— I —Les premières et les plus profondes modifications que subit la religion romaine lui vinrent de ses rapports avec les religions étrangères. Il ne lui était pas possible de les éviter. L’esprit d’expansion et de conquête qui entraînait les Romains dans tous les pays du monde les mit nécessairement en relation avec des peuples qui pratiquaient des cultes différents. Cette rencontre ne parut d’abord leur causer aucune surprise. Toutes les religions, même les plus opposées, ont des points par lesquels elles se touchent ; ce furent ces ressemblances qui frappèrent surtout les Romains : ils crurent le plus souvent retrouver leurs dieux dans ces dieux étrangers. Parmi les mille divinités de leur Panthéon, il y en avait presque toujours quelqu’une qui se rapprochait de la divinité nouvelle ; avec un peu de bonne volonté, il était possible de les confondre. Les Gaulois, dit César, honorent par-dessus tout Mercure ; après lui, Apollon, Mars, Jupiter et Minerve. Au sujet de ces dieux, ils ont à peu près la même opinion que les autres nations[1]. Ces assimilations n’étaient pas aussi fausses qu’elles le paraissent au premier abord. En réalité, tous ces peuples dont l’origine était la même s’étaient séparés avec un fonds commun d’opinions religieuses. Leur façon de concevoir et d’honorer la divinité se ressemblait beaucoup, et l’instinct populaire devinait ce que la mythologie comparée a depuis établi. Les différences étaient pourtant quelquefois assez grandes
pour qu’on frît bien forcé de reconnaître qu’on se trouvait en présence de
dieux nouveaux. La conduite des Romains en cette occasion était toujours Il n’était donc pas dans le principe des religions antiques
de vouloir se détruire entre elles et se remplacer l’une par l’autre. Elles
ignoraient, en général, le prosélytisme et l’intolérance. C’est ce qui
explique là conduite que tinrent les Romains dans la conquête du monde. Ils
se gardèrent bien de renverser les temples, de proscrire les dieux des
nations vaincues ; et ce n’était pas seulement, comme on l’a dit, par
modération ou par politique qu’ils agissaient ainsi, leurs scrupules
religieux eux-mêmes leur on faisaient un devoir. Ces dieux, s’ils les
maltraitaient, pouvaient devenir malfaisants. Sans doute ils les regardaient
comme inférieurs à ceux de Rome, puisque leur secours n’avait pas sauvé le
peuple qui s’était mis sous leur protection ; mais ils pouvaient être
redoutables encore si on les poussait à bout, et la prudence ordonnait de les
ménager. Pendant le long siége de Véies, les Romains avaient conçu une grande
estime pour Juno regina, protectrice de la
ville assiégée, qui avait donné à ses adorateurs le courage et les moyens de
leur résister dix ans. Tite-Live rapporte qu’après que la ville eut été
prise, quelques-uns, des vainqueurs, s’approchant avec respect de la statue
de la déesse, lui demandèrent si elle voulait bien les suivre, et que, comme
elle parut faire un signe pour accepter, on s’empressa de l’emmener à Rome[7]. Lès divinités
dont les Romains Héritaient ainsi après la victoire étaient bien traitées, malgré
leur origine étrangère. On leur bâtissait des temples aux frais du trésor
public, ou bien on les confiait à quelque grande famille, qui était tenue de
les honorer dans ses sanctuaires domestiques. Ce n’était donc pas par haine
ou par mépris que les Romains transportaient quelquefois chez eux tes dieux
des nations vaincues, c’était au contraire par respect et pour se procurer
quelques protecteurs de plus. Du reste, ils n’agissaient ainsi qu’assez
rarement. D’ordinaire ils laissaient leurs dieux aux peuples qu’ils avaient
défaits, même quand ils leur prenaient tout le reste. Ces dispositions leur rendirent la conquête du monde plus
aisée[10]. Comme ils ne
voulaient ôter à aucun peuple ses dieux ni leur imposer les leurs, une fois
la guerre finie, il n’y eut pas entre les vainqueurs et les vaincus de ces
haines dont on ne peut triompher parce qu’elles s’appuient sur l’antipathie
de deux religions rivales. Avec le temps les dieux se rapprochèrent, comme
les peuples. Cette fusion ne paraît pas, en général, avoir rencontré
d’obstacles sérieux. Elle fut aidée dans les classes éclairées par la
philosophie, qui apprenait à ne considérer torrs ces cultes divers que comme
des façons différentes d’adorer le même Dieu ; ce qui amenait à les-
rapprocher et à les unir. Le peuple, au fond, était un peu dans les mêmes
sentiments : une sorte d’instinct vague le portait à respecter toutes les
religions, quelle qu’en fût — II —Il était difficile que cette bienveillance que les Romains
témoignaient pour les cultes étrangers ne les amenât pas à les introduire un
jour chez eux. Ils ne se contentaient pas de les tolérer chez les autres ; on
vient de voir que, dans leurs voyages, ils adressaient leurs prières au dieu
du pays qu’ils traversaient. S’ils avaient lieu de se louer de lui, ils ne
devaient pas l’oublier, et plus tard, dans ces moments de tristesse et de
péril où l’on ne saurait avoir trop de dieux autour de soi, l’idée leur
venait naturellement d’implorer aussi celui dont ils avaient trouvé le
secours efficace. Quelques-uns de ces cultes, auxquels ils prenaient part si
volontiers hors de chez eux, étaient de nature à produire des impressions
profondes sur leur .esprit. Dés le temps de la république ils avaient
l’habitude de se faire initier aux mystères de Ils n’avaient pas besoin, du reste, d’aller chercher ces religions hors de leur pays ; elles venaient bien les trouver chez eux. Rome a été, depuis sa fondation, une sorte de rendez-vous de tous les peuples. Se souvenant qu’elle était née du mélange de plusieurs nations, elle fut toujours hospitalière aux étrangers ; aussi s’empressaient-ils d’y venir[22]. Il n’était pas possible, du moment qu’on les accueillait, de les empêcher d’apporter avec eux leurs dieux et de les honorer à la façon de leur pays[23]. On se trouvait donc avoir sous les yeux, sans sortir de Rome, l’exemple de cultes étrangers qui n’avaient aucune raison de se cacher et ne se gênaient pas pour étaler aux yeux de toits leurs cérémonies. Nous avons vu que ces religions, en général, ne connaissaient pas l’esprit de prosélytisme ; mais ceux qui les pratiquaient pouvaient avoir un intérêt particulier à les répandre. Parmi ces gens qui affluaient à Rome, tous n’y venaient pas dans des intentions honnêtes et pour exercer des professions avouables. Il en était beaucoup qui n’avaient quitté leur pays que parce qu’ils n’y pouvaient plus rester. Ceux-là cherchaient fortune cet n’avaient pas de grands scrupules sur les moyens de s’enrichir. Il leur fallait avant tout s’insinuer dans les bonnes grâces des Romains, et ils ne pouvaient espérer faire de bons profits qu’en se rendant agréables ou nécessaires. Les Grecs étaient, dès cette époque, très habiles dans ce métier de flatteurs et de complaisants, pour lequel ils ont toujours eu beaucoup de goût. Les plus lettrés, les plus heureux, parvenaient à se glisser dans les grandes maisons ; tes autres s’adressaient plus bas. Le peuple avait aussi ses courtisans : c’étaient ces empressés, ces bavards, que Plaute dépeint enveloppés d’un petit manteau qui leur couvre la tète, et sous lequel ils portent leurs livres ; on était certain de les rencontrer au cabaret, où ils buvaient des boissons chaudes et s’enivraient en discutant[24]. Un des moyens les plus sûrs de succès pour eux était de propager des cultes nouveaux dont ils s’instituaient les prêtres. Leur fortune était faite s’ils parvenaient à inspirer à leurs dupes une confiance aveugle en quelque divinité inconnue, qu’ils faisaient parler comme ils voulaient. Aussi les voyons-nous agir toujours de la même façon. Toutes les fois qu’un culte nouveau essaye de pénétrer à Rome, il est introduit par tin personnage qui réunit les deux qualités de sacrificateur et de prophète — sacrificulus et votes —, c’est-à-dire qui, comme prophète, impose au nom du ciel à ceux qui le consultent des offrandes expiatoires qu’il s’attribue ensuite comme prêtre. La dévotion étant de tous les sentiments de l’âme celui qui calcule le moins, le désir de plaire à un dieu puissant qui peut assurer le succès d’une entreprise hasardée, ou qui promet la guérison d’un malade chéri, inspirait des libéralités insensées, et naturellement ces libéralités profitaient encore plus au prêtre qu’au dieu. Aussi Tite-Live affirme-t-il sans hésiter que tous ceux qui se font les introducteurs de religions nouvelles n’obéissent qu’à des motifs intéressés ; ce ne sont pas des fanatiques convaincus et qui veulent convaincre les autres, ce sont d’habiles gens qui n’excitent les âmes que parce qu’ils y trouvent leur avantage[25]. Pour entraîner ceux qui les écoutaient, ils n’avaient pas
