HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME NEUVIÈME

LIVRE DIXIÈME

 

CHAPITRE XIV. — L’HÉBERTISME

 

 

Lutte des deux écoles philosophiques du dix-huitième siècle. — Les Encyclopédistes continués par les Girondins ; les Girondins continués et exagérés par les Hébertistes. — Pourquoi Hébert donna son nom à ce parti. — Combien Chaumette différait d’Hébert. — Dévotion de Chaumette à l’athéisme. — Actes qui honorent sa mémoire. — Clootz n’était pas du parti des Hébertistes. — Sa doctrine. — Il était opposé au principe de l’individualisme et panthéiste. — Son grand amour pour la France, considérée comme exerçant les pouvoirs du genre humain. — Clootz n’avait de commun avec les Hébertistes qu’une haine violente contre les prêtres. — Guerre aux églises. — Clootz précipite la crise. — Abdication des fonctions épiscopales par Gobel ; démissions et abjurations de prêtres. — Entrevue de Clootz et de Robespierre. — Inauguration du culte de la Raison par Chaumette. — Mascarades indécentes. — Vues particulières d’Hébert ; il cherche à s’appuyer sur la Terreur ; il fait chasser Thuriot du club des Jacobins. — Chabot compromis dans une affaire de faux ; Bazire victime de l’amitié. — Beau rapport de Robespierre sur la situation des puissances étrangères ; but de ce rapport. — Progrès de l’Hébertisme ; entraînement général ; actes de délire. — Hommes en habits sacerdotaux allant danser au milieu de la Convention. — Courage civil de Robespierre ; il se déclare contre le mouvement hébertiste. — De quelle manière et pourquoi. — Son opinion sur les dogmes métaphysiques à adopter au point de vue social, conforme à celle de Caton combattant César et à celle de Jean-Jacques. — Ce qui le conduisit à dire : L’athéisme est aristocratique. — Pourquoi la Révolution n’alla pas jusqu’au Panthéisme. — Chaumette semble d’abord accepter la lutte. — Les Hébertistes demandent la tête de madame Élisabeth ; Robespierre veut la sauver ; son manque de courage en cette occasion. — Danton à la suite de Robespierre ; il se prononce, comme lui, contre les mascarades antireligieuses et proclame l’existence de l’Etre suprême. — Rétractation de Chaumette. — Rétractation d’Hébert.-Le mouvement hébertiste dans ses rapports avec la faction de l’étranger ; le Comité de salut public s’en inquiète. — Manifeste à l’Europe. — Décret spécial de la Convention en faveur de la liberté des cultes. — Fin du mouvement hébertiste ; victoire de Robespierre. — Elle irrite à jamais contre lui les prêtres. — Comment Robespierre a mérité d’être l’homme de la Révolution le plus calomnié et le plus haï par les ennemis de la Révolution.

 

Au milieu de ces exécutions sanglantes, la Révolution parcourait ses phases inévitables ; sortie des flancs du dix-huitième siècle, elle en traduisait en actes les pensées, et mettait aux prises les deux grandes écoles dont nous avons décrit, dans le premier volume de cet ouvrage, la lutte intellectuelle[1].

On a vu comment le désir de briser la chaîne des croyances traditionnelles et imposées avait conduit les Encyclopédistes à n’admettre d’autre culte que celui de la Raison. Nous les avons montrés se réunissant, les dimanches et les jeudis, autour de la table du baron d’Holbach, pour y fêter, verre en main, leur chère déesse ; et à l’extrême divergence de leurs idées, au perpétuel conflit de leurs paroles, à leurs disputes sur Dieu, sur la morale, sur le libre arbitre, sur l’âme, sur l’origine du monde, sur sa marche, sur son aboutissement, sur toute chose enfin, l’on a pu juger combien la raison, quand chacun la cherche de son côté, est une divinité difficile à reconnaître. De la table du baron d’Holbach, nous les avons suivis à celle du financier-philosophe que Voltaire surnomme en souriant Atticus, et nous avons raconté comment de leurs conversations recueillies avec soin et en quelque sorte tamisées, Helvétius tira ce fameux livre de l’Esprit, qui fait de l’intérêt personnel l’unique mobile de toutes nos actions, rapporte à des mouvements de sensibilité physique toutes nos passions et toutes nos idées, attribue un mérite purement accidentel ou relatif à la vérité, à la vertu, au dévouement, à l’héroïsme, au génie, et installe l’anarchie au sein des sociétés humaines, sous ce nom décevant : souveraineté du moi !

Ceux qui, les premiers, représentèrent cette école philosophique pendant la Révolution, furent les Girondins. Eux morts, le drapeau qu’ils avaient porté fut relevé, mais par quels hommes ! La philosophie de l’individualisme, contenue, chez les Girondins, dans les bornes du bon goût, et associée à beaucoup de grâce, ne se produisit, chez leurs successeurs, que sous les dehors de la grossièreté et de l’emportement. Car, il faut bien le dire : dans la sphère des idées, Hébert ne fut que le continuateur et l’exagérateur de Guadet.

Seulement, la doctrine que Guadet avait professée au point de vue des instincts et des intérêts bourgeois, Hébert essaya de la faire prévaloir au moyen d’une mise en scène ultra-démocratique. Il l’affubla de haillons ; il lui donna à parler le langage des halles ; il parvint à la populariser presque, en la combinant avec un système suivi d’attaques furieuses contre ce que le peuple avait raison de haïr ; et, comme il avait pour organe un journal très-répandu, l’on baptisa de son nom, sans trop regarder ni à ses antécédents ni à son caractère, le parti de ceux qui poussaient, en invoquant la raison, à l’anarchie intellectuelle, et, en invoquant la souveraineté de l’individu, à l’anarchie sociale.

Au mois de novembre 1793, ce parti se trouvait déjà très-fort, représenté qu’il était : dans la presse, par Hébert ; dans les bureaux de la guerre, par Vincent ; au premier rang des députés en mission, par Fouché et Carrier ; à la tête de l’armée révolutionnaire, par Ronsin ; au Comité de salut public, par Collot-d’Herbois ; à la Commune, par Chaumette.

Ranger ce dernier parmi les Hébertistes, le peut-on sans injustice ? Oui, puisque lui-même confondit toujours sa cause avec la leur ; mais ce que la justice demande, c’est qu’on ne passe sous silence aucun des faits qui assignent au procureur général de la Commune une place à part dans l’histoire de son parti.

Fils d’un cordonnier de Nevers, qui lui fit faire quelques études, Chaumette avait commencé par servir en qualité de mousse. Mais il aimait les livres, il aimait les plantes, et, la marine ne tardant pas à le dégoûter, il la quitta pour se livrer à l’étude de la botanique[2]. Il avait vingt-six ans et était clerc-copiste chez un procureur quand la Révolution éclata[3]. Il en embrassa les principes, travailla au journal de Prudhomme, rédigé alors par Loustalot, et déploya un enthousiasme révolutionnaire qui lui gagna la faveur du peuple ; d’autant qu’il avait une figure assez attirante, une voix sonore, un geste aisé, et une facilité d’improvisation qui, sous l’influence du vin d’Aï, pour lequel il ressentait une prédilection particulière[4], toucha quelquefois à l’éloquence. Malheureusement, ses cheveux plats et luisants[5] et l’espèce d’onction qu’il mettait à ses prédications civiques le faisant quelque peu ressembler à un prêtre, ses ennemis répandirent qu’il avait été moine ! Avoir été moine[6] ! L’accusation était grave, en ce temps-là ; si grave, que Chaumette lui-même nous apprend qu’elle faillit un jour lui coûter la vie[7]. Mais il réussit à détromper sur ce point les faubourgs ; et le peuple, en l’élevant à la dignité de procureur général de la Commune, lui fournit les moyens d’étendre son influence. Hébert avait une âme vile et sèche, un esprit calculateur et froid ; pour le peindre, il suffit de rappeler que l’auteur ordurier du Père Duchesne, dès qu’il n’était plus au milieu de ce qu’il appelait ses fourneaux, se piquait de bel esprit et tranchait du petit-maître. Bien différent de son substitut, Chaumette avait un cœur ardent et sincère. Capable d’élans poétiques et sujet à des attendrissements où se mêlait une sorte de mysticisme, on peut dire qu’il fut athée avec l’entraînement d’une nature croyante et la ferveur d’un dévot.

