LA MANŒUVRE D'IÉNA

ÉTUDE SUR LA STRATÉGIE DE NAPOLÉON ET SA PSYCHOLOGIE MILITAIRE

Du 5 septembre au 14 octobre 1806

 

CHAPITRE IV. — PRÉCAUTIONS ET PREMIERS PROJETS DE NAPOLÉON CONTRE LA PRUSSE.

 

 

Napoléon n'avait pas attendu jusqu'au 12 septembre, pour prendre ses précautions au cas où la guerre ne pourrait être évitée.

Le 5 septembre, il écrivit deux lettres importantes au major général, à Munich.

La première était relative à l'organisation de la Grande Armée et à sa mise sur le pied de guerre.

La seconde prescrivait des reconnaissances sur les débouchés des chemins qui conduisent de Bamberg à Berlin, et prévoit une concentration générale sur Bamberg.

Des travaux récents sur la stratégie présentent ces deux lettres comme ayant constitué, l'une, l'ordre de mobilisation, l'autre, l'ordre de rassemblement de la Grande Armée.

L'examen attentif de ces deux documents montre, d'une part, qu'il y a loin de la mobilisation, comme nous la comprenons aujourd'hui, aux mesures de prévoyance et de renforcement ordonnées par Napoléon et, d'autre part, qu'à cette date (5 septembre), le rassemblement général fut à peine esquissé.

Le plan d'opérations de Napoléon n'a pas été formé d'un seul jet.

Son idée première — idée maîtresse — est de marcher de Bamberg sur Berlin, en traversant le Franken-Wald, mais cette idée a subi de nombreuses variations jusqu'au jour où, certain de pouvoir déboucher en Saxe avant que l'ennemi ne pût s'y opposer, Napoléon a ployé sa gauche sur sa droite pour porter la guerre au cœur du pays ennemi.

Examinons maintenant les principaux passages des deux lettres en question.

 

§ 1er. — Mesures de renforcement et d'organisation.

 

Les nouvelles circonstances de l'Europe, dit la première lettre, me portent à penser sérieusement à la situation de mes armées.

Il était temps, en effet, de s'en occuper quand on songe que la Prusse avait commencé ses armements le 9 août.

Dans la même lettre, Napoléon annonce que 50.000 hommes de la conscription de 1806, bientôt suivis de 30.000 de la réserve, vont rejoindre la Grande Armée pour la renforcer.

Les cadres des 3e bataillons et ceux des 4e escadrons avec les majors (lieutenants-colonels) sont à diriger sur les dépôts à l'intérieur pour recevoir et instruire les nouveaux conscrits à lever prochainement.

Par suite, les deux bataillons maintenus dans chaque régiment de la Grande Armée auront 140 hommes par compagnie, ou 1.120 hommes par bataillon (140 * 8 = 1120).

J'avais donné l'ordre de faire rester à Strasbourg et à Mayence tout ce qui y était ; levez cet ordre et faites venir aux corps non seulement le personnel, mais même le matériel.

On se rappelle en effet, que dans ses lettres du 17 et du 26 août, Napoléon, dans le but de calmer les susceptibilités de la Prusse, avait ordonné au major général de ne faire passer le Rhin à aucun détachement venant de l'intérieur.

 

§ 2. — Reconnaissances topographiques.

 

La seconde lettre, expédiée de Saint-Cloud au major général (à Munich) à la date du 5 septembre, porte :

Envoyez des officiers du génie faire de bonnes reconnaissances, à tout hasard, sur les débouchés des chemins qui conduisent de Bamberg à Berlin.

Napoléon veut être renseigné sur le réseau routier du Franken-Wald et de la Saxe.

Cette connaissance est indispensable pour asseoir les calculs de temps et d'espace qui sont la base de toute combinaison stratégique.

A l'époque dont nous parlons, les cartes de l'Europe centrale étaient très défectueuses, mais, eussent-elles été bonnes, les cartes les mieux faites ne donnent pas une idée suffisante de l'état de viabilité des chemins ; elles doivent être complétées, quand on sait où l'on veut aller, par des notices topographiques et statistiques.

L'Empereur désigne, pour ces reconnaissances, des officiers du génie et, toujours, il aura recours aux officiers de cette arme lorsqu'il voudra faire étudier la topographie d'une région.

Les études topographiques et les travaux spéciaux de construction qui forment une partie essentielle de l'instruction des officiers du génie trouvaient là une heureuse application.

La correspondance de Napoléon nous fournira d'autres occasions de montrer quel rôle important était attribué, dans la Grande Armée, aux officiers du génie, avant et pendant la période des opérations actives.

 

§ 3. — Aperçu de la réunion des forces et de l'offensive sur Berlin.

 

Huit jours après que j'en aurai donné l'ordre, il faut que toutes mes armées, soit celle de Francfort (7e corps), soit celle de Passau (4e corps), soit celle de Memmingen (6e corps) soient réunies à Bamberg et dans la principauté de Baireuth.

Envoyez-moi l'itinéraire que chacun suivrait et la nature des chemins. J'imagine que le maréchal Soult (4e corps) passerait par Straubing, le maréchal Ney (6e corps) par Donauwœrth et le maréchal Augereau par Würzburg. Je conçois qu'en huit jours tous mes corps d'armée se trouveraient réunis au delà de Kronach. Or, de ce point, frontière de Bamberg, j'estime dix jours de marche vers Berlin.

Les lignes qui précèdent ont une importance capitale pour nous qui étudions la guerre dans ce qu'elle a de plus élevé et qui sommes curieux de suivre le développement des idées chez Napoléon depuis qu'il croit la guerre possible jusqu'au jour où il lancera sur la Prusse les foudres accumulées de son génie.

L'Empereur dit : toutes mes armées ; il en avait donc plusieurs ?

Oui, certes, il en avait quatre depuis le commencement de mars, époque à laquelle, ainsi qu'on l'a vu, il se mit en garde contre la Prusse en disposant ses corps d'armée, isolément ou par groupe, sur quatre zones, savoir : Les 1er, 5e et 3e corps au centre, vers Anspach.

Le 4e corps, en aile droite, à Passau.

Le 7e corps, en aile gauche, à Francfort.

Le 6e corps, en réserve centrale, à Memmingen.

Nous avons montré précédemment le rôle éventuel du 4e corps en cas de guerre avec l'Autriche, et celui du 7e corps en prévision d'une rupture avec la Prusse ; nous n'y reviendrons pas.

Napoléon indique Bamberg comme centre de la zone de réunion de tous les corps de la Grande Armée.

Cette ville, point de convergence d'un grand nombre de routes, est située immédiatement en avant des cantonnements du groupe central. En outre, elle est le point de départ des routes de Schleiz et de Saalfeld, lesquelles, avec celle de Baireuth à Hof, étaient les seules bonnes communications reliant le bassin du Main supérieur à la Saxe par le Franken-Wald.

Un calcul de distances, des plus simples, a permis à Napoléon de fixer à huit jours le temps nécessaire pour que le 4e, le 7e, le 6e corps et a fortiori, les 1er, 5e, 3e corps, pussent se trouver réunis à l'entrée des débouchés du Franken-Wald dont Kronach marque le centre.