ordinairement un grand effort à faire. C’est un penchant et comme un besoin
dans toutes les religions polythéistes d’augmenter sans cesse le nombre des
dieux. II semble qu’un dieu unique puisse seul épuiser l’idée que nous nous
faisons de la divinité ; quand on en admet plusieurs, quelque nombreux qu’ils
soient, ils ne forment qu’un ensemble incomplet, et l’on est toujours tenté
d’en ajouter quelque autre. Ce n’est pas, comme on pourrait le croire, parmi
les peuples légers et sceptiques que ce penchant se manifeste avec le plus de
force ; c’est au contraire parmi les plus croyants. Ceux-là, lorsqu’un fléau
les attaque ou qu’un malheur les menace, commencent par ne pas douter que la
protection de leur divinité nationale les sauvera du danger. Ils attendent
tout d’elle, et si leur attente est trompée, si le fléau persiste, si le
malheur les atteint, leur désenchantement est d’autant plus vif que leur confiance
avait été plus aveugle. Ils ne s’en prennent pas à S’il était dans la nature du peuple d’y céder aisément, l’autorité au contraire devait regarder comme un devoir de les réprimer. La même raison qui rendait les Romains très tolérants hors de leur pays les empochait de l’être tout à fait chez eux. Comme ils pensaient qu’un culte est fait spécialement pour un peuple, ils en concluaient que chaque dieu doit rester maître chez lui. Ils n’imposaient pas les leurs aux étrangers, mais ils n’étaient pas non plus disposés à laisser ceux des étrangers’ établir à. Rome. En sa qualité d’institution nationale, la religion se trouvait placée sous la protection des pouvoirs civils. Ce n’est pas comme souverains pontifes que les empereurs ont persécuté les Chrétiens, mais comme empereurs. Pour proscrire un culte étranger, on n’allègue le plus souvent que des motifs politiques ; c’est la sûreté de l’État, et non l’intérêt des dieux, que le sénat invoquait dans la répression sanglante des Bacchanales. En expliquant au peuple les raisons qu’on avait d’être si sévère, le consul lui rappelait qu’il n’était permis aux citoyens de se rassembler que sur l’ordre des magistrats, quand le drapeau flottait sur les hauteurs du Janicule, et que toute autre réunion était défendue par la loi[26]. Ce fut jusqu’à la fin le grand argument dont on se servit contre les adeptes des religions nouvelles, et les Chrétiens ont été surtout poursuivis pour avoir formé des sociétés secrètes et des assemblées illégales. Aussi, dans les délits de ce genre, les coupables ne sont-ils pas déférés devant des tribunaux religieux ; ce sont les magistrats ordinaires, ceux qui veillent à la sûreté publique, les édiles, les triumviri capitales, sortes d’officiers de police, qu’on charge de les poursuivre, et s’ils ne parviennent pas à réprimer le mal, c’est au préteur que le sénat confie la défense des lois[27]. Quoique l’autorité semblât appliquer de préférence aux cultes étrangers les règlements qui concernaient la paix publique et la sûreté de l’État, elle était pourtant armée contre eux de lois spéciales. Tertullien rapporte qu’il y avait un ancien édit qui défendait de consacrer aucun dieu qui n’eût été approuvé par le sénat[28]. Mais ces dieux qui n’étaient pas consacrés, c’est-à-dire que l’État n’avait pas officiellement reconnus, laissait-on les particuliers libres de les adorer chez eux ? Un passage de Cicéron semble établir qu’il n’était pas plus permis de leur élever un autel dans sa maison que de leur blair un temple dans une rue et sur une place[29]. Tite-Live, au contraire, borne la défense aux terrains sacrés ou publics (XXV, 1) ; c’est là seulement, d’après lui, qu’il est défendu de sacrifier selon les rites étrangers. On ne peut expliquer cette opposition entre deux écrivains bien informés d’ordinaire qu’en supposant que la loi n’a pas souvent été exécutée dans sa rigueur. Cicéron nous dit ce qu’on avait légalement le droit de faire ; Tite-Live rapporte ce qui se faisait ordinairement. Les Romains étaient si religieux, si timorés, qu’ils hésitaient à proscrire le culte d’un dieu, quel qu’il fût. Toutes les fois, dit Tite-Live (XXXIX, 16), que la religion sert de prétexte à quelque crime, nous redoutons, en punissant le coupable, de commettre une impiété. Et l’autorité, malgré sa sévérité ordinaire, était bien forcée d’avoir quelque égard pour ces scrupules. En frappant la société secrète des Bacchanales, le sénat n’osa pas défendre entièrement le culte de Bacchus, il se contenta de le régler. Ceux pour qui c’était une affaire de conscience durent demander au préteur la permission de célébrer ces fêtes, et elle leur était accordée à condition que cinq personnes seulement assisteraient à la cérémonie[30]. Ces dispositions des Romains nous font comprendre pourquoi les lois contre les cultes étrangers ont été si peu efficaces chez eux. On ne se décidait jamais à les appliquer qu’avec toute sorte de ménagements et de répugnances. Sans doute on avait le droit de poursuivre ces cultes jusque dans l’intérieur des maisons particulières : la surveillance des pontifes s’étendait sur les sacra privata comme sur les autres[31]. Il n’est pourtant pas probable que s’ils s’y étaient tenus enfermés, on fût allé les y chercher ; mais ils n’y restaient guère. L’ombre du sanctuaire domestique ne leur suffisait pas longtemps ; ils se répandaient vite sur la voie publique, ils encombraient les rues et les places, ils s’établissaient sans façon dans les chapelles des plus anciennes divinités[32]. Ceux de l’Égypte osèrent même, à la fin de la république, se glisser jusque dans la demeure du maître des dieux, dans le temple qui était le centre de la religion romaine, au Capitole[33], tant ils se croyaient stars de l’impunité ! Malgré ces provocations impudentes, on hésitait encore à les frapper. Les partisans des anciens usages se contentaient d’abord de gémir silencieusement[34]. Il fallait que le scandale flet au comble pour que le sénat parfit enfin s’apercevoir de ces désordres et qu’il forçât les magistrats à les réprimer. Une seule fois, à propos des Bacchanales, la répression fut terrible[35] ; mais il s’agissait de crimes épouvantables, de faux, d’assassinats et d’incestes, beaucoup plus que de sacrifices et de rites nouveaux. Dans toutes les autres circonstances la loi fut appliquée si mollement, que les coupables ne craignaient rien et que c’était toujours à recommencer. C’est ainsi que les cultes étrangers se sont si facilement
établis à Rome. Quelques-uns y arrivèrent avec la permission du sénat, le
plus grand nombre s’en est passé ; mais tous, quelle que fût leur origine,
ont de bonne heure joui auprès du peuple d’une grande autorité. Dès le temps
d’Ennius le grand cirque ressemblait déjà à ce qu’il fut sous Auguste, quand
Horace s’y promenait après son dîner pour écouter les diseurs de bonne
aventure. C’était le rendez-vous des astrologues et des augures de tous les
pays. Les dévots venaient y consulter les devins Marses qui jouaient avec des
serpents, et demander l’explication de leurs songes à des prêtres d’Isis[36]. A mesure que
s’affaiblissaient l’autorité des lois et le respect des traditions antiques,
il était naturel que le crédit des religions nouvelles augmentât. Cette
anarchie de près d’un demi-siècle qui précéda l’empire dut leur ‘être surtout
très utile ; elles en profitèrent pour achever de s’étendre et de s’établir.
