LA MANŒUVRE D'IÉNA

ÉTUDE SUR LA STRATÉGIE DE NAPOLÉON ET SA PSYCHOLOGIE MILITAIRE

Du 5 septembre au 14 octobre 1806

 

CHAPITRE II. — MOBILISATION, RASSEMBLEMENT ET PREMIÈRES MARCHES DES ARMÉES SAXO-PRUSSIENNES EN 1806.

 

 

§ 1er. — Conduite louche de la Prusse en 1805.

 

Le 7 septembre 1805, la Prusse avait commencé la mobilisation de son armée, sous le prétexte de protéger sa neutralité pendant la campagne qui allait s'ouvrir en Allemagne.

Des colonnes françaises ayant traversé, du 3 au 6 octobre, le territoire d'Anspach appartenant à la Prusse, l'armée de cette puissance, forte de plus de 100.000 hommes, se mit en marche vers la Thuringe, puis la Franconie.

Le roi Frédéric-Guillaume III n'osait, ni faire la guerre, ni accepter franchement le rôle de neutre, et, comme tous les princes faibles, il espérait récolter autant, sinon plus, de profit dune médiation armée que d'une action énergique.

On connait l'aventure de M. de Haugwitz, et la façon dont il fut reçu par Napoléon le lendemain d'Austerlitz.

La Prusse avait manqué l'occasion unique de faire pencher la balance en faveur des coalisés en ne déclarant pas la guerre à la France au moment de la violation du territoire d'Anspach.

Dès lors, elle fut l'objet du ressentiment de Napoléon qui comprit bien que cette puissance ne serait jamais pour lui une alliée sincère.

Toutefois, l'Empereur se vit forcé de temporiser afin de terminer, sans la compromettre, l'admirable campagne d'Austerlitz, et même il accéda aux propositions avides de la Prusse.

 

§ 2. — Convention de Schönbrunn.

 

Par la convention de Schönbrunn (15 décembre 1805), cette puissance reçut le Hanovre et céda — faible compensation — les principautés de Clèves et de Neufchâtel, ainsi que le grand-duché de Berg à la France, le marquisat d'Anspach à la Bavière.

Cette convention ne fut pas tout d'abord acceptée par Frédéric-Guillaume III, qui voulut y apporter des modifications.

Napoléon rédigea alors un nouveau traité, moins avantageux pour la Prusse que le premier, et l'imposa par intimidation (15 février 1806).

La conduite du gouvernement prussien, en cette circonstance, fit dire à Pitt :

La conduite de la cour de Berlin réunit tout ce que la rapacité a d'odieux avec tout ce qu'il y a de méprisable dans la servilité.

Napoléon partagea sans doute le même sentiment, car il cessa, dès lors, de conserver le moindre ménagement avec la Prusse.

 

§ 3. — Sans-gêne de Napoléon vis-à-vis de la Prusse.

 

Ainsi, la Confédération du Rhin fut fondée (12 juillet) sans que le gouvernement de Berlin en eût été avisé. Wesel, qui faisait partie du grand-duché de Berg attribué à Murat, fut réunie à la France par décret. La Confédération du Nord, que la Prusse désirait organiser sous son hégémonie, ne put avoir lieu par suite des entraves apportées par Napoléon.

Lorsque Fox remplaça Pitt à la tête du gouvernement anglais, l'Empereur fit entamer avec lui des pourparlers (mars 1806) et offrit de restituer le Hanovre à l'Angleterre.

Mais, au cours des négociations, vers la fin de juillet, la proposition de rétrocéder le Hanovre fut dévoilée. Les Prussiens en conçurent une exaspération qui leur fit perdre tout sang-froid. La guerre devint inévitable.

 

§ 4. — Valeur de l'armée prussienne.

 

Quelle était la situation morale, technique et matérielle de l'armée prussienne à ce moment ?

De 1792 à 1805, les réformes apportées à l'organisation frédéricienne avaient été insignifiantes.

A la suite de la dislocation (24 janvier 1806) de l'armée réunie au mois d'octobre 1805 en Franconie, les troupes prussiennes restèrent dans l'inaction la plus complète.

Les officiers prussiens qui visitèrent les troupes françaises, soit en Hanovre, soit dans l'Allemagne du Sud, firent des rapports très rassurants. Presque tous, à commencer par les généraux, se figuraient, d'après von der Goltz, qu'une armée issue de la Révolution française, de la conscription, des guerres du Consulat et de l'Empire, devait ressembler matériellement à la brillante garde prussienne[1].