Napoléon emploie le terme de réunion pour désigner le rassemblement des corps d'armée en cantonnements serrés sur une zone de moyenne étendue, telle que les divers corps soient en mesure d'entamer les opérations dans un sens quelconque, tout en restant liés entre eux.

Nous aurons l'occasion de revenir sur les propriétés de l'armée réunie.

 

Disons dès maintenant que Napoléon ne s'est servi du mot de concentration que pour désigner l'état de préparation de l'armée, à la veille d'une bataille.

De notre temps, on n'a pas cru devoir retenir la terminologie si claire et si bien appropriée de Napoléon.

Ainsi, on a choisi le terme de zones de concentration pour indiquer les régions sur lesquelles nos armées doivent se réunir en débarquant du chemin de fer.

Cette expression fait double emploi avec celle qui désigne la condensation préparatoire à la bataille.

La terminologie a son importance ; nous n'en voulons d'autre preuve que cette phrase de Napoléon :

A la guerre, il faut d'abord bien établir la langue pour s'entendre, car c'est faute de cela qu'on prend une chose pour une autre.

Mais nous avons droit aux circonstances atténuantes.

Les hommes de notre génération ignoraient, en 1870, les enseignements de Napoléon ; ils ont dû s'inspirer des élèves du maître, les Prussiens, et alors, certaines locutions nous sont parvenues perverties ou inexactes.

 

Pour en revenir aux formes essentielles que peut prendre une armée, nous dirons qu'elle est : soit, en quartiers ; soit, réunie ; soit, concentrée.

Dans le premier cas, elle occupe des cantonnements étendus comme pendant un armistice ; dans le second cas ses cantonnements sont serrés, et dans le troisième cas, elle stationne en cantonnements-bivouacs, ou bien, au bivouac.

 

Napoléon estime qu'il y a dix jours de marche de Kronach à Berlin. Il veut donc aller à Berlin ?

Un écrivain à courte vue, le général prussien de Hohenlohe, a pris texte, récemment[1], de la phrase de Napoléon pour s'écrier : Berlin, mais c'est un objectif géographique !

Si l'auteur allemand s'était donné la peine de lire avec attention toute la lettre impériale, il y aurait vu ces mots : Je n'ai aucun projet sur Berlin.

En effet, Berlin est pour Napoléon le point de direction, mais non l'objectif.

L'Empereur veut marcher sur Berlin parce qu'il devine que l'armée prussienne viendra lui en barrer la route. Il n'aura pas la peine de chercher l'ennemi pour le combattre ; c'est l'ennemi qui accourra à sa rencontre.

La Grande Armée s'avancera sur Berlin en bataillon carré, sous le couvert de détachements, composés en majorité de cavalerie, qui lui assureront le temps de prendre ses dispositions pour la bataille, à n'importe quel moment de sa marche et sur quelque terrain que ce soit.

Napoléon ignore les projets de l'ennemi, mais ce qu'il sait bien c'est que la marche de la Grande Armée à travers la Saxe attirera l'adversaire et le réduira à jouer un rôle subjectif.

L'idée de Napoléon consistant à marcher de Bamberg directement sur Berlin dénote une connaissance approfondie du cœur humain, des doctrines de l'ennemi, de sa faiblesse enfin.

On ne peut former un plan semblable que si l'on a la certitude absolue de vaincre, et Napoléon l'avait.

 

§ 4. — Questionnaire topographique.

 

La seconde lettre impériale du 5 septembre renfermait, en outre, une série de questions sur les routes, les rivières, les ponts, les villes fortifiées que l'on rencontre dans le pays compris entre Bamberg et Berlin.

Vous ferez ramasser les meilleures cartes qui pourront se trouver à Munich et à Dresde.

Vous enverrez des officiers intelligents à Dresde et à Berlin par des routes différentes. Ils s'arrêteraient para tout en route pour déjeuner, dîner, dormir, ne marcheraient point de nuit et étudieraient bien par ce moyen le local. Je pense qu'on trouvera de quoi vivre dans le pays de Bamberg. Il me sera facile d'approvisionner Würzburg.

 

§ 5. — Esquisse du plan d'opérations.

 

En résumé, Napoléon esquisse son plan de campagne dans la seconde lettre qu'il adresse le 5 septembre au maréchal Berthier.

Ce plan vise essentiellement :

1° Le choix d'une zone de réunion très rapprochée des quartiers du groupe central de corps d'armée. Cette zone sera couverte du côté dangereux par les massifs du Franken-Wald et du Thuringer-Wald ;

2° La fixation de la direction initiale : Berlin, sur laquelle viendra se placer de lui-même l'objectif qui est l'armée ennemie ;

3° Les subsistances de rassemblement des corps d'armée, assurées par le pays de Bamberg ;

4° L'occupation de Würzburg, ville forte pouvant servir à la fois de place de dépôt et de pivot de manœuvre.

Bien mieux, cette lettre contient le canevas d'une partie des travaux du temps de paix ayant pour objet l'élaboration du plan d'opérations pour une guerre à venir.

La différence essentielle entre la méthode de Napoléon et celle de nos jours consiste en ce que le chef de la Grande Armée, seul, improvise et ordonne, tandis que la préparation à la guerre est devenue aujourd'hui un travail de longue haleine auquel participent toutes les activités militaires.

 

§ 6. — Principes d'organisation de la ligne d'opérations.

 

Une lettre du 9 septembre, adressée de Saint-Cloud au major général, contient les passages suivants que nous reproduisons à cause de leur importance.

Si je faisais la guerre contre la Prusse, ma ligne d'opérations serait Strasbourg, Mannheim, Mayence et Würzburg, où j'ai une place forte ; de sorte que mes convois, le quatrième jour de leur départ de Mannheim ou de Mayence, seraient en sûreté à Würzburg. Je voudrais, à quatre journées de Würzburg, sur le territoire bavarois, avoir une petite place qui puisse servir de dépôt. J'ignore quelle force peuvent avoir les petites places de Kronach, Lichtenfeld, Schesslitz. Forchheim serait dix lieues trop bas ; cependant il faudrait s'en servir si l'on ne pouvait s'établir ailleurs.

L'Empereur emploie ici l'expression de ligne d'opérations et non celle de ligne de communications pour désigner la route que suivront les convois destinés à l'armée. Toutefois, Napoléon se servait habituellement du terme : ligne de communications quand il s'agissait de la route d'étapes, reliant le territoire d'où il tirait ses ressources au premier point d'appui de ses opérations, comme était Würzburg. Il désignait, par contre, sous le terme de ligne d'opérations la route de l'armée depuis le premier pivot de manœuvres jusqu'aux troupes elles-mêmes.

Napoléon lorsqu'il a dit : Une armée ne doit avoir qu'une seule ligne d'opérations a visé la terminologie que nous venons de fixer. En effet, chacune des armées qu'il a commandées n'a jamais eu qu'une ligne d'opérations, dans le sens que nous attachons à ce terme, alors que ses lignes de communications ont été plus ou moins nombreuses.

On verra plus loin qu'au début de la campagne de 1806 la Grande Armée a eu quatre lignes de communications et une seule ligne d'opérations.

La ligne de communications indiquée ici par l'Empereur aboutit à Würzburg, c'est-à-dire derrière le centre du dispositif de couverture formé par la division Gazan (5e corps), à Schweinfurth, et par le 7e corps, à Francfort.