Les triumvirs semblèrent même leur donner une sorte de consécration légale en
élevant un temple, après la mort de César, à Isis et à Sérapis[37]. Cependant
Auguste, quand il fut le maître, revint, sur ce point comme sur les autres,
aux traditions de Pendant la période qui fait le sujet de notre étude, Rome
connaît déjà et pratique à peu près toutes les religions qu’elle accueillera
chez elle jusqu’au triomphe du Christianisme. Les unes lui sont arrivées sous
la république, lés autres dans le premier siècle de l’empire. Nous venons de
voir qu’elle a reçu de bonne heure les dieux égyptiens dont le culte était
répandu dans tous les ports de — III —Ils paraissent d’abord s’accorder dans l’importance qu’ils
attribuent au prêtre. Elle était beaucoup moins grande dans la religion
romaine que chez eux. Les Romains, on l’a déjà vu, n’admettaient pas que
l’homme eût besoin d’un intermédiaire pour s’adresser à Dieu. Caton n’a recours
à personne quand il offre à Mars un sacrifice pour ses boeufs ou qu’il immole
une truie à Cérès, et il déclare formellement que le père de famille doit
sacrifier pour toute Il n’en était pas de même dans les cultes qui vinrent à
Rome de l’Orient. Nous ne les connaissons malheureusement que d’une manière très
imparfaite, mais une des choses qui ressort avec le plus d’évidence des
monuments qui nous restent d’eux, c’est le rôle considérable qu’ils assignent
tous à leurs prêtres. Lorsqu’un des fidèles de ces religions élève un autel
ou un temple à son dieu ; il a soin, en général, d’y indiquer le nom du
prêtre qui le consacre. On ne manque presque jamais de le mentionner dans les
inscriptions tauroboliques ; dans celles qui concernent le culte de Mithra,
il est dit expressément qu’il préside la cérémonie[49]. Quand on
voulait être initié aux mystères d’Isis, on se faisait assister par un prêtre
auquel on consacrait, toute sa vie, la plus vive reconnaissance et qu’on
appelait son père[50]. Tout semble
donc nous indiquer que dans ces diverses religions les fonctions sacerdotales
sont devenues plus importantes. Les prêtres ne se contentent plus de diriger
les pratiques du culte extérieur, ils veulent aussi gagner les Aines ; en
certaines occasions, ils se servent d’un moyen qui n’a jamais été employé
dans les temples de Rome : ils prêchent. Celui qu’Apulée nous montre à la fin
des Métamorphoses profite d’un
miracle qui a vivement ému les assistants pour glorifier la déesse qui vient
de manifester ainsi sa puissance : C’est un sermon véritable qu’il prononce ;
il n’y manque pas même les emportements et les cris de triomphe à l’adresse
des incrédules : Qu’ils approchent, qu’ils
regardent et confessent hautement leur erreur ! (XI, 15) Il termine
en conjurant celui qui vient d’être l’objet de la protection divine de se
consacrer désormais au service d’Isis ; on croirait vraiment entendre un
prédicateur chrétien dans une prise d’habit : Si
tu veux être en sûreté, inaccessible aux coups du sort, enrôle-toi dans la
sainte milice. Viens volontairement placer ta tète sous le joug du ministère
sacré. C’est seulement quand tu te seras fait l’esclave de la déesse que tu
commenceras à sentir-le prix de la liberté[51]. Ces derniers
mots nous font connaître une des différences les plus remarquables qui
existent entre les prêtres de Rome et ceux de ces cultes étrangers. A Rome et
dans les villes romaines, ils ne sont que des magistrats comme les autres,
qui ne songent pas à s’isoler et à se distinguer de leurs concitoyens, qui
vivent dans l’agitation des affaires et joignent ordinairement d’autres
charges civiles à leurs fonctions sacrées. Au con raire, dans les cultes de
l’Orient, ils cherchent à s’éloigner du monde et à vivre à part. lis forment
une sainte milice, qui a ses habitudes
et ses règles et se fait reconnaître par un costume particulier. On dirait
qu’ils mettent leur gloire à se désintéresser de la vie et à se détacher des
affections ordinaires de l’humanité. Ils
renoncent à tout et ne veulent avoir souci que des choses divines.
Quelques-uns vont jusqu’à prendre des breuvages pour se priver eux-mêmes de
leur virilité[52]. Un ancien
auteur nous dit que ceux de l’Égypte habitent ensemble dans les temples : Rejetant toute espèce de travail terrestre, ils ont
consacré leur vie à la contemplation et à l’étude de Après l’influence du prêtre, ce qui domine dans les cultes
orientaux, c’est celle de Les femmes du grand monde, si l’on en croit les moralistes
et les satiriques, n’étaient guère moins zélées que les autres pour les
cultes de l’Orient. Juvénal les représente recevant chez elles la confrérie de Les cultes où les prêtres et les femmes prennent tant
d’importance ont d’ordinaire un caractère commun : ils recherchent volontiers
les émotions religieuses, ils se plaisent à développer chez leurs adhérents
une ardente dévotion. Cette dévotion se manifeste partout d’une manière à peu
près semblable : dans toutes les religions, le croyant qui prie avec ferveur
souhaite sortir de lui-même, échapper à sa nature mortelle pour atteindre
Dieu et se perdre en lui. Les mystiques chrétiens essayent d’y parvenir en
surexcitant chez eux l’âme et l’esprit : c’est dans le silence de la
retraite, par des efforts et des élans de méditation et de contemplation
solitaires, qu’ils tâchent de se délivrer des obstacles du corps et de se
rapprocher de Le culte égyptien était peut-être celui qui s’occupait le
plus de donner un aliment à la dévotion des fidèles. Dans aucun autre la
divinité n’était censée plus présente et plus visible à ses adorateurs. On la
consultait sans cesse, on ne faisait rien sans son aveu. A tout moment elle
révélait sa volonté par des apparitions ; ou par des songes. Pas une de mes nuits, dit un dévot d’Isis, pas un seul instant de repos n’a été privé pour moi de la
vue de la déesse et de ses saints avertissements[73]. Elle indiquait
elle-même ceux qui devaient être admis à ses mystères ; elle fixait pour
chacun d’eux le jour où elle voulait qu’on fit la cérémonie ; elle lui
indiquait le prêtre qui devait l’instruire et l’assister. Elle appelait à
elle, elle désignait directement ceux à qui elle réservait l’honneur de Quand on croit être toujours en présence d’un dieu, si
l’on se fie en sa protection, il est naturel aussi qu’on redoute beaucoup sa
colère. Plus la dévotion devient ardente, plus elle rend scrupuleux, plus
elle nous alarme sur la conséquence des fautes que nous pouvons commettre. Il
y avait même alors quelques esprits rigoureux qui prétendaient qu’une fois
commises, elles ne pouvaient plus être expiées[77] ; mais ce
n’était pas l’opinion ordinaire, et toutes les religions se flattaient
d’avoir des moyens surs d’en obtenir le pardon. Rien ne fut plus utile au
succès des cultes étrangers qui s’établirent à Rome ; ils avaient toute sorte
d’expiations et de purifications à l’usage des pécheurs effrayés. Elles
consistaient ordinairement en sacrifices répétés, en pratiques bizarres et
souvent pénibles, en libéralités faites aux temples et aux prêtres. Les
abstinences étaient aussi considérées comme un moyen de désarmer la colère
céleste. On évitait de manger de certains animaux qu’on regardait comme
impurs ; aux approches des fêtes, on s’imposait des jeunes rigoureux ; on s’y
préparait surtout par une continence sévère. Cette prescription, à laquelle
Délie et Corinne elles-mêmes ne refusaient pas de se soumettre, impatientait
beaucoup leurs amants : Ovide et Tibulle s’en plaignent avec amertume, mais
on leur répondait que les ordres des dieux étaient formels. C’était,
disait-on, pour ne pas les avoir respectés que Laocoon avait été puni de mort
avec tous les siens[78], et l’on ajoutait
qu’au contraire les gens qui s’étaient toujours conservés chastes voyaient
directement les dieux[79]. Ces religions,
dont le naturalisme était le fond, devaient, ce semble, faire une loi de se
conformer à La même croyance se retrouve dans les rites célèbres des tauroboles
: c’étaient des sacrifices solennels en l’honneur de la bière des dieux et
d’Attis, son amant. On ignore à quel moment et dans quel pays ils ont pris
naissance : la première fois qu’il en est question, c’est dans une
inscription du règne d’Hadrien (133 ans après J. C.) qui a été trouvée aux environs de Naples[81]. On y voit qu’une femme, Herennia Fortunata, avait accompli pour la
seconde fois le sacrifice du taurobole par les soins du prêtre Ti. Claudius.
