HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME DIXIÈME

LIVRE ONZIÈME

 

CHAPITRE ONZIÈME. — FÊTE DE L’ÊTRE SUPRÊME

 

 

Le Comité de salut public, triomphant. — Mort de Condorcet. — Procès de Chaumette. — Efforts de Robespierre pour sauver madame Elizabeth. — Mesures de sûreté. — Rapport de Saint-Just sur la police générale ; de Billaud-Varenne, sur la politique du Comité. — Mort de Duval d'Éprémesnil, de Le Chapelier, de Thouret, de Malesherbes, de Lavoisier, de madame Elizabeth. — Vues de Robespierre ; son discours du 18 floréal ; décret par lequel la Convention reconnaît l’existence de l'Être suprême et l’immortalité de l'âme. — Tentative d’assassinat sur la personne de Collot d’Herbois et sur celle de Robespierre. — Discours de Robespierre, du 7 prairial. — Fête de l’Être suprême.

 

Par la défaite des deux partis opposés qui lui faisaient obstacle, le Comité de salut public semblait avoir acquis une force irrésistible : un moment, tout s’inclina devant lui. Dufourny, dénoncé par Vadier pour avoir mis en doute la conspiration imputée aux Dantonistes, fut chassé du club des Jacobins, à la suite d’une sortie violente de Robespierre[1]. Legendre déclara lâchement qu’il avait été le jouet de Danton, son ami de la veille : il le trouvait coupable, maintenant qu’il était mort ![2] De chaque point de la France arrivèrent des adresses de congratulation. La ville de Rodez écrivit à la Convention[3] : C’est donc en vain que les enfants des Titans ont levé la tête, la foudre les a tous renversés. La soumission fut générale et absolue.

De quoi s’agissait-il, cependant ? ce sang que la Révolution venait de répandre, c’était le sien ; et elle se présentait à ses ennemis du dedans comme à ceux du dehors singulièrement affaiblie. Le Comité de salut public le comprit si bien, qu’il résolut de redoubler d’activité et de vigueur. Nous dirons les mesures que cette préoccupation lui inspira, mais après avoir consacré quelques pages à compléter le récit funéraire qui précède.

Condorcet mourut le surlendemain du jour que marqua la mort de Danton.

Nous avons raconté avec quelle générosité courageuse madame Vernet avait recueilli chez elle, en juillet 1795, l’illustre philosophe, réduit alors à se cacher[4]. Après la catastrophe du 31 octobre, tremblant pour sa protectrice, il voulut quitter son asile. Je suis hors la loi ; je ne puis rester, dit-il à madame Vernet. Mais elle : La Convention, monsieur, a le droit de mettre hors la loi ; elle n’a pas le pouvoir de mettre hors de l’humanité[5].

Condorcet dut céder, et devint, à partir de ce moment, l’objet d’une surveillance aussi active que touchante. Pour endormir les inquiétudes de son cher prisonnier, en occupant sa pensée, madame Vernet le fit supplier par sa femme et ses amis d’entreprendre quelque grand travail : heureuse inspiration à laquelle nous devons l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain[6] ! Condorcet l’écrivit, ce livre qui respire une sérénité sublime, à deux pas de l’échafaud. Cependant le bruit des coups de hache devenait plus formidable de jour en jour. La fièvre de la composition n’eut pas plutôt abandonné Condorcet, qu’il vit de nouveau se dresser devant lui l’image du bourreau venant chercher sa bienfaitrice. Déjà il avait fallu faire au député montagnard Marcos, logé dans la maison, la confidence d’un secret qu’on ne pouvait garder qu’au péril de sa vie ; et, bien que Marcos se fût montré digne de tant de confiance, nul doute qu'un accident ne pût tout perdre. Condorcet résolut de s’enfuir.

Le 17 germinal (6 avril), à dix heures du matin, il quitte sa cellule, et, dans son déguisement habituel, c’est-à-dire en veste et en gros bonnet de laine, il descend comme pour aller causer avec un locataire qui occupait une petite pièce du rez-de-chaussée. Mais madame Vernet est là, comment tromper sa surveillance ? il feint d’avoir oublié sa tabatière, d’en être fort contrarié, et, tandis que madame Vernet court la lui chercher, il s’élance dans la rue. Les cris de la portière avertirent madame Vernet de celle fuite magnanime ; mais trop tard ; la noble femme tomba évanouie[7].

Il y avait à Fontenay-aux-Roses une maison où l’ami de Condorcet, l’académicien Suard, attendait, retiré dans sa prudence, la fin des jours orageux : ce fut à la porte de cette maison que vinrent frapper, le 16 germinal, à trois heures après midi, deux hommes, dont l’un, Condorcet, se traînait à peine ; l’autre était un cousin de madame Vernet, qui, ayant rencontré le fugitif, s’était intrépidement attaché à lui[8]. Au seuil de la demeure de Suard, ils se séparèrent, Condorcet entra.

Que se passa-t-il en ce moment ? l’hospitalité attendue fut-elle refusée ? les récits diffèrent. Suivant Beaulieu, M. et Madame Suard, pour déjouer l’espionnage d’un domestique dont ils se défiaient, engagèrent Condorcet à revenir plus tard, lui désignant une heure[9]. On convint qu’une petite porte de jardin donnant sur la campagne et s’ouvrant en dehors ne serait pas fermée, et que Condorcet pourrait s’y présenter, la nuit venue. Il s’éloigna donc, emportant les épîtres d’Horace, que ses amis lui remirent à l’instant du départ. Revint-il ? trouva-t-il la porte fermée ? Beaulieu dit qu’il revint avant l’heure indiquée, fut aperçu par le dangereux domestique, et, n’osant passer outre, rebroussa chemin[10]... Il erra tout le jour suivant ; le lendemain, accablé de fatigue, blessé à la jambe, mourant de faim, il entre dans un cabaret de Clamart et demande une omelette. Malheureusement, écrit son biographe, cet homme presque universel ne sait pas, même à peu près, combien un ouvrier mange d’œufs dans un de ses repas. À la question du cabaretier, il répond : Une douzaine[11]. On juge de la surprise ! Vos papiers ? Il n’en avait pas. Qui êtes-vous ? L’infortuné se donna une qualité que ne démentaient que trop la blancheur et la délicatesse de ses mains. Il n’en fallait pas tant : on le traîne au comité du lieu ; car les moindres bourgades, à cette époque, avaient leurs comités de sans-culottes. Là, fouillé et interrogé, il ne fit d’autre déclaration que celle-ci : Simon, ancien domestique. Or, pour tout bagage, il avait un Horace en marge duquel des lignes tracées au crayon et en latin. Sur quoi, le membre du comité qui l’interrogeait lui dit : Tu prétends que tu étais domestique ; mais je croirais plutôt que tu es un ci-devant qui en avait, des domestiques[12]. Et il ordonna que l’inconnu fut conduit au district du Bourg-l’Égalité. Transféré à pied au milieu d’une escorte armée, le malheureux Condorcet ne put aller plus loin que Châtillon, où il tomba de défaillance. Un vigneron, ému de pitié, le mit en état de continuer ce lugubre voyage, en lui prêtant son cheval. Au district, on l’emprisonna ; et lorsque le 20 germinal (9 avril), le geôlier entra dans le cachot, il aperçut, étendu sur le plancher... un cadavre. Condorcet avait avalé une forte dose de poison concentré, qu’il portait depuis quelque temps dans une bague[13].

Ah ! quel serrement de cœur on éprouve, quand de ce poignant récit l’on rapproche la lettre suivante qu’en 1770 Voltaire adressait au philosophe illustre dont nous venons de décrire l'agonie : ... Un grand courtisan (Voyer d’Argenson) m’a envoyé une singulière réfutation du Système de la Nature, dans laquelle il dit que la nouvelle philosophie amènera une révolution horrible... Tous ces cris s’évanouiront, et la philosophie restera... Laissez faire, il est impossible d’empêcher de penser ; et plus on pensera, moins les hommes seront malheureux. Vous verrez de beaux jours ; vous les ferez : cette idée égaye la fin des miens ![14]

La prédiction du patriarche de Ferney ne se réalisa point, comme on voit, pour Condorcet. Et à combien d’autres victimes, prises dans ses propres rangs, la Révolution, en ce temps-là même, ne passait-elle pas sur le corps ! L'apôtre de la Raison, Chaumette ; Gobel, qui avait mis tant d’empressement à abdiquer ses fonctions épiscopales ; Beysser, le défenseur de Nantes ; Simond, l’ami de Fabre d’Églantine ; la charmante Lucile, voilà les noms qui, confondus avec ceux de Dillon, de la femme d’Hébert, et des deux Grammont, sur le registre mortuaire de celle époque, y figurent immédiatement après ceux de Danton, de Camille, de Fabre, de Bazire et de Philippeaux.

Au Luxembourg, Chaumette avait été d’abord renfermé seul dans sa chambre, où l’on pouvait  l’observer, toutefois, par une chatière. Beaulieu, un des détenus, assure — et cela se conçoit de reste — que le pauvre procureur de la commune avait l’air stupéfait[15]. Les prisonniers couraient le contempler l’un après l’autre, et l’on se demandait en s’abordant : Avez-vous vu le loup ?[16] Singulière appellation, appliquée à un homme d’une physionomie douce et de manières paisibles. La première fois qu’on lui permit de circuler, il aila se présenter au café de la prison, où les brocards ne lui furent pas épargnés. Un des prisonniers lui dit, d’un ton plaisamment solennel : Sublime agent national, conformément à ton immortel réquisitoire, je suis suspect, lu es suspect, il est suspect... nous sommes tous suspects. Chaumette lui-même ne put s’empêcher de sourire[17]. Mais dans une pareille épigramme, quelle douloureuse leçon !

Le 18 germinal (7 avril), Legendre, à la Convention, avait dit, en parlant de Danton et des autres condamnés : Une lettre anonyme qui m’a été envoyée ne me laisse aucun doute que les coupables qui ont péri sur l’échafaud n’eussent des complices dans les prisons du Luxembourg, pour exciter un mouvement. J’ai remis au Comité de salut public cette lettre, dans laquelle des hommes, se disant patriotes, flattaient mon amour-propre, mon ambition, et m’invitaient à m’armer de deux pistolets et à assassiner dans le sein de la Convention Robespierre et Saint-Just[18]. Une lettre du même genre avait été adressée à Bourdon (de l’Oise)[19]. Quant aux instigateurs, aucun nom ne fut prononcé.

Si ces indices se rapportaient au projet de conspiration dénoncé par ballotte, c’est ce que le Comité de salut public crut peut-être, dans sa terrible impatience de trouver des coupables ; mais c’est ce que rien ne démontre ; et en ce qui touche le projet de conspiration, s’il n’est pas prouvé que ce fut une invention meurtrière du Comité de salut public, il ne l’est pas davantage que ce fut quelque chose de véritablement sérieux. De la part de Lucile Desmoulins, le désir, bien naturel, de sauver son mari coûte que coule, et, de la part de Dillon, certains épanchements frivoles auxquels son état habituel d’ivresse[20] ne permettait pas qu'on attachât une importance réelle, tout se réduisait à cela, même aux termes de la déposition de Laflotte, en la supposant véridique.

Il est juste d’ajouter, cependant, que le complot dénoncé ne fut pas aussi chimérique qu’on l’a prétendu, s’il en faut croire Beaulieu, qui était alors dans la prison, et dont voici les propres paroles : Quelques révolutionnaires, partisans de Danton, étaient sans doute capables de tenter un coup audacieux ; mais les autres prisonniers ne se seraient jamais réunis à eux. Ils les méprisaient, les détestaient et les auraient plutôt dénoncés. Dans les environs du mois d’avril 1794, ces détenus, dont quelques-uns membres du club des Cordeliers, eurent effectivement des intelligences avec leurs amis de cette société, qui, à un signal donné, devaient faire une irruption dans la prison, avec la portion de la populace qui était à leur disposition[21].