La place-dépôt de Würzburg répond donc au cas où la Grande Armée aurait à manœuvrer dans le bassin moyen du Main. Cette éventualité ne peut se présenter que si les Prussiens, prenant l'initiative des opérations, débouchent dans la vallée du Main avant que l'armée française ait pu franchir le Franken-Wald.

Mais Napoléon demande qu'on lui indique une place forte à quatre journées au sud-est de Würzburg, soit à vingt-cinq lieues environ dans la direction de Bamberg, parce que celle-là sera le dépôt d'où partira la ligne d'opérations vers la Saxe, au cas où l'on aura le temps de franchir les montagnes avant que l'ennemi ait de grandes forces au sud du Thuringer-Wald.

La lettre du 9 septembre ordonne, en conséquence, de faire reconnaître Kœnigshofen, au nord de Schweinfurth, et le Main, depuis Würzburg jusqu'aux frontières de Baireuth.

Faites aussi reconnaître le haut Palatinat jusqu'aux frontières de la Saxe ; voyez s'il s'y trouve une place où mes convois puissent se rendre depuis le Rhin, et qui puisse servir de point d'appui à mes opérations.

Napoléon veut donc une seconde place à l'est et à vingt-cinq lieues de Würzburg, dans le haut Palatinat, sur les frontières de la Saxe. Nous verrons plus loin que cette place fût Kronach.

La même lettre porte :

Dans tous les cas, la place de Forchheim ne doit pas être négligée. Concertez-vous avec le roi de Bavière pour qu'il y mette un commandant avec des munitions de guerre et de bouche.

On voit, d'après ces citations, que, dans l'esprit de l'Empereur, la réunion de l'armée doit être couverte, en avant, par la place de Kœnigshofen ; sur les flancs, par Würzburg et une autre place à trouver vers la frontière de Saxe (Kronach) ; enfin appuyée, en arrière, par la place de Forchheim. La zone de réunion sera donc complètement encadrée par des places formant dépôts et pivots de manœuvres.

Aux termes de la lettre du 9 septembre, l'Empereur veut pouvoir diriger ses convois venant du Rhin, soit sur Würzburg par Mayence, soit, par une autre voie, sur la place du haut Palatinat (Kronach) située sur les frontières de la Saxe.

La ligne de communication de Strasbourg à Würzburg par Mannheim et Mayence suppose que l'ennemi débouchera de la Saxe vers Bamberg par les défilés du Franken- Wald.

La ligne de communication du Rhin à Kronach ne peut se comprendre que dans le cas où la Grande Armée prendra l'initiative des opérations et envahira la Saxe.

Mais, si l'ennemi se présente devant Würzburg avant que la Grande Armée ait rompu vers la Saxe, la place de Forchheim deviendra forcément le point d'arrivée des convois, autrement dit, la tête d'étapes de guerre, pour nous servir de l'expression aujourd'hui consacrée.

Les citations de la lettre du 9 septembre qui précèdent contiennent en germe l'idée maîtresse de l'utilisation des places fortes durant la période des rassemblements, idée dont nous aurons l'occasion d'étudier le développement en des lettres postérieures.

Sans entrer dès maintenant dans la discussion de la réunion de l'armée, au double point de vue de sa sécurité et de son secret, on peut dire que Napoléon a cru trouver dans les places fortes un des moyens les plus efficaces pour masquer les mouvements de réunion et mettre ses convois à l'abri des incursions de la cavalerie ennemie.

On ne peut comparer Würzburg, Kronach, Kœnigshofen et Forchheim, de vraies bicoques, aux places et forts d'arrêt dont l'ensemble constitue les zones fortifiées actuelles.

Aujourd'hui, bien mieux qu'en 1806, la fortification permanente de notre frontière est susceptible de masquer les rassemblements d'armées entières.

Demain, comme en 1806, la doctrine de l'offensive à outrance prévaudra chez nos ennemis.

Cette doctrine, inspirée par Frédéric, a été mal appliquée en 1806, mais a donné d'excellents résultats en 1866 et en 1870.

Tout problème dont les données sont suffisantes est soluble.

Il est donc permis d'espérer que, par analogie avec les dispositions de Napoléon que nous étudierons plus tard en détail, la future offensive stratégique des Allemands donnera l'occasion à la défensive stratégique française de préparer, à l'abri des places fortes, une manœuvre dont les résultats pourront être décisifs.

 

La lettre impériale du 9 septembre contient ce passage :

Faites reconnaître la Naab et faites faire un grand croquis de cette rivière ; dans un cas de guerre, elle peut a devenir très importante.

Le cas de guerre que vise Napoléon est évidemment celui où les armées prussienne et autrichienne agiraient de concert, la première en débouchant sur Würzburg ou Bamberg, la seconde en attaquant la ligne de l'Inn, défendue par les Franco-Bavarois du maréchal Soult.

Ce maréchal utiliserait alors l'Inn inférieur, l'Isar inférieur et le Danube comme lignes de défense pour retarder l'ennemi supposé en nombre très supérieur ; mais un corps autrichien, qui remonterait la vallée du Danube par la rive gauche, après avoir fait tomber les lignes de l'Inn et de l'Isar l'une après l'autre, tournerait facilement les défenses du Danube, par Ratisbonne, si l'occupation de la ligne de la Naab ne venait mettre obstacle à ses projets.

Faites observer (reconnaître) Gotha, Naumburg et Leipzig comme fortifications, et dites-moi quelles places on pourrait trouver à l'abri d'un coup de main entre Bamberg et Berlin, et qui pourraient servir de centre aux positions de l'armée.

Par place pouvant servir de centre aux positions de l'armée, il faut entendre une ville forte servant de dépôt ou de magasin pour l'armée et, éventuellement, de pivot de manœuvres.

Une place de dépôt, point d'appui des opérations, prenait également, dans la correspondance de l'Empereur, le titre de pivot de manœuvres.

Si l'armée se concentre auprès d'une telle place, elle y trouvera des subsistances accumulées qui la feront vivre pendant les quelques jours de crise précédant la bataille.

On conçoit, en outre, qu'une place à laquelle une armée appuie une de ses ailes rende toute attaque de ce côté extrêmement difficile. Elle fait l'office, dans ce cas, d'un secours de 10.000, 15.000, 20.000 hommes, pourvu que l'ennemi commette la faute d'accepter la lutte dans des conditions aussi désavantageuses pour lui.

Mais, dans l'esprit de l'Empereur, une place de dépôt ne devait servir de point d'appui aux opérations ou de pivot de manœuvres que dans le cas où l'armée se trouverait contrainte d'adopter la défensive.

Nous aurons l'occasion de revenir, avec les développements qu'elle comporte, sur cette question.

De telles places devaient se trouver sur la ligne d'opérations, autant que possible à quatre ou cinq journées de marche les unes des autres.

Napoléon voulait avoir ses malades et blessés, ses munitions et ses subsistances dans une enceinte fortifiée, à l'abri des insultes d'un corps de partisans.

Il y était en quelque sorte forcé par la parcimonie qu'il apportait à constituer la garde des lignes de communications et d'opérations.

Les gîtes d'étapes ordinaires avaient pour toute garde un brigadier et quatre gendarmes. Quant aux gîtes principaux fortifiés, les seuls renfermant des hôpitaux et des magasins, ils n'avaient le plus souvent pour leur défense que des malades ou des éclopés réunis en sections ou compagnies provisoires, sous les ordres d'officiers blessés ou fatigués.

