La religion romaine, après avoir fait presque des dieux des empereurs vivants, les divinisa tout à fait après leur mort. La consécration religieuse qu’Auguste avait voulu donner à son pouvoir fut complétée et couronnée par l’apothéose. Si l’apothéose n’était, comme on le croit d’ordinaire, qu’une puérile flatterie, il ne vaudrait guère la peine de s’en occuper, mais elle fut beaucoup plus sérieuse qu’on ne pense ; elle eut surtout des conséquences politiques très importantes et fort imprévues. Le culte des Césars servit au maintien de la vie municipale dans les cités et au réveil de l’esprit national dans les provinces ; il aida à établir sur des bases plus solides la forte unité de l’empire. Pour tous ces motifs, il convient d’en étudier avec soin les origines, le caractère et les résultats. — I —L’apothéose des souverains est peut-être ce qui nous
étonne et nous répugne le plus dans les cultes antiques. La raison en est
facile à comprendre : toutes les religions que pratique aujourd’hui le monde
professent l’unité de Dieu. Quand on ne reconnaît qu’un Dieu, il devient si
grand par sa solitude même et sa grandeur le met si loin de ficus, qu’il
n’est plus possible d’élever un homme jusqu’à lui. Riais les anciens, qui
étaient polythéistes, ne pouvaient pas avoir les mêmes scrupules. Ce n’était
pas une affaire d’adorer un dieu de plus, quand on en avait déjà plusieurs
milliers. Leur importance était d’ailleurs aussi diverse que leurs fonctions
étaient variées. Si quelques-uns d’entre eux étaient puissants et forts, il y
eu avait beaucoup d’humbles et de faibles qui se rapprochaient par degrés de
la condition humaine. Il n’existait donc pas, comme aujourd’hui, de barrière
infranchissable entre Dieu et l’homme ; au contraire, la religion semblait
ménager entre eux une série de transitions qui conduisaient de l’un à
l’autre. Ces intermédiaires familiarisaient tout le monde avec l’idée qu’il
n’est pas impossible de passer de l’humanité à Les nations de l’Orient allèrent plus loin ; il ne leur
suffit pas de réserver les honneurs divins à leurs anciens héros, elles les
accordèrent indistinctement à tous leurs rois. Le caractère religieux
qu’avait chez elles l’autorité souveraine, l’isolement dans lequel les
princes affectaient de vivre, te respect absolu qu’ils exigeaient de leurs
sujets, l’effroi qu’ils tenaient 9 leur inspirer, amenèrent le peuple à faire
de l’apothéose comme une prérogative essentielle de leur pouvoir. On
n’attendait même pas leur mort pour les adorer et leur divinité commençait de
leur vivant. En Égypte, le Pharaon s’appelle lui-même le dieu bon et le dieu grand ; l’acte religieux
de son couronnement le transforme en fils du Soleil. Dans le temple de
Medinet-Habou, Amoun, s’adressant aux dieux du nord et du Les Grecs n’échappèrent pas à la contagion de l’Orient. Dès
l’époque de la guerre du Péloponnèse, le Spartiate Lysandre, vainqueur des
Athéniens, s’était fait adorer en Asie Mineure. Quand Du reste, les Romains eux-mêmes ne répugnaient pas à croire à l’apothéose. Leurs traditions nationales, comme celles de tous les peuples, mettaient dans le ciel leurs anciens rois : sous le nom de dieux indigètes, ils adoraient Picus, Faunus, Latinus, qui avaient régné, disait-on, sur le Latium, et il n’y avait pas de divinités qu’on invoquât avec plus de ferveur dans les malheurs de la patrie[10]. On racontait que le fondateur de la ville, Romulus, avait disparu pendant un orage ; qu’un sénateur l’avait vu de ses yeux monter au ciel, où il siégeait parmi les dieux de la fécondité et de la vie[11]. Il est pourtant remarquable que cette légende, malgré la vanité nationale qui faisait un devoir de paraître y croire, ne semble inspirer même aux plus vieux historiens qu’une confiance médiocre. Ils ne la rappellent jamais sans des explications ou des excuses qui trahissent leur embarras. Même quand ils ont l’air d’être crédules, la façon dont ils se représentent ces âges reculés rend leurs lecteurs défiants. Des événements si merveilleux ne se comprennent que si on leur donne pour théâtre des époques légendaires, et la prétention de ces annalistes est au contraire de supprimer les temps fabuleux et de placer les premières années de Rome dans la pleine lumière de l’histoire. Aussi remarque-t-on que cette habitude de diviniser les héros primitifs auxquels un État devait son existence ou sa grandeur, quoiqu’elle fût répandue dans tous les pays et que Cicéron la trouve sage et utile i, n’a jamais obtenu beaucoup de succès à Rome. Ni Numa, ni Brutus, ni Camille, ne reçurent les honneurs divins, et depuis Romulus jusqu’à César on ne rencontre : dans l’histoire romaine que quelques essais mal réussis d’apothéose[12]. Il y avait pourtant chez les anciens peuples de l’Italie
une croyance qui devait les familiariser avec l’idée qu’un homme peut devenir
un dieu et qui fut un des fondements sur lesquels s’appuya plus tard
l’apothéose impériale. Ils éprouvaient une répugnance invincible à croire que
la mort anéantit tout à fait l’existence ; ils pensaient que, même quand la
vie parait éteinte, elle se prolonge obscurément dans le tombeau ou ailleurs,
et, comme une triste expérience de tous les jours leur apprenait que ce corps
se décompose et disparaît, ils admettaient qu’il doit y avoir autre chose que
le corps dans l’homme, qu’il contient nécessairement un élément qui persiste
à côté de l’élément qui s’éteint, et ils étaient amenés à conclure que cette
partie invisible et immortelle vaut mieux que l’autre, puisqu’elle lui
survit. Ces idées, qui semblent communes à toutes les nations aryennes, n’ont
peut-être pris nulle part une forme si précise et si arrêtée qu’en Italie.
Là, les morts, quand ils sont débarrassés de ce corps qui se corrompt et
réduits à une substance impérissable, sont appelés les purs et les bons, Manes, et, comme les dieux passent pour des esprits
dégagés de toute matière corruptible[13], les morts, qui
jouissent du même avantage, deviennent semblables aux dieux, ou plutôt sont
des dieux véritables, dii Manes. Cicéron fait
de cette croyance une sorte d’article de foi, Chacun,
dit-il, doit regarder comme des dieux les parents
qu’il a perdus[14]. Toutes les
cérémonies des funérailles reposent sur cette opinion, et elles en sont, pour
ainsi dire, le commentaire vidant. Le tombeau est un autel, et on lui en
donne souvent le nom[15] ; sur cet autel
on fait des sacrifices et des libations. Pendant le sacrifice, la flûte
résonne, les lampes sont allumées comme dans les temples ; le fils qui rend
les derniers devoirs à son père a la tête voilée, et il reproduit tous les
mouvements du prêtre qui prie[16]. C’est qu’en
effet son pare est un dieu qu’il lui faut implorer et dont il obtiendra
aisément la faveur. Était-il possible que le chef de famille qui avait passé
sa vie à veiller sur les siens les abandonnât après sa mort ? Ne
devait-il pas, au contraire, d’autant plus les protéger que sa protection
devenait plus efficace ? C’est ainsi qu’on fut conduit à regarder le nouveau
dieu comme le protecteur et le patron de Ces croyances étaient très populaires à Rome ; elles se
conservaient à peu près intactes au milieu de l’incrédulité générale, parce
qu’elles s’appuyaient sur les sentiments les plus profonds, sur les affections
les plus tendres. Comme toutes les superstitions anciennes, elles avaient
jeté de profondes racines dans les classes inférieures. Les inscriptions
montrent de simples affranchis qui donnent à leur femme, après sa mort, le
nom de déesse[18],
et qui appellent le tombeau qu’ils lui élèvent un temple[19]. Dans une petite
ville de l’Afrique, un fils pieux nous dit qu’il a consacré ses parents, au
lieu de nous dire qu’il les a enterrés : sub hoc
sepulcro consacroti sunt[20]. Les gens
éclairés voulaient ordinairement paraître moins crédules ; niais lorsqu’ils
avaient perdu quelqu’un qui leur était cher, le chagrin leur faisait
facilement oublier leur scepticisme, et ils se laissaient vite reprendre par
toutes ces vieilles croyances, dont ils étaient moins désabusés qu’ils ne le
pensaient. L’exemple de Cicéron le montre bien. Est-il
rien de plus absurde, disait-il à propos de l’apothéose de César, que de mettre des morts parmi les dieux et de les adorer,
quand on ne devrait leur rendre d’autre culte que quelques larmes ?[21] Il oubliait que
l’année d’avant il ne s’était pas contenté de pleurer sa fille Tullia, et qu’égaré
par sa douleur, il avait eu le désir de Ce qui l’encourageait dans son dessein, c’est qu’il voyait de grands esprits accepter et défendre cette croyance populaire. Il se servait de leur autorité pour vaincre l’opposition d’Atticus : Quelques-uns des écrivains, lui disait-il, que j’ai maintenant entre les mains m’approuvent. Il voulait parler de certains philosophes, et surtout de ceux du Portique[24]. Les stoïciens, qui témoignaient toujours tant de complaisance pour les opinions du peuple, avaient fait une doctrine raisonnée de ce qui n’était qu’une sorte d’instinct chez lui. Ils n’avouaient pas, à la vérité, que toutes les âmes, après la mort, montaient au ciel, mais ils l’accordaient à quelques-unes. L’âme du sage, disaient-ils, n’est pas seulement immortelle, elle est divine[25], et la vertu lui ouvre les demeures célestes[26]. C’est là que Lucain place Pompée, après que le crime d’un Égyptien lui eut offert ce trépas qu’il lui fallait chercher ; c’est là, selon lui, qu’habitent les mânes des demi-dieux, c’est-à-dire des sages et des grands hommes. Ils y jouissent à peu près des privilèges de la divinité : ils vivent au milieu d’un air subtil, parmi les étoiles fixes et les astres errants ; inondés d’une lumière pure, ils regardent en pitié cette nuit profonde que sur la terre nous appelons le jour[27]. Monter au ciel, devenir dieu ou presque dieu, voilà la récompense promise aux gens vertueux par le stoïcisme. Tout le monde peut y atteindre et Jupiter lui-même y convie tous les mortels. Hommes, lui fait dire Valerius Flaccus, quoique la route en soit difficile, dirigez-vous vers les astres[28]. Ces récompenses divines promises au sage par la philosophie, chacun s’empressait de les décerner aux personnes aimées qu’il avait perdues : Tu vas te rendre dans les demeures souhaitées, dit un fils dans l’épitaphe de son père ; Jupiter t’en ouvre les portes, il t’invite à y venir tout éclatant de gloire. Déjà tu en approches ; l’assemblée des dieux te tend la main, et de tous les côtés du ciel des applaudissements retentissent pour te faire honneur[29]. Dans une autre inscription non moins curieuse, une femme qui ne parait pas avoir appartenu à la société la plus relevée écrit avec assurance sur la tombe de son mari : Ici repose le corps d’un homme dont l’âme a été reçue parmi les dieux. In hoc tumulo jacet corpus exanimis (sic) cujus spiritus interdeos receptus est[30]. Ces expressions sont celles mêmes dont on se sert pour les princes divinisés : on lit sur une médaille de Faustine que cette princesse a été reçue au ciel, sideribus recepta[31]. Voilà quels furent à Rome les précédents de l’apothéose
impériale. Elle étonne surtout ceux qui la regardent comme une institution
improvisée et sans racines qui sortit un jour par hasard de la servilité publique
; la surprise diminue quand on voit au contraire que tout y acheminait les
Romains, et, qu’on rétablit les intermédiaires par lesquels ils y furent
conduits. Ils la trouvaient florissante autour d’eux chez toutes les nations
