HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME DIXIÈME

LIVRE ONZIÈME

 

CHAPITRE QUATRIÈME. — LES PROCONSULS

 

 

Saint-Just et Lebas à Strasbourg. — Leur énergie, leur désintéressement. — Caractère tout romain de leurs arrêtés. — Respect qu'ils inspirent. — Schneider. — La Propagande, Monet, Edelmann, Jung. — Lutte du parti allemand et du parti français. — Destitution des autorités constituées. — Saint-Just délivre la contrée de l'oppression de Schneider. — C’est Robespierre qui fait juger Schneider. — Saint-Just sauve l’Alsace sans verser une goutte de sang. — La Terreur blanche bien plus terrible que la Terreur rouge. — Ysabeau et Tallien à Bordeaux. — Tallien terroriste. — Le régime de la Terreur installé à Bordeaux sans nécessité. — Mesures d'humanité bientôt suivies d'exécutions sanglantes. — Nombre des victimes. — Ordres barbares ; le refus de Brune empêche qu’il y soit donné suite. — Faste étalé par Ysabeau et Tallien dans Bordeaux affamé. — Mépris que cette conduite leur attire de la part des révolutionnaires. — Perrens d’Herval et le Comité de surveillance. — L’autorité des deux commissaires bravée. — Ils destituent le Comité de surveillance, qui est maintenu par le Comité de salut public. — Amours de Tallien et de la fille du banquier espagnol Cabarrus ; leur influence sur la conduite ultérieure de Tallien. — Source de la richesse de Tallien. — L'intégrité de Robespierre lui fait peur. — Fréron et Barras terroristes. — Lettres odieuses de Fréron à Moyse Bayle. — Régime de sang qu’il établit à Marseille ; ses dévastations. — Fréron et Barras joignent les exactions aux barbaries. — Us deviennent les ennemis de Robespierre, parce que celui-ci dénonce leurs excès. — Belle lettre de Robespierre jeune à son frère. — Fouché et Collot-d'Herbois à Lyon. — Contraste entre leur politique et la politique modérée de Couthon. — Ils établissent à Lyon le régime de la Terreur. — Orgies hébertistes. — Instruction adressée au peuple. — Comité de séquestre. — Comité de démolition. — Commission révolutionnaire de sept juges. — La guerre aux maisons. — Arrivée de Ronsin. — Collot-d’Herbois et Fouché méditent un système d’extermination. — Collot cherche à conjurer d’avance l’indignation de Robespierre. — Étranges lettres qu'il lui écrit, sans obtenir de réponse. — Il s’adresse à Duplay, mais en vain — Le canon employé contre les condamnés. —- Scènes affreuses. — Physionomie du tribunal révolutionnaire institué par Fouché et Collot-d'Herbois. — Leur tyrannie soulève contre eux Robespierre. — Projet de mariage entre Fouché et la sœur de Robespierre manqué. — Carrier à Nantes. — Abominables cruautés commises par les Vendéens. — Goullin, Bachelier, Chaux, le cloutier Proust et sa femme. — Histoire détaillée de la tyrannie de Carrier. — Noyades. — Ce fut Robespierre qui fit rappeler Carrier. — Rapprochement historique.

 

Pendant ce temps, le régime des proconsuls, représenté à Strasbourg par Saint-Just et Lebas, sauvait la France, qu’il remplissait, au contraire, de sang et d’horreur, à Bordeaux, à Marseille, à Lyon, à Nantes, où les représentants de ce régime, qui contient la mort quand il ne surexcite pas la vie, étaient Tallien, Barras et Fréron, Fouché et Collot-d’Herbois, Carrier.

Lorsque Saint-Just et Lebas furent envoyés en Alsace, avec le titre de commissaires extraordinaires, tout, de ce côté, nous l’avons dit, semblait perdu. Découragée par la perle des lignes de Weissembourg, et vivement poussée par les Autrichiens, l’année française n’était plus que l’ombre d’une armée. Pas de vivres, pas de vêlements, pas de chefs, nulle discipline. A Strasbourg, la contre-révolution triomphait de la dépréciation des assignats, de la détresse publique, et tenait à la gorge le pauvre affamé. On se passait de main en main des cocardes blanches. De mystérieux émissaires s’en allaient jeter des couronnes empreintes sur des étoffes jusque dans les guérites des remparts. Des émigrés avaient reparu, ils se promenaient la tête haute. On eût dit les autorités atteintes de paralysie. Les réquisitions, vain mot ! Aussi manquait-on de grains, de chariots, de bois de chauffage. Les administrateurs passaient des marchés de chandelles à sept francs la livre. Les lieux de débauche regorgeaient d’officiers, dont l’activité sans emploi était en train de s’avilir. On voyait errer çà et là, dans la campagne, une foule de militaires vagabonds. Les soldats blessés pourrissaient, sans secours, sur le grabat solitaire des hôpitaux. Le désordre, en un mot, était immense, et demandait, pour être réprimé, un mélange de sagesse et de vigueur auquel n’avaient pu s’élever jusqu’alors les représentants du peuple en mission, Lacoste, Baudot, Ruamps, Milhau et Soubrany[1].

Saint-Just se montra et Strasbourg s’émut.

L’aspect du morne jeune homme, sa beauté menaçante, ses cheveux épais et poudrés à blanc sur ses noirs sourcils, la tenue immobile et perpendiculaire de sa tête sur sa cravate volumineuse quoique serrée, la roideur presque automatique de ses mouvements, ne pouvaient manquer de faire effet sur la multitude ; et l’impression s’accrut, quand on l’entendit parler de cette voix économe de paroles et tranchante qu’accompagnait, chez lui, le geste sec du commandement.

Une seule chose rassurait : c’était d’apercevoir à côté de Saint-Just la douce et sympathique figure de Lebas[2].

Par une série d’arrêtés dont la gravité des circonstances explique, et dont le résultat général justifie l’âpreté, les deux proconsuls décidèrent :

Que tout militaire qu’on trouverait caché dans la ville serait fusillé sur-le-champ[3] ;

Que la municipalité fournirait un certain nombre de souliers aux défenseurs de la patrie : mauvais citoyen qui ne se prêterait pas à cette mesure[4] ;

Qu'il serait créé une commission pour l’approvisionnement de la place[5] ;

Que les administrateurs rebelles aux réquisitions du gouvernement seraient renfermés jusqu’à la paix[6] ;

Que, vu la malpropreté meurtrière des hôpitaux, la municipalité tiendrait deux mille lits prêts dans vingt-quatre heures chez les riches, pour être délivrés aux soldats malades ou blessés ; et que les défenseurs de la liberté seraient soignés désormais avec le respect dû à la cause servie par eux et à la vertu[7] ;

Que les biens de quiconque aurait acheté les effets d’un soldat seraient confisqués au profil de la République[8] ;

Que, pour vêtir l’armée, demi-nue, tous les manteaux seraient mis en réquisition, et déposés, du jour au lendemain, dans les magasins delà République[9].

Mesures extrêmes, sans doute. Mais l’ennemi était la, le bras levé ; et la contre-révolution tenait la porte ouverte à l’invasion ; valait-il mieux que la France périt ? Car il s’agissait alors, non de la rendre aux Bourbons, mais de la démembrer[10].

Ceux des riches en qui vivait la patrie le sentaient si bien eux-mêmes, qu’au moment de la perte des lignes de Weissembourg ils avaient provoque un emprunt sur les personnes opulentes, s’offrant à donner l’exemple, et demandant qu’on frappât ceux qui refuseraient de les imiter. Ce fut en réponse à cette offre dont ils glorifièrent le caractère patriotique que Saint-Just et Lebas publiaient l’arrêté suivant : Pour soulager le peuple et l’armée, il sera levé un emprunt de neuf millions sur les citoyens dont la liste est ci-jointe. Les contributions seront fournies dans les vingt-quatre heures[11].

Des écrivains ont osé dire : C’était joindre l’insulte à l’oppression[12]. L’insulte ? Elle eût été à regarder comme un mensonge l’offre de secourir la patrie agonisante ! Il était ajouté dans l’arrêté : Deux millions seront prélevés sur cette contribution pour être employés au besoin des patriotes indigents de Strasbourg. Un million sera employé à fortifier la place. Six millions seront versés dans la caisse de l’armée[13].

Ce n’étaient point là des exactions à la manière de Verrès. A la France seule, au soulagement de ses douleurs, à l’œuvre sainte de sa délivrance, fut consacré l’or que levèrent à Strasbourg les deux proconsuls qui y représentaient la politique de Robespierre. Quant à eux, ils restèrent pauvres, en commandant à la richesse. Tandis qu’ailleurs, Fouché, Carrier, Ronsin, et tant d’autres tyrans sortis de l’école anarchique d'Hébert, déshonoraient par le faste et la débauche le régime des dictatures locales, Saint-Just et Lebas menaient une vie austère au sein de la toute-puissance. Leur intégrité eut un tel éclat, qu’elle imposa respect à la calomnie, même après leur chute[14].

Et la simplicité de leurs mœurs fut d’autant plus remarquée, qu’elle contrastait avec les habitudes de certains de leurs collègues. Dans un recueil de pièces concernant la révolution à Strasbourg, nous trouvons à cet égard des révélations curieuses. Voici, par exemple, un billet que Garnier, secrétaire des représentants Baudet et Lacoste, écrivait à l’administrateur des subsistances :

Je le prie, mon cher Gr... d’envoyer tout de suite du vin étranger chez le représentant Lacoste. Il faut qu’on en ait encore pour le dîner[15]...

Autre billet du même :

Citoyen, envoie-nous vite du vin étranger. On est à table, et l’on crie contre loi de ce que tu n’as pas fait la commission que t’a donnée ce matin le maire[16].

Autre billet de Garnier au maire :

Citoyen maire, je t’envoie l’ordre que je viens de recevoir. Tu vois qu’il nous faudrait quelques bouteilles de champagne et de bordeaux, car nous n’avons plus que Quelques bouteilles de vin doux, sur lesquelles on fait la grimace, ou qui, du moins, n’égayent pas. Bien entendu, cependant, que tu viendras aussi souper ce soir avec le citoyen L... (Lacoste). Tu lui feras plaisir[17].

 

Inutile d’ajouter que les noms de Saint-Just et Lebas ne figurèrent dans aucune demande de ce genre. Eux ne se montrèrent avides que pour la patrie.

Toutefois il était naturel que des réclamations s’élevassent contre l’arbitraire de la liste de répartition et de la taxe, surtout plus tard, le lendemain du 9 thermidor, alors que chacun était encouragé à jeter sa pierre aux tombeaux où dormaient les vaincus, alors que se poser en victime à indemniser était une spéculation lucrative. De là des plaintes qui, pour avoir été tardives, n’en furent que plus bruyantes, mais qui n’ont qu’une bien faible valeur historique, parce qu’elles se produisirent dans un moment où les dominateurs du jour avaient intérêt à les provoquer et à les grossir, pendant que ceux qu’elles atteignaient étaient condamnés à l’éternel silence. D'ailleurs, parmi les imposés, il y avait des contre- révolutionnaires ardents que le montant de la taxe exaspérait moins encore que son but, et c’est le droit, c’est le devoir de l'histoire de suspecter le témoignage de leur fureur. Ce qu’il est raisonnable d’admettre néanmoins, c’est que l’urgence même des mesures adoptées dut entraîner une précipitation qui, à son tour, put donner lieu à des injustices partielles. Il n’y a rien, par exemple, que de très-possible dans le fait de cet aubergiste de Strasbourg qui, imposé à quarante mille livres, alla courageusement, dit-on, présenter à Saint-Just la clef de sa maison sur une assiette, en le priant de se charger de ses dettes[18]. Mais quelle fut la réponse de Saint-Just ? On n’eût pas oublié de nous la faire connaître, si elle eût accusé la dureté de son cœur !

Non qu’il fût porté à fléchir, quand la résistance lui paraissait coupable, loin de là. Sentant bien qu’il y allait, pour la Révolution, d’une question de vie ou de mort, d être obéie, et promptement, il brisa tout d’abord les volontés rebelles par quelques exemples très-propres à subjuguer les esprits, quoique non sanglants. Le plus riche imposé dans l’emprunt des neuf millions n’ayant point payé dans le délai prescrit, Saint-Just ordonna que. Pendant trois heures, on le donnât en spectacle au peuple sur le plancher de la guillotine. L’ordre portait : Ceux qui n’auront pas acquitté leur imposition dans la journée de demain subiront un mois de prison pour chaque jour de retard, attendu le salut impérieux de la patrie[19].

Par un autre arrêté, daté de Saverne, il fut enjoint au tribunal criminel de faire raser la maison de quiconque serait convaincu d’agiotage et d’avoir vendu à un prix au-dessus du maximum[20].

Décrier les assignats, c’était jeter la France dans un effroyable chaos. Contre ceux qui y travaillaient, l’arrêté de Saint-Just, à cette époque, n’était ni moins nécessaire plus rigoureux que la loi qui punit de mort les incendiaires. Un exemple, — ce fut assez d’un seul, — réalisa la menace. Un pelletier nommé Schauer ayant exigé d’un de ses locataires au delà du maximum, on le traduit devant le tribunal criminel. Il était connu pour ses manœuvres dans le genre de conspiration qui tendait à l’avilissement des assignats, et l’on prouva que sa fille, Suzanne Marguerite, s’en allait disant : Un assignat de cinq livres, c’est cinquante sols. L’arrêt fut : La maison du citoyen Schauer sera rasée, et sur l’emplacement l’on dressera un poteau destiné à servir d’avertissement aux agioteurs et à quiconque serait tenté d’avilir la monnaie sociale[21].

Les représentants du peuple Baudot et Lemoine avaient adressé à leurs correspondants cette recommandation singulière : Soyez brefs. Les longues phrases appartiennent au régime des monarchies, le laconisme est le propre d’une république. C’est ce que pensait aussi Saint-Just. Rien de plus vif que la forme de ses arrêtés, témoin celui-ci :

Dix-mille hommes sont nu-pieds dans l’armée. Il faut que vous déchaussiez tous les aristocrates de Strasbourg dans le jour, et que, demain, à dix heures du matin, ces dix mille paires de souliers soient en marche pour le quartier général[22].

Cette hauteur, ce fanatisme du devoir, que relevaient encore, dans un homme si jeune, des mœurs pures, une noble attitude et un désintéressement Lacédémonien, curent des résultats décisifs. Saint-Just, à Strasbourg, ne versa pas une goutte de sang, et fut obéi en silence. En peu de temps, la municipalité reçut 6.879 habits, vestes et pantalons ; 4.767 paires de bas ; 16.921 paires de souliers ; 865 paires de hottes ; 1.551 manteaux ; 2.673 draps de lit ; 20.528 chemises ; 4.524 chapeaux ; 523 paires de guêtres ; 29 quintaux de charpie ; 900 couvertures et un grand nombre d’autres objets, sans compter une immense quantité de vieux cuivre pour servir à 2 fonte des canons[23].

Il est vrai que les auteurs du mémoire d’où ces chiffres sont extraits — contre-révolutionnaires accusant, après le 9 thermidor, les vaincus devant les vainqueurs, les têtes coupées devant le bourreau — ajoutent : La plupart de ces effets sont restés entassés dans des magasins ; une partie y a pourri et a été mangée par les rais ; on a abandonné le reste au premier venu. Le but de la spoliation était rempli, et c’est ce qu’on voulait[24]. Mais cette assertion, si invraisemblable en elle-même d’ailleurs, est péremptoirement démentie par le fait, incontestable et incontesté, que, comme conséquence des arrêtés de Saint-Just et Lebas, l’armée, qui manquait de vêtements et de souliers, fut vêtue et chaussée[25].

Aussi bien Saint-Just n’était pas homme à souffrir l’inexécution de ses ordres. Le seul de ses arrêtés qu'il abandonna fut celui qui prescrivait à la municipalité de faire abattre les statues de pierre qui s’élevaient autour de la belle cathédrale de Strasbourg. Quelques statues Isolées, et placées à l’extérieur, disparurent ; mais, quant à celles qui faisaient partie de l'architecture même, elles l’auraient pu être enlevées sans dégrader l’édifice, crime contre les arts que le décret de la Convention du 6 juin punissait de deux ans de fers. L’administrateur des travaux publics ayant objecté ce décret, et la commission municipale ayant approuvé les représentations de l’administrateur[26], Saint-Just n’insista pas. Au fond, il dut être bien aise de voir avorter une mesure, concession malheureuse à l’hébertisme, et qui répugnait si fort aux tendances que les deux amis de Robespierre représentaient.

Cependant une rumeur sinistre s’est répandue. On parle d’un complot qui vient d'être découvert, et ce complot devait livrer la ville à Wurmser. Une lettre saisie aux avant-postes, remise au général Michaud, et envoyée par ce dernier aux représentants du peuple Milhaud et Guyardin[27], avait causé l’alarme. Cette lettre, signée marquis de Saint-Hilaire était adressée à Monsieur, Monsieur le citoyen en cD, 17. 18. place d’armes à Strasbourg. On y lisait : .... Tout est arrangé, mon ami. Ils danseront, suivant leur expression, la carmagnole. Strasbourg est à nous dans trois jours, au plus tard... Depuis ma dernière, nous sommes arrivés à Brumpt sans résistance. Là, ces petits crapauds bleus ont résisté. Faites-nous savoir qui les commandait. Nous sommes décidés à sacrifier cinq cent mille francs pour le gagner. Quand le diable y serait, ce n’est pas la redoute entre Sleinfeld et Nieder Olerback : nous l’avons eue à meilleur compte !... Vous avez dû voir hier le marquis de la Vilelle et le comte de Sône... Suivait l’exposition du plan. Deux cents royalistes étaient déjà parvenus à pénétrer dans Strasbourg, un à un, sous l’uniforme de garde national. A un jour et à une heure indiqués, ils devaient ouvrir les portes à deux mille de leurs camarades, habillés de même. Le nom du roi devait être le cri de ralliement. Pas d’autre signe que la cocarde blanche. Au signal convenu, le feu mis partout... Il était dit, en outre : Vous ferez donner au porteur trente mille livres. Nous le croyons encore à bon compte. Il sacrifie sa vie pour nous. Vous le reconnaîtrez à ses lunettes. Il est bègue. Il vous dira 19. 27. 1. 52. 7. 28. 22. 54. 68. Vous savez ce que cela veut dire. En post-scriptum : Enveloppez, comme de coutume, vos dépêches dans des chiffons. La phrase la plus inquiétante de cette missive, parce qu’elle supposait des intelligences au sein même des autorités, était celle-ci : Les municipaux dont nous ayons les noms seront poignardés. Les autres, nos amis, seront respectés. Ils mettront leur écharpe blanche sur-le-champ[28].

Le seul des administrateurs qui portât des lunettes et qui fût bègue était Edelmann, celui que Charles Nodier a peint de la manière suivante : C’était un petit homme d’une physionomie grêle et triste. Son chapeau rond rabattu, ses lunettes inamovibles, son habit d’une propreté sévère et simple, fermé de boulons de cuivre jusqu’au menton, son langage froidement posé et flegmatiquement sentencieux, composaient un ensemble peu aimable, mais qui n’avait rien d’absolument repoussant... Je me souvenais de lui avoir entendu dire avec un calme affreux, dans sa déposition contre Dietrich : Je te pleurerai parce que tu étais mon ami ; mais tu dois mourir, parce que tu es un traître[29]. Musicien-compositeur habile, mais homme d’une misanthropie farouche, Edelmann s’était fait des ennemis mortels, et parmi ses ennemis figurait un ministre protestant, au su jet duquel nous lisons dans les minutes imprimées du tribunal criminel de Strasbourg : Jean Schweikart Metz, ci-devant ministre protestant à Criés, convaincu d’avoir fabriqué, pour perdre les patriotes, la lettre qu’il dit avoir trouvée sur un enfant dans la forêt de Lichtenberg, condamné à la peine de quatre ans de fers[30].

Malheureusement, ceci ne fut connu que plus tard. Parmi les administrateurs, il en était dont Saint-Just se défiait. Il vit un grand danger là où il n’y avait qu’une basse manœuvre. Sans plus tarder, il casse les autorités constituées de Strasbourg, et somme impérieusement le commandant de la place de se concerter avec le Comité de surveillance pour diriger les administrateurs du département sur Metz, ceux du district sur Besançon, et sur Châlons ceux de la municipalité. Quatre citoyens appartenant à la première de ces trois autorités et Monet, maire de Strasbourg, étaient seuls exceptés[31].