Toujours est-il que là fut le point de départ du procès intenté à Dillon, à Simond et à Lucile Desmoulins. Mais, cette fois encore, des personnes appartenant à des catégories diverses et prévenues de délits très-différents se trouvèrent enveloppées dans un même acte d’accusation : témoin la veuve de Camille, qui comparut devant le Tribunal révolutionnaire à côté de la veuve d’Hébert !

Le procès, commencé le 21 germinal (10 avril), se termina le 24.

Dillon avoua qu’il avait écrit à Lucile : Femme vertueuse, ne perds pas courage ; ton affaire et la mienne sont en bon train. Bientôt les coupables seront punis, et les innocents triompheront[22]. Il déclara aussi avoir dit que, si les journées de septembre se renouvelaient, il était du devoir d’un homme courageux de défendre ses jours[23]. Accusé d’avoir, à la nouvelle du 10 août, exigé de ses troupes le serment de fidélité au roi, il répondit que de faux rapports l’avaient trompé[24].

L’altitude de Chaumette ne fut pas sans noblesse. Mon intérêt pour Clootz, dit-il, augmenta, lorsqu'il m’apprit avoir décidé Gobel à ne reconnaître d’autre culte que celui de la raison[25]. Comme on lui imputait d’avoir exercé tyranniquement ses fonctions municipales, entravé l’arrivage des subsistances, et favorisé l’idée de pillage, il refusa de repousser des inculpations de ce genre, les estimant trop basses pour l’occuper. Mes fonctions ont été publiques, fit-il observer avec un calme dédaigneux ; c’est à la saine portion du peuple à me juger[26]. Dumas, qui avait remplacé Hermann comme président du Tribunal révolutionnaire, osa reprocher à Chaumette de n’avoir fait fermer les églises, pendant qu’il poursuivait les filles de joie, que pour ameuter contre la République les libertins et les dévots : interprétation calomnieuse, renouvelée de Camille Desmoulins.

C’était aussi Camille Desmoulins qui, à la suite de Robespierre, avait attaqué Gobel, en taxant sa démission d’évêque de lâche hypocrisie, et en définissant de la sorte sa conversion révolutionnaire :

Citoyens, j'ai menti soixante ans pour mon ventre[27].

Cette imputation de mauvaise foi fut reproduite, à l’audience par un des jurés, Renaudin[28]. C’était égarer la justice dans la voie des hypothèses. Tout ce qu’à l’égard de Gobel des révélations ultérieures permettent de dire, si même l’on y peut avoir confiance, c’est qu’en face de la mort il redevint prêtre, et envoya, de la Conciergerie, à Lothringer, un de ses vicaires, sa confession écrite, accompagnée d’un billet où il sollicitait humblement son absolution[29]. Quoi qu’il en soit, Fouquier Tin- ville mentait en l'accusant d’avoir voulu, de concert avec Chaumette et Clootz, effacer toute notion de la Divinité. Etait-ce là, d’ailleurs, un motif de demander sa tète ? Et la Révolution pouvait-elle transformer l’athéisme en crime capital, sans rétrograder jusqu’aux ténèbres du moyen âge, sans se traîner sur les traces sanglantes de l’Inquisition. Fouquier-Tinville aurait dû mieux se souvenir des paroles de Robespierre dans sa fameuse attaque contre les Hébertistes : Tout philosophe, tout individu peu l’adopter, relativement à l’athéisme, l’opinion qu’il lui plaira. Quiconque voudrait lui en faire un crime est un insensé[30]. Au reste, l’accusation intentée à Gobel ne porta pas seulement sur ses rapports supposés avec la faction d’Hébert : il eut à rendre compte de certaines dilapidations commises par lui et son neveu dans le château de Porentruy ; et l’on eut certes droit de trouver insuffisante une explication présentée en ces termes : Mon neveu et moi avions sacrifié notre fortune pour procurer la liberté aux habitants de Porentruy ; les dépouilles du château nous appartenaient bien légitimement à titre d’indemnité[31].

C’est à peine si Lucile Desmoulins fut interrogée. De quoi l’accuser, en effet, sinon d’avoir aimé son mari sous la hache, avec toute l’intrépidité et tout le dévouement d’un noble cœur ? Elle ne leva pas les yeux, ne manifesta ni crainte, ni espérance, et attendit modestement son arrêt. Le jour même du jugement, la veuve d'Hébert, se trouvant près d’elle au greffe de la Conciergerie, lui dit : Tu es bien heureuse, toi ; il n’y a pas eu hier contre toi une seule déposition... Tu vas sortir sans doute par le grand escalier, et moi, je vais aller à l’échafaud[32]. Epouses et amantes, elles n’étaient coupables ni l’une ni l'autre au tribunal de la conscience humaine, et cependant toutes les deux périrent. Oui, cette barbare, inutile et lâche immolation des femmes, voilà ce qui, dans la Révolution française, restera la tache ineffaçable !

Sur vingt-six accusés dont se composait la fournée, dix-neuf furent condamnés à mort et sept acquittés[33]. De même que l’ancien prêtre Gobel mourut après s’être confessé par écrit, l’ancien courtisan, Arthur Dillon, mourut en criant : Vice le roi ! Quant à Lucile Desmoulins, avant d’aller à l’échafaud, elle avait écrit à sa mère ce billet d’une simplicité et d’une douceur admirables : Bonsoir, ma chère maman. Une larme s’échappe de mes yeux ; elle est pour toi. Je vais m’endormir dans le calme de l’innocence[34].

Qui le croirait ? Après ces horribles exécutions, et comme si ce n’était pas assez de sang versé, Tallien proposa de donner une activité nouvelle aux mesures contre les suspects. Mais Robespierre l’interrompit, déclarant que ce n’était pas les suspects qu'il fallait craindre, qu’il y avait des hommes plus dangereux.... Tallien se tut[35].

Si Robespierre, dans le Comité de salut public, intercéda en faveur de la veuve de Camille Desmoulins, c’est ce qu’on ignore, ceux des membres du Comité qui firent le 9 thermidor ayant eu intérêt à cacher tout ce qu’i était de nature à honorer la mémoire de leurs victimes. Mais voici un fait qui porte avec lui son commentaire. Robespierre avait été le camarade de collège de Camille, il avait de l’affection pour la femme de son ami, et bien des fois il avait tenu leur enfant sur ses genoux[36] ; on peut donc croire qu’il fil des efforts pour la sauver, s’il est vrai qu’il en ait fait pour sauver madame Elizabeth, dont tout concourait à l’éloigner et dont il y avait alors danger à prendre la défense. Or, qu’on lise le passage suivant, extrait de l’ouvrage du royaliste Beaulieu :

Madame Elizabeth fut comprise, sans aucune espèce de distinction, dans une fournée de cinquante mal heureux que le Tribunal révolutionnaire envoya à l’échafaud... Robespierre passait souvent le soir à la boutique du libraire Maret, établi à l’entrée du Palais-Royal. C’était là qu’on venait se dire à l’oreille les événements du jour. Lorsque les nouvellistes s’étaient retirés, Robespierre laissait ses satellites à quelque distance, se présentait chez Maret, et, en feuilletant quelques livres, lui demandait ce qu’on disait dans le public. Le jour que madame Elizabeth fut exécutée, il vint à la boutique, accompagné de M. Barère, et demanda sur quoi roulaient les conversations. On murmure, on crie contre vous, lui dit avec franchise le libraire : on demande ce que vous avait fait madame Elizabeth, quels étaient ses crimes, pourquoi vous avez envoyé à l’échafaud cette innocente et vertueuse personne. — Eh bien, dit Robespierre en s’adressant à Barère, vous l’entendez, c’est toujours moi... Je vous garantis, mon cher Maret, que, loin d'être l’auteur de la mort de madame Elizabeth, j’ai voulu la sauver ; c’est ce scélérat de Collot-d’Herbois qui me l'a arrachée[37].

 

L’exécution de Chaumette débarrassant le Comité de salut public du dernier obstacle qu’il pût craindre dans le camp même de la Révolution, toute son attention se porta sur les contre-révolutionnaires. Pour les combattre avec plus d’ensemble, diverses mesures furent prises, dont la première consista dans l’abolition des ministères. A leur place, on institua, sur un rapport de Carnot, douze commissions entre lesquelles tout le matériel de l’administration fut partagé[38] ; non qu’un tel arrangement parût de nature, soit à accélérer la marche des affaires, soit à fortifier le pouvoir ; mais il avait l’avantage de fermer la bouche à l’opposition parlementaire, qui, dans ce qu’elle appelait l’institution monarchique des ministères, avait trouvé matière à tant d’attaques.

On s’occupa aussi d’organiser la police générale, et, d’abord, de purger Paris de tous les malveillants qui s'y étaient donné rendez-vous ; car, aux yeux du Comité de salut public, Paris était, selon le mot de Couthon, la place forte de la République[39]. Il y eut à ce sujet, au sein du Comité, des débats qui durèrent plusieurs jours[40]. Mais enfin il fut convenu qu’on proposerait à la Convention un décret portant, entre autres dispositions rigoureuses :

Les prévenus de conspiration seront traduits de tous les points de la République au Tribunal révolutionnaire à Paris.

Des commissions populaires seront établies pour le 10 floréal.

Aucun ex-noble et aucun étranger appartenant aux pays avec lesquels la République est en guerre ne peut habiter Paris, ni les places fortes, ni les villes maritimes pendant la guerre. Tout noble ou étranger dans le cas ci-dessus qui y sera trouvé dans un mois est mis hors la loi.

Si celui qui sera convaincu désormais de s’être plaint de la Révolution vivait sans rien faire, et n’était ni sexagénaire ni infirme, il sera déporté à la Guyane. Ces sortes d’affaires seront jugées par les commissions populaires.

Le séjour de Paris, des places fortes, des villes maritimes, est interdit aux généraux qui ne sont point en activité de service[41].

 

A ces mesures, nées d’un esprit de défiance qu’avait enfanté lui-même l’excès du péril, s’en joignaient d’autres d’un caractère bien différent et qui avaient pour but de couper court aux abus d’autorité, de réprimer l’arbitraire ou l’insolence des agents du pouvoir, d’encourager le commerce, de protéger l’industrie, d’animer la circulation et d’empêcher toute atteinte à la bonne foi publique[42].

Saint-Just, chargé du rapport, y déploya son âme avec une candeur austère. R s’éleva sans ménagement contre quiconque, dans la société, représentait un vice ; il eut pour ceux qu’il nomma les corrupteurs du commerce des paroles aussi méprisantes que pour les suppôts de la monarchie ; il marqua de la même flétrissure les mauvais serviteurs de la République et ses ennemis déclarés. Un passage de son discours que couvrirent des applaudissements unanimes, fut celui où il traçait le portrait d’un homme révolutionnaire.

Un homme révolutionnaire est inflexible, mais il est sensé, frugal et simple ; il n’affiche pas le luxe d’une fausse modestie ; il est ennemi de tout mensonge, de toute indulgence, de toute affectation. Comme son but est de voir triompher la Révolution..., il ne l’outrage jamais, il l’éclaire, et, jaloux de sa pureté, il s’observe quand il parle, par respect pour elle. R prétend moins être l’égal de l’autorité qui est la loi, que l’égal des hommes, et surtout des malheureux.... Il croit que la grossièreté est une marque de tromperie, et qu’elle déguise la fausseté sous l’emportement.... Il est intraitable aux méchants, mais il est sensible. Il poursuit les coupables et défend l’innocence devant les tribunaux— La probité n’est pas une finesse de l’esprit, mais une qualité du cœur. Marat était doux dans son ménage, il n’épouvantait que les traîtres. Jean-Jacques Rousseau était un révolutionnaire, et n’était pas insolent sans doute. J’en conclus qu’un homme révolutionnaire est un héros de bon sens et de probité[43].

 

C’est ainsi que Saint-Just gourmandait cette fraction du parti révolutionnaire qui compromettait par le dévergondage de ses paroles et de ses mœurs le culte des idées nouvelles.