de — II —Les historiens ont raconté en détail les circonstances tragiques dans lesquelles l’apothéose impériale prit naissance à Rome : c’est à César qu’elle fut décernée pour la première fois après Romulus. Peu de princes ont été flattés autant que César, et rien ne démontre mieux combien Rome était mitre alors pour la servitude que de voir la bassesse publique arriver du premier coup d des exagérations que dans la suite il lui fut très difficile de dépasser. A chaque victoire du dictateur le sénat imaginait pour lui des distinctions nouvelles. Après avoir épuisé les dignités humaines, il fut bien forcé d’en venir aux honneurs divins On donna son nous à l’un des mois de l’année ; on décida que son imago figurerait dans ces processions solennelles et% l’on portait au cirque celles des dieux sur des chars de triomphe, qu’on fonderait un nouveau collège de prêtres qui s’appelleraient Luperci Julii, qu’on jurerait par sa fortune, qu’on célébrerait des fêtes pour lui tous les cinq ans ; enfin qu’on lui élèverait une statue avec cette inscription : C’est un demi-dieu. La dernière année de sa vie on alla plus loin encore ; il ne suffit plus d’en faire un demi-dieu, on décréta que c’était un dieu véritable et l’égal des plus grands, qu’on lui bâtirait un temple et qu’on l’adorerait sous le nom de Jupiter Julius[32]. César eut l’air d’accueillir avec joie ces honneurs[33] ; mais ce n’étaient en somme que de basses flatteries dont personne n’était dupe, ni ces patriciens sceptiques qui les accordaient avec tant de complaisance, ni ce pontife épicurien qui paraissait les accepter volontiers. Le seul effet de toutes ces adulations fut d’accoutumer l’opinion à l’idée que César devait être tut dieu. En réalité, ce n’est pas à la servilité du sénat qu’il dut son apothéose, c’est à l’enthousiasme du peuple. Le peuple l’aimait véritablement. Lorsque, le soir des ides de mars, on vit passer cette litière portée par trois esclaves qui contenait son cadavre, avec ce bras sanglant qui pendait, personne, dit un contemporain, ne resta les yeux secs[34] ; devant les portes des maisons, dans les rues, au sommet des toits, on n’entendait que des gémissements et des sanglots. La scène des funérailles porta cette douleur au comble. La foule s’était assemblée en armes au forum ; le corps, étendu sur un lit d’ivoire couvert de pourpre et d’or, avait été placé devant la tribune, dans une sorte de chapelle improvisée qui représentait le temple de Venus Genetrix. A la tête du lit s’étalait la robe ensanglantée. Dans le cortége, des musiciens chantaient des chœurs et des monologues de tragédies choisis exprès pour la circonstance ; on remarqua surtout ce vers de Pacuvius, dont l’application était facile à faire : Faut-il que j’aie conservé la vie à des gens qui devaient me l’ôter ! Antoine, pour toute oraison funèbre, se contenta de lire ces serments que le sénat avait faits de défendre César jusqu’à la mort, ces décrets par lesquels on lui accordait toutes les dignités humaines et les honneurs divins ; il les. commentait d’une voix inspirée, et, pour rappeler au peuple comment les sénateurs avaient tenu leurs promesses et de quelle façon ils avaient traité celui dont ils voulaient faire un dieu, il s’interrompait de temps en temps et montrait l’image de César percée de vingt-trois coups de poignard. Le peuple répondait par des lamentations, par des cris et frappait sur ses armes. Toute cette foule s’enivrait de colère de douleur et de bruit. Lorsqu’on vit les magistrats charger le lit funèbre sur leurs épaules pour le porter au champ de Mars, il se passa une scène d’un désordre indescriptible. Tous s’arrachaient le cadavre : les uns voulaient le brûler dans la curie de Pompée, où il avait été tué, et la baller avec lui en expiation ; les autres voulaient l’emporter au Capitole et placer le bûcher dans le temple même de Jupiter. Au milieu de la contestation, deux soldats s’approchèrent du lit et y mirent le feu. Pour l’alimenter, on brûla les branches des arbres, les siéges des tribunaux ; puis la foule se pressant de plus en plus autour de ce bûcher improvisé, les musiciens y jetèrent leurs instruments et leurs robes de pourpre, les femmes leurs bijoux et ceux de leurs enfants, tandis que les esclaves, saisis d’une rage de destruction, allaient incendier les maisons voisines. Pour ajouter à l’étrangeté du spectacle, les nations vaincues, qui avaient à se louer de l’humanité de César, tinrent à lui rendre aussi les derniers honneurs. Les représentants qu’elles avaient à Reine vinrent autour du bûcher exprimer leurs regrets à la façon de leur pays. Les Juifs y passèrent des nuits entières à se lamenter de cette manière bruyante et dramatique qui est propre à l’Orient. Il était impossible qu’au milieu d’une si violente
émotion, quand cette foule cherchait tous les moyens d’honorer César, l’idée
ne lui vint pas d’on faire un dieu. C’était, on vient de le voir, une des formes
ordinaires que prenait la reconnaissance des peuples antiques, et cette fois
il y avait des raisons particulières pour qu’elle s’exprimât de cette façon.
Les premières victoires de César remportées dans des contrées lointaines, sur
des peuples inconnus, avaient vivement frappé les Romains. Cette conquête des
Gaules si admirablement conduite, ces excursions en Bretagne et en Germanie,
dans des pays de fables et de prodiges, ce bonheur qui ne s’était jamais
démentis ce dernier coup porté à la gravide aristocratie qui gouvernait
l’univers depuis plusieurs siècles, cette suite de succès incroyables dont le
résultat devait changer le monde, tout se réunissait pour donner à cette
existence quelques teintes de merveilleux. Sa mort imprévue semblait le
grandir encore. L’imagination populaire se chargeait de compléter cette
destinée interrompue ; ses desseins paraissaient plus vastes parce qu’on lui
avait ôté le temps de les exécuter ; il avait enfin cette dernière fortune
qu’au milieu de sa gloire, avant qu’il se fût usé dans les embarras
inévitables des choses humaines, il disparaissait tout d’un coup dans un
orage, comme Romulus, et le lendemain de sa mort, sa vie, pleine d’événements
extraordinaires, pouvait passer pour une légende. Que de raisons de le
regarder comme un dieu ! Le sénat, pendant qu’il vivait, lui avait
accordé les honneurs divins, mais de bouche seulement et sans y croire. Le
peuple au contraire, dit Suétone, était entièrement convaincu de sa divinité[35]. Non seulement
ce fut tout à fait une consécration populaire, mais il importe de remarquer
que le peuple seul témoigna quelque zèle pour l’apothéose de César. Ses amis,
ses créatures, ceux qu’il avait comblés de dignités et de trésors, se
montrèrent beaucoup plus tièdes. Antoine scandalisa le peuple par son peu
d’empressement à faire exécuter les décrets du sénat en l’honneur de César.
Nommé prêtre de Jupiter Julius pendant que le
dictateur vivait encore, il n’avait jamais songé à prendre possession de ses
fonctions. Cicéron, dans ses Philippiques, lui adresse des reproches
ironiques sur sa négligence : Ô le plus ingrat
des hommes, lui dit-il, pourquoi donc
as-tu abandonné le sacerdoce de ton nouveau dieu ?[36] La conduite de
Dolabella fut plus étrange encore. Sur l’endroit même du forum où le corps de
César avait été brillé, on avait élevé un autel surmonté d’une colonne de
marbre d’Afrique de vingt pieds, avec cette inscription : Au père de Cet acte de rigueur, dont Cicéron et le sénat furent très heureux,
causa un vif mécontentement au peuple. Les ouvriers, les soldats, les
esclaves, qui avaient pris l’habitude de venir prier autour de la colonne du
forum, se montrèrent fort irrités contre ces ingrats qui punissaient des amis
plus fidèles qu’eux, et ils ne se lassaient pas de demander qu’on leur laissât
relever l’autel de César. L’habile Octave comprit ces dispositions de la
foule et il sut en profiter. Il arrivait alors d’Apollonie où son oncle
l’avait envoyé achever ses études, et il venait résolument réclamer
l’héritage du grand dictateur. Il était jeune, inconnu, il n’avait ni
partisans ni soldats, il ne semblait pas de force à lutter contre Antoine,
Dolabella ou Lepidus, qui s’étaient fait un nom et qui commandaient des
armées ; mais du premier coup il sut s’appuyer sur tous les sentiments
populaires que les autres avaient froissés : il déclara qu’il venait venger
César et lui rendre les hommages qu’on lui refusait. Il voulut d’abord,
conformément aux décrets du sénat, placer dans le théâtre un trône d’or et
une couronne en l’honneur de sou oncle. Antoine trouva encore moyen de l’empêcher,
mais Octave était tenace et il se tourna d’un autre côté. Comme il voyait
qu’on négligeait de donner au peuple les jeux que César avait promis pour la
dédicace du temple de Venus Genetrix,
protectrice de sa famille, il en fit les frais lui-même. C’est durant ces
fêtes que parut ce météore dont il sut tirer un si bon parti. Tandis que ces jeux se célébraient,
racontait-il dans ses Mémoires, une comète
se montra pendant sept jours dans la partie du ciel qui est tournée vers le
nord ; elle se levait tous les soirs vers cinq heures et elle était visible
par toute L’année d’après, en 742, le culte du nouveau dieu fut officiellement constitué[39]. On était au lendemain des proscriptions, le sénat n’avait rien à refuser aux triumvirs ; il renouvela tous ses anciens décrets ; il fit un devoir de conscience à tout le monde de célébrer la fête de César le 7 juillet, sous peine d’être voué à la colère de Jupiter et de César lui-même ; il décréta qu’on lui bâtirait un temple à l’endroit du forum où son corps avait été brillé et où s’élevait la colonne détruite par Dolabella[40]. Le culte du dieu Jules semble s’être répandu rapidement dans tout l’univers. Dès l’année suivante, nous le trouvons établi à Pérouse, où quatre cents chevaliers et sénateurs, amis d’Antoine, sont immolés par Octave, sur l’autel de son oncle[41]. Il ne tarda pas non plus à pénétrer dans l’Orient et en Égypte, et Dion nous montre Cléopâtre sacrifiant à ce dieu, qui avait été si homme avec elle[42] ; mais nulle part la divinité de César n’était plus honorée qu’à Rome. La première fois qu’on y célébra sa fête, les réjouissances publiques durent être très brillantes. Les sénateurs, qui, seuls, auraient pu témoigner quelque tristesse, avaient reçu l’ordre d’être joyeux, sous peine d’une amende d’un million de sesterces (200.000 francs). Quant au peuple, il voyait dans l’établissement du nouveau culte l’assurance de la prospérité publique, le gage du bonheur et de la gloire de Rome. Comme un besoin étrange de réforme et de rénovation travaillait alors le monde, il semblait que César, devenu dieu, allait amener des temps nouveaux, et que le règne de la justice et de la paix daterait de son apothéose. Virgile, qui puise si souvent ses inspirations dans les sentiments populaires, s’est fait l’écho de ces espérances confuses. Dans une églogue écrite au milieu de ces fêtas et qui en porte l’impression, il chante l’apothéose du berger Daphnis ; il le montre admirant les palais, nouveaux pour lui, de l’Olympe, et regardant sous ses pieds les nuages et les étoiles. La joie est générale sur la terre, et la nature elle-même y prend part ; Le loup ne tend plus d’embûches au troupeau ; le cerf n’a plus rien à craindre du filet ; les montagnes mêmes jettent des cris d’allégresse ; les rochers, les arbres disent : C’est un dieu ! oui, c’est un dieu ! Et il ajoute avec un accent profond de respect et d’amour : Sis bonus o felixque tuis ![43] On sont bien que ces vers sont nés de l’émotion publique : ils reproduisent les sentiments et les impressions de la foule, Ce ne sont donc pas les sénateurs, malgré leurs flatteries empressées, qui ont fondé le culte de César : tous ces décrets mensongers, prodigués de son vivant avec tant de complaisance, auraient disparu avec lui. C’est le peuple qui les a fait vivre ; c’est lui qui leur adonné une sanction nouvelle et définitive. Il ne faut pas l’oublier, et l’on doit rendre à chacun la responsabilité qui lui revient : la première fois que l’apothéose impériale s’est produite à Rome, elle est sortie d’une explosion d’admiration et de reconnaissance populaires. — III —L’effet produit par l’apothéose de César fut très grand :
il donna aux ambitieux -qui se disputaient son héritage la pensée de réclamer
aussi pour eux les honneurs divins. Sextus Pompée, après les victoires
maritimes qu’il avait remportées sur Octave, se déclara fils de Neptune ; il
en prit le nom sur ses monnaies, il se mit à porter des vêtements de couleur
azurée en souvenir de son origine, et, pour honorer le dieu des mers, son
père, il jeta dans le détroit de Sicile des bœufs, des chevaux, et même,
dit-on, des hommes[44]. Antoine voulut
être Bacchus ; il fit proclamer par un héraut dans toute Octave paraît de beaucoup le plus raisonnable des trois.
