La religion romaine, quoiqu’elle ait beaucoup changé, n’a jamais entièrement perdu la marque de ses origines on retrouve chez elle, à tous les moments de sa longue existence, non seulement les mêmes rites, mais un fonds de croyances semblables, une certaine façon de comprendre les rapports de Dieu avec l’homme et le culte qu’il faut lui rendre, qui sont sa nature même, et qu’elle tient évidemment des peuples auxquels elle doit sa naissance. Aussi convient-il, même quand on ne se propose pas de l’étudier dans son ensemble et qu’on ne prétend embrasser qu’une partie de sa durée, de faire d’abord un retour rapide sur la passé. On connaîtrait mal l’époque dont on va spécialement s’occuper, si on l’isolait tout à fait du reste. Commençons donc, avant de chercher ce que la religion romaine est devenue pendant les premiers siècles de l’empire, par jeter au moins un regard en arrière, et disons quelques mots de ces caractères primitifs et persistants qu’elle avait à ses premières années, qu’elle a gardés jusqu'à la fin et qui la distinguent des autres. — I —La religion primitive des Italiens, dans ses croyances essentielles, ressemblait à celle des autres nations indo-européennes. Ils adoraient les forces de la nature, favorables ou nuisibles, et se les figuraient comme des êtres animés, de sexe différent, dont les rivalités se reproduisent dans les luttes des éléments, et dont l’union explique l’éternelle fécondité du monde. C’est aussi le fond de la religion des Grecs ; mais celle des Italiens portait l’empreinte des peuples qui l’avaient faite. Ces peuples étaient en général graves, sensés, prudents, fort préoccupés des misères de la vie présente et des dangers de l’avenir. Comme ils étaient plus naturellement portés vers la crainte que vers l’espérance, s’ils respectaient beaucoup loure dieux, ils les redoutaient encore davantage, et le culte qu’ils leur rendaient consistait surtout eu supplications timides et en expiations rigoureuses. Leur Imagination manquait d’abondance et d’éclat : aussi n’ont-ils rien créé qui ressemble au riche développement de légendes poétiques qu’on admire chez les Grecs. Les leurs sont pauvres et natives ; nées dans les rudes labeurs de la vie agricole, elles ont souvent un caractère étrangement prosaïque. Elles manquent surtout da variété : dans les diverses villes, les mêmes histoires se retrouvent, appliquées à des dieux différents. Le héros fondateur ou bienfaiteur de la cité est d’ordinaire quelque enfant de naissance merveilleuse, fils du dieu Lare qui protège quelque famille illustre, conçu prés du foyer de cette famille, quelquefois d’une étincelle qui s’en est échappée[1]. Quand il est jeune, un miracle révèle sa grandeur future ; ce miracle est partout le même, c’est une flamine qui brille autour de sa tête sans la consumer[2]. Pendant sa vie, il est sage, piteux, rangé ; il fait des lois équitables, il enseigne le respect des dieux et de la justice. Après quelques exploits utiles, il disparaît tout d’un coup, on cesse de le voir[3], sans qu’on puisse bien dire de quelle manière il s’est évanoui. Il est sans doute allé se perdre dates le sein de la grande Divinité dont tout émane ici-bas (divus Pater Jupiter) ; il se confond avec elle, il perd son nom mortel et prend désormais celui du dieu dans lequel il s’absorbe. C’est ainsi qu’on honora Énée après sa disparition sous le nom de Jupiter Indiges, et Latinus sous celui de Jupiter Latiaris. L’Italie avait donc été assez peu féconde en inventions
religieuses ; ce mélange de peuples italiens, qui donna naissance à freine,
fut plus pauvre encore. Rome se contenta de prendre les croyances des nations
diverses dont elle était sortie, en essayant de les unir et de les accorder
ensemble : elle n’éprouva pas le besoin d’en créer de nouvelles. La seule
innovation qu’on lui attribue, c’est d’avoir inscrit sur des registres
appelés indigitamenta la liste des dieux qui
sont affectés à chaque événement de la vie de l’homme depuis sa conception
jusqu’à sa mort, et de ceux qui pourvoient à ses besoins les plus
indispensables, comme la nourriture, la demeure, le vêtement[4]. Ils y étaient
rangés dans un ordre régulier, avec quelques explications sur le nom qu’ils
portent et la formule des prières qu’il convient de leur adresser. Les dieux
des Indigitamenta ont un caractère
particulier et entièrement romain ; je ne crois pas qu’on en trouve ailleurs
qui soient tout à fait semblables. Sans doute on a éprouvé dans d’autres pays
le besoin de mettre les principaux actes de la vie sous la protection divine,
mais d’ordinaire on choisit pour cet office des dieux connus, puissants,
éprouvés, afin d’être sûr que leur secours sera efficace. C’est la grande
Athénée, c’est le sage Hermès qu’on invoque en Grèce, pour que l’enfant
devienne habile et savant. A Route, on a préféré des dieux spéciaux, créés
pour cette circonstance même et qui n’ont pas d’autre usage : il y a celui
qui fait pousser à l’enfant son premier cri (Vaticanus),
et celui qui lui fait prononcer sa première parole (Fabulinus)
; l’un et l’autre ne font pas autre chose et ne sont invoqués qu’en cette
occasion. Aussi ne portent-ils en général d’autre nom que celui de leurs
fonctions mêmes, comme si l’on voulait faire entendre qu’ils n’ont pas d’existence
réelle en dehors de l’acte auquel ils président. Leur compétence est
extrêmement bornée ; l’action la plus simple donne souvent naissance à
plusieurs divinités. Quand l’enfant est sevré, il y en a une qui lui apprend
à manger (Educa), une autre qui lui apprend à boire (Potina)
; une troisième le fait tenir tranquille dans le petit lit où il repose (Cuba).