L’étonnement dans la ville fut extrême. Le Directoire, renouvelé depuis peu, était populaire : quel coup violent et inattendu ! Les patriotes s’alarment, la Société des Jacobins strasbourgeois gronde, et Monet court demander respectueusement à Saint-Just le mot de l’énigme. Les deux proconsuls s’enveloppèrent dans un froid silence. Le maire insistant, Saint-Just, qui était couché, se tourne vers lui, et, de son ton bref : Vous pouvez avoir raison, dit-il, touchant quelques individus ; mais il existe un grand danger, et nous ne savons où frapper. Eh bien, un aveugle qui cherche une épingle dans un tas de poussière saisit le tas de poussière[32]. Étrange justification d'un arbitraire, celle fois, injustifiable ! Ce sont là les sophismes de l’iniquité. Et, quel plus grand danger que celui de la justice méconnue ? Une ville livrée est un moindre mal qu’un innocent puni.

Tout ce que le maire de Strasbourg put obtenir fut la mise en liberté de douze administrateurs. À l’égard des autres l’arrêt eut son cours[33].

Monet avait vingt-cinq ans à peine. Il était grand, beau, bien fait, quoiqu’un peu voûté, plein d’aménité, de politesse, et de je ne sais quelle grâce triste qui attache[34]. Le 21 janvier 1793, date fameuse et tragique, il avait remplacé Türkeim à la mairie de Strasbourg, ayant été désigné aux commissaires de la Convention, Couturier, Dentzel et Rhül comme le seul homme qui réunît alors le patriotisme et les connaissances nécessaires. Dans un document adressé à la Convention par les contre-révolutionnaires de Strasbourg, au plus fort de la réaction thermidorienne, le nom de Monet se trouve associé à beaucoup d’injures, mais sans aucun fait à l’appui ; ou, plutôt, ce qu’on lui impute à crime, c’est d’avoir à deux reprises différentes refusé à des enfants la permission d’aller voir leur père prisonnier et malade. Du reste, pas de noms cités, nulle indication des circonstances[35]. Et, d’un autre côté, que lui reprochaient les ultra- révolutionnaires ? Son penchant à s’entretenir avec les aristocrates et à élargir les suspects[36]. Un homme qui, investi de grands pouvoirs dans un temps d’orage, n’a pas fourni contre lui-même d’autres armes que celles-là à ses plus implacables ennemis, a certes droit de compter sur l’indulgence de l'Histoire ! et c’est cependant cet homme qu’un écrivain de nos jours suppose capable d’avoir fabriqué la prétendue lettre du marquis de Saint-Hilaire, pour se débarrasser, dans le conseil municipal, d’une opposition gênante ! Le récit qui précède, Coudé sur des documents authentiques, dit assez ce qu’il faut, penser d’une semblable supposition[37].

Quoi qu’il en soit, apprenant que la Société populaire de Strasbourg se plaignait, Saint-Just lui adressa une lettre qu’il fit signer à Lobas et où il sé révèle tout entier :

Frères et amis, nous sommes convaincus qu’il s’est tramé une conspiration pour livrer la ci-devant Alsace... vous êtes indulgents pour des hommes qui n’ont rien fait pour la patrie... Nous venons de recevoir la dénonciation qu’il existait deux millions en or entre les mains de l’administration du département. Ce fait doit vous surprendre... La pitié à l’égard du crime est faite pour ses complices, non pour vous... Nous examinons tout avec sang-froid, et nous avons acquis le droit d’être soupçonneux. Nous vous devons de l’amitié, nous ne vous devons pas de faiblesse. Nous persistons dans notre arrêté jusqu’après le péril. Salut et fraternité[38].

La lettre contenait ce mot admirable : De quels magistrats peut-on dire qu’ils sont innocents du malheur du peuple ?[39]

Tant de décision dans la conduite et de hauteur dans le langage, cette fermeté qui ne reculait devant rien ni devant personne, produisaient une sensation qu’expriment vivement les lignes suivantes :

Il était temps que Saint-Just vînt auprès de cette malheureuse armée... Il a tout vivifié, ranimé et régénéré... Quel maître b... que ce garçon-là ! La collection de ses arrêtés sera sans contredit un des plus beaux monuments historiques de la Révolution. Tu apprendras, sous quelques jours, que l’armée du Rhin a recouvré toute son énergie et qu’elle a écrasé les imbéciles sol- dots de la tyrannie... Ruamps, Nion, Milhaud et Borie se sont conduits comme des lâches, et, peut-être, quelque chose de plus[40]...

Avec une noblesse de sentiments que le laisser aller de l’expression met d’autant mieux en relief, Gatteau dit à d’Aubigny, dans cette lettre, après avoir parlé de ses intérêts cruellement compromis : Conviens qu’on ne sauçait être plus malheureux. Mais je m’en f..., pourvu que la République triomphe et que la liberté s’affermisse[41]. Et de la même plume, mélange de dévouement et de férocité qui peint l’époque, il écrit : La sainte guillotine est dans la plus brillante activité, et la bienfaisante Terreur produit ici, d’une manière miraculeuse, ce qu’on ne devait espérer d’un siècle au moins par la raison et la philosophie[42].

La guillotine parcourait, en effet, l’Alsace dans ce moment, non point à la suite de Saint-Just et de Lebas, dont pas une goutte de sang ne tacha les mains, mais à l a suite d’un misérable qu’ils appelèrent, au contraire, a rendre compte de sa sinistre puissance, et auquel ils mirent le pied sur le front.

Quand Saint-Just et Lebas étaient arrivés à Strasbourg, ils y avaient trouvé installé, sous la présidence d’un moine défroqué nommé Taflin, un tribunal révolutionnaire composé d’hommes tarés[43], du milieu desquels se détachait l’affreuse figure d’Euloge Schneider.

C’était un homme de trente-sept ans, à la taille épaisse et courte, aux cheveux ras, aux yeux fauves, ombragés de cils roux. Sa face orbiculaire, d’un gris livide, était frappée çà et là de quelques rougeurs et criblée de petite vérole[44]. Né d’une famille de paysans, à Wipfeld, village de l’évêché de Würtzbourg, il fut élevé par les Jésuites ; entra à l’hôpital Saint-Jules, d’où il se fit renvoyer pour inconduite ; marqua quelque repentir ; prit l’habit religieux, et, après neuf ans passés dans le cloître, fut envoyé à Augsbourg comme prédicateur. Un sermon qu’il y fit sur la tolérance l’ayant désigné à la colère de ses supérieurs, il renonce au cloître, est appelé à Stuttgard, avec le titre de professeur, par le duc Charles de Wurtemberg, s’affilie à l’association de Weishaupt, reçoit de l’électeur de Cologne une chaire de grec et d’humanités a Bonn, la perd, et, se présentant à Strasbourg, comme martyr des idées nouvelles, est imposé à l’évêque constitutionnel Brendel en qualité de vicaire général[45].

Il y avait deux partis à Strasbourg : l’un qui, conduit d’abord par Dietrich, puis par Monet, s’appelait le parti français ; l’autre qui représentait l’esprit allemand et luttait contre l’identification absolue de l’Alsace avec la France.

Le premier de ces deux partis eut pour point d’appui, dès l’arrivée de Saint-Just et Lebas, une soixantaine de révolutionnaires fervents, appelés de divers points de la France, et dont l’association, moitié civile, moitié militaire, prit le nom de Propagande. Ces hommes, jeunes Pour la plupart et pleins d’enthousiasme, eurent un costume particulier. On les distinguait à leur bonnet rouge, placé sur une chevelure flottante, à leur col nu, à leurs longues robes que retenait une ceinture tricolore, garnie de pistolets et de couteaux de chasse, à leurs brodequins de cuir écru[46]. On les logea au collège, et le général Dièche leur donna, outre une garde de douze hommes, des ordonnances à cheval pour porter leurs dépêches[47]. Leur mission consistait principalement à combattre les tendances fédéralistes et les préjugés locaux, à recommander l’usage de la langue française, à déraciner enfin tout ce que l’Alsace gardait encore d’allemand. Accueillis d’abord avec froideur et défiance par la Société populaire, ils arrivèrent à la dominer à ce point qu’ils y tirent abolir les séances en langue allemande[48]. Dans leurs rangs figuraient quelques énergumènes, un Richard, de Metz ; un Dubois, de Beaune, prêtre défroqué ; un Duriège, de Sedan ; un certain Moreau, qui ne se faisait appeler que Marat[49]. Mais ces hommes n’exerçaient aucune influence sur la Propagande, dont les vrais meneurs regardaient Moreau-Marat comme un fou, et Duriège comme un intrigant dont le premier subissait l’empire[50]. La vérité est que la Propagande rendit des services qui, lorsqu’elle quitta Strasbourg, furent attestés par l’envoi d’une adresse solennelle de la Société populaire à la Convention, adresse qui exposait le bien fait à Strasbourg par la ci-devant Propagande, et le chagrin que son départ causait aux sans-culottes[51].

Mais, dans le camp même des révolutionnaires, les propagandistes avaient à combattre un parti très-fort, le parti démocratique-allemand, à la tête duquel marchaient Jung, Vogt, Léorier, Wolff, Clavel[52], tous hommes tarés, à l’exception du cordonnier Jung. Wolff et Clavel, juges l’un et l’autre, prirent part à tous les excès que nous allons rappeler. Léorier était un agioteur que son immoralité et son faste firent exclure de la Société populaire[53]. De Vogt, Jung lui-même, disait que son âme était l’égout de tous les vices[54]. Voilà ceux auxquels Schneider se joignit, et qu'il ne larda pas à traîner à sa suite[55].

Il avait été porté au poste d’accusateur public et s’était rendu maître absolu du tribunal révolutionnaire par l’ascendant qu’il prit sur l’homme qui présidait ce tribunal, un ancien prêtre nommé Taflin. Bientôt lui seul dirigea les jugements ; et, comme il aimait jusqu’à la frénésie le vin et les femmes 2, son pouvoir servant ses vices, l’Alsace devint sa proie. Tandis qu’à Strasbourg Clavel, un de ses complices, mettait à l’amende les femmes qui ne portaient pas la cocarde et ceux qui ne se tutoyaient pas[56], lui, suivi de la guillotine, suivi du bourreau, promenait d’un bout à l’autre de l’Alsace palpitante ses convoitises, ses amours et ses colères d’oiseau de proie, prononçant des arrêts de mort dont il n’était tenu aucun registre, frappant sur les villages épouvantés des contributions, dont la nature et le montant restaient inconnus, dépensant jusqu’à huit mille livres pour un voyage du tribunal révolutionnaire à Oberehnheim, et se faisant annoncer par une nuée de prêtres autrichiens, apostats forcenés, dans les villes qui, à son approche, s’illuminaient de peur[57] ! Saint-Just exerçait la dictature du salut Public ; Schneider, celle de l’égoïsme tout-puissant. Ce qu’il demandait à l’effroi des mères, c’était l’honneur de leurs filles[58]. Fouquier-Tinville lui-même en frémit quand il le sut. Le moine luxurieux avait d’étranges caprices de générosité : un jour, arrivant dans un village au moment où le prêtre constitutionnel se mariait, il se prend d’intérêt pour le nouveau couple, et ordonne aux habitants de doter les époux. La quête se fit... autour de la guillotine[59] ! Tunck, prêtre autrichien, désirant se marier, Schneider mit en réquisition, pour son complice, toutes les jeunes filles de Barr[60]. Il était sujet à des désespoirs de tyran : on le vil, dans son impuissance à découvrir un ennemi qu’il destinait à l’échafaud, se rouler par terre en rugissant et s’arracher les cheveux[61].

Quand on apprit à Strasbourg le résultat des tournées de Schneider, l’indignation publique enhardit ses adversaires à l’attaquer. Plusieurs patriotes appartenant au parti français se rendent chez les représentants Baudot et Lacoste, sollicitant d’eux la destitution du terrible moine. Mais l’affronter n’était pas un jeu. Autour de lui bouillonnait l’écume de la Révolution, et son écume sanglante. Ses partisans n’étaient point parvenus à exercer le despotisme de la force sans en avoir l’audace, et l'énergie de leurs passions en égalait le désordre. Le parti allemand, d’ailleurs, ne pouvait qu’avoir des racines profondes dans un pays réuni depuis si peu de temps à la France, dans un pays où il fallut que Saint-Just établît des écoles gratuites de langue française et publiât une proclamation conçue en ces termes : Les citoyennes de Strasbourg sont invitées à quitter leurs modes allemandes, puisque leurs cœurs sont français[62]. Lacoste et Baudot hésitèrent donc. Mais Saint-Just n’hésita pas, lui. A peine informé de ce qui se passait, indigné, il se décide.

Ce jour-là même, Schneider devait rentrer à Strasbourg. Il venait d’épouser une jeune fille, non pas précisément de force, comme on l’a prétendu[63], mais après sommation péremptoire adressée au père, à une heure du matin, pour que celle que Schneider aimait eût à venir partager son lit[64]. Il fit son entrée dans la ville, ayant avec lui sa jeune femme, ses juges, sa guillotine, son bourreau. Il s’étalait triomphalement sur un grand char à quatre roues que ses chevaux traînaient, et autour duquel caracolaient, portant une tête de mort peinte sur leur baudrier et leur sabre tache, les hussards de son escorte. Ceci avait lieu le 23 frimaire (13 décembre) ; et, le surlendemain, par une pluie ballante, au centre de la place d’armes, au milieu d’un immense concours de peuple qu’agitaient mille sentiments confus où dominait la stupeur, un homme, horriblement pâle, apparaissait debout sur la guillotine, entre deux valets de bourreau. C’était le chef du parti allemand, l’oppresseur de l’Alsace, c’était Schneider[65].

Après lui avoir fait subir toute l'ignominie de ce supplice moral, Saint-Just ordonna qu’il fût traîné de brigade en brigade jusqu’à Paris. Renfermé à l’Abbaye, on l’y eût oublié, peut-être, si Robespierre n’eût un jour demandé, du haut, de la tribune, pourquoi le prêtre de Strasbourg vivait encore[66]. Il parut devant Fouquier-Tinville, qui le passa au bourreau[67].

La faction dont il était l’âme fut transportée de rage. Les plus violents parlèrent de courir poignarder Saint-Just. Jung, furieux, criait : Allons brûler la moustache aux dictateurs ![68] Mais, loin de reculer, l'indomptable Suint-Just ne songea qu’à compléter son ouvrage par le renouvellement du tribunal de Schneider.

Quelques exemples donneront une idée de l’esprit qui animait ce tribunal, plus redouté encore des pauvres que des riches. Nous copions les minutes imprimées :

Dorothée de Frantz, la Ruprechtsau, convaincue d’avoir vendu deux têtes de salades à vingt sous et avili par là la valeur des assignats, est condamnée à une amende de trois mille livres, à six mois d’emprisonnement et à être exposée au poteau pendant deux heures[69]. — Anne Wolf, de Rosheim, convaincue d’avoir demandé quarante livres d’un demi-boisseau de noix et d’avoir par là avili la monnaie nationale, est condamnée au poteau pendant deux heures, à un emprisonnement de trois mois et à une amende de trois mille livres[70]. — Joseph Wolf, de Bischheim, colporteur, accusé d’avoir vendu un portefeuille de papier quinze sous, et un petit morceau de savon dix sous, est condamné à être mené devant l’avant-garde de l’armée, tenant le portefeuille d’une main et le savon de l’autre, avec un écriteau attaché sur la poitrine et portant le mol agioteur. Il s’éloignera avec sa famille à vingt lieues des frontières[71], etc., etc.

Il faut tout dire : bien persuadés que le plus sûr moyen 'Je tuer la Révolution était de tuer les assignats, les royalistes avaient porté de ce côté leurs plus ardents efforts ; et loi était l’effroi qu’ils étaient parvenus à répandre, que, pour forcer les assignats et faire respecter la loi, la peine même des galères étant devenue insuffisante, les délinquants avaient été menacés de mort, par décision du 24 brumaire, signée Taflin, président ; Euloge Schneider, commissaire civil ; Wolff, Clavel, juges ; Weiss, secrétaire greffier[72]. Mais le tribunal de Schneider avait à rendre de bien autres comptes ! Comment ne pas frémir, quand on songe au vague épouvantable de condamnations formulées en ces termes : Martin Ritter, de Geispolzheim, accusé d’avoir corrompu par sa conduite aristocrate l’esprit de sa commune, est condamné à la peine de mort et à la confiscation de tous ses biens au profit de la République ![73]

Et dans quelles mains reposait le pouvoir de faire tomber la tête d’un homme pour des crimes définis de la sorte ? Selon la déclaration du secrétaire greffier Weiss, lors de son interrogatoire, les juges, que dominait Schneider, s’assemblaient quelquefois en état d ivresse. Un jour, sur son siège, Clavel était tellement pris de vin, qu’il fallut l’aller secouer pour le tirer de son assoupissement[74] ! Il suffit de constater que trente condamnations à mort, au moins, furent prononcées par un tribunal de cette espèce, pour faire comprendre le service qu’en le renouvelant Saint-Just rendit à l’Alsace[75].

Il était, pourtant, d’airain, cet homme ! oui ; mais ce qui l’avait rendu tel, c’était le génie de la Révolution qui le façonna pour son usage, comme tant d’autres... car, qu’il fût né sensible, enclin même à la volupté, l a direction qu’il donna d’abord à ses pensées le prouve. Aussi les nécessités du rôle qu’il accepta de la destinée n’allèrent-elles pas jusqu’à déraciner entièrement dans lui le germe des vertus douces. Il s’occupait volontiers des enfants, il aimait les femmes avec respect, il honorait la vieillesse, il croyait au culte des ancêtres[76]. Quant au culte de l’amitié, si son dévouement absolu à Robespierre, son tendre attachement pour Couthon et Lebas, ne montraient pas de reste comment il sut le pratiquer, on pourrait, en tout cas, se faire une idée de la manière exaltée dont il le conçut par ce passage extraordinaire de ses Institutions : Tout homme âgé de vingt et un ans est tenu de déclarer dans le temple quels sont ses amis. — Les amis sont placés les uns près des autres dans les combats. Ceux qui sont restés unis toute leur vie sont renfermés dans le même tombeau. — Celui qui dit qu’il ne croit pas à l’amitié, ou qui n’a pas d’amis, est banni[77]. Lebas, qui avait épousé la plus jeune des filles du menuisier Duplay, écrivait à sa femme, le 8 brumaire (28 novembre) : Saint-Just est presque aussi empressé que moi de revoir Paris. Je lui ai promis à dîner de ta main. Je suis charmé que tu ne lui en veuilles pas : c’est un excellent homme... Ce qui me le rend encore plus cher, c’est qu’il me parle souvent de toi et me console autant qu’il peut. Il attache beaucoup de prix, à ce qu’il me semble, à notre amitié, et il me dit de temps en temps des choses qui sont d’un bien bon cœur[78].

Nous avons déjà raconté par quelle prodigieuse impulsion donnée à l’armée, Saint-Just et Lebas sauvèrent la frontière ; mais, pour être vu dans son vrai jour, le tableau de leurs services demande à être rapproché de celui du proconsulat immoral de Tallien, à Bordeaux ; des fureurs de Fréron et de Barras, soit à Toulon, soit à Marseille ; des mitraillades de Collot-d’Herbois et de Fouché, a Lyon ; des noyades de Carrier, à Nantes. Par ce rapprochement, on pourra décider quels furent les terroristes, de ceux qui firent le 9 thermidor ou de ceux qui le subirent ! D’ailleurs, l’ordre des dates se trouve concorder tci avec l’ordre des idées.