Certes les flatteurs ne manquaient pas autour de lui, et l’on n’avait pas
hésité à lui accorder les honneurs divins pour peu qu’il en eût témoigné la
moindre envie ; mais il ne paraissait pas y tenir : il visait au solide, et,
tandis que son rival perdait sou temps à se faire adorer des lâches
populations de l’Orient, il travaillait à pacifier l’Italie et à rassembler
une bonne armée. Il était pourtant difficile qu’il échappât tout à fait à ces
hommages dont on avait pris l’habitude et qu’il refusât toujours de les
accepter. Lorsqu’en 718, après beaucoup de péripéties, il dispersa les
flottes de Sextus Pompée, la joie fut très vive en Italie. Pompée avait
commis l’imprudence d’appeler à lui les esclaves, et devant la crainte d’une
guerre servile toutes les préférences politiques s’étaient effacées ; tous
les partis faisaient des vœux pour le succès d’Octave. Quand il fut
victorieux, les villes italiennes, pour recors naître le service qu’il venait
de leur rendre, s’empressèrent de placer sa statue à côté de leurs dieux
protecteurs[48].
L’enthousiasme fut plus grand encore, après la victoire d’Actium. Pendant qu’Antoine
allait se cacher en Égypte, Octave, avec ses légions triomphantes, traversait
ces pays de l’Orient où l’adoration du souverain était une des formes ordinaires
de l’obéissance, et qui d’ailleurs avaient à se faire pardonner leur
servilité envers Antoine. Ils réclamèrent avec insistance, comme le plus
grand des bienfaits, le droit d’adorer le vainqueur ; ce droit leur fut
accordé, mais avec des restrictions. Octave ne voulut être adoré qu’en
compagnie de Il était impossible que l’exemple des provinces ne finit pas par gagner Rome et l’Italie. Qu’allait faire Auguste, au moment où son culte, toléré dans le monde entier, tenterait de s’établir au centre même et dans la capitale de l’empire ? S’est-il obstiné à le défendre, ou a-t-il consenti à l’y laisser pénétrer ? Nous avons, à ce sujet, des renseignements qui s’accordent mal entre eux, Dion Cassius, après avoir raconté qu’il permit aux villes de l’Asie de lui rendre les honneurs divins, ajoute qu’à Rome et dans l’Italie personne n’osa le faire[54]. Cette affirmation est beaucoup trop générale ; en prétendant que les Italiens n’osèrent pas adorer Auguste de son vivant, Dion leur fait plus d’honneur qu’ils ne méritent. On ne sait s’il leur en accorda la permission ou s’il la laissa prendre, mais les inscriptions nous prouvent qu’avant sa mort il avait des prêtres, et que son culte était institut à Pise, à Pompéi, à Assise, à Préneste, à Pouzzoles et dans d’autres villes importantes[55]. Ses adorateurs s’y réunissaient dans des temples pour célébrer ensemble l’anniversaire des principaux événements de sa vie. On immolait des victimes le jour de sa naissance ; on adressait des actions de grâces aux dieux le jour oit il avait revêtu la robe virile et pris possession de son premier consulat, où il était revenu d’Asie après ses victoires, où on lui avait donné le nom d’Auguste, etc.[56] Ainsi Dion s’est trompé : Auguste a été adoré de son vivant en Italie, nous en avons la prouve ; faut-il croire qu’il l’a été aussi dans Rome ? La question est plus douteuse. Quelques écrivains le laissent entendre[57] ; mais Suétone, si bien informé d’ordinaire de tous ces détails d’étiquette, affirme catégoriquement qu’il n’y voulut avoir ni temples, ni autels tant qu’il vécut, et qu’il le défendit avec une grande obstination — in urbe quidem pertinacissime abstinuit hoc honore[58] —. L’obstination n’était pas de trop : il en fallait
beaucoup pour résister à l’opinion publique, qui mettait un empressement
singulier à faire, malgré lui, d’Auguste un dieu. Les poètes surtout ne
pouvaient pas se résigner à attendre la mort de l’empereur pour le mettre
dans le ciel. Virgile, le plus grand de tous, fui aussi le premier à chanter
cette apothéose anticipée. Il sera toujours un
Dieu pour moi, disait-il deux ans à peine après les proscriptions,
et le sang d’un agneau pris dans ma bergerie
rougira souvent son autel[59]. C’était bien
aller un peu vite ; mais on venait de lui rendre ce petit domaine qu’il
aimait tant ; et sa reconnaissance était aussi vive que sa douleur avait été
profonde. Quelques années plus tard, dans cette étrange dédicace qu’il a mise
en tête de ses Géorgiques, il disait à Auguste, presque d’un ton de
reproche : Il faut t’habituer enfin à te laisser
invoquer dans les prières[60]. Vers le même
temps, l’ancien républicain Horace se demandait quel dieu pouvait être ce
jeune homme qui venait ainsi au secours de l’empire en ruine ; il penchait à
croire que c’était Mercure, et le priait en grâce, puisqu’il était descendu
du ciel, de vouloir bien n’y pas remonter trop vite[61]. Quand Auguste
eut remporté sur les Parthes ce succès diplomatique dont il sut tirer un si
grand parti, et qu’il les eut contraints sans combat à lui rendre les
étendards de Crassus, l’admiration d’Horace ne connut plus de limites. La foudre, disait-il, nous annonce que Jupiter rogne dans le ciel ; comment
douter ici-bas de la divinité présente d’Auguste, quand nous le voyons
ajouter les Parthes à son empire ?[62] Voilà le
commencement de ces comparaisons de l’empereur avec Jupiter, qui allaient
devenir bientôt si humiliantes pour le maître de l’Olympe. Du reste, tout
n’était pas mensonge dans ces protestations des poètes et dans cet
empressement du publie dont ils se faisaient l’écho ; beaucoup étaient
sincères quand ils cherchaient quelque honneur nouveau, quelque hommage
inusité pour témoigner leur reconnaissance au prince qui avait rendu la
tranquillité au monde. Le bœuf, disait
Horace, erre en sûreté dans les champs ; Cérès et
l’Abondance fécondent les campagnes ; sur les mers paisibles volent de toute
part les nautoniers[63]. Suétone raconte
que des matelots égyptiens, rencontrant par hasard Auguste près de Pouzzoles,
se présentèrent à lui couverts de robes blanches, couronnés de fleurs, les
mains pleines d’encens, et qu’ils lui diront : C’est
par toi que nous vivons, c’est par toi que nous naviguons en paix, c’est par
toi que nous jouissons sans crainte de notre liberté et de nos biens ![64] N’était-ce pas
un vrai miracle après tant de guerres horribles, et celui qui l’avait
accompli contre toute attente ne méritait-il pas des autels ? Le bon Virgile
avait annoncé déjà que l’apothéose de César allait amener le règne de la paix
sur Auguste eut le bon sens de résister à ces excitations et de ne pas souffrir que de son vivant on lui élevât de temple à Rome. Cependant la reconnaissance et la flatterie - pouvaient prendre des détours qu’il lui était bien difficile de prévoir et de prévenir. Comment empêcher que, dans l’intérieur des maisons, on ne rendit à ses images des honneurs presque divins ? Ovide se les était fait envoyer à Tomes, et il prétendait que leur présence rendait son exil moins amer. C’est quelque chose, disait-il, de pouvoir contempler des dieux, de savoir qu’ils sont prés de nous et de nous entretenir avec eux[66]. Tous les matins, il se rendait dévotement dans le petit sanctuaire où il les avait placés, pour leur offrir de l’encens et leur adresser sa prière[67]. Auguste n’ignorait pas qu’on lui rendait ces hommages, et quoiqu’il ne fît rien pour les’ encourager, on ne voit pas non plus qu’il ait essayé de les interdire. Dans cette épître célèbre où Horace lui fait remarquer qu’il est le seul de tous les grands hommes auquel on ait rendu justice de son vivant, il lui dit : Tu vis encore, et déjà nous te prodiguons des honneurs qui ne sont pas prématurés ; nous te dressons des autels, où l’on vient attester ta divinité[68]. Ces vers, qu’il faut prendre à la lettre, car ils sont placés dans un ouvrage où rien n’est mis au hasard, nous prouvent que, dans les chapelles privées, dans les sanctuaires de famille, partout où l’autorité souveraine de l’empereur ne parvenait pas aussi directement, on lui adressait des prières, on jurait par son nom, on osait résister à ses ordres, persuadé peut-être qu’en lui désobéissant, on ne courait pas le risque de lui déplaire. Il y eut même, dès cette époque, quelques tentatives faites officiellement pour établir une sorte de culte de l’empereur dans la capitale de l’empire. Le sénat, qui n’osait pas tout à fait adorer sa personne, adressa ses hommages à ses vertus et à ses bienfaits : il éleva des autels à la justice et à la concorde augustes, il ordonna qu’à certaines époques on prierait la paix et la puissance augustes[69]. Un autre essai d’apothéose, plus curieux encore et plus important, fut l’établissement d’une dévotion, ou, comme on disait alors, d’une religion nouvelle, qui fut inaugurée vers la fin de ce règne, celle des Lares impériaux — Lares augusti —. Il convient d’étudier avec quelques détails cette institution célèbre ; elle met dans tout son jour la politique d’Auguste et montre dans quelles limites il acceptait à Rome l’apothéose qu’on voulait lui décerner de son vivant. Il n’y avait pas de calte plus populaire chez les Romains
que celui des Lares. Chacun priait avec respect ces petits dieux protecteurs
du foyer auxquels on rapportait toutes les prospérités intérieures, la santé
des enfants, l’union des proches, les chances heureuses du commerce, qu’on
saluait avec tant d’attendrissement au départ et au retour dans les longs
voyages, qu’on croyait présents à tous les repas de la famille, et qui
partageaient ses douleurs et ses joies. Ce culte, d’abord tout domestique,
avait bientôt pris une grande extension. A côté des Lares de la maison ; on
adorait ceux de l’État, ceux de la cité, et même ceux de chaque quartier de Quelques années plus tard, Auguste leur donna une
consécration nouvelle. En 746, il voulut réorganiser l’administration
municipale de Rome que la république avait laissée en fort mauvais état. Il
divisa la ville en quatorze régions et en deux cent soixante-cinq quartiers[71]. Chacun de ces
quartiers était administré par quatre fonctionnaires appelés magistri vicorum, qui étaient de petits bourgeois
ou lies affranchis du voisinage, désignés probablement par l’autorité
supérieure. Il existait au-dessous d’eux une réunion ou collège de quatre
esclaves appelés ministri, qui leur étaient
sans doute subordonnés et qu’on trouve associés avec eux dans la dédicace de
quelques monuments[72]. Cette réforme,
qui donna plus d’ordre et de sécurité dans Rome, fut accueillie avec une
grande faveur[73].