Lorsqu’il commence à marcher, quatre déesses sont chargées de protéger ses
premiers pas ; deux l’accompagnent quand il sort de la maison, deux le ramènent
quand il y rentre (Abeona et Adeona ; Iterduca et Pomiduca).
Les listes étaient donc interminables et les noms multipliés à l’infini. Les
pères de l’Église s’égayent beaucoup de cette
populace de petits dieux condamnés à des emplois infimes, et les
comparent à ces ouvriers qui divisent entre eux la besogne pour qu’elle soit
plus vite faite. Il n’en est pas moins très curieux de les étudier : ce sont
après tout les dieux les plus originaux de home. Elle n’avait pas subi encore
l’influence souveraine de Ce qui frappe d’abord, c’est de voir combien tous ces
dieux sont peu vivants. On n’a pas pris la peine de leur faire une légende,
Ils n’ont pas d’histoire. Tout ce qu’on sait d’eux, c’est qu’il faut les
prier à un certain moment et qu’ils peuvent alors rendre service. Ce moment
passé, on les oublie. Ils ne possèdent pas du nom véritable ; celui qu’on leur
donne ne les désigne pas eux-mêmes, il indique seulement les fonctions qu’ils
remplissent. On a remarqué qu’ordinairement ce nom à la forme d’une épithète
; il est donc probable qu’il ne s’est pas toujours employé seul et que ce
n’était d’abord qu’un simple attribut. On en peut conclure avec beaucoup de
vraisemblance que dans l’origine il qualifiait une divinité puissante, ou
même C’est, du reste, le caractère général de la religion
romaine, et les dieux de Rome ont toujours un peu ressemblé à ceux des Indigitamenta. La dévotion de l’Italien était plus
timide ou plus respectueuse que celle du Grec ; il se tenait plus loin de ses
dieux, il n’osait pas les aborder, il aurait craint de fixer sur eux ses
regards. Si le Romain se voile la figure lorsqu’il accomplit quelque acte
religieux, ce n’est pas seulement, comme le prétend Virgile[7], de peur d’avoir
des distractions pendant qu’il prie, c’est surtout pour ne pas tare exposé à
voir le dieu qu’il invoque. Il sollicite sa présence, il veut le savoir près
de lui, écoutant ses veaux pour les exaucer, mais il serait plein d’épouvante
si son œil le rencontrait. Garde-nous,
dit Ovide dans la prière qu’il adresse à Palès[8], de voir les Dryades, ou le bain de Diane, ou Faunus quand
il parcourt les champs au milieu du jour ; et jusqu’à la fin du
paganisme, le paysan romain eut grande peur, quand il rentrait le soir chez
lui, de trouver quelque Faune sur son chemin[9]. Il résulte de
cette timidité de l’Italien que, n’osant pas regarder ses dieux en face, il
ne les voit que confusément. Ils n’ont pas pour lui des formes arrêtées, il
se les représente par des symboles plutôt que par des images : ici c’est sous
la forme d’une lance plantée en terre qu’on adore le dieu Mars, ailleurs une
simple pierre figure le grand Jupiter. Selon Varron, Rome est restée 170 ans
sans avoir de statues[10] ; l’idée d’en
placer dans ses temples lui vint de l’étranger : c’est pour imiter l’Étrurie
qu’elle installa dans son Capitole ce Jupiter de bois peint, dont on
rafraîchissait les couleurs la veille des fêtes pour qu’il y parût dans tout
son éclat. Ces anciennes habitudes ne se sont même jamais tout à fait
perdues ; elles se conservaient dans les campagnes, où les paysans
honoraient les dieux en couvrant de bandelettes de vieux troncs d’arbres et
en versant pieusement de l’huile sur des blocs de pierre[11]. A Rome même,
tandis que tous les temples se remplissaient des chefs-d’œuvre de Il est donc probable que, si Rome n’avait pas connu — II —Ce peuple timide, scrupuleux, effrayé, qui pour protéger
l’homme éprouvait le besoin de l’entourer de dieux depuis sa naissance
jusqu’à sa mort, qui avait un sentiment si profond de La religion romaine, si puissante, si respectée qu’elle frit, devait subir le même joug. Elle a donc été soumise à l’État, on plutôt elle s’est confondue avec lui. Ce qui certainement a le plus aidé à ce résultat, c’est la manière dont se recrutaient les sacerdoces. Nos aïeux, dit Cicéron[18], n’ont jamais été plus sages ni mieux inspirés des dieux que lorsqu’ils ont décidé que les mêmes personnes présideraient à la religion et gouverneraient la république. C’est par ce moyen que magistrats et pontifes, remplissant leurs charges avec sagesse, s’entendent ensemble pour sauver l’État. A Rome, les dignités religieuses n’étaient pas séparées des fonctions politiques, et il n’y avait rien d’incompatible entre elles[19]. On devenait augure ou pontife en même temps que préteur ou consul, et pour les mêmes motifs. Personne ne demandait à ceux qui voulaient l’être des connaissances spéciales ou des dispositions particulières ; il suffisait, pour arriver à ces charges comme aux autres, d’avoir servi son pays dans les assemblées délibérantes où sur les champs de bataille. Ceux qui lors obtenaient ne prenaient pas en les exerçant cet esprit étroit et exclusif qui est ordinaire aux castes sacerdotales ; ils continuaient à être mêlés au monde, ils siégeaient au sénat en même temps que dans ces grands collèges de prêtres dont ils faisaient partie ; leurs fonctions nouvelles, loin de les enlever au gouvernement de leur pays, leur donnaient plus de droit d’y prendre part. Ces soldats, ces politiques, ces hommes d’affaires, appliquaient aux choses religieuses ce bon sens froid et pratique qui les distinguait dans tout le reste. C’est grâce à eux qu’un large courant laïque circula toujours dans la religion romaine, que pendant toute la durée de la république et de l’empire aucun conflit ne s’est élevé entre elle et l’État, et que le gouvernement de Rome, malgré toutes ces démonstrations de piété dont il est prodigue, n’a jamais