L’usage était assurément plus ancien, et comme presque toutes les autres
superstitions de cette époque, il devait être originaire de l’Asie[82]. Nous savons que
le Quoique nous ne connaissions pas exactement tous les
détails de ces fêtes, nous en savons assez pour nous rendre compte du grand
effet qu’elles devaient produire. Elles étaient sans doute fort coûteuses,
car nous voyons souvent qu’une corporation ou qu’une ville tout entière
s’unit pour en payer les frais. Quand c’est un particulier qui subvient à la
dépense, il a grand soin de s’en faire honneur et de nous dire qu’il a fourni tout l’argent qu’exigeaient les préparatifs
et les victimes[83]. Une cérémonie
aussi chère, on le comprend, ne pouvait pas être renouvelée tous les jours ;
elle n’avait lieu que dans des occasions importantes. D’ordinaire, c’était la
déesse elle-même qui la réclamait par des songes ou des oracles[84]. Deux fois à
Lyon elle s’accomplit par suite des prédictions de l’archigalle Pusonius
Julianus[85].
Elle attirait, quand le jour était venu, un grand concours de monde ; les
prêtres surtout y étaient nombreux. Dans le taurobole qui fut célébré à Die
en 245, il en vint de toutes les cités voisines[86]. Naturellement,
le clergé de Indépendamment de ces grands spectacles que donnaient au
peuple les religions nouvelles, de ces expiations et de ces purifications
solennelles qui calmaient les consciences inquiètes, elles avaient d’autres
moyens de se mettre en prédit. Presque toutes s’appuyaient sur des
corporations puissantes, groupées autour des temples, et qui ajoutaient par
leur présence assidue à l’éclat des cérémonies. Les cultes égyptiens possédaient
la corporation des pastophores, qui s’était
introduite à Rome sous Sylla, celle des isiaci,
celle des anubiaci. Les isiaques répandus et
populaires dans tout l’empire, se distinguaient par un costume particulier ;
le fidèle d’Isis, nous dit-on, était fier de sa téta rasée, de sa tunique de
lin, et, quand il mourait, il voulait être enseveli avec elle[93]. Apulée nous donne, dans ses Métamorphoses, des détails très curieux sur les mystères d’Isis :
c’est le récit le plus complet que l’antiquité nous ait laissé de ces cérémonies
secrètes. Il conte que son héros Lucius, qui avait été l’objet d’une faveur
spéciale de la déesse, brûlait de se consacrer à son service ; il s’était
logé dans son temple ; il ne quittait pas les prêtres, il prenait part à tous
les exercices religieux ; il attendait avec impatience qu’une révélation
particulière vint lui apprendre qu’il pouvait se faire initier. Quand le
temps est enfin venu, le prêtre, entouré de fidèles, l’amène aux bains les
plus proches, et après avoir prié les dieux, il fait couler l’eau de toua les
côtés sur lui[96] :
c’est une cérémonie que les Pères de l’Église ont quelquefois rapprochée du
baptême. Il le ramène ensuite au temple ; il lui
donne en secret quelques préceptes que la parole ne peut pas reproduire[97], et lui commande
de garder une abstinence sévère. Pendant dix jours, il doit ne pas boire de
vin et ne manger de la chair d’aucun animal. Ce n’est qu’après s’être ainsi
préparé qu’il peut être admis aux mystères. L’initiation a lieu Ces mots énigmatiques sont peut-être encore ce qui nous a
été dit de plus clair sur les mystères. En les rapprochant des autres
indiscrétions fort obscures que les écrivains anciens ont commises, on peut
entrevoir la nature des secrets qu’on révélait aux initiés et la façon dont
on les leur faisait connaître. La science a commis à ce sujet des erreurs de
tout genre ; elle a successivement trop accordé ou trop refusé aux mystères.
Aujourd’hui elle est revenue de tous ces excès et se tient à leur égard dans
une plus juste mesure. On ne peut plus prétendre, comme faisait Lobeek, que
c’étaient des exhibitions sans portée et sans conséquence, qui
n’intéressaient le public que par le secret même qu’on imposait à ceux qui y
étaient admis, et dont on n’a tant parlé que parce qu’il n’était permis d’en
rien dire. On peut encore moins affirmer, comme on l’a fait souvent, qu’on y
trouvait un enseignement complet et qu’il en est sorti toute une philosophie morale
et toute une théologie monothéiste. Sans doute l’enseignement oral n’en était
pas tout à fait banni, puisque Platon nous dit qu’on y apprenait que la vie est un poste qui nous est assigné par les dieux
et qu’il est défendu de le quitter sans permission[98]. Il pouvait surtout
trouver place dans ces entretiens de l’initié et du prêtre dont parle Apulée
et où se tenaient des discours que la parole ne
peut pas reproduire. Mais nous savons par les Pères de l’Église ce
qui faisait la matière ordinaire de ces discours
sacrés, comme on les appelait : ils consistaient surtout dans le
récit des aventures merveilleuses arrivées aux dieux[99]. Il est probable
qu’on n’y racontait pas les légendes qui se répétaient partout : on n’aurait
pas eu besoin de s’enfermer la nuit dans des sanctuaires secrets pour redire
discrètement ce que tout le monde savait. Celles qu’on réservait pour les
mystères étaient moins connues et plus étranges[100]. Malgré leur
bizarrerie, on ne prenait pas la peine de les expliquer. Plutarque nous dit
formellement qu’on n’y ajoutait aucun
commentaire, qu’on n’en donnait aucune démonstration[101]. Les initiés ne
rapportaient donc de la cérémonie ni leçons précises, ni notions exactes.
Aristote affirme que toute l’efficacité des mystères consiste à donner
certaines impressions et é mettre dans de certaines dispositions d’âme[102] ; ces
impressions étaient surtout l’effet des grands spectacles qu’on présentait
aux initiés. Les paroles d’Apulée que je viens de citer, malgré leurs
réticences calculées, ne laissent sur ce point aimait doute. L’initiation
était vraiment un drame mystique, comme l’appelle un des Pères de l’Église[103] ; on y jouait
les légendes sacrées, plus encore qu’on ne les racontait. Les dieux y étaient
présents, figurés par leurs prêtres ; ils apparaissaient au bruit des
instruments de musique, au chant des hymnes, à la lumière de ces mille
flambeaux dont l’éclat faisait penser qu’on
voyait le soleil resplendir au milieu de Chaque initié profitait donc des mystères dans la mesure
de son imagination et de sa sensibilité religieuse ; mais il est sûr que tous
en éprouvaient une impression profonde. Après la cérémonie, on leur mettait
une couronne de rayons sur la tète et un flambeau allumé dans la main, et on
les livrait ainsi vêtus à l’admiration de la foule[105]. C’était
presque un dieu que celui qui venait de converser avec les dieux, et d’être
témoin des merveilles de l’autre vie. Il semblait échapper à sa nature
mortelle. L’initiation était pour lui comme une mort volontaire et une résurrection
; il mourait â son passé, il renaissait à une vie nouvelle[106]. Un soleil nouveau, dit un poète, semblait s’être levé pour lui[107]. Ces
impressions pouvaient être fugitives dans une âme légère, mais une âme
religieuse les gardait toujours. Apulée nous dit qu’après son initiation, il
ne pouvait regarder la statue d’Isis sans être saisi d’une inexprimable
volupté (XI, 24).