Auguste, pour en assurer le succès, fut fidèle a sa politique ordinaire ; il
semble avoir voulu, comme toujours, donner à cotte institution nouvelle
l’appui du passé : il essaya de la faire profiter de la vieille popularité
des Lares des carrefours. Les fonctions des magistri
vicorum étaient doubles. Comme administrateurs civils, ils
s’occupaient sans doute de la police de leur quartier, ils répartissaient
entre les habitants les libéralités impériales[74], ils avaient
sous leurs ordres des esclaves chargés d’éteindre les incendies, et nous les
voyons faire présent à leurs administrés de poids étalons pour les matières
d’or et d’argent[75] ; mais les
monuments nous montrent qu’ils étaient en même temps des fonctionnaires
religieux. Le centre du quartier était toujours resté à la chapelle du
carrefour : les magistri vicorum en étaient
naturellement les prêtres[76]. Indépendamment
des anciennes fêtes, qui n’avaient pas disparu, et de la purification — lustratio — de leur quartier dont ils étaient
chargés[77],
Auguste, qui venait de faire replacer dans chaque chapelle réparée les
statues des dieux Lares, ordonna que deux fois par an, au mois de mai et au
mois d’août, on leur apportât des couronnes de fleurs[78]. Ces fêtes
nouvelles lurent l’occasion d’une innovation très importante : les Lares
anciens étaient au nombre de deux ; la reconnaissance publique, et sans doute
aussi celle des magistri vicorum, qui devaient
leur existence à l’empereur, en ajouta un troisième, le génie d’Auguste[79]. Malgré la
résolution qu’il avait prise de ne pas se laisser adorer à Rome, Auguste
accepta cet hommage. Le génie d’un homme n’étant, d’après les croyances
romaines, que la partie la plus spirituelle et la plus divine de lui-même,
celle par laquelle il existe et qui lui survit, on pouvait bien, puisqu’on
l’adore après la mort sous le nom de Lare,
lui rendre sous celui de génie quelques
honneurs pendant Ce n’en était pas moins un acte de la plus adroite
politique de mettre ainsi l’apothéose impériale à sa naissance, et quand elle
pouvait Litre contestée, sous la protection de ce que les Romains
respectaient le plus, la religion du foyer. Ce qui était bien plus habile
encore, c’était d’intéresser à ce culte nouveau et au pouvoir dont il émanait
les petits bourgeois, les affranchis, les esclaves, toutes les classes
inférieures et déshéritées. La république les avait fort négligées, l’empire
leur tendait Telle fut, au sujet de l’apothéose, la politique que
suivit Auguste pendant tout son règne. Il eut soin avant tout de ne sembler
jamais souhaiter les honneurs divins, et de ne paraître occupé, quand on les
lui offrait, qu’à les fuir et à les restreindre. Si par hasard il consentait
à les accepter, ce n’était qu’avec des précautions et des ménagements
infinis. Par exemple, il se laissait plus volontiers bâtir des temples en
province qu’on Italie, et on Italie qu’à Rome. Il savait bien que
l’éloignement entretient le prestige, et qu’il est difficile de paraître un
dieu quand ou est vu de trop près. A Rome même, lorsqu’il crut devoir se relâcher
de sa sévérité, ce ne fut qu’en faveur des citoyens les plus humbles, des
affranchis, des esclaves. L’incrédulité des gens du monde l’effrayait ; il
craignait que l’apothéose ne fût de leur part qu’une flatterie sans
sincérité, dont ils se moquaient mut bas. Les petites gens lui semblaient de
meilleure foi et plus portés à croire naïvement à la divinité du maître. En
Italie, comme dans les provinces, il prit soin de rattacher toujours les
cérémonies nouvelles qu’on instituait pour lui aux usages et aux traditions
du passé. C’était sa politique ordinaire de donner à ces nouveautés un air
antique ; il n’y manqua pas en cette occasion. Partout nous voyons son culte
se substituer à des cultes plus anciens ou s’associer avec eux. S’il ne veut
être adoré qu’en compagnie de Grâce à cette préoccupation d’Auguste de chercher à l’apothéose
impériale des précédents dans le passé de Rome, il arriva qu’elle prit alors
et garda toujours un caractère romain. Dans l’Orient, l’homme auquel on
accorde les honneurs divins est en général identifié avec un dieu, ou plutôt
un dieu descend et s’incarne en lui ; il en prend les attributs, il en porte
le nom. Dans ces fêtes que Cléopâtre donnait à son amant, elle paraissait
vêtue en Isis, tandis qu’auprès d’elle son grossier soldat essayait de jouer
le rôle d’Osiris. Ce n’était pas un simple déguisement : les flatteurs
disaient et la foule était disposée à croire qu’on avait vraiment sous les
yeux les grands dieux de l’Égypte. Les Grecs, dont la servilité ne se
rebutait de rien, tentèrent souvent de diviniser les Césars à la façon
orientale ; les Césars parurent même goûter assez cette forme nouvelle de
l’adoration, quand ils étaient fatigués de l’autre, et on l’employa
quelquefois à Rome pour leur faire plaisir. Néron, à son retour de On vient de voir qu’Auguste s’était laissé adorer dans les
provinces et même en Italie, mais qu’il avait défendu qu’on lui rendit
officiellement un culte à Rome de son vivant. Lorsqu’en 767 (14 ans après J. C.)
il fut mort à Nola, aucun scrupule ne pouvait plus retenir la reconnaissance
publique ; on était libre de lui accorder les hommages qu’il avait en partie
refusés pendant sa vie. Tacite fait remarquer que ses funérailles ne
ressemblèrent pas à celles de César. Le peuple resta calme ; il n’y eut ni
violences, ni émeutes, quoiqu’on eût l’air de les redouter[89]. Tout se passa
d’une manière régulière et froide. Le sénat reconnut le nouveau dieu, comme
c’était son droit d’après la législation romaine ; tandis que César avait été
divinisé d’abord par une sorte de consécration populaire, Auguste obtint le
ciel par décret, cœlum decretum[90]. On imagina pour
la circonstance des cérémonies nouvelles et une sorte de liturgie qui servit
de précédent et fut employée dans la suite toutes les fois qu’on accorda
l’apothéose à un empereur. Son corps fut enfermé dans un cercueil couvert de
tapis de pourpre et porté sur un lit d’ivoire et d’or ; au-dessus du cercueil
on avait placé une image en cire qui le représentait vivant et revêtu des
ornements du triomphe. Au champ de Mars on dressa un immense bûcher à plusieurs
étages en forme de pyramide, orné de guirlandes, de draperies, de statues
séparées par des colonnes. Quand le corps y eut
été posé, il fut entouré par les prêtres ; puis les chevaliers, les soldats,
courant tout autour du bûcher, y jetèrent les récompenses militaires qu’ils
avaient obtenues pour leur valeur. Des centurions, s’approchant ensuite avec
des flambeaux, y mirent le feu. Pendant qu’il brûlait, un aigle s’en échappa,
comme pour emporter avec lui dans l’Olympe l’Ame du prince[91]. On trouva même
un sénateur complaisant qui affirma qu’il avait vu de ses yeux Auguste monter
au ciel ; pour le récompenser, Livie lui fit compter un million de sesterces.
L’apothéose décernée, il fallut pourvoir, selon l’usage, au culte du nouveau
dieu. On institua un collège de vingt et un prêtres — sodales Augustales —, tirés au sort parmi les plus grands
personnages de Rome, et auxquels on adjoignit les membres de la famille
impériale. On créa, pour l’honorer, un sacerdoce particulier — namen Augustalis —, qui fut occupé la première fois
par Germanicus[92].
Sans doute l’admiration qu’Auguste inspirait alors n’était plus aussi vive
que dans les premières années. Ce long règne avait fatigué beaucoup d’esprits
inconstants ; ses armées avaient été moins heureuses ; son autorité, qui se
sentait plus discutée, était quelquefois devenue plus dure. Tacite et Dion
nous disent que sa mort ne causa pas chez tout le monde des regrets bien
sincères[93].
On ne lui marchanda pas pourtant les hommages. A côté du culte public,
institué par le sénat, on vit naître une foule d’associations, de chapelles,
de dévotions de toute sorte, qui étaient J’œuvre des particuliers. Livie
naturellement en donna l’exemple : elle fit construire dans le Palatin une
sorte de sanctuaire domestique dont elle était la prêtresse et autour duquel
elle réunit les amis et les clients de — IV —Ce n’est pas à Rome que l’apothéose impériale a produit
ses effets les plus remarquables : elle n’y était le plus souvent qu’une
forme plus raffinée de L’Orient commença ; c’est lui sans doute qui fournit au
reste du monde l’exemple et le modèle de ces sortes de réunions provinciales ;
mais les peuples de l’Occident, les seuls dont j’aie à m’occuper, ne
tardèrent pas à le suivre. Dès les premiers Césars, les provinces des Gaules,
de l’Espagne, de l’Afrique, Une fois les cérémonies religieuses achevées, que se
passait-il dans ces réunions Y Rien assurément qui prit donner le moindre
ombrage à l’administration la plus soupçonneuse. Dans le principe, elles
n’avaient officiellement aucune prérogative politique : les proconsuls, les
légats impériaux ne leur auraient pas permis de contrôler leurs actes ni de
s’occuper des mesures qu’il leur plaisait de prendre ; mais il n’était guère
possible que des personnages importants, élus par leurs concitoyens, et qui
les représentaient, quand on leur donnait le droit de se réunir et de s’entendre,
ne finissent pas un jour ou l’autre par s’insinuer de quelque manière dans le
gouvernement de Le culte de Rome et d’Auguste, tel qu’il était célébré au
nom de la province et par ses députés, avait un caractère particulier dont il
importe de se rendre compte. Quoiqu’on l’eut établi en l’honneur du fondateur
de l’empire et de son vivant, ce n’était pas tout à fait un homme qu’on adorait,
et ce nom d’Auguste avait pris avec le temps une signification plus étendue
et plus complexe. Les prêtres de la province d’Espagne citérieure, quand on
leur donnait leur titre complet et officiel, s’appelaient flamines de Rome, des empereurs morts et de l’empereur
vivant, flamen Romæ, divorum et Augusti[106]. Ce titre très développé, et qu’on abrégeait dans
l’usage de diverses façons, nous fait comprendre quel sens on attachait au
culte impérial dans les provinces. Il n’avait pas un caractère uniquement
personnel ; il s’adressait moins à tel ou tel César en particulier qu’à la
dignité impériale dans son ensemble : c’était l’adoration du pouvoir
monarchique ; on lui rendait hommage dans la personne des princes à qui l’on
croyait que leurs vertus avaient mérité le ciel, mais encore plus dans celle
de l’empereur qui régnait. Tandis qu’à Rome on éprouvait d’ordinaire quelque
répugnance à diviniser l’empereur vivant, c’est au contraire à lui que
s’adressaient sans détour les prières des provinces[107]. Il
représentait plus directement Rome et sa puissance ; or rien n’avait plus
frappé le monde que la puissance romaine. Les peuples disposés à voir
toujours la main de Dieu dans le succès, et qui, à
toutes les heures et dans tous les lieux, invoquaient alors la fortune comme
par un concert unanime[108], devaient être
frappés d’une sorte de terreur superstitieuse en présence d’une si longue
suite de victoires et devant la conquête de l’univers. D’ailleurs ce pouvoir
irrésistible était en même temps un gouvernement tutélaire. Après avoir
conquis le monde, il le maintenait en paix ; il avait pris l’Occident barbare
et l’avait civilisé, il lui donnait le bien-être et l’aisance ; il arrêtait
ce flot d’ennemis que par moments on entendait gronder derrière le Rhin.