 

§ 7. — Le centre de réunion sera-t-il Würzburg ou Bamberg ?

 

Le 10 septembre, Napoléon écrivit au maréchal Berthier :

Les mouvements de la Prusse continuent à être fort extraordinaires. Ils veulent recevoir une leçon. Je fais partir demain mes chevaux et, dans peu de jours, ma garde.

Si les nouvelles continuent à faire croire que la Prusse a perdu la tête, je me rendrai droit à Würzburg ou à Bamberg.

Napoléon ignore donc, le 10 septembre, s'il réunira l'armée autour de Würzburg ou de Bamberg.

Et comment pourrait-il le savoir ?

Tout dépendra de l'activité des Prussiens.

Würzburg sera le centre des rassemblements français, si la prochaine campagne doit avoir pour théâtre le bassin du Main inférieur. Par contre, Bamberg est tout indiqué comme centre de réunion de la Grande Armée, dans le cas où les lenteurs de la Prusse autoriseraient Napoléon à exécuter son premier projet de marche sur Berlin.

J'imagine que Braunau est toujours approvisionné et en état de défense.

Cette place est appelée, en effet, à jouer un rôle important dans l'éventualité d'une alliance de l'Autriche avec la Prusse et avec la Russie.

Le même jour, 10 septembre, l'Empereur donna l'ordre au général Caulaincourt de faire partir sa maison militaire en deux échelons, le premier le 11, le deuxième le 14.

Je désire que cela se fasse avec tout le mystère possible.

Napoléon avait raison d'entourer son départ pour l'armée du plus grand secret, car la nouvelle pouvait faire accélérer les mouvements de l'armée prussienne.

 

§ 8. — Précautions sur le Rhin inférieur.

 

Une autre lettre de l'Empereur, écrite le 10 septembre à son frère Louis, roi de Hollande, a pour objet la formation d'un camp de 30.000 hommes, à Utrecht, au moyen de troupes hollandaises et de deux divisions françaises, l'une de 5.000, l'autre de 12.000 hommes pour défendre Wesel, le nord de vos Etats, et, selon la marche de mes opérations et les événements de la guerre, vous étendre dans le pays de Münster et de Wesel. Le général Michaud est un fort brave homme qui pourra très bien commander ce corps sous vos ordres.

Ainsi, Napoléon, sans dire encore à son frère Louis la nature des opérations qu'il médite, le prévient d'avoir à se mettre en garde, en concentrant à Utrecht toutes les troupes françaises et hollandaises disponibles dans le royaume de Hollande.

Le qualificatif donné au général Michaud et la bonne opinion que semble avoir Napoléon des qualités militaires de son frère excitent l'étonnement.

Aux yeux de Napoléon, le général Michaud était un fort brave homme et son frère un vrai général.

Mais où le roi Louis avait-il appris la guerre ?

L'esprit familial, poussé jusqu'à l'exagération, a fait commettre à l'Empereur bien des erreurs, pour ne pas dire des sottises. Ses faiblesses à l'endroit de Murat et de Bernadotte découlèrent du même sentiment.

 

§ 9. — Mesures diplomatiques.

 

La journée du 12 septembre fut consacrée par l'Empereur aux affaires étrangères et à des détails d'organisation concernant la garde impériale.

Ce jour-là, il écrivit à l'empereur d'Autriche et au roi de Prusse ; puis il dicta : pour M. Laforest, ambassadeur à Berlin, M. Durand, ministre de France à Dresde, et M. Bignon, ministre de France à Cassel, des notes qui peuvent se résumer ainsi : Si la Prusse envahit la Saxe sans coup férir, MM. Laforest et Durand demanderont leurs passeports et en instruiront le maréchal Berthier par courrier extraordinaire.

Si la Hesse arme, M. Bignon quittera Cassel.

Une lettre écrite, le même jour (12 septembre) à Murat, pour l'informer de la situation générale, contient cette phrase typique, qui peint l'état d'âme de Napoléon et sa confiance sans bornes.

Si véritablement je dois encore frapper, mes mesures sont bien prises, et si sûres, que l'Europe n'apprendra mon départ de Paris que par la ruine entière de mes ennemis.

 

§ 10. — La zone de réunion est sur Würzburg.

 

Nous arrivons, le 13 septembre, à une lettre au major général, très importante, parce qu'elle montre une des variations les plus marquées de l'esprit de Napoléon au sujet de la zone de réunion de son armée.

On se souvient que, le 5 septembre, l'Empereur fixait Bamberg comme centre du rassemblement général.

Dans sa lettre du 9 septembre, il indiquait encore Bamberg comme point de départ de l'offensive sur Berlin, mais il conseillait d'approvisionner Würzburg et Forchheim.

Enfin, le 10 septembre, Napoléon annonçait que si la Prusse continuait à armer, il se rendrait droit à Würzburg ou à Bamberg.

On voit donc que le point de rassemblement, une première fois déterminé, le 5, devient moins ferme, le 9, et oscille, le 10, entre Würzburg et Bamberg.

Dans la lettre du 13 septembre, ce point est fixé à Würzburg.

J'ai fait donner l'ordre à mon ministre à Berlin d'en partir sur-le-champ, si la Prusse envahissait la Saxe. Au premier bruit qui vous en reviendra, vous porterez votre quartier général, les corps des maréchaux Ney (6e corps), Augereau (7e corps), Davout (3e corps) et la division Dupont (à Cologne) sur Würzburg, où sera la réunion de l'armée.

La Bavière fournira 6.000 hommes pour renforcer le corps du maréchal Bernadotte (1er corps). Hesse-Darmstadt fournira 4.000 hommes pour renforcer le maréchal Augereau (7e corps).

Vous écrirez à Rapp, à Strasbourg, pour qu'il m'en prévienne par le télégraphe, et une heure après je pars pour Würzburg. Cependant toutes les lettres de la Prusse sont amicales, et je ne crois pas qu'elle envahisse la Saxe.

Vous ferez partir également toute la cavalerie sans exception. Il ne restera du côté de l'Inn que le maréchal Soult a et 20.000 Bavarois. Les corps wurtembergeois et badois seront du côté de Nœrdlingen. Tout le reste de mon armée se réunirait entre Würzburg et Bamberg.

Le même jour où vous apprendrez que M. Laforest a quitté Berlin, le maréchal Bernadotte entrera dans Baireuth.

Les mouvements de l'armée prussienne avaient commencé le 25 août en deux groupes, l'un, le principal, se dirigeant sur Magdebourg, où il était encore le 13 septembre, l'autre, sous Hohenlohe, sur Dresde, où il arrivait le 13 septembre.

Napoléon ne pouvait ignorer, à la date du 13 septembre, les deux directions : Magdebourg et Dresde, prises par les armées prussiennes, et il devait supposer que si le gouvernement de Berlin ne désarmait pas promptement, ses armées pouvaient atteindre les confins de la Saxe, de Würzburg et de Cassel à la fin de septembre.

Or, l'Empereur savait se renseigner par tous les moyens.