L'un de ces touristes militaires, un certain major de Kamptz, écrivait, à son retour de Hanovre, pendant l'été de 1805 :

En trois mois, et avec des forces égales aux deux tiers des leurs, nous chasserions à coups de fouet ces gaillards-là au delà du Rhin, j'en gage sur mon salut. Ce sont toujours les soldats de Rosbach dès qu'on marche résolument à leur rencontre.

Et pendant que l'armée française prenait, dès le mois de février 1806, des quartiers menaçants pour la Prusse, ainsi que nous l'avons déjà montré, les stratèges de l'armée prussienne, au dire de von der Goltz, se livraient à l'étude du terrain, établissaient des plans de campagne imaginaires et cherchaient des positions qu'ils trouvaient ou ne trouvaient pas.

L'aveuglement des généraux et officiers supérieurs prussiens avait des causes profondes.

Même du vivant de Frédéric, les détails de la place d'exercices avaient pris, on le sait, une importance extrême. Cette exagération ne fit que s'accroître par la suite, et des auteurs tels que Saldern, en Prusse, et Larcy, en Autriche, exercèrent une influence néfaste en systématisant à l'extrême les procédés, ou trucs d'instruction, qui devinrent, non plus seulement les moyens d'atteindre le but, mais le but lui-même.

Le combat en tirailleurs devait répugner à des chefs amoureux du pas de parade et des belles marches en bataille ; on cessa d'y exercer les fusiliers et l'on revint de plus en plus à la tactique purement linéaire.

Cependant, le grand roi avait écrit dans son testament militaire de 1768 :

A l'avenir, je chargerai les bataillons francs d'exécuter la première attaque ; je les porterai en avant à la débandade et en tiraillant, afin qu'ils attirent sur eux le feu de l'ennemi et que les troupes compactes puissent se précipiter en avant en meilleur ordre.

Pendant la guerre de Sept Ans, Frédéric s'était servi avec avantage, contre les Croates et les Pandours, de bataillons francs qui combattaient en ordre dispersé, en utilisant les accidents et les couverts du sol.

Ces bataillons s'étaient acquis une réputation détestable, au point que dans un ouvrage, publié en 1766, l'auteur avait pu écrire :

Tous ceux qui ont fait la guerre avec ce qu'on appelle les bataillons francs savent à quel point les soldats de ces bataillons ont été dans ces derniers temps, à peu d'exceptions près, d'exécrables canailles, et combien ils ont rendu peu de services pour l'énorme quantité d'argent qu'ils coûtent ; enfin ce qu'ils ont fait de tort à l'armée par leurs vols, leurs brigandages et en débauchant nos meilleurs soldats.

L'opinion s'enracina de plus en plus dans l'armée que le combat en tirailleurs ne pouvait produire que des résultats insignifiants, qu'il était contraire au bon ordre et à la bonne direction du combat, et même qu'il entretenait la poltronnerie.

On fit reposer le gain des batailles exclusivement sur la rapidité des évolutions en grandes masses et sur les feux de salve par bataillon, exécutés correctement et vivement.

Sous le rapport de la mobilité des troupes, aucune réforme sérieuse ne fut faite avant la catastrophe d'Iéna.

Frédéric-Guillaume III ayant constaté, lors de la mobilisation d'octobre 1805, les nombreux défauts de l'armée prussienne au point de vue des impedimenta, demanda au conseil supérieur de la guerre de lui proposer des réformes en vue de se rapprocher de l'organisation française.

Le roi trouvait excessif qu'un faible régiment d'infanterie comprit dans son effectif 300 chevaux avec tout l'attirail de voitures correspondant, que l'armée ne pût vivre que sur des magasins, etc. . . . . .

Au mois de juin 1806, le rapport du conseil supérieur de la guerre fut remis au roi.

Ce rapport concluait dans les termes suivants au maintien à peu près intégral de l'organisation existante :

Il nous parait tout à fait contraire à l'esprit de l'armée prussienne de vouloir enlever les tentes aux régiments et de supprimer les chevaux de selle et de bât aux officiers. Cela ne peut avoir que des conséquences fâcheuses.

Les boulangeries et les trains de farine sont tout aussi indispensables à l'armée ; et le système d'approvisionnements adopté par l'armée française ne peut être imité avec succès.

Comme le dit très justement von der Goltz, tout le monde participe à la faiblesse de son temps. Toujours l'influence du milieu.

La Prusse de 1805 était trop imprégnée de la légende frédéricienne pour reconnaître les immenses avantages du système de guerre inauguré par la Révolution française. Elle refusa de se rendre à l'évidence et ne put se débarrasser de son fétichisme pour une organisation caduque.

C'est de la folie ; soit !