Est-il surprenant que la reconnaissance des peuples l’ait pris pour une des
formes de C’est ce qui explique qu’il ait pris si vite une si grande extension. La plupart des autres cultes n’étaient que des dévotions particulières et personnelles auxquelles on se livrait selon ses croyances ou ses besoins, et qui n’engageaient qu’autant qu’on le voulait bien ; celui-là s’imposait à tout le monde : tous les habitants étaient tenus d’y prendre part, en tant qu’ils jouissaient de la paix romaine et qu’ils vivaient sous la protection de l’empire. Aussi le temple d’Auguste appartenait-il à toute la province ; il était construit et réparé à frais communs ; on levait des contributions sur lotit le monde pour subvenir aux dépenses des fêtes. C’était le seul culte qui pût avoir un caractère aussi général. Chaque grande ville avait ses sanctuaires, objet d’une vénération plus ou moins ancienne et étendue, mais dont l’administration et les cérémonies ne concernaient pas les villes voisines. M. Waddington fait remarquer, à propos de la province d’Asie, qu’il n’y a pas d’exemple qu’elle ait élevé un temple à une divinité de l’Olympe. Ce n’était pas possible, dit-il, Éphèse aurait réclamé la préférence pour Artémis, Pergame pour Esculape, Cyzique pour Proserpine[114]. On ne pouvait se mettre d’accord que sur le culte de l’empereur, que toutes les villes reconnaissaient et respectaient également. Ce fut une raison de plus pour ce culte de prendre une grande importance. Tandis que l’autorité des autres prêtres était enfermée dans le lieu où ils exerçaient leurs fonctions, celle du flamine de Rome et d’Auguste, choisi par la province, s’étendait à la province entière. Il était donc en fait au-dessus des autres ; il le devint en droit quand la lutte avec le christianisme donna aux empereurs la pensée de créer une hiérarchie sacerdotale dans le clergé païen. Les grands prêtres des provinces reçurent alors l’autorité sur les prêtres des campagnes et des villes et le droit de juger leurs actes[115]. Ce n’est pas assez, écrivait Julien au grand prêtre de la Galatie, que tu sois seul irréprochable ; tous les prêtres de la province doivent l’être comme toi. Menace, persuade pour les rendre vertueux, ou bien destitue-les de leur ministère sacré, s’ils ne donnent pas, avec leurs femmes, leurs enfants et leurs serviteurs, l’exemple du respect envers les dieux[116]. Ils devinrent donc alors, c’est Julien qui nous l’apprend, les chefs officiels du paganisme[117], et l’on peut jusqu’à un certain point prétendre que toute la religion romaine, dans le dernier combat qu’elle livra aux chrétiens, se groupa autour du culte de Rome et d’Auguste. Au-dessous du culte impérial de la province, il y avait celui des municipes : les cérémonies qui se célébraient d’une façon si pompeuse à Tarragone, à Lyon et dans les autres capitales, se reproduisaient avec un peu moins d’éclat dans toutes les villes importantes de la contrée ; il n’y en avait pas où l’on n’eût élevé des autels, institué des prêtres, établi des jeux et des fêtes en l’honneur des Césars[118]. Le culte des municipes avait quelquefois un caractère plus personnel que celui des provinces ; il arrivait que les divers empereurs divinisés y étaient adorés à part. Quand on avait reçu de l’un d’eux quelque bienfait, quand on voulait effacer le souvenir d’une faute qu’on avait commise à son égard[119], quand on pensait faire ainsi plaisir à son successeur, on s’empressait de lui construire un temple et d’y nommer des prêtres. Mais souvent cette première ferveur ne durait pas ; ces temples qu’on m’ait entrepris de bâtir étaient négligés après que l’enthousiasme des premiers jours s’était refroidi, ou lorsque la vérité, longtemps dénaturée par les mensonges officiels, commençait à se faire sur le nouvel hôte des cieux : on ne les achevait pas, ou bien on les laissait tomber en ruine[120]. Ceux des bons princes dont la mémoire n’avait rien à craindre du temps, lorsqu’ils étaient terminés, servaient d’ornement à la ville qui les avait fait construire. Les décurions s’y rassemblaient pour délibérer sur les affaires municipales, les corporations venaient y signer leurs décrets, et c’était souvent la beauté du temple qui conservait le souvenir du dieu[121]. Dans les villes riches, comme Ostie, et qui tenaient à montrer leur dévouement pour leurs maîtres, presque tous les empereurs divinisés avaient des temples distincts. Celles dont les ressources étaient moins abondantes, et peut-être aussi le zèle un peu moins vif, se trouvèrent bientôt embarrassées par le grand nombre des princes que la reconnaissance ou la servilité publique plaça dans le ciel. Il fut difficile, même aux mieux disposées, de bâtir un temple et de créer un service religieux pour chacun d’eux. On se contenta souvent de charger le même prêtre de les honorer tous ensemble : le titre qu’il portait s’allongeait à chaque apothéose nouvelle[122]. Quelquefois on construisait pour tous ces princes un temple commun dans lequel chacun avait sa chapelle particulière[123]. Mais, en somme, ces cultes d’empereurs isolés ne furent pas les plus nombreux. Ils n’ont jamais été très répandus que dans l’Italie et les provinces de l’Orient. On n’en trouve presque pas de trace en Espagne et en Afrique. Cette façon de trop personnifier l’apothéose, de rendre des honneurs divins à des gens dont la vie avait été si mêlée, répugnait peut-être au bon sens des peuples occidentaux. Ils aimaient mieux imiter dans les divers municipes ce qui se faisait au chef-lieu de la province : tous les hommages qu’ils voulaient rendre aux princes morts et à l’empereur vivant étaient souvent résumés par le culte de Rome et d’Auguste[124]. Les caractères que ce culte avait pris dans les assemblées provinciales, il lis garda dans chaque ville particulière ; là aussi il représentait les sentiments de reconnaissance et de soumission dont on était pénétré envers le pouvoir impérial ; il devint partout le culte officiel et général de la cité, et les prêtres en furent quelquefois désignés par le titre de flamines du municipe[125]. C’étaient toujours des personnages importants, qui avaient rempli toutes les charges municipales, ou qui s’étaient distingués parmi les fonctionnaires civils ou militaires de l’empire. Il n’est pas rare de voir un centurion ou un préfet de cohorte, revenu chez lui avec un congé honorable, devenir le prêtre des princes sous lesquels il avait combattu. Comme tous les autres magistrats municipaux, ceux-là ne recevaient pas de salaire ; au contraire, ils devaient payer une certaine somme en entrant en charge. La somme honoraire — honoraria somma —, comme on l’appelait, était sans doute réglée sur l’importance du municipe. En Afrique, elle variait de deux mille à dix mille sesterces (de 400 francs à 2000 francs). Mais un prêtre de Rome et d’Auguste ne pouvait guère se contenter de payer ce que la loi demandait ; qu’auraient pensé de lui ses compatriotes, s’il n’avait pas été plus généreux ? Aussi le plus souvent y joignait-il des munificences supplémentaires, des repas publics, des distributions d’argent, des jeux et des fêtes, s’il cherchait la popularité, des monuments qu’il faisait construire ou réparer, s’il préférait les travaux utiles. Un décurion d’une ville obscure de la Pannonie, pour reconnaître l’honneur qu’on lui avait fait en l’élevant au sacerdoce — ob honorem flaminatus —, bâtit tout un marché à ses frais, avec cinquante boutiques et des portiques à double étage[126]. Ce n’est pas Lotit, et le culte impérial descendait plus bas encore. Au-dessous des flamines de la province, nous venons de voir qu’il y avait ceux des municipes ; dans les municipes on avait organisé un culte spécial pour une classe particulière de citoyens auxquels leur naissance ou leur situation ne permettait guère de devenir prêtres de leur province ou de leur ville. C’est ce qui, d’après l’opinion générale, fut l’origine de la corporation des Augustales, qui était alors si importante et qui est si mal connue aujourd’hui[127]. On ne sait ni à quelle époque ni par qui furent institués
les Augustales ; on ne devine qu’à moitié
quelles étaient leurs véritables fonctions. Les historiens n’ont jamais
daigné nous parler d’eux ; les inscriptions nous les font seules un peu
connaître. Il est naturel de soupçonner qu’un lien quelconque les unissait à
ces magistri Augustales ou magistri Larum augustorum, dont il a été question
plus haut, et qui étaient chargés de rendre un culte aux Lares de l’État et
au génie de l’empereur. On a la preuve qu’ils existaient obscurément du
vivant d’Auguste[128] ; mais ils ne
se sont développés qu’après lui. Tacite raconte qu’au moment de sa mort, et
pendant que le sénat organisait le culte officiel du nouveau dieu, il se
formait ; par un élan spontané, dans toutes les maisons de Rome, des
associations religieuses pour honorer sa mémoire[129]. Ce mouvement
se propagea partout, et l’on rencontre dans l’Italie et les provinces un
grand nombre de ces adorateurs d’Auguste, occupés à rendre un culte à ses
Lares, à ses images ou à ses vertus[130]. Il est assez
naturel de rattacher à tons ces hommages publics et privés, sinon la
création, au moins le développement des Augustales. Ce qui est sûr, c’est que
dès les premières années du règne de Tibère, en 23, en 26, en 30, on les
trouve déjà à Véies, à Pouzzoles, avec leur hiérarchie et leurs privilèges,
avec l’organisation qu’ils ont fidèlement gardée jusqu’à la fin[131]. Quelques années
plus lard, ils remplissaient l’empire. Une diffusion si rapide, un succès si
général semble prouver que l’institution nouvelle devait répondre à quelque
besoin du moment et Ces honneurs n’étaient pas les mêmes partout. Les dignitaires
des Augustales portaient quelquefois le nom de questeurs et d’administrateurs
— quæstores, curatores
— ; mais le plus souvent ils étaient ait nombre de six et s’appelaient seviri. Ce qu’il importe de constater, c’est que
leurs fonctions étaient doubles et que la corporation avait à la a fois un
caractère religieux et civil. On trouve gravés sur la tombe de quelques-uns
de ses membres le vase et la coupe qui sont les insignes du sacerdoce[136] ; on nous dit
de l’un d’entre eux qu’il a vécu quatre-vingt-quatre
ans et qu’il a exercé ses fonctions sacerdotales pendant quarante-cinq ans[137]. Ainsi
l’Augustale était une sorte de prêtre, et, comme son nota semble l’indiquer,
un prêtre des Césars. L’adoration des empereurs divinisés a dû toujours être
une des occupations de la compagnie[138] ; elle formait,
pour ainsi dire, le dernier échelon du culte impérial dans les provinces.
Cependant l’importance civile des Augustales a semblé de bonne heure effacer
un peu leur caractère religieux. Les Augustales faisaient partie de
l’administration de la cité, ils étaient placés sous la dépendance directe
des décurions, qui formaient le conseil du municipe. Ce n’est pas tout à fait
un collège ordinaire, une de ces associations comme les villes alors en
contiennent tant, c’est un ordre à part — ordo
Augustalium —, qui se place entre les décurions et le peuple ; et comme
cet ordre représente l’industrie et la fortune, on voit bien qu’il est l’objet
de tous les égards. Ces affranchis, qui, individuellement, ne peuvent arriver
à aucun honneur municipal, réunis en corporation, prennent le pas sur les
hommes libres de la plèbe[139]. Dans ces repas
publics que tous les habitants d’une ville faisaient ensemble aux frais de
quelque citoyen généreux, les Augustales sont placés immédiatement après les
décurions. Ils reçoivent quelquefois autant qu’eux dans les libéralités qui
suivent ordinairement le festin ; dans tous les cas, ils sont toujours mieux
traités que les autres associations et que le peuple. L’Augustale, quand il
était nommé, devait, comme les famines et les autres magistrats municipaux,
payer une somme honoraire qui était fixée d’avance. Il payait, et bien
davantage, s’il obtenait la dignité de sévir, et il était tenu d’ajouter
encore à la somme exigée, quand sa fortune lui permettait d’être libéral[140]. Ses générosités
n’étaient pas bornées à ses confrères : comme la corporation avait pris une
place importante dans la cité, elles devaient s’étendre à tous ses
concitoyens. Le peuple le savait bien ; il lui arrivait de provoquer la
munificence du nouvel élu et de lai indiquer ce qu’il attendait de lui[141]. C’étaient quelquefois
des établissements d’utilité publique, un marché avec des colonnes[142], des chemins
construits eu réparés ; c’étaient des distributions de vin et de gâteaux[143], des combats de
gladiateurs, des courses de chevaux, des jeux scéniques. Ces libéralités
finissaient par être ruineuses et l’un cherchait parfois à s’y soustraire :
nous voyons un personnage important de l’Espagne léguer une certaine somme à
son municipe à condition que ses affranchis seront dispensés des charges du sevirat[144]. Il arrivait
aussi que, lorsqu’on voulait flatter quelqu’un, on le nommait sevir en l’exemptant de payer la somme honoraire ;
les monuments ont grand soin de relater cette distinction flatteuse, et un
convive de l’opulent Trimalcion disait à sa table, pour s’en faire accroire,
qu’il avait été fait sevir gratis[145]. C’était un
honneur dont on était fier ; ce n’était pas une économie, car on était forcé
de le reconnaître par un présent plus considérable. En outre, les Augustales
devaient fournir des cotisations annuelles pour les dépenses de Voilà comment ce culte avait été organisé en dehors de
Rome : on voit combien tout était ménagé pour le faire bien accueillir et le
rendre populaire. Par une série d’institutions diverses qui s’adressaient aux
différentes classes de la société il l’embrassait tout entière. A chaque fois
il avait eu l’habileté de s’appuyer sur des traditions respectables et des
aspirations légitimes, de se confondre avec elles et de les faire tourner à
son profit. Il représentait au chef-lieu de la province ce qui restait de la
nationalité des peuples soumis ; il résumait la vie municipale dans ta cité ;
il donnait le moyen au commerce et à l’industrie d’obtenir les distinctions
qu’ils souhaitaient et dont ils étaient privés. Oui le regarde ordinairement
comme un des produits les plus honteux de la servitude ; il a été au
contraire assez adroit pour lier partout sa cause à celle de — V —Après avoir cherché quelles furent les conséquences
politiques du culte des Césars, il serait intéressant de connaître quel en
était le caractère religieux. Faut-il croire qu’il ait été jamais pratiqué
d’une façon sincère, ou n’était-ce qu’une hypocrisie et qu’un mensonge qui se
sont étendus à tout l’univers et qui ont duré trois siècles ? Cette dernière
opinion panait d’abord la plus vraisemblable ; il semble qu’il n’était guère
possible d’adresser sérieusement ses prières au dieu Claude et à Il en est de même de ceux des soldats. La discipline, qui
resta si forte chez eux jusqu’à la fin, les accoutumait à respecter leurs
chefs, surtout ce chef éloigné qu’ils ne voyaient guère, mais auquel ils
faisaient honneur de leurs victoires et dont le nom résumait pour eux le