été menacé de devenir une théocratie. Leur influence se fait sentir dans toutes les institutions religieuse à de Rome. Des gens habitués comme eux à exercer le pouvoir civil savent bien que la loi ne règle que les actions et qu’elle ne peut atteindre les pensées. Aussi sont-ils plus occupés à prescrire des pratiques qu’à imposer des croyances ; ils établissent des sacrifices et des cérémonies, ils ne songent pas à instituer des dogmes. La religion, telle qu’ils l’ont faite, se réduit au culte ; mais ce culte est encombré de menus détails, et aucun d’eux ne peut être omis. Les pontifes sont aussi des jurisconsultes[20] ; l’étude du droit leur a donné certaines habitudes dont ils ne se départent jamais, ils n’ont pas deux façons de procéder, et ils ont fait les lois divines sur le modèle des lois humaines. Dans les unes et les autres, la forme est tout. C’est, du reste, le génie de ce peuple de regarder toujours à la forme plus qu’au fond, et d’être esclave de la lettre. Tite-Live raconte que des soldats révoltés qui éprouvaient quelque remords de manquer au serment qu’ils avaient prêté à leurs généraux songèrent à les tuer pour mettre leur conscience à l’aise ; ils pensaient qu’une fois qu’ils seraient morts, on ne serait plus tenu de leur être fidèle[21]. Tout sacrifice, pour être efficace, doit donc être fait selon les rites, et l’unique souci de celui qui prie est de se conformer exactement à la loi religieuse. Il est vrai que cette loi est si exigeante et si compliquée, que l’exactitude n’est pas tout à fait sans mérite. Quand on a quelque faveur à demander au ciel, il faut d’abord s’enquérir du dieu auquel on doit s’adresser pour l’obtenir. C’est déjà un assez grand embarras : on est exposé à ne pas se reconnaître dans un Olympe si peuplé ; il est pourtant, selon Varron, aussi utile de savoir quel dieu pourra venir à notre aide, quo d’être informé de l’endroit où demeurent le boulanger et le charpentier, quand nous avons besoin d’eux. Il faut donc être instruit de la spécialité de chacun des immortels et des fonctions diverses qu’ils remplissent, afin de ne pas imiter par ignorance les comédiens qui, pour faire rire la foule, affectent de demander du vin aux Nymphes et de l’eau à Bacchus[22]. Il ne suffit pas de connaître les attributs du dieu qu’on veut prier, il est bon de lui donner son nom véritable, celui sous lequel il lui plait d’être invoqué : si on lui en donnait un autre, il serait capable de ne pas entendre ou de mal écouter. Or, c’est une science très difficile que de saloir le vrai nom des dieux, et il y a des théologiens qui prétendent que tout le monde l’ignore[23]. Sur cette matière il règne tant d’incertitude que, même quand on Invoque le plus grand d’entre eux, celui qui devrait être le mieux connu, on lui dit : Puissant Jupiter, ou quelque soit le nom que tu préfères[24]. Le nom du dieu trouvé, il faut savoir les termes exacts de la prière qu’il convient de lui adresser. Les Romains supposent que les dieux ressemblent au préteur, et que devant eux, comme devant les juges, on perdra son procès, si la requête qu’on leur présente n’est pas dans les formes. Quand on ignore ce qu’il faut leur dire, on va le demander aux pontifes[25]. Ce sont des jurisconsultes sacrés institués précisément pour veiller au maintien scrupuleux de tous les détails du culte. Ils ont des livres où tout est prévu et qui contiennent des prières pour toutes les occasions. Ces prières ressemblent beaucoup aux formules de la jurisprudence. Les gens de l’Orient, habitués à s’abandonner à l’élan de leur cœur quand ils prient, les trouvent diffuses et prolixes. N’affectez pas, dit saint Matthieu (VI, 7), de parler beaucoup dans vos prières, comme font les païens, qui s’imaginent que c’est par la multitude des paroles qu’ils méritent d’être exaucés. Cette abondance de paroles, remarquable surtout dans les rituels de la religion romaine, vient du besoin d’être clair. Le Romain qui prie a toujours peur de ne pas bien exprimer ce qu’il veut dire ; il a soin de répéter plusieurs fois les choses pour être parfaitement compris. Comme il veut ne laisser place à aucune équivoque, il n’hésite pas de préciser sa pensée par des moyens matériels. Quand il dédie un temple, il en tient la porte ; il touche la terre toutes les fois qu’il prononce le mot tellus, il lève les bras au ciel quand il parle de Jupiter et se frappe la poitrine lorsqu’il est question de lui[26]. Si les dieux ne le comprennent pas, ce sera vraiment leur faute. Dans ses rapports avec eux, comme dans tout le reste, il est à la fois respectueux et prudent[27]. Il cherche surtout à ne pas trop s’engager ; il tient à ne laisser aucun doute sur les promesses qu’il fait, de peur d’être obligé de donner plus qu’il ne voudrait. Si l’on oubliait de dire, quand on a fait à quelque dieu une libation de vin nouveau : Soyez gratifié de ce vin que je vous apporte (mactus hoc vino infero esto), il pourrait croire qu’on lui promet tout le vin qui est dans la cave, et il faudrait le lui donner[28]. Les moindres paroles ont donc beaucoup d’importance. Pour un seul mot passé, une ville s’impose des dépenses considérables et recommence des jeux coûteux. Aussi celui qui prie ne se fie-t-il pas à sa mémoire ; il a souvent deux prêtres auprès de lui, l’un qui lui dicte la formule qu’il doit prononcer, l’autre qui suit sur le livre pour s’assurer qu’on n’omet rien en la répétant[29]. Quant aux dispositions de l’âme qu’il faut apporter à la prière, la religion romaine ne s’en occupe pas ; elle s’arrête aux pratiques. Pour elle les gens les plus religieux sont ceux qui connaissent le mieux les rites et qui savent honorer les