Un rapide énoncé de ses actes le fera mieux connaître.

Il réclama et obtint l’abolition de la peine du fouet, dans les maisons d’éducation[8].

Il poursuivit jusqu’en ses derniers repaires la prostitution, dénoncée par lui comme une peste publique qui n’avait droit qu’à la tolérance des pays soumis à des prêtres non mariés et à des rois[9].

Il prit des mesures d’une sévérité extrême contre les vendeurs de livres impudiques et de gravures corruptrices[10].

Il proposa de substituer à la Morgue un établissement qui sauvât du scandale d’une exposition indécente les victimes du crime ou du sort[11].

Dans un discours à l’adresse de certaines viragos qui avaient couru les halles et voulu forcer les femmes à abandonner pour le bonnet rouge la coiffure modeste de leur sexe, il disait : Eh, depuis quand est-il permis d’abjurer son sexe ? Depuis quand est-il décent de voir des mères abandonner le soin pieux de leur ménage et le berceau de leurs enfants pour courir les places publiques ?Est-ce aux hommes que la nature a confié la garde du foyer ? Nous a-t-elle donné des mamelles pour allaiter nos enfants ?Femmes impudentes, qui voulez devenir hommes, n’êtes-vous pas assez bien partagées ? Votre despotisme est le seul que nos forces ne puissent abattre, parce qu’il est celui de l’amour[12].

Fouché, envoyé en mission à Nevers, y avait pris un arrêté ainsi conçu : Désormais, le lieu destiné à recevoir la cendre des morts sera isolé de toute habitation et planté d’arbres au milieu desquels s’élèvera une statue du Sommeil. On lira sur la porte du champ du repos : La mort est un sommeil éternel[13]. Cet arrêté, communiqué à la Commune, amena Chaumette à expliquer comment il entendait les hommages à rendre à ceux qui ne sont plus. Pourquoi des cyprès ? Pourquoi des cérémonies lugubres ? Je crois, a écrit Montaigne, que ce sont ces mines et appareils effroyables, de quoy nous entournons la mort, qui nous font plus de peur qu’elle : les cris des mères, des femmes et des enfants ; la visitation des personnes estonnées et transies, l’assistance d’un nombre de valets pasles et esplorez ; une chambre sans jour ; des cierges allumez ; nostre chevet assiégé de médecins et de prêcheurs ; tout horreur et effroy autour de nous : nous voylà desia ensepvelis et enterrez. Les enfans ont peur de leurs amis mesmes, quand ils les veoyent masquez : aussi avons-nous. Il fault oster le masque aussi bien des choses que des personnes : osté qu’il sera, nous ne trousverons au-dessouls que cette mesme mort, qu’un valet ou une simple chambrière passèrent dernièrement sans peur[14]. Chaumette, à cet égard, pensait absolument comme Montaigne. La mort, selon lui, était une amie qu’il fallait accueillir en habits de fête et la tête couronnée de fleurs. Il prononça cette parole exaltée, et, sur les lèvres d’un associé d’Hébert, si étrange : Je voudrais pouvoir respirer l’âme de mon père. Il fit décider que les honneurs de la sépulture seraient rendus aux pauvres aussi bien qu’aux riches[15] ; qu’on donnerait aux morts le drapeau tricolore pour linceul, et qu’aux inhumations l’on porterait une espèce de jalon avec ces mots : L’homme juste ne meurt jamais ; il vit dans la mémoire de ses concitoyens[16].

Chaumette allait trop loin peut-être, lorsque, ému des progrès de la disette, il voulait qu’on plantât tous les jardins en pommes de terre ; lorsqu’il demandait la suppression des pâtés, parce que Paris manquait de pain ; lorsque, à la nouvelle que nos soldats marchaient nu-pieds, et dans l’espoir de faire baisser le cuir, il adjurait les bons patriotes de ne plus acheter que des sabots[17]… Mais des exagérations de ce genre sont-elles des crimes ?

Il faut tout dire : ce fut lui qui réclama, au nom des sections, la formation de cette terrible armée révolutionnaire que devait suivre un tribunal ambulant[18] ; et l’on ne saurait oublier que, le 10 octobre, il dressa une liste de suspects qui s’étendait, chose presque incroyable, à ceux qui auraient reçu avec indifférence là Constitution républicaine ; à ceux qui, n’ayant rien fait contre la liberté, n’auraient rien fait pour elle ; à ceux qui ne fréquenteraient pas leurs sections ; aux partisans de Lafayette[19], etc., etc. Mais assez d’autres traits d’un caractère opposé témoignent en faveur de Chaumette, pour qu’il soit permis de n’attribuer ni à un bas calcul de popularité ni à des penchants cruels ces égarements d’un zèle que tant de circonstances concouraient à surexciter. Une lettre de lui au président du Directoire de Paris mérite d’être rapportée :

Affaire pressée.

Il m’a été dénoncé, citoyens administrateurs, un abus contre lequel j’invoque à la fois votre surveillance et votre humanité. Après les exécutions publiques des jugements criminels, le sang des suppliciés demeure sur la place où il a coulé. Des chiens viennent s’en abreuver. Une foule d’hommes repaissent leurs regards de ce spectacle qui porte les âmes à la férocité. Des hommes d’un naturel plus doux, mais dont la vue est faible, se plaignent d’être exposés à marcher sans le vouloir dans le sang humain. Vous sentez combien un pareil abus doit être promptement réprimé. Je m’en repose à cet égard sur votre amour pour l’ordre et les bonnes mœurs.

CHAUMETTE[20].

 

A qui faire croire que l’auteur de cette lettre ait été capable, ainsi que l’en accuse sans preuve un écrivain royaliste[21], de mettre parmi les joujoux qu’il envoyait un jour au fils de Louis XVI... une petite guillotine ? Ce qui est vrai, et ce qui restera à jamais comme une tache sur la mémoire de Chaumette, c’est sa participation à l’interrogatoire odieux qu’on fit subir à la fille de Marie-Antoinette, quelques jours avant le jugement de sa mère[22]. Encore est-il juste de se reporter à cette époque. Il y a de Chaumette un mot touchant et profond : Ma justification et ma condamnation sont dans le temps ![23] dit-il au tribunal révolutionnaire, quand, plus tard, il y fut traîné à son tour. Et, du reste, son attitude calme et fière devant ses juges, la dignité sans emphase de son langage, le refus dédaigneux qu’il fit de défendre sa vie, ne s’inquiétant que de son honneur[24], furent d’un homme qui n’attend que de sa conscience l’absolution de ses fautes.