Quant au gouvernement révolutionnaire, l’orateur déclara bien haut qu’il signifiait, non la guerre et l’état de conquête, mais le passage du mal au bien, de la corruption à la probité[44]. Il avait été terrible, ce passage, comment le nier : Mais, s’écria Saint-Just, que serait devenue une République indulgente contre des ennemis furieux ? Nous avons opposé le glaive au glaive, et la République est fondée : elle est sortie du sein des orages : cette origine lui est commune avec le monde, sorti du chaos, et avec l’homme, qui pleure en naissant[45].

Les conclusions du rapport, adoptées d’abord sans autre modification qu’un amendement relatif à la durée du délai accordé aux nobles et aux étrangers pour quitter Paris, devinrent, de la part du Comité, l’objet d'un nouvel examen. Dans la première rédaction, une exception avait été faite en faveur des ouvriers étrangers employés à la fabrication des armes, et des étrangères mariées à des patriotes français. Une élude plus approfondie de la question amena le gouvernement à reconnaître qu’il fallait élargir le cadre des exceptions, et y comprendre les ouvriers étrangers vivant du travail de leurs mains antérieurement à la présente loi, les femmes nobles mariées à des non nobles, les enfants au-dessous de quinze ans et les vieillards au-dessus de soixante-dix. D’un autre côté, le délai d’un mois parut trop long et fut réduit à dix jours. Le décret passa, ainsi amendé[46].

Sur la motion de Couthon, retirée par lui-même le lendemain[47], il avait été décidé que la loi qui chassait les nobles de Paris serait appliquée aux anoblis par charges. Tallien demanda le maintien de cette clause, déclarant indigne de toute faveur quiconque avait voulu sortir de la classe du peuple[48]. Mais Robespierre, parlant au nom du Comité, fit observer que, parmi les charges auxquelles l’ancien régime avait attaché un titre de noblesse, beaucoup répondaient à des fonctions utiles, et qu’on risquait de rendre la loi inexécutable en étendant ses rigueurs à un trop grand nombre de personnes. On peut, ajouta-t-il amèrement, se donner l’avantage d’une sévérité apparente contre les ennemis du peuple ; mais le devoir de qui l’aime véritablement est de le servir sans le flatter. La Convention fut de cet avis[49].

Quelques jours après[50], Billaud-Varenne exposait la politique que le Comité de salut public se proposait de suivre, politique qu’il annonça devoir être basée sur la justice. Restait à expliquer le sens de ce mot suprême ! La justice, dit Billaud-Varenne, est dans le supplice de Manlius, qui invoqua en vain trente victoires, effacées par sa trahison[51]. Tout son discours était sur ce ton de hauteur et d’inflexibilité. Malheur, ajouta-t-il, malheur à ceux pour qui le règne de la justice devient un signal de stupeur ![52] Une politique qui eût fait plus large la part des infirmités humaines et mis les torts en balance avec les services, eût certainement été préférable au point de vue philosophique ; mais ce n’est point celle-là qu’il faut s’attendre à voir triompher dans les temps d’orages. Aussi l’âpre langage de Billaud-Varenne n’étonna-t-il personne. Et du reste il émit, avec une éloquence puisée aux sources d’une conviction forte, des vérités dont l’importance s’étendait bien au delà des nécessités de l’heure présente, comme lorsqu’il dit, en rappelant combien les généraux victorieux avaient été funestes à la liberté : Le gouvernement militaire est le pire après la théocratie, plus funeste seulement parce qu’elle s'enracine jusqu’au fond des consciences, et que ses victimes sont ses séides.... Quand on a douze armées sous la tente, ce n’est pas seulement les défections qu’on doit craindre et prévenir ; l’influence militaire et l’ambition d’un chef entreprenant qui sort tout à coup de la ligne sont également à redouter : l’histoire nous apprend que c’est par là que toutes les républiques ont péri[53]. La France n’ayant pris les armes que pour la défense de ces principes, il convenait de le proclamer de façon à être entendu de la terre entière, et c’est ce que Billaud-Va- renne fit en ces termes : L’expérience des siècles nous a suffisamment montré qu’un peuple guerrier apprête pour lui-même le joug qu’il impose aux autres nations. La soif des conquêtes ouvre l’âme à l’ambition, à l’avarice, à l’injustice, à la férocité, passions qui transforment tôt ou tard le petit nombre en dominateurs et le surplus en esclaves[54]. Le résumé fut qu’il fallait comprimer d’une main vigoureuse, au dedans, les ennemis de la République, et conduire la guerre, au dehors, de manière à vaincre l’Europe en surexcitant dans l’âme du soldat toutes les passions généreuses, et en évitant de donner le Rubicon à franchir à quelque nouveau César. Le décret rendu par suite de ce rapport fut rédigé sous l’empire d’une idée qui eût pu paraître puérile à force d’orgueil si tant de triomphes ne l’eussent expliquée ; il supposait à la Convention le pouvoir de disposer souverainement de la victoire : La Convention nationale déclare qu’appuyée sur les vertus du peuple français, elle fera triompher la République démocratique, et punira sans pitié tous ses ennemis[55].

Sans pitié ! Cette dure parole annonçait la continuation de la Terreur ; et l’effet ne suivit que trop tôt la menace. D’Éprémesnil, Le Chapelier, Thouret, Malesherbes, Lavoisier, Madame Elizabeth, furent successivement traînes à l'échafaud[56].

D’Éprémesnil et Le Chapelier, ennemis dans l’Assemblée constituante, se voyaient maintenant accusés du même crime. Sur la charrette qui les conduisait l’un et l’autre, à la mort, ils échangèrent les poignantes paroles que voici : Monsieur, dit d’Éprémesnil à son compagnon, l’on nous donne un terrible problème à résoudre. — Lequel ?C’est de savoir auquel de nous deux s’adresseront les huées. — A tous les deux[57]. Tous les deux, en effet, ils avaient d’abord servi, puis combattu la Révolution : le premier, dès l'origine et avec audace, le second, plus tard et par des voies souterraines. Ils périrent pour avoir fait balle dans les roules inconnues où ils s’étaient engagés sans prévoyance[58].

Contre Thouret, c’est à peine s’il existait des soupçons, à moins qu’on ne lui imputât à crime d’être l’auteur d’une constitution dont les principes étaient dépassés. Sa mort accuse, de la part de ceux qui le frappèrent, une inflexibilité vraiment féroce.

Mais un meurtre qui étonne autant qu’il fait horreur, c’est celui de Malesherbes. Qui plus vivement que Malesherbes s’était opposé au despotisme de l’ancienne cour ? On ne pouvait avoir oublié ses remontrances à Louis XV, si fermes, que Voltaire les jugeait trop dures, ni ses combats en faveur de la liberté de conscience, ni les services immortels que, comme directeur de la librairie sous un roi despote, il rendit à la liberté de la presse. S’il était un homme que la Révolution dût respecter, c’était lui, lui le correspondant et le protecteur de Rousseau, l’ami constant des philosophes, lui sans qui, au témoignage de Grimm, l’Encyclopédie n’aurait jamais paru. Il n’avait rien rétracté d’ailleurs[59], ne s’était mêlé à aucune résistance, et son admirable conduite envers Louis XVI détrôné, abandonné de tous, condamné à mourir, n’était qu’un litre de plus à la sympathie des âmes généreuses. Les considérants de l’arrêt sous lequel il succomba sont odieusement vagues ; ils portent : Convaincu d’être auteur ou complice des complots qui ont existé depuis 1789 contre la liberté, la sûreté et la souveraineté du peuple[60]. Tant de vertige consterne et épouvante. Ce grand homme de bien avait été arrêté avec sa fille, sa petite-fille, et le mari de cette dernière, M. de Chateaubriand, frère aîné du célèbre écrivain. Tous dirent adieu à la vie le même jour, sur le même échafaud. On raconte de la sérénité de Malesherbes dans le moment suprême des traits qui méritent d’être conservés. Lorsqu’il arriva à la Conciergerie, il dit gaiement à un de ses codétenus : Vous le voyez, je me suis avisé, sur mes vieux jours, d’être un mauvais sujet, et l’on m’a mis en prison[61]. Comme il allait au supplice, son pied heurtant contre une pierre : Voici, s’écria-t-il, un mauvais présage ; un Romain, à ma place, serait rentré[62].

Malesherbes mourut le 3 floréal (22 avril), et Lavoisier le 18 floréal (8 mai) : en quinze jours, deux victimes illustres.

Lavoisier avait appartenu à l’association des fermiers généraux : c’est ce qui le perdit. Bien avant le mois de floréal, le déchaînement contre ces financiers de l’ancien régime était devenu terrible. Dénoncés comme sangsues du peuple dans une multitude de pamphlets, poursuivis sans relâche par le représentant Montaut et par Cambon, qui ne parlait que de leur faire rendre gorge[63], leur sort était fixé. L’examen de leurs actes fut confié à une commission, placée elle-même par l’Assemblée sous la surveillance de deux commissaires spéciaux, et qui, le 10 Boréal, présenta son rapport, après une longue et sérieuse enquête[64]. Lavoisier, au bruit de l’orage, s’était réfugié dans un asile que lui ménagea l’ancien concierge de l’Académie des sciences ; informé de l'arrestation de vingt-huit fermiers généraux, il tremble du danger que courait son hôte et se constitue prisonnier[65]. Le rapport, tel que le rédigea le député Dupin, était foudroyant ; il énumérait de nombreux faits de concussion, et concluait à envoyer les prévenus devant le Tribunal révolutionnaire, auquel on laissait le soin de distinguer entre les innocents et les coupables. Que Lavoisier fut au nombre des premiers, nul n’en pouvait douter et*n’en douta parmi ceux qui l’avaient connu. Mais, dans le monde savant, l’effroi paralysa l’émotion. Et toutefois le lycée des arts osa donner à l’illustre prisonnier une marque d’intérêt digne de lui : une députation, ayant obtenu d’être introduite dans son cachot, lui posa une couronne sur la tète[66]. Il est affreux d’avoir à dire qu’on le condamna, et plus affreux encore d’avoir à rappeler qu'il ne put obtenir un délai pour compléter des expériences utiles. Les uns prêtent à Dumas, les autres à Fouquier-Tinville, une réponse que rend heureusement douteuse l’excès de sa brutale imbécillité, joint à la non-concordance des témoignages[67] : Nous n’avons pas besoin de savants. Le refus inepte et barbare d’un sursis utile à la République, et l’application inique de la peine capitale à un délit commis sous un autre régime, délit qui, même en le supposant prouvé, n’était pas un péril pour la Révolution : voilà ce qu’on ne saurait trop condamner. Mais, dans la mort de Lavoisier, il est injuste de chercher la preuve que la Révolution était hostile au génie. Lavoisier fut frappé quoique savant, non comme savant, à une époque qui poussa jusqu’au fanatisme le culte du principe d’égalité. Son malheur fut d’avoir fait partie d’une compagnie financière contre laquelle s’élevaient des préventions violentes, et qu’après tout on ne jugea coupable qu’à la suite d’investigations approfondies. Car il y eut effort manifeste pour connaître la vérité ; on chargea des recherches, non-seulement une commission spéciale, mais les comités des finances et de l’examen des comptes ; les mémoires des fermiers généraux, librement produits, furent pesés avec soin, et, pour qu’un plus grand nombre d’examinateurs pussent assiste] - aux séances, on décida que les convocations auraient lieu dans le palais même de la Convention[68]. C’est surtout quand il s’agit de faits qui contristent la conscience humaine qu’il se faut garder de toute exagération, et opposer la vérité pure aux appréciations envenimées de l’esprit de parti.