C’est un récit lamentable à jamais que celui que nous allons aborder. Avant d’y entrer, reportons un instant notre pensée à l’époque de la réaction royaliste... caria Justice nous crie de rappeler au lecteur :

Que la Terreur blanche dépassa de beaucoup la Terreur rouge en férocité et frappa un bien plus grand nombre de victimes ;

Que ce furent les soutiens de la bonne cause, monarchiens fanatiques ou girondins convertis, un Cadroy, un Chambon, un Durand-Maillane, ... un Isnard, qui déchaînèrent sur la France ces chevaleries royalistes de brigands, ces compagnies thermidoriennes d’assassins, connues sous le nom d'Enfants du Soleil ou de Compagnies de Jéhu[79] ;

Qu’il y eut à Aix un 2 septembre royaliste, avec incendie de la prison pour éclairer l'égorgement des prisonniers[80] ;

Que le fort de Tarascon fut souillé, à la distance de moins d’un mois, par deux massacres dans lesquels quatre-vingt-neuf républicains périrent[81] ;

Qu’en ce même lieu il arriva aux massacreurs de faire monter les victimes, parmi lesquelles une mère et sa fille, sur une tour très-élevée du château, pour se donner le plaisir de les précipiter, à coups de baïonnettes, dans le fleuve qui coule au bas[82] ;

Qu’au fort Saint-Jean, à Marseille, le 17 prairial (5 juin 1795), une Compagnie du Soleil, sous les ordres de Robin, fils d’un aubergiste, attaqua les cachots, allumant à l’entrée des uns de la paille brisée mêlée de soufre, balayant les autres avec du canon à mitraille, et ne cessant de tuer, depuis midi jusqu’à dix heures du soir[83] ;

Qu’à Beaucaire, pour étouffer les détenus, suspects de jacobinisme, on jeta un quintal et demi de soufre enflammé par le soupirail de leurs cachots[84] ;

Qu’à Lyon, après le 9 thermidor, la jeunesse dorée du département traquait les républicains de porte en porte, leur courait sus dans la rue, les égorgeait, et traînait les cadavres jusqu’au Rhône où elle les jetait en disant : C’est un mathevon de moins[85] ;

Que là aussi il y eut un égorgement en masse des prisonniers, plus un incendie, au sein duquel une femme s’élança du haut d’une tour avec son enfant[86] ;

Qu’alors, pour la première fois dans le monde, le meurtre devint la théorie des gens raffinés, la vengeance une loi, et l’assassinat en place publique un jugement ;

Qu’on fit Charlemagne à la bouillotte pour une partie d’extermination ;

Qu’avant d’étendre un doigt sanglant sur la bonbonnière d’une dame, tel beau jeune homme n’aurait eu garde de se laver les mains ; et qu’à la place des mégères qui avaient porté la guillotine en boucles d’oreille, on eut d’adorables furies qui portèrent le poignard en épingle[87].

C’est une montagne de forfaits à soulever que cette histoire de la réaction thermidorienne. Qu’on se représente une de ces longues charrettes à ridelles sur lesquelles on entasse les veaux pour la boucherie, et là, pressés confusément, les pieds et les mains noués de cordes, la tête pendante et battue par les cabots... des hommes dont le plus grand crime était presque toujours une folle exaltation dissipée en paroles menaçantes. Oh ! ne pensez pas qu’on leur eût ménagé... la vaine consolation d’opposer un moment une résistance impossible à une attaque sans péril, comme aux arènes de Constance et de Galère ! Le massacre les surprenait immobiles ; on les tuait dans leurs liens et l’assommoir rouge de sang retentissait encore longtemps sur des corps qui ne sentaient plus... Dans la bouche des tueurs, c’était le Réveil du peuple, qui allait toujours augmentant d’éclat et de sauvage expression ; c’était le refrain de la Marseillaise qui expirait de mort en mort dans la bouche des mourants. Seulement, on ne les mangeait pas[88].

Et sur les ravages de la Terreur blanche, l’histoire est à peu près restée muette, tandis que, pour dénoncer à l’univers ceux de la Terreur rouge, sa voix semble avoir emprunté le retentissement du tonnerre ! Cependant ce qu’on aperçoit, invinciblement uni au souvenir de la seconde, c’est l’image de la patrie arrachée à l’invasion ; mais dans quels périls écartés, dans quelles nécessités inouïes et fatales trouvera-t-on l’explication de la première ?...

Reprenons notre récit. Pendant que Saint-Just et Lebas sauvaient l’Alsace, Bordeaux subissait le proconsulat d’Ysabeau et de Tallien[89].

Ysabeau, ancien prêtre, homme instruit, nullement sanguinaire, mais insouciant, ami de la table et paresseux[90], avait eu d'abord pour collègues, dans le département de la Gironde, Chaudron-Rousseau et Baudot. Le premier séjour des commissaires de la Convention à Bordeaux ne fut que de quarante-huit heures, et ils se retirèrent à la Réole, petite ville située à douze lieues de distance. Baudot ne tarda pas à être envoyé en Alsace ; mais déjà Tallien était arrivé.

Fils d un maître d’hôtel du marquis de Bercy, auquel il dut de recevoir de l’éducation, Tallien avait commencé par être élève de notaire, puis prote dans l’imprimerie du Moniteur[91]. L’exaltation révolutionnaire qu’il affichait lui ayant successivement ouvert les portes du club des Jacobins, celles de la Commune et enfin celles de la Convention, il marqua sa place parmi les plus violents. Il y a des hommes chez qui la violence n’est que l’agitation accidentelle d’un cœur corrompu ou le calcul d’un esprit sceptique, et qui peuvent, selon l’intérêt du moment, sous la pression des circonstances, faire acte de miséricorde sans être humains et commettre des cruautés sans être cruels. Tel fut Tallien. Il appartenait par essence à la classe des égoïstes et des voluptueux. Senar l’accuse, — mais Senar n’est point une autorité, — d’avoir dirigé, sous les ordres de Danton, le massacre des prisonniers d’Orléans. Ce qui est moins douteux, c’est que, complice des fureurs du 2 septembre, il leur déroba néanmoins Quelques personnes, parmi lesquelles Hue, valet de chambre de Louis XVI[92]. Nous avons déjà cité ce mot de lui, qui scandalisa tant la Convention : Eh ! que m’importent quelques pillages particuliers ?[93]

Sa politique, à Bordeaux, s’annonça d’abord comme modérée. Il mit sa signature à côté de celle d’Ysabeau, son collègue, au bas d’un arrêté destiné à prévenir l’abus des mesures extraordinaires commandées par les circonstances. Il était enjoint au comité révolutionnaire de surveillance de visiter les prisons pour y recevoir les réclamations des détenus, et à la municipalité d’indiquer aux représentants le moyen de rendre les prisons plus salubres et plus commodes[94].

Défait, rien ne nécessitait, à Bordeaux, l’emploi des vigueurs. Cette ville n’était pas, comme Strasbourg, sous la main de l’ennemi. Elle n’avait ni soutenu un siège exterminateur, comme Lyon, ni, comme Toulon, appelé les Anglais. Môme aux yeux des Montagnards, son crime ne pouvait être que d’avoir penché un moment du côté des Girondins... un moment ! car elle les avait abandonnés bien vite[95] ; et lorsque, suppliés de quitter la Réole, Tallien et Ysabeau, Chaudron-Rousseau et Baudot, s’y étaient décidés, les Bordelais, sortis en foule au-devant d’eux, des brandies de laurier à la main, leur avaient fait un triomphe où l’on n’entendait d’autre cri que ceux de Vive la République ! vive la Montagne ![96]

Cependant quelle fut la ligne suivie par Tallien et Ysabeau, devenus, par le départ de leurs deux autres collègues, seuls dépositaires du pouvoir ? Leur correspondance raconte l’histoire de leur mission. Laissons-les parler :

Le désarmement s’exécute aujourd’hui. Il donnera des armes superbes à nos chers sans-culottes. Il y a des fusils garnis en or. L’or ira à la Monnaie, les fusils iront aux volontaires et les fédéralistes à la guillotine[97]. — Nous demandons que le nom du département soit changé en celui du Bec-d’Ambès[98]. — La punition des coupables a commencé et ne finira que lorsque tous les chefs de la conspiration auront subi la peine due au plus grand des crimes. Le club national, composé de patriotes dignes d’avoir été persécutés pour la cause du peuple, sera installé ce soir dans la salle magnifique du club des muscadins et des riches, que nous avons supprimé. Quelques muscadins ont mieux aimé briser leurs armes et les jeter dans la rivière que de les apporter au dépôt. Nous aurons soin de corriger ce dépit enfantin[99]. — Nous nous attachons à faire tomber la tête des meneurs et à saigner fortement la bourse des riches égoïstes[100]. — Nous avons supprimé ici les assemblées de sections[101]. — Nous ne sommes pas aussi avancés en philosophie qu’à Paris ; cependant nous espérons aussi célébrer bientôt la fête de la Raison, etc.[102]... Plus tard, Tallien, de retour à Paris, lisait à la Convention la lettre suivante de son collègue, en s’associant sans réserve à la politique qu’elle indiquait : J’ai pris le parti de ne plus relâcher aucun ci- devant noble, même avec les preuves de patriotisme mentionnées dans la loi du 17 septembre, parce qu’on Peut être aisément trompé sur ces preuves. La guillotine a lait justice avant-hier d’un prêtre assermenté : hier, une religieuse y a passé. Voilà la réponse à nos modérés qui avaient semé le bruit que la peine de mort était abolie[103].

En réalité, pendant le séjour d’Ysabeau et de Tallien dans une ville où la Terreur ne pouvait être qu’une affaire du luxe, il y eut cent huit individus guillotinés. C’est le chiffre qui, après le 9 thermidor, fut donné par Tallien lui-même. Il trouvait que c’était peu, et faisait le compte de ces cent huit têtes abattues, pour prouver son extrême modération[104].

Un arrêté affreux fut celui qui confiait le soin d’approvisionner Bordeaux à... l’incendie. Il était dit dans cet arrêté que, voulant réprimer par tous les moyens possibles les manœuvres contre-révolutionnaires et pourvoir à l'approvisionnement de Bordeaux, les représentants enjoignaient au général de l’armée révolutionnaire de faire marcher des détachements de celle armée partout où il serait nécessaire, et de faire juger, comme accapareurs, tous ceux qui auraient refusé grains, légumes, fruits, lait, beurre, œufs, bestiaux, volailles. Malheur aux communes qui auraient manifesté de la résistance ! L'ordre était d’en détruire toutes les habitations par le feu[105]. Seulement, il était prescrit au général de l’armée révolutionnaire de rendre compte jour par jour des opérations aux représentants du peuple, et deux officiers municipaux devaient accompagner chaque détachement pour dresser procès-verbal de sa conduite[106]. Brune, chargé de l’exécution de celle mesure barbare, réclama énergiquement et empêcha qu’il y fut donné suite[107].

Encore si, dans Ysabeau et Tallien, la dignité d’une conduite austère s’était associée, comme dans Saint-Just et Lebas, à l’orgueil du commandement ! Mais non : tandis qu’à Bordeaux la pénurie des subsistances était extrême, et que chaque citoyen y était réduit à une ration de quatre onces de mauvais pain, qui souvent même manqua et dut être suppléé par des marrons ou du riz[108], les deux proconsuls mettaient en réquisition, pour leurs repas, les meilleurs vins, les denrées les plus exquises des îles[109]. Logés dans le bâtiment de l’ancien séminaire, ils y affectaient un faste insolent. Une garde menaçante veillait à leur porte, et l’on ne pouvait parvenir jusqu’à eux qu’à travers une artillerie formidable[110].

Vain étalage ! On a vu avec quelle facilité et quel air Saint-Just, à Strasbourg, avait cassé les autorités révolutionnaires, imposé silence au mécontentement des Jacobins de l’Alsace, châtié Schneider et contenu les énergumènes. Ysabeau et Tallien, au contraire, eurent beau donner aux plus emportés des révolutionnaires bordelais des gages sanglants ; ils eurent beau s’environner de tout l’appareil de la puissance, ils ne purent jamais obtenir que leur propre parti les respectât. C’était un ex-secrétaire de Couthon, l’Auvergnat Perrens d’Herval, ancien moine charitain, selon Prudhomme[111], ancien souffleur de comédie, selon Tallien[112], qui, à Bordeaux, tenait le haut du pavé. Dans les rues, les jeunes gens qui formaient à cheval le cortège des représentants les abandonnaient aussitôt qu’ils apercevaient Perrens d’Herval[113]. Pour ce qui est du Comité de surveillance de Bordeaux, il tenait Tallien et son collègue en si petite estime, qu’il ne communiquait jamais avec eux, ne faisait aucune attention aux pétitions recommandées par eux, et méconnaissait quelquefois leurs arrêtés ; il alla jusqu’à interdire n ses membres toute visite aux deux proconsuls[114]. Eux dévorèrent pendant quelque temps ces outrages en silence ; niais enfin, éclatant, ils destituent le Comité par un arrêté où ils s’étudiaient à couvrir leurs griefs personnels, dont au surplus ils ne faisaient pas mystère, sous des raisons d’humanité et de justice[115].

Le Comité de salut public attribua-t-il leur conduite à des ressentiments mal déguisés ? Ou bien, comme il le leur écrivit, fut-il d’opinion que des considérants empreints d’un esprit de modération inattendu étaient dangereux dans une ville où l’aristocratie mercantile avait machiné le fédéralisme ? Toujours est-il qu’à leur arrêté il en opposa un autre qui le suspendait, et au bas duquel on lit les signatures de tous les membres du Comité de salut public, à l’exception, chose remarquable de celles de Robespierre, de Couthon et de Saint-Just[116].

Il est certain, du reste, que le proconsulat de Tallien se divise en deux périodes dont la seconde fut dominée par une influence qui tua insensiblement en lui le septembriseur d’abord et ensuite le révolutionnaire. Madame de Fontenay, fille du banquier espagnol Cabarus, étant venue à Bordeaux, Tallien la vit, il l’aima, et devint bientôt l’espoir des royalistes[117].

Aussi bien, il était naturel que la contre-révolution attirât tôt ou tard ceux à qui elle n’était apparue que comme un moyen d’avancement ou une occasion de rapines. Lorsque, plus tard, on vit Tallien, qui était né sans fortune, et à qui son mariage avec l’épouse divorcée de M. de Fontenay n’apporta qu’une dot de quarante mille livres, jouir de biens immenses et posséder en Normandie des herbages qui lui valaient jusqu’à quinze mille livres de rentes[118], on chercha la source de cette richesse ; et cette source, quelques personnes, dit Prudhomme, la trouvèrent dans l’inspection qu’à Bordeaux Tallien avait exercée sur l’argenterie enlevée aux églises et aux particuliers[119]. Ce qui est sûr, c’est qu’il était l’ami du maire de la ville, successeur de Saige ; c’est qu'il prononça, en une certaine occasion, un pompeux éloge de cet homme, lequel, depuis, fut convaincu de s’être approprié une partie de l’argenterie saisie au nom de la République, et fut condamné, pour ce fait, à vingt ans de fers[120] !

Cette justice est due à Ysabeau, que lui du moins ne s enrichit pas ; mais son pouvoir servit de voile à la cupidité d’un nommé Vallete, son secrétaire, qui le gouvernait et le trompait[121].

Tallien ne pouvait incliner vers la contre-révolution et faire fortune, sans avoir à redouter l’intégrité de Robespierre, aussi fut-il un des artisans les plus actifs du 0 thermidor. Et quel fut son principal complice dans celle œuvre d’hypocrisie et d’iniquité ? Ce fut Fréron, qui ne s’y associa, lui aussi, que parce que Robespierre accusa d’avoir commis des excès dans sa mission de Marseille[122].

Après la prise de Toulon, en effet, et les exécutions qui ensanglantèrent cette ville, Barras et Fréron s’étaient fendus à Marseille, qui ne les connaissait que trop par un premier séjour, dont Fréron annonçait d’avance les résultats à Moyse Bayle, en ces termes : Nous allons prendre des mesures extraordinairement terribles[123]. Une de ces mesures avait été la création d’un tribunal révolutionnaire. Mais, au gré de Fréron, ce tribunal, quoiqu’il allât bien, n’allait pas assez vite[124]. Il le remplaça donc, à peine de retour à Marseille, par une commission de six membres, jugeant à trois, sans accusateur public ni jurés. Après avoir demandé aux accusés leur nom, leur profession et quelle était leur fortune, on les faisait descendre pour les placer sur une charrette qui stationnait devant le Palais de Justice. Les juges paraissaient ensuite sur le balcon, d’où ils prononçaient la sentence de mort. Telle était la méthode expéditive imaginée par Fréron[125]. Un jeune homme de vingt ans figurait à la tête de cet horrible tribunal, qui, en dix jours, fit périr cent soixante personnes[126], et dont les exploits inspiraient à Fréron un enthousiasme exprimé dans celle lettre de lui à Moyse Bayle : La commission militaire va un train épouvantable contre les conspirateurs. Quatorze ont déjà payé de leur tête leurs infâmes trahisons ; ils tombent comme grêle sous le glaive de la loi. Demain, seize doivent être encore guillotinés, presque tous les chefs de légion, notaires, sectionnâmes, membres du tribunal populaire, ou ayant servi dans l’armée départementale. En huit jours, la Commission militaire fera plus de besogne que le tribunal n’en a fait en quatre mois. Demain, trois négociants dansent aussi la Carmagnole ; c’est à eux que nous nous attachons[127].

Fréron écrivait encore : Je crois Marseille incurable, à moins d’une déportation de tous les habitants et d’une transfusion des hommes du Nord[128] ; et, dans une lettre qu'il adressait au Comité de salut public, on lit cette phrase : Toute ville rebelle doit disparaître de dessus le globe[129].

Voici en quels termes Isnard trace le tableau de la guerre que Fréron, non content de frapper les hommes, déclara aux monuments :

J’entre à Marseille : je visite l’ancien édifice des Accoules ; je trouve ses tours abattues ; je demande si le feu du ciel les a frappées ; on me dit : Non, c’est Fréron.

Je porte mes pas vers le quartier Ferréol ; je veux revoir ce temple qui embellissait la ville, et, ne trouvant plus que des décombres, je demande qui a renversé ces colonnes ; on me dit : C’est Fréron.

Je me suis rendu à la salle des concerts, et, ne la trouvant plus, j’ai demandé quel vandale avait fait disparaître cet asile des arts ; on m’a dit : C’est Fréron.

Arrivé sur la place de la Bourse, mes yeux veulent admirer les chefs-d’œuvre de l’immortel Puget ; un artiste me dit : Fréron les a détruits[130].

 

Dans Barras, autre thermidorien futur, Fréron avait un digne collègue. Ils ôtèrent à la ville des Phocéens son nom antique pour l’appeler la Ville sans nom, oubliant de quelle cité étaient partis les héros du 10 août, et par quelle cité avait été baptisé l’hymne sublime de la Révolution ; ils ajoutèrent les exactions aux barbaries, et, lors de leur rappel, ne portèrent au trésor public, à la place des huit cent mille francs qu’ils étaient chargés d’y déposer, qu’un procès-verbal de leur voiture renversée dans un fossé[131].

Ici, un rapprochement se présente.

Aussitôt après la prise de Toulon, où Robespierre jeune avait donné l’exemple du courage, il avait quitté Fréron. Ce fut un grand malheur pour Marseille. On vient de lire les lettres du second ; qu’on les compare à celle-ci, que le premier adressait à son frère, dans le secret de l’intimité et avec tout l’abandon qui résulte d’une parfaite simultanéité de sentiments[132] : ... Rien n’est plus facile que de conserver une réputation révolutionnaire, aux dépens de l’innocence. Les hommes médiocres trouvent dans ce moyen le voile qui couvre toutes leurs noirceurs ; mais l’homme probe sauve l’innocence, aux dépens de sa réputation. Je n’ai amassé de réputation que pour faire le bien, et je veux la dépenser en défendant l’innocence. Ne crains point que je me laisse affaiblir par des considérations particulières ni par des sentiments étrangers au bien public. Le salut de mon pays, voilà mon guide ; la morale, voilà mon moyen. C’est cette morale que j’ai nourrie, échauffée et fait naître dans tous les cœurs. On crie sincèrement Vive la Montagne ! dans les pays que j’ai parcourus. Sois sûr que j’ai fait adorer la Montagne, et qu’il est des contrées qui ne font encore que la craindre, qui ne la connaissent pas, et auxquelles il ne manque qu’un représentant digne de sa mission, qui élève le peuple au lieu de le démoraliser. Il existe un système d’amener le peuple à niveler tout ; si l’on n'y prend garde, ionise désorganisera. Robespierre jeune[133].

Si l’on songe que cette lettre n’était point destinée à voir le jour ; qu’elle appartient à une correspondance toute confidentielle, dont les assassins des deux frères devaient seuls violer le secret[134], et si, en outre, on remarque que la forme même de cette communication infime implique un accord absolu de sentiments et de pensées entre celui qui écrit et celui auquel on écrit : Ne crains point que je me laisse affaiblir par des considérations particulières, etc., on aura une preuve de plus, et bien frappante, à ajouter à toutes celles qui nous montrent dans Robespierre l’homme le plus calomnié qui jamais paru sur la scène du monde !

Et, certes, son frère ne le trompait pas en lui mandant qu’il avait fait adorer la Montagne. C’est lui, écrivait la société populaire de Manosque, c’est lui qui, avec Ricord, a sauvé Manosque de l’injustice et de la tyrannie du Midi. Il s’y est immortalisé par sa générosité et sa clémence[135]. Pendant ce temps, que se passait-il à Lyon ? Le 8 brumaire (29 octobre), Collot-d’Herbois, à Paris, s était écrié : Je pars demain, et je proteste que je reviendrai vous apprendre que le Midi est purifié[136]. Le 13 brumaire (3 novembre), l’homme que Lyon avait connu comédien y entrait en maître.