dieux d’après les lois du pays[30]. La piété consiste surtout à se présenter dans leur temple avec le vêtement qui convient et à garder devant eux l’attitude prescrite. Les dieux aiment qu’on soit pur, dit un poète ; venez les trouver avec un vêtement sans tache[31]. Non seulement la religion romaine n’encourage pas la dévotion, mais on peut dire qu’elle s’en méfie. C’est un peuple fait pour agir ; la rêverie, la contemplation mystique lui sont étrangères et suspectes[32]. Il est avant tout ami du calme, de l’ordre, de la régularité : tout ce qui excite et trouble les âmes lui déplaît. Le père de famille selon le cœur de Caton est assurément religieux. Il invoque d’abord ses Lares, quand il arrive à sa farine ; tous les travaux des champs s’ouvrent chez lui par des prières ; il offre avant la moisson la porca præcidanea à Cérès ; il immole au printemps un porc, une brebis et un taureau (suovetaurilia) pour purifier ses champs ; il donne deux fois par an un dîner à Jupiter dapalis ; il fait des sacrifices à Mars Silvanus pour ses bœufs, et il commence toujours par demander humblement pardon aux dieux inconnus qui habitent un bois sacré quand il lui en faut émonder les arbres[33]. Mais il se garde bien de pousser ses gens à la dévotion. Il craint sans doute qu’ils ne négligent un peu leur maître, s’ils s’occupent trop des dieux. Que l’esclave fermier, dit Caton, ne célèbre d’autre fête que celle des Compitalia ; qu’il se garde de consulter jamais ni haruspice, ni augure, ni chaldéen, ni devin d’aucune sorte[34]. Quant à la fermière, il lui est expressément défendu de faire par elle-même aucun sacrifice ou de charger quelqu’un de le faire à sa place, à moins qu’elle n’en ait reçu l’ordre de son maître ou de sa maîtresse. Sachez, ajoute Caton, que c’est le maître qui sacrifie pour toute la maison[35]. La religion romaine, comme toutes celles où domine l’esprit laïc, diminue le rôle du prêtre. Le père de famille, on vient de le voir, prie pour les siens ; de même, dans les circonstances graves, le consul s’adresse directement aux dieux de l’État. Ses prières, pour arriver jusqu’au ciel, n’ont pas besoin de passer par l’intermédiaire d’un prêtre. Sans doute il est entouré d’augures et de pontifes, mais ils ne sont chargés que d’indiquer à l’officiant les rites à observer et de lui dicter les formules. On a dit avec raison qu’ils ne figurent dans les solennités publiques qu’en qualité de maîtres des cérémonies[36], encore prend-on toute sorte de précautions pour qu’ils ne soient pas tentés d’exagérer leur importance et d’empiéter sur les droits du magistrat civil. D’ordinaire rien n’enflamme plus les esprits populaires et ne cause plus d’attente ou de terreur que les prédictions de l’avenir : l’annonce d’une grande calamité, l’espérance d’une heureuse fortune à laquelle on ne s’attend pas, peuvent faire naître chez un peuple de ces mouvements subits contre lesquels il n’y a pas de freins. Rome y a mis bon ordre. La divination qu’elle pratique, la seule qu’elle reconnaisse officiellement, n’est pas véritablement une façon de prévoir ce qui doit arriver, mais une simple consultation pour savoir si les dieux sont favorables ou contraires à l’entreprise qu’on prépare. lis en ont fait une science froide, méthodique, compliquée, qui ne laisse rien à l’imprévu ni à l’inspiration, et qui serait beaucoup plus capable d’arrêter l’élan des Ames que de l’exciter. Toutes les rois qu’on élit des magistrats ou qu’on va prendre une décision importante, quand en est sur le point de commencer une guerre ou de livrer une bataille, les augures observent les oiseaux d’après les rites prescrits, pour connaître la volonté des dieux, mais ils ne peuvent le faire que par l’ordre lies consuls. Les autres sortes de devins, notamment les haruspices, qui prédisent l’avenir par l’inspection de la foudre, ne sont que tolérés, et l’on affecte de tenir leur art en fort petite estime, même quand on ne dédaigne pas de s’en servir. Dans tous les cas on a voulu les mettre tout à fait dans l’impossibilité de nuire : une loi défend de révéler aucun oracle au peuple sans l’autorisation du sénat[37]. Ainsi la religion romaine évite avec soin tout ce qui peut être une cause d’agitation. Contrairement à ce qui arrive dans les autres cultes, elle cherche plutôt à calmer l’émotion intérieure qu’à l’exciter. Elle fait un devoir d’être silencieux quand on assiste aux cérémonies sacrées, mais le mot de silence a pour elle une signification bien plus large que pour nous ; non seulement elle ne permet pas qu’on parle, mais elle défend même de penser[38]. Elle a tout fait pour rendre la prière aussi froide que possible ; elle la dépouille de la liberté qui en est l’âme, et ne veut pas permettre à la reconnaissance et à la piété d’employer les expressions qui leur conviennent ; elle leur impose une formule à laquelle on ne doit rien changer et dont il faut se servir même quand on ne la comprend plus. Torts les ans, les frères Arvales, quand ils célébraient leur grande fête, se faisaient remettre un papier sur lequel était écrit un vieux chant des premières années de Rome, auquel ils n’entendaient rien depuis des siècles ; ce qui ne les a pas empêchés de le répéter fidèlement presque jusqu’à la fin de l’empire. Ces caractères de la religion romaine sont parfaitement
exprimés par le nom qui la désigne ; les critiques anciens dérivent en
général ce nom (religio) de la même racine qui a produit
les mots diligens et diligentia ; ils pensent qu’à l’origine il
voulait dire simplement exactitude et régularité[39]. Ces qualités,
on vient de le voir, étaient les seules qu’on exigeait alors des gens religieux.