Quant à Madame Elizabeth, nul doute qu’elle n’eût conspiré contre la Révolution, trempé dans le projet de fuite à Montmédy, entretenu avec les princes émigrés une correspondance suivie[69], et donné au fils de Louis XVI, captif, l’éducation de la royauté. Mais l’éducation qu’elle même avait reçue, son titre de femme, sa tendresse pour son frère, ses vertus privées, et les sentiments d’aversion qu’avaient dû naturellement lui inspirer des événements si funestes aux siens, tout cela ne plaidait-il pas en sa faveur ? la justice n’est véritablement juste qu’à la condition de tenir compte des circonstances atténuantes ; et c’est là, par malheur, ce que ne comprennent guère, en temps de discordes civiles, ceux qui tiennent la hache.

Robespierre le comprit néanmoins en cette occasion, et ses efforts pour sauver Madame Elizabeth furent précisément ce qui donna lieu à la fable ridicule d’un projet de mariage entre lui et cette princesse[70]. Il aurait aussi voulu sauver Thouret, si l’on en juge par le langage que celui-ci tenait dans la prison du Luxembourg, où il faisait continuellement l’éloge de Robespierre, et le désignait comme l’homme qui devait mettre un terme à la Terreur[71]. Mais il eût fallu pour cela un pouvoir que personne alors ne possédait. Collot-d’Herbois et Billaud-Varenne étaient là, l’œil fixé sur leur grand rival, et prêts à l’accabler sous l’accusation de modérantisme, pour peu qu’il prêtât le flanc. N’était-ce pas Billaud-Varenne qui s’était chargé d’aller prononcer à la tribune de la Convention le mot sans pitié ? et n’était-il pas, dans le Comité de salut public, le chef de la fraction opposée à Robespierre ?

Lui, sur cette pente sanglante où la force des choses roulait les hommes pêle-mêle, il cherchait, plein d’anxiété, un appui où il pût se retenir. De celle lutte confuse des éléments, il brûlait de dégager enfin le règne calme de la liberté. Il aspirait à séparer la révolution du chaos. Mais, des ruines de l’ancienne société dissoute, comment tirer une société nouvelle ? quel point de départ donner à l’œuvre de reconstruction, quand il ne resterait plus rien à abattre ? tout un monde de croyances séculaires ne s’écroule pas en un jour sans laisser un vide : comment le remplir, ce vide effrayant ? qu’on brise jusqu’au dernier des liens moraux qui forment une communauté, ses membres ne vont-ils pas s’entre-dévorer ? vainement leur demanderait-on de se tenir unis au moyen de la justice : quel espoir que la notion de la justice ait un caractère d’universalité et de permanence, là où elle est soumise au caprice des jugements individuels et Hotte au gré des intérêts divers ? combien petit le nombre des questions résolues d’une manière invariable par la conscience humaine, dans ces combats de l’esprit où, presque toujours, chacun des combattants dit et croit avoir de son côté la justice ? Il est, d’aille.urs, inhérent à la nature de l’homme de se préoccuper de ce qui fut et de ce qui sera ; de vivre par l'esprit en deçà de son berceau et au delà de sa tombe, de reculer par l’espoir, même par le rêve, les termes de son existence. Et, en ceci, la concordance des aspirations compte parmi les conditions essentielles de la sociabilité.

C’est ce que sentait profondément Robespierre ; à l’exemple de Jean-Jacques, il repoussait l’athéisme comme concentrant toutes les passions dans la bassesse de l’intérêt particulier, dans l’abjection du moi humain, et sapant à petit bruit les vrais fondements de toute société[72]. C’était aussi Jean-Jacques qui avait écrit :

Il y a une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité... César, plaidant pour Catilina, tâchait d’établir le dogme de la mortalité de l’âme : Caton et Cicéron, pour le réfuter, ne s’amusèrent point à philosopher ; ils se contentèrent de montrer que César parlait en mauvais citoyen et avançait une doctrine pernicieuse à l’Etat. En effet, voilà de quoi devait juger le sénat de Rome, et non d’une question de théologie... Les dogmes de la religion civile doivent être simples, en petit nombre, énoncés avec précision, sans explication ni commentaires. L’existence de la Divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois, voilà les dogmes positifs[73].

De là sortit le décret par lequel la Convention reconnut l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme.

Mais l'y décider demandait une rare puissance d’initiative.

Il y fallait un homme assez intelligent pour bien séparer la cause de Dieu d’avec celle des prêtres, assez fort pour résister aux railleries des indifférents, et assez courageux pour braver la colère des fanatiques d’incrédulité. Robespierre regarda l’entreprise en face, et s’y jeta sans pâlir.

Le 18 floréal (8 mai), on le vit paraître à la tribune, le visage plus altéré que d’ordinaire. Il se fait un grand silence, et lui commence en ces termes :

C’est dans la prospérité que les peuples, ainsi que les particuliers, doivent se recueillir, pour se mettre en garde contre l’ivresse, et écouter, dans le silence des passions, la voix de la sagesse et de la modestie qu’elle inspire. Le moment où le bruit de nos victoires retentit dans l’univers est donc celui où les législateurs de la République française doivent veiller avec une nouvelle sollicitude sur eux-mêmes et sur la patrie[74].

Il rappelle alors de combien de changements merveilleux la terre a été le théâtre ; il en annonce de plus merveilleux encore ; et, fier de voir le peuple français devancer les autres nations dans les voies où marche la raison humaine : l’Europe, continue-t-il, est à genoux devant les ombres des tyrans que nous punissons... Elle ne conçoit pas qu’on puisse vivre sans rois et sans nobles ; nous, qu’on puisse vivre avec eux... Nos sublimes voisins entretiennent gravement l’univers de la santé du roi, de ses divertissements, de ses voyages ; ils veulent absolument apprendre à la postérité à quelle heure d a dîné ; à quel moment il est revenu do la chasse ; quelle est la terre heureuse qui, à chaque instant du jour, eut l’honneur d être foulée par ses pieds augustes... Nous lui apprendrons, nous, les noms et les vertus des héros morts pour la Liberté[75]...

A mesure que Robespierre parlait, sa voix prenait une accentuation tragique. Jamais le frémissement nerveux qui parcourait, à la tribune, ses membres palpitants ; jamais le lie habituel qui tourmentait les muscles de sa face ; jamais le tressaillement involontaire de ses doigts jouant sur l’appui de la tribune comme sur les touches d’une épinette[76], ne révélèrent mieux l’intérêt profond de son âme dans la question soulevée. Au moment où il l’aborda, rien de plus véhément que son langage :

Qui donc t’a donné la mission d’annoncer au peuple que la Divinité n’existe pas, ô loi qui te passionnes pour cette aride doctrine, et qui ne le passionnas jamais pour la patrie ? Quel avantage trouves-tu à persuader à l’homme qu’une force aveugle préside à ses destinées, frappant au hasard le crime et la vertu, et que son âme n’est qu’un sou (fie léger qui s’éteint aux portes du tombeau ? L’idée de son néant lui inspirera-t-elle des sentiments plus purs et plus élevés que celle de son immortalité ? Lui inspirera-t-elle plus de respect pour ses semblables et pour lui-même, plus de dévouement pour la patrie, plus d’audace à braver les tyrans, plus de mépris pour la mort et pour la volupté ? Vous qui regrettez un ami vertueux, vous aimez à penser que la plus belle partie de lui-même a échappé au trépas ! Vous qui pleurez sur le cercueil d’un fils ou d’une épouse, êtes-vous consolés par celui qui vous dit qu’il ne reste d’eux qu’une vile poussière ? Malheureux qui expirez sous les coups d’un assassin, voire dernier soupir est un appel à la justice éternelle ! L’innocence sur l’échafaud fait pâlir le tyran sur son char de triomphe : aurait-elle cet ascendant, si le tombeau égalait l’oppresseur et l’opprimé ?... Je n’ai pas besoin d’observer qu’il ne s’agit ici de faire le procès à aucune opinion philosophique et particulière ni de contester que tel philosophe peut être vertueux, quelles que soient ses opinions, et même en dépit d’elles, par la force d’un naturel heureux ou d’une raison supérieure. Il s’agit de considérer seulement l’athéisme comme national et lié à un système de conspiration contre la République. Eli, que vous importent à vous, législateurs, les hypothèses diverses par lesquelles certains philosophes expliquèrent les phénomènes de la nature ? Vous pouvez abandonner ces objets à leurs disputes éternelles : ce n’est ni comme métaphysiciens ni comme théologiens que vous devez les envisager. Aux yeux du législateur, tout ce qui est utile au monde et bon dans sa pratique est la vérité. L’idée de l’Etre suprême et de l’immortalité de l’âme est un rappel continuel à la justice ; elle est donc sociale et républicaine[77].

 

C’était bien là, on le voit, le point de vue de Jean-Jacques. Aussi en quels termes pleins de respect et de tendresse le disciple rendit hommage à son maître ! Après avoir parlé avec une amertume à peine contenue de ceux des philosophes du dix-huitième siècle qui déclamaient quelquefois contre le despotisme et étaient pensionnés par les despotes, qui faisaient tantôt des livres contre la Cour et tantôt des dédicaces aux rois, qui composaient des discours pour les courtisans et des madrigaux pour les courtisanes, qui étaient fiers dans leurs écrits et rampants dans les antichambres, Robespierre ajoutait : Un homme, par l’élévation de son âme et par la grandeur de son caractère, se montra digne du ministère de précepteur du genre humain... Ah ! s’il avait été témoin de cette révolution dont il fut le précurseur et qui l’a porté au Panthéon, qui peut douter que son âme généreuse eût embrassé avec transport la cause de la justice et de l’égalité ![78]

Il faut citer intégralement le passage relatif aux prêtres :

Fanatiques, n’espérez rien de nous ! Rappeler les hommes au culte pur de l’Etre suprême, c’est porter un coup mortel au fanatisme. Toutes les fictions disparaissent devant la vérité, et toutes les folies tombent devant la raison. Sans contrainte, sans persécution, toutes les sectes doivent se confondre d’elles-mêmes dans la religion universelle de la nature. (On applaudit.) Nous vous conseillerons donc de maintenir les principes que vous avez manifestés jusqu’ici. Que la liberté des cultes soit respectée, pour le triomphe même de la raison ; mais qu’elle ne troublé point Tordre public, et qu’elle ne devienne pas un moyen de conspiration. Si la malveillance contre- révolutionnaire se cachait sous ce prétexte, réprimez-la, et reposez-vous du reste sur la puissance des principes et sur la force même des choses. Prêtres ambitieux, n'attendez donc pas que nous travaillions à rétablir votre empire ! Une telle entreprise serait même au-dessus de notre puissance. (On applaudit.) Vous vous êtes tués vous-mêmes, et Ton ne revient pas plus à la vie morale qu’à l’existence physique. Et, d’ailleurs, qu’y a-t-il entre les prêtres et Dieu ? Les prêtres sont à la morale ce que les charlatans sont à la médecine. (Nouveaux applaudissements.) Combien le Dieu de la nature est différent du Dieu des prêtres ! (Les applaudissements continuent.) Je ne connais rien de si ressemblant à l’athéisme que les religions qu’ils ont faites ; à force de défigurer l’Être suprême, ils l’ont anéanti autant qu’il était en eux ; ils en ont fait tantôt un globe de feu, tantôt un arbre, tantôt un homme, tantôt un roi ; les prêtres ont créé un Dieu à leur image ; ils l’ont fait jaloux, capricieux, avide, cruel, implacable ; ils l’ont traité comme jadis les maires du palais traitèrent les descendants de Clovis, pour régner sous sou nom et se mettre à sa place : ils l’ont relégué dans le ciel comme dans un palais, et ne l’ont appelé sur la terre que pour demander à leur profit des dîmes, des honneurs, des plaisirs et de la puissance. (Vifs applaudissements.) Le véritable prêtre de l’Etre suprême, c’est la nature ; son temple, l’univers ; son culte, la vertu ; ses fêtes, la joie d’un grand peuple rassemblé sous ses yeux pour resserrer les doux nœuds de la fraternité universelle, et lui présenter l’hommage des cœurs sensibles et purs. Prêtres, par quel litre avez-vous prouvé votre mission ? Avez-vous été plus justes, plus modestes, plus amis de la vérité que les autres hommes ? Avez-vous chéri l’égalité, défendu les droits des peuples, abhorré le despotisme et abattu la tyrannie ? C’est vous qui avez dit aux rois : Vous êtes les images de Dieu sur la terre ; c’est de lui seul que vous tenez votre puissance ; et les rois vous ont répondu : Oui, vous êtes vraiment les envoyés de Dieu ; unissons-nous pour partager les dépouilles et les adorations des mortels. Le sceptre et l’encensoir ont conspiré pour déshonorer le ciel et pour usurper la terre. (Applaudissements.) Laissons les prêtres, et retournons à la Divinité. (Applaudissements.)[79]

Robespierre termina par des considéra lions très-élevées sur la nécessité de rendre l’éducation commune et égale pour tous les Français, et d’établir des fêles nationales. Le décret qu’il proposa en conséquence, et qui fut rendu au milieu d’acclamations prolongées, portait :

Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme.