Il a résumé tous ses sentiments dans une prière pleine de ferveur, et qui
semble avoir par moments des accents chrétiens. Sainte
déesse, lui dit-il, toi qui conserves
le genre humain et combles les mortels de bienfaits, ton coeur est pour les
malheureux celui d’une tendre mère. Pas un jour, pas une heure ne se passe
sans que tu nous donnes quelque faveur, sans qu’au milieu des orages de la
vie tu nous tendes — IV —C’est précisément parce que toutes ces religions cherchaient à inspirer une dévotion passionnée que beaucoup de bons esprits ne les accueillirent qu’avec une grande répugnance. On a vu combien les hommes d’État romains redoutaient l’excès des émotions religieuses. La piété, pour leur plaire, devait être calme et grave, réglée par la loi, scrupuleuse sur l’accomplissement des pratiques, mais se gardant avec soin de toute exagération. Le jurisconsulte Paul traduit exactement leur pensée quand il dit qu’il faut éviter ces cultes qui troublent l’âme des hommes[109]. Dans son beau poème sur Attis, Catulle point le désespoir qui saisit le malheureux prêtre de Cybèle quand il n’est plus possédé par l’inspiration divine et que, rendu à lui-même, il songe à sort pays qu’il a quitté pour aller vivre sur les sommets escarpés de l’Ida, où errent la biche sauvage et le farouche sanglier. On voit bien qu’il ne cède que malgré lui à ces transports qui l’entraînent, et le poète le plaint sincèrement d’être forcé de les subir. Ils l’effrayent beaucoup plus qu’ils ne l’attirent, et c’est du fond du coeur qu’il prie Cybèle de les lui épargner : Déesse, puissante déesse, reine de Dindyme, ah ! préserve mon toit des fureurs que tu inspires ! Que tes emportements, que tes vertiges retombent sur d’autres victimes ![110] Les sentiments exprimés par Catulle étaient ceux de tous
les Romains sensés sous la république ; ils éprouvaient une sorte de
répulsion pour ces solennités bruyantes et désordonnées qu’aimaient les cultes
de l’Orient, et ils en comprenaient les dangers. Aussi, tout en accueillant
la déesse phrygienne, avaient-ils pris soin de retenir et d’enfermer son
culte dans de certaines limites : les étrangers seuls pouvaient être ses
prêtres[111],
et il était défendu aux citoyens romains de se mêler au cortége de ses
serviteurs, qui parcouraient la ville les jours de fête en chantant des
hymnes grecs et en demandant l’aumône. Ces précautions qu’on avait prises
pour contenir l’essor de la dévotion publique, dont on prévoyait tous les
excès, étaient encore respectées du temps d’Auguste : elles font l’admiration
de Denys d’Halicarnasse (II,
10) ; mais elles n’ont guère dû survivre à ce prince. L’empire,
obéissant à son principe et à sa loi, laissa peu à peu tous ces cultes
étrangers, qui répondaient à des nécessités nouvelles, se développer
librement. Longtemps contenus ou prohibés, ils obtinrent alors toute
permission pour célébrer comme ils le voulaient leurs cérémonies. lia ne se
firent plus aucun scrupule d’étaler au milieu de Rome eus cérémonies où le
sentiment religieux était excité parfois jusqu’au délire. Tantôt c’étaient
les isiaques qui parcouraient les rues, la tète rasée, couverts d’une tunique
de lin et portant leurs dieux sur leurs épaules ; tantôt les prêtres de
Bellone, avec leurs grandes robes noires, leurs bonnets de peau aux longs
poils, s’enfonçaient de petits couteaux à deux tranchants dans les bras, et,
tout sanglants, les cheveux épars, rendaient des oracles en agitant la tête,
ou se livraient à des danses furieuses, comme les derviches turcs ou persans
d’aujourd’hui. Auprès d’eux, les prêtres de Parmi les raisons qui aidèrent les cultes étrangers à
s’établir si aisément à Rome sous l’empire, Il faut placer en premier lieu la
facilité qu’ils montrèrent pour s’accorder d’abord entre eux et pour
s’accommoder ensuite avec la religion romaine. Ils avaient quelque mérite à
le faire, et l’on pouvait supposer, d’après leur nature même et leurs
prétentions, qu’ils se conduiraient autrement. L’effort que chacun d’eux
faisait pour enflammer en sa faveur la dévotion publique pouvait les amener
aisément à l’intolérance. La piété, en s’exaltant, devient d’ordinaire
exclusive, et quand on croit avec passion à la puissance d’une divinité, on
est bien près de mépriser les autres. Nous remarquons en effet que chacune de
ces religions a pour tendance de grandir ses dieux particuliers ; naturellement,
elle ne pouvait le faire qu’aux dépens de ceux viles voisins. Les fidèles de
Mithra disent qu’il est tout-puissant, lui accordant ainsi une suprématie qui
semblait réservée au roi du riel, au vieux Jupiter, jusque-là maure
incontesté de l’Olympe[112]. Ceux d’Isis ne
se contentent pas de prétendre qu’elle cet au-dessus des autres, ils
affirment dans leurs prières qu’il n’y a qu’elle et qu’elle est tout[113]. Ses mystères
sont appelés simplement sacra, ce qui laisse
entendre qu’ils sont seuls les vrais mystères[114]. En
l’invoquant, on Il ne leur importait pas seulement de s’accorder entre eux
; il leur fallait surtout essayer de s’entendre avec la religion romaine. Ils
savaient bien que leur sort était en ses mains et qu’ils ne parviendraient
pas à s’établir à Rome sans son agrément. Aussi se gardaient-ils bien
d’affecter pour elle ces airs de mépris que les religions prennent si
volontiers envers leurs rivales. Ils témoignaient au contraire un grand
respect pour les dieux romains, et ce respect en général était sincère :
c’étaient en somme des dieux très puissants, puisqu’ils avaient rendu le
peuple qui les adorait maître du monde. Il ne convenait donc pas d’en parler
légèrement ; il pouvait même être utile à l’occasion de les invoquer, et beau
coup sans doute pensaient comme ce prêtre d’Isis qui implore si dévotement
pour lui les divinités protectrices de Rome dont
le secours, dit-il a, soumis aux
Romains tous les royaumes de la terre[125]. Ces avances
furent bien accueillies. La religion romaine s’accoutuma de bonne heure au
voisinage des autres religions ; il se fit bientôt entre elles une sorte
d’échange de complaisances réciproques. Non seulement les fidèles, mais les prêtres
n’hésitèrent pas à s’adresser à des dieux qui appartenaient à d’autres cultes
que le leur[126],
et ces dieux eux-mêmes, loin de chercher à se prendre leurs adorateurs,
semblèrent vouloir se prêter un mutuel appui. Dans une ville de l’Afrique, un
dévot qui consacre un autel au vieux Mercure, a soin de nous apprendre qu’il
ne fait qu’obéir à titi ordre de Après tout, Rome n’avait guère de raison d’opposer une
résistance invincible aux religions de l’Orient. Elles semblaient sans doute,
au premier abord, fort contraires à ses traditions et à ses usages. Cependant
il y avait entre elles et la religion romaine beaucoup de points communs. Non
seulement le fond des croyances était partout le même, mais presque tout ce
qui nous a frappé dans l’étude que nous venons de faire sur ces cultes
nouveaux se retrouve à un moindre degré dans la religion de Rome. On sait par
exemple que les purifications et les expiations y étaient fort nombreuses. Le
laboureur ne commençait aucun travail important sans avoir purifié son champ,
ses boeufs et lui-même. A Rome, au mois de février, les Luperques nus purifient
le Palatin, et, avec lui, les troupeaux humains
qui se pressent au pied de la colline[128]. Il en était de
même des mystères. Les Romains ne les aimaient pas : ils redoutaient ces
réunions dont lu secret est la loi, et où l’œil des magistrats ne peut pas
pénétrer. Comme les sexes y étaient souvent mêlés, ils les trouvaient
dangereuses pour la morale ; elles leur semblaient plus dangereuses encore
pour la sécurité publique, parce que lest factions pouvaient y conspirer sans
crainte. L’essai qu’ils en avaient fait à l’époque des Bacchanales ne les
avait pas fait revenir de leurs préventions. Cependant il y avait des
mystères à Rome, mais des mystères qui ne pouvaient inspirer aucune
Inquiétude aux esprits les plus soupçonneux. Tels étaient ceux de Il y avait de plus, entre la religion ancienne et les
nouvelles religions, quelques cultes intermédiaires qui pouvaient former
entre elles une sorte de transition aisée, et finir par les relier ensemble ;
c’étaient ceux que Rome avait empruntés depuis longtemps- à l’étranger, et
que le souvenir de leur origine rendait plus accessibles aux impressions du
dehors : par exemple le culte de Cérès, qui avait conservé les rites
grecs, et dont les prêtresses, dit Cicéron, venaient de Naples et de Velia[129] ; celui de
Bacchus, repoussé d’abord avec énergie, mais qui s’était peu à peu insinué
dans Rome, et auquel César venait de donner une sorte d’autorisation
officielle[130] ;
c’était aussi le culte de Telles étaient les facilités que trouvaient ces religions
nouvelles pour pénétrer à Rome. A peine y furent-elles établies qu’elles y
devinrent très puissantes, et la religion nationale elle-même n’a pas échappé
à leur influence. Il serait très intéressant de savoir au juste la nature tt
l’étendue des changements qu’elle a subis à ce contact ; malheureusement, ils
n’ont pas toujours laissé de traces qui nous permettent de les reconnaître.