Les Romains ont une façon particulière de comprendre les rapports de l’homme
avec Cette réserve prudente, ce désir d’éviter à l’âme les émotions qui la troublent, ont inspiré aux Romains les précautions infinies qu’ils prennent pour rassurer les consciences et les délivrer de leurs scrupules. Les pratiques étaient si nombreuses et si compliquées dans ce culte formaliste, qu’il était difficile, quelque peine qu’on se donnât, de n’en oublier aucune ou de ne pas commettre quelque erreur en les accomplissant. Les gens timorés ne devaient s’approcher des autels qu’avec effroi ; aussi disait-on souvent que la religion et la peur sont inséparables[45]. On a fait à Rome beaucoup d’efforts pour les séparer. Toutes les difficultés qui pouvaient inquiéter les esprits timides étaient ordinairement résolues par les théologiens dans un sens large et libéral. Ils avaient à leur usage une casuistique commode qui donnait le moyen de se tirer aisément d’affaire dans les cas embarrassants. On sait, par exemple, que la religion romaine reconnaissait un grand nombre de fêtes pendant lesquelles il était interdit de rien faire ; ces jours-là, le laboureur devait demeurer oisif, le bœuf restait dans l’étable auprès d’une crèche bien garnie, et la terre aussi avait droit à se reposer. ]liais ce repos, s’il eût été absolu, pouvait gêner ou compromettre les travaux des champs ; on s’appliqua, dans la pratique, à le restreindre autant que possible, L’autorité religieuse elle-même fut complaisante et fournit les moyens d’éluder la loi. On demandait au pontife Scæyola ce qu’il était permis de faire pendant les féries, il répondit : Tout ce qui ne peut-être négligé sans nous causer un dommage[46]. C’était, pour un pontife, ne pas se montrer bien rigoureux. Comme chacun était laissé juge dans sa cause, on ne devait jamais manquer de bonnes raisons pour se prouver à soi-même qu’un travail était nécessaire, et se donner le droit de le faire même un jour de fête. On décida d’abord qu’on pouvait sans crime retirer son bœuf d’une fosse quand il y était tombé, ou étayer une maison qui menaçait ruine : rien n’était plus naturel ; plus tard, on s’accorda la permission de curer les fossés, sous prétexte de prévenir l’inondation des prairies, de baigner les troupeaux pour les empêcher d’être malades, ou même de finir un ouvrage commencé, parce qu’il pouvait se détériorer s’il était interrompu[47]. Il faut avouer qu’avec ces réserves la loi du repos ne devait être un embarras pour personne. Dans cette religion qui se piquait de tout prévoir d’avance, on avait fixé les jours où il était permis et ceux où il était défendu de livrer bataille. Ces proscriptions pouvaient être fort gênantes à la guerre si on les avait respectées, mais on trouva moyen de les rendre inutiles. Le soldat romain n’a jamais ressemblé au Juif, qui avait tant de répugnance à prendre les armes le jour du sabbat ; il ne se demandait pas, en présence de l’ennemi, s’il avait le droit de se battre, et il no lui venait pas de scrupule à l’esprit quand le consul donnait le signal du combat. D’ailleurs les théologiens avaient décidé que lorsqu’on est attaqué, tous les jours sont bons pour sauver sa vie et défendre l’honneur de son pays[48]. C’est bien ce que devaient penser ecce que devaient dire ces pontifes qui étaient généraux et hommes d’État en même temps qua prêtres. Le même esprit se retrouve partout. Rien ne causait plus de trouble et d’anxiété aux consciences timides que ces conseils ou ces ordres qu’à tout moment elles croyaient recevoir des dieux. Une parole d’un devin, dit Cicéron, l’inspection d’une victime, un mot qu’on entend dire, un oiseau qu’on voit passer, un chaldéen ou un haruspice qu’on rencontre, l’éclair qui brille, le tonnerre qui retentit, la vue d’un objet frappé de la foudre, le fait le plus insignifiant, le plus ordinaire, quand il nous semble prédire quelque chose, tout sert à nous épouvanter, et il ne nous est pas possible de goûter un moment de calme. Il semble que le sommeil devrait être pour nous une sorte d’asile où nous nous reposerions de nos peines et de nos fatigues, et c’est pendant le sommeil que prennent surtout naissance nos soucis et nos terreurs[49]. Il faut accorder cette justice aux théologiens romains, qu’ils ont tout fait pour rendre ces préoccupations plus légères. Ils ont d’abord établi comme une règle qu’on ne doit pas ajouter foi du premier coup à ce qui semble être un avis des dieux. Il est bon d’attendre, pour y croire, qu’il ait été plusieurs fois répété ou qu’il s’appuie sur d’autres signes non moins manifestes de leur volonté[50]. C’est une sage défiance qui nous empêchera souvent d’être trompés. De plus, il est nécessaire, pour qu’une indication donnée par le ciel soit valable, qu’elle ait été aperçue par celui à qui elle s’adresse ; s’il se tient chez lui ou qu’il ferme les yeux à propos, les dieux ne peuvent rien lui faire savoir, et il reste libre d’agir comme il l’entend. Quand Marcellus était bien décidé à tenter quelque entreprise, il ne voyageait plus qu’en litière fermée pour n’être pas gêné par les auspices[51]. Mais, en supposant même que la volonté des dieux soit manifeste et que celui qu’elle concerne en ait été informé, il lui reste encore un moyen de n’y pas obéir. La théologie romaine déclare qu’un auspice, quand il n’a pas été positivement demandé aux dieux, peut être refusé ; celui qui l’aperçoit par hasard est libre de ne pas le prendre pour