Suivant von der Goltz, trois mois après l'arrivée à Paris, au commencement de l'année 1806, de l'ambassadeur de Prusse marquis de Lucchesini, Napoléon avait fait surprendre le chiffre de la correspondance de l'ambassade et connaissait les rapports diplomatiques à l'adresse de Berlin avant qu'ils eussent quitté Paris.

Donc, le 13 septembre, Napoléon craint d'être surpris par les événements et il ordonne au major général toutes les mesures de nature à parer à une attaque générale qui lui parait néanmoins improbable, étant donné le langage amical du gouvernement prussien.

Les dispositions éventuelles prescrites par l'Empereur sont toutes de défense.

A l'aile droite, le maréchal Soult, à la tête du 4e corps que viendront soutenir 20.000 Bavarois réunis à Munich, fait face à l'Autriche dont la neutralité est incertaine malgré ses protestations en faveur de la paix.

Le jour où l'on saura que l'ambassadeur de France a quitté Berlin, le maréchal Bernadotte (1er corps), occupera Baireuth, en territoire prussien, au débouché de la route de Dresde par Hof.

Les 3e, 6e et 7e corps se réuniront entre Würzburg et Bamberg ainsi que toute la cavalerie de réserve.

L'Empereur ne parle pas du 5e corps, mais il paraît évident que ce corps d'armée ayant déjà une division (Gazan) à Schweinfurth ira la renforcer pour former la couverture, ou avant-garde, de la masse principale à rassembler au sud de cette ville.

Tous ces mouvements s'opéreront au moindre bruit de l'envahissement de la Saxe par les Prussiens.

Un courrier extraordinaire pouvait se rendre, à cette époque, de Dresde à Munich en deux ou trois jours, puisque les courriers de l'Empereur employaient quatre jours pour aller de Paris à Munich.

En supposant qu'il fallût huit jours aux différents corps et divisions de cavalerie de l'armée pour se réunir aux points fixés, cette réunion pouvait être achevée douze jours après que M. Durand aurait quitté Dresde.

L'armée de Hohenlohe, une fois à Dresde, pouvait-elle arriver, en moins de douze jours, à Baireuth, en supposant qu'elle ne perdit pas un moment ?

Douze jours après l'envahissement de la Saxe, où serait l'armée du duc de Brunswick, supposée en marche sans interruption vers l'Ouest ?

Quatre hypothèses ont dû se présenter à l'esprit de Napoléon :

1° Les armées prussiennes, réunies et marchant de conserve, se dirigeront par Hof, Schleiz et Saalfeld sur Baireuth et Bamberg dans l'espoir de surprendre les quartiers de l'armée française, ou bien, elles marcheront ensemble par Erfurth sur Würzburg ;

2° Les armées prussiennes, séparées, iront, celle de Hohenlohe, de Dresde, par Hof, sur Baireuth, celle de Brunswick, par Erfurth, sur Würzburg, pour se réunir au milieu des quartiers surpris de l'armée française ;

3° Les armées prussiennes réunies se porteront sur Würzburg, par Erfurth (armée principale) et Saalfeld (armée secondaire) ;

4° Les armées prussiennes réunies marcheront d'Erfurth sur Francfort et Mayence pour couper l'armée française de la ligne du Rhin et envahir son territoire.

La première et la troisième hypothèse étaient sans contredit les plus redoutables, la première surtout.

Si les armées prussiennes (4e hypothèse) allaient sur Francfort, elles seraient bientôt arrêtées par la place de Mayence qui deviendrait le pivot des manœuvres qu'entreprendrait Napoléon pour jeter l'ennemi dans le Rhin.

Le dispositif prescrit par la lettre du 13 septembre, revêtant un caractère purement défensif, il y a lieu de penser que l'Empereur, qui ne prenait jamais Une décision à la légère, avait sérieusement réfléchi, avant de l'ordonner, aux principales éventualités qui pouvaient se produire.

Dans la première hypothèse admise plus haut, il y a 225 kilomètres de Dresde à Baireuth par Chemnitz, Zwickau, Plauen et Hof, et 325 kilomètres de Magdebourg à Bamberg par Halle, Weissenfels, Gera et Schleiz.

Il fallait donc treize jours, au moins, à l'armée principale prussienne pour que son avant-garde, une fois partie de Magdebourg, vînt déboucher du Franken-Wald à Lichtenfels.

L'armée secondaire, après avoir quitté Dresde, pouvait atteindre Baireuth avec sa, tête de colonne en neuf marches, mais il était à supposer qu'elle ne se présenterait pas ainsi toute seule au delà des débouchés et qu'elle attendrait l'arrivée de l'armée principale à sa hauteur.

En douze jours qui pouvaient se réduire à dix (la réunion de l'armée n'exigeant pas huit jours pour la majorité des corps mais seulement six), la Grande Armée était prête à entrer en opérations et par conséquent, l'ennemi, au lieu de surprendre des corps disséminés, trouverait en face de lui des forces prêtes à combattre.

Si le duc de Brunswick, rappelant à lui l'armée de Hohenlohe, marchait, toutes forces réunies, sur Würzburg par Erfurth, il avait une distance plus grande à parcourir et manquait son effet de surprise.

Le projet qui consistait à marcher sur Francfort exigeait un nombre de jours encore plus considérable.

Le plan primitif du roi de Prusse Frédéric-Guillaume III parait avoir été de porter toutes ses forces, par Erfurth, sur Würzburg, afin de disperser et de battre isolément les corps de la Grande Armée avant leur réunion.

Toutefois, les deux plans d'opérations orientés, l'un sur Francfort, l'autre sur Bamberg et Hof, eurent de nombreux partisans au quartier général du roi.

Quoi qu'il en fût, Frédéric-Guillaume III qui avait ordonné, le 9 août, la mobilisation de son armée sut amuser l'Empereur jusque vers la mi-septembre, suivant l'expression du général actuel, prince de Hohenlohe. Les armées prussiennes étaient en pleine marche, depuis trois semaines, dans la direction du Rhin, que le roi de Prusse écrivait encore à Napoléon pour protester de son inaltérable amitié.

 

Pour en revenir au dispositif de sûreté prescrit par Napoléon à la date du 13 septembre, voici d'autres constatations que l'on croit pouvoir faire : Trois corps de la Grande Armée, sans compter 20.000 Bavarois (auprès du 4 e corps), 6.000 Bavarois (auprès du 1er corps), sont disposés en couverture, savoir :

Le 4e corps, vis-à-vis de l'Autriche, à Passau ;

Le 1er corps, en face de la Saxe, à Baireuth ;

Le 5e corps, devant la Thuringe, à Schweinfurth ;

Derrière le corps d'aile gauche (le 5e), c'est-à-dire entre Würzburg et Bamberg, le gros de l'armée, comprenant trois corps et la cavalerie de la réserve.

 

Ce dispositif est orienté comme si l'Autriche pouvait intervenir dans la querelle, et il vise des opérations ayant pour théâtre-le pays entre Main et Danube, de Würzburg à Ulm et de Baireuth à Ratisbonne.

 

La masse principale, réunie au sud de Schweinfurth, peut se porter aussi rapidement à Würzburg qu'à Bamberg.

Si la totalité des forces prussiennes débouche sur Würzburg par Meiningen et Fulde, le 5e corps, en couverture, les ralentira jusqu'à ce que le gros de la Grande Armée puisse intervenir directement, ou bien indirectement à la suite d'une manœuvre.