Pas d’historien de la Révolution qui, en parlant des Hébertistes, n’ait nommé Clootz ; pas d’historien de la Révolution qui, à cet égard, ne se soit trompé. Laissons Clootz se définir lui-même :

Un jour que, dans une conférence secrète entre quelques membres de la Convention, les calomniateurs et les calomniés faisaient l’énumération des chefs de parti, Camille Desmoulins me dit : Toi qui fais secte, ils ne te nomment pas. C’est que ma secte n’est autre chose que le genre humain[25]. — J’ai le malheur de n’être pas de mon siècle ; je suis un fou à côté de nos prétendus sages. Mais il ne faut que douze apôtres pour aller fort loin dans ce monde[26]. — Tout ce que la nature renferme est éternel, impérissable comme elle. Le grand tout est parfait, malgré les défauts apparents ou relatifs de ses modifications. Nous ne mourrons jamais, nous transmigrerons éternellement dans la reproduction infinie des êtres que la nature réchauffe en son sein et nourrit du lait de ses innombrables mamelles. Cette doctrine est un peu plus gaie que celle du père de Satan, et les dames s’en accommoderont comme nous. Il ne nous faut que ce mot, cosmos (univers), pour pulvériser l’aristocratie, et le moindre villageois réfutera cent volumes aristocratiques, avec une salière sur sa table et une tabatière dans sa poche[27]. — Il n’y a pas d’autre Éternel que le monde. En ajoutant un incompréhensible Théos (Dieu) à un incompréhensible cosmos (monde), vous doublez la difficulté sans la résoudre. Ils disent : Tout ouvrage annonce un ouvrier. Oui, mais je nie que l’univers soit un ouvrage, et je prétends que c’est un être éternel. Mais l’univers est si merveilleux ! Eh, votre Créateur l’est bien davantage ! On n’explique pas une moindre merveille par une plus grande[28]… — Le peuple est le souverain du monde, il est Dieu, et la France est le point de ralliement du Peuple-Dieu. — Un corps ne se fait pas la guerre à lui-même ; le genre humain vivra en paix, lorsqu’il ne formera plus QU’UNE NATION. Les hommes isolés sont tout simplement des animaux. Je vois, disait Voltaire, qu’on a très-bien fait de supposer que la Trinité se composé d’un seul Dieu ; s’ils avaient été trois, ils se seraient coupé la gorge[29]. — On assure que je suis un Allemand, un ci-devant noble : je ne m’en souvenais plus. J’étais noble, comme on est prêtre quand on ne dit pas la messe, et catholique quand on refuse de faire sa première communion. Au reste, Lepeletier fut marquis, Ankastroëm fut comte, et, qui pis est, étranger, comme Brutus. Sa Majesté le genre humain, dont le peuple français exerce les pouvoirs, est ma première pratique. J’ai placé en France ce que je possedais ailleurs, et mes biens et ma personne. Je partage avec tous les patriotes belges, bataves, liégeois et clévois, la fureur civique de chasser les Allemands au delà du grand fleuve[30]. — La langue française doit être la langue universelle. Pour moi, je me flatte de n’avoir jamais bien su ma langue natale, et je me souviens que Frédéric le Grand nous mettait en pénitence, à l’École militaire de Berlin, lorsque nous parlions l’idiome du pays[31]. — Le point d’appui qu’Archimède chercha vainement pour enlever la terre, et que le clergé, selon Hume, trouva dans le ciel, vous, mes frères, vous le trouverez en France pour renverser les trônes. Que n’ai-je les cent mille voix de la renommée pour faire entendre à toute la terre l’éloge du nom français[32] ? — Paris est une assemblée nationale, par la force même des choses. C’est le Vatican de la raison[33]. — Lisez ce que disait Sterne du physique et du moral des Parisiens, et voyez la génération actuelle ! Jamais Paris n’a été peuplé d’autant de beaux hommes et de belles femmes. Il semble vraiment que la philosophie embellit[34].

 

Voilà Clootz tout entier. Mercier raconte qu’à propos de la République universelle de Clootz un plaisant disait : Le mont Athos, en ce cas, servira de tribune, et les représentants de l’univers seront assis sur les Cordillères[35]. Le fait est que ses doctrines firent sourire dans un temps où l’on était fort peu disposé à rire[36]. Il le savait, et répondait aux faiseurs d’épigrammes : Je me moque des moqueurs[37]. Esprit enthousiaste et subtil, naïf et pénétrant, moitié Allemand et moitié Gaulois, il n’adorait Dieu que dans l’universalité des êtres, croyait à la solidarité des peuples jusqu’à les vouloir confondus en un seul, aimait passionnément la France comme le nécessaire instrument de l’unité du genre humain, aimait passionnément Paris comme l’âme de la France et la capitale prédestinée du monde.

Clootz ne saurait donc être rangé parmi les Hébertistes. Aussi résolument qu’eux, il repoussait l’idée d’un Dieu personnel. Mais ils étaient athées ; lui, était panthéiste. Ils procédaient par négation ; lui, affirmait. Ils étaient incrédules ; lui, avait une foi. Politiquement, ils réduisaient tout à la souveraineté isolée de l’individu, au risque de faire tomber la société en poussière, lui, au contraire, absorbant l’individu dans la masse, combattait jusqu’à l’existence de ces grandes individualités qu’on appelle nations, et n’admettait d’autre société véritable que celle qui aurait Paris pour capitale, et pour territoire le globe[38].

Quant à l’intimité de ses relations avec le parti dont la ruine entraîna la sienne, on en peut juger par ce fait qu’il n’était point personnellement connu de Chaumette[39]. Au fond, l’unique lien entre Clootz et les Hébertistes était la haine qui les animait contre les prêtres. Elle était si violente chez l’orateur du genre humain, que, lorsqu’il parlait d’un prêtre, il entrait aussitôt en fureur. Quelles paroles que celles-ci, et quel étonnement elles inspirent, venant d’un homme si plein de bienveillance et de douceur : Plût à Dieu que la journée du 2 septembre se fût étendue sur tous les chefs-lieux de la France ! nous ne verrions pas aujourd’hui les Anglais appelés en Bretagne par des prêtres, qu’il fallait, non déporter, mais septembriser. On va chercher niaisement un comité d’insurrection : il existe dans le cœur de tous les amis de l’humanité. Je suis, moi, du comité d indignation[40]. Il poursuivait le fanatisme avec fanatisme ! Inutile, après cela, d’ajouter que le mouvement contre le culte catholique n’eut pas de plus ardent promoteur que lui.

Ce mouvement prit naissance dans les premiers jours du mois d’octobre. Le peuple y avait été depuis longtemps préparé par le libertinage de certains prêtres, les apostasies cyniques de certains autres, et l’intolérance factieuse de la plupart[41]. Le refus du serment civique était une vraie déclaration .de guerre à la Révolution, et le peuple ne pouvait s’y tromper. Madame ***, ayant fait publier que chaque jour il y aurait chez elle, à son dîner, deux couverts pour deux prêtres qui n’auraient pas prêté le serment civique, son cuisinier dit : Les mauvais prêtres n’ont qu’à venir. J’écrirai le serment civique dans de petits billets, qui seront enfermés dans des pâlés. S’ils ne veulent pas prononcer le serment, ils l’avaleront, du moins[42]. Il ne fut pas difficile de persuader au peuple, ainsi disposé, qu’il serait utile de transformer les temples en magasins, les calices et les croix de vermeil en monnaie, les grilles en boulets, les chérubins de cuivre en canons[43]. Contre les puissances fondées sur le prestige, il n’est pas de médiocre rébellion. Malheur à elles, quand elles tombent ! C’est en les foulant aux pieds que le peuple se venge de les avoir trop adorées. La Révolution, — et ici c’était la patrie vivante, — une fois amenée à envahir l’Église un marteau à la main, l’élan devint irrésistible. On suspendit de périlleux échafauds, pour aller gratter sur des voûtes à perte de vue des figures de pape que cachaient, depuis cent ans, des toiles d’araignées[44]. Les saints furent descendus de leurs niches, les vierges délogées, les balustrades jetées bas, au milieu de rires bruyants. La lampe du commissaire se promena irrespectueusement au fond des caveaux, sur le visage pâle des morts, et les débris des autels allèrent s’amonceler dans un dépôt comme des moellons informes dans une carrière[45]. Les armoires des sacristies ayant été vidées et ce qu’elles contenaient vendu à l’enchère, on vit des revendeuses à la toilette trafiquer des ornements sacerdotaux, on vit des chasubles pendre à côté de pantalons dans les boutiques de fripiers ; et tandis que des prêtres en habit séculier célébraient la messe avec des coquetiers d’étain, des présidents de comités révolutionnaires purent se faire tailler des culottes de velours à pleines chapes, ou porter des chemises faites avec des aubes d’enfants de chœur[46].