Il reconnaît que le culte digne de l'Etre suprême est la pratique des devoirs de l’homme.

Il sera institué des fêtes pour rappeler l'homme à la pensée de la Divinité et à la dignité de son être.

Elles emprunteront leurs noms des événements glorieux de notre Révolution, des vertus les plus chères et les plus utiles à l’homme, des plus grands bienfaits de la nature.

Il sera célébré, le 2 prairial prochain, une fête en l’honneur de l’Etre suprême[80].

 

Une clause fut ajoutée au décret, qui mettait au Panthéon Barra et Viola, enfants héroïques morts l'un et l’autre pour la liberté, et dont Robespierre avait célébré le dévouement[81].

Dans l'imposant discours qui vient d’être cité, il y avait deux taches : d’abord, une attaque gratuite et violente à Condorcet, et ensuite une insulte jetée à la mémoire de Danton. Robespierre espérait-il donc échapper, en décriant Danton, au reproche de l’avoir abandonné ? Triste illusion d’un cœur qui veut tromper son remords !

Quoi qu’il en soit, d’ardentes acclamations saluèrent dans toute la France le décret du 18 floréal. On vit affluer les adresses où la Convention était félicitée de sa sagesse[82] ; les sections vinrent l’une après l’autre témoigner de leur adhésion enthousiaste ; le gouvernement qui avait mis la justice et la vertu à l'ordre du jour fut proclamé dans toutes les sociétés populaires le seul digne d’achever l'œuvre de régénération commencée ; enfin, les habitants des communes de Montmorency et d’Ermenonville furent invités à transporter au sein de la Convention l’urne qui renfermait les cendres de Jean-Jacques[83].

Mais, en revanche, des colères venaient d’être éveillées, qui n’attendaient pour éclater qu’un moment favorable, et, pendant que les révolutionnaires de l’école du baron d’Holbach se répandaient en protestations sourdes, les prêtres, non moins irrités, quoique pour des motifs contraires, alimentaient sous main l’opposition des dévots, feignant de s’étonner qu'on eût osé débaptiser Dieu et lui faire l’injure de décréter son existence. Ils imputaient ainsi à Robespierre, par un grossier mensonge, d’avoir prétendu créer ce qu’il avait proclamé seulement[84].

Mais le mouvement était imprimé. La Commune, le club des Jacobins, les administrateurs du département de Paris, allèrent tour à tour déclarer à la Convention que leur profession de foi était la sienne ; Carnot, qui présidait alors l’Assemblée, répondit aux députations, absolument comme aurait pu le faire Robespierre lui-même[85] ; et un arrêté du Comité de salut public ordonna que désormais sur le frontispice des temples destinés aux fêtes publiques il n’y aurait plus d’autre inscription que celle-ci : A l’Être suprême[86].

Une circonstance montre combien l’entraînement fut général : Lequinio, en pleine séance des Jacobins, se prononça bien liant contre l’athéisme. Il oubliait les livres où il l’avait professé[87]. Robespierre, qu’il espérait sans doute gagner par la flatterie, le repoussa avec dédain[88].

L’ascendant de ce dernier grandissait de jour en jour. Encore un pas, et il était au sommet de sa fortune. Un événement inattendu sembla l’y pousser.

Dans la nuit du 3 au 4 prairial (22-23 mai), une patrouille passant sur la place du théâtre Favart entend tout à coup crier à l’assassin ! Les cris partaient de la maison n° 4, habitée par Collot-d'Herbois. On y court. Collot-d’Herbois était sur l’escalier, nu-tête, le visage pâle, sortant d’une lutte corps à corps qu’attestaient les tronçons d’un sabre et des poignées de cheveux arrachés. Deux coups de pistolet venaient d’être tirés, sans l’atteindre, sur le représentant du peuple ; et l’assassin, réfugié dans sa chambre, s’y était barricadé, criant que le premier qui forcerait la porte était mort. Un serrurier, nommé Geffroy, brave ses menaces, ouvre, et tombe grièvement blessé d’un coup de feu à l’épaule. On arrête le meurtrier. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, mais encore plein de vigueur. Sa physionomie sombre annonçait son âme. Il déclara que, voulant tuer Robespierre et n’ayant pu l’approcher, il s’était dédommagé en essayant de tuer Collot-d’Herbois, dans la maison duquel il demeurait. Il se nommait Admirai, était du Puy-de-Dôme, et occupait l’emploi de garçon de bureau à la loterie nationale. A l’Assemblée, pendant qu'il y attendait Robespierre pour l’immoler, Barère ayant commencé un discours qui lui parut ennuyeux, il s’était endormi ! Le seul regret qu’il témoigna fut celui d’avoir manqué son coup[89].

Or, le jour même où tout Paris s’entretenait de cette nouvelle, une jeune personne nommée Cécile Renault, à peine âgée de vingt ans, et fille d’un marchand papetier, se présentait, à neuf heures du soir, chez Robespierre. Informée de son absence, elle éclate en paroles de colère, et dit qu’un fonctionnaire public se doit à ses visiteurs. Son insistance, son langage, son attitude, éveillent les soupçons. Elle avait sur elle deux couteaux. On l’arrête. Qu’alliez-vous faire chez Robespierre ?Voir comment est fait un tyran. Elle ne fit nul mystère de son horreur pour la République, disant qu’elle préférait un roi à cinquante mille tyrans. Interrogée sur le fait d’un paquet qu’elle avait déposé chez un limonadier avant d’entrer chez Robespierre, elle répondit que, sachant où on la conduirait, elle avait voulu se pourvoir de linge. On lui demanda : de quel lieu parlez-vous ?De la prison, pour aller de là à la guillotine. — Et quel usage entendiez-vous faire des deux couteaux trouvés sur vous ?Aucun, n’ayant intention de faire du mal à personne ?[90] L’ensemble de ses réponses parut démentir la dernière : elle fut conduite en prison. L’assassinat rehausse les victimes quand il les manque. Collot-d’Herbois et Robespierre devinrent, pour un moment, l’objet d’une véritable idolâtrie de la part des révolutionnaires. L’indignation contre les royalistes était d'autant plus vive, que, tout récemment encore, François Gamain, le professeur de Louis XVI dans l’art de la serrurerie et son aide dans la construction de l’armoire de fer, avait présenté une pétition constatant la tentative Alite autrefois pour l’empoisonner[91]. C’est donc ainsi qu’on prétend nous combattre, disaient les révolutionnaires, furieux ! Le poignard, les coups de pistolet tirés dans l’ombre, le poison, voilà donc leurs armes ! Lorsque, le 6 prairial (25 mai), Collot-d’Herbois et Robespierre entrèrent dans la salle des Jacobins, l’enthousiasme fit explosion d’une manière touchante et terrible tour à tour. Legendre alla jusqu’à proposer qu’on donnât une garde aux représentants menacés. Etait-ce l’expression d’un intérêt sincère, ou une adulation basse, ou un piège ? Legendre avait tenu de trop près à la faction Dantoniste pour que, venant de lui, une telle proposition ne fût pas suspecte. Entouré d’une garde, Robespierre, qu’on accusait tant d’aspirer à la dictature, eût apparu comme un second Pisistrate : quel avantage ménagé à ses calomniateurs ! Couthon repousse vivement, pour son ami, un présent qui serait la mort. De son côté, en réponse à une motion du Dantoniste Rousselin, conçue dans le même esprit que celle de Legendre, Robespierre rejette l’idée d’honneurs qui ne pouvaient qu’exciter l’envie et la haine[92]. La modestie, en cette occasion, n’était qu’un conseil de la prudence.

Le 7, dans un rapport rédigé avec soin, Barère s’efforça de rattacher les attentats dont l'opinion publique s’était émue à la politique de Pitt. Il reprocha violemment à cette politique d’être sans foi et sans entrailles. Il la mit au ban de l’humanité pour avoir déclaré à la France une guerre à mort, où contre nous tout avait paru bon : solde payée à la révolte, recrutement de traîtres, organisation d’un vaste plan de famine, fabrication de faux assignats, violations continuelles du droit des gens, incendie de nos arsenaux et de nos magasins confié à la trahison, prime promise et payée à des assassins. Il y avait du vrai dans ce tableau ; mais, outre que les couleurs en étaient chargées, on y imputait fort injustement à la nation anglaise les torts d’un gouvernement qui la trompait, et qui d’ailleurs n’était pas sans rencontrer autour de lui, devant lui et au-dessous de lui, une opposition animée. Ce fut un sauvage et affreux décret que celui qui servit de conclusion à ces déclamations haineuses : La Convention nationale décrète : Il ne sera fait aucun prisonnier anglais ou hanovrien[93].

Une chose digne de remarque, c’est l’affectation perfide que mit Barère à citer certains passages des journaux anglais, où il était dit : Robespierre a fait ordonner Les soldats de Robespierre On ne pouvait mieux le désigner aux coups de l’envie, ni mieux servir la fureur de ceux qui le voulaient faire passer pour un tyran. Mais telle était alors la tactique convenue. Car déjà se tramait la conjuration qui se dénoua le 9 thermidor, conjuration dont les principaux membres furent Tallien, Bourdon (de l’Oise), Lecointre, Fréron, Barras, Rovère, Thirion, Courtois, Garnier (de l’Aube), Merlin (de Thionville)[94], dans la Convention ; Vadier, Amar, Voulland, dans le Comité de sûreté générale ; et, dans le Comité de salut public, Billaud, Collot et Barère. Au fond, ce que tous ces hommes abhorraient en Robespierre, c’était, ou son énorme ascendant moral, ou son austérité soupçonneuse et menaçante. Pour le perdre, quel moyen plus sûr que d’accréditer cette opinion : Il vise à la dictature ? Et cependant, si jamais croyances furent désintéressées dans le sens profond du mot, ce furent celles de Robespierre ; son discours du 7 prairial le prouve, et restera comme un témoignage impérissable de l’élévation de son âme. Jamais la parole humaine n’avait trouvé des accents d’une mélancolie plus fière.

