— I —Ces qualités essentielles de la religion romaine que nous
venons d’indiquer se sont assez fidèlement conservées chez elle pendant toute
son existence. Tant qu’elle a vécu, elle a tenu aux pratiques plus qu’aux
croyances et s’est occupée surtout à régler les formes extérieures de la
dévotion ; elle a toujours exigé le respect minutieux des formules, elle a eu
plus de soin de calmer les âmes que de les enflammer, elle a aimé l’ordre et
la régularité, elle a cherché l’utile, elle s’est subordonnée à l’État. Aussi
les observateurs superficiels, comme Denys d’Halicarnasse, lui retrouvant
toujours à -pets prés la même apparence, se figuraient-ils qu’elle n’avait
jamais changé. Elle-même se flattait volontiers d’être immobile et éternelle,
comme ce rocher du Capitole sur lequel était assis son principal sanctuaire.
Il est pourtant certain que depuis le temps des rois jusqu’à celui des empereurs
elle a subi des altérations nombreuses et profondes. C’est ainsi qu’à une
époque fort ancienne s’opéra la fusion des dieux de Rome avec ceux de Elle reçut bientôt d’autres atteintes. Il était impossible que la foi naïve des premières années ne s’affaiblît pas avec le temps ; celle des plébéiens surtout était exposée à .devenir vite assez tiède. Primitivement ils n’avaient pas plus de place dans la religion que dans la cité. Non seulement l’accès des sacerdoces leur était interdit, mais ils étaient formellement exclus du culte public ; ils ne pouvaient prier que dans leur maison et avec leur famille les dieux de leur patrie[1]. Dans cette longue lutte qu’ils soutinrent pour conquérir l’égalité civile, leurs adversaires se servirent surtout de la religion pour les repousser. Toutes les fois qu’une loi populaire allait dire votée, il se trouvait quelque augure pour déclarer qu’il paraissait dans le ciel des signes défavorables, et l’assemblée était légalement dissoute. Quand les plébéiens demandaient qu’on les admit aux dignités publiques, on ne manquait pas de lotir répondre dédaigneusement. Comment pourriez-vous devenir préteurs ou consuls ? vous n’avez pas le droit de prendre les auspices, auspicica non habens. Et comme un magistrat n’entreprenait rien sans les consulter, il s’ensuivait qu’un plébéien ne pouvait être magistrat. Il était impossible, on le comprend, que le peuple fût très attaché à une religion qui le repoussait avec tant d’insolence et qui fournissait si complaisamment des armes à ses ennemis. Aussi remarque-t-on que tous ceux qui défendent ses intérêts sont en général mal disposés pour elle. Dans le récit que nous fait le pieux Tite-Live de la seconde guerre punique, toutes les fois que les plébéiens l’emportent, la religion se trouve mal de leur triomphe. Les consuls populaires se rendent toujours coupables de quelque faute envers elle’. ils n’écoutent pas les avertissements des dieux, ils omettent des sacrifices ou des expiations nécessaires. Il est vrai qu’après leur défaite, l’aristocratie reprend le dessus, et qu’avec elle se ranime l’esprit religieux. Le patricien Fabius proclame solennellement qu’il faut moins imputer le désastre de Trasimène à l’ignorance et à la témérité du consul qu’à son mépris des cérémonies et des auspices, et il fatigue la ville de prières et de supplications de toute sorte[2]. Le peuple, déjà en possession de l’égalité civile, venait alors de conquérir aussi l’égalité religieuse ; il avait obtenu le droit d’arriver à tous les sacerdoces importants. Plus tard il fit décider que l’ancienne forme de la cooptatio, par laquelle les collèges de prêtres se recrutaient eux-mêmes, serait presque partout remplacée par l’élection populaire. Le choix du grand pontife lui-même fut abandonné aux comices par tribu. Ce fut mie nouvelle cause de décadence pour la religion romaine. Quand ta nomination des prêtres fut livrée aux caprices de la foule et aux compétitions des partis, on ne se soucia pas toujours de choisir les plus dignes ou les plus capables ; ce furent les plus influents ou les plus habiles qui l’emportèrent. Dès lors les traditions achevèrent de s’altérer, les cérémonies furent négligées et l’esprit religieux se perdit. Un clergé se recrutant lui-même et fermé aux ingérences du dehors se serait opposé avec énergie aux innovations dangereuses, il aurait opiniâtrement maintenu les institutions anciennes ; tandis que des prêtres occupés d’intérêts mondains et d’ambitions politiques ne pouvaient être pour elles que des défenseurs tièdes ou des ennemis déguisés. Les patriciens, au contraire, avaient beaucoup de motifs
de rester fidèles à la vieille religion : elle autorisait leurs prétentions,
elle consacrait leurs privilèges, elle n’était faite que pour eux ; aussi
est-ce chez eux qu’elle s’est conservée le plus longtemps dans en pureté. Les
corporations oui ils dominaient sans mélange, comme celle des frères Arvales,
restèrent jusqu’à la fin étroitement attachées aux anciens rites ; les
grandes familles Dardaient encore les usages du passé quand ils étaient
oubliés ailleurs[3].