Mais nous avons traversé les mêmes phases de démence entre Sadowa et Sedan.

La supériorité de la nation armée, que la guerre austro-prussienne venait de mettre au grand jour, ne fut-elle pas combattue de toutes parts dans notre pays avant les funestes événements de 1870 ?

Dans le domaine des hautes études militaires, l'armée prussienne était-elle au moins à la hauteur des progrès de son temps ?

On va en juger.

 

Dès la fin du règne de Frédéric II jusqu'au moment de la catastrophe, l'activité des esprits, activité très réelle dans l'armée prussienne de cette époque, se porta sur les perfectionnements à apporter aux formes de la tactique linéaire, la seule connue et admise.

On arriva graduellement, sous l'influence des travaux si remarquables de l'époque sur les sciences mathématiques, à envisager la tactique comme une science exacte.

L'ordonnance royale du 7 juin 1790, relative aux études de l'académie militaire, portait :

Les mathématiques n'apprennent pas seulement à réfléchir et à mettre de l'ordre dans les idées ; elles exercent aussi une influence particulière sur les choses militaires, sur la tactique et sur toutes les opérations de la guerre.

C'est de cette époque que datent les discussions byzantines sur la relation à établir entre, l'étendue de la base et l'angle formé par les lignes d'opérations à leur intersection sur l'objectif.

L'étude du terrain était le corollaire forcé de la guerre en équation.

Le terrain, dit von der Goltz, fut compté comme un facteur vivant dans l'établissement de tous les plans de guerre.

C'est ainsi que Massenbach, le chef d'état-major du prince de Hohenlohe mit tout en œuvre, au commencement d'octobre 1806, pour amener l'armée prussienne sur la hauteur d'Ettersberg.

Un autre général, nommé Gräwert, voulait que l'on se réunit, à la même date, sur une montagne près de Koppauz, et Goltz ajoute : il ne se rendait pas compte qu'il se trouverait difficilement quelqu'un pour l'y attaquer.

Schàrnhorst lui-même, dans un mémoire écrit avant 1806, pose en principe que plus une armée a recours aux artifices de la stratégie, plus elle doit se fractionner.

En 1805, le vieux duc de Brunswick présenta au roi un plan d'opérations suivant lequel Napoléon serait repoussé dans le sud de l'Allemagne, puis cerné, sans qu'il fût absolument nécessaire de battre les Français. On espérait au contraire qu'il suffirait de manœuvrer habilement.

On ne saurait passer sous silence, sous peine de tronquer l'exposé des causes de faiblesse de la Prusse, les fameuses manœuvres de parade inaugurées par Frédéric II et continuées par ses successeurs.

Dans ces manœuvres, truquées à l'instar d'une pièce à grand spectacle, tout était prévu et longuement décrit à l'avance.

Le programme de la revue du 15 mai 1797 se composait de 12 pages imprimées, in-folio.

Pour ces solennités militaires, on réunissait jusqu'à 30 bataillons et autant d'escadrons avec l'artillerie correspondante.

Pendant ces exercices, qui avaient surtout le caractère d'une bruyante mise en scène, mais que l'on prenait pour l'image fidèle d'une vraie bataille, les troupes montraient un entrain remarquable[2].

Une des principales causes de la faiblesse de la Prusse en 1806 doit être cherchée dans l'esprit du temps.

L'Allemagne n'ayant pas connu les horreurs de la Révolution était notablement imprégnée, à la fin du siècle dernier, de la sentimentalité maladive, si bien décrite par Taine dans les Origines de la France contemporaine et qui fut la caractéristique des mœurs de l'aristocratie européenne pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle.

On ne songeait qu'au bonheur universel, aux joies champêtres, à la paix éternelle, à la fraternité des peuples, et l'on trouvait de grands charmes dans les œuvres de Florian, de Jean-Jacques et tutti quanti.

En Prusse, l'affadissement public gagna l'armée. Les consignes du temps de paix recommandèrent la plus extrême douceur de la part des troupes, même en cas de troubles.

Le militaire perdit peu à peu son prestige et fut subordonné aux autorités civiles de la classe la plus inférieure.

Horrendum ! les corps de troupe de passage dans une localité durent solliciter des municipalités un certificat de bien vivre.

L'officier eut des raisons de croire qu'en toutes circonstances il se tirerait mal d'un conflit avec les bourgeois ou les autorités civiles.

L'armée finit par dégénérer en une milice craintive, non par peur de l'ennemi, mais par peur des conflits[3].

 

Or, qu'attendre, à la guerre, de gens qui ont passé toute leur vie à trembler ?