Ce sera un beau sujet d’entretien pour la postérité, c’est déjà un spectacle digne de la terre et du ciel, de voir l’Assemblée des représentants du peuple français, placée sur un volcan inépuisable de conjurations, d’une main apporter aux pieds de l’éternel auteur des choses les hommages d'un grand peuple ; de l’autre, lancer la foudre sur les tyrans conjurés contre lui, fonder la première République du monde, et rappeler parmi les mortels la liberté, la justice et la vertu exilées. Us périront, les tyrans armés contre le peuple français ; elles périront, les factions qui s’appuient sur l’étranger. Vous ne ferez pas la paix : vous la donnerez au monde, et vous bêlerez au crime... Ils espéraient réussir à affamer le peuple français... Sa subsistance a été assurée. Quelle ressource leur reste-t-il donc ? l’assassinat. Ils espéraient exterminer la représentation nationale par la révolte soudoyée... que leur reste-t-il ? l’assassinat. Leurs satellites fuient devant nous ; mais il leur reste l’assassinat... Réjouissons nous donc, et rendons grâces au ciel, puisque nous avons assez bien servi notre patrie pour être jugés dignes des poignards des tyrans. Il est donc pour nous de glorieux dangers à courir ! Le séjour de la cité en offre donc au moins autant que le champ de bataille !... Ô rois et valets de rois ! Ce n’est pas nous qui nous plaindrons du genre de guerre que vous nous faites : il est digne de votre prudence auguste. Il est plus facile en effet de nous ôter la vie que de triompher de nos principes ou de nos armées... Quand les puissances de la terre se liguent pour tuer un faible individu, sans doute il ne doit plus s’obstiner à vivre. Aussi n’avons-nous pas fait entrer dans nos calculs l’avantage de vivre longuement... Quel homme sur la terre a jamais défendu impunément les droits de l’humanité ?... Pour mon compte, je trouve que la situation où les ennemis de la République m’ont placé n’est point sans avantages, car plus la vie des défenseurs de la liberté est incertaine et précaire, plus ils sont indépendants de la méchanceté des hommes. Entouré de leurs assassins, je me suis déjà placé moi-même dans le nouvel ordre de choses où ils veulent m’envoyer. Je ne liens plus à une vie passagère que par l’amour de la patrie et la soif de la justice ; et, dégagé plus que jamais de toutes considérations personnelles, je me sens mieux disposé à attaquer avec énergie les scélérats qui conspirent contre mon pays et contre le genre humain. Plus ils se hâtent, de terminer ma carrière ici-bas, plus je me veux hâter de la remplir d’actions utiles au bonheur de mes semblables. Je leur laisserai du moins un testament qui fera frémir les tyrans et leurs complices[95]...

A ce langage, écho d'une conviction héroïque, l’Assemblée se sentit invinciblement émue ; il y eut un moment où, comme transportée dans des régions supérieures, elle se leva tout entière[96] ; il y eut un moment où les ennemis de cet homme qui vivait ainsi dans l’amour de la mort s’étonnèrent de le haïr ; quand il descendit de la tribune, les applaudissements qui l’avaient plusieurs fois interrompu, éclatèrent avec une passion, avec une unanimité sans exemple ; et la Convention décréta que son discours serait traduit dans toutes les langues[97].

Le 20 prairial (8 juin) avait été fixé pour la fête de l'Etre suprême. Ce jour, attendu par Robespierre avec une impatience religieuse, arriva enfin. Jamais soleil d’été ne brilla d’un éclat plus pur. À travers la transparence du firmament, le regard semblait pénétrer d’autres cieux[98]. De grand matin, toute la ville fut en mouvement ; les maisons étaient ornées de branches d’arbres ou de guirlandes, et toutes les rues jonchées de fleurs ; pas une croisée que ne pavoisât un drapeau, pas un batelet sur la rivière qui ne voguât sous des banderoles[99]. A huit heures, le canon appelle le peuple au jardin des Tuileries, où un vaste amphithéâtre, montant des parterres jusqu’au balcon du pavillon de l’Horloge, attendait la Convention, et où une statue colossale couvrait la surface occupée par le grand bassin[100]. Tout se fit comme David, l’ordonnateur de la fête, l’avait réglé. Les mères portaient des bouquets de roses, les jeunes filles des corbeilles remplies de fleurs, les hommes des branches de chêne. L’instrument des supplices avait disparu sous de riches tentures. À voir la cordialité qui régnait dans les groupes et l’épanouissement des visages, qui n’eût dit que le temps de la haine était passé ? On se rapprochait sans se connaître, écrit un témoin oculaire ; on s’embrassait sans se nommer[101]. Quelques-uns se flattaient de l’espoir que la Révolution était close.

Robespierre avait été nommé, par exception, président de l’Assemblée : distinction fatale, insidieuse peut-être, qu’il eût été prudent de refuser ! En passant dans la salle de la Liberté, raconte Vilate[102], qui logeait au pavillon de Flore, je rencontrai Robespierre, revêtu du costume de représentant du peuple, tenant à la main un bouquet mélangé d’épis et de fleurs ; la joie brillait pour la première fois sur sa figure. Il n’avait pas déjeuné ; le cœur plein du sentiment qu’inspirait cette superbe journée, je l’engage à monter à mon logement ; il accepte sans hésiter. Il fut étonné du concours immense qui couvrait le jardin des Tuileries : l’espérance et la gaieté rayonnaient sur tous les visages. Les femmes ajoutaient à l’embellissement par les parures les plus élégantes. On sentait qu’on célébrait la fête de l’auteur de la nature. Robespierre mangea peu. Ses regards se portaient souvent sur ce magnifique spectacle. On le voyait plongé dans l’ivresse de l’enthousiasme : Voilà la plus intéressante portion de l’humanité, s’écriait-il. L’univers est ici rassemblé. Ô nature, que la puissance est sublime et délicieuse ! comme les tyrans doivent pâlir, à l'idée de cette fête !

Sachant que les membres du Tribunal révolutionnaire devaient venir chez Vilate, où la femme de Dumas était déjà[103], Robespierre perdit un peu de temps à les attendre ; de là un retard qui ne manqua pas de lui être imputé à crime. Il fait le roi ! murmuraient ses ennemis, et ils montraient son siège vide au milieu de l’amphithéâtre où la Convention l’avait précédé. Bourdon (de l’Oise), Merlin (de Thionville), Lecointre, et ceux qui pleuraient Danton, et ceux qui regrettaient Hébert, étaient animés d’une fureur sourde. Elle redoubla quand Robespierre parut au milieu des acclamations de la multitude. Ils disaient en mariant ce cri de l’envie à l’injure ou au sarcasme : Voyez comme on l’applaudit ![104] Lui, tenait levés sa figure blême et son front lisse, qu’illuminait un rayon de tendresse. Son discours en cette occasion, parut si beau, si pathétique, que La Harpe en fit un éloge passionné[105].

Une nation aux prises avec les oppresseurs du genre humain, suspendant le cours de ses travaux héroïques pour élever sa pensée vers le grand Etre qui lui donna la mission de les entreprendre et la force de les exécuter, voilà le spectacle que Robespierre proclama le plus auguste qui eût jamais fixé les regards des hommes. Il remercia Dieu d’avoir placé dans le sein de l’oppresseur triomphant le remords et l’épouvante ; dans le cœur de l’innocent opprimé, au contraire, le calme et la fierté. Il nia le droit divin des rois à dévorer l’espèce humaine, et le droit divin des prêtres à nous atteler, comme de vils animaux, au char des rois. L’auteur de la nature, dit-il, avait lié tous les mortels par une chaîne immense de félicité et d’amour : périssent les tyrans qui ont osé la briser ![106]

Peut-être était-ce alors le moment d’annoncer qu’une ère nouvelle - commençait, qu’on allait sortir de la terreur Robespierre recula devant cette déclaration magnanime, soit qu'il ne se crût pas encore la force de réaliser une telle promesse, ou que l’heure ne lui semblât pas tout à fait venue, ou que les colères grondant autour de lui l’avertissent du danger de fléchir, même d’en avoir l’air. Que la terreur lui parût nécessaire, quelques jours de plus contre les terroristes, la suite le prouva de reste ; et c’est ce qui explique cette phrase, si navrante au sein de la joie publique : Livrons nous aujourd’hui aux transports d’une pure allégresse ; demain, nous combattrons encore les vices et les tyrans[107].

Son discours achevé, il descendit des gradins, se dirigeant vers un groupe de monstres : l’Athéisme, l'Egoïsme, la Discorde, l’Ambition, groupe qui devait être incendié, et laisser voir debout sur ses débris la statue de la Sagesse[108]. Or il advint que, le voile qui couvrait cette statue ayant été brûlé, elle apparut entièrement noircie par la flamme, ce qui fut regardé comme un présage sinistre[109]. Après quelques paroles du président, la Convention, suivie de tout le peuple, s’achemine vers le Champ de Mars. Elle marchait entourée d’un ruban tricolore, porté par des enfants, des adolescents, des hommes mûrs, des vieillards, tous ornés d'après les différences d’âge, ou de violettes, ou de myrtes, on de chêne, ou de pampre. Les députés portaient le costume des représentants du peuple en mission, c’est-à-dire le panache au chapeau et la ceinture tricolore, mais point de sabre[110]. Chacun d’eux tenait à la main un bouquet composé d’épis de blé, de fleurs et de fruits. Au milieu de la représentation nationale roulait un char de forme antique, traîné par huit taureaux aux cornes d’or, et sur lequel brillait un trophée composé des instruments des arts[111]. Il était naturel qu’en sa qualité de président de la Convention Robespierre s’avançât le premier ; ceux de ses collègues qui avaient juré sa perte et qui s’étaient placés en tête ralentirent le pas à dessein, mettant le plus d’intervalle qu’ils pouvaient entre eux et lui, pour mieux faire croire à son orgueil et accréditer l’idée de ses prétendus projets de dictature.

Au centre du Champ de Mars s’élevait une montagne symbolique. Là devait être exécuté l’hymne à l'Etre suprême que Marie-Joseph Chénier avait composé[112]. Lorsque la Convention eut pris place au sommet de la montagne, et que l’immense cortège qui suivait se fut répandu autour, il se passa- une scène d’une indescriptible grandeur. L’invocation à l’Eternel poussée par des milliers de voix ; le bruit des trompettes mêlé aux clameurs d’un peuple émerveillé ; le pontificat de la philosophie inaugurée à la face du monde ; celle halle solennelle dans l’agitation ; la beauté du jour ; la fraîcheur des parures ; les jeunes filles jetant des fleurs au ciel ; les jeunes gens courbés d’abord sous la bénédiction paternelle, puis se redressant pleins d’une fierté mâle, agitant leurs sabres, et jurant de ne les poser qu’après avoir, contre les efforts conjurés de la terre entière, sauvé la France ; tout cela, suivant le témoignage unanime des contemporains, formait la plus touchante et la plus auguste cérémonie qu’on eût jamais vue[113].

Mais cela même exaspérait la haine des ennemis de Robespierre. Le retour eut pour lui quelque chose d’étrange, de terrible. Il se sentit comme poursuivi par le noir cortège des démons. Des paroles de mort retentissaient à son oreille, murmurées à voix basse, mais aussi pénétrantes que la lame d’un stylet. L’un disait : Vois-tu cet homme ! Il ne lui suffit pas d’être maître, il faut qu’il soit Dieu ! Un autre : Grand-prêtre, la Roche Tarpéienne est là ! Un troisième : Il y a encore des Brutus[114]. Il rentra dans sa demeure, l’esprit assiégé de pressentiments lugubres et le cœur oppressé. Les Duplay, qu’il avait quittés si joyeux le malin, comprirent combien il souffrait. Vous ne me verrez plus longtemps, leur dit-il[115].

 

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Dans les écrits qui appartiennent à la période révolutionnaire, le désintéressement de Merlin (de Thionville) a été souvent et rudement mis en question. Mais des pamphlets inspirés par l’esprit de parti, pleins d'erreurs, quelquefois noirs de calomnies, ne sont pas des sources où l’historien doive puiser aveuglément. Aussi ne nous y sommes nous pas arrêté. Nous n’avons tenu aucun compte des pages où Prudhomme décrit avec tant de complaisance le faste de Merlin (de Thionville) et jette des doutes si cruels sur l’accroissement de sa fortune pendant la Révolution ; car nous savons que, si le livre de Prudhomme contient des faits vrais, il en renferme beaucoup de mensongers. Nous n’avons pas même mentionné certaines insinuations flétrissantes dirigées par Robespierre contre Merlin (de Thionville), parce que ces insinuations, que rien n’appuie, nous ont paru dictées uniquement par une haine qui aimait à se nourrir de soupçons. Mais il est dans les Mémoires de Levasseur un passage où, sous le rapport du désintéressement et de la sévérité des mœurs républicaines, Merlin (de Thionville) est attaqué ; et ce passage, il nous a semblé de notre devoir d’historien de ne le point omettre : 1° parce que Levasseur y raconte une scène dans laquelle il a été personnellement acteur ; 2° parce que Levasseur était un honnête homme, et que ses mémoires sont d’un homme évidemment ami de la justice ; 3° parce que le récit en question porte tous les caractères de la vérité, et que Levasseur n’aurait pu mentir à ce point, en outrageant un ancien collègue, ayant appartenu comme lui à la Montagne, sans être le plus odieux et le plus impudent des imposteurs ; 4° enfin, parce que les Mémoires de Levasseur ont paru du vivant même de Merlin (de Thionville), et que le passage dont il s’agit est resté sans réponse. Que si maintenant l’on considère que, même avec tant de raisons d’admettre le témoignage de Levasseur, nous ne l’avons cité que sous toutes réserves (Voyez notre tome IX, chap. VI) en ce qui touche la conclusion qu’il est naturel d’en tirer, il faudra bien reconnaître qu’il nous était impossible d’apporter, dans notre recherche de la vérité, plus d’attention et plus de prudence.