L'armée du prince de Hohenlohe vient-elle sur Baireuth pendant que l'armée principale débouche sur Bamberg, le gros des forces françaises est à portée de combattre cette dernière, pendant que le maréchal Bernadotte (1er corps) contiendra la première en occupant les débouchés.

Dans le cas où les deux armées prussiennes, marchant séparées, se présenteraient devant Baireuth et devant Würzburg, la manœuvre serait encore la même que ci-dessus.

Si les armées prussiennes vont sur Francfort, on les laissera faire. Mayence est là pour les arrêter pendant quelque temps et on aura tout le loisir de jeter dans le Rhin ce qui aura dépassé Hanau.

Cette dernière manœuvre fut prévue et caressée avec amour par Napoléon, comme on le verra quand nous discuterons le plan d'opérations qu'il exposa au roi de Hollande dans sa lettre du 30 septembre.

Enfin, si l'Autriche intervient en faveur de la Prusse, on battra l'ennemi le plus rapproché pendant que les corps postés en couverture sur la frontière la moins immédiatement menacée résisteront, puis on se tournera, toutes forces réunies, vers l'ennemi le plus éloigné pour le détruire à son tour.

Grâce à la ligne de l'Inn et aux forteresses de Kufstein, de Braunau et de Passau, les 30.000 hommes du maréchal Soult (4e corps et 20.000 Bavarois) pouvaient tenir longtemps en échec une armée autrichienne plus forte du double.

Il restait encore à Napoléon cinq corps d'armée pour battre l'armée prussienne.

On compte cent lieues de Braunau à Würzburg.

En supposant qu'une armée autrichienne attaquât le maréchal Soult au moment où l'armée prussienne débaucherait de la Thuringe, la résistance du maréchal Soult permettrait de compter sur quinze jours au moins de répit pour les opérations contre les troupes prussiennes, c'était plus que suffisant.

En résumé, la lettre impériale du 13 septembre prévoit toutes les éventualités, prescrit les mesures propres à y parer, mais ne constitue pas une instruction de nature à éclairer le major général et à guider ses décisions dans le cas où il aurait à prendre d'urgence des dispositions avant l'arrivée .de Napoléon, Telle qu'elle est, la lettre du 13 septembre dénote de la part de son auteur de longues réflexions et répond bien à la pensée qu'exprimait Napoléon dans la lettre écrite le 18 septembre au prince Eugène, où il disait :

Les affaires se méditent de longue main et, pour arriver à des succès, il faut penser plusieurs mois à ce qui peut arriver.

 

§ 11. — La zone de réunion est sur Bamberg.

 

Le 15 septembre, deux jours après avoir expédié la lettre que nous venons d'analyser, Napoléon écrivait encore au major général :

Du moment que M. Laforest aura évacué Berlin, vous aurez soin de mettre en marche les corps des maréchaux Ney (6e), Davout (3e) et Augereau (7e), sur Bamberg..... Les quatre divisions de dragons et les divisions de grosse cavalerie se mettront en marche sur Bamberg et Würzburg. Faites-moi connaître, par le retour du courrier, quand tout cela pourra être rendu aux lieux désignés ; mais ne faites aucun mouvement que Laforest n'ait quitté Berlin.

On le voit, rien n'est changé aux dispositions de la lettre du 13, sauf que la réunion de l'armée n'est plus à Würzburg, ni même entre Würzburg et Bamberg ; elle est fixée cette fois à Bamberg.

L'Empereur, tout en voulant parer à une attaque soudaine, revient à son idée favorite : réunir l'armée à Bamberg, puis de là envahir la Saxe.

Que les 6e, 3e et 7e corps se rassemblent à Würzburg, à Bamberg, ou entre ces deux villes, la question a peu d'importance en soi et n'en acquiert que dans l'esprit de l'Empereur, au point de vue du plan d'opérations.

La réunion à Würzburg, c'est la défensive-offensive ; à Bamberg, c'est l'offensive vers la Saxe ; entre les deux, c'est se réserver de pouvoir choisir, en temps opportun, l'un ou l'autre mode d'action.

 

§ 12. — Importance des outils de pionniers.

 

Le 16 septembre, l'Empereur n'écrivit qu'une seule lettre au major général d'où nous détachons le passage suivant :

Chaque division de corps d'armée doit avoir 400 ou 500 outils de pionniers, outre 1.500 pour chaque corps d'armée. Sans outils, il est impossible de se retrancher ni de faire aucun ouvrage, ce qui peut avoir des conséquences bien funestes et bien terribles.

Un décret qui devait paraître quelques jours plus tard, le 1er octobre, créa le train du génie et affecta un caisson à quatre chevaux à chaque compagnie du génie pour le transport de 500 outils et agrès.

Le soin qu'apporte l'Empereur à pourvoir les troupes de nombreux outils de pionniers, 2,500 ou 3.000 par corps d'armée, montre bien qu'à la date du 16 septembre, des opérations défensives lui semblent possibles, tout au moins au début de la guerre prochaine. Dans tous les cas, il veut se mettre en mesure et, pour la même raison, Wesel doit être mise en état de soutenir un siège vers la fin d'octobre.

 

§ 13. — Mesures de prévoyance.

 

La journée du 17 septembre présente cinq lettres de l'Empereur et une du maréchal Berthier.

Des cinq lettres de l'Empereur, nous n'examinerons, pour le moment, que la quatrième, adressée au major général.

Prenez des mesures pour bien connaître les noms des régiments qui composent les camps de Magdebourg, de Hameln et de Breslau, et tous les mouvements des Prussiens.

Ainsi, le 17 septembre, Napoléon croit les troupes prussiennes partagées en trois masses autour des localités énoncées ci-dessus. Il était bien informé, mais ne pouvait savoir, ce jour-là, que l'armée du prince de Hohenlohe, venant de Breslau, avait atteint Dresde, le 13 septembre.

Les renseignements très précis de Napoléon remontaient donc au 7 ou au 8 septembre et, en supposant qu'à cette date les camps prussiens eussent été levés, les troupes du camp principal de Magdebourg auraient mis douze à quinze jours, en marchant sans temps d'arrêt, pour arriver à Kronach ou Coburg et, le même temps, pour déboucher devant Schweinfurth.

Les troupes du camp de Breslau avaient six jours de marche pour atteindre Dresde et de là neuf jours pour arriver au débouché de Baireuth. En conséquence, une rencontre avec les Prussiens ne pouvait pas avoir lieu avant le 24 septembre.

La Grande Armée aurait-elle été réunie ce jour-là, en supposant que la nouvelle de l'invasion de la Saxe fût parvenue au major général le 16 ?

Il est permis d'en douter, étant connu le caractère indécis et pusillanime du maréchal Berthier.

En cette occasion, Napoléon nous semble avoir trop longtemps attendu avant de lancer les ordres de rassemblement.

Mais il connaissait la faiblesse du commandement prussien.

Cette appréciation de la valeur réelle de l'adversaire est l'apanage des hommes d'élite, natures d'artistes aussi, chez lesquels les impressions font naître un sentiment intime et très intense, quoique inconscient, qui les trompe rarement.

 

J'imagine que la place de Braunau est en bon état.