lui, et l’avertissement que le ciel lui envoie n’a d’effet que s’il consent à l’accepter[52]. Voilà la vie humaine délivrée d’un grand fardeau, et Pline à bien raison de dire que les dieux n’ont jamais donné aux hommes une plus grande marque de leur bonté[53]. Il y a d’autres soucis qui pourraient aussi troubler les fidèles et dont les théologiens les débarrassent sans pins de façons. Par exemple, il ne faut pas qu’ils se tourmentent outre mesure des fautes qu’il n’est pas en leur pouvoir d’éviter. Lorsque Caton se lève au milieu de la nuit pour prendre les auspices, il sait que le silence le plus rigoureux est ordonné, et il se garde bien d’ouvrir la bouche. Mais, nous dit-il, parmi les esclaves et les servantes, si quelqu’un dit un mot sous sa couverture et que je ne m’en aperçoive pas, je n’en suis pas responsable[54], et l’auspice n’en est pas moins régulier. Pendant, la guerre des Samnites, le consol Papirius trouva un jour une bonne occasion de vaincre l’ennemi. Les soldats brillaient de combattre, et le pullarius, qui partageait leur ardeur, vint annoncer au général que les poulets sacrés donnaient les signes les plus propices et qu’on pouvait entamer sans crainte la bataille. Au moment où elle allait commencer, on apprit à Papirius qu’au contraire les poulots n’avaient pas voulu manger et que le pullarius avait menti. C’est son affaire, répondit-il ; s’il a menti, il en portera la peine. Quant à moi, on m’a annoncé que les auspices étaient favorables, et je les tiens pour tels. En effet, le pullarius fut tué dès le début du combat et Papirius remporta la victoire[55]. Il est vraiment curieux de voir quel parti les Romains ont su tirer de ce qui était la plus grande imperfection de leur religion ; ce respect étroit de la lettre, qui est en tout leur tendance, leur a fourni souvent des moyens commodes de sa mettre en règle avec leurs dieux. Quand la rituel ordonnait de leur sacrifier un animal rare qu’il n’était pas aisé de se procurer, on cil fabriquait une image en pâte ou en cire et l’un venait la leur offrir[56]. Ce procédé naïf était sérieusement employé dans les circonstances les plus importantes canine dans les moins graves. Pour déclarer la guerre, le fécial devait aller lancer un javelot sur les frontières de l’ennemi. Quand il s’agit de combattre Pyrrhus, on s’aperçut qu’il serait long et qu’il n’était pas sûr de faire ainsi voyager un prêtre jusqu’en Épire. La difficulté fut habilement tournée. On en trouvait avoir sous la main un soldat de Pyrrhus dont on s’était emparé par hasard : on lui fit acheter un petit terrain dans le cirque Flaminius ; avec un peu de bonne volonté on pouvait admettre que c’était un territoire épirote, et la fécial y vint jeter son javelot sans fatigue et sans danger[57]. Tels furent les efforts tentés par les hommes d’État de — III —On est aujourd’hui porté
à maltraiter la religion romaine, et c’est, par exemple, une vérité acceptée
de tout le monde qu’elle était tout à fait inférieure à celle des Grecs. Les
anciens pensaient tout le contraire. Quand les savants de Ces raisons ne sont pas difficiles à découvrir. Les Grecs
intelligents, qui venaient d’assister à la ruine de leur patrie, n’ignoraient
pas les causes qui l’avaient perdue. Les qualités qu’ils remarquaient le plus
chez les autres devaient être naturellement celles qui leur avaient surtout
manqué et dont leurs malheurs récents leur avaient appris l’importance. C’est
ainsi qu’à Rome ils étaient principalement frappés de voir tant d’ordre et de
dignité dans la vie privée, tant de discipline et de patriotisme dans la vie
publique ; or ces vertus que Ils lui trouvaient d’autres avantages qui n’étaient pas moins précieux quand ils l’observaient de plus près : elle leur semblait plus morale que celle des Grecs. Un hasard heureux nous a conservé le plus vieux calendrier de Rome[65] ; il ne contient presque que des fêtes champêtres. Ce culte avait donc à l’origine un caractère tout à fait rustique, et, malgré les changements qu’il a subis, il conserva longtemps quelques traces de sa simplicité primitive. Les Grecs qui visitaient Rome à l’époque d’Auguste étaient fort étonnés de voir qu’on y servait aux dieux, sur des tables de bois, des festins qui ne consistaient qu’en quelques gâteaux de farine et qu’on employait pour les libations non pas des vases d’or ou d’argent, mais de simples coupes de terre[66]. Les Pères de l’Église eux-mêmes, surpris que Numa eût défendu les sacrifices sanglants, le louaient d’avoir fondé une religion honnête (frugi religio)[67]. Ces éloges, que faisaient d’elle des indifférents ou des ennemis, justifient les fidèles de l’avoir regardée comme une école de vertus. Polybe, qui l’étudia dans un temps où elle était puissante et respectée, lui attribue une grande influence sur la moralité publique. C’est, selon lui, la crainte des dieux qui fait qu’il y a si peu de voleurs à Rome. Chez les Grecs, dit-il, si vous confiez un talent à ceux qui manient les deniers publics, en vain vous prenez dix cautions, autant de promesses et deux fois plus de témoins, vous ne pouvez les obliger à rendre votre dépôt. Les Romains, au contraire, qui, comme magistrats ou gouverneurs de provinces, disposent de grandes sommes d’argent, n’ont besoin que de la religion du serment pour garder une inviolable fidélité (VI, 56). Les dieux des Romains, comme tous ceux des religions anciennes, sont d’abord la personnification des forces de la nature