Il y avait pourtant une raison qui, chez les patriciens aussi, devait amener
à la longue la perte des traditions nationales : c’est le goût de plus en
plus vif que cette aristocratie éprouvait pour les arts et les sciences de On se demande vraiment comment les magistrats romains, qui
d’ordinaire étaient des gardiens si vigilants de l’ordre public et prenaient
tant de peines pour maintenir les institutions anciennes, ont souffert qu’un
poète se permit de parler ainsi devant le peuple rassemblé. Il est probable
que le théâtre tour semblait un lieu de divertissement futile et qu’ils n’attachaient
pas d’importance à ce qui pouvait s’y débiter. L’expérience ne leur avait pas
appris qu’à la longue les lettres forment l’opinion publique ; ils ne se
doutaient pas que ces maximes qui leur paraissaient sans gravité parce qu’elles
étaient prononcées sur un théâtre et qu’elles tombaient de la bouche d’un
histrion, accueillies avidement par le people et conservées dans ses
souvenirs, finiraient par être la règle des croyances et des mœurs. Ils
avaient pourtant défendu qu’on attaquât personnellement un citoyen sur la
scène, et les tribunaux condamnèrent un acteur qui s’était permis d’interpeller
par son nom le poète Attius[12] ; mais ils ne se
croyaient pas ténus aux mêmes égards envers les dieux. Ils se disaient sans
doute que ces dieux dont il était question dans les tragédies imitées du grec
étaient ceux de On sera convaincu que la littérature et le théâtre n’ont
pas été sans influence sur le scepticisme des dernières années de la
république, si l’on remarque que ce sont les institutions que les poètes
attaquent avec le plus de vivacité qui paraissent alors le plus ébranlées.
Caton constatait que de son temps deux haruspices ne pouvaient pas se
regarder sans rire ; il avouait même que l’ancienne et vénérable institution
des augures était en décadence[15]. Or ce sont
précisément les devins de toute sorte que le théâtre latin malmène le plus
volontiers. On les appelle des fainéants on des insensés, des aveugles qui ne
savent pas se conduire et qui veulent montrer la route aux autres, des mise
ables qui vous promettent des trésors et vous empruntent une drachme, des
voleurs qui demandent de l’argent et ne donnent que des paroles[16]. C’est une sorte
de lieu commun, même dans la tragédie, où la raillerie n’est guère à sa
place, que de se moquer d’eux. Quand on voit l’art augural tomber dans un si
grand discrédit à la fin de la république, n’est-on pas en droit de croire
que les insultes qu’on prodiguait ainsi aux devins de — II —Dès le VIe siècle, la décadence de la religion romaine était visible,
elle devait frapper et inquiéter les esprits prévoyants. Aussi pendant le
temps qui s’écoule outre les Gracques et César, des tentatives sérieuses
furent-elles faites pour l’arrêter. Une école savante, à laquelle
appartenaient Ælius Stilo et son illustre disciple Varron, se donna la tâche
de fouiller avec patience et avec amour le passé de ce vieux culte. De même
qu’on essaya chez nous, â l’époque de Cette façon d’agir n’était pas nouvelle à Rome, et l’on
pratiquait déjà ces accommodements dans l’entourage du second Africain. Cette
réunion brillante de politiques et de gens d’esprit qui s’était formée autour
du vainqueur de Carthage exerça, comme on sait, beaucoup d’influence sur la
société romaine du vie siècle. Elle comprenait des personnes d’origine et d’occupations
fort diverses : on y voyait des Romains et des Grecs, des philosophes, des
poètes, des historiens mêlés à des hommes d’État et à des gens du monde. Pour
parvenir à s’entendre, quand on est parti de points si éloignés, pour pouvoir
jouir à l’aise des plaisirs de la société, le
plus grand bien de la vie humaine, il faut se faire des
concessions réciproques ; dans ces rapports de tous les jours les oppositions
s’amoindrissent et s’effacent, et les opinions qui semblaient d’abord le plus
contraires trouvent moyen de se rejoindre, D’ailleurs l’homme illustre qui
fut le centre de ces réunions était porté par lui-m@me à ces ménagements et à