Napoléon prévoit encore la possibilité d'une intervention armée de l'Autriche, et il veut que ses moyens de résistance sur l'Inn soient assurés, non seulement par les 50.000 hommes du maréchal Soult, mais encore par le bon état des forteresses riveraines dont Braunau est la plus importante.

Ayez un commandant du génie qui ait des correspondances avec les commandants, du génie des différents corps d'armée. Que ce soit un officier général ou un colonel, peu importe. Qu'il ait autour de lui de jeunes officiers du génie dont on puisse se servir pour des missions. Prévenez bien les officiers du génie que mon intention est, dans la prochaine campagne, de remuer beaucoup de terre ; qu'il faut donc qu'ils aient beaucoup d'outils.

La citation qui précède vise l'emploi des officiers du génie dans deux situations bien distinctes.

De jeunes officiers du génie seront réunis, auprès du commandant du génie de l'armée pour être prêts à exécuter des missions et, par ce terme, il faut entendre surtout les reconnaissances topographiques à faire, soit isolément, soit en accompagnant la cavalerie d'avant-garde.

L'autre rôle des officiers du génie consiste à diriger les travaux de fortification improvisée que les troupes d'infanterie auront à exécuter, au moment du besoin, sur l'ordre des généraux de corps d'armée on de division, d'après les indications techniques des commandants du génie.

En manifestant son intention de remuer beaucoup de terre dans la prochaine campagne Napoléon montre bien que, le 17 septembre, il n'est pas encore certain de pouvoir suivre sa première inspiration, qui consiste à dérober ses premières marches à l'ennemi pour pénétrer en Saxe, et qu'à cette date il prévoit l'éventualité d'une guerre défensive entre le Rhin, le Main et le Danube, pour faire face aux attaques austro-prussiennes combinées et les rompre l'une après l'autre.

 

Dans une autre lettre du même jour adressée au général Dejean, secrétaire d'État à la guerre, lettre qui concerne surtout les subsistances, Napoléon écrit :

Si la Prusse nous déclarait la guerre, Mayence paraîtrait être le pivot des mouvements contre cette puissance.

Encore une fois, l'Empereur songe très sérieusement à une guerre à forme défensive dans ses débuts.

Il se servira de Mayence pour fixer les têtes de colonnes prussiennes débouchant sur Francfort et, avec le gros de ses forces, il manœuvrera de façon à offrir la bataille, en débordant l'aile gauche de l'ennemi, avec l'espoir de l'acculer au Rhin.

 

La cinquième lettre de l'Empereur, adressée comme la quatrième au major général, le 17 septembre, a trait aux vacances d'aides de camp et d'adjoints à l'état-major à combler.

Napoléon insiste pour que l'on prenne comme aides de camp, des lieutenants, jeunes gens actifs et qu'on pourrait faire courir pour porter des ordres.

Les officiers devant remplir les vacances en question devront être choisis exclusivement parmi les adjoints des divisions de l'intérieur et parmi les officiers de cavalerie et d'infanterie des dépôts qui sont en France.

Cela se conçoit, l'Empereur ne voulait pas affaiblir les corps de troupe de la Grande Armée, à la veille d'entrer en campagne.

En exécution des ordres contenus dans la lettre ci-dessus, le major général prescrivit, le 23 septembre, aux maréchaux, d'avoir comme aides de camp, outre l'adjudant commandant, 8 officiers, dont 4 lieutenants jeunes et actifs pour être employés aux missions rapides.

Le système de guerre de Napoléon comportait une rapidité de mouvements inconnue jusqu'alors et oubliée depuis. Il fallait donc aux maréchaux un grand nombre d'officiers susceptibles de porter très rapidement des ordres à toute heure du jour et de la nuit, parfois très loin.

Le télégraphe, la bicyclette et l'automobilisme facilitent beaucoup, de nos jours, les communications entre les états-majors, mais on ne peut pas toujours compter sur ces éléments de transmission et il faut que le commandement soit pourvu comme, à l'époque napoléonienne, d'un nombre relativement élevé d'aides de camp (officiers d'ordonnance) très bien montés (3 chevaux au moins), qui puissent faire des courses longues et rapides.

 

§ 14. — Incapacité et passivité du major général.

 

Nous arrivons à un document très intéressant au point de vue psychologique ; il s'agit de la lettre adressée, le 17 septembre, par le major général à l'Empereur.

Le maréchal Berthier rend compte des renseignements sur les Prussiens qui lui ont été communiqués par le roi de Bavière et qu'il a pu se procurer, soit par ses émissaires, soit par les rapports des maréchaux.

De Berlin, on écrit au roi de Bavière, à la date du 9 septembre après-midi, que les armements de la Prusse continuent.

De Dresde, on mande au roi de Bavière, que l'armée prussienne destinée à rester sur l'Elbe avance vers Hof dans le pays de Baireuth ; que le prince Louis-Ferdinand, destiné à commander l'avant-garde, est parti pour ces contrées.

La phrase qui précède ne dit-elle pas, sous une forme ambiguë, que l'armée du prince de Hohenlohe est arrivée à Dresde et que son avant-garde a continué sur Hof ?

C'est le 13, que les deux divisions prussiennes du prince de Hohenlohe entrèrent à Dresde. La nouvelle dut en parvenir au roi de Bavière deux ou trois jours après, c'est-à-dire le 16, au plus tard.

D'ailleurs, il résulte des termes d'une lettre expédiée, le 14 septembre, de Dresde, par le ministre de France M. Durand, au maréchal Berthier, que l'invasion de la Saxe par les troupes prussiennes était effectuée, depuis le 6, et n'était devenue que plus générale depuis cette époque.

En apprenant cet événement, le major général avait son rôle tout tracé.

Il devait ordonner le rassemblement, au moins par division, des corps de la Grande Armée, et adresser un courrier extraordinaire à Strasbourg avec une dépêche que le télégraphe aérien aurait transmise de là à Paris.

La lettre impériale du 13, prescrivant qu'au moindre bruit du départ de M. Laforest, les 3e, 6e et 7e corps fussent réunis à Bamberg et le 1er corps à Baireuth, ne parvint au major général, que le 18 à 3 heures du matin et c'est le 19 seulement qu'il répondit à Napoléon en des termes qui n'indiquent pas beaucoup d'esprit d'initiative.

Mais, revenons à la lettre du major général en date du 17 septembre.

Après avoir fait part à l'Empereur des on dit qui circulent en Allemagne, au sujet de la marche des armées prussiennes, le major général continue en ces termes :

Ce qu'il y a de certain, Sire, c'est que tout en Allemagne est à la guerre.

J'attends d'un instant à l'autre de vos nouvelles et votre arrivée ; car je pense que si les négociations de Paris ne vous donnent pas la certitude des véritables intentions de la Prusse, il n'y a pas de temps à perdre pour que Votre Majesté ordonne les dispositions conformes au plan de guerre et aux opérations qu'elle aura adoptées.

Le maréchal Berthier fait allusion à cette phrase delà lettre impériale du 10 septembre :

Si les nouvelles continuent à faire croire que la Prusse a perdu la tête, je me rendrai droit à Würzburg ou à Bamberg.

Le major général écrit ensuite :

Votre Majesté se rappelle qu'elle m'a prescrit de ne rien faire, c'est-à-dire de ne faire mouvoir aucun des corps de MM. les Maréchaux sans ses ordres ultérieurs. Je me borne à exécuter ponctuellement les ordres de Votre Majesté et à tenir tout en état pour être prêt à agir.