physique, mais ils sont encore autre chose. Leur aspect est double, comme celui du vieux Janus : en même temps qu’ils déchaînent les éléments et conduisent le monde, ils sont aussi fort occupés à régler et à diriger la vie de l’homme ; ils se chargent de le récompenser ou de le punir selon ses mérites, ils se font les défenseurs de la justice et du droit ; et ces fonctions qu’ils remplissent sur la terre semblent devenir bientôt plus importantes pour eux que celles qu’on leur attribue dans le ciel. Aucun peuple ancien, dans sa façon de comprendre la divinité, n’a si vite tourné les conceptions physiques du côté moral. Jupiter est le père du jour (Diespiter), le dieu du ciel lumineux et serein ; on en fait aussitôt le représentant de l’équité. C’est lui qu’on atteste dans les serments et dans les traités ; c’est à lui que s’adresse le fécial quand il va demander justice au nom du peuple romain. On ne l’appelle pas, comme la grande Divinité des Grecs, le Père des dieux et des hommes, mais le bon et le très grand (Jupiter optimus maximus), et c’est sous ce nom qu’on l’invoque au Capitole dès le temps de Tarquin, avant qu’aucune philosophie ait appris aux Romains les attributs véritables des dieux[68]. Vesta, personnifiant le feu qui purifie tout, devient, aussi la déesse de la pureté. On lui consacre des vierges auxquelles on donne son nom, et l’on fait aux prêtresses qui se vouent à son service une loi rigoureuse d’être chastes parmi les chastes, pures parmi les pures. Aucun culte n’a créé autant de dieux pour protéger la maison : il a ses Génies, ses Lares, ses Pénates, tous également honorés chez le pauvre comme chez le riche. Quoique leurs attributions soient à peu près semblables, l’un ne fait pas tort à l’autre : on ne saurait trop avoir de défenseurs autour du foyer domestiqué. C’est vraiment la religion de la vie intérieure et de la famille. En somme, cet Olympe est moins brillant, moins majestueux que celui des Grecs, mais il est plus voisin de l’homme, il semple plus fait pour lui, il convient mieux à sa vie morale. Un critique de nos jours a raison d’appliquer à, la religion romaine ce que Cicéron disait de la philosophie de Socrate : elle aussi fit descendre la divinité du ciel, la fixa sur la terre, l’introduisit même dans les maisons et la força de régler la vie et les mœurs des hommes[69]. Il était naturel que ce mérite fût alors regardé coma : le
plus important de tous. Depuis que Toutes ces raisons expliquent pourquoi ce ne sont pas les vrais dévots, mais les politiques et même les incrédules qui lui donnent le plus d’éloges ; peu d’écrivains en ont mieux parlé que Cicéron, qui n’y croyait pas : Si l’on compare, dit-il, le peuple romain aux autres nations, on verra qu’elles l’égalent ou même le dépassent dans tout le reste ; mais il vaut mieux qu’elles par le culte qu’il rend aux dieux[72]. Et ailleurs : C’est par la religion que nous avons vaincu l’univers[73]. Cette opinion propagée par des sceptiques, c’est-à-dire par les seuls qui auraient eu quelque intérêt à la combattre, fut acceptée partout sans contestation ; il fut convenu, chez les Grecs aussi bien que chez les Romains, que Rome était la ville la plus religieuse du monde[74] ; que sa piété l’élevait au-dessus des hommes et des dieux[75], qu’enfin elle lui devait sa grandeur et ses conquêtes, et ce préjugé prit tant de force, qu’il devint dans la suite un obstacle sérieux à la propagation du christianisme, et que les Pères de l’Église se crurent souvent obligés de le combattre[76]. |
[1] C’est ce qu’on raconte de la naissance de Romulus (Plut., Romulus, 2), de celle de Servius Tullius (Denys d’Hal., IV, 2), de celle de Cæculua, le fondateur de Préneste (Servius, Æn., VII, 678).
[2] Ce miracle est rapporté par Tite-Live à propos de Servius Tullius (I, 39) ; il se trouve deux fois dans l’Enéide de Virgile, attribué à des personnages différents (II, 682 ; VII, 73). A l’époque des guerres puniques, on crut que le vaillant soldat Marcius avait été désigné par les dieux de la même façon dans sa jeunesse (Tite-Live, XXV, 39).
[3] Non comparuit, c’est l’expression employée dans toutes ces légendes.
[4] Augustin, De civ. Dei, VI, 9 : Varro commemorare et enumerare deos œpit a conceptione hominis... deinde cœpit deos alios ostendere qui pertinerent non ad ipsum hominem, sed ad ea quæ sunt hominis, sicuti est victus, vestitus et quœcumque alia quœ huic vitæ sunt necessaria. Dans cette énumération, il est plus que probable que Varron suivait l’ordre même des registres des pontifes. - On peut consulter sur les Indigitamenta : Ambrosch, Religionsbücher der Römer, et Bouché-Leclercq, Les Pontifes de l’ancienne Rome, Paris, 1871.
[5] On peut donc supposer que ces dieux s’appelaient véritablement divus Pater Vaticanus, divus Pater Fabulinus. On retrouve en effet dans les listes des Indigitamenta quelques-unes de ces désignations complètes dans lesquelles le nom spécial du dieu se trouve joint comme épithète à celui de quelque grande divinité : Janus Consivius, Juno Lucina.
[6] Bouché-Leclercq, Les Pontifes, p. 46.
[7] Æn., III, 405.
[8] Fastes, IV, 761.
[9] Probus, Virg. Georg., I, 10.
[10] Augustin, De civ. Dei, IV, 31.
[11] Tibulle, I, I, 10. Apulée, De mag., 56.
[12] Ovide, Fastes, II, 23.
[13] Pétrone, Satiricon, 19.
[14] C’est ce qu’indique le nom qu’on leur donne : on les appelle le Céleste (divas Pater, dea Dia), le Favorable (Faunus), le Riche (Dis), les Bons (Manes), etc.