Ceci entendu, nous nous faisons un devoir et un plaisir de publier la note suivante, que la fille de Merlin (de Thionville) nous a envoyée, en l'accompagnant d’une lettre où respire toute l’émotion de la piété filiale. Outre que cette émotion est sacrée à nos yeux, ce n’est pas nous qui rejetterons dans l’ombre tout ce qui serait de nature à présenter sous un jour favorable la mémoire des hommes de la Révolution. Nous souhaitons que, rapprochée du passage de Levasseur, l’explication que l’auteur de la note lui donne satisfasse et convainque le lecteur. Quant aux derniers mots qui la terminent, il se rappellera que nous n’avons rien dit qui eût pour conséquence de rapprocher Merlin (de Thionville) de Cambacérès et de Fouché, sous le rapport de la conduite politique. Nous n’avons rien avancé de semblable. Voici la note qui nous a été communiquée :

Merlin de Thionville, dont M. Louis Blanc, sur la foi de la Biographie universelle, semble faire un échappé dé Saint-Sulpice, après avoir fait effectivement ses humanités au séminaire de sa province, comme beaucoup de jeunes gens de ce temps, et son droit à l’université de Nancy, était revenu se fixer dans sa petite ville, où il s’était marié dès 1786, âgé seulement de vingt-quatre ans. La proclamation de la République l'y trouva maître, par la confiance de ses concitoyens, des fonctions d’officier municipal. Sa femme, appartenant comme lui à une bonne et ancienne famille bourgeoise de Thionville, lui avait apporté en dot une ferme dite le Quartier du Roi, et une maison de ville, située rue du Perche, qui furent vendues plus tard avantageusement. Lors de la mise en vente des biens nationaux, il fit l’acquisition du Mont-Valérien, de la partie culminante s’entend, comprenant, outre le couvent, une quinzaine d’hectares plantés en bois et en vignes. Cette propriété fut alors payée 17.000 fr., et j’ai quelquefois pensé que, malgré son peu d'importance, elle avait peut-être contribué, par sa situation si bien faite pour attirer l’attention, à donner prise à l’idée, répandue dès lors par les pamphlets de l’émigration, de la grande fortune de Merlin (de Thionville). Quoi qu’il en soit, le rétablissement du culte ayant rendu au calvaire anciennement établi sur cette colline un certain lustre, la propriété en fut rétrocédée à un curé de Paris au prix de 100.000 fr. Voilà quelle a été la source principale de l’amélioration de la fortune en question. Il y en a eu une autre. Sorti par la voie du sort, du Conseil des Cinq-Cents, Merlin devint un des cinq administrateurs des Postes ; à cette époque, les postes étaient encore exploitées, comme sous l'ancien régime, sous forme de fermage, et Recette entreprise habilement conduite, et dans des circonstances favorables, résulta pour lui, pendant dix-huit mois qu'il y eut part, un bénéfice assez notable. C’était le premier qu’il eût fait. Il s’en servit pour acheter dans de bonnes conditions une ferme située près de Sarcelles, et un petit fonds de bois. En 1799, les postes ayant été mises en régie, il quitta cette administration et fut nommé ordonnateur de l’aile droite de l’armée d'Italie, position qu’il ne conserva pas même un an, mais où il eut cependant le temps, grâce à son esprit d’ordre et de sévérité, de laisser une trace digne de lui. Il rentra alors dans la vie privée et revint habiter son couvent du Mont-Valérien. Ayant trouvé à s’en défaire, comme je l’ai dit tout à l’heure, et ayant également vendu sa ferme de Sarcelles et ses biens de Thion- ville, il concentra sa fortune sur le domaine de Commanchon, situé en Picardie, près de Cluny, qu’il acheta au prix de 160.000 fr. à la veuve du général Scherer et où il demeura vingt-deux ans, exclusive ment voué à son métier de cultivateur. C’est là que le trouva l'invasion de 1814. Commanchon fut pillé. Une compagnie de Prussiens, à l’instigation d’un gentilhomme du voisinage, vint s’y établir pendant plusieurs mois aux frais du propriétaire, tandis que celui-ci, à la tête d'un corps franc, combattait intrépidement l’ennemi ; divers embarras survinrent relativement à un fonds de bois qui avait été adjoint à la ferme, et dont une partie restait à payer ; bref, d'autres considérations encore s’ajoutant, Merlin se décida à vendre Commanchon, partagea entre ses deux enfants du premier lit ce qui leur revenait du fait de leur mère, et vint en 1824 se fixer à Paris, où il demeura jusqu’à sa mort. Sa fortune se montait alors à 50.000 fr., que ses deux enfants du premier lit abandonnèrent à leur jeune sœur, dont cette modeste somme fut la dot.

De tout temps, la vie de Merlin (de Thionville) est demeurée parfaitement conforme à cet état de fortune. Quand il fut nommé député à la Législative, il vint, avec sa femme frappée de cécité et ses deux enfants, s'établir dans un logement fort simple, d’abord rue du Petit- Carreau, et ensuite rue Saint-Thomas-du-Louvre, près du guichet. Sans s’abaisser à affecter des dehors de pauvreté, il vivait aussi bien que le lui permettait sa modeste fortune. Bien éloigné de ce train de prince qu’il faudrait lui supposer d'après ses ennemis, c'est sur la bonne servante qu’il avait amenée de sa petite ville que roulait tout le soin de sa maison. Quand il devint administrateur des Postes et qu'il dut nécessairement faire plus de figure, c’est dans un petit hôtel de la rue Saint-Lazare, quartier fort peu recherché à cette époque, qu'il vint s'installer, et sans autre table que celle de sa cuisinière de Lorraine. Quand il partit pour l’Italie, c'est tout simplement en diligence qu’il fit son voyage jusqu’à Marseille, où il s’embarqua dans un caboteur pour Finale.

A la vérité, Merlin de Thionville avait un goût qu'il conserva toute sa vie, et que l’on peut nommer à la rigueur un goût de luxe. Il aimait la chasse. Comme la plupart des hommes taillés pour la guerre, il trouvait dans cet exercice une satisfaction nécessaire à ses instincts d’activité et de mouvement. Seulement, n'étant point assez riche pour avoir une chasse à lui, il allait chasser chez des amis, soit à Gros-Bois, chez Barras, soit au Raincy, appartenant alors au marquis de Livry. C’est là que le rencontra Geoffroy de Saint-Hilaire, ainsi que je l'ai entendu narrer bien des fois à l’illustre zoologiste, et qu’il le mit en réquisition en le sommant de lui prêter main-forte pour la capture des animaux destinés à former le premier fonds de notre ménagerie ; et jamais, me disait mon excellent tuteur, son exercice favori ne lui avait causé tant de plaisir que dans cette occasion où il était venu s’adapter d’une manière si imprévue à un intérêt général. Il lui arrivait donc de chasser parfois même le daim, au grand scandale, on peut le croire, de plus d’un puritain de la Montagne ; mais sans être entraîné par ses plaisirs, ni à compromettre sa petite fortune, ni à éprouver le besoin de l’accroître, car tout l’équipage qu'il ait jamais eu, et dont il se tenait parfaitement content, se réduisait à deux bassets, les deux superbes meutes dont il est question dans l’assertion rapportée par Levasseur, qu’il affectionnait beaucoup et qu’il conserva longtemps.

Et maintenant, la conversation consignée par Levasseur dans ses mémoires a-t-elle besoin d’un autre commentaire ? Il suffit de la relire pour en voir du premier coup d’œil le véritable caractère. Certainement elle n’a pu être inventée : elle porte tout le caractère de la vérité et de la bonne foi. Mais qui n’y aperçoit le hussard de l’armée de Mayence, appliquant au rogue commissaire de l’armée du Nord un procédé de moquerie qui, dans le langage populaire et militaire, porte un nom d'une familiarité trop prononcée pour que nous nous en servions ici ? Il est évident que Merlin, peut-être par ressentiment de quelques propos malsonnants, s’amuse avec l’humeur goguenarde qui lui était habituelle, de la crédulité soupçonneuse de ses ombrageux collègues. Il n’y a qu'un point où les souvenirs de Levasseur lui ont sans doute fait un imperceptible défaut, c’est sur l’épithète de fripon, qu’il est censé jeter à la face de son interlocuteur. Il a pu grommeler le mot entre ses dents en se levant de sa place pour aller, comme il le dit, à l'autre extrémité de la montagne en choisir une plus éloignée d’un si abominable voisinage ; mais, s’il l’avait articulé, tous ceux qui ont jamais connu Merlin de Thionville, même dans sa vieillesse, pourraient dire comme moi qu’il en serait resté trace à Levasseur ailleurs que dans le souvenir.

Telle est vraisemblablement la réponse qu’aurait faite Merlin (de Thionville) à cette anecdote, dans ses mémoires qu’il préparait et dont il avait déjà réuni les éléments, lorsque la mort qui nous l’enleva vint malheureusement couper court à ce dessein ! Et sur le regret exprimé par M. Louis Blanc à cette occasion que Merlin n’ait pas ressemblé sous le rapport du désintéressement à Kléber, et un peu moins à Fouché et à Cambacérès, je rappellerai simplement qu’il est un trait que l’historien ne devrait pas négliger, car il est essentiellement propre à faire distinguer du premier coup ceux qu’il convient de laisser avec les Fouché et les Cambacérès : c’est l’empressement à jeter bas les insignes de la République pour endosser les livrées lucratives de l’Empire. Voilà où les âmes qui s’étaient avilies dans les régions de la Révolution se reconnaissent. Celle de Merlin de Thionville a-t-elle fléchi à cette épreuve ?

 

 

 



[1] Moniteur, an II (1794), n° 200.

[2] Moniteur, an II (1794), n° 200.

[3] Moniteur, an II (1794), n° 208.

[4] Voyez dans le neuvième volume de cet ouvrage le chapitre : Constitution de 1793.

[5] Biographie de Condorcet, par F. Arago, dans les Œuvres de Condorcet, publiées par A. Condorcet, O'Connor et F. Arago.

[6] Œuvres de Condorcet, p. 142 et 143.

[7] Œuvres de Condorcet, p. 152.

[8] Œuvres de Condorcet, p. 142.

[9] Beaulieu, Essais historiques sur la Révolution de France, t. V, p. 481.

[10] Beaulieu, Essais historiques sur la Révolution de France, t. V, p. 481. Cette version, il faut bien le dire, n’est pas celle que semble admettre le savant biographe de Condorcet, M. Arago.

[11] Biographie de Condorcet, par M. Arago, p. 153.

[12] Mercier, Le Nouveau Paris, t. V, chap. CLXXXVIII.

[13] Ce poison (on ignore sa nature), avait été préparé, dit-on, par un médecin célèbre. Celui avec lequel Napoléon voulut se donner la mort à Fontainebleau avait la même origine et datait de la même époque. (Note de M. F. Arago.)

Le médecin auquel M. Arago fait allusion dans cette note est Cabanis, beau-frère de Condorcet.