Ces lignes sont en quelque sorte un plaidoyer en faveur des circonstances atténuantes, une forme de couverture tendue devant les responsabilités.

Elles invoquent les termes d'une lettre vieille de sept mois (le 14 février) où il était dit :

Tenez-vous en strictement aux ordres que je vous donne ; exécutez ponctuellement vos instructions..... moi seul, je sais ce que je dois faire.

Mais les circonstances ne sont plus les mêmes ; le danger est pressant. N'importe, le major général ne veut rien faire sans ordres ; il se bornera à l'exécution ponctuelle des ordres de Sa Majesté.

On ne concevrait pas, aujourd'hui, un major général aussi peu intuitif, aussi rebelle à toute initiative et craignant autant les responsabilités.

La passivité est chose bien dangereuse quand elle règne en haut lieu, parce qu'elle se communique à tout et à tous.

On verra plus loin, qu'en dépit des lettres impériales du 5, du 9 et du 10, lui indiquant l'opportunité de certaines mesures de précaution touchant les subsistances et, en général, les approvisionnements, le maréchal Berthier ne fit rien jusqu'au 22 septembre.

Enfin, le 17, le major général rend compte que ni Würzburg ni la petite forteresse de Kœnigshofen ne sont armés.

Or, le 16 seulement, le maréchal Berthier écrivait au maréchal Bernadotte pour lui demander des renseignements sur Kœnigshofen ; d'où cette réponse à la date du 18 :

La petite place de Kœnigshofen doit être occupée depuis longtemps par le général Grazan (5e corps). J'en étais convenu avec le maréchal Mortier lors de l'occupation du pays de Würzburg (mars 1806).

La reconnaissance de Würzburg, au point de vue de l'armement et des ressources, aurait dû être faite de longue date et, dans tous les cas, au reçu de la lettre impériale du 5 septembre. Il n'en fut rien et le maréchal Berthier attendit au 18 septembre pour envoyer le général Belliard en mission dans cette place.

Nous concluons de cet ensemble de faits que le major général de la Grande Armée pouvait posséder de nombreuses et solides qualités sous le rapport du caractère et de l'énergie, mais qu'il était dénué d'une haute personnalité.

Chancelier incomparable, il n'était pas un homme de guerre — les débuts de la campagne de 1809 en Allemagne l'ont démontré surabondamment — et ses fonctions ne pouvaient convenir qu'à une intelligence de deuxième ordre comme la sienne.

L'idéal que nous nous faisons du major général dans une guerre future est tout autre.

Pour nous, un tel personnage doit être le collaborateur respectueux et soumis du généralissime, et il faut qu'il puisse suppléer celui-ci à l'occasion.

Tous les fruits de la bataille de Dresde en 1813 furent perdus parce que, le lendemain de la victoire, Napoléon fut pris subitement de coliques.

Que l'Empereur eût fait une maladie grave à la fin de septembre 1806, peut-être les Prussiens fussent-ils venus dicter la paix à Paris.

Non ! le système de commandement basé sur un seul homme n'est pas admissible, et, autant nous admettons la nécessité étroite de l'unité de commandement, autant nous nous élevons contre l'absorption, au profit d'un seul, de toutes les activités directrices d'une armée.

 

La période des mesures de précaution prises par Napoléon se termine le 18 septembre.

Ce jour-là, à 11 heures du soir, fut lancé l'ordre de faire partir la garde en poste pour Mayence.

A dater de ce moment, les ordres pour le rassemblement de la Grande Armée, son échelonnement sur les lignes de marche choisies, enfin sa mise en mouvement vers la Saxe vont se succéder sans relâche, et tous émaneront de Napoléon.

 

§ 15. — Un point de doctrine exposé par Napoléon.

 

Pour clôturer ce chapitre des précautions en vue d'une guerre possible avec la Prusse, improbable mais à prévoir avec l'Autriche, il nous faut dire quelques mots d'une instruction générale (sic) adressée par l'Empereur, le 18 septembre, au prince Eugène, vice-roi d'Italie.

L'Autriche proteste de sa neutralité, et il est à croire, vu la situation actuelle de ses affaires intérieures, qu'elle attendra, si elle se décide, l'issue des événements. Quoiqu'il sera temps alors de vous donner des instructions, j'ai cru que je devais d'avance vous instruire du rôle que vous auriez à jouer, afin que vous vous y prépariez.

Autrement dit, l'Autriche attendra, pour intervenir, de connaître l'issue de la première bataille.

Vous commanderez en chef mon armée d'Italie, qui ne sera qu'une armée d'observation, vu que je suis bien avec l'Autriche.

L'Empereur prescrit d'évacuer tout doucement les hôpitaux et les magasins de l'Istrie sur Palmanova et Osoppo, places fortes mises en état de défense et pourvues de garnisons.

Les troupes du Frioul, jointes aux régiments stationnés en Piémont, formeront un corps de 40.000 hommes destinés à contenir une armée autrichienne qui aurait envahi l'Istrie.

En tout cas, vous pourriez manœuvrer entre Venise, Palmanova, Osoppo, Mantoue, Legnano, Peschiera, sans être obligé de vous affaiblir pour munir ces places, les ayant armées et approvisionnées d'avance. Si les événements devenaient très sérieux, il est probable que vous vous trouveriez rallié par l'armée de Naples (et le 8e corps sous les ordres de Masséna), ce qui vous ferait un renfort de 40.000 hommes.....

Quant à la Dalmatie, dans une pareille occurrence, le général Marmont devrait laisser une garnison suffisante à Raguse. Il concentrerait tout son monde du côté de Zara pour pouvoir inquiéter les frontières de Croatie, les attaquer même, pousser des partis et obliger l'ennemi à se tenir en force vis-à-vis de lui.....

Au pis aller, Zara le mettrait à même de s'y défendre des mois entiers, et d'attendre la solution générale des affaires.....

Même en supposant que l'Autriche prenne fait et cause pour la Prusse, le rôle de l'armée d'Italie, comme celui du corps de Dalmatie, est purement défensif, parce que Napoléon ne veut pas poursuivre plusieurs buts à la fois ni disperser ses forces sur plusieurs théâtres d'opérations.

C'est entre le Main, le Danube et le Rhin que le sort de la guerre se décidera si l'Autriche s'allie à la Prusse. Les armées d'Italie et de Dalmatie, pendant ce temps, immobiliseront devant elles le plus de forces possible, et ces forces ennemies seront en moins sur le théâtre des opérations décisives.

En cas d'infériorité notoire, l'armée d'Italie manœuvrera entre ses places et compensera ainsi, par l'emploi de la fortification et sa mobilité, le désavantage du nombre.

On peut faire un rapprochement dans les circonstances actuelles, entre la situation de Napoléon vis-à-vis de la Prusse et de l'Autriche en septembre 1806 et celle que nous créerait une menace de guerre venant de l'Allemagne et de l'Italie.

Nous aimons mieux laisser à chacun le soin d'apprécier jusqu'à quel point l'analogie est vraie et quelle distinction il convient d'établir entre les opérations du côté des Vosges et celles qui se dérouleraient près des Alpes.

 

 

 



[1] Lettres sur la Stratégie (1887).