ces transactions. C’était une nature sage et mesurée, ennemie des extrêmes ;
il essayait, en politique, de n’être d’aucun parti, les trouvant tous
exagérés, et il se montrait aussi hostile aux prétentions des aristocrates, quoiqu’il
leur appartint par la naissance et les traditions, qu’in l’esprit
entreprenant et factieux de la démocratie[20]. Il aimait Dans la façon dont Scipion et ses amis se conduisaient
envers la religion de leur pays, le même esprit se retrouve. Il était
difficile qu’elle pût tout à fait les contenter : leur maître, le philosophe
Panætius, se trouvait être précisément un des rares stoïciens qui fût mal
disposé pour les religions populaires, et les disciples suivaient sans doute
l’opinion du mettre. Un des personnages importants de ce groupe, le terrible
railleur Lucilius, qui attaquait si durement les hommes, n’épargnait pas
toujours les dieux. Ses traits tombaient quelquefois sur les inventions des Faunus et des Numa, c’est-à-dire
sur le culte national, et il se moquait de ceux qui le pratiquaient avec trop
de crédulité. Ils ressemblent, disait-il,
aux petits enfants qui croient que toutes les
statues de bronze sont vivantes et les prennent pour des hommes ; eux aussi
voient des réalités dans toutes ces fictions et supposent une âme cachée sous
ces formes d’airain. Exposition de peintres, mensonge et chimère que tout
cela ![22] C’est aussi tout
à fait un libre penseur que Polybe. Jamais historien n’a fait à Voilà sans doute ce que l’on pensait autour de Scipion, et l’on peut croire sans témérité que dans les vers de Lucilius et dans les appréciations de Polybe se retrouve la trace des entretiens de ces gens d’esprit. Cependant ceux d’entre eux qui étaient engagés dans les affaires se gardaient bien de paraître indifférents ou railleurs quand on discutait au forum et au sénat des questions religieuses. Ils affectaient, au contraire, de traiter avec le plus grand respect la religion de leur pays et s’opposaient de toute leur force aux innovations qui pouvaient l’ébranler. La première fois qu’on essaya de donner au peuple l’élection des prêtres, l’ami le plus cher de Scipion, Lælius, qui voyait les dangers de cette proposition, la combattit avec énergie, et il prononça à ce sujet un discours resté célèbre, où il faisait l’apologie du culte national. Cicéron ne pouvait pas le lire sans attendrissement, et il trouve que Lælius parle d’or quand il défend les institutions de Numa[25]. Ceux même qui, n’étant pas magistrats, pouvaient garder entièrement leur franc-parler, et que nous venons de voir en user volontiers, se ravisaient pourtant quelquefois et s’exprimaient d’un autre ton. Polybe blâme ses contemporains de rejeter les opinions que leurs pères avaient sur les dieux et sur l’autre vie[26], et Lucilius nous dit, quand il veut nous donner une mauvaise opinion de son temps : Personne ici ne respecte les lois, la religion ni les dieux[27]. Évidemment leur rôle est double et leurs sentiments changent suivant la situation qu’ils prennent ; comme citoyens ils se trouvent portés à défendre les institutions que comme hommes ils attaquent sans scrupule. Cette sorte de divorce entre les sentiments de la vie publique et ceux de la vie privée ne choquait alors personne, et l’on n’y trouvait aucune hypocrisie. Un magistrat, dans ses fonctions, devait avoir une attitude particulière, une façon de penser et de parler convenue ; il fallait qu’il parût ignorer certaines choses qu’il savait très bien, et qu’il exprimât des idées et des opinions qui n’étaient pas tout à fait les siennes : c’était l’usage et la règle. Tout le monde admirait les gens qui remplissaient ce rôle avec naturel ; on leur permettait, quand lita représentation était finie et qu’ils étaient rentrés chez eux, de dépouiller leur dignité et de faire comme Scipion et ses amis, qui se poursuivaient à coups de serviettes autour des tables, en attendant que le dîner fut prêt[28]. Il était naturel qu’on eût l’idée d’appliquer aux croyances religieuses cette distinction commode entre l’homme et le citoyen. Elle permettait d’unir ce qu’on devait à la stabilité de l’État avec