Les dieux romains ; sont restés tellement vagues, ils se prêtent à toutes les
modifications avec tant de complaisance, qu’elles peuvent quelquefois
s’accomplir sans qu’on en soit averti. En apparence rien n’est changé : le
dieu a conservé son nom et sa forme extérieure, mais l’idéo qu’on se fait de
lui n’est plus la même, et il se trouve qu’un dieu nouveau se cache sous
l’ancienne dénomination. C’est, en réalité, Sabazius qu’on prie en implorant
Liber, et quand on s’adresse à Diane ou à Vénus, on songe souvent à l’Astarté
syrienne et à En même temps que les dieux romains s’altéraient en se
mêlant aux divinités de l’Égypte ou de Mais en même tempo que la religion romaine se laissait
entamer par les cultes de l’Orient, elle réagissait aussi de quelque façon
sur eux. Nous avons vu qu’ils ne manquaient pas de souplesse et qu’ils
savaient s’accommoder d’assez bonne grâce à la société dans laquelle ils
voulaient s’implanter. Avant d’arriver en Italie, ils avaient traversé le
monde grec et en avaient pris l’empreinte. Rome n’a pas connu les dieux
égyptiens ou persans comme ils étaient quand ils quittèrent leur pays, mais
tels que Ces concessions mutuelles amenèrent facilement tous ces cultes
à s’entendre, et c’est ainsi que dans les deux premiers siècles de notre ère
s’accomplit à Rome le mélange de toutes les religions de l’ancien monde[164]. Cette fusion
des croyances répondait au rapprochement des races, et l’union qui s’établissait
entre tous les peuples de l’empire était complétée et cimentée par l’accord
qui se faisait entre leurs dieux. Il est d’usage de croire que cet accord fut
très préjudiciable ù la religion romaine, et on le regarde ordinairement
comme la cause principale de sa décadence. Sans doute on ne peut nier qu’elle
ne se soit alors fort altérée : en accueillant tant de principes étrangers,
elle perdait nécessairement son caractère primitif ; mais lui était-il
possible de le conserver ? Avec ses légendes monotones, ses rites naïfs, sa
majesté froide, la religion de Numa pouvait-elle suffire aux contemporains de
Tibère ou de Trajan ? Si elle voulait vivre, il lui fallait se renouveler.
Les religions orientales lui ont rendu le service de la rajeunir ; loin de hâter
sa mort, comme on le prétend, elles lui ont donné quelques siècles de plus
d’existence. Il semble qu’avertis par une sorte d’instinct que l’ennemi qui
devait les détruire était proche, tous ces cultes aient compris qu’ils ne
pouvaient lui résister qu’en s’unissant. Ce qui le prouve, c’est que tous
ceux qui entreprennent alors de défendre le paganisme menacé ont pour
politique de se revêtir de tous les sacerdoces et de se consacrer à tous les
dieux : en même temps que pontifes et qu’augures, ils sont prêtres d’Isis et
de Bacchus, hiérophantes d’Hécate ; ils prennent le grade de Lion, de Vautour
ou de Père dans les initiations
secrètes de Mithra ; ils ont été arrosés par le sang du taureau dans les
fêtes de Cybèle[165]. C’est ainsi
que pour se préparer au combat, ils essayaient de réunir ensemble tous les
principes de vitalité que contenaient ces divers cultes. En se pénétrant l’un
l’autre, ces dieux se complètent et se fortifient. Chaque élément nouveau qui
s’ajoute en eux leur donne, pour ainsi dire, une vertu de plus et étend leur
action sur les âmes. Quand le Jupiter du Capitole consent à prendre quelques
attributs des dieux de l’Égypte et de Deux cultes seulement furent exclus de cet accord qui
s’était fait entre tous les autres, le Judaïsme et le Christianisme[168]. Les Pères de
l’Église ont paru très surpris de cette exception et s’en sont plaints
amèrement. Elle est pourtant facile à comprendre. On vient devoir que c’était
en se faisant des concessions mutuelles que toutes ces religions étaient
parvenues à s’entendre. Seuls, les Juifs et les Chrétiens, par la nature de
leur croyance, ne pouvaient pas accepter ces compromis. Comme ils se tenaient
en dehors de l’entente commune, ils n’eurent pas de part à la tolérance
générale. On peut dire pourtant que la paix leur a été offerte aux mêmes
conditions qu’aux autres, et que les païens ont fait les premiers pas pour
s’entendre avec eux. Quand lis connurent la religion des Juifs, ils furent très
frappés de se trouver en présence d’un culte qui croyait à un Dieu unique et
l’honorait sans images ; mais, fidèles à leur habitude de retrouver toujours
leurs propres dieux dans toutes les divinités des étrangers, ils crurent reconnaître
dans Jéhovah ou Jupiter ou Bacchus. C’était une manière de rattacher ce culte
à leur religion ; dès lors ils ne se firent aucun scrupule de lui emprunter
ses usages. Il n’y a plus aucune ville,
disait Josèphe, chez les Grecs et les barbares,
il n’y a plus dans le monde aucune nation où ne soit respecté la repos du
septième jour, où l’on n’allume des lampes en l’honneur de Dieu, et qui
n’observe les jeûnes et les abstinences qui sont commandés chez nous[169]. Le culte des
Juifs pouvait donc, s’ils l’avaient voulu, être accueilli dans la religion
romaine au même titre que ceux de l’Égypte ou de Les Chrétiens furent traités comme les Juifs et pour les mêmes raisons. On ne peut pas dire que Rome les ait d’abord mal accueillis. Le premier magistrat romain devant lequel le Christianisme fut déféré ne se montra pas disposé à le poursuivre ; on déclarant qu’il ne voulait pas être juge des contestations de doctrines, il fit voir qu’il entendait ne pas l’excepter de cette large tolérance que ses compatriotes accordaient à tous les cultes[171]. Dans la suite, des tentatives furent faites pour amener leur dieu à s’entendre avec les autres ; l’oracle même d’Apollon affecta d’on faire l’éloge, et le philosophe Porphyre, quoique païen zélé, ne fit pas difficulté de reconnaître la divinité du Christ[172]. On sait qu’Alexandre Sévère fit placer son image, à côté de celle d’Orphée et d’Apollonius de Tyane, dans la chapelle domestique où il venait tous les matins prier ses Lares[173] ; mais ce mélange faisait horreur aux vrais Chrétiens. Aux avances que leur adressaient les philosophes ou les prêtres du paganisme, ils répondaient par ces paroles impitoyables de leurs livres sacrés : Les dieux des stations sont des idoles ; celui qui leur sacrifie sera déraciné de la terre[174]. C’est ce que les païens ne pouvaient comprendre[175], ce qui leur causait tant d’impatience et de colère. On n’en voulait pas précisément aux Chrétiens d’introduire dans Rome un dieu nouveau : rien n’était plus ordinaire depuis cieux siècles ; mais on s’étonnait et l’on s’indignait que leur dieu refusât de prendre place avec les autres dans ce vaste panthéon où on les avait tous réunis. C’est cette obstination à s’isoler ainsi du reste du monde, à garder leur foi pure de tout mélange étranger, qui peut seule expliquer la violence des persécutions dont ils furent victimes pendant trois siècles de la part d’un peuple qui avait accueilli avec tant de bienveillance toutes les autres religions. |
[1] De bello gall., VI, 17. De même Pline nous dit que les habitants de Taprobano adorent Hercule (Hist. nat., VI, 22 (24)).
[2]
Cicéron emploie l’expression falsi dei (De
Nat. deor., II, 1) ; mais il veut entendre par là la manière dont les
épicuriens se représentent
[3] Cicéron, Pro Flacco, 28 : Sua cuique civitati religio est, nostra nobis.
[4] Macrobe, Saturnales, III, 9, 7.
[5] Stace, Silves, III, 2, 123.
[6] Juvénal, Satires, XV, 36.
[7] Tite-Live, V, 22.
[8] C. I. L., I, p. 159.
[9] Tite-Live, XLIII, 6.
[10] Minutius Felix, Octavius, 88.
[11] Valère Maxime, I, 3, 3.
[12] Quintilien, III, 7, 21.