devoir et C’est surtout parmi les gens éclairés que devaient se trouver les incrédules. Dans ces salons de Rome où l’on était si clairvoyant et si frondeur, où l’on se piquait de n’être pas dupe, de savoir le secret des affaires, de démêler les motifs cachés des actions, on connaissait trop bien les faiblesses des meilleurs princes pour ne pas accueillir leur apothéose avec un sourire. Il nous est bien difficile de nous figurer ces gens d’esprit, dont la naïveté n’était pas le défaut, ces lettrés, ces philosophes, ces sénateurs, déconnant le ciel à un empereur dont ils étaient souvent bien heureux d’être débarrassés, et l’on se demande comment ils pouvaient tenir leur sérieux quand ils allaient solennellement adorer ce dieu qu’ils venaient de faire. C’est là surtout qu’il est curieux de chercher l’effet produit par l’apothéose des Césars, de se rendre compte des répugnances qu’elle dut soulever et de la façon dont on essaya de s’accommoder avec elle. A ne juger les choses que par le dehors et en ne consultant que le témoignage des écrivains de cette époque, il semble que l’apothéose d’Auguste ait été, dès les premiers jours, aussi bien reçue à Rome que dans les provinces et qu’elle n’ait pas trouvé plus d’incrédules chez les lettrés que parmi les ignorants. L’historien Velleius n’en parle qu’avec une emphase tout orientale[158]. Valère Maxime trouve que les Césars sont des dieux plus authentiques que les vieilles divinités de l’Olympe : les autres, dit-il, nous en entendons seulement parler, tandis que, ceux-là, nous les voyons ![159] Manilius va plus loin encore ; cette façon d’augmenter le nombre des habitants du ciel lui parait une des preuves les plus manifestes de la puissance de l’homme : Il en est venu, dit-il, à faire des dieux ![160] Cependant, malgré cet enthousiasme apparent des littérateurs et des portes, il devait rester aux personnes sensées bien des scrupules. Ce débat contradictoire que Tacite imagine au moment de la mort d’Auguste entre ceux qui l’exaltent et ceux qui l’attaquent ne manque pas de vraisemblance[161]. Il s’était passé au début de cette longue vie des événements dont le vulgaire ne se souvenait plus, mais que les gens éclairés ne pouvaient pas aussi facilement oublier, et qui devaient étrangement troubler leur piété quand ils s’approchaient de l’autel du nouveau dieu. Il était difficile à ses proches parents eux-mêmes d’être tout à fait sincères dans les honneurs dont ils comblaient sa mémoire. On lui avait bâti un temple dans le Palatin, dont Livie s’était instituée la prêtresse ; Tibère lui faisait un sacrifice un jour qu’Agrippine vint l’aborder pour se plaindre[162]. Mais Tibère et Livie l’avaient vu de trop près pour avoir une foi bien solide dans sa divinité. Son culte ne s’accomplissait pas moins avec le plus grand sérieux, et il eût été fort imprudent de le négliger. L’année même de sa consécration, on poursuivit devant le sénat des chevaliers romains coupables de quelque irrévérence envers lui[163]. Un peu plus tard, les habitants de Cyzique perdirent la liberté, dont ils jouissaient depuis la guerre de Mithridate, pour ne l’avoir pas fêté aven assez de zèle[164]. Une fois institué, son culte fut donc rigoureusement maintenu ; les rigueurs devinrent même bientôt inutiles, et cette répugnance que quelques personnes témoignaient pour y prendre part dut s’affaiblir avec le temps. Dion rapporte que sa perte fut d’abord assez légèrement supportée, mais qu’on le regretta beaucoup dans la suite, quand on le vit si mal remplacé[165]. Sa divinité dut gagner quelque chose à ce retour de popularité ; les crimes de Tibère et de Caligula lui donnèrent des adorateurs mieux disposés, et Sénèque lui-même, qui d’ordinaire traite si mal l’apothéose impériale, dit, en parlant d’Auguste : Pour croire qu’il est un dieu, nous n’avons pas besoin qu’on nous y force[166]. Malheureusement pour lui, le sénat crut devoir bientôt lui donner un collègue qui n’était guère digne d’un si grand honneur. C’était ce pauvre Claude, que sa femme, dit Juvénal, précipita dans le ciel[167] en lui faisant manger de cet excellent plat de champignons après lequel il ne mangea plus rien. Il était bien difficile, quand on avait comme Claude, d’être fermement convaincu de sa divinité. Aussi Néron lui-même ne prit-il pas la peine d’achever le temple qu’on faisait construire en son honneur[168] ; ce qui ne l’empêcha pas, quelques années plus tard, quand il perdit sa fille qui n’avait que quelques jours, de la mettre au ciel sous le nom de diva Virgo. Il décerna ainsi les honneurs divins à Poppée, après l’avoir tuée d’un coup de pied. La nouvelle déesse fit même bientôt une illustre victime : les deux principaux griefs que les délateurs alléguaient contre Thraséa, et qui amenèrent sa perte, étaient de ne jamais sacrifier pour la conservation de la voix céleste du prince et de ne pas croire à la divinité de Poppée[169]. C’était vraiment abuser de la crédulité du public que de
vouloir faire adorer Claude et Poppée. Le discrédit dont les nouveaux dieux
étaient l’objet rejaillit sur l’institution elle-même. Jusque dans le palais
du prince on en parlait légèrement. Tacite représente un des amis de héron
qui, en lui conseillant de tuer sa mère, ajoute, avec une ironie d’homme du
monde, qu’il fera bien, après l’avoir tuée, u de consacrer à sa mémoire un
temple, des autels, et tous les honneurs bé peut éclater la tendresse d’un
fils[170]
». L’apothéose n’a jamais été plus compromise auprès des gens éclairés qu’à
ce moment. La littérature elle-même, qui lui avait été jusque-là si
complaisante, ose devenir sévère pour elle. L’écrivain à la mode, Sénèque,
avait été obligé par ses fonctions de faire au nom du prince qu’il avait
élevé un panégyrique éloquent de Claude, qu’il détestait. Il se vengea de la
contrainte qu’il s’était imposée en composant coutre lui une des satires les
plus vives et les plus gaies que l’antiquité nous ait laissées. Il le représentait
qui monte an ciel clopin-clopant, et qui finirait même par s’y établir, grâce
à la protection de Mercure, et Auguste, qui voit tout le tort qu’un pareil
collègue peut faire à sa divinité, ne le faisait précipiter dans les enfers.
L’ouvrage est fort agréable ; à l’exception des amis personnels du prince, et
il ne devait guère lui en rester depuis qu’il était mort, il amusa sans doute
tout le monde. Il n’est pas douteux qu’on n’en ait été très satisfait au
Palatin ; qu’Agrippine, que Néron surtout, qui y était très délicatement
loué, ne se soient reposés en le lisant de ces grands airs de fils désolé et
de veuve inconsolable qu’ils étaient forcés de prendre tonte Ces railleries et ces invectives devaient, à ce qu’il semble, déconsidérer tout à fait l’apothéose, et il était naturel que la foi à la divinité des Césars allât tous les jours en s’affaiblissant. Ce fut pourtant le contraire qui arriva. Cette dévotion, comme toutes les autres, parut prendre plus de force à la fin du premier siècle ; elle est alors plus aisément acceptée de tout le monde, les attaques contre elle deviennent tous les jours plus timides et plus rares[172], et elle atteint son apogée sous le règne des Antonins. Ce qui rendit à l’apothéose impériale une partie de l’autorité qu’elle avait perdue, c’est sans doute que, pendant cette période, elle eut la chance de s’égarer moins souvent sur des princes indignes. Il n’était plus question, on le comprend, de la divinité de Poppée, qui ne survécut pas au règne de Néron ; celle de Claude était aussi fort ébranlée. Dans la loi royale qui conférait à Vespasien les prérogatives souveraines, on n’avait pas osé donner le nom de dieu au mari malheureux d’Agrippine[173] ; Vespasien, qui était un prince conservateur et qui mettait sa gloire à maintenir les traditions, fit cesser cette irrégularité. Après tout, Claude avait été mis dans le ciel par un décret du sénat en bonne forme, il n’y avait pas de raison de l’en chasser. Son temple fut donc achevé, et dès lors il prit place à son rang dans les listes des empereurs divinisés[174]. Malgré le soin que Vespasien prenait de la divinité des autres, il était assez sceptique pour la sienne : on rapporte qu’il disait plaisamment, en se sentant mourir, qu’il était en train de devenir dieu[175]. Il devint dieu, en effet, ainsi que son fils Titus, et, comme ils avaient donné quelques années de repos à l’empire, l’empire, on récompense, ne leur marchanda pas les autels. Il y eut bien encore dans la suite quelques scandales à propos de l’apothéose : on éleva des temples au bel Antinoüs, et l’on établit en son honneur des fêtes et des mystères pendant lesquels il était censé faire des miracles ; mais il faut bien faire remarquer qu’il ne reçut jamais de consécration officielle et que son culte ne fut guère répandu que dans la Grèce et l’Orient[176]. D’ordinaire les dieux que faisait le sénat étaient plus sérieux. En imposant à la vénération de l’empire des princes comme Nerva, Trajan au Antonin, on était sûr de ne pas choquer l’opinion publique. Aucun dieu n’a jamais été plus fêté que Marc-Aurèle. Non seulement, dit son historien, les gens de tout âge, de tout sexe, de toute condition, lui rendirent les honneurs divins, mais on regarda comme un impie celui qui n’avait pas quelque image de lui dans sa maison. De nos jours encore (deux siècles après la mort de Marc-Aurèle) beaucoup de familles conservent ses statues parmi leurs dieux pénates, et il ne manque pas de gens qui prétendent qu’il leur apparaît eu songe pour leur donner de bons avis et des oracles certains[177]. Je ne vois pas de raison de suspecter la sincérité de ces
hommages. Les gens qui, sous Constantin, rendaient un culte à Marc-Aurèle
n’avaient rien à attendre du pouvoir ; leur dévotion était tout à fait
désintéressée, elle ne s’explique que par Il est donc vrai de dire que tons les gens qui vivaient alors sous la loi romaine, à tous les degrés de la société, ont témoigné une grande complaisance pour l’apothéose impériale, et que cette complaisance leur coûtait moins que nous ne sommes tentés de le croire. Les seules résistances sérieuses qu’elle éprouva lui vinrent des Juifs et des Chrétiens. Les Juifs avaient horreur d’adorer un homme. Ils ne permettaient pas aux légions de traverser Jérusalem avec leurs enseignes, parce qu’elles portaient l’image de l’empereur vivant et de ses prédécesseurs divinisés. Les Chrétiens n’étaient pas moins résolus. C’était d’ordinaire devant la statue du prince qu’on traînait leurs martyrs, et ils aimaient mieux mourir que de lui offrir de l’encens. Je n’appelle pas l’empereur un dieu, disait Tertullien, parce que je ne sais pas mentir et que je ne veux pas me moquer de lui... Je n’ai qu’un maître, qui l’est aussi de l’empereur ; il faut l’adorer, si l’on veut qu’il soit favorable à César. Gardez-vous de croire et d’appeler un dieu celui qui ne peut rien sans l’aide de Dieu[184]. L’apothéose, si rudement attaquée par les Chrétiens, survécut pourtant au triomphe de Christianisme ; mais en survivant, elle perdit de pins en plus sa signification ancienne. Dès le début, le culte des Césars avait un double caractère, religieux et civil ; il est facile de voir, à mesure qu’on avance, que la caractère civil l’emporte. Les temples de Renne et d’Auguste cessent peu à peu d’are des sanctuaires pour devenir des lieux de réunions politiques ; les prêtres des provinces ressemblent à des administrateurs ordinaires chargés des intérêts de leur pays ; les flamines des cités ne sont plus que des magistrats municipaux comme les autres, et l’on ne regarde ; la corporation des Augustales que comme tenu société de négociants réunis pour défendre leurs privilèges. Dans toutes ces institutions diverses, le culte impérial n’est bientôt qu’un prétexte : on a l’air de se rassembler pour des prières et des sacrifices ; en réalité, c’est pour s’occuper des affaires communes. Le caractère religieux de ce culte tendait donc tous les jours d s’effacer ; il acheva de disparaître quand le Christianisme fut triomphant. Les peuples honorèrent Constantin, lorsqu’il devint le maître de l’empire, comme ils en avaient l’habitude, en lui bâtissant des temples et en célébrant des jeux en son honneur. Constantin, quoiqu’il fût chrétien, accepta ces hommages ; il tint seulement à les dégager de tout mélange avec l’ancienne religion. Il conserva les jeux, dont l’habitude avait fait un besoin pour le peuple, mati on leur donnant un caractère profane. Nous avons défendu, dit-il, par une loi salutaire qu’on célébrât des rites impies, mais nous n’entendons pas interdire ces jeux qui réunissent les citoyens et entretiennent la joie publique[185]. Il répondit aux habitants d’Hispellum, qui demandaient à lui élever un temple, qu’il y consentait à condition que l’édifice qui devait porter son nom ne serait pas souillé par les pratiques coupables d’une superstition dangereuse[186]. Ce n’était donc plus qu’un monument civil, une sorte d’hôtel de ville, oit les décurions se réunissaient pour protester de leur dévoilement au prince et signer des décrets en son honneur. C’est ainsi que le culte impérial fut tout à fait sécularisé. de moment qu’il fut constaté que ce n’était plus qu’une manière détournée d’honorer l’autorité souveraine,le Christianisme eut moins de répugnance à le tolérer. Constantin et ses successeurs furent divinisés par un décret solennel du sénat ; ils eurent des temples et des prêtres, et il ne semble pas que ces hommages aient scandalisé les évêques ni Ies chrétiens rigoureux. Gratien, qui refusa le premier d’accepter les insignes du grand pontife, fut probablement aussi le premier qui ne reçut pas les honneurs divins après sa mort. L’apothéose a donc duré près d’un siècle encore après la défaite du paganisme[187]. Est-il même bien vrai de prétendre qu’elle ait tout à fait
disparu avec Gratien et qu’il n’en reste plus de trace après lui ? Nous avons
dit que les royautés chrétiennes qui remplacèrent l’empire essayèrent souvent
de le continuer. Le Christianisme était d’ailleurs une religion amie de la
discipline et de l’ordre ; il proclamait que l’autorité souveraine est une
sorte d’émanation de la puissance divine, et il faisait un devoir de lui
obéir. Dès le IIe siècle, son docteur le
plus sévère disait : Nous rendons à l’empereur
tous les honneurs qu’il nous est permis de lui rendre et qu’il lui est utile
de recevoir ; nous le regardons comme un homme, mais un homme qui vient
immédiatement après Dieu : il tient de Dieu ce qu’il possède, mais il n’est
inférieur qu’à lui[188]. C’est à peu
près de la même façon, on s’en souvient, que s’exprime Horace, lorsque,
s’adressant à Jupiter, il lui demande de prendre César pour son lieutenant et
de lui laisser gouverner le monde sous ses ordres. Quand le prince est à ce
point au-dessus des hommes, il est bien près d’être en dehors d’eux ; s’il
est l’objet particulier des faveurs célestes, s’il a été désigné par un
décret spécial pour régner sur nu peuple, s’il tient d’en haut les qualités
nécessaires pour y réussir, il n’est plus possible de le confondre avec le
troupeau qu’il gouverne. C’est ainsi qu’à force de grandir l’autorité
souveraine et de la rapprocher du ciel, il est arrivé quelquefois aux docteurs
chrétiens de s’exprimer à peu prés de la même manière que les écrivains de
l’ancienne Rome. Le prince, selon Pline le jeune, est pareil au plus rapide
des astres : il voit tout, il entend tout, eu quelque lieu qu’on l’invoque,
il y fait sentir à l’instant même sa présence et son secours. Sans doute, ajoute-t-il, c’est ainsi que |
[1] S. Augustin, De civit. Dei, III, 4.