On a prétendu qu’il y avait été sifflé autrefois et que le désir de venger cette injure embrasait son sang : invention de la haine ! Un écrivain royaliste, qui n’a pas contre Collot-d’Herbois assez d’anathèmes, dit à ce sujet : Quoique j’habitasse Lyon au temps où l’on prétend que Collot y fut sifflé, et quoique les événements de ce genre fussent racontés dans toutes les sociétés... je n’ai jamais ouï dire que Collot eût reçu une pareille mortification dans notre ville, où son espèce de talent plaisait beaucoup[137]. Ses mœurs d’ailleurs et son attitude n’étaient nullement d’un homme vulgaire, à l’époque dont on parle- Littérateur autant qu’acteur, il se conduisait avec dignité[138], était reçu dans le monde, et figura même dans les l'êtes données par le fameux et infortuné Flesselles, alors intendant du roi à Lyon[139]. Les excès auxquels il s’emporta furent donc l’effet d’une organisation viciée et d’une exaltation d’esprit que déprava la Toute-Puissance. Encore est-il douteux qu’il eût marché d’un pas assuré dans la voie du meurtre, s’il avait été seul ; malheureusement, le 7 brumaire au soir, Fouché parut. De ces deux natures de tyran, la plus calme était la plus redoutable. Collot-d’Herbois avait des transports furieux ; mais chez lui, du moins, l’ivresse du sang avait besoin d'être soutenue par celle du vin : la cruauté de son collègue était froide comme l’acier. Collot-d’Herbois cherchait des sophismes, pour s’encourager à être impitoyable ; il disait : C’est faire un grand sacrifice que d’oublier la sensibilité physique, afin de ne songer qu’à son pays[140]. Fouché écrasait les hommes en marchant, par pur mépris de l’âme humaine ; il écrivait, lui qui devait devenir le fléau des républicains ; Il faut que tout ce qui fut opposé à la République ne présente aux yeux des républicains que des cendres et des décombres[141].

On a vu combien la politique de Couthon, à Lyon, avait été modérée. Fidèle à la doctrine professée par Robespierre sur la nécessité de ne jamais confondre la faiblesse avec le crime, les grands coupables avec ceux qu’ils égarent[142], Couthon avait institué deux Commissions strictement soumises à l’observation des formes, et tenues de distinguer entre le conspirateur et les malheureux qu’avaient entraînés l’aveuglement, l’ignorance, surtout la pauvreté[143]. Une lettre adressée à Robespierre et trouvée, après sa mort, parmi ses papiers, exprime vivement l’impression qu’avait laissée dans l’esprit des Lyonnais ta conduite de Couthon, comparée à celle de ses successeurs : Ah ! si le vertueux Couthon fût resté à Commune-affranchie, que d'injustices de moins !... Le coupable seul eût péri. Mais Collot ![144]...

Aussi le premier acte du nouveau proconsul lut-il de décrier à mots couverts la politique de son prédécesseur. Il manda au Comité de salut public que bien des embarras naissaient de l’insuffisance des premières mesures prises[145] ; que les démolitions avaient été jusqu’alors conduites lentement ; que la Commission militaire avait trop souvent employé à juger ceux contre qui elle n’avait pas de preuves, et qu’elle avait élargis, des moments dont chacun eût dû être un jugement terrible prononcé contre les coupables ; que, quant au Tribunal, son action, quoique plus ferme, était encore trop languissante, et qu’il avait peu opéré[146]. Il ajoutait, pour adoucir ce que cette attaque à la politique robespierriste avait de personnel et pouvait avoir d’irritant : Il est convenu que Laporte ira se reposer une décade à la campagne. Les fatigues qu’il a eues sont infinies. Les miennes disparaissent, lorsque je songe que Couthon en a supporté de plus grandes[147]. Il convient de dire, pour être juste envers tous, que le mal, à Lyon, semblait appeler l’emploi de remèdes énergiques. La modération extrême de Couthon, loin de gagner les contre-révolutionnaires, les avait enhardis. Les lieux publics retentissaient de bravades. Plusieurs s’en allaient disant ; Nous avons perdu la partie, mais nous aurons notre revanche[148]. D’autres attachaient hautement leur espoir à l’apparition d’un nouveau Précy[149]. Pour jeter l’indécision parmi les membres du Tribunal populaire, on parlait d’une amnistie prochaine. Les détenus s’évadaient. Les riches, auxquels le pauvre était asservi par la féodalité des besoins[150], poussaient en secret a des attroupements séditieux. L’accusateur public, qui avait fait condamner Chalier, se promenait en levant la tête. Enfin, les femmes étaient employées à ébranler par d artificieuses caresses, quelques-unes par la prostitution, l’attachement du soldat au drapeau[151].

Nul doute qu’un semblable état de choses ne réclamât l’action d’un pouvoir ferme. Mais le remède consistait-il donc, comme l’affirme Collot-d’Herbois, à imprimer à la faux de la mort un tel mouvement qu’elle moissonnât à la fois tous les coupables ?[152] L’imbécillité sauvage de cette théorie d’extermination, Collot-d’Herbois la dénonçait lui-même, à son insu, lorsqu’il écrivait, le 17 brumaire, au Comité de salut public : La prolongation du siège et les périls que chacun a courus ont inspiré une sorte d’indifférence pour la vie, si ce n’est tout à fait le mépris de la mort. Hier, un spectateur, revenant d’une exécution, disait : Cela n’est pas trop dur : que ferai-je pour être guillotiné ?[153] La fusillade effrayerait-elle ceux que n’effrayait point la guillotine ? Plus tard, Collot- d’Herbois fut amené à déclarer lui-même que l’attente d’une exécution militaire produisait moins d’effet sur les condamnés que la perspective de l’échafaud !

Trois jours après l’arrivée de Fouché à Lyon, le 20 brumaire (10 novembre), les proconsuls donnèrent au peuple le spectacle d’une fêle en l’honneur de Chalier. Le buste de cet ami des pauvres fut placé, couronné de fleurs, sur un palanquin que recouvrait un tapis tricolore. A côté de l'urne où avaient clé déposées ses cendres, on voyait, non sans attendrissement, la colombe qui consola le prisonnier. Au milieu de la place des Terreaux, où son sang avait coulé, s’élevait un autel de gazon. Ce fui vers ce lieu consacré, qu’au bruit d’une musique funéraire, interrompue de temps en temps par des cris de vengeance, le cortège se dirigea[154]... Commémoration touchante et terrible à la fois, s’il n’y avait eu là, pour la rendre scandaleusement burlesque, deux des grands prêtres de l’Hébertisme : Collot-d’Herbois et Fouché ! C’était le moment où l’orgie hébertiste étourdissait Paris de ses éclats ; et Robespierre n’avait pas encore invoqué la raison contre cette déesse de la Raison qu’on promenait ornée des grelots de la folie. On fit donc à l’ombre de Chalier l’injure d’encadrer dans la cérémonie, qui devait la satisfaire[155], de véritables scènes de mascarade ; et Baigne put écrire aux Jacobins de Paris : Le plus beau personnage de la fête était un âne décoré des harnais pontificaux, et portant la mitre sur la tête[156].

Ce jour-là même fut formée, sous le titre de Commission temporaire de surveillance républicaine, une Commission de vingt membres, divisée en deux sections, dont l’une devait rester en permanence à Lyon, et l’autre parcourir le département. Aux termes de l’arrêté qui la créa et de celui qui la définit, elle était appelée à former un supplément révolutionnaire à toutes les autorités constituées, avec mission d’accélérer leur mouvement et de leur communiquer plus d’énergie[157].

A peine installée, celle Commission adressa à toutes les municipalités des villes et des campagnes, et à tous les comités révolutionnaires, une Instruction où l’on trouve, associées à des hyperboles haineuses et aux élans d’un enthousiasme farouche, des vérités que met vivement en relief un langage empreint de toute l’exaltation de l’époque, mais quelquefois plein d’éloquence et de force.

Les signataires de ce document, que nous regrettons de ne pouvoir reproduire intégralement à cause de sa longueur, étaient Duhamel, Perrottin, Guyon, Sadet, Boissière, Agar, Marcillat, Théret, Fusil, Vauquois, Richard, Lafaye, Verd[158].

Ils commençaient par poser ce hardi principe : Tant qu’il y aura un être malheureux sur la terre, il y aura encore des pas à faire dans la carrière de la liberté.

Sans aller jusqu’à affirmer qu’une égalité parfaite de bonheur fût possible entre les hommes, ils admettaient la possibilité de rapprocher de plus en plus les intervalles et proclamaient le devoir d’y travailler.

Ils assignaient pour but suprême à la Révolution d’empêcher que ceux qui produisent la richesse manquassent de pain, et que la misère restât fiancée au travail.

Ils montraient l’aristocratie bourgeoise, si on en laissait une s’établir, produisant bientôt une aristocratie financière ; celle-ci conduisant à une noblesse ; cette noblesse ayant besoin d’un trône qui lui fût un centre et un appui ; ce trône ramenant par degrés le régime des roues, des cachots, des mainmortes, des dîmes, des tailles, et donnant ainsi à parcourir de nouveau à la société, affaiblie par des efforts sanglants, toutes les étapes de l’ancienne oppression.

Ils ne motivaient l’arrestation des suspects sur le désir d’une vengeance légitime, que parce que ce désir était devenu une affaire de salut public.

Ils recommandaient aux républicains de ne jamais oublier la devise : Paix aux chaumières, guerre aux châteaux, s’ils ne voulaient pas que la foudre s’égarât dans leurs mains.

Partant de ce point de vue que la taxe à imposer aux riches était une mesure extraordinaire qui devait porter le caractère des circonstances, ils conseillaient aux membres des municipalités et comités révolutionnaires d’examiner, dans la sincérité de leur âme, et après s’être dépouillés de tout esprit de faveur, de partialité et de haine, quels étaient les besoins réels de chaque famille ; de les déterminer eu égard au nombre des enfants et des employés nécessaires ; de peser les gains et les profits ; et de regarder l’excédant comme un tribut de justice dû à la Révolution militante, à la patrie menacée.

La patrie ! voici comment ils demandaient qu'on la servît :

Il faut que chaque citoyen éprouve et opère en lui-même une révolution égale à celle qui a changé la face de la France. Il n’y a rien, absolument rien de commun entre l’esclave et l’habitant d’un Etat libre : les habitudes de celui-ci, ses principes, ses sentiments, ses actions, tout doit être nouveau. Vous étiez opprimés ; il faut que vous écrasiez vos oppresseurs. Vous étiez esclaves de la superstition ; vous ne devez plus avoir d’autre culte que celui de la liberté, d’autre morale que celle de la nature. Vous étiez étrangers aux fonctions militaires ; tous les Français sont désormais soldats. Vous viviez dans l’ignorance ; il faut vous instruire. Vous ne connaissiez pas de patrie ; aujourd’hui, vous ne devez plus connaître qu’elle, vous devez la voir, l’entendre et l’adorer partout... Vive la République ! vive le peuple ! Voilà le cri de ralliement du citoyen, l’expression de sa joie, le dédommagement ses douleurs. Tout homme à qui cet enthousiasme est étranger, qui connaît d’autres plaisirs et d’autres soins lue le bonheur du peuple ; tout homme qui ouvre son âme aux froides spéculations de l’intérêt ; tout homme qui calcule ce que lui vaut une terre, une place, un talent, et peut un instant séparer cette idée de celle de l’utilité générale ; tout homme qui ne sent pas son sang bouillonner au seul nom de tyrannie, d’esclavage, d’opulence ; tout homme qui a des larmes à donner aux ennemis du peuple, et ne réserve pas sa sensibilité pour lus martyrs de la liberté... tous les hommes ainsi faits, et qui osent se dire républicains, mentent à la nature et a leur cœur : qu’ils fuient le sol de la liberté ; ils ne tareront pas à être reconnus et à l’arroser de leur sang impur. La République ne veut plus dans son sein que dues hommes libres ; elle est déterminée à exterminer tous les autres, et à ne reconnaître ses enfants que dans ceux qui pour elle seule sauront vivre, combattre et mourir[159].

La question religieuse était abordée en ces termes :

Les rapports de Dieu à l’homme sont des rapports purement intérieurs, et qui n’ont pas besoin, pour être sincères, du faste du culte et des monuments apparents un la superstition. Citoyens, vous enverrez au trésor de 'a République tous les ornements d'or et d’argent qui Peuvent flatter la vanité des prêtres, mais qui sont nuis pour l’homme vraiment religieux et 1 Être qu’il prétend honorer. Vous anéantirez les symboles extérieurs de la religion qui couvrent les chemins et les places publiques, parce que les chemins et les places publiques sont la propriété de tous les Français, et que, tous les Français n’ayant pas le même culte, en flattant inutilement la crédulité des uns, vous attaqueriez les droits et choqueriez les regards des autres... Lorsque la France n’était qu’un royaume, il fallait peut-être à vos âmes, ardentes et sensibles, un aliment extraordinaire, et vous le trouviez dans la pratique superstitieuse de quelques vertus que vous vous étiez forgées... Mais il est pour le républicain des jouissances invincibles qui attachent l’imagination, qui remplissent l’âme ; et qui, par de nobles sensations, l’élevant au-dessus d’elle même, la rapprochent réellement de cette essence suprême dont elle découle. Le républicain n’a d’autre divinité que sa pairie, d’autre idole que la liberté. Il est essentiellement religieux, car il est juste, courageux et bon. Le patriote honore la vertu, respecte la vieillesse, console le malheur, soulage l’indigence et punit les trahisons : quel plus bel hommage pour la Divinité ! Le patriote n’a pas la sottise de l’adorer par des pratiques inutiles à l’humanité et funestes à lui-même : il ne se condamne pas à un célibat apparent, pour se livrer plus librement à la débauche ; disciple de la nature, membre utile de la société, il fait le bonheur d’une épouse vertueuse, il élève des enfants nombreux dans les principes de la morale et du républicanisme ; et, lorsqu’il touche au terme de sa carrière, il lègue à ses enfants, pauvres comme lui, les exemples de vertu qu’il leur a donnés, et à la patrie l’espérance de le voir renaître dans des enfants dignes de lui[160].

 

Cri de guerre ! cri d’amour !

Ce manifeste, considéré dans son ensemble, était un résumé aussi animé qu’énergique des enseignements de la philosophie révolutionnaire ; et une émotion sincère en colore le style ; mais il manquait évidemment de mesure ; en baptisant l’opulence du nom de tyrannie, ce qui d’ailleurs était injuste, il aliénait mal à propos les riches ; il ne ménageait pas assez des croyances qui ne pouvaient que se détourner du chemin de la Révolution, pour peu qu’on les effarouchât. Il faisait appel à l’esprit de vengeance et encourageait à tout oser ceux qui agissent dans le sens de la Révolution. En un mot, c’était une œuvre trop violente, trop peu mûrie, comme déclaration de principes, et impolitique, comme acte émanant de l’autorité. Cependant Collot-d’Herbois et Fouché n’hésitèrent pas à l’approuver, ce qu’il est certainement permis de mettre au nombre de leurs torts, mais odieux de mettre au nombre de leurs crimes[161].

Le plus difficile problème à résoudre, pour Collot-d’Herbois, dès son arrivée à Lyon, avait été celui des subsistances, la ville n’ayant pas au delà de deux jours de vivres[162]. Et il est tristement curieux de voir dans les lettres de Collot-d’Herbois en quoi consistait à cet égard son chagrin. Les subsistances ! écrivait-il à ses collègues du Comité de salut public, vous ne pouvez comprendre combien cet objet nous fait perdre de temps ; il énerve, il dissipe les forces à réserver pour les plus énergiques mesures[163]. Mais il n’eut pas longtemps à souffrir de celle impatience sanguinaire.

Le drame que Fouché et lui venaient jouer à Lyon se composait de trois actes : guerre aux fortunes, guerre aux murs, guerre aux hommes. Ils établirent en conséquence, et coup sur coup, un Comité de séquestre, un Comité de démolition, une Commission révolutionnaire de sept juges ; et l’œuvre de vengeance, devant laquelle avait reculé Couthon, commença.

Un châtiment qui embrasse une population tout entière a cela d’horrible que les ressentiments particuliers, se cachant dans la vindicte publique, la déshonorent. Collot- d’Herbois et Fouché n’eurent pas plutôt frappé du pied la terre, qu’il en sortit une armée de dénonciateurs. A ceux qui, animés d’un sincère et violent amour de la Révolution, ne voulaient que la justice, mais la voulaient inexorable, se joignirent ceux dont des haines secrètes rongeaient le cœur. Le patriotisme servit, en les masquant, les fureurs de l’envie et mit un glaive acéré aux mains des hommes de proie. Avait-on un ennemi à frapper, une basse convoitise à satisfaire ? On prenait le titre d’ami de Chalier. Ces prétendus amis de Chalier, qu’il n’eût regardés, vivant, qu’avec horreur, pullulèrent[164]. L’ardeur des proconsuls à trouver des coupables une fois connue, il se lit un commerce infâme de dénonciations. Le séquestre pesa sur une foule de ménages dont les gardiens dilapidaient tout[165]. Même parmi les citoyens que la rébellion avait moins entraînés qu’enveloppés, beaucoup durent se cacher ou s’enfuir. Vaine ressource bien souvent ! Il était peu de repaires on la persécution ne pénétrai, et le nombre fut grand des nobles dont l’orgueil descendit en vain à revêtir les noirs vêtements du ramoneur ou à jouer le rôle de marchand de pourceaux. C’est sous la bure, racontait triomphalement Collot-d’Herbois, que nous avons découvert le satellite Bournissac, conduisant sa femme sur un âne dans une retraite obscure[166].

Couthon, qui, comme on l’a vu[167], n’envisageait pas sans douleur et sans effroi la ruine de la seconde ville de France, avait admis à l’œuvre de démolition des enfants et des femmes, moyen adroit de faire traîner les choses en longueur et de laisser s’amortir le feu des premières colères : Collot-d’Herbois et Fouché s’en plaignirent ; ils blâmèrent hautement des mesures qui, disaient-ils, semblaient avoir été dirigées en sens contraire des décrets de la Convention[168]. On avait donc choisi exprès des bras de femme, des bras d’enfant, pour abattre des bâtiments infâmes qu’il fallait faire tomber sous des coups redoublés et avec des bras robustes ![169]

Ah ! ce dut être un poignant spectacle que celui de ces édifices condamnés à mort, de ces démolisseurs couvrant les toits, de ces meubles encombrant les escaliers, de ces murailles s’écroulant au milieu de tourbillons de poussière et au bruit d’acclamations vandales ! Qu’on eût détruit, sans égard pour sa situation pittoresque, le château de Pierre-Scise, cette Bastille de Lyon, passe encore : l’art n’a point à porter le deuil des monuments fini ne rappellent que l’humanité outragée ; mais combien peu philosophiques les transports d’une vengeance exercée sur les façades de Bellecour, sur les maisons du beau quai Saint-Clair ! Et quel agréable retentissement chaque coup du marteau destructeur ne dut-il pas avoir dans le cœur jaloux de l'étranger ! Lorsqu’avec ce mélange d’inflexibilité républicaine et de sensiblerie pastorale qu’aujourd’hui l’on a peine à comprendre, Collot-d’Herbois et Fouché disaient : Sur les débris de cette ville superbe et rebelle qui fut assez corrompue pour demander un maître, le voyageur verra avec satisfaction quelques monuments simples, élevés à la mémoire des martyrs de lu liberté, et des chaumières éparses que les amis de l’égalité s’empresseront de venir habiter pour y vivre heureux des bienfaits de la nature[170], que ne songèrent-ils à la satisfaction de... William Pitt !

Par bonheur, le résultat fut très loin de répondre aux intentions que de tels mots annonçaient ; et l’on est frappé de l’exagération des récits royalistes, quand on en vient à passer des descriptions vagues aux faits précis. Dans la défense publiée plus tard par Collot-d’Herbois — car, à son tour, il eut à se défendre ! — on lit : Les démolitions ont été dirigées vers les remparts et les forts. Il n’y a pas eu quarante maisons de démolies ; mais le feu de l’artillerie et les bombes en ont écrasé ou endommagé un grand nombre[171]. D’un autre côté, l’ultra-révolutionnaire lyonnais Achard, dans une lettre à son ami Gravier, gémissait de ce que l’ouvrage ne paraissait pas, bien qu’on dépensât quatre cent mille livres par décade pour démolitions et autres objets. L’indolence des démolisseurs, ajoutait-il, démontre clairement que leurs bras ne sont pas propres à bâtir une république[172]. Enfin, il est bien certain que les deux proconsuls ne réalisèrent pas les effroyables menaces contenues dans les lignes suivantes, qu’accompagnent leurs signatures : Les démolitions sont trop lentes. Il faut des moyens plus rapides à l’impatience républicaine. L’explosion de la mine et l’activité dévorante de la flamme peuvent seules exprimer la toute-puissance du peuple[173].