ce qu’on croyait se devoir à soi-même. Grâce à elle, on pouvait se passer sans scrupule le plaisir de discuter et de raisonner de tout, qui était devenu très vif depuis qu’on étudiait la philosophie grecque. Cette autorisation qu’on accordait d’être incrédule chez soi, pourvu qu’on parût croyant en publie, mettait tout Io inonde à son aise. Il est bien difficile de nier l’existence des dieux, disait-on à un pontife. — Sans doute, répondait-il, devant le peuple assemblé ; mais dans un entretien familier, devant quelques personnes, il n’y a rien de plus simple[29]. Nous sommes seuls, disait un augure, nous pouvons chercher la vérité sans crainte[30] ; et il établissait que la divination n’existe pas. Un personnage important de l’époque de Marius, le grand pontife Scævola, voulait qu’on distinguât soigneusement la religion du citoyen — religio civilis — de celle des poètes, qui ne se composait que de fables, et de celle des philosophes, qui contenait des explications plus ou moins heureuses sur la nature et les attributs de Dieu. Un peut penser des deux dernières ce qu’on voudra ; mais il faut respecter l’autre[31]. Elle est, du reste, facile à contenter, elle n’exige que l’accomplissement minutieux des cérémonies ordonnées par les rituels sacerdotaux. Voilé quel était le dernier mot de la sagesse romaine au sujet de la religion. Si l’on veut apprécier ce que produisit ce système, il
faut chercher é connaître où en étaient é Rome les croyances religieuses vers
la fin de la république. Notre première idée pour le savoir est d’interroger
les œuvres de Cicéron, qui contiennent, comme on sait, toute la vie de son
temps. Malheureusement, les renseignements qu’elles nous donnent é ce propos
sont assez confus ; ils diffèrent suivant la nature de l’ouvrage où l’on va
les prendre. Cicéron semble changer de sentiment sur la religion avec le
public auquel il s’adresse. Ses discours, ses traités dogmatiques, sa
correspondance, qui nous le montrent successivement comme citoyen, comme
philosophe et comme homme, nous le font voir sous trois aspects divers. Dans
ses harangues judiciaires on politiques, quand il parle en homme d’État, il
tient é passer pour un croyant sincère. Il énumère complaisamment les
miracles qui ont annoncé la gloire de son consulat[32]. Son ennemi
Clodius ayant été tué au pied du mont Albain, où l’on adorait Jupiter, et
devant le temple de Il aimait pourtant beaucoup la philosophie, et sa
philosophie n’était pas de celles dont la religion romaine pût tirer un grand
avantage. Nous trouvons parmi ses œuvres un traité sur Mais ici nous nous trompons encore, sa correspondance nous
le prouve ; elle ne confirme pas l’opinion que ses discours ou ses ouvrages
philosophiques nous donnaient de lui, et nous la montre sous un troisième
aspect, différent des deux autres. Nous avons déjà dit que la religion n’y
tient aucune place, pas plus celle des philosophes que celle du peuple. Dans
ce millier de lettres, écrites à des personnages si divers et pour des
occasions si variées, il ne lui arrive jamais d’aborder, même en passant, les
questions qu’il avait proclamées les plus importantes de toutes et qui
devaient être, selon lui, la principale occupation d’un esprit sensé[41]. Il a vu périr
sa fille qu’il adorait, il a presque assisté à la ruine de son pays ; jamais
en ces tristes moments une idée religieuse n’a traversé son esprit, jamais il
n’a cherché à oublier les amertumes de la vie présente par les perspectives
de la vie future. Quand la fin approche, il n’a pas d’autres consolations à
offrir à lui ou aux autres que celles des épicuriens qu’il a si vivement
combattus. Heureux, dit-il, nous devons mépriser la mort ; malheureux, il nous faut la
souhaiter, car il ne reste plus aucun sentiment après elle[42]. Ces nobles
espérances d’immortalité dont il a rempli ses ouvrages ne lui reviennent
jamais à la pensée dans ses malheurs ou dans ses périls. Il semble ne les
avoir exprimées que pour le public et n’en fait pas d’usage lui-même ; elles
sont restées dans ses livres et ne paraissent pas avoir pénétré dans sa vie.