[2] Revue archéol., 1818, p. 340.
[3] Letronne, Inscriptions d’Égypte, I, p. 241.
[4] Cicéron, Pro Flacco, 25.
[5] Tacite, Annales, IV, 56.
[6] Tite-Live, XLIII, 6.
[7] Plutarque, Flamininus, 16.
[8] Tacite, Annales, VI, 18. La Grèce avait été jusqu’à diviniser un athlète vivant. Pline, Hist. nat., VII, 47.
[9] Cicéron, Epist. ad Quintum, I, 1.
[10] Di patrii, indigetes ! (Virgile, Géorgiques, I, 498.)
[11] Ennius, Annales, 119 (édit. Vahien) : Romulus in cœtum cum dis genitalibus œvum Degit.
[12] Cicéron, Fragm. de consolation, V, 2. Telle fut l’apothéose que le peuple décerna à Marius Gratidius de son vivait et qui lui coûta la vie (Cicéron, De officiis, III, 30 ; Sénèque, De ira, III, 18). Metellus fut aussi reçu à Rome comme un dieu, à son retour d’Espagne (Macrobe, Saturnales, III, 13, 7).
[13] Mens soluta quædam ae libora, segregala ab omni concretione mortali. (Cicéron, De consol.)
[14] Cicéron, De leg., II, 9 : Sos logo datos divos habento.
[15] Voyez par ex. Orelli, 4588 et 5087.
[16] Plutarque, Quæst. rom., 14. Tertullien, Apologétique, 12.
[17] Servius, Énéide, VI, 152.
[18] Orelli, 4047.
[19] Orelli, 4530.
[20] Renier, Inscr. de l’Algérie, 2510.
[21] Cicéron, De nat. deor., I, 15.
[22] Cicéron, De consol.
[23] Cicéron, Ad Att., XII, 86.
[24] C’était aussi l’opinion des théologiens de Rome Le savant Labéon, s’inspirant des doctrines étrusques contenues dans les Libri acheruntici, avait composé tout un traité sur les dieux qui avaient commencé par être des hommes (De diis animalibus). On pouvait, selon lui, faire de l’âme humaine un dieu, et c’est par la vertu de certains sacrifices que ce miracle s’opérait (Servius, Énéide, III, 168 ; Arnobe, Adv. gent., II, 62). Ces sacrifices étaient sans doute les rites mêmes des funérailles auxquels la religion accordait tant d’importance. Quand ils avaient été exactement accomplis, quand on n’avait omis aucune cérémonie aucune prière, l’âme du défunt prenait place parmi les dii animales. C’est ce qu’indique clairement cette inscription citée par M. Ritschl (Ind. lect. œstiv., 1853) : Molles colamus, namque opertis manibus Divina vis est œviterni temporis.
[25] Cicéron, De leg., II, 11 : Omnium quidem animos immortales esse, sed fortium honoruntque divinos.
[26] Horace, Carm., III, 2, 21 : Virtus recludens immeritis mori Cœlum.
[27] Lucain, Pharsale, IX, 5 et sq.
[28] Valerius Flaccus, Argon., I, 563 : Tendite in astra viri.
[29] Fabretti, Inscr., p. 742.
[30] Orelli, 7418.
[31] Cohen, Monn. imp. : Faustine jeune, 102.
[32] Dion, XLIII, 14, et XLIV, 6.
[33] Dion dit positivement qu’il en fut heureux (XLIV, 6). Il raconte ailleurs, il est vrai, que le premier jour de son triomphe son char s’étant brisé, il y vit un avertissement des dieux qui le rendit plus modeste, et qu’il refusa de faire usage de la plupart de ces honneurs excessifs (XLIII, 21). Les ennemis du sénat supposaient qu’on les lui avait prodigués pour la rendre odieux. Les amis de César auraient pu prétendre qu’il ne les avait acceptés que pour rendre le sénat ridicule.
[34] Nicolas de Damas, Vita Cæsar, 25.
[35] Suétone, Jules César, 88 : In deorum numerum relatus est, non ore modo decernentium, sed et persuasione vulgi.
[36] Philippiques, II, 43, et XIII, 19.
[37] Pline, Hist. nat., II, 24.
[38] Virgile, Bucoliques, IX, 47 : Ecce Dionœi processit Cæsaris astrum.
[39] Voyez la note de M. Mommsen, Corp. inscr. lat., I, p. 189.
[40] Dion, XLVII, 18.
[41] Dion, XLVIII, 14.
[42] Dion, LI, 15. Auguste autorisa, après Actium, Éphèse et Nicée à élever un temple à son père (Dion, LI, 20). On trouve des flamines divi Juli ou Juliani en Italie (Orelli, 390), en Algérie (Renier, Inscr. de l’Algérie, 2169) et ailleurs.
[43] Virgile, Bucoliques, V, 65.
[44] Dion, XLVIII, 48.
[45] Plutarque, Antoine, 24.
[46] Müller, Fragm. hist., III, p. 326.
[47] Plutarque, Antoine, 26. Malgré la séduction que l’Orient exerça sur lui, le soldat romain, goguenard et intéressé, se montre quelquefois chez Antoine. On raconte que, les Athéniens ayant proposé de marier le nouveau dieu à leur déesse Minerve, il les prit au mot, et demanda une dot de mille talents, qu’il se fit rigoureusement payer. (Sénèque, Suas., 1.)
[48] Appien, Bell. Civ., V, 132.
[49] Dion, LI, 20.
[50] Voyez Corp. Inscr. lat., II, p. 540, et l’article de M. Hübner publié dans le Hermès, I, p. 77 et sq.
[51] Dion, LIV, 82.
[52] Orelli, 2489.
[53] Quintilien, VI, 8, 77.
[54] Dion, LI, 20.
[55] Ce qui laisserait croire que l’autorité ne prit aucune détermination ou se contenta de fermer les yeux, c’est que le culte impérial, du vivant d’Auguste, ne fut pas organisé partout de la même façon. A Pompéi, les prêtres du nouveau dieu s’appellent sacerdotes Augusti (Mommsen, Inscr. Neap., 2231) ; à Préneste, flamines Cæsaris Augususti (Orelli 3874) ; à Pise, flamines Augustales (Orelli, 642). Dans cette ville, son temple porte le nom d’Augusteum ; à Pouzzoles, celui que lui élève ce Vedius Pollio, son ami, qui nourrissait ses murènes avec des esclaves, s’appelle Cæsareum (Orelli, 2509). Ces différences, si légères qu’elles soient, peuvent faire supposer qu’il n’y eut point d’acte officiel pour restreindre ou pour régler ce culte en Italie, comme il y en avait en Asie, et qu’on laissa chaque ville agir d’elle même et par une inspiration spontanée.
[56] Mommsen, Inscr. Neap., 557. Kellermann a prouvé que cette inscription était un fragment d’album d’une corporation vouée au culte d’Auguste de son vivant. O. Jahn, Spec. epigr.
[57] Par exemple, Aurelius Victor, De Cæsar., I et Tacite, Annales, I, 10.
[58] Suétone, Auguste, 52.
[59] Virgile, Bucoliques, I, 7.
[60] Virgile, Géorgiques, 7, 412.
[61] Horace, Carm., I, 2, 41.
[62] Horace, Carm., III, 5, 1.
[63] Horace, Carm., IV, 5, 16.
[64] Suétone, Auguste, 98.
[65] Virgile, Énéide, I, 291.
[66] Ovide, De Ponto, II, 8, 9.
[67] Ovide, De Ponto, IV, 9, 111.
[68] Horace, Épîtres, II, 1, 15.
[69] Voyez les Commentarii diurni de M. Mommsen dans le premier volume du Corp. inscr. lat. Du reste, cette habitude de diviniser les vertus d’un homme n’était pas nouvelle : les Grecs en avaient donné l’exemple. Cicéron écrit à son frère, gouverneur de l’Asie : In illis urbibus cum summo imperio et potestate versaris in quibus tuas virtutes conscratas et in deorum numero collocutas vides. (Epist. ad Quintum, I, 1.)
[70] Virgile, Énéide, VIII, 717.
[71] Voyez, pour cette institution, Egger, Historiens d’Auguste.
[72] Quoiqu’on ait prétendu le contraire, tout semble prouver que les magistri et les ministri faisaient partie de la même organisation. Ils consacraient ensemble des monuments aux Lares augusti, ils entraient en charge ensemble (Orelli, 1658 et 1659) et ils avaient la même ère (id., 9436). L’institution ne se répandit dans les provinces qu’avec quelques modifications. A Naples, des esclaves prennent place parmi les magistri (Mommsen, Inscr. Neap., 365) ; ailleurs on trouve des affranchis parmi les ministri (id., 369).
[73] Ce qui prouve que cette réforme fut regardée comme très importante, c’est qu’on en fit une ère nouvelle. Les magistri vicorum de l’époque suivante, pour dater leurs actes, comptent les années en partant de celle où leur magistrature avait été institués.
[74] Suétone, Tibère, 76.
[75] Orelli, 1530.
[76] C’est ce qui ressort du témoignage des écrivains. Asconius Pedianus (In oral. Cic. contra Pis., 4) dit formellement que les magistri vicorum présidaient aux jeux des carrefours. Ovide (Fastes, V, 140) identifie la chapelle du carrefour avec celle du vicus dans laquelle sont placés les Lares impériaux. Cependant une inscription de Spolette semble distinguer les compitales Larum aug. des magistri vicorum (Orelli, 1116) ; mais dans les municipes italiens les institutions de Rome ne furent pas toujours très exactement imitées.
[77] Orelli, 1387.
[78] Suétone, Auguste, 31. C’est Ovide (Fastes, V, 446) qui dit qu’Auguste avait donné les statues des Lares.
[79] Ovide (loc. cit.) dit que les Lares honorés dans les carrefours étaient les Lares præstites, c’est-à-dire les dieux protecteurs de l’État. Il n’y a donc pas moyen de croire, avec Reitferscheid (Ann. de l’inst. de corresp. arch., 1663), que c’étaient les Lares domestici d’Auguste.
[80] Horace, Carm., IV, 5, 30.
[81] Orelli, 782.
[82] Egger, Historiens d’Auguste.
[83] Orelli, 2483 : ... ceterœ leges huic aræ titulisquee eadem samto, quæ sunt aræ Dianæ in Aventino.
[84] Marini, Arv., tab. 82.