Plus d’une fois, dans le courant du mois d’octobre, des pétitionnaires s’étaient présentés à la barre de la Convention, vêtus de chasubles. Le 1er novembre, une députation parut, apportant des croix d’or, des crosses, des mitres, dix-sept malles remplies de vaisselle, une cuvette pleine de doubles louis. Il y avait parmi ces dépouilles une couronne ducale : un huissier la prit et la brisa[47]. La députation venait de Nevers, où Fouché, pour mieux détruire le pouvoir des prêtres, avait imaginé de se substituer à eux dans la célébration des mariages[48].

Ces circonstances semblèrent favorables à Clootz, et il résolut de précipiter la crise. Il va trouver Gobel, évêque constitutionnel de Paris, le presse, dans un entretien nocturne, de renoncer à ses fonctions de ministre du culte, Je décide. Puis, ils se rendent à l’hôtel de ville et demandent à entretenir secrètement Chaumette. J’avais, raconte ce dernier[49], beaucoup entendu parler de Clootz, sans jamais avoir eu rien de commun avec lui. Je n’étais pas fâché de connaître ses principes révolutionnaires, et mon intérêt pour lui augmenta lorsqu’il m’apprit qu’il avait décidé l’évêque Gobel à abdiquer ses fonctions épiscopales et à ne reconnaître d’autre culte que celui de la Raison. Une démarche publique fut convenue ; Pache consentit à l’appuyer en sa qualité de maire, et Lhuillier en sa qualité de procureur général du département de Paris[50].

Le 7 novembre, la Convention venait d’ouvrir sa séance, lorsqu’une lettre est remise au président. Il l’ouvre et lit : Citoyens représentants, je suis prêtre, je suis curé, c’est-à-dire charlatan. Jusqu’ici charlatan de bonne foi, je n’ai trompé que parce que j’ai été trompé. Le signataire se disait incapable de gagner sa vie, ne sachant que ce qu’on lui avait enseigné : des oremus ; il désirait qu’on l’affranchît de la nécessité de débiter des contes de Barbe Bleue, en lui accordant une pension[51]. Sergent, indigné, s’écria : Un prêtre qui dit qu’il était la veille un charlatan et qu’il ne l’est plus le lendemain, l’est encore[52].

Gobel et ses vicaires, Pache, Chaumette, Lhuillier, parurent à la barre. Momoro présidait la députation ; il annonce en peu de mots l’objet de la démarche. Alors, d’un air solennel, mais d’un style décent et grave qui contrastait avec l’impudence de la lettre lue précédemment, Gobel déclare abdiquer ses fonctions de ministre du culte. Il remet ensuite sa croix et son anneau. Ses vicaires l’imitent. Le curé de Vaugirard va jusqu’à déposer ses lettres de prêtrise. Profitant de l’impulsion donnée, Chaumette demande que dans le calendrier républicain une place soit assignée au jour de la Raison. Le président de la Convention, à cette époque, était Laloy. Sa réponse aux pétitionnaires eut cela de remarquable qu’elle associait le culte de la Raison à la reconnaissance formelle de l’Être suprême. Il embrassa Gobel, ainsi que plusieurs membres de l’Assemblée en avaient exprimé le désir ; et les prêtres démissionnaires traversèrent la salle, au bruit des applaudissements, le bonnet rouge sur la tête. Coupé, curé de Sermaires ; Thomas Lindet, évêque d’Évreux ; Julien (de Toulouse), ministre protestant, vinrent tour à tour abdiquer leurs fonctions ; le second, en invitant l’Assemblée à se préoccuper du vide immense qu’allait occasionner l’abolition des solennités religieuses ; le dernier, en promettant de déposer ses titres, pour que la Convention en fît un auto-dafé[53].

Parmi les prêtres républicains, il y en avait un qui n’avait jamais fléchi en rien. Rude janséniste, cœur indomptable, il avait présidé la Convention en habits violets, et, au camp de Brau, parcouru en soutane les rangs de l’armée[54]. C’était l’évêque de Blois, l’abbé Grégoire. Il n’assistait pas au commencement de la séance ; il entre, et, invité à imiter l’exemple de Gobel, il dit : Je n’ai que des notions très-vagues sur ce qui s’est passé ici avant mon arrivée. On me parle de sacrifices. J’y suis habitué. S’agit-t-il d’attachement à la cause de la liberté ? Mes preuves sont faites. S’agit-il du revenu attaché aux fonctions d’évêque ? Je l’abandonne sans regret. S’agit-il de religion ? Cet article n’est point de votre domaine. J’ai tâché de faire du bien dans mon diocèse ; je reste évêque pour en faire encore. J’invoque la liberté des cultes. Plusieurs voix crièrent : On ne veut forcer personne[55].

Clootz triomphait. Dans l’honnête naïveté de sa joie, il alla se vanter de son initiative au Comité de salut public. Mais Robespierre, d’un ton sévère : Vous nous avez dit dernièrement qu’il fallait entrer dans les Pays-Bas, leur rendre l’indépendance, et traiter les habitants comme des frères. Pourquoi donc cherchez-vous à nous aliéner les Belges, en heurtant des préjugés auxquels vous les savez attachés ?Oh ! oh ! répondit Clootz, le mal était accompli déjà ; on nous a mille fois traités d’impies. — Oui, mais il n’y avait pas de faits. Clootz pâlit et se retira en silence[56].

Ainsi c’était au point de vue politique seulement que Robespierre désapprouvait l’éclat donné aux démissions et aux abjurations de tant de prêtres. En réalité, nul n’était plus ennemi que lui de tout ce qui était superstition populaire ou jonglerie sacerdotale. Selon ses propres expressions, un mouvement contre le culte pouvait devenir excellent, pourvu qu’il fût mûri par le temps et la raison[57]. Mais que l’on compromît ce mouvement même, en le faisant dégénérer en une longue série de scandales ; que l’on remplaçât le fanatisme ancien par un fanatisme d’un nouveau genre ; qu’on fit revivre des cérémonies païennes pour les substituer à celles du mystique moyen âge, et qu’à la faveur de saturnales où la folie représenterait la raison, l’intolérance gardât, sous le nom d’athéisme, son trône usurpé : voilà ce que Robespierre condamnait comme homme d’Etat, comme révolutionnaire et comme libre penseur. Or ce fut justement dans ces voies dangereuses que les Hébertistes s’élancèrent.