L'amour du bien-être croissait sans cesse. L'éducation raffinée, le savoir-vivre, les jeux d'esprit, un rationalisme superficiel étaient en honneur. De l'esprit de jouissance naquit à la fin un égoïsme qui domina tout.

Le sentiment national avait disparu et avec lui les passions solides et saines, le feu sacré et l'amour violent de la patrie. Le dilettantisme spirituel avait tué le sens pratique[4].

En résumé, quatre causes principales amenèrent l'affaiblissement extraordinaire de la Prusse pendant les vingt années qui précédèrent Iéna : 1° La torpeur des vieux généraux, endormis dans des formes surannées, par conséquent incapables de comprendre les immenses progrès réalisés dans l'art de la guerre par les armées de la Révolution ;

2° Le fétichisme national pour tout ce qui émanait de Frédéric le Grand et le mépris le plus complet pour les Français demeurés, dans l'esprit du plus grand nombre, les vaincus de Rosbach ;

3° La fausse orientation de l'activité guerrière uniquement dirigée sur des détails et des chimères ; 40 Une sentimentalité à la Florian, produite par la philosophie du XVIIIe siècle, et répandue au point d'affaiblir les caractères et de nuire au prestige de la profession des armes.

 

§ 5. — L'ordre de mobilisation.

 

L'ordre de mobilisation de l'armée prussienne fut lancé le 9 août 1806.

Vers la même époque, Napoléon essayait de conclure la paix avec la Russie, et sa quiétude apparente était telle, qu'il écrivait le 26 août au major général (maréchal Berthier) alors à Munich :

Le cabinet de Berlin s'est pris d'une peur panique. Il s'est imaginé que dans le traité avec la Russie il y avait des clauses qui lui enlevaient plusieurs provinces. C'est à cela qu'il faut attribuer les ridicules armements qu'il fait et auxquels il ne faut donner aucune attention, mon intention était effectivement de faire rentrer mes troupes en France.

Napoléon était-il sincère en dictant les lignes qui précèdent ?

En décidant le passage de son armée sur le pied de guerre, Frédéric-Guillaume III jugea inutile de prescrire la réunion de toutes les forces disponibles. Il laissa des troupes dans les garnisons, principalement sur la frontière de Pologne et constitua une réserve, dite stratégique, de 15.000 hommes, sous le prince de Wurtemberg.

A la suite d'un conseil de guerre tenu à Charlottenbourg, on décida la formation de deux armées et d'un corps combiné, sans compter la réserve stratégique.

L'armée, dite principale, commandée par le duc de Brunswick, devait comprendre six divisions donnant un effectif de 70.000 hommes.

L'armée, dite secondaire, aux ordres du prince de Hohenlohe, se composerait de quatre divisions — 50.000 hommes — dont deux saxonnes.

Une troisième armée, ou corps combiné, constituée par les divisions Blücher et Rüchel, sous le commandement de ce dernier, atteindrait l'effectif de 30.000 hommes.

Le duc de Brunswick était désigné comme généralissime, tout en conservant la direction immédiate de l'armée principale.

 

§ 6. — Premiers mouvements de réunion.

 

Les premiers mouvements vers les frontières de l'Ouest commencèrent le 25 août.

Le corps combiné de Blücher et Rüchel se porta de Hanovre dans la direction de Gœttingen afin d'entraîner le grand duc de Hesse dans la coalition.

Le 13 septembre, Hohenlohe arrive à Dresde avec ses deux divisions prussiennes, dans le but d'incorporer les deux divisions de l'Électeur de Saxe et il demeure dans cette ville pendant douze jours, pour laisser aux Saxons le temps de se mobiliser, et aussi, afin de protéger (!) le passage de l'Elbe que doit effectuer l'armée principale à Magdebourg.

Le 25 septembre, l'armée principale est échelonnée entre Naumburg et Leipzig, l'armée secondaire est à Dresde, et l'armée de Rüchel atteint Mülhausen.

 

§ 7. — Premier plan d'opérations.

 

A partir du 25 septembre, les conseils de guerre succèdent aux conseils de guerre.

Brunswick veut marcher par Erfurth sur Würzburg dans le double but de saisir les communications (!) de l'armée française et de surprendre ses cantonnements qui s'étendent, à ce que l'on croit, de Würzburg à Amberg.

Hohenlohe insiste pour la marche à travers le Franken-Wald sur Bamberg et, dans son impatience, il pousse une de ses divisions (Tauenzien), en avant-garde, sur Hof.

Aux discussions prennent part, outre le roi, les princes, les courtisans, des officiers d'état-major et, parmi eux, un capitaine Müffling, topographe distingué, dont les avis sont très écoutés parce qu'il connaît en détaille pays de Thuringe.