[85] Orelli, 686.
[86] Servius, Énéide, I, 730.
[87] Dion, LXIII, 90.
[88] Cohen, Monn. Imp. Commode, 63.
[89] Tacite, Annales, I, 8.
[90] Tacite, Annales, I, 73.
[91]
Dion, LVI, 42. Ce bûcher se trouve figuré sur plusieurs médailles impériales,
notamment sur celles d’Antonin et de Marc-Aurèle. Les beaux bas-reliefs de
[92] Voyez, sur les sodales Augustales et les Flamines Augustales, le travail de M. Dessau dans l’Ephemeris epigraphica, III, p. 205.
[93] Dion, LVI, 43. Tacite, Annales, I, 10.
[94] Tacite, Annales, I, 3.
[95] Orelli, 2440.
[96] Tacite, Annales, I, 73.
[97] Voyez, sur cette question, Becker-Marquardt, Röm. Altert., III, p. 267.
[98] Il créa de ces assemblées dans les provinces mêmes où il n’y en avait jamais eu. (Marquardt, loc. cit., p. 268).
[99] Ces assemblées s’appelèrent en Orient Κοινά, en Occident Concilia.
[100] Voyez, sur toutes ces questions, Marquardt, De provinciarum rom. conciliis et sacerdot., dans l’Ephemeris epigraphica, I, p. 200.
[101] Corpus inscr. lat., II, p. 541.
[102] Quintilien, VIII, 5, 15. Cette phrase est une réponse à celle que, Sénèque prêtait à Néron dans la lettre qu’il écrivit au sénat en son nom après la mort d’Agrippine : Salvum me esse adhuc nec credo, nec gaudeo. (id., ibid., 5, 18.)
[103] Digeste, XLVII, 14,1, et XLVIII, 6, 5.
[104] Tacite, Annales, XV, 21.
[105] Je cite ce passage de l’inscription de Thorigny d’après l’estampage qu’en a pris à Léon Renier et qu’il a bien voulu me communiquer : His accedit quod, cum Cl. Paulin(o) decessori meo in concilio, Galliarum, instinctu quorum(dam), qui ab eo propter mertita sua laed(i) (v)idebantur quasi ex consensti provin(ciae) (a)ccussationem instituere temtar(ent), Sollemnis iste meus proposito eor(um) restitit, provocatione scilicet inte(rposite), quod patria ejus cum inter ce(teros le)gatum eum creasset, nihil de ac(cussat)ione mandassent. immo contra lau(dasse)nt.
[106] Corpus Inscr. lat., II, 4247.
[107] Les prêtres de Rome et d’Auguste à Lyon s’appellent quelquefois eux-mêmes, sacerdos ad aram Caesaris n(ostri) (Boissieu, Inscr. de Lyon, p. 114).
[108] Pline, Hist. nat., II, 7, 22 : Toto quippe mundo, et omnibus locis, omnibusque horis, omnium vocibus Fortune sota invocatur.
[109] Voyez les nombreuses médailles qui portent pour exergue : Providentia Aug.
[110] Tacite, Annales, I, 57.
[111] Tacite, Annales, XIV, 31.
[112] Boissieu, Inscr. de Lyon, p. 95.
[113] Corpus Inscr. lat., II, p. 541.
[114] Voyage arch. de Lebas, III, n° 885.
[115] Julien, Lettre 83.
[116] Julien, Lettre 49.
[117] Julien, Lettre 49. Le grand prêtre d’Asie y est dit : άρχειν τών περί τήν Άσίαν ίερών άπάντων. Tous les historiens ont été frappés des ressemblances que cette hiérarchie présente avec la hiérarchie chrétienne ; l’άρχιερεύς occupe par rapport aux autres prêtres la même position que les métropolitains chrétiens par rapport aux autres évêques et au clergé inférieur. La législation elle-même semble la reconnaître, quand elle donne aux évêques chrétiens les titres de sacerdos provinciæ et de coronatus qui appartenaient aux prêtres du paganisme (Code Théodosien, XVI, 2, 88).
[118] Suétone, Auguste, 59.
[119] C’est ainsi que les habitants de Nîmes, qui avaient renversé les statues de Tibère pendant son exil à Rhodes (Suétone, Tibère, 13), s’empressèrent de la prier comme un dieu et de lui élever des autels quand il fut tout-puissant.
[120] Pline, Epist., X, 70 et 71 (édit. Keil).
[121] En 289, sous Dioclétien, les décurions de Cumes se réunissaient encore dans le temple de Vespasien (Orelli, 2263).
[122] Orelli, 2222. Il y est question d’un personnage qui est flamen divorum Vespasiani, Trajani, Hadriani.
[123] Orelli, 2417 : In templo divorum, in æde divi Titi.
[124] M. Hübner semble croire que le culte de Rome et d’Auguste était réservé aux provinces (Corpus inscr. lat., II, 4224) ; mais cette affirmation est beaucoup trop générale. Voyez Orelli, 5997, 7174, 2204, et Mommsen, Inscr. Neap., 4336, 376, etc.
[125] Corpus inscr. lat., II, 1941.
[126] Corpus Inscr. lat., III, 3288.
[127] On ne peut pas avoir la prétention de traiter Ici tout ce qui concerne les Augustales. Il suffit de faire connaître en quelques mots et par des documents certains ce qu’on peut savoir de leur caractère et de leur importance. Il reste encore sur cette institution beaucoup d’obscurités qui ne seront probablement dissipées qu’après la publication complète du recueil des inscriptions latines. Jusqu’à présent les meilleurs travaux qu’on ait publiés à ce sujet sont le mémoire que M. Egger a placé à la fin de ses Historiens d’Auguste, et ceux de M. Henzen dans les Annales de correspondance archéologique et dans le journal de Bergk (Zeitschrift für Alt. Wiss., 1847). M. Mommsen a parlé aussi des Augustales dans diverses notes du Corpus inscr. lat., et partout il les considère, ainsi que nous le faisons nous-même, comme se rattachant au culte impérial. Il importe, pour éviter toute confusion, de distinguer les Augustales, dont il s’agit ici, des nodales Augustales institués à Rome après la mort d’Auguste et qui se composaient des plus grande personnages de l’empire. Quant aux magistri Augustales ou Larum augustorum, ils sont la plus souvent séparés dans les inscriptions des Augustales proprement dite, sans qu’on puisse bien savoir en quoi ils en différent.
[128] On n’a trouvé jusqu’ici qu’une seule mention des Augustales du vivant d’Auguste (Corpus inscr. lat., V, 8404).
[129] Tacite, Annales, I, 73.
[130] Mommsen, Inscr. Neap., 1972 : cultores Augusti. Orelli, 2410 : cultores Larum et imaginum Augusti. Id., 1662 : cultores donmus divinæ et fortunæ augustæ. Id., 1839 : cultores victoriæ augustæ, etc.
[131] Orelli, 7165 et 4046. Inscr. Neap., 2486.
[132] Mommsen, Inscr. Neap., 5501
[133] Orelli, 4330 : hospitalis a gallo gallinacio.
[134] Mommsen, Inscr. Neap., 5039 : Coco optimo.
[135] Corpus Inscr. lat., II, 1044 : omnibus honoribus quos libertini gerere poluerunt honoratus.
[136] Mommsen, Inscr. Neap., 2525, 3642. Corpus Inscr. lat., V, 3336.
[137] Mommsen, Inscr. Neap., 2527 : coluit annis XXXV. Il est vrai qu’ailleurs il est question de prêtres particuliers pour les Augustales (Corpus Inscr. lat., n° 3016).
[138] C’est bien la divinité impériale en général qu’ils adoraient et non pas seulement celle d’Auguste. En certains pays, ils ajoutaient à leur nom celui des divers empereurs divinisés. Il y eut des Augustales Claudiales (Orelli, 2374, 6054), des Augustales Flaviales (Orelli, 1228, 6656), des Augustales Claudiales, Titiales, Nerviales (Corpus inscr. lat., III, 1768) ; mais d’ordinaire leurs fonctions étaient résumées par le mot Augustalis.
[139] Mommsen, Inscr. Neap., 3549 : ingenui honorati et Augustales.
[140] Orelli, 1840 : aram Victoriæ Sex. Pompeius mercator sevir Aug. prœter summum pro honore d. d. p. s. p. Il me semble qu’il faut ici lire prœter summam, et entendre la somme honoraire.
[141] Corpus Inscr. lat., II, 2100 : petente populo.
[142] Inscr. Neap., 4913.
[143] Inscr. Neap., 4880.
[144] Corpus Inscr. lat., II, 4514.
[145] Pétrone, Satiricon, 57 : sevir gratis fœtus est.
[146] Orelli, 3913.
[147] Inscr. Neap., 2529.
[148] Inscr. Neap., 79.
[149] Inscr. Neap., 6828 : secundum dignitatem municipi.
[150] Inscr. Neap., 4000.
[151] Ornamenta Augustalitalis (Inscr. Neap., 464).
[152] Orelli, 4046.
[153] Inscr. Neap., 6042 et ailleurs.
[154] Inscr. Neap., 1955.
[155] Pitra, Spicil. Solesm., II, p. XLI. Tertullien (Apologétique, 35) fait un tableau de la joie publique et de ses extravagances pendant les fêtes des Césars.
[156] Propria legionum numina (Tacite, Annales, II, 17). L’anniversaire du jour oit l’on avait donné un drapeau à une cohorte se célébrait comme une fille. Nous voyons en Espagne des centurions élever un monument à Jupiter à cotte occasion (Corpus inscr. lat., II, 2552).
[157] Tacite, Annales, I, 43 : tua, pater Auguste, cœlo recepta mens, etc.
[158] Animam cœtestem cœto reddidit (II, 123). Voyez surtout cette étrange anecdote dans laquelle il raconte qu’un chef barbare, après avoir passé le Rhin et contemplé Tibère, se retire en disant : Hodie vidi deus (II, 107).
[159] Valère Maxime, Préf.
[160] Manilius, IV, 931. Valère Maxime a dit peu près la même chose : Deos reliquos accepimus, Cæsares dedimus.
[161] Tacite, Annales, I, 9 et 10.
[162] Tacite, Annales, IV, 52.
[163] Tacite, Annales, I, 73.
[164] Tacite, Annales, IV, 36.
[165] Dion, LVI, 43 et 45.
[166] Sénèque, De clem., I, 10.
[167] Juvénal, VI, 622.
[168] Suétone, Vespasien, 9.
[169] Tacite, Annales, XVI, 29.
[170] Tacites, Annales, XIV. 8.
[171] Lucain, VII, 456.
[172] On peut, par exemple, comparer les restrictions timides et embarrassées de Plutarque (Vita Rom., 28) avec les assertions énergiques de Sénèque et de Lucain. Pausanias (VII, p. 457) et Dion (LII, 35) sont assez dédaigneux, mais ils ne disent qu’un mot. Ce qui est assez piquant, c’est que Julien se montre l’adversaire résolu de ces apothéoses. Il appelle Auguste un faiseur de poupées, parce qu’il a fait de César un dieu (Césars, 27).
[173] Orelli, fin du 2e vol.
[174] Il se trouve à son rang, après le divin Auguste, et avant le divin Vespasien, dans les Tables de Salpensa et de Malaga, qui sont du règne de Domitien.
[175] Suétone, Vespasien, 28 : Vœ, puto, deus fio !
[176] Eckel, VI, 628 et sq.
[177] Capitolin, Marc-Aurèle, 48.
[178] Pline, Panégyrique, II.
[179] Pour lui élever une statue auprès de celle des divi, Trajan voulait qu’on lui demandât la permission, et il dit lui-même qu’il l’accordait rarement (Pline, Epist., X, 8 et 9, édit. Keil.) Voyez aussi Panégyrique, 52.
[180] Epist., 67, 7.
[181] S. Ambroise, Orationes, 89 : Manet ergo in lumine Theodosius et sanctorum cœtibus gloriatur.
[182] Pline, Hist. nat., II, 7, 18.
[183] Letronne, Inscr. de l’Égypte, II, p. 286
[184] Tertullien, Apologétique, 83 et 84.
[185] Code Théodosien, XVI, 10, 17.
[186] Orelli, 5580, et Mommsen, Analekten.
[187] Rossi, Inscr. christ., p. 338. Quand on dit que Gratien fut le premier qui ne reçut pas les honneurs de l’apothéose, on veut parler de la consécration officielle décrétée par le sénat. Mais on continua quelque temps encore, par habitude, à donner le nom de dieux aux empereurs morts.
[188] Tertullien, Ad Scap., 2.
[189] Pline, Panégyrique, 89.
[190] Bossuet, Polit. tirée de l’Écriture sainte, passim.