[13] Dion, LXIV, 6.
[14] Orelli, 1993.
[15] Orelli, 2407.
[16] Orelli, 6908.
[17] C. I. L., II, 462.
[18] C. I. L., 143, 145.
[19] Letronne, Inscriptions de d’Égypte, I, n° 241.
[20] Dion, LIV, 9.
[21] C. I. L., I, 578-581.
[22] Tite-Live, XXXIX, 3 ; XLI, 8.
[23] Denys d’Halicarnasse, II, 19.
[24] Plaute, Curculio, II, 3, 9.
[25] Tite-Live, IV, 30.
[26] Tite-Live, XXXIX, 15.
[27] Tite-Live, XXV, 1.
[28] Tertullien, Apologétique, 5.
[29] Cicéron, De leg., II, 8.
[30] Voyez le sénatus-consulte des Bacchanales (C. I. L., I, 198).
[31] Dion Cassius (XI, 47) dit positivement que la sénat fit détruire des temples que des particuliers avaient élevés à leurs frais.
[32] Tite-Live, IV, 30.
[33] C. I. L., I, 1031.
[34] Tite-Live, XXV, 1.
[35] Encore se fit-elle beaucoup attendre. L’existence des Bacchanales était connue de tout la monde ; elle se révélait par des bruits qui troublaient le repos de la nuit (Tite-Live, XXXIX, 15) ; mais comme on pensait qu’il s’agissait de cérémonies religieuses, on laissait faire, et la police elle-même ne songeait pas à s’enquérir de ce qui se passait dans ces fêtes bruyantes.
[36] Cicéron, De div., I, 58. Il est vrai que quelques critiques, et parmi eux M. Vahlen, attribuent une partie de la citation à Cicéron lui-même.
[37] Dion, XLVII, 15.
[38] Josèphe, De bell. Jud., V, 38.
[39] Philon, Legatum ad Caium, 40.
[40] Dion, LI, 10.
[41] Dion, LIII, 2. Tibère suivit la même politique qu’Auguste au sujet des cultes étrangers (Suétone, Tibère, 37). Mais après lui il ne parait plus être question de mesures prises contre eux en général.
[42] Dion, LII, 36.
[43] Suétone, Vespasien, 7.
[44] Valère Maxime, I, 8, 2. Ovide, Ars am., I, 75.
[45] Suétone, Néron, 50.
[46] Preller, Röm. Myth., p. 743.
[47] Plutarque, Pompée, 24.
[48] Orelli, 5844, et la note d’Henzen.
[49] Orelli, 5816.
[50] Apulée, Métamorphoses, XI, 25 (édit. Hildebrand).
[51] Apulée, Métamorphoses, XI, 16. Ce sont déjà les expressions de la langue religieuse des Chrétiens.
[52] Servius, Énéide, VI, 661.
[53] Chérémon le stoïcien, cité par Porphyre. Müller, Fragm. hist. græc., édit. Didot, III, p. 497.
[54] Manéthon, cité par Brunet de Presles.
[55] Tous les détails qui précèdent sont empruntés au mémoire de M. Brunet de Presles sur le Serapeum de Memphis.
[56]
Luc,
[57] Plutarque, Marius, 17.
[58] Ovide, Fastes, IV, 809.
[59] Catulle, 10, 28.
[60] Ovide, Ars am., I, 78.
[61] Juvénal, VI, 489.
[62] Josèphe, Ant. Jud., XX, 8, 11.
[63] Tacite, Annales, XVI, 6.
[64] Juvénal, VI, 523.
[65] Mommsen, Inscr. Neap., 5354.
[66] C. I. L., II, 8386.
[67] Orelli, 6666 : là c’est un homme qui est sacerdos Isidis, ailleurs (6385) c’est une femme.
[68] Tibulle, I, 6, 45.
[69] Mommsen, Inscr. Neap., 1399. Ailleurs la prêtresse est dite consacerdos du prêtre (1398).
[70] Orelli, 1491.
[71] Nulle part cet état extatique n’a été mieux dépeint que dans les Bacchantes d’Euripide.
[72] Scholiaste de Juvénal, VIII, 28.
[73] Apulée, Métamorphoses, XI, 19.
[74] Orelli, 6029.
[75] Ovide, Pontiques, I, 1, 51.
[76] Bœttiger, Isisvesper. Cette dissertation a été reproduite par Millir dans le Magasin encyclopédique, 1810.
[77] Servius, Énéide, VII, 897.
[78] Servius, Énéide, II, 201.
[79] Servius, Énéide, II, 604.
[80] Tertullien, Apologétique, 9.
[81] Mommsen, Inscr. Neap., 2602. On ne sait si les tauroboles remontent beaucoup plus haut ; il serait pourtant fort utile de le savoir pour connaître quelle fut, sur ces sacrifices, l’influence du Christianisme. Tout ce qu’un peut affirmer, c’est que là croyance à la vertu purifiante du sang était assez ancienne dans le culte de Cybèle. Lucain dit que les galles agitent leur chevelure ensanglantée (Pharsale, I, 566) : c’était sans doute leur propre sang qu’ils répandaient sur leurs cheveux ; de là on arrive assez facilement à cette habitude de se faire arroser par le sang du taureau. On ne sait pas non plus si les rites du taurobole n’ont pas subi avec le temps quelques altérations. Il est assez naturel de le soupçonner. Les plus anciennes inscriptions portent ces mots : Taurobolium fecit, tandis qu’on lit sur les plus récentes Accepit ou percepit taurobolium. Ne peut-on pas croire que cette différence dans les termes indique quelque variété dans les cérémonies ? Toute celte question de l’origine du taurobole est fort obscure ; la découverte d’inscriptions nouvelles pourra seule l’éclairer.
[82] L’origine asiatique du taurobole est admise par tout le monde. Diodore de Sicile (III, 59, 8) dit qu’à Pessinonte les Phrygiens font en l’honneur de la bière des dieux des ‘sacrifices tout à fait grandioses. N’y a-t-il pas dans ce passage quelque allusion aux tauroboles ? Il est pourtant assez surprenant, si le taurobole vient de le Phrygie, qu’on n’ait pas encore prouvé d’inscription taurobolique en Asie, et que colles qu’on rencontre en Grèce soient assez récentes.
[83] Orelli, 2332.
[84] Inscr. Neap., 2002. Orelli, 3033.
[85] Boissieu, Inscriptions de Lyon, p. 24 et sq.
[86] Orelli, 2332.
[87] Tantôt cinq, tantôt quatre et tantôt trois (Inscr. de Lyon, p. 33 et 36).
[88] Mesonyclium (Inscr. de Lyon, p. 24). Dans une inscription d’Athènes (Philologus, 2e suppl., 1863, p. 588), le taurobole est appelé τελετή. Il possède, comme tous les autres mystères, des symboles cachés, συνθήματα κρυπτά. N’est-ce pas un de ces symboles qu’Héliogabale voulait connaître quand il célébra le taurobole, Lampride, Héliogabale, 9.
[89] Prudence, Perist., X, 1011.
[90] Orelli, 2352 : in æternum renatus. Cette formule, qui n’apparaît que dans les derniers temps, semble d’abord empruntée au Christianisme ; mais ou la trouve déjà dans Apulée, Métamorphoses, XI, 21. D’autres fois l’effet du taurobole était censé ne durer que vingt ans. Après cette période de temps, il fallait recommencer (Orelli, 2335).
[91]
Voyez les tauroboles de Lectoure, dans les Mémoires
des antiquaires de France, 1837, nouvelle série, t. III. On y voit
positivement que tous ces tauroboles furent accomplis à
[92] Pour comprendre combien cette prétention blessait les Chrétiens, il suffit de voir avec quelle énergie elle est combattue par Firmieus Maternus (De errore profanarum rei., XXXVII, 8) : Polluit sanguis iste, non redimit, et per varios casus homines premit in mortem. Miseri sunt qui profusione sacrilegi sanguinis cruentantur, etc.
[93] Plutarque, De Is. et Osir., p. 352.
[94] Le mot religiosus a ici le sens qu’il a pris dans le Christianisme : il désigne des gens qui se distinguent des autres par certaines pratiques pieuses. C’est dans le même sens que l’emploie Apulée (Métamorphoses, XI, 16).
[95] Firmieus Maternus, De errore prof. rel., XVIII, 2.
[96] Apulée, Métamorphoses, XI, 23.