Ce style d’énergumène doit-il être pris à la lettre ? ces exagérations de langage n’avaient-elles rien de calculé ? Lorsqu'à près avoir précipité la réaction thermidorienne, Collot-d’Herbois fut réduit à l'humiliation de la fléchir, d écrivit, pour sa justification : Il est vrai que nous avons donné un grand caractère de sévérité à notre correspondance publique et particulière. En proclamant, conformément aux décrets, que Lyon n’existerait plus, Nous avons, j’en suis sûr, réprimé des rébellions naissantes dans plusieurs communes ; et l’insertion de nos lettres dans le Bulletin, ordonnée par la Convention, lui a épargné la douleur d’employer des moyens plus violents[174].

Cette explication, admissible jusqu’à un certain point en ce qui touche les édifices abattus, ne l'est pas en ce qui concerne les tètes moissonnées. Ici, les actes ne furent fine trop conformes aux paroles !

Ronsin ayant fait son entrée à Lyon à la tête de l’armée révolutionnaire, le 5 frimaire (25 novembre), Collot-d’Herbois et Fouché publièrent, dès le surlendemain, un arrêté qui transportait le jugement des citoyens réputés coupables à une Commission de sept membres, attendu que chaque moment de délai est un outrage à la toute-puissance du peuple, et que l'exercice de sa justice n’a besoin d’aucune autre forme que l’expression de sa volonté[175]. C’était précisément l’opposé de la doctrine que l’équitable Couthon avait donnée pour base à rétablissement de sa Commission de justice populaire[176]. Et ce qui complétait cette différence, c’était la phrase farouche qui terminait l’arrêté : Les condamnés seront conduits en plein jour, en lace du lieu même où les patriotes furent assassinés pour y expier, sous le feu de la foudre, une vie trop longtemps criminelle[177]. Si les Lyonnais avaient pu douter du sens de ces mots, sous le feu de la foudre, leur incertitude ne dura pas. La foudre, c’était le canon.

Il est à remarquer qu’à la veille d’épouvanter Lyon par un massacre solennel, les deux proconsuls ne se purent défendre d’une sourde inquiétude. Ils se demandèrent si la Convention approuverait ce supplice nouveau, sans avoir été consultée ; ils pressentirent que le cœur de Couthon serait contre eux, et la figure irritée de Robespierre leur apparut. Deux lettres de Collot-d’Herbois, l’une à Robespierre, l’autre à Couthon, le prouvent.

Le 5 frimaire (25 novembre), Collot-d’Herbois écrit à son cher Robespierre, qu’il flattera jusqu’au moment de le tuer, une lettre doucereuse, habile, dont il est manifeste que chaque expression a été pesée, et où il cherche à se justifier d’avance, par un sombre tableau des obstacles et des périls. Crois-moi, mon ami, mesure les difficultés[178]... Il s’étudie à gagner Robespierre, en lui rappelant que c’est sur son invitation qu’il s’est décidé à partir. Il ne parle de Couthon qu'avec des ménagements infinis : ... Les premiers instants qui devaient accomplir... ayant été perdus, ce que nous avons fait est beaucoup. Il ne faut pas cependant croire que le respectable Couthon mérite aucun reproche ; je répète que j’admire son courge. Mais est-il possible qu’il ne soit pas trompé dans la situation où il se trouve ?[179] Deux choses sont à noter dans cette lettre, si tragiquement diplomatique : la forme enveloppée que son auteur emploie pour annoncer les funèbres mesures qu’il médite : Nous nous occupons à forger la foudre[180], et son désir d’amener Robespierre à en partager la responsabilité, sans néanmoins lui présenter d’une manière directe d’autre idée que celle de la substitution d’une colonie de républicains à une population servile, et en ayant soin de lui renvoyer l’honneur de la réalisation : Le décret sur Lyon, bien que nous ayons doublé et triplé les apparences, n’est réellement qu’une hypothèse : il l’appartient de le rendre ce qu’il doit être[181].

La lettre à Couthon est dans le même esprit. On cherche à s’assurer d’avance, sinon son approbation, au moins sa neutralité ; on l’appelle respectable ami ! on le cajole ; on lui parle de mesures sévères à prendre, mais on se garde bien de les spécifier. On lui donne même à entendre qu’elles se rapportent au projet de disséminer graduellement et avec précaution la population lyonnaise sur toute la surface de la France : Il l’appartient, Couthon, de développer ces idées ; j’en ai déjà parlé à Robespierre. De substituer le canon à la guillotine, pas un mot[182].

Pour ce qui est de l’Assemblée, il fallait la préparer à l’étonnement qu’on lui réservait ; les deux proconsuls lui écrivirent : Nous vous envoyons le buste de Chalier et sa tête mutilée, telle qu’elle est sortie pour la troisième Ibis de dessous la hache de ses féroces meurtriers. Lorsqu’on cherchera à émouvoir votre sensibilité, découvrez cette tête sanglante[183].

Puisqu’ils étaient si incertains sur l'effet du coup qu’ils voulaient frapper, puisqu’ils avaient si peur de faire horreur, quel démon les poussa ? La rébellion était domptée : pourquoi chercher des raffinements à la politique de la terreur, dans une ville qui tremblait ? Mais le cœur humain a d’insondables abîmes. Le besoin de se prouver monstrueusement à eux-mêmes l’excès de leur pouvoir est la maladie des tyrans. Et où s’arrêtera un tyran qui se croit la liberté, qui se croit le peuple ? Il y a une profondeur qui consterne dans ces paroles de Fouché et Collot d’Herbois : Les rois punissaient lentement, parce qu’ils étaient faibles et cruels ; la justice du peuple doit être aussi prompte que l’expression de sa volonté. Nous avons pris des moyens efficaces pour marquer sa toute-puissance[184].

Voici quels furent ces moyens :

Le 4 frimaire (4 décembre), dans la plaine des Brotteaux, sur une levée d’environ trois pieds de large, entre deux fossés parallèles, propres à servir de sépulture, et que bordait en dehors, le sabre à la main, une double haie de soldats, vous eussiez vu, garrottés deux à deux, et a la suite les uns des autres, soixante jeunes gens qu’on tenait d’extraire de la prison de Roanne. Derrière eux, dans la direction du plan horizontal qu’ils couvraient, des canons chargés à boulets[185].

La vérité exige que tout soit dit, absolument tout. Parmi ces victimes et les victimes des jours suivants étaient ceux qui, dans l'expédition de Montbrison, avaient Pondu les républicains à leurs fenêtres, ou plongé des familles entières sans nourriture au fond des souterrains de Pierre-Scise, ou brûlé chaumières et récoltes ; ceux qui avaient mis la Convention hors la loi, et illuminé en l’honneur de la guerre civile ; ceux qui avaient fait prêter à leurs enfants des serments d’immortelle haine ; ceux qui, pendant le siège, en violation de trêves conclues, avaient tiré à mitraille sur des soldats républicains, désarmés[186]. Mais des jugements sommaires ne sont pas des jugements, et la justice, dès qu’elle devient vindicative et féroce, cesse d’être la justice.

Au moment de mourir, les soixante condamnés avaient, entonné le chant girondin : le bruit et u canon les interrompit... Les uns tombent pour ne plus se relever ; les autres, blessés, tombent et se relèvent à demi ; quelques-uns sont restés debout. Ô spectacle sans nom ! Les soldats franchissent les fossés et réparent à coups de sabre les erreurs commises par le canon. Ces soldats étaient des novices : l’égorgement dura[187]...

Pendant ce temps, une nombreuse et gémissante armée de femmes en deuil se dirigeait vers la demeure des proconsuls. que gardaient des artilleurs, la mèche fumante ii la main. Repoussées et menacées, elles se retirèrent. Deux d’entre elles étaient soupçonnées d’avoir provoqué l’attroupement — on les distingua, dit Collot-d'Herbois, à leur parure recherchée et à leur audace : — elles furent arrêtées, et le Tribunal les condamna à une exposition de deux heures sur l’échafaud[188].

Un frisson d’horreur avait parcouru la ville : Fouché se hâta d’insulter à l’émotion publique par une proclamation où il adjurait les républicains de ne pas souffrir qu’une vainc pitié brisât le ressort de leurs âmes et les livrât à l’empire de ces ombres qui semblaient sortir du néant pour les effrayer. Quelques décombres, quelques destructions individuelles, quelques cadavres, qui n’étaient plus dans l’ordre de la nature et qui allaient y rentrer, qu’importait cela ? L'affranchissement de la terre était au bout ! Quant à eux, représentants du peuple, ils tenaient de lui le tonnerre, et ils ne le quitteraient que lorsque tous les ennemis du peuple seraient foudroyés. La régénération du monde était devant eux : ils y marcheraient à travers les ruines et les tombeaux[189]. Collot-d’Herbois, Laporte, Albitte, mirent leurs noms à côté de celui de Fouché. Lyon, comme Paris dans les journées de septembre, sentit le froid de la mort.

Mais qu'allait penser Robespierre, et comment l’amener à se compromettre par un acte qui rendit d’avance, de sa part, toute désapprobation publique impossible ? Collot-d'Herbois, qui n’avait pas reçu de réponse de Robespierre et que ce silence inquiétait, eut recours à Duplay : Dis à Robespierre de nous écrire. Nos frères jacobins vont à merveille ; une lettre de lui leur fera grand plaisir et sera d’un bon effet. Suivaient mille assurances de tendre affection. Artifices inutiles ! La démarche que Collot désirait si ardemment, Robespierre ne voulut jamais la faire[190], et sa réponse à Collot fut, comme nous le verrons, l’arrestation de Ronsin !

Il était resté dans les prisons de Roanne deux cent neuf Lyonnais. Le 15 frimaire (5 décembre), on les va chercher et on les traîne devant la Commission révolutionnaire. Ordre avait été donné au Tribunal déjuger rite : il eut peur, et obéit[191]. Cette fois, les condamnés burent conduits dans une prairie longeant le chemin de la grange de la Part-Dieu. Ils avaient les mains liées derrière le dos : les cordes sont attachées à un long câble, fixé, de distance en distance, à chaque arbre d’une rangée de saules ; un piquet de soldats est placé à quatre pas de chacun des condamnés, et l’on donne le signal. Ce but une horrible boucherie. Les uns ont le bras emporté, les autres la mâchoire fracassée, les plus heureux furent les morts. Les agonisants criaient d’une voix lamentable, qui retentit longtemps jusque sur la rive opposée du Rhône : Achevez-moi, mes amis, ne m’épargnez pas ! Une balle, en emportant le poignet à Merle, ex-constituant, l’avait débarrassé de ses liens, et il fuyait : un détachement de la cavalerie de Ronsin le poursuivit, l’atteignit, le tua. Le nombre de ceux qui imploraient le dernier coup prolongea celle affreuse exécution. Les corps furent dépouillés, couverts de chaux et jetés dans de larges fosses. En les comptant, l’on s’étonna d’en trouver deux cent dix, au lieu de deux cent neuf, ou, plutôt, de deux cent huit, car un des prisonniers s’était échappe. On se souvint alors que, dans la cour de la prison de Roanne, deux malheureux prétendant n’être que des commissionnaires venus auprès des prisonniers pour les servir, on avait refusé de les croire[192]... Est-il vrai que Fouché était à sa fenêtre pendant l’exécution, et dirigeait de ce côté une lunette à longue vue[193] ?

Il y eut, jusqu’au départ de Collot-d’Herbois, deux autres fusillades du genre de celle qui vient d’être décrite : l’une, le 18 frimaire, et la seconde le 21, ce qui porte à trois cent vingt-neuf le nombre total des personnes qui périrent par ce nouveau genre de supplice, dans l’espace d’une semaine[194]. Et cela, sans préjudice de la guillotine, qui abattit huit têtes le 18 et treize le 19[195].

Mais ce qu’on a toujours omis systématiquement dans le récit de cette horrible tragédie, c’est que la Commission révolutionnaire prononça de très-nombreux acquittements. Le chiffre des rebelles qui, dans le cours du siège, avaient été désignés par Dubois-Crancé, ou, pour mieux dire, s’étaient désignés eux-mêmes en signant le Programme d’une guerre à mort, ne s’élevait pas à moins de vingt mille. Or le chiffre de ceux qu’on mit en jugement fut de trois mille cinq cents environ, parmi lesquels plus de dix-huit cents furent acquittés[196].

Il devait y avoir sept juges : deux de ceux qu’on nomma ayant refusé, le Tribunal resta composé de cinq membres, qui furent : Parrein, un des épauletiers de Ronsin, cruel ennemi des prêtres, habitué des salles d’armes, caractère irrésolu ; Corchand, esprit ombrageux et sévère, ami des arts, protecteur des artistes ; Fernex, ouvrier lyonnais, tout entier à son fanatisme révolutionnaire ; Lafaye, homme intelligent et doux, à Physionomie ouverte ; et enfin, Brunière, lequel, malgré s o taille haute, ses épaisses moustaches rousses et son aj r imposant, était plus indulgent encore que Lafaye, et ne condamnait presque jamais à mort 2 .

Les juges s’assemblaient le matin de neuf heures à midi, ta soir de sept heures à neuf, dans une salle de l’Hôtel de ville, très-décorée, et dont le plafond représentait des Jeux folâtres, des Grâces, des Amours. Au delà d’une tangue table, qui partageait la salle et supportait huit flambeaux, on apercevait les cinq juges : Parrein, président, au centre ; à sa droite, Lafaye et Brunière, qui opinaient pour l’indulgence ; à sa gauche, Fernex et Corchand, qui opinaient pour la rigueur. Ils siégeaient tous en uniforme, en épaulettes, la tête couverte d’un chapeau à panaches rouges. Ils portaient des sabres suspendus à un large baudrier noir ; et, sur leur poitrine, un ruban tricolore en sautoir soutenait une petite hache étincelante. Quand ils louchaient la hache, cela signifiait la guillotine ; quand ils mettaient la main à leur front, cela voulait dire la fusillade ; leur bras, étendu sur la table, c’était la liberté : signes équivoques qui, mal compris, pouvaient donner la mort et, quelquefois, la donnèrent. Il y avait deux caves à l’Hôtel de ville, la bonne et la mauvaise : c’était dans la seconde qu’étaient conduits, au sortir de l’audience, ceux qui devaient mourir. On frémit en pensant à quel fil fragile tenait la vie d’un accusé, lorsque entre les deux juges humains, placés a sa droite, et les deux juges implacables, siégeant à sa gauche, Parrein hésitait ! Malheur à qui cherchait son salut dans l’hypocrisie ou le mensonge ! Un accusé, interrogé sur ce qu’il pensait de Jésus, ayant répondu qu’il le soupçonnait d’avoir trompé les hommes : Jésus tromper les hommes, lui cria-t-on du haut du Tribunal, Jésus tromper les hommes ! Lui, qui prêcha l’égalité ; lui. le premier sans-culotte de la Judée ! Cours au supplice, scélérat. A un prêtre, on demanda s'il croyait en Dieu. Peu, répondit-il. — Meurs, infâme, reprend Parrein, et va le reconnaître 1[197].

Tout démontre que la Commission des cinq eût épargne beaucoup de victimes, si elle ne se fût trouvée sous la pression de la Commission révolutionnaire, aiguillonnée elle-même par Fouché et Collot-d’Herbois. Mais il advint, chose bien remarquable ! que la férocité des deux proconsuls eut pour résultat de tuer la Révolution dans le cœur de ce même peuple, au nom duquel ils prétendaient agir. Vainement s’étudièrent-ils à le gagner en proscrivant d’une part le pain de fleur de farine, d’autre part le pain de son, et en ordonnant aux boulangers de ne plus faire qu’une seule et bonne espèce de pain, le pain de l’égalité ; vainement décidèrent-ils que les citoyens infirmes, les vieillards, les orphelins, seraient logés, nourris et vêtus, aux dépens des riches ; que des instruments de travail et du travail seraient fournis aux ouvriers valides, sur le produit de la taxe révolutionnaire : ces arrêtés avaient été pris avant le 5 frimaire (23 novembre 1793)[198] ; et, le 28 nivôse (17 janvier 1794), Achard écrivait à Gravier, avec désespoir : Ici le peuple n’a aucun esprit révolutionnaire. Il semble mort pour la révolution[199].

Collot-d’Herbois, rappelé à Paris par des rumeurs menaçantes, quitta Lyon dans les derniers jours de décernée ; mais Fouché restait... Pourquoi ? La réponse est dans ces mots d’une lettre de lui, en date du 21 ventôse : Il existe encore quelques complices de la révolte lyonnaise ; nous allons les lancer sous la foudre[200]. Il ne savait pas, le malheureux, quel adversaire allaient lui donner ses violences. Avant son départ de Paris, il s’était fait présenter à Charlotte Robespierre. Aimable, quand il le voulait, sans être beau, et doué d’un esprit insinuant, il eut le désir de plaire et y réussit. Bientôt il parla de mariage. Robespierre fut consulté, et, trompé par l’hypocrisie de Fouché, ne se montra nullement contraire à cette union[201] ; si bien qu’en quittant Lyon. Fouché se voyait déjà le beau-frère de Robespierre. Mais qu’arriva-t-il ? Cédons la parole à Charlotte :

Je fus présente à l'entrevue que Fouché, à son retour, eut avec Robespierre. Mon frère lui demanda compte du sang qu’il avait fait couler, et lui reprocha sa conduite avec une telle énergie d’expression, que Fouché était pâle et tremblant. Il balbutia quelques excuses, se rejetant sur la gravité des circonstances. Robespierre lui répondit que rien ne pouvait justifier les cruautés dont il s’était rendu coupable. A dater de ce jour, Fouché fut l’ennemi le plus irréconciliable de mon frère et se joignit à la faction qui conspirait sa perte[202].

Inutile d’ajouter que le projet de mariage fut rompu ce jour-là même.

Passer de Lyon à Nantes, de Collot-d’Herbois et Fouché à Carrier, c’est enfoncer dans le sang. Carrier, procureur à Aurillac avant la Révolution, avait été envoyé à Nantes au commencement du mois d’octobre. Un portrait du temps, que nous avons sous les yeux, donne tout d’abord de lui une idée effrayante. Le buste est celui d’un homme de haute taille ; la face est lisse, allongée, et respire l'audace ; la longueur du nez dépasse la mesure ordinaire ; la bouche a je ne sais quoi de violent ; le front, très-découvert et fuyant, présente le caractère que les physionomistes assignent à l’exaltation ; l’œil est égaré.

Carrier arrivait au plus fort de l’émoi causé par le passage de la Loire[203], et trouvait Nantes dans une situation extraordinaire. L’accaparement, l’agiotage, le fanatisme monarchique, s’y disputaient l’agonie d’une population mourant de faim. A la foule des malheureux qui, réduits à une demi-livre de mauvais pain par jour[204], se pressaient en frémissant autour des boulangeries, les malveillants disaient : C’est aux administrateurs qu’il faut aller demander du pain[205]. Les royalistes masqués du dedans entretenaient avec les Vendéens armés du dehors une correspondance suivie. On parvint à faire sortir de la ville, pour ces derniers, une grande quantité de munitions et de numéraire. Les craintes étaient si vives, de la part des révolutionnaires, que la municipalité dut ordonner la fermeture en maçonnerie de tous les soupiraux des caves, de manière à empêcher l’effet des mèches inflammables qu’on aurait pu y jeter[206]. Et ces craintes n’avaient rien de chimérique : elles étaient alimentées par l’insolence que déployaient, jusque dans les Prisons, beaucoup de royalistes, lesquels ne se cachaient Pus pour dire qu’au premier jour ils dîneraient avec Charette[207]. Au poste Saint-Jacques, on arrêta des envois d assignats et de panaches aux rebelles vendéens[208].

Or, ces rebelles, leur image se peignait en traits épouvantables dans l’esprit des républicains de Nantes. On savait par quelles horreurs le royalisme armé avait signalé son passage ; on se rappelait les barbaries de Machecoul, presque surpassées depuis ; on croyait les voir encore, ces Vendéens, que la guerre civile avait enfiévrés. versant la mort goutte à goutte aux républicains, prisonniers ; enterrant les uns pleins de vie, entassant les autres par centaines dans des puits, ou les clouant aux portes de leurs maisons, ou les suspendant par les pieds à des arbres, et, après leur avoir enfoncé dans la bouche des cartouches, y mettant le feu ! Les corps de femmes et d’enfants qu’on rencontrait fixés aux portes des villages abandonnés, les cadavres sans mains ou sans pieds épars le long des baies, les lambeaux, à demi brûlés, de républicains qui pendaient aux brandies des arbres dans les bois, racontaient d’une manière trop saisissante pour qu’on l'ignorât l’histoire lugubre des représailles vendéennes[209].