Mercier prétend que, dans son cachot, Condorcet mourut de faim. C’est la raison, dit-il, pour laquelle cet événement, qui devait naturellement faire du bruit, est resté secret jusqu'à ce moment, et qui a fait naître, depuis, l’idée du poison. (Voyez le Nouveau Paris, t. V, chap. CLXXXVIII). Voici ce qu’on lit dans Beaulieu : On dit que Condorcet mourut de faim : ce qui paraît plus certain, c’est qu’il s’empoisonna. (Voyez Essais historiques sur la Révolution de France, t. V, p. 481.)

[14] Correspondance entre Voltaire et Condorcet.

[15] Beaulieu, Essais historiques sur la Révolution de France, t. V, p. 338.

[16] Beaulieu, Essais historiques sur la Révolution de France, t. V, p. 338.

[17] Beaulieu, Essais historiques sur la Révolution de France, t. V, p. 339.

[18] Réponse des membres des anciens Comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 110 ; Bibl. hist. de la Révol. (1097-8-9). (British Muséum.)

[19] Réponse des membres des anciens Comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 110 ; Bibl. hist. de la Révol. (1097-8-9). (British Muséum.)

[20] Beaulieu, Essais historiques sttr la Révolution de France, t. V, p. 287.

[21] Essais historiques sur la Révolution de France, t. V, p. 288 et 289.

[22] Procès de Chaumette, Dillon, etc. Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 255.

[23] Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 257. — C’est par erreur que M. Michelet met ces paroles dans la bouche de Lucile Desmoulins.

[24] Voyez le procès, Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 260.

[25] Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 284.

[26] Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 299.

[27] Voyez le n° II du Vieux Cordelier. — Collection des Mémoires, etc.

[28] Voyez le procès, Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 285.

[29] Annales ecclésiastiques, t. III, p. 466. (Lettre de M. Lothringer, du 11 mars 1797.)

[30] Voyez le discours prononcé par Robespierre, dans la séance des Jacobins, du 21 novembre 1795.

[31] Voyez le procès de Chaumette, Dillon, etc. Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 288.

[32] Déposition de Thierriet Grandpré, dans le procès de Fouquier-Tinville.

[33] Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 302.

[34] Essai sur la vie de Camille Desmoulins, par M. Matton.

M. Matton met dans la bouche de Lucile, au moment du jugement, des paroles violentes et emphatiques dont nous n’avons pas cru devoir tenir compte, non-seulement parce qu’il n’en est pas trace dans le compte rendu officiel, mais parce qu’elles ne s’accordent pas avec ce que Thierriet Grandpré, témoin sympathique et témoin oculaire, dit de l’attitude de l’accusée.

[35] Beaulieu, Essais historiques sur la Révolution de France, t. III, page 4.

[36] Cette circonstance se trouve rappelée dans une lettre de madame Duplessis, publiée par M. Matton.

[37] Beaulieu donne ce fait comme l’ayant entendu plusieurs fois raconter au libraire Maret lui-même. Voyez Essais historiques sur la Révolution de France, t. VI. (Note de la page 10.)

Madame Elizabeth fut condamnée à mort le 21 floréal (10 mai). Voyez le Moniteur, an II (1794), n° 233.

[38] Voyez le Moniteur, an II (1794), n° 194.

[39] Voyez le Moniteur, an II (1794), n° 208.

[40] Voyez le discours de Couthon, dans la séance du 22 germinal. Moniteur, an II (1794), n° 203.

[41] Voyez le Moniteur, an II (1794), n° 207.

[42] Moniteur, an II (1794), n° 207.

[43] Moniteur, an II (1794), n° 207.

[44] Voyez le Moniteur, an II (1794), n° 207.

[45] Moniteur, an II (1794), n° 207.

[46] Moniteur, an II (1794), n° 208.

[47] Moniteur, an II (1794), n° 210.

[48] Moniteur, an II (1794), n° 210.

[49] Moniteur, an II (1794), n° 210.

[50] Séance de la convention du 1er floréal (20 avril).

[51] Moniteur, an II (1794), n° 212.

[52] Moniteur, an II (1794), n° 212.

[53] Moniteur, an II (1794), n° 212.

[54] Moniteur, an II (1794), n° 212.

[55] Moniteur, an II (1794), n° 212.

[56] Les quatre premiers furent condamnés à mort le 5 floréal (22 avril) ; le cinquième périt le 18 floréal (8 mai), et la sœur de Louis XVI le 21 floréal (11 mai).

[57] Beaulieu, Biographie de d'Éprémesnil.

[58] D'Éprémesnil fut un des premiers moteurs, et le plus ardent, des résistances parlementaires contre la Cour. L’acte d’abolition de la noblesse eut pour rédacteur Le Chapelier.

[59] L’auteur de l’article qui le concerne dans la Biographie universelle a fait, pour prouver le contraire, de bien pauvres efforts, et qui tombent devant le témoignage de J.-B. Dubois, ami de Malesherbes, et dont la Notice historique, en matière de faits, a beaucoup d’autorité. Cette Notice historique sur Lamoignon de Malesherbes fut publiée en 1806.

[60] Moniteur, an II (1794), n° 221.

[61] J.-B. Dubois, Notice historique sur Lamoignon de Malesherbes, p. 153.

[62] J.-B. Dubois, Notice historique sur Lamoignon de Malesherbes, p. 154.

[63] Discours de Dupin dans la séance du 10 floréal an II. Moniteur, an II (1794), n° 230.

[64] Moniteur, an II (1794), n° 230.

[65] Dictionnaire de la conversation. — Art. Lavoisier.

[66] Dictionnaire de la conversation. — Art. Lavoisier.

[67] La réponse dont il s'agit est attribuée à Dumas par les auteurs de l’Art de vérifier les dates, t. I, p. 185. Elle est attribuée à Fouquier-Tinville par l'auteur de l’article Lavoisier dans le Dictionnaire de la conversation ; et, quant à la Biographie universelle, elle ne nomme personne et s'exprime ainsi : Le chef de cette horrible troupe, etc.

[68] Tout ceci constaté dans un discours prononcé par Dupin, rapporteur de la commission, le 16 floréal an II. Voyez le Moniteur, an II (1794), n° 230.

[69] Les royalistes l’en louent. Voyez l’article qui la concerne dans la Biographie universelle.

[70] Croirait-on que, dans un petit pamphlet de huit pages, publié après le 9 thermidor, et intitulé Nouveaux et intéressants détails de l'horrible conspiration de Robespierre et de ses complices, on lit : Le 10 thermidor, la fille de Louis XVI, contrairement à son habitude, se leva au point du jour et mit ses plus beaux habits. Le 12, elle prit le deuil ?

[71] Beaulieu, enfermé dans la même prison que Thouret, raconte le fait en deux endroits différents, dans ses Essais historiques sur la Révolution de France d’abord, et ensuite dans la Biographie universelle, article Thouret. Dans la Biographie universelle, ouvrage ultra-royaliste, comme chacun sait, Beaulieu cherche à donner au langage de Thouret, concernant Robespierre, une couleur de lâcheté. Mais ce n’est pas du tout ainsi qu’il présente lui-même la chose dans ses Essais historiques sur la Révolution de France.

[72] Émile, t. III, p. 114 et suiv. Amsterdam, MDCCLXII.

[73] Contrat social, liv. IV, chap. VIII.

[74] Moniteur, an II (1794), n° 229.

[75] Moniteur, an II (1794), n° 229.

[76] Charles Nodier, Biographie de Robespierre.

[77] Moniteur, an II (1794), n° 229.

[78] Moniteur, an II (1794), n° 229.

[79] Moniteur, an II (1794), n° 229.

[80] Moniteur, an II (1794), n° 229.

[81] Moniteur, an II (1794), n° 229.

[82] Moniteur, an II (1794), n° 249.

[83] Moniteur, an II (1794), n° 234.

[84] L’accusation d’impiété qui consistait à dire que Robespierre avait décrété l’existence de Dieu avait tellement couru quand Boiste publia son Dictionnaire de la langue française, qu’il se servit de cette phrase comme d’exemple, au mot décréter.

Il est remarquable que les mêmes hommes, qui trouvent si extraordinaire que la Convention ait proclame par décret un principe religieux, trouvèrent tout simple, après la Révolution de 1830, que la religion catholique fût déclarée, par la loi, religion de l’État. Il est vrai qu’il y eut discussion, et que le résultat fut la constatation, cette fois incontestablement ridicule, de ce fait statistique : La religion catholique est la religion de la majorité des Français !

Charles Nodier a écrit : J’avoue que, les dogmes admis, le côté bouffon de cette formule — la reconnaissance de l’Être suprême et de l’immortalité de l’âme — m’échappe tout à fait, et, pour compléter ma pensée, j’avoue que je la trouve très-convenable et très-belle... Rien n'était plus. C’est donc ici la pierre angulaire d’une société naissante. C’est le renouvellement du monde. C’est le cri de ce monde, éclos d’un autre chaos, qui se rend compte de sa création et qui en fait hommage à son auteur ; l’élan de la société entière, le jour où elle a retrouvé les titres oubliés de sa destination éternelle. — Dictionnaire de la conversation, au mot Robespierre.

[85] Moniteur, an II (1794), n° 236, 239, 240.

[86] Moniteur, an II (1794), n° 239.

[87] Beaulieu, Biographie de Lequinio.

[88] Beaulieu, Biographie de Lequinio.

[89] Voyez le procès-verbal de la section de Lepeletier, Moniteur, an II (1794), n° 250.

[90] Rapport du Comité de sûreté générale et de surveillance, Moniteur, an II (1794), n° 250.

L’interrogatoire de Cécile Renault montre ce qu’il faut penser de la véracité de Riouffe, qui, dans ses Mémoires, p. 74-75, dit avec une rare assurance : Cécile Renault n’avait pas la moindre arme offensive sur elle.

[91] Le rapport de Peyssard sur la pétition de Gamain fut présenté à la Convention le 28 floréal (17 mai). Nous avons donné au long dans cet ouvrage les détails relatifs à l’étrange aventure dont Gamain fut le héros.

[92] Voyez la séance du 6 prairial, aux Jacobins, dans le Moniteur, an II (1794), n° 250.

[93] Séance du 7 prairial (26 mai), Moniteur, an II (1794), n° 250.

[94] Voyez la note placée à la suite de ce chapitre.

[95] Moniteur, an II (1794), n° 250.

[96] Voyez le compte rendu du Moniteur.

[97] Voyez le compte rendu du Moniteur.

[98] Charles Nodier, Biographie de Robespierre.

[99] Charles Nodier, Biographie de Robespierre.

[100] Moniteur, an II (1794), n° 265.

[101] Charles Nodier, Biographie de Robespierre.

[102] Vilate, Causes secrètes de la Révolution, du 9 au 10 thermidor.

[103] Vilate, Causes secrètes de la Révolution, p. 196.

[104] Dernier discours de Robespierre, trouvé manuscrit dans ses papiers et imprimé par ordre de la Convention.

[105] Garat, Mémoires historiques sur le XVIIIe siècle et sur M. Suard, liv. VIII, p. 339.

[106] Moniteur, an II (1794), n° 262.

[107] Moniteur, an II (1794), n° 262.

[108] Plan de la fête à l'Être suprême, proposé par David et décrété par la Convention nationale. Voyez le Moniteur, an II (1794), n° 259.

[109] Senar, p. 188-189.

[110] Conformément au décret rendu par la Convention. Voyez le Moniteur, an II (1794), n° 259.

[111] Moniteur, an II (1794), n° 265.

[112] Plan de David. Moniteur, an II (1794), n° 259.

[113] Voyez la Biographie de Robespierre, par Charles Nodier. — Moniteur, an II (1794), n° 265.

[114] Voyez le discours de Robespierre du 8 thermidor ; les Mémoires de Sénar, et les Mystères de la mère de Dieu dévoilés, par Vilate.

[115] Cette circonstance est racontée par M. Esquiros dans son Histoire des Montagnards, d’après des renseignements obtenus de la famille même.