[15] Un magistrat de Cirta se vante d’avoir élevé statuam æream Securitalis æculi cum statua œrea Indulgentiœ lomini nostri (Renier, Inscript. de l’Algérie, n° 1836).
[16] Tertullien, De præscr., I, 45.
[17] Tite-Live, XXIV, 44.
[18] Pro dom., I.
[19] Il faut peut-être faire une exception pour les Flamines, et surtout pour le Flamen dialis, qui avait des obligations plus étroites que les autres prêtres ; aussi ces fonctions furent-elles très vite délaissées.
[20] Scævola disait : Pontificem neminem bonum esse ; nisi qui jus civile cognosset. (Cicéron, De leg., II, 19.)
[21] Tite-Live, II, 32.
[22] Varron, ap. Augustin, De civ. Dei, IV, 22.
[23] Servius, Æn., IV, 577 : Deorum vera nomina nemo novit.
[24] Servius, Æn., II, 351 : Jupiter optime maxime, sive quo alio nomine te appellari volueris.
[25] Tite-Live, I, 20 : Pontificem deinde ex patribus legit... ut esset quo consultum plebes veniret (Il confia au grand pontife la surveillance de tout ce qui tenait à la religion... ainsi, le peuple savait où venir puiser des lumières).
[26] Macrobe, Sat., III, 9, 12.
[27] Aulu-Gelle, II, 28 : ... veteres Romani, quum in omnibus aliis vitæ officiis, tum in constituendis religionibus atque in diis immortalibus animadvertendis castissimi cautissimique (les anciens Romains, si exacts à régler tous les devoirs de la religion, si sages et si prudents lorsqu'il s'agissait de prescrire les rites sacrés et tout ce qui appartient au culte des immortels).
[28] Arnobe, VII, 31.
[29] Pline, XXVIII, 2 (3).
[30] Festus, v° Religiosi. Cicéron, De nat. deor., I, 41 : Est enim pietas justitia adversus deos... sanctitas autem scientia colendorum sacrorum (La piété n'est pas autre chose qu'une justice rendue aux dieux... la religion est la connaissance des devoirs que nous avons envers les dieux).
[31] Tibulle, II, I, 13 : Casta placent superis : pura cum veste venito.
[32] Servius, Georg., III, 456 : Majores religionem totam in experientia callocabant.
[33] Caton, De re rust., passim.
[34] De re rust., 5.
[35] De re rust., 102.
[36] Bouché-Leclercq, Les Pontifes, 315.
[37] Dion, XXXIX, 5.
[38] Quintilien, Declam., 265 : in templo vero, in quo verbis parcimus, in quo animos componimus, in quo tacitam etiam mentem nostram custodimus...
[39] Krahner fait remarquer que les Grecs n’ont pas de mot qui rende exactement celui de religio (Grundlinien sur Geschichte des Verfall der römischen Staatsreligion, p.13). Il est certain que ni δεισιδαιμονία, ni surtout εύσεδεία, ne le traduisent tout à fait.
[40] Eutyphron.
[41] Plaute, Curculio, IV, 2, 45 : Cui homini di sunt propitii lumini ei objiciunt.
[42] Suétone, Caligula, 6.
[43] Fastes, III, 339, Arnobe, V, 1.
[44] C’est par une dérivation de ce premier sens que le mot superstitio a fini par s’appliquer surtout aux pratiques tirées des religions étrangères.
[45] Servius, Æn., II, 715 : Connexa enim sunt timor et refigio. Ailleurs il dérive deus de δέος, qui veut dire crainte (XII, 139). Voyez aussi Cicéron, De invent., II, 22.
[46] Macrobe, Saturnales, I, 16, 11. Voyez aussi Servius, Georg., I, 269 : Scimus necessitati religionem cedere.
[47] Bouché-Leclercq, les Pontifes, p 118.
[48] Macrobe, Saturnales, I, 16, 20.
[49] De div., II, 72.
[50] Servius, Æn., II, 691.
[51] Cicéron, De divin., II, 36.
[52] Servius, Æn., XII, 259, et V, 530.
[53] Histoires naturelles, XXVIII, 2 (4).
[54] Oral in Velurium, p. 47, éd. Jordan.
[55] Tite-Live, X, 40.
[56] Servius, Æn., III, 115.
[57] Servius, Æn., IX, 53.
[58] La loi des Douze Tables défendait aux femmes de se déchirer jusqu’au sang dans les funérailles : Mulieres genas ne radunto (Schœll, p. 154). Ne serait-ce pas une trace de la résistance opposée par les politiques de Rome à ces idées religieuses de l’Étrurie ? Voyez Servius, Æn., XII, 600.
[59] S. Augustin, De civ. Dei, VI, 9.
[60] Tite-Live, X, 42.
[61] Macrobe, Saturnales, I, 10, 12.
[62] Crassus régala les Romains pendant trois mois entiers. (Plutarque, Crassus, 2.)
[63] Corpus inscript. lat., I, n° 1175.
[64] Théophraste, le Superstitieux.
[65] Corpus inscript. lat., I, p. 875.
[66] Denys d’Halicarnasse, Antiq. Rom., II, 19.
[67] Tertullien, Apologétique, 45.
[68] Preller, Röm. Myth., p. 298. Zeller, Relig. and Philos. bei den Römern, p. 6.
[69] Cicéron, Tusculanes, V, 4. Preuner, Hestia-Vesta, p. 869.
[70] Antiquités romaines, II, 23.
[71] Géorgiques, II, 140.
[72] De nat. deor., II, 2.
[73] De har. resp., 9.
[74] Salluste, Catilina, 12 : majores nostri religiosissumi mortales.
[75] Virgile, Énéide, XII, 839 : Supra homines, supra ire deos pietate videbis.
[76] Voyez surtout Prudence, Contre Symmaque, II, 520.