Mais à cause de cela même, et parce que les âmes n’étaient que trop disposées à suivre l’impulsion de la fureur, rien de plus fatal que de livrer Nantes à la dictature d’un furieux. Ce fut Carrier en effet qui embrasa tout : Il nous montra, s’écriait plus lard Goullin irrité, il nous montra le gouffre où nous nous jetâmes aveuglément à sa voix[210].

Ce Goullin, en qui Carrier allait avoir un coadjuteur terrible, était une nature nerveuse à l’excès et en quelque sorte vibrante, une ébauche de scélérat et de héros. Connu, avant 1789, par ses talons rouges, ses plumets, sa longue rapière, il passait alors pour un roué : la Révolution lui alluma le sang, et le contact de Carrier lit de lui un énergumène. Sa conviction était aussi profonde que sauvage : elle lui avait dicté, même avant l’arrivée de Carrier, la lettre que voici, qu’il adressait, comme secrétaire de la Commission nationale, au Comité de surveillance à Nantes : Examinez, et, surtout, agissez vite et roide. Frappez en vrais républicains. Sinon, je vous réprouve. Le carreau populaire vous est dévolu : sachez en user, ou nous sommes f... Vous manquez, me dites-vous hier, de bras exécuteurs ; parlez, demandez, et vous obtiendrez tout ; force armée, commissaires, courriers, commis, valets, espions, de l’or. Pour le salut du peuple, rien ne vous manquera[211].

Carrier était capable de dissimulation, et de trembler en faisant trembler : Goullin ne connaissait ni la ruse ni la peur. Quand il eut à rendre compte de ses actes devant le Tribunal révolutionnaire, à deux pas du bourreau, il prit, généreusement la responsabilité entière des attentats reprochés à ses coaccusés, affirmant que c’était lui qui avait dirigé les travaux du Comité révolutionnaire, lui, lui seul, qu’il fallait frapper[212]. Accusé d’avoir dit qu’on ne devait admettre dans la société de Sainte-Croix que des patriotes assez courageux pour boire, au besoin, un verre de sang humain, il répondit avec une franchise farouche : On a empoisonné mes paroles ; mais, au reste, je me fais gloire de penser comme Marat, qui aurait voulu pouvoir s’abreuver du sang de tous les ennemis de la patrie[213]. Il accabla Carrier, qui se réfugiait dans le mensonge. Quant à lui, il ne nia rien, et dit fièrement : Si l’on me juge d’après mes actes, certes je suis coupable, et j’attends mon sort avec résignation ; mais, si l’on juge mes intentions, je le déclare : je ne redoute ni le jugement des jurés, ni celui du peuple, ni celui de la postérité[214]. Son défenseur avait pris la parole et rappelait quelle avait été jusque dans son délire la hauteur de son âme, lorsque tout à coup des sanglots retentissent. Gallon, un des accusés, se lève éperdu, et, fondant en larmes, il s’écrie d’une voix qui lit tressaillir tous les assistants : C’est mon ami, c’est un honnête homme ; c’est mon ami : je le connais depuis neuf ans ; il a élevé mes enfants ; tuez-moi, mais sauvez-le[215]... On ne put se résoudre à le condamner[216].

Tel était le créole Goullin. Dans le Comité révolutionnaire de Nantes, qu’il domina et entraîna, il y avait des hommes bassement féroces, un Grandmaison, un Pinard ; mais il y en avait d’autres qui ne firent que céder au cours orageux des événements.

Bachelier, président du Comité, était un père de famille de mœurs pures, d’un caractère naturellement doux, dont la vie privée fut jusqu’au bout irréprochable et qui se montra toujours prêt à mettre au service des pauvres, des opprimés, ses connaissances d’homme de loi et son expérience de praticien[217].

Chaux était l’intrépide patriote, compagnon de Philippeaux dans le voyage héroïque que celui-ci fit de Tours à Nantes. Il existe de la bienfaisance de Chaux des témoignages irrécusables. Un des certificats qui, lors de son procès, furent produits en sa faveur, constate qu’il recueillit chez lui et prit à sa charge deux enfants orphelins dont les parents avaient péri en Vendée[218].

Proust, cloutier, jouissait à Nantes de l’estime générale. On le savait si plein d’humanité, que les Nantais l’appelaient le bon ange du Comité. Quand il fut poursuivi après le 9 thermidor, il eut pour défenseurs une foule de détenus qui lui devaient leur salut, et qui opposèrent à l’acte d’accusation des certificats dont un porte plus de trois cents signatures. On raconta de lui nombre de traits touchants, et, par exemple, qu’il avait logé dans sa maison et nourri pendant deux ans une pauvre veuve infirme, presque centenaire. Sa femme, vraie sœur de charité, employait, pour secourir et consoler les détenus dans les prisons, toutes sortes de fraudes pieuses, comme de les aller voir avec des paquets de lin à filer sous le bras, afin qu’on crût qu’elle allait leur donner de l'ouvrage. Elle ne cessait de réclamer en faveur des victimes. Un jour, transporté de colère, Carrier lui cria : Je ne vois que toi venir faire, des réclamations pour ces b....... de négociants. Si tu reviens, je te ferai mettre dedans toi-même. Et il la poussa d’un mouvement si brutal, qu’elle se froissa violemment la tête contre la porte[219].

Un des premiers actes qui signalèrent la politique de Carrier à Nantes fut la formation de la Compagnie de Marat, chargée d’opérer des visites domiciliaires et d’arrêter les suspects[220]. On a prêté à cette Compagnie des dilapidations et des vols qu’une procédure ultérieure Prouva être autant d’impostures ; mais on se représente aisément les excès d’arbitraire auxquels dut s’emporter une armée de fanatiques qui avaient reçu les pouvoirs les plus étendus[221], qui se paraient du nom de Marat, et à qui Carrier disait : Marchez ferme, et songez que vos têtes me répondent de l’exécution de mes ordres[222]. Bientôt les prisons furent encombrées ; non pas toutefois en vertu des décisions du Comité, dont la règle était que, si, sur cinquante membres dont il se composait, une réclamation appuyée par trois voix s’élevait, le suspect n’était point porté sur la liste[223].

Aussi les arrestations n'atteignirent-elles pas plus de six cents individus domiciliés, en des heures d’extrême péril, et sur une population de près de cent mille âmes, dans les rangs de laquelle les Vendéens avaient de nombreuses sympathies et les royalistes de nombreux complices[224]. Ce qui est vrai, c’est qu’à chaque instant la force armée amenait du dehors des rebelles faits prisonniers, et voilà ce qui produisit l’engorgement des prisons[225].

Lorsque Carrier ordonna l’incarcération de tous les acheteurs et revendeurs de denrées de première nécessité, qui avaient transgressé la loi du maximum, ce qui pouvait s’appliquer à dix mille citoyens, le Comité ne fil arrêter que les plus coupables : soixante sur dix mille[226].

Ah ! s’il n’avait jamais fléchi ! Mais Carrier l’emporta enfin. La frénésie de cet homme était-elle de la démence ? On serait tenté de le croire. Il prononça des paroles et il eut des emportements qui ramènent la pensée à Caligula ou à Commode. Il parlait de jeter à la mer la moitié de la ville de Lorient[227]. A ses yeux, tous les riches étaient les contre-révolutionnaires, tous les marchands des accapareurs, et il s’engageait à faire rouler leurs têtes sous le rasoir national[228]. On le vit, un jour qu’il pérorait à la Société populaire, s’interrompre soudain et se mettre à couper des chandelles avec son sabre[229]. La Commission militaire s’opposant à des extractions par lui ordonnées, il mande le président, et, transporté de rage, il lui crie : Tu veux juger, vieux J... F... : eh bien, juge ; mais, si l’entrepôt n’est pas vide dans deux heures, je vous fais tous guillotiner. L’autre en mourut de saisissement[230].

Qu’il ait appelé le meurtre au secours de ses déboutes ; qu'il ait fait fusiller sans jugement des maris qui gênaient ses amours ; qu’il ait autorisé ou ordonné les mariages républicains, supplice qui aurait consisté à lier un jeune homme nu sur une jeune fille et à les précipiter ainsi dans les flots, c’est ce qu’on lit dans un Rapport de Romme, mais ce qui ne fut nullement établi au procès. Une fois Carrier mis en jugement, toutes les haines, toutes les passions, toutes les terreurs, prirent à la fois la parole pour l’accabler ; et on le calomnia, comme si cela eût été nécessaire[231] ! Contre lui, ce qui est certain suffit, et au delà ! On lit dans Tacite : ... Alors Anicetus apprend à Néron que l’on pouvait fabriquer un vaisseau construit de manière qu’une partie du bâtiment, s’abîmant sous l’eau, engloutirait sa mère à l'improviste... L’invention plut à Néron[232]. Elle plut aussi à Carrier.

Cette affreuse idée des noyades avait été émise, à Strasbourg, devant Saint-Just, qui la repoussa avec horreur. Mais Carrier n'était pas Saint-Just[233]. Lui, n’hésita pas. Seulement, il résolut de ne se compromettre par aucun ordre écrit. Fidèle en cela aux maximes de Hérault de Séchelles, avec lequel il était en correspondance et qui lui adressait l’étrange recommandation que voici : Quand un représentant est en mission, et qu’il frappe, il doit frapper de grands coups, et laisser toute la responsabilité aux exécuteurs. Il ne doit jamais se compromettre par des mandats écrits[234]. L’avis avait d’autant plus de chance d’être bien accueilli par Carrier, que la terreur qu’il répandait autour de lui, il la portail en lui. Cet homme qui faisait peur avait peur.

Les noyades commencèrent à la fin de brumaire. Des prêtres devaient être déportés. On les conduit, dans un bateau à trappe ou à coulisse, jusqu’à la hauteur de Paimbœuf. Là, on les dépouille, On leur lie les mains derrière le dos, la trappe s’ouvre, ils sont engloutis. Cela fut appelé, dans le style de Carrier, la déportation verticale ![235]

Le proconsul en écrivit à la Convention, en termes qui pouvaient lui faire croire qu’il s’agissait d’un événement naturel[236]. Pourquoi faut-il que cet événement — un avantage remporté par les républicains — ait été accompagné d’un autre qui n'est plus d'un genre nouveau ? Cinquante-huit individus, désignés sous le nom de prêtres réfractaires, sont arrivés d’Angers à Nantes. Aussitôt ils ont été enfermés dans un bateau sur la Loire. La nuit dernière, ils ont tous été engloutis dans cette rivière. Quel torrent évolutionnaire que la Loire ![237]

Le 7 frimaire (27 novembre), cent trente-deux Nantais furent envoyés au Tribunal révolutionnaire de Paris parle Comité de Nantes. Quatre-vingt-quatorze seulement comparurent devant le Tribunal qui les acquitta. Leurs compagnons étaient morts sur la roule, de chagrin, de maladie et de fatigue[238].

Cependant, le 13 frimaire (3 décembre), les Vendéens, ou, comme on disait alors, les brigands ayant attaqué Angers, l’alarme fut vive à Nantes. Les rebelles pouvaient to ut aussi bien se porter sur Nantes que sur Angers ; et, le 14, on ignorait dans la première de ces deux villes ce lui s’était passé dans la seconde. Tout ce qu’on savait, c’est que les brigands étaient là. L’encombrement des prisons y avait produit une épidémie, qui déjà envahissait la ville. En outre, un mouvement insurrectionnel fut tenté parmi les prisonniers, dont plusieurs avaient été condamnés précédemment à des peines afflictives[239]. Dans cette extrémité, un seul remède se présente à l’esprit de Carrier : il fait assembler, dans la nuit du 14 au 15 frimaire (4-5 décembre), les Corps administratifs de Nantes, la Société populaire, le Comité, et les appelle a délibérer sur la question de savoir si l’on procéderait, oui ou non, à une exécution en niasse des prisonniers. C’était, selon lui, tuer d’un coup la révolte intérieure et la peste. A celle motion inattendue, plusieurs frissonnent. Bachelier proteste[240]. Phélippes Tronjolly, président du Tribunal révolutionnaire de Nantes, combat l’horrible proposition, et avec tant de véhémence, que Goullin le traite de contre-révolutionnaire[241]. Le résultat de la délibération fut qu’une liste serait dressée, et, le lendemain, 15 frimaire (5 décembre), l’ordre de fusiller cent trente-deux prisonniers reçut la signature de trois membres du Comité : Goullin, Grandmaison et Mainguet[242]. Ce jour-là même avait lieu, à Lyon, la seconde des fusillades prescrites par Fouché et Collot-d’Herbois ! Heureusement, en cette occasion, les victimes nantaises désignées en furent quittes pour la menace, l’ordre ayant été révoqué[243].

Mais la proie qui lui échappait, Carrier ne tarda pas à la ressaisir.

Parmi ses satellites figurait un misérable, nommé Lamberlye, moitié espion[244], moitié bravo. Le 17 frimaire (7 décembre). Carrier remit à Lamberlye et à un autre de ses complices un ordre adressé au commandant de la force armée, et conçu en ces termes : Je vous requiers, au nom de la loi, de fournir à Fouquet et à Lamberlye de la force armée à suffisance pour une expédition que je leur ai confiée, et de les y laisser vaquer de jour et de nuit[245]. Quelle expédition ?... Carrier se rend au Comité révolutionnaire, où viennent le rejoindre, avertis par lui, Colas, lieutenant de port, et Affilé, charpentier de na- vire. Avec eux, il passe dans une chambre séparée du bureau du Comité, y reste quelque temps comme en consultation, mande Goullin, lui donne des instructions secrètes, rentre au bureau, et, sans s’expliquer, invite Goullin à rédiger les réquisitoires, qui sont signés et délivrés, séance tenante[246].

Un grand nombre de détenus occupaient une maison d arrêt dite du Bouffay : dans la nuit du 24 au 25 frimaire (14-15 décembre), des soldats de la Compagnie de Marat s’y présentent, portant des paquets de cordes, et demandant qu’on leur livre cent cinquante-cinq détenus. Sur le refus du gardien, deux soldats partent et, bientôt a Près, reparaissent avec un ordre signé... de Carrier ? Non, il n’avait pas voulu qu’on pût s’armer contre lui d’une preuve écrite[247] : le papier fatal ne s’élevait en témoignage que contre Goullin et Lévêque, un de ses collègues. Les prisonniers sont amenés et on les attache deux à deux, les mains liées derrière le dos. Grandmaison et Goullin arrivent, très-animés l’un et l’autre. La liste de cent cinquante-cinq ne pouvait être complétée, quelques-uns de ceux qui la composaient ayant e té mis en liberté ou étant morts. Je t’en ai envoyé quinze ce soir, dit Goullin au concierge, qu’en as-tu fait ?Ils sont dans les chambres d’en haut. — Eh bien, fais-les descendre. La liste fut plus que complétée, elle fut portée à cent cinquante-neuf. Goullin semblait livré à un noir vertige : Allons, dit-il, dépêchons-nous, la marée baisse[248]...

Carrier avait fait répandre le bruit qu’il s’agissait d’un transfèrement à Belle-Isle. Les prisonniers furent conduits à une gabare, où se trouvait Affilé. On les fait entrer dans la gabare ; des soldats de la Compagnie de Marat y montent. Goullin était resté sur le quai. On ferme l’entrée avec des planches qu’on cloue, ainsi que les panneaux ou sabords ; et la gabare est démarrée. On disait tout bas : A l’île Chaviré. Mais voilà que des cris lamentables retentissent : Sauvez-nous ! sauvez-nous ! Il en est temps encore... et quelques-uns de ces malheureux, ayant rompu leurs liens, passaient leurs bras entre les planches. Or, Grandmaison, — la plume hésite à retracer tant d'horreurs, — Grandmaison était là, complètement ivre, et abattant, à coups de sabre, l’infâme ! les mains tremblantes qui se tendaient vers lui ! Il y eut un moment où des soldats qu’on n’avait prévenus de rien et qui étaient restés à bord, se crurent perdus : des charpentiers, pincés dans des batelets, frappaient la gabare à grands coups de hache, et elle enfonçait[249]...

Sur la date exacte de chacune des noyades et sur leur nombre, impossible d’accorder les documents[250]. Ce qui est certain, c’est qu’il y en eut plusieurs, où figura, comme bourreau, à côté de Lambertye, un nommé Robin, à peine âgé de vingt et un ans. C’est ce Robin qui, traduit plus tard devant le Tribunal révolutionnaire, disait : Je conviendrai des noyades qui m’ont été commandées par Carrier, avec la même franchise que je les ai exécutées[251]. Ô souvenir qui consterne ! Il figura aussi dans ces expéditions abominables, O’Sullivan[252], ce Nantais de race irlandaise, le compagnon de Meuris, un des béros de Nort, un des sauveurs de Nantes, cet intrépide et beau jeune homme, dont un écrivain de nos jours a pu dire qu'il était aimé des hommes, adoré des femmes, et très-doux, avec une tête prodigieusement exaltée[253]. Il avait empêché qu’on fusillât les cent trente-deux Nantais : par quelle fatalité faut-il qu'on le rencontre au nombre des convives, dans un dîner que décrit en ces termes un témoin oculaire : Laloi m’engagea à dîner avec lui, et me conduisit dans une galiote hollandaise. Je descends dans le fond de cale ; je vois une table de quinze à vingt couverts ; je demande cc que c’est que ce dîner, quelle est la galiote où je me trouve ? C'est la grande tasse des prêtres, me répond Laloi ; et, comme Lamberlye a fait l’expédition, Carrier, pour l’en récompenser, lui a donné cette galiote. On se met à table, Lamberlye était à la droite de Carrier, Laloi à sa gauche. Foucauld, Robin et O’Sullivan étaient au nombre des convives. Le dîner fut fort gai, Lamberlye fit le récit de ses belles expéditions ; il raconta qu’il faisait sortir ses victimes deux à deux, les fouillait, les attachait, les faisait descendre dans la gabare, les précipitait ensuite dans l’eau. Et les assistants d’applaudir[254].

Cependant la ville était aux abois. Le typhus, sorti des prisons, l’avait envahie. Une contagion morale plus affreuse encore s’étant répandue, la Loire offrait continuellement le spectacle de cadavres noyés, descendant de Saumur, d’Angers, de Château-Gontier[255]. Douze cents pères de famille étaient morts empestés, à la descente des gardes. La Commission militaire[256], établie à l’entrepôt, faillit y périr tout entière. D’un autre côté, les troupes de la République, victorieuses, refoulaient vers Nantes les Vendéens, vaincus. Il y entrait chaque jour des bandes de rebelles aux vêlements déchirés, à la figure hâve, à l’aspect cadavéreux, qui disaient : Nous venons nous rendre. Mais le peuple, les sachant traqués, ne croyait pas à leur repentir, il ne voyait dans leur démarche que l’hypocrisie du désespoir ; et leur présence ne servait qu’à faire repasser devant ses yeux toutes ces funestes images des républicains cloués aux portes, écorchés vifs, brûlés à petit feu... Enfiévré d’ailleurs et tremblant pour lui-même, il les accusait d’apporter la peste. Que ne prenait-on le parti de les fusiller[257] ? Goullin fut d’avis qu’il fallait, au contraire, les traiter humainement ; que c’était le moyen d’engager les rebelles à se rendre[258]. Mais Carrier ne l’entendait pas ainsi. A un général qui lui disait : Nous savons battre l’ennemi, non l’assassiner, il répondit : Voulez-vous que je me fasse guillotiner ? Il n’est pas en ma puissance de faire grâce à ces gens-là. Et deux listes, qu’il signa, furent dressées, l’une du 27 frimaire (17 décembre), contenant l’ordre de fusiller sans jugement vingt-quatre brigands, l’autre du surlendemain, contenant l’ordre d’en fusiller trente[259]. Phélippes-Tronjolly ne se sentit pas le courage de désobéir : l’exécution eut lieu. Parmi les victimes se trouvaient deux enfants et sept femmes, qu’on guillotina. Six de ces malheureuses, madame et mesdemoiselles de la Métayrie, portaient un litre fatal : elles étaient cousines germaines de Charette[260].

Hâtons-nous de clore ce poignant récit. Nous retrouverons Carrier, dans ses rapports avec les généraux républicains ; nous le retrouverons lorsque, sur les dénonciations de Julien, Robespierre, indigné, provoqua son rappel. Quel plus mortel ennemi en effet pouvait avoir la République que celui qui la montrait égalant la férocité vendéenne ! Ah ! il eut beau demandera la nuit découvrir ce qu’il appelait des expéditions secrètes : ne fallut-il pas afficher dans Nantes une ordonnance qui défendait de boire l’eau de la Loire que les cadavres avaient infectée[261] ? Et puis, les Ilots gardèrent mal le secret qui leur était confié ; et ces victimes que la Loire courait Porter à la mer, une épouvantable marée, grossie par un vent d’ouest, se bâta, dit-on, de les lui renvoyer[262].