Dès le lendemain de la démission de Gobel, Hébert courut dénoncer aux Jacobins Laveaux, rédacteur du Journal de la Montagne, qu’il accusa d’avoir écrit contre la Suisse, ce qui était faux ; le vrai crime de Laveaux, aux yeux d’Hébert, c’était d’avoir essayé une réfutation de l’athéisme[58].

De son côté, Chaumette poussait au mouvement de toutes ses forces. Il fit décréter par la Commune que, le 10 novembre, l’inauguration du culte de la Raison, aurait lieu dans l’église métropolitaine. On y éleva un temple, sur la façade duquel on lisait ces mots : A la philosophie, et dont des bustes de philosophes ornaient l’entrée. Le temple de la Raison s’élevait sur la cime d’une montagne qu’éclairait le flambeau de la Vérité. Là se rendirent processionnellement les autorités constituées. A leur arrivée, la Liberté, sous les traits d’une belle femme, sortit du temple de la Philosophie, pour recevoir, assise sur un siège de verdure, les hommages des assistants, qui, les bras tendus vers elle, se mirent à chanter en son honneur un hymne que Marie-Joseph Chénier avait composé et Gossec mis en musique. Et, pendant ce temps, deux rangées de jeunes filles, vêtues de blanc, couronnées de chêne, traversaient la Montagne, un flambeau à la main[59].

La cérémonie terminée, on prend le chemin de la Convention. Un groupe de jeunes musiciens ouvrait la marche, puis venaient des enfants orphelins, puis des clubistes en bonnets rouges, criant : Vive la République ! S’avançait ensuite, portée dans un palanquin orné de guirlandes de chêne, une actrice de l’Opéra, mademoiselle Maillard. C’était la déesse de la Raison. Ses beaux cheveux s’échappaient de dessous un bonnet rouge ; un manteau bleu céleste flottait sur ses épaules, et elle s’appuyait sur une pique[60]. Le cortège arrive à l’Assemblée, et Chaumette, se présentant à la barre : Législateurs, dit-il, le fanatisme a lâché prise. Ses yeux louches n’ont pu soutenir l’éclat de la lumière... Aujourd’hui, un peuple immense s’est porté sous les voûtes gothiques qui, pour la première fois, ont servi d’écho à la vérité... Là, nous avons abandonné des idoles inanimées, pour la Raison, pour cette image animée, chef-d’œuvre de la nature. En disant ces mots, Chaumette avait les yeux fixés sur la déesse et invitait l’Assemblée à la contempler[61]. Après quelques instants de silence, la charmante actrice descend de son trône et va prendre place auprès du président, qui l’embrasse. Chaumette demande que l’église de Notre-Dame soit désormais consacrée au culte de la Raison. Ce vœu, Chabot le convertit en motion, la Convention en décret. Des bravos répétés retentissent. Le temps était magnifique. On venait de recevoir la nouvelle d’une défaite de Charette à Noirmoutiers, et les cœurs étaient à la joie. Le cortège retournant au temple de la Raison, l’Assemblée l’y suivit[62]. Une fête allégorique de cette espèce avait l’inconvénient d’être très-froide, de parler à l’esprit beaucoup moins qu’aux yeux, et de ne rien dire à l’âme. Encore si tout s’était borné là ! Mais les promoteurs se trouvaient avoir ouvert aux natures grossières un champ dont eux-mêmes n’avaient pas mesuré l’étendue. Créer un culte en haine des cultes ne pouvait être une inconséquence sans portée ; et, lorsque dans une société remuée de fond en comble on appelait imprudemment toutes les passions antireligieuses à venir bouillonner à la surface, que ne devait-on pas craindre ?

Le mouvement dégénéra donc en une véritable orgie. La Raison, représentée d’abord par une artiste aimée du public, chercha bientôt ses personnifications dans d’impures courtisanes. Elle trôna sur les tabernacles, entourée de canonniers qui, la pipe à la bouche, lui servaient de grands prêtres. Elle eut des cortèges de bacchantes qui suivaient d’un pas aviné, à travers les rues, son char, rempli de musiciens aveugles, et, roulant à côté, un autre char où figurait, au sommet d’un rocher tremblant, un Hercule d’opéra armé d’une massue de carton. Il y eut un moment où Paris devint la ville aux mascarades, et cela tout en criant : A bas les momeries ! Des représentants du peuple ne rougirent pas de quitter leurs chaises curules pour danser la carmagnole avec des filles revêtues d’habits sacerdotaux. Les reliques de sainte Geneviève furent brûlées en place de Grève, parce qu’elles avaient contribué à faire bouillir la marmite des rois fainéants ; et l’on dressa, au milieu des éclats de rire, un procès-verbal que Je député Fayau fit envoyer au pape. On jetait saints de bois, missels, bréviaires, heures de sainte Brigitte, Ancien et Nouveau Testament, dans des bûchers dont la flamme montait jusqu’au deuxième étage des maisons. La proscription du catholicisme s’étendant à l’art catholique, un arrêté ordonna la démolition des sculptures de Notre-Dame. Mercier assure que le tableau de la Cène forma longtemps l’auvent de la boutique d’un savetier. On doute presque, ajoute-t-il, de ce qu’on a vu et entendu. Ici, des mulets chargés de croix, de chandeliers, de bénitiers, d’encensoirs, de goupillons, et rappelant les montures des prêtres de Cybèle ; là, les sectateurs du nouveau culte assis à califourchon sur des ânes en chasubles, les guidant avec des étoles, et s’arrêtant à la porte des cabaretiers, qui leur versaient à boire dans les vases enlevés à l’autel. Les églises fournirent un théâtre à des spectacles dont le scandale ne fut même pas épargné à la pudeur de l’enfance. On s’y enivra, on y fit l’amour ; les harengères y vinrent vendre leur poisson ; les marchands de tisane y apportèrent le tintement de leurs gobelets ; souvent, des hommes à la poitrine nue et aux manches retroussées coururent s’y livrer à des danses tourbillonnantes qu’animaient jusqu’à la fureur une tempête de clameurs confuses, le son des trompettes, le bruit du tambour et le tonnerre de l’orgue.

L’église de Saint-Eustache fut transformée en un grand cabaret. L’intérieur du chœur représentait un paysage décoré de chaumières et de bouquets d’arbres. Le long de petits sentiers pratiqués à travers des escarpements de sapin et des masses de rochers fictifs, des bandes de jeunes filles couraient effrontément après les hommes, faisant craquer les planches sous leurs pas précipités. Autour du chœur, des tables chargées de bouteilles, de saucissons, de pâtés. Les convives affluaient par toutes les portes ; et l’on vit des enfants de sept à huit ans mettre la main au plat en signe d’égalité, saisir les bouteilles, boire à même, et aller tomber ivres sur les marches des chapelles latérales[63].

De leur côté, beaucoup de prêtres, même parmi ceux qui, quoique réfractaires, étaient parvenus à demeurer en France, ne rougissaient, pas de paraître s’associer à ces saturnales. Disant la messe dans les caves pendant la nuit, et, pendant le jour, fréquentant les clubs ou portant l’habit militaire, ils encourageaient aux excès sous toutes sortes de déguisements. Nous pouvons citer, écrit l’abbé de Montgaillard[64], plusieurs ecclésiastiques — et dans ce nombre il en est qui ont occupé depuis des sièges épiscopaux et ont été élevés au cardinalat — qui poussaient le civisme jusqu’à se servir des vases sacrés pour satisfaire des besoins profanes. Quant aux prêtres assermentés, ils affectaient d’aller administrer les sacrements aux morts en uniforme de gardes nationaux, et se vantaient d’avoir Dieu dans leurs gibernes[65].