Celui que nous avons vu tour à tour serviteur respectueux des dieux de son
pays et partisan passionné des doctrines philosophiques de Les contemporains de Cicéron lui ressemblent ; on retrouve
chez eux les mêmes contradictions que nous avons signalées dans ses ouvrages,
et elles aboutissent au même résultat, l’indifférence. On ne peut pas dire
sans doute que la vieille religion n’eut pas conservé de fidèles ; les femmes
surtout en pratiquaient pieusement toutes les cérémonies. Cicéron mande à son
ami Atticus que sa grand’mère est morte du déplaisir que lui- causait son
absence et de la frayeur qu’elle avait eue que
quelque accident n’empêchât de célébrer les fêtes de Jupiter[43]. On sait que la
femme de Cicéron, Terentia, était très dévote et que son mari la chargeait de
faire pour lui des sacrifices à Esculape quand il était guéri rie quelque
malaise[44].
Il se trouvait aussi des hommes, et probablement en grand nombre, qui
restaient attachés aux croyances anciennes. Appius était un augure convaincu,
plein de confiance dans les poulets sacrés[45]. Lentulus, le
complice de Catilina, qui s’était chargé de mettre le feu à Rome, croyait aux
oracles de la Sibylle[46]. Milon, comme un
brigand italien de nos jours, fit nu veau avant de tuer Clodius, et s’en
acquitta dévotement lorsque son ennemi fut mort[47]. Quand Marius,
pour ne pas assister au retour de Metellus, son ennemi, que le peuple
rappelait à Rome, partit pour l’Asie, il feignit d’aller faire un pèlerinage
au temple de Voilà quelles furent les conséquences de cette séparation
qu’on avait voulu établir entre la religion du citoyen et celles des
philosophes ou du peuple. On avait cru que, pour sauver les anciennes
institutions, il suffisait de les mettre à part du reste, et qu’on pouvait
sans danger permettre de penser et de dire des dieux ce qu’on voulait, à la
condition d’accomplir exactement les cérémonies consacrées ; tandis qu’on
poursuivait un grand personnage, M. Æmilius Scaurus, pour avoir négligé
quelques sacrifices[56], on laissait
César, grand pontife, nier impunément l’immortalité de l’âme devant le sénat.
On en était ainsi venu à une sorte de formalisme vide, qui, n’étant soutenu
par rien, devait un jour ou l’autre s’effondrer. Quand les gens sages, que la
philosophie grecque avait instruits de leurs devoirs, entendaient vanter
cette piété des conservateurs romains, qui consistait à sacrifier à des dieux
auxquels on ne croyait plus, ils répondaient : La
piété, ainsi que les autres vertus, ne peut pas consister en de vains dehors[57], et comme il
leur coûtait de se rendre complices de ce mensonge, ils ne sacrifiaient plus
qu’avec négligence. On s’était trompé quand on avait espéré qu’en isolant les
pratiques de toute réflexion et de toute croyance, on pourrait les faire
durer plus longtemps : des rites qui ne disent rien à l’esprit ni à l’âme
cessent bientôt d’être régulièrement accomplis. Cicéron regardait le maintien
des auspices comme nécessaire au salut de |
[1] C’est ce que fait entendre le consul Decius quand il dit : Deorum magis quam nostra causa expetimus ut quos privatim colimus publice colamus. (Tite-Live, X, 7.)