Pour donner satisfaction à tout le monde, le roi finit par décider que l'armée principale débouchera d'Erfurth sur Würzburg, tandis que l'armée secondaire marchera de Hof sur Baireuth et Bamberg, aux deux extrémités du Thuringer-Wald sorte de courtine entre ces deux bastions terribles[5].

Ce plan, à peine formé est abandonné.

 

§ 8. — Deuxième plan d'opérations.

 

Le duc de Brunswick fait adopter son projet de marcher sur le Main moyen, par Meiningen et Hildburghajisen.

En conséquence, il rappelle la division Blücher, du corps combiné, attire à lui l'armée secondaire et laisse en position sur ses flancs la division Rüchel, vers Hersfeld, et la division Tauenzien, à Hof (27 septembre).

Par suite de ces dispositions, Hohenlohe se porte, avec ce qui lui reste de troupes prussiennes, de Zwickau (sur la route de Dresde à Hof) dans la direction d'Iéna par Géra.

Les divisions saxonnes, non encore prêtes, le rejoindront plus tard par Zwickau, Gera à Iéna.

Les ordres du duc de Brunswick sont exécutés à la date du 4 octobre, sauf en ce qui concerne les troupes saxonnes qui ne quitteront Gera que dans la nuit du 10 au 11 octobre.

Donc, le 4 octobre, l'armée principale est à Erfurth et environs, l'armée secondaire occupe Iéna et Roda, la division Rüchel est à Eisenach et la division Tauenzien tient Hof et Schleiz. Enfin, ce jour-là, le prince de Wurtemberg, avec la réserve stratégique, se trouve à Magdebourg.

Mais Hohenlohe ne peut se décider à rejoindre l'armée principale et reste à Iéna.

Le duc de Brunswick ne voyant pas venir l'armée secondaire, et, livré d'ailleurs à toutes les irrésolutions de la faiblesse, réunit encore conseils de guerre sur conseils de guerre.

 

§ 9. — Troisième plan d'opérations.

 

Le 7 octobre, le capitaine de Müffling alla seul à Kœnigshoffen et constata que les Français avaient évacué la région avoisinante pour se porter sur Cobourg.

A son retour, il exposa que l'armée française venant de découvrir ses communications, il convenait de s'en saisir.

Le duc de Brunswick adopte aussitôt cette manière de voir et ordonne que des reconnaissances de cavalerie seront immédiatement dirigées sur Hildburghausen et Neustadt, mais, comme il faut les soutenir, la division du duc de Weimar ira prendre position à Meiningen.

En même temps, Brunswick fait ses dispositions pour porter l'armée principale sur Weimar ; la division Rüchel est rappelée.

Cette nouvelle orientation des opérations comble de joie le prince de Hohenlohe ; on entre donc enfin dans ses vues. En conséquence, il envoie l'ordre aux divisions saxonnes de s'arrêter à Pöllnitz (près d'Auma) et il dirige la division du prince Louis de Prusse, en avant-garde, d'Iéna sur Saalfeld.

 

§ 10. — Premiers échecs et concentration sur Iéna.

 

Mais la division Tauenzien se fait battre, le 9 octobre, à Schleiz, par l'avant-garde du 1er corps français ; le 10, c'est le tour de la division du prince Louis mise en déroute par le 5e corps, à Saalfeld.

Alors les Saxons, rappelés à la hâte de Pöllnitz, se portent en désordre sur Iéna, où se reforment les débris des divisions Tauenzien et prince Louis.

Le 11 au soir, à Iéna, les troupes du prince de Hohenlohe sont prises de panique sans cause connue.

Le lendemain, l'armée saxo-prussienne est concentrée entre Weimar et Iéna ; la division Rüchel est en marche pour la rejoindre.

Tel est, à grands traits, le récit des premières opérations de l'armée qui allait se mesurer avec la Grande Armée conduite par Napoléon.

Tout commentaire est inutile. Les faits parlent d'eux-mêmes.

Un parallèle entre l'état d'esprit des chefs prussiens de 1806 et celui des généraux français de 1870, avec toutes les conséquences qui en découlent, ferait ressortir la similitude des situations et des erreurs commises. Cette étude existe ; elle a été faite par le regretté capitaine Gilbert dans un livre excellent, qui a pour titre Essais de critique militaire.

 

 

 



[1] Von der Goltz, De Rosbach à Iéna.

[2] Von der Goltz, De Rosbach à Iéna.

[3] Von der Goltz, De Rosbach à Iéna.

[4] Von der Goltz, De Rosbach à Iéna.

[5] D'après Höfner.