La contagion gagnant les provinces, on écrivit de Lyon, où Collot-d’Herbois, Fouché et Ronsin représentaient alors l’Hébertisme, que le fanatisme venait d’y être écrasé dans une fête dont le héros était un âne portant la mitre sur la tête[66].

Clootz éprouvait de ce dévergondage une satisfaction parfaitement désintéressée et candide. Chaumette se consolait des excès commis par l’idée qu’ils scellaient la ruine des prêtres. Mais Hébert avait d’autres vues, et songeait à faire tourner au profit de son ambition un mouvement qui ne pouvait servir, ni le Comité de salut public, puisqu’il ne s’y était point associé, ni la Convention, puisqu’elle l’avait subi. Abattre une à une les influences reconnues, anéantir les noms populaires, ne laisser de pouvoir qu’à la Commune, et régner par elle : tel fut le plan d’Hébert. Malheureusement, l’entreprise avait ses périls, et il le sentait bien. Qu’adviendrait-il en effet, si l’on s’avisait de trouver contre-révolutionnaire un système d’anarchie dont les résultats ne tendaient que trop à désarmer la Révolution française et à l’avilir ? Il fallait donc parer à cet inconvénient, en essayant d’attirer à soi toutes les passions extrêmes, et en exagérant l’ardeur du patriotisme comme on exagérait le zèle philosophique. Partant de là, et prenant pour point d’appui la guillotine, Hébert n’eut plus qu’un but : accaparer les sanglants bénéfices de la Terreur. Il mit une obstination froidement barbare à vouer au bourreau une pauvre et douce créature, madame Elisabeth, dont tout le crime était d’avoir aimé son frère et sa belle-sœur ; il insista pour qu’on fit couler sur l’échafaud le reste impur du sang des rois ; et, le 13 novembre, il arracha aux Jacobins, que lui livrait l’absence momentanée de Robespierre, la résolution de n’admettre aucun récipiendaire jusqu’à ce qu’on en eût fini avec les complices de Brissot[67]. S’attaquer à Robespierre, il ne l’osait pas encore, et même il enveloppa de basses flatteries la haine qu’il lui portait ; mais il essaya dès lors sur Lacroix la force des coups qu’il réservait à Danton, et fit chasser du club un autre ami de Danton, Thuriot[68]. Or, quel forfait valait à Thuriot un outrage qui touchait à un arrêt de mort ? Indigné de ce que, le 9 novembre, le conventionnel Osselin avait été décrété d’accusation pour avoir caché une émigrée, sans qu’on lui eût permis de se défendre, Thuriot s’était empressé, le lendemain, d’appuyer une proposition de Chabot portant que désormais on n’arrêterait pas les représentants du peuple avant de les avoir entendus. Voilà ce qu’Hébert jugeait impardonnable. Vainement Thuriot s’abaissa-t-il auprès de lui à une démarche humiliante[69] ; vainement essaya-t-il de le fléchir en se parant des couleurs de l’athéisme. Thuriot, dit sèchement l’auteur du Père Duchesne, a prêché dans sa section le culte éternel de la nature, mais dans la Convention nationale il n’a pas prêché celui de la Révolution[70].

Les projets d’Hébert se révèlent ici d’une façon assez claire. Mercier, qui se trouva dans les prisons de la Force avec Gusman, a écrit : Le but des chefs de la Commune était d’anéantir la totalité de la Convention, pour usurper tous les pouvoirs ; j’en ai tiré l’aveu de l’Espagnol Gusman, que nous appelions Tocsinos, par allusion au tocsin du 31 mai, qu’il avait fait sonner[71]. On conçoit, d’après cela, combien il importait à Hébert et à ses complices que les membres de la Convention pussent être décrétés d’accusation avant d’avoir été entendus. C’était installer la Terreur au sein de l’Assemblée et lui faciliter son suicide. Donc, pas de pitié pour ceux qui avaient tenté de soustraire l’Assemblée à l’asservissement de la peur, Thuriot avait été frappé le 15 novembre, aux Jacobins : le 16, ce fut le tour de Chabot.

Mais, celle fois, Hébert avait abandonné à un de ses lieutenants le soin de la dénonciation. Dufourny exposa que Chabot avait contracté un mariage intéressé avec la sœur des deux Autrichiens Emmanuel et Junius Frey ; que cette union, à laquelle l’ex-capucin gagnait une dot de deux cent mille francs, avait eu lieu au moment où Marie-Antoinette comparaissait devant le tribunal révolutionnaire, c’est-à-dire au moment où, à l’égard des étrangers, le peuple était à son maximum d’exécration ; que la femme était un vêtement, et que, si ce vêtement était nécessaire à Chabot, il devait se rappeler que la Nation avait proscrit les étoffes étrangères[72]. A ces étranges et absurdes reproches, Dufourny eh ajoutait un plus sérieux. Avant ton mariage, s’écria-t-il en interpellant le moine défroqué, tu avais une compagne, et elle était devenue mère... Qu’as-tu fait pour elle ? Pourquoi l’as-tu abandonnée ?... Puis, il aborda le vrai délit de Chabot, aux yeux des Hébertistes : sa dernière motion dans l’Assemblée ; et il regagna sa place, au milieu d’un conflit tumultueux d’applaudissements et de dénégations. Chabot tremblait de tous ses membres ; il avait la figure pâle et consternée d’un criminel dont l’arrêt a été déjà porté. Il nia, parla de se constituer prisonnier du club, cria au secours. Il était si troublé, qu’il se rappela lui-même à l’ordre[73].

Il faut dire, pour expliquer cette lamentable attitude, que la motion reprochée à Chabot avait été, de sa part, beaucoup moins un acte de modération politique qu’un acte de sauvegarde personnelle. La vérité est qu’il se sentait un poids énorme sur la conscience, ayant falsifié, de concert avec Delaunay (d’Angers) et Julien (de Toulouse), un décret rendu contre la Compagnie des Indes, faux dont cent mille francs furent le prix. Que la prévarication vînt à se découvrir, c’en était fait de lui ; et son âme était loin d’avoir l’audace du crime. D’ailleurs, Bazire, qu’il avait inutilement tenté de corrompre et que tourmentait la possession d’un aussi terrible secret, Bazire ne s’abstenait de tout révéler que par un sentiment de compassion généreuse qu’exaltait la crainte de trahir, même envers un indigne ami, la confiance de l’amitié[74]. En de telles circonstances, le réquisitoire de Dufourny fut, pour Chabot, comme l’éclair qui annonce la foudre ; et, le club ayant chargé une commission d’examiner sa conduite, il se crut un homme mort. Une ressource lui restait, si l’on peut appeler ressource une lâcheté et un mensonge : c’était d’aller révéler le faux au Comité de sûreté générale, en déclarant n’y avoir concouru que dans l’intention de le dévoiler et d’en mieux connaître les auteurs. C’est ce qu’il fit le 17 novembre[75], en compagnie du malheureux Bazire, qui, victime d’une inconcevable fatalité, courait par là au-devant du bourreau !

Cependant Robespierre suivait de l’œil les progrès de la faction d’Hébert, bien résolu à opposer une digue à ce torrent fangeux, dût-il périr submergé. Mais, avant de risquer sa popularité et de jouer sa tête dans les hasards d’une lutte où il était menacé d’avoir contre lui la coalition de tous les genres d’excès, il voulut détruire aux yeux du monde l’effet des parades hébertistes, par un rapport de nature à faire ressortir le grand caractère de la Révolution française.