[2] Tite-Live, XXII, 9.
[3] Valère Maxime, I, 6, 4.
[4] De Rep., II, 19.
[5] Aulu-Gelle, XVIII, 21, 45.
[6] Asur., II, 1, 11.
[7] Persa, II, 3, 1.
[8] Annales, XI, 2. (éd. Valhen) : Contendunt Græcos Graios memorare solent ses.
[9] Cicéron semble le dire : (Evhemerus).., quem noster et interpretatus et seculus est Ennius (De nat. deor., I, 42).
[10] Ennius, Telamo (Ribbeck, p. 44).
[11] De div., II, 50.
[12] Rhet. ad Herenn., II, 13.
[13] Pacuvius, Paulus, I. Attius, Decius, 4, édit. Ribbeck.
[14] Attius, Brutus, 1 et 2.
[15] Cicéron, De divin., I, 18.
[16] Ennius, Telamo, 2. Attius, Astyanax, 4. Dans ce dernier passage, les devins qu’on raille sont appelés augures, comme ceux de Rome.
[17] Tite-Live, XL, 29. Pline, Hist. nat., XIII, 18 (27).
[18] Tite-Live, XXIX, 8.
[19] S. Augustin, De civ. Dei, IV, 81.
[20] Mommsen, Hist. rom., liv. IV, ch. 2.
[21] Polybe, XXXIX, 8.
[22] Lucilius, XV, 2 (édit. L. Müller).
[23] XXXVII, 4.
[24] VI, 56.
[25] De nat. deor., III, 17 : aurcola oratio.
[26] VI, 56.
[27] Fragm. incert., 78 (édit. L. Müller).
[28] Horace, Satires, II, 1, 72, et la note d’Acron sur ce passage.
[29] Cicéron, De nat. deor., I, 22.
[30] Cicéron, De Div., II, 12.
[31] S. Augustin, De civ. Dei, IV, 27.
[32] Catalil., III, 8.
[33] Pro Milon, 31.
[34] De har. resp., 8.
[35] De div., II, 33.
[36] De Nat. deor., III, 4.
[37] De Nat. deor., III, 8.
[38] De divin., I, 2.
[39] De nat. deor., I, 9.
[40] De nat. deor., I, 2.
[41] De nat. deor, II, 1.
[42] Ad fam., V, 16. Voyez aussi VI, 21, 3.
[43] Ad Att., I, 8.
[44] Ad fam., XIV, 7.
[45] Cicéron, De leg., II, 13. Appius évoquait aussi les morts.
[46] Cicéron, Catilinaires, III, 5.
[47] Asconius, Schol. Cicéron, édit. Orelli, II, p.41.
[48] Plutarque, Marius, 81.
[49] Plutarque, Sylla, 29. Plutarque raconte une histoire plaisante à propos de ce vol fait à Delphes. Sylla avait envoyé pour prendre le trésor le Locrien Caphis, qui hésita beaucoup à commettre ce sacrilège. Caphis écrivit à Sylla qu’un miracle s’était produit et qu’on avait entendu résonner la lyre d’Apollon. Sylla lui répondit que c’était la preuve que le dieu était enchanté qu’on lui prit son argent. (Plutarque, Sylla, 12.
[50] Ménippe Fragm., p. 113, édit. Riese.
[51] Cicéron, De div., I, 19.
[52] Plutarque, Marius, 17.
[53] Cicéron, In Vatinius, 6.
[54] Lucrèce, V, 1166.
[55] In Pisonem, 16.
[56] Meyer, Orat. Rom. fragm., p. 250. Il faillit être condamné.
[57] Cicéron, De natura deorum, I, 2 : In specie fictæ simulationis, sicut reliquæ virtutes, pietas inesse non potest.
[58] Cicéron, De divin., II, 34. Denys d’Halicarnasse, II, 6.
[59] Varron, De Ling. lat., V, 49. Cicéron, De har. resp., 15.
[60] Cicéron, De orat., III, 33.
[61] S. Augustin, De civ. Dei, VI, 2.