Où sont-ils, où sont-ils, sombres dans les nuits noires ?

Ô flots ! que vous savez de lugubres histoires !

Flots profonds, redoutés des mères à genoux !

Vous vous les racontez en montant les marées,

Et c’est ce qui vous fait ces voix désespérées

Que vous avez le soir quand vous venez vers nous[263].

Mais ne l’oublions pas, ne l’oublions pas : les républicains, à leur tour, eurent des fleuves pour tombeaux, quand les royalistes triomphèrent. Pendant la réaction qui suivit le 9 thermidor, on ne pouvait traverser le Rhône sans entendre la chute de quelque Mathecon qui tombait dans les flots[264] ! Il n’y eut qu’une différence : la Révolution se chargea elle-même de châtier ceux qui se souillèrent à son service ; et les Schneider, les Tallien, les Fréron, les Collot-d’Herbois, les Fouché, les Carrier, n’eurent pas déjugé plus inexorable que Robespierre ; tandis que le royalisme, au contraire, dressa des couronnes pour les auteurs des crimes dont il profita. A Lyon, après l’égorgement en masse des prisonniers républicains dans la soirée du 10 floréal (15 mai) 1795, une quinzaine de jeunes gens, héros sinistres du massacre, avaient été traduits pour la forme devant le Tribunal de Roanne. Ils furent acquittés, cela va sans dire ; et, le jour où ils entrèrent à Lyon, des femmes, accourues au-devant d’eux, jetèrent des fleurs sur leur passage. Le soir, au spectacle, on les couronna[265] !

 

 

 



[1] Voyez sur la situation de Strasbourg au moment de l'arrivée de Saint-Just et Lebas, la lettre de ces derniers à la société populaire de la ville, en date du 24 brumaire an II. (Moniteur, 1793, an II, n° 67.)

[2] Les lettres de lui qui ont été publiées et qui n’étaient pas destinées à voir le jour le peignent tout entier. Nous en citerons quelques passages.

[3] Moniteur, an II, 1793, n° 45.

[4] Moniteur, an II, 1793, n° 45.

[5] Moniteur, an II, 1793, n° 45.

[6] Moniteur, an II, 1793, n° 45.

[7] Moniteur, an II, 1793, n° 67.

[8] Collection des arrêtés de Saint-Just et Lebas. Histoire parlementaire, t. XXXI, p. 37.

[9] Collection des arrêtés de Saint-Just et Lebas. Histoire parlementaire, t. XXXI, p. 38.

[10] Voyez à cet égard les Mémoires du prince de Hardenberg, passim.

[11] Collection des arrêtés, etc., ubi supra, p. 35.

[12] Édouard Fleury, Saint-Just et la Terreur, t. II, p. 19.

[13] Collection des arrêtés de Saint-Just et Lebas, ubi supra, p. 55.

[14] M. Édouard Fleury, détracteur systématique de la Révolution et de Saint-Just, reconnaît que pas une plainte ne s’éleva qui permette un doute sur son désintéressement. (Voyez Saint-Just et la Terreur, II, p. 23.)

[15]XLII du Recueil des pièces authentiques servant à l'histoire de la Révolution à Strasbourg. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[16]XLII du Recueil des pièces authentiques servant à l'histoire de la Révolution à Strasbourg. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[17]XLII du Recueil des pièces authentiques servant à l'histoire de la Révolution à Strasbourg. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

Dans Saint-Just et la Terreur, t. II, p. 49, M. Edouard Fleury cite ce dernier billet comme une preuve que tes membres de la Propagande, association révolutionnaire dont nous parlerons tout à l'heure, dissipaient, gâtaient, souillaient les comestibles, les vivres, tes vins mis en réquisition pour les malades et pour l’armée. L’exemple est très- malheureusement choisi. Le nom qui signe le billet, et que M. Fleury ne donne pas, montre que la sommation venait, non de la Propagande, mais du secrétaire de Lacoste, ce qui est fort différent. On trouve bien dans le recueil sus mentionné deux demandes adressées par la Propagande au maire de Strasbourg ; mais elles présentent un tout autre caractère. On en va juger ; La Propagande aurait besoin que l’on mît quelqu’un en réquisition pour lui fournir du lait, du beurre et des œufs, qu’elle ne peut se procurer sans ce moyen. J. B. Muller, trésorier.

[18] Saint-Just et la Terreur, t. II, p. 22.

[19] Collection des arrêtés, ubi supra, p 37.

[20] Recueil des pièces authentiques servant à l'histoire de la Révolution à Strasbourg. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[21] Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[22] Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[23] Appel de la Commune de Strasbourg à la Convention, p. 21. — Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[24] Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[25] Voyez à ce sujet le chapitre relatif à la mission militaire de Saint-Just et Lebas, et aussi le Moniteur, 1795, an II, n° 67.

[26] Extrait des arrêtés du conseil municipal de Strasbourg, dans le Recueil des pièces authentiques servant à l’histoire de la Révolution dans cette commune. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[27] N° LXXXVIII du Recueil des pièces authentiques servant à l’histoire de la Révolution à Strasbourg. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[28] Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[29] Souvenirs de la Révolution, t. I, p. 13.

[30] Recueil des pièces authentiques servant à l’histoire de la Révolution à Strasbourg. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[31] Collection des arrêtés de Saint-Just et Lebas. Histoire parlementaire, t. XXXI, p. 55 et 56.

[32] Récit basé sur les éclaircissements donnés par M. Monet lui-même aux auteurs de l’Histoire parlementaire. (Voyez t. XXXI, p. 56.)

[33] Histoire parlementaire, t. XXXI, p. 56.

[34] Charles Nodier, Souvenirs de la Révolution, t. I, p. 13. Quoique Charles Nodier fût très-loin d'être un révolutionnaire, la force de la vérité lui ayant arraché de nombreux témoignages en faveur de Robespierre et de Saint-Just, les écrivains royalistes ont pris texte de quelques erreurs par lui commises pour nier son autorité en matière d'histoire. Le fait est que ce n'est point l’histoire de l'historiographe que Charles Nodier, comme il le disait lui-même, a prétendu écrire, et son livre n’a certainement pas le mérite d'une chronologie toujours exacte ; mais la couleur qu'il donne aux hommes et aux choses est très-souvent celle qu'une élude attentive des documents officiels montre avoir été la couleur vraie. Et c’est par là surtout que les Souvenirs de Charles Nodier sont historiques.

[35] Appel de la Commune de Strasbourg à la République et à la Convention. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[36] Histoire de la Propagande, par les sans-culottes Masse, Jung, Vogt et Wolff. (Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. [British Museum.])

[37] M. Édouard Fleury, dans son Étude sur Saint-Just, t. II, p. 31 et 36, ne manque pas de donner la prétendue perfidie de Monet comme chose prouvée. La preuve sur laquelle il s'appuie est curieuse ! Après la mort de Saint-Just, dit-il, on trouva parmi ses papiers tout un cahier d'observations écrites par plusieurs des principaux révolutionnaires, par un nommé Blainé, un des agents sans doute de la police secrète des deux commissaires extraordinaires. Voici ce que Blainé écrivait à Saint-Just pour l’engager à se méfier du maire Monet : A-t-il dressé procès-verbal de la lettre qu’il a reçue du chevalier de Saint-Hilaire ? ou a-t-il voulu faire une plaisanterie de la conspiration de Strasbourg ? Qu'il ne pense pas nous endormir par ses paroles. Quoique maire, il ne mérite pas moins notre scrupuleuse surveillance. Ainsi les défiances d’un nommé Blainé, voilà ce qui prouve que la proscription des autorités de Strasbourg fut une hypocrite comédie, un acte dont le prétexte avait été abominablement odieux à force de fourberie et de mensonge ! Par malheur, les défiances d'un nommé Blainé, et l’accès d'honnête indignation auquel elles servent de point de départ, se trouvent ne cadrer nullement avec les faits. Monet n’avait point à dresser procès-verbal de la lettre reçue du chevalier de Saint-Hilaire, puisque, comme nous l’avons vu, cette lettre fut envoyée, non à lui, mais au général Michaud, qui, de son côté, la transmit aux représentants Milhaud et Guyardin. Quant au fabricateur, nous avons cité un document judiciaire qui tranche la question.

[38] Moniteur, 1793, an II, n° 67.

[39] Moniteur, 1793, an II, n° 67.

[40] N° XXXIX à XLI, des Pièces justificatives, à la suite du Rapport de Courtois sur les papiers de Robespierre. Bibliothèque historique de la Révolution, 856-7.8. (British Museum.)

[41] N° XXXIX à XLI, des Pièces justificatives, à la suite du Rapport de Courtois sur les papiers de Robespierre. Bibliothèque historique de la Révolution, 856-7.8. (British Museum.)

[42] Bibliothèque historique de la Révolution, 856-7-8. (British Museum.)

[43] Histoire parlementaire, t. XXXI, p. 29.

[44] Charles Nodier, Souvenirs de la Révolution, t. I, p. 12. — Michaud jeune, à l'article Nodier dans la Biographie universelle, paraît trouver invraisemblable que Nodier, qui n'avait alors que dix ou onze ans, ait été envoyé par son père apprendre le grec chez Schneider. Eh ! qu’y a-t-il donc là d’invraisemblable ? On ne se met pas au grec à vingt ans. Ah ! si Charles Nodier avait dit un peu plus de mal de Saint-Just !

[45] Schœll, Biographie universelle, art. Schneider.

[46] Histoire de la Propagande, et des miracles qu’elle a faits dans cette commune, par les sans-culottes Masse, Jung, Vogt et Wolff. — C'est un pamphlet violent contre la Propagande. — Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.) — Voyez aussi les Souvenirs de la Révolution, de Charles Nodier.

[47] Histoire de la Propagande, et des miracles qu’elle a faits dans cette commune, par les sans-culottes Masse, Jung, Vogt et Wolff. — Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[48] C'est un des plus amers reproches que leur adressent les auteurs de l’Histoire de la Propagande, etc.

[49] C'est un des plus amers reproches que leur adressent les auteurs de l’Histoire de la Propagande, etc.

[50] Recueil des pièces authentiques servant à l'histoire de la Révolution à Strasbourg. — Extrait de la séance du Comité de surveillance, du 17 germinal.

[51] Recueil des pièces authentiques servant à l'histoire de la Révolution à Strasbourg. — Séance du Conseil de surveillance, du 4 nivôse, an II.

[52] Recueil des pièces authentiques servant à l'histoire de la Révolution à Strasbourg. — Discours de Monet à la Société populaire de Strasbourg, en date du 21 floréal.

[53] Recueil des pièces authentiques servant à l'histoire de la Révolution à Strasbourg, n. CIV.

[54] Ibid. — Discours de Monet.

[55] Dans Saint-Just et la Terreur, t. II, chap. IX, M. Édouard Fleury, entre autres erreurs, en commet une singulière. Il fait de Schneider et de Jung les chefs de la Propagande, tandis qu’ils l’étaient du parti contraire.

[56] Résumé des interrogatoires subis par les complices de Schneider. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[57] Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.). — Discours de Monet, en date du 21 floréal. — Lettre des administrateurs du Bas-Rhin, en réponse à un écrit intitulé : Euloge Schneider à Robespierre l'aîné.

[58] Mémoire imprimé de Fouquier-Tinville. Bibliothèque historique de la Révolution, 947-8.

[59] Résumé des interrogatoires subis par les complices de Schneider, ubi supra.

[60] Lettre des administrateurs du Bas-Rhin, sus-mentionnée.

[61] Ce fait, est-il dit dans la biographie de Schneider par Schœll, fut recueilli, en 1795, sur la déposition de l’officier de gendarmerie qui en avait été témoin, et il se trouve consigné dans les procès-verbaux du Directoire.

[62] Collection des arrêtés de Saint-Just et Lebas, t. XXXI de l’Histoire parlementaire, p. 40.

[63] Voyez dans la Biographie universelle, l’art. Schneider.

[64] Lettre des administrateurs du Bas-Rhin, en réponse à un écrit intitulé : Euloge Schneider à Robespierre l'aîné. — Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[65] Voyez l’Histoire parlementaire, t. XXXI, p. 30 et l’article biographique de Schneider, par Schœll. — Dans ses Souvenirs de la Révolution, t. I, p. 25, Charles Nodier a raconté aussi cet événement, mais en y mêlant, d’après des on dit populaires, des circonstances romanesques.

[66] Schœll.

[67] Moniteur, germinal, an II (1794).

[68] Discours prononcé par Monet à la Société populaire, le 21 floréal. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[69] Recueil des pièces authentiques servant à l'histoire de la Révolution à Strasbourg. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[70] Recueil des pièces authentiques servant à l'histoire de la Révolution à Strasbourg. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[71] Recueil des pièces authentiques servant à l'histoire de la Révolution à Strasbourg. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[72] Recueil des pièces authentiques servant à l'histoire de la Révolution à Strasbourg. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[73] Recueil des pièces authentiques servant à l'histoire de la Révolution à Strasbourg. Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[74] Résumé des interrogatoires subis par les complices de Schneider, Bibliothèque historique de la Révolution, 1317-18-19. (British Museum.)

[75] Le nouveau tribunal, composé cette fois d'honnêtes gens, ne condamnait guère qu’à des amendes, et le plus souvent il acquitta. Ainsi s’expriment, t. XXXI, p. 50, les auteurs de l’Histoire parlementaire. C’est vrai. Toutefois il est juste de dire que la très-rigoureuse condamnation du pelletier Schauer fut prononcée par le tribunal dont Mainoni eut la présidence.

[76] C’est ce que dit Charles Nodier, Dictionnaire de la Conversation, art. Saint-Just : et c’est ce que disent bien mieux encore les écrits da Saint-Just lui-même.

[77] Institutions, sixième fragment, 2, Des affections.

[78] Correspondance privée de Lebas, communiquée par sa famille. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 553.

[79] Voyez les pièces justificatives réunies par Fréron à la suite de son Mémoire apologétique.

[80] Extrait des registres de la commune d’Aix, du 25 floréal an III.

[81] Le second eut lieu dans la nuit du 20 juin (2 messidor 1793), le premier avait eu lieu dans la nuit du 24 au 25 mai (5-6 prairial). Procès-verbaux de la municipalité de Tarascon, communiqués par M. David Millaud.

[82] Renseignements contenus dans une lettre particulière qui nous a été adressée par M. David Millaud.

[83] Voyez dans le Mémoire historique de Fréron sur la réaction royale et les massacres du Midi, le procès-verbal du massacre du fort Saint-Jean, n° 4 des pièces justificatives, p. 124-131.

[84] Mémoire historique de Fréron sur la réaction royale et les massacres du Midi. Pièces justificatives.

[85] Histoire parlementaire, t. XXXVI, p. 412.

[86] Histoire parlementaire, t. XXXVI, p. 413.

[87] Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, par Charles Nodier, t. I, p. 124.

[88] Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, par Charles Nodier, t. I, p. 140 et 141.

[89] Prudhomme, Histoire générale et impartiale des erreurs, des fautes et des crimes commis pendant la Révolution française, an V, t. II, p. 445.

[90] Voyez l’Histoire de Bordeaux pendant dix-huit mois, par Sainte-Luce Oudaille, dans la Bibliothèque historique de la Révolution, 1528-9-30-1. (British Museum.)

Cette histoire prétendue n'est qu’un pamphlet déclamatoire, écrit en pleine réaction thermidorienne, avec l’intention manifeste d'écarter la responsabilité des excès commis à Bordeaux de la tête de Tallien, devenu alors le favori des contre-révolutionnaires.

[91] Michaud jeune, Biographie universelle.

[92] Michaud jeune, Biographie universelle.

[93] Séance de la Convention, du 20 août 1793.

[94] Collot mitraillé par Tallien. — Bibliothèque historique de la Révolution. — Comités de salut public et de sûreté générale, 2, 1795, n° 4 des pièces justificatives. (British Museum.)

[95] Meillan et Louvel le constatent amèrement dans leurs Mémoires.

[96] Voyez la lettre des quatre commissaires, dans le Moniteur (an II, 1793), n° du 7 du deuxième mois.

[97] Moniteur (an II, 1793), n° du 7 du deuxième mois.

[98] Moniteur (an II, 1793), n° du 7 du deuxième mois.

[99] Lettre d'Ysabeau et Tallien à la Convention nationale. Moniteur, 1793, an II, n° 38.

[100] Lettre d’Ysabeau et Tallien aux Jacobins, Moniteur, an II (1793), n° 72.

[101] Lettre d’Ysabeau et Tallien aux Jacobins, Moniteur, an II (1793), n° 72.

[102] Lettre d’Ysabeau et Tallien aux Jacobins, Moniteur, an II (1793), n° 72.

[103] Moniteur, an II (1793), n° 174.

[104] Collot mitraillé par Tallien, ubi supra, p. 9.

[105] Collot mitraillé par Tallien, n° 1 des pièces justificatives.

[106] Collot mitraillé par Tallien, n° 1 des pièces justificatives.

[107] Collot mitraillé par Tallien, p. 4. — Rien de plus pitoyable que la manière dont Tallien cherche à écarter de lui la responsabilité de cet arrêté, dans sa réponse à Collot-d’Herbois. Il dit que les dispositions convenues furent dénaturées par le rédacteur ; que l’arrêté demeura plusieurs jours dans son secrétaire à lui, Tallien, sans qu’il en connût l’existence ; que le manuscrit fut envoyé à l’impression, d’après ce qu'il apprit, par un Perrens d’Herval, etc.

[108] Collot mitraillé par Tallien, ubi supra, p. 4.

[109] Prudhomme, Histoire générale et impartiale, etc., t. I, p. 436.

[110] Histoire générale et impartiale, etc., t. I, p. 436.

[111] Histoire générale et impartiale, etc., p. 444.

[112] Collot mitraillé par Tallien, ubi supra.

[113] Prudhomme, Histoire générale et impartiale, etc., p. 444.

[114] Tout ceci se trouve constaté dans la lettre môme par laquelle Tallien et Ysabeau cherchèrent à justifier, aux yeux du Comité de salut Public, la destitution du Comité de surveillance de Bordeaux. Voyez Collot mitraillé par Tallien, ubi supra.

[115] Voyez aux pièces justificatives de la brochure de Tallien, intitulée : Collot mitraillé par Tallien.

[116] Voyez aux pièces justificatives de la brochure de Tallien, intitulée : Collot mitraillé par Tallien.

[117] Prudhomme dit, dans son Histoire générale et impartiale, etc., p. 443, que madame de Fontenay apprivoisa Tallien à peu près comme l’on apprivoise un jeune tigre. C’est faire Tallien plus cruel qu’il ne l’était, quoiqu’il ait commis des cruautés. C’était un homme corrompu, voilà tout, et c’est bien assez.

[118] Histoire générale et impartiale, p. 449.

[119] Histoire générale et impartiale, p. 449.

[120] Histoire générale et impartiale, p. 449.

[121] Histoire générale et impartiale, p. 445.

[122] Ce que dit formellement Barère dans ses Mémoires, t. IV, p. 14. Et certes, le témoignage de Barère en faveur de Robespierre n'est pas suspect.

[123] Lettre de Fréron, en date du 23 brumaire an II. Voyez tes éclaircissements historiques, à la suite du Mémoire de Fréron sur la réaction royale et les massacres du Midi, p. 350. Collection des Mémoires sur la Révolution française.

[124] Lettre de Fréron à Moyse Bayle, en date du 22 frimaire, an II, dans la brochure intitulée : Moyse Bayle au peuple souverain et à la Convention nationale, p. 3. Bibliothèque historique de la Révolution, 995-6-7. (British Museum.)

[125] Note de Moyse Bayle.

[126] Voyez l'article Barras dans la Biographie des Contemporains.

[127] Voyez les éclaircissements historiques, p. 350 et 351, à la suite du Mémoire de Fréron sur la réaction royale, etc.

[128] Lettre à Moyse Bayle. Voyez Moyse Bayle au peuple souverain et à la Convention nationale, p. 4. Bibliothèque historique de la Révolution, 905-6-7. (British Museum.)

[129] Bibliothèque historique de la Révolution, 905-6-7. (British Museum.)

[130] Voyez les éclaircissements historiques, à la suite du Mémoire de Fréron. Note b.

[131] Je tiens ce fait, dit Barère dans ses Mémoires, t. IV, p. 14, de Cambon, représentant de la trésorerie.

[132] C’est l’expression dont se sert Charles Nodier, en parlant de cette lettre. Voyez Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, t. I, p. 338 ; édition Charpentier.

[133]LXXXIX des pièces à la suite du Rapport de Courtois sur les papiers trouvés après la mort de Robespierre. Bibliothèque historique de la Révolution, 806-7-8. (British Museum.)