Ce rapport, qui fut présenté à la Convention le 17 novembre, était fortement pensé, d’une éloquence grave et fière, et il annonçait une connaissance approfondie de la situation, de la politique particulière, des mobiles et des desseins secrets de chaque Cabinet européen.

Après y avoir développé le système de la Cour de Londres, système égoïste qui, sous prétexte de combattre des principes désorganisateurs, n’avait en vue que la conquête de Dunkerque, de Toulon et de nos colonies, Robespierre appelait Pitt au tribunal des vrais hommes d’État, et il le jugeait avec le dédain d’un esprit supérieur. Il lui reprochait de s’être trompé grossièrement, et sur le génie de la Révolution française, et sur les causes de sa puissance ; de n’avoir été ni assez moral pour croire à l’énergie des vertus républicaines, ni assez philosophe pour comprendre son siècle ; il lui reprochait de s’être imaginé, dans l’excès d’un orgueil puéril, que la petite science qui consiste à guider un parlement ou à le corrompre suffit quand il s’agit d’apprécier la portée de l’enthousiasme chez un peuple libre ; il comparait enfin le fils de Chatham à un enfant qui joue avec une arme à feu.

Arrivant au phénomène politique d’une alliance entre le roi de Prusse et le chef de la maison d’Autriche, Robespierre indiquait d’une manière très-précise ce qu’une pareille alliance avait de factice et de mensonger. Que pouvait gagner l’Autriche à abandonner la politique de Charles-Quint, de Philippe II et des vieux ministres de Marie-Thérèse ? Tandis qu’elle s’épuisait d’hommes et d’argent, sans autre motif que l’espoir chimérique de posséder l’Alsace ou la Lorraine, dont des fleuves de sang la séparaient, la Prusse, elle, n’attendait pas ; elle profitait de l’embrasement du monde pour prendre sa part de la Pologne, et se gardait bien d’appeler au partage des dépouilles ses fidèles alliés de Vienne ! Il est vrai que la Prusse avait à payer cher ses frauduleux succès, obligée qu’elle était d’envoyer ses armées à la boucherie et de vider son trésor.

En réalité, une seule puissance, selon Robespierre, tirait parti de la Coalition : c’était la Russie, parce qu’elle augmentait ses moyens et ménageait ses forces, laissant des nations qu’elle nommait ses alliées, mais qu’au fond elle considérait comme ses rivales, se briser sans elle contre le rocher de la République.

Ainsi Robespierre ne se bornait pas à dévoiler tout ce que la Coalition, sous d’hypocrites dehors, cachait d’intérêts opposés, de sourdes jalousies et de pièges mutuels ; par la manière même dont il dénonçait ces discordes intestines, il en attisait la flamme.

Et, avec une habileté non moins remarquable, il montrait la France représentant, dans ce prodigieux conflit, une cause qui, étant celle d’idées applicables à tous les peuples, intéressait la terre entière. Car, enfin, était-ce pour la déclaration des droits du peuple français que la France s’ouvrait les veines ? Non, c’était pour la déclaration des droits de l’HOMME. On avait vu des marins anglais, à la faveur d’un odieux stratagème et en violation des règles les plus sacrées du droit des gens, se glisser dans le port neutre de Gênes, y surprendre l’équipage d’une frégate française, au moment du repas, égorger les convives, et pousser la barbarie jusqu’à fusiller quelques malheureux mousses qui se sauvaient à la nage[76] ; on avait vu la Russie et la Prusse jouer à l’égard de la Pologne le rôle de deux brigands qui se partagent les dépouilles d’un voyageur assassiné... Mais la France révolutionnaire, de quelle nation neutre avait elle ensanglanté le territoire ? A quelle nation, incapable de se défendre, avait-elle mis le poignard sur la gorge ? La France ! s’écriait Robespierre, l’univers est intéressé à sa conservation. Supposons la France anéantie ou démembrée, le monde politique s’écroule. Otez à l’indépendance des médiocres. États cet allié puissant et nécessaire, l’Europe entière est asservie ; les petits princes germaniques et les villes réputées libres de l’Allemagne sont engloutis par les maisons ambitieuses d’Autriche et de Brandebourg ; la Suède et le Danemark deviennent tôt ou tard la proie de la Russie ; le Turc est repoussé au delà du Bosphore ; Venise perd son commerce et sa considération, la Toscane son existence ; Gênes est effacée ; l’Italie n’est plus que le jouet des despotes qui l’entourent ; la Suisse est perdue. Et vous, braves Américains, dont la liberté, cimentée par notre sang, fut encore garantie par notre alliance, quelle serait votre destinée si nous n’existions plus ?... Que dis-je ? L’Angleterre elle-même, que deviendrait-elle ? Conserverait-elle longtemps sa liberté quand la France pleurerait la sienne ?... Que la liberté périsse en France, la nature se couvre d’un voile funèbre, et la raison humaine recule jusqu’aux abîmes de l’ignorance et de la barbarie. Le despotisme, comme une mer sans rivages, se déborderait sur le globe... Oh ! qui de nous ne sent pas agrandir ses facultés, en songeant que ce n’est pas pour un peuple que nous combattons, mais pour l’univers ! pour les hommes qui vivent aujourd’hui, et pour tous ceux qui existeront !

L’objet primitif et spécial du magnifique rapport qui vient d’être analysé[77] était de parer à certaines manœuvres perfides des Puissances, tendant à fortifier la ligue des rois par l’accession des cantons suisses et des États-Unis d’Amérique. Aussi la conclusion fut-elle que le Comité de salut public devait être chargé de resserrer les liens d’amitié qui unissaient la France à la patrie de Guillaume Tell et à celle de Washington. Mais, en traitant la question étrangère, Robespierre n’avait pas oublié la question intérieure : il trouva occasion de flétrir ceux dont les fureurs anarchiques étaient si propres à déconsidérer, au dehors, la Révolution française ; ceux qui, la poussant d’une main violente, risquaient de la briser contre son but ; ceux qui, dénonciateurs fougueux du fanatisme, ne savaient employer que le fanatisme, et se vantaient d’extirper la superstition lorsqu’ils ne faisaient qu’en varier les formes. La force, ajoutait-il, peut renverser un trône ; la sagesse seule peut fonder une République. Démêlez les pièges continuels de nos ennemis ; soyez révolutionnaires et politiques ; soyez terribles aux méchants et secourables aux malheureux ; fuyez à la fois le cruel modérantisme et l’exagération systématique des faux patriotes... Le peuple hait tous les excès ; il ne veut être ni trompé ni protégé, il veut qu’on le défende en l’honorant[78].

Dans ce passage, Robespierre désignait clairement les deux factions qu’il se préparait à combattre, savoir : les Hébertistes d’une part, et d’autre part ces hypocrites de modération dont la sensibilité envers les oppresseurs n’est qu’indifférence barbare envers les opprimés. Les partis menacés se reconnurent et frémirent de rage, mais le rapport excita une telle admiration, qu’ils n’osèrent éclater.

Au dehors, l’effet fut considérable : le prince de Hardenberg l’avoue dans ses Mémoires[79]. La Révolution n’était jamais apparue aux rois sous un aspect aussi imposant : admirable résultat, et qui suffirait pour attester le génie de Robespierre, quand on songe combien la République risquait de paraître avilie, vue à travers les scènes ignobles dont Paris, grâce à l’Hébertisme, était alors le théâtre !