[97] Apulée, Métamorphoses, XI, 23.
[98] Platon, Phédon, p. 62.
[99] Arnobe, V, 23.
[100] C’est de là que Clément d’Alexandrie a tiré les légendes qu’il raconte dans sa Cohortatio ad gentes, et Arnobe celles qu’on trouve dans son 5e livre.
[101] Plutarque, De Defect. orac., p. 422.
[102] Synesius, Orat., p. 19.
[103] Clément d’Alexandrie, Protrept., p. 12.
[104] Macrobe, Saturnales, I, 7, 18.
[105] Apulée, Métamorphoses, XI, 24.
[106] Apulée, Métamorphoses, XI, 21.
[107] Valerius Flaccus (Argonautiques, II, 411) dit en parlant des Argonautes qui viennent d’être initiés : Illi sole novo loti plenique deorum.
[108] Apulée, Métamorphoses, XI, 25.
[109] Paulus, Sent., V, 21, 2.
[110] Catulle, 63, 61.
[111] Ces prêtres étaient peu estimés ; voyez à ce sujet l’anecdote racontée par Valère Maxime, VII, 7, 6.
[112] Mommsen, Inscr. Neap., 2481.
[113] Orelli, 1871.
[114] Orelli, 6027, 6030, et Apulée, Métamorphoses, XI, 23.
[115] Orelli, 5835 et C. I. L., II, 33 et 981. Voyez aussi Apulée, Métamorphoses, XI, 21.
[116] Orelli, 2338, 2339, et surtout Mommsen, Inscr. Neap., 2550. Il importe de remarquer que le mot religio commence à prendre ici un sens un peu nouveau. M. de Rossi pense qu’un chrétien seul petit dire : Religio mea, parce qu’il a seul une religion parfaitement définie et exclusive des autres, et c’est pour ce motif qu’il n’hésite pas ils rager parmi les inscriptions chrétiennes celle où un personnage déclare qu’il ne veut recevoir dans sa tombe que ceux qui appartiennent à sa religion (Bull. d’arch. chrét., 1805, n° 12). Cependant, sous l’influence du mouvement religieux que nous étudions, les païens ont quelquefois aussi employé la même expression. On lit dans Apulée (Métamorphoses, XI, 25) : Te jam nunc obsequio religionis nostræ dedice.
[117] Orelli, 2318.
[118] Orelli, 6666 ; Mommsen, Inscr. Neap., 1090.
[119] Gruter, 27, 2.
[120] Valère Maxime, VII, 3. 8.
[121] Adulée, Métamorphoses, XI, 8.
[122] Hérodien, I, 10.
[123] Tertullien, Apologétique, 25. On ne sait en réalité lequel de ces cultes a servi de modèle aux autres, ni même s’il y a eu un modèle. Il est bien possible que leur principe étant semblable, leurs pratiques aient été de tout temps les mêmes ; l’important c’est de remarquer l’identité de ces pratiques.
[124]
Apulée, Métamorphoses, VIII, 88. Les
prêtres de
[125] Gruter, 83, 16.
[126] Orelli, 6838.
[127]
Inscriptions de l’Algérie, 3301. Au
contraire, dans une inscription de
[128] Varron, De ling. lat., II, 34.
[129] Cicéron, pro Balbo, 24.
[130] Servius, Bucoliques, V, 29.
[131] Pline, qui est fort indiscret, nous apprend que, pendant ces jours d’abstinence, les dévots se régalaient d’une certaine sauce maigre exquise qu’on appelait garum, et qui se faisait avec des poissons sans écaille (Hist. nat., XXXI, 8).
[132] Tertullien, De monog., 17.
[133] Orelli, 1523.
[134]
Orelli, 1618. Il est bon de remarquer aussi que, sur des monuments dédiés à
Cérès et à
[135] Saint Augustin, De civ. Dei, VII, 21.
[136] Macrobe, Saturnales, VII, 16, 8.
[137] Servius, Géorgiques, I, 166.
[138] Voyez, pour ces thiasi ou spiræ, Inscr. Neap., 2477, 2479 ; Orelli, 1491, 2358, 2359, etc.
[139] Orelli, 1612.
[140] Orelli, 1886.
[141] Orelli, 1901.
[142]
C’est ainsi qu’Isis reçoit le surnom de Regina, qui était celui de
[143]
Voyez Tacite, Annales, I, 28. Il y
avait pourtant des exceptions, comme la prouve une plaisante histoire racontée
par Pline, Hist. nat., XXXIII, 4
(24). Un jour qu’Auguste dînait à Bologne chez un vétéran qui avait fait la
guerre des Parthes avec Antoine, il lui demanda s’il était vrai que celui qui
avait porté la premier la main sur la statue d’or de
[144] Tacite, Histoires, III, 24.
[145] Orelli, 1894.
[146] Orelli, 1245, 1233 et surtout 1234, où le dieu du Capitole, celui de Doliche et celui d’Héliopolis en formant qu’un seul dieu.
[147] C. I. L., III, 75.
[148] Pline, Panégyrique, 5.
[149] Sénèque, Fragm., 36 (édit. Haase).
[150] Ovide, Pontiques, I, 1, 41.
[151] Servius, Énéide, VII, 85. Scholiaste Pers., Sat., II, 56.
[152] Cicéron, De leg., II, 9.
[153] On peut du moins le conjecturer d’un passage de Macrobe, Saturnales, I, 7, 18.
[154] Arnobe, Adv. gent., V, 19. Tertullien, De patt., 4.
[155] Ovide, Fastes, II, 45.
[156] Ovide, Fastes, V, 673.
[157] Sénèque, De Vita beata, 20, 8.
[158] Horace, Satires, II, 3, 288.
[159] Montfaucon, Ant., II, p. 179, 3.
[160] Sacra Romanensia, sacra ab Roma, Fabretti, p. 315. Orelli, 2314, 2315. — Il y avait un rit romain pour la célébration des mystères de Cérès. Cicéron, De leg., II, 15.
[161] On voit par exemple dans les tauroboles qu’un prêtre est chargé de dire d’abord la formule, prœire, pour qu’on n’en omette rien : c’était une coutume essentiellement romaine. Voici un détail plus curieux encore. Dans la religion romaine tout est réglé d’avance, même les lieux où les sacrifices doivent s’accomplir (Tite-Live, V, 52). La même régularité fut imposée aux cultes étrangers. Certaines fêtes de Bellone et de Cybèle avaient lieu à Rome sur le Vatican. Quand on les transporta en province, on eut soin, pour que la lettre du rituel fût observée, de construire une petite élévation factice à laquelle on donna le nom de la colline romaine. On retrouve un de ces Vaticans à Mayence (Orelli, 4983), un autre à Lyon, et il joue un rôle dans un taurobole (Boissieu, Inscriptions de Lyon, p. 24).
[162] Les exemples de ces prêtres ou prêtresses nommés par les quindecimvirs dans le culte de Cybèle sont très nombreux dans les inscriptions. On a la prouve qu’ils s’occupaient aussi d’autres cultes. Orelli, 1949.
[163] Inscr. Neap., 2558.
[164] Arnobe, Adv. gentes, VI, 7.
[165] Orelli, 2335, 2351, 2352, etc.
[166] Ovide, Fastes, IV, 270.
[167] Apulée, Métamorphoses, XI, 26.
[168] Je ne parle pas des druides. Ils furent poursuivis non pas à cause de leurs croyances, mais parce qu’ils immolaient des victimes humaines.
[169] Josèphe, Contre Apion, II, 39.
[170] Pline, Hist. nat., XIII, 4 (9).
[171] Actes des Apôtres, XVIII, 15.
[172] S. Augustin, De civ. Dei, XIX, 28.
[173] Lampride, Alexandre Sévère, 29.
[174] Exode, XXII, 20. Quelques sectes gnostiques se montrèrent plus complaisantes. Saint Augustin parle d’une carpocratienne, Marcellina, qui avait dans sa chapelle le Christ et Pythagore. Il est possible qu’il soit question d’un de ces mélanges tentés par quelques églises hérétiques sur l’invitation des païens dans la fameuse lettre d’Hadrien, où il dit, en parlant d’Alexandrie : Illie qui Serapem colunt Christiani sunt, et devoli sunt Serapi qui se Christi episcopos discunt (Vopiscus, Saturninus, 8).
[175] Tertullien, Apologétique, 17.