On sait que les papiers trouvés chez Robespierre après sa mort ne furent publiés par Courtois qu’après un triage auquel présida la haine et où les ennemis du vaincu de thermidor cherchèrent un moyen de justifier l'assassinat qu’ils avaient commis. Il faut s’applaudir de l’heureuse inadvertance qui a fait échapper le document qui précède au sort de tant d’autres pièces qui, par la plus grande de toutes les iniquités, ont été soustraites à la connaissance de l’histoire.

[134] Ces mots sont de Charles Nodier. Voyez Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, t. I, p. 558.

[135] N° I des pièces justificatives, à la suite du Rapport de Courtois.

[136] Moniteur, an II (1793), n° 41.

[137] Mémoires de l'abbé Guillon de Montléon, t. II, chap. XVI, p. 332 et 333.

[138] Mémoires de l'abbé Guillon de Montléon, t. II, chap. XVI, p. 332 et 333.

[139] Mémoires de l'abbé Guillon de Montléon, t. II, p. 333.

[140] Séance des Jacobins du 6 ventôse. Voyez le Moniteur, an II (1794), n° 161.

[141] Lettre de Fouché, n° XXV des pièces justificatives, à la suite du rapport de Courtois sur les papiers trouvés après la mort de Robespierre. Bibliothèque historique de la Révolution, 806-7-8. (British Museum.)

[142] Voyez dans le volume précédent, le discours qu'il prononça pour sauver les soixante-treize Girondins.

[143] Ce sont les propres termes de la pétition que des Lyonnais présentèrent à la Convention, le 20 décembre, contre Collot-d’Herbois.

[144] Lettre de Cadillot à Robespierre, n° CVI, des pièces justificatives, à suite du Rapport de Courtois. Bibliothèque historique de la Révolution, 806-7-8. (British Museum.).

[145] Lettre de Collot-d’Herbois au Comité de salut public, en date du 19 brumaire (9 novembre), n° LXXXXVIII des pièces justificatives, à la suite du Rapport de Courtois. Bibliothèque historique de la Révolution, 806-7-8. (British Museum.).

[146] Lettre de Collot-d’Herbois au Comité de salut public, en date du 17 brumaire (7 novembre). Bibliothèque historique de la Révolution, 806-7-8. (British Museum.).

[147] Bibliothèque historique de la Révolution, 806-7-8. (British Museum.).

[148] Rapport de Collot-d’Herbois sur la situation de Lyon. Séance du 1er nivôse (21 décembre). Voyez le Moniteur, an II (1794), n° 115, 114.

Il est à observer que ce Rapport de Collot-d’Herbois fut confirmé par la Société populaire de Lyon. Voyez la séance du 8 pluviôse, dans le Moniteur, an II (1794), n° 150.

[149] Moniteur, an II (1794), n° 150.

[150] Le mot est de Collot-d’Herbois. Bibliothèque historique de la Révolution, 806-7-8. (British Museum.).

[151] Bibliothèque historique de la Révolution, 806-7-8. (British Museum.).

[152] Bibliothèque historique de la Révolution, 806-7-8. (British Museum.).

[153]LXXXXVIII des pièces justificatives, à la suite du Rapport de Courtois, ubi supra.

[154] Lettre de Collot d'Herbois, Fouché et Laporte. Séance de la Convention du 25 brumaire. Moniteur, an II (1795), n° 57.

[155] Ce sont les expressions dont les trois représentants du peuple se servirent dans leur Rapport. Moniteur, an II (1795), n° 57.

[156] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 268.

[157] Arrêtés du 20 brumaire, an II, et du 15 brumaire, même année.

[158] Voyez ce document, reproduit in extenso dans les Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, t. II, ch. XVII.

[159] Voyez le texte, reproduit intégralement dans les Mémoires de l'abbé Guillon de Montléon, t. II, ch. XVII.

[160] Mémoires de l'abbé Guillon de Montléon, t. II, ch. XVII.

[161] Le lecteur sera peut-être étonné d’apprendre que l’abbé Guillon de Montléon, t. II, p. 354 et 355 de ses Mémoires, dit de la pièce qui vient d’être analysée que c’est un chef-d'œuvre de scélératesse, qui passe tout ce qu’un esprit exercé aux conceptions perverses pourrait imaginer de plus abominable et de plus atroce. Au reste, voici un exemple de la bonne foi de cet auteur : à la page 379, il dénonce comme une négation de l’immortalité de l'âme cette phrase de l'Instruction : Le patriote lègue à ses enfants, pauvres comme lui, les exemples de vertu qu’il leur a donnés, et à la patrie l’espérance de le voir renaître dans des enfants dignes de lui. Il est vrai que, dans le commentaire, l’abbé a soin de défigurer frauduleusement la phrase précédemment citée par lui-même dans le texte : L’Instruction, dit-il, repoussait toute idée de l’immortalité de l’âme, puisqu’elle ne laissait à l'homme mourant d’autre espérance que celle de revivre dans ses enfants !...

[162] Lettre de Collot-d’Herbois au Comité de salut public, n° LXXXVIII des pièces justificatives à la suite du Rapport de Courtois, Bibliothèque historique de la Révolution, 806-7-8. (British Museum.)

[163] Bibliothèque historique de la Révolution, 806-7-8. (British Museum.)

[164] Lettre de Reverchon à Couthon, n° CI des pièces justificatives, à la suite du Rapport de Courtois sur les papiers trouvés après la mort de Robespierre, Bibliothèque historique de la Révolution, 806-7-8. (British Museum.)

[165] Bibliothèque historique de la Révolution, 806-7-8. (British Museum.)

[166] Séance de la Convention, du 20 frimaire (16 décembre). Voyez le Moniteur, an II (1795), n° 87.

[167] Chapitre VIII du volume précédent.

[168] Arrêté de Collot d’Herbois et Fouché, en date du 15 brumaire (3 novembre).

[169] Arrêté de Collot d’Herbois et Fouché, en date du 15 brumaire (3 novembre).

[170] Voyez leur lettre à la Convention, lue dans la séance du 25 brumaire (15 novembre), Moniteur, an II (1795), n° 37.

[171] Défense de J. M. Collot. Paris, 11 ventôse an III, dans la Bibliothèque historique de la Révolution, 1070-1-2. (British Museum).

[172]XCVII des pièces justificatives, à la suite du Rapport de Courtois, Bibliothèque historique de la Révolution, 800-7-8. (British Museum.)

[173] Lettre lue dans la séance de la Convention du 1er frimaire (21 novembre). Moniteur, an II (1795), n° 64.

[174] Défense de J. M. Collot dans la Bibliothèque historique de la Révolution, 1070-1-2. (British Museum.)

[175] Arrêté du 7 frimaire (27 novembre).

[176] Voyez dans le n° CDXLI du Républicain français le texte de la pétition présentée à la Convention par une députation lyonnaise, et notamment le passage de cette pétition où le système de Couthon est rapproché de celui de Couché et de Collot-d’Herbois. Ce passage est cité dans le t. XXX de l’Histoire parlementaire, p. 395. — Voyez aussi les Mémoires de l'abbé Guillon de Montléon, t. II, ch. XVIII, p. 395.

[177] Arrêté du 7 frimaire.

[178] Cette lettre figure au n° LXXXVI des pièces justificatives, à la suite du Rapport de Courtois.

[179] Cette lettre figure au n° LXXXVI des pièces justificatives, à la suite du Rapport de Courtois.

[180] Cette lettre figure au n° LXXXVI des pièces justificatives, à la suite du Rapport de Courtois.

[181] Le Dantoniste Courtois fait dire par Collot à Robespierre, dans cette lettre : Il faut que Lyon ne soit plus, et que l’inscription que tu as Proposée soit une grande vérité. Les journaux du temps, et même le Moniteur, ne disent point qu’elle l’ait été par d’autre que Barère.

Cette note n'est pas de nous, comme on pourrait te croire ; elle est d'un écrivain ultraroyaliste, grand ennemi de Robespierre, elle est de l'abbé Guillon de Montléon. Voyez ses Mémoires, t. II, chap. XVIII, p. 405 et 406.

[182] Voyez cette lettre, qui est datée du 11 frimaire (1er décembre), parmi les pièces justificatives à la suite du Rapport de Courtois, n° LXXXVIII.

[183] Rapport de Courtois, n° LXXXVI des pièces justificatives.

[184] Rapport de Courtois, n° LXXXVI des pièces justificatives.

[185] Mémoires de Delandine, cite dans le tome XXX de l’Histoire parlementaire, p. 451. — Quoique Delandine fût à Lyon à cette époque, il se trompe en fixant à soixante-neuf les condamnés de cette première fournée ; ils n’étaient que soixante. Voyez la lettre qui fut adressée à la Commune de Paris, le 22 frimaire, touchant les exécutions, et, dans les Mémoires de l'abbé Guillon de Montléon, t. II, une note qui se trouve au bas de la page 417.

[186] Discours de Collot, dans la séance du 1er nivôse. Voyez le Moniteur, an II (1794), n° 115 et 114.

[187] Delandine assure qu'il dura deux heures, ce qui est peu vraisemblable : mais le fait de la prolongation du massacre est certain, il fut avoué, en pleine Assemblée, par Collot lui-même, dont voici les propres paroles : Ces dispositions terribles ne furent pas assez rapides, et leur mort a duré trop longtemps. Voyez le Moniteur, an II (1794), n° 113 et 114.

[188] Discours de Collot-d'Herbois, dans la séance du 1er nivôse. Voyez le Moniteur, an II (1794), n° 115 et 114.

[189] Recueil des arrêtés pris pur les représentants du peuple envoyés à Commune affranchie, p. 47.

[190] C'est ce que remarque Guillon Je Montléon lui-même, t. II, chap. XVIII, p. 428.

[191] Delandine dit : Peut-être la mort eût été pour les juges la punition de leur humanité ou d’un examen plus approfondi. Voyez le passage cité dans l’Histoire parlementaire, t. XXX, p. 432.

[192] Voyez sur cette boucherie du 15 frimaire les Mémoires de Delandine, cités t. XXX, p. 452 de l’Histoire parlementaire, et les Mémoires de l'abbé Guillon de Montléon, t. II, chap. XVIII, p. 426 et 427.

[193] Ce fait, dit Guillon de Montléon, m’a été certifié par un homme digne de foi, M. D..., auquel l’avait raconté M. Mar..., témoin oculaire peu suspect, que les proconsuls admettaient à leur faire sa cour. Le lecteur comprend pourquoi nous n’avons employé que la forme dubitative.

[194] Voyez le détail des exécutions dans une lettre à la Commune à Paris, citée t. XXX, p. 398 et 399 de l’Histoire parlementaire.

[195] Voyez le t. XXX, p. 398 et 399 de l’Histoire parlementaire.

[196] Défense de J. M. Collot dans la Bibliothèque historique de la Révolution, 1070-1-2. (British Museum.)

[197] Voyez le passage des Mémoires de Delandine, cité dans l’Histoire parlementaire, t. XXX, p. 426-429.

[198] Voyez le Moniteur, an II (1795), n° 65.

[199] N° XCVII des pièces justificatives à la suite du Rapport de Courtois, dans la Bibliothèque historique de la Révolution, p. 800-7-8. (British Museum.)

[200] N° XXV des pièces justificatives à la suite du Rapport de Courtois, dans la Bibliothèque historique de la Révolution, p. 800-7-8. (British Museum.)

[201] Mémoires de Charlotte Robespierre sur ses deux frères, précédés d’une Introduction par Laponneraye, chap. V.

[202] Mémoires de Charlotte Robespierre, etc., chap. V.

[203] L’arrivée de Carrier à Nantes est du 8 octobre ; le passage de la Loire, on s’en souvient, eut lieu le 10.

[204] Babœuf, La vie et les crimes de Carrier, p. 127. Bibliothèque historique de la Révolution, 1049-50-1. (British Museum.)

[205] Bachelier, Mémoire pour les acquittés par le jugement du Tribunal révolutionnaire le 6 frimaire, an III de la République, p. 7. Bibliothèque historique de la Révolution, 1049-50-1. (British Museum.).

[206] Mémoire de Bachelier, p. 8.

[207] Mémoire de Bachelier, p. 8.

[208] Mémoire de Bachelier, p. 11. — Les écrivains royalistes n’ont eu garde de mentionner ces circonstances. Pas un mot de tout cela dans l’Histoire de la Convention, par M. de Barante.

[209] Mémoire de Bachelier, p. 15. — Voyez aussi la défense de Carrier, t. XXXIV de l’Histoire parlementaire, p. 214 et 215.

M. de Barante, cela va sans dire, a été ici d’une discrétion exemplaire. Mais les partis ont beau faire : il ne leur est donné de supprimer l’histoire que pour un temps.

[210] Voyez Extraits de la procédure du Comité révolutionnaire de Nantes, t. XXXV de l’Histoire parlementaire,, p. 155.

[211] Babœuf, La Vie et les Crimes de Carrier, p. 124, dans la Bibliothèque historique de la Révolution, 1049-50-1. (British Museum.)

[212] Voyez l’intéressante notice sur Bachelier, par M. Dugast-Matifeux, p. 118. Fontenay. 1849.

[213] Extraits de la procédure du Comité révolutionnaire de Nantes, t. XXXV de l’Histoire parlementaire, p. 159.

[214] Voyez le procès de Carrier dans l’Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 192 et 193.

[215] Procès de Carrier, t. XXXIV de l’Histoire parlementaire, p. 213.

[216] De tous les membres du Comité révolutionnaire de Nantes, mis en accusation pour les noyades, deux seulement furent condamnés en compagnie de Carrier : Grandmaison et Pinard. Voyez le jugement. Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 217-222.

[217] Voyez Notice sur Bachelier, par M. Dugast-Matifeux. La mémoire de Bachelier y est vengée avec un remarquable mélange de modération et de force des attaques dont la source a été dans le Mémoire où Phélippes Tronjolly, président du Tribunal révolutionnaire de Nantes, dénonça le Comité révolutionnaire.

Phélippes Tronjolly, homme à tendances équivoques, avait été désigné comme traître par les membres du Comité. Son Mémoire fut une vengeance. C’est ce qu'il ne faut pas oublier.

[218] Mémoire de Chaux, dans la Bibliothèque historique de la Révolution, 1049-50-51. (British Museum.)

[219] Court exposé de la conduite d’Yves Proust, par Villenave dans la Bibliothèque historique de la Révolution, 1049-50-51. (British Museum.)

[220] L’arrêté fut pris par Carrier, de concert avec Francastel.

[221] Mémoire de Bachelier, p. 9, Bibliothèque historique de la Révolution, 1049-50-51. (British Museum.)

[222] Mémoire de Bachelier, p. 11.

[223] Mémoire de Bachelier, p. 12.

[224] Mémoire de Bachelier, p. 13.

[225] Mais voilà précisément ce que les écrivains royalistes avaient intérêt à dissimuler et ce qu'ils n'ont pas manqué de faire.

[226] Mémoire de Bachelier, p. 14.

[227] Procès de Carrier, Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 175.

[228] Procès de Carrier, Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 205.

[229] Déposition de Monneron, dans le procès de Carrier. Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 181.

[230] Mémoire de Bachelier, p. 21.

[231] Romme dit dans son Rapport, voyez l’Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 149, qu'une foule de lettres parlent de ce qu’on appelait à Nantes le mariage républicain. Mais il ne dit pas par qui ces lettres étaient écrites, si ces lettres venaient d'une source royaliste, etc., etc. Le fait est que, dans le procès, nous ne les voyons ni reproduites ni appuyées par aucun témoignage.

[232] ... Ergo Anicetus navem posse componi docet cujus pars, ipso in mari per artem soluta, effunderel ignaram... Placuit solertia... Méhée fils donna fort à propos cette épigraphe à un pamphlet qu'il publia sous le titre de Noyades, et signa Félhémesi, anagramme de son nom.

[233] C’est précisément ce que dit, à ce sujet, en retournant la phrase, l’auteur de Saint-Just et la Terreur, t. II, p. 47.

[234] Fragment d’une lettre de Hérault de Séchelles, lue en pleine audience par le président, dans le procès de Carrier, et qui est une des plus curieuses révélations de ce procès. V. l’Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 189.

[235] Les Noyades, par Félhémesi, Bibliothèque historique de la Révolution, 1049-50-51. (British Museum.)

[236] C’est ainsi qu’il expliqua lui-même, dans son procès, le sens qu’il avait prétendu donnera sa lettre : D. Avez-vous eu connaissance des noyades ?R. Pas d’autre que celle des prêtres dont j’ai rendu compte comme d’un événement naturel. V. t. XXXIV de l’Histoire parlementaire, p. 161.

[237] Mémoire de Bachelier, p. 21.

[238] Les Noyades, p. 4, Bibliothèque historique de la Révolution, 1049-50-51. (British Museum.)

[239] Noyades, fusillades, ou Réponse au Rapport de Carrier, par Phélippes dit Tronjolly, p. 11. Bibliothèque historique de la Révolution, 1049-50-51. (British Museum.)

[240] Voyez la Notice sur Bachelier, p. 21.

[241] Déposition de Phélippes dit Tronjolly dans le procès de Carrier, t. XXXIV de l’Histoire parlementaire, p. 174.

[242] Acte d’accusation dressé contre quatorze membres du Comité révolutionnaire de Nantes.

[243] Mémoire de Bachelier, p. 17.

[244] Carrier lui-même, au procès, déclara qu'il l’employait comme espion auprès des Vendéens. Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 163.

[245] Déposition de Vauxjoix, accusateur public de la Commission militaire de Nantes. Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 154.

[246] Mémoire de Bachelier, p. 19.

— Les membres du Comité agirent-ils en connaissance de cause ? Bachelier, p. 20 de son Mémoire, cherche à faire croire que non, mais le contraire résulte de l’aveu formel fait au procès, par Bolognié, un des accusés. Voyez sa déposition, t. XXXV de l’Histoire parlementaire, p. 102.

[247] Dépositions de Goullin et de Grandmaison. Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 161 et 163.

[248] Déposition de Bernard Lacaille, gardien de la maison d’arrêt du Bouffay. Voyez Extraits de la procédure du Comité révolutionnaire de Nantes. Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 152 et 153.

[249] Voyez dans les Extraits de la procédure du Comité révolutionnaire de Nantes la déposition de Tabouret, voilier à Nantes, celle d’Affilé, charpentier marinier et la déclaration de Grandmaison comme quoi il était ivre, Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 161, 163 et 165.

[250] C’est une remarque que Babœuf fait avec raison dans son tableau de la Vie et des Crimes de Carrier. Voyez p. 152.

[251] Procès de Carrier, t. XXXIV de l’Histoire parlementaire, p. 205.

[252] Déposition d’Affilé, Extraits de la procédure du Comité révolutionnaire de Nantes, t. XXXV de l’Histoire parlementaire, p. 164.

[253] M. Michelet. Voyez dans son Histoire de la Révolution, le livre XI, chap. VI, p. 115.

[254] Déposition de Jean Sandroz, chef de division des transports et convois militaires. Carrier voulut nier ; mais O’Sullivan, qui était présent, certifia la vérité des faits articulés par Sandroz. Voyez le t. XXXIV de l’Histoire parlementaire, p. 108, procès de Carrier.

[255] Mémoire de Bachelier, p. 21.

[256] Mémoire de Bachelier, p. 21.

[257] Voyez dans le procès de Carrier, t. XXXIV de l’Histoire parlementaire, p. 210, la déposition de Crosnier, inspecteur des relais militaires à Nantes.

[258] Ceci est avoué par Carrier lui-même. Ibid., p. 105.

[259] Ces deux pièces, que la Convention avait envoyé chercher à Nantes par un courrier extraordinaire, furent produites au procès et Présentées à Carrier, qui reconnut sa signature, et, pour toute excuse, allégua qu’elle lui avait été surprise. Histoire parlementaire, t. XXXI, p. 194.

[260] Voyez Noyades et Fusillades, par Phélippes Tronjolly, p. 22 ; Sa déposition, Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 194 et celle de la femme Laillet, ibid., t. XXXV, p. 160.

Le fait que les dames de la Métayrie étaient cousines germaines de Charette n’est dans aucune des dépositions susmentionnées : c’est une note de M. Michelet qui nous le fournit.

[261] Les Noyades par Félhémesi, p. 6. Bibliothèque historique de la Révolution, 1049-50-51. (British Museum.)

[262] Les Noyades par Félhémesi, p. 6. Bibliothèque historique de la Révolution, 1049-50-51. (British Museum.)

[263] Victor Hugo, les Rayons et les Ombres. — Oceano Nox.

[264] Charles Nodier, Souvenirs de la Révolution, t. I, p. 124.

[265] Voyez le t. XXXVI de l’Histoire parlementaire, p. 415.