Au reste, Robespierre était décidé, nous l’avons dit, à engager le combat sans retard. Et, certes, il y fallait du courage. La France est le pays des commotions électriques. L’humeur des Français est si expansive et leur imagination si vive, que l’entraînement de l’exemple, très-puissant chez quelque peuple que ce soit, se trouve avoir chez eux une force absolument irrésistible. Réussissez, en France, à ébranler la foule, tout se précipitera, tout sera emporté. De là les succès croissants de l’Hébertisme : vers le milieu de novembre, c’était un débordement véritable. Aux Cordeliers, à la Commune, dans les sections, dans les rues, sur les places publiques, l’empire du nouveau culte se manifestait par des actes de délire. Les Jacobins eux-mêmes, en forme de demi-adhésion, élevèrent Anacharsis Clootz à la présidence du club. Mais la Convention ? Entraînée comme le reste ; et l’on en put juger, lorsque, le 20 novembre, la section de l’Unité lui vint faire hommage d’une masse énorme de calices, ciboires, soleils, chandeliers, plats d’or et d’argent. Les membres de la députation entrèrent, couverts de chapes, de chasubles, de dalmatiques. Ils portaient un drap noir, figurant la destruction du fanatisme, et chantaient l’air : Marlborough est mort et enterré. Arrivés au milieu de la salle, ils se mirent à danser. Et la Convention d’applaudir[80] à cette indécente mascarade, qui lui était une insulte !

Seul, le Comité de salut public n’avait pas encore parlé. Hébert sentant avec effroi que Robespierre avait l’œil sur lui, prit le parti de provoquer une explication. Le 21 novembre, au club des Jacobins, il se plaignit timidement de certains faux bruits qu’on faisait courir, disait-il, pour diviser les patriotes. N’était-on pas allé jusqu’à prétendre que Robespierre voulait le dénoncer, lui Hébert, et, chose plus invraisemblable encore, dénoncer Pache ? Puis, ardent à mendier la faveur des Terroristes, il reprit ses déclamations meurtrières contre les complices de Brissot, ajoutant : Quand on a jugé Capet, il fallait juger sa race. Je demande qu’on en pour suive partout l’extinction[81].

Robespierre se leva, et, s’emparant d’une phrase dont Hébert s’était servi : Est-il vrai, dit-il, que nos plus dangereux ennemis soient les restes impurs de la race de nos tyrans ? Début terrible ! Et la suite y répondit. Hébert dut comprendre dès lors qu’il ne lui servirait de rien de s’abriter dans la Terreur, de se blottir derrière la guillotine. Robespierre continua : Est-il vrai encore que la principale, cause de nos maux soit le fanatisme ? Le fanatisme ! Il expire. En dirigeant toute notre attention contre lui, ne la détourne-t-on pas de nos véritables dangers ? Vous craignez les prêtres ! Et ils abdiquent... Ah ! craignez, non leur fanatisme, mais leur ambition ; non l’habit qu’ils portaient, mais la peau nouvelle dont ils se sont revêtus... Le fanatisme est un animal féroce et capricieux ; il fuyait devant la raison : poursuivez-le à grands cris, il retournera sur ses pas... Que des citoyens, animés d’un zèle pur, viennent déposer sur l’autel de la Patrie les monuments inutiles et pompeux de la superstition, la patrie et la raison sourient à ces offrandes. Que d’autres renoncent à telle ou telle cérémonie et adoptent l’opinion qui leur semble la plus conforme à la vérité, la raison et la philosophie peuvent applaudir à leur conduite. Mais de quel droit l’aristocratie et l’hypocrisie viendraient-elles mêler leur influence à celle du civisme et de la vertu ? De quel droit des hommes inconnus jusqu’ici dans la carrière de la Révolution viendraient-ils chercher au milieu de ces événements les moyens d’usurper une popularité fausse, jetant la discorde parmi nous, troublant la liberté des cultes au nom de la liberté, attaquant le fanatisme par un fanatisme nouveau, et faisant dégénérer les hommages rendus à la vérité pure en farces ridicules ? Pourquoi leur permettrait-on de se jouer ainsi de la dignité du peuple, et d’attacher les grelots de la folie au sceptre même de la raison ? On a supposé qu’en accueillant les offrandes civiques, la Convention avait proscrit le culte catholique. Non, la Convention n’a pas fait cette démarche téméraire, elle ne la fera jamais. Son intention est de maintenir la liberté des cultes qu’elle a proclamée, et en même temps de réprimer quiconque en abuserait pour troubler l’ordre public. On a dénoncé des prêtres pour avoir dit la messe ; ils la diront plus longtemps, si on les empêche de la dire. Celui qui veut empêcher de dire la messe est plus fanatique que celui qui la dit. Il est des hommes qui prétendent faire une religion de l’athéisme. Tout philosophe, tout individu, peut adopter à cet égard l’opinion qu’il lui plaira : celui qui lui en ferait un crime serait un insensé ; mais il serait cent fois plus insensé encore, le législateur qui adopterait un pareil système. La Convention nationale l’abhorre. Elle n’est point un faiseur de livres, un auteur de systèmes métaphysiques ; elle est un corps politique et populaire... et ce n’est point en vain qu’elle a proclamé la déclaration des droits de l’homme en présence de l’Être suprême... L’athéisme est aristocratique. L’idée d’un grand Être qui veille sur l’innocence opprimée et punit le crime triomphant est toute populaire. J’ai été, dès le collège, un assez mauvais catholique ; je n’ai jamais été ni un ami froid ni un défenseur infidèle de l’humanité. Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. Je parle dans une tribune où l’impudent Guadet osa me faire un crime d’avoir prononcé le mot de Providence. Et dans quel temps ! Lorsque, le cœur ulcéré des crimes dont nous étions les témoins et les victimes ; lorsque, versant d’impuissantes larmes sur la misère du peuple, éternellement trahi, éternellement opprimé, je cherchais à m’élever au-dessus de la tourbe impure des conspirateurs, en invoquant contre eux la vengeance céleste, au défaut de la foudre populaire... Eh ! quelle est l’âme énergique et vertueuse qui n’appellerait point en secret du triomphe de la tyrannie à cette éternelle justice qui semble avoir écrit dans tous les cœurs l’arrêt de mort des tyrans ? Le dernier martyr de la liberté exhalerait son âme avec un sentiment plus doux, en se reposant sur cette idée consolatrice. Ce sentiment est celui de l’Europe et de l’univers ; c’est celui du peuple français. Le peuple français n’est attaché ni aux prêtres, ni à la superstition, ni aux cérémonies religieuses ; mais il l’est à l’idée d’une puissance incompréhensible, effroi du crime, et soutien de la vertu[82].

Ainsi parla Robespierre,

Lorsque Caton maintenait, contre César, que l’âme est immortelle, était-ce pour établir victorieusement une thèse métaphysique ? En aucune façon. Laissant de côté les raisons tirées de la métaphysique pure, raisons éternellement controversables et controversées, Caton poussait à l’adoption du dogme de l’immortalité de l’âme, parce que ce dogme lui paraissait de nature à contribuer à la prospérité et au perfectionnement des sociétés humaines. De même, lorsque Jean-Jacques Rousseau, dans son Contrat social, posait les bases d’une religion civile, c’est-à-dire dégagée de toute superstition et indépendante du pouvoir des prêtres, ce qu’il avait en vue, c’était l’apostolat de certaines croyances qui, fondées sur le sentiment et non sur la dialectique, s’adressant au cœur plutôt qu’à l’esprit, servissent de lien moral entre les hommes, et protégeassent leur association, que tendent sans cesse à troubler ou à détruire le choc des passions, la lutte des intérêts et la divergence des idées. Eh bien, Robespierre pensait en ceci comme Caton, il pensait comme Jean-Jacques. Ne jugