La présence de la Grande Armée dans l'Allemagne du Sud est une garantie et une sauvegarde contre toute opération ennemie du côté du Rhin. L'Empereur envisage ensuite les éventualités suivantes : L'ennemi peut débarquer en Hanovre ; L'ennemi peut débarquer à Boulogne ; Les Anglais peuvent débarquer à Cherbourg ; L'ennemi pourrait attaquer Brest. Bordeaux et Belle-Isle sont protégés par la saison. Toulon est trop fort pour que l'ennemi tente de l'attaquer. Brest est à peu près dans les mêmes conditions que Toulon. Si l'ennemi débarque en Hanovre, le roi de Hollande, appelant à lui toutes les troupes qui bordent le Rhin, sera en situation de le combattre avec avantages. Les débarquements à Boulogne et à Cherbourg sont donc les seuls redoutables. Le remède à tout,
c'est le prompt rassemblement de la gendarmerie, les compagnies de réserve
départementales (une
par département), la formation des
gardes nationales, et l'envoi soudain (en poste)
du corps central (environ
8.000 hommes) qui est à Paris. Il y avait 15.000 hommes à Boulogne, 6.000 gardes nationales à Saint-Omer, le 5e léger à Cherbourg, 6 compagnies d'élite au camp de Pontivy et le 31e léger à Nantes. Les moyens qu'indique l'Empereur pour faire échouer des débarquements anglais sur les côtes de France paraissent bien insuffisants. La réunion des brigades de gendarmerie et des gardes nationales sur les points envahis demandait beaucoup de temps. La note de l'Empereur est donc ultra optimiste, mais en ne conservant sur les côtes nationales qu'un minimum de forces et en comptant sur l'effet moral que produirait infailliblement sur les ennemis de la France la nouvelle de grands succès remportés en Allemagne, Napoléon calculait juste, ainsi que l'ont montré les événements. 2°. — Lettre de l'Empereur au général Junot.Cette lettre recommande de diminuer le service de place à Paris, de pousser activement l'instruction des recrues et de se préparer à envoyer en poste les 58e de ligne et à Siéger (en tout 6.000 hommes), ainsi que la garde de Paris (2.000 hommes), sur les points menacés, à Boulogne, à Cherbourg, en Bretagne ou à Wesel. 3°. — Instruction pour le maréchal Kellermann, commandant l'armée de réserve sur le Rhin, à Mayence.L'Empereur ordonne au maréchal Kellermann de réunir 4.000 à 6.000 gardes nationaux soldés, à Mayence. Ces gardes, renforcés de quatre compagnies d'artillerie et de six bataillons de réserve (3es bataillons), formeront la garnison de Mayence et des forts environnants. Le tout donnera environ 10.000 à 11.000 hommes pour la défense de la place. Le 8e corps de la
Grande Armée, composé des divisions Dupas et Lagrange, sera réuni à Mayence
dans la première quinzaine d'octobre et destiné à prendre position à Francfort.
Il agira suivant des circonstances étrangères à ce qui concerne la garnison
de Mayence. En résumé, le maréchal Kellermann commandera la place de Mayence, en même temps que le territoire delà 26edivision militaire, mais ne s'immiscera en rien dans les opérations du futur 8e corps d'armée dont le chef, qui n'est pas encore désigné officiellement, sera le maréchal Mortier. Napoléon entre ensuite dans des détails concernant la formation des détachements de renfort à faire suivre sur Würzburg, soit de Mayence, soit de Mannheim, cette dernière ville pouvant devenir la tête d'étapes de la Grande Armée pour tout ce qui viendrait de France. Nous reviendrons sur l'organisation de Mannheim en tête d'étapes quand nous étudierons les questions administratives se rattachant à la période de rassemblement de la Grande Armée. |
[1] Par la présente, Napoléon veut indiquer la copie des mouvements et dispositions générales pour la Grande Armée, dont il annonce une copie.
La phrase aurait dû être : Quand la présente (copie) vous sera parvenue, etc.
[2] Napoléon, dans son impatience, annonce l'arrivée de sa lettre du 24 pour le 27. C'était matériellement impossible. Les courriers mettaient au moins quatre jours pour aller de Saint-Cloud à Munich.
Le major général n'avait pas encore reçu, le 28, la lettre du 24, car, dans son rapport à l'Empereur du 28, 5 heures du soir, il annonce l'arrivée du courrier du 23.
[3] Il y a 110 kilomètres de Fulda à Würzburg, ou quatre marches, et 90 kilomètres de Fulda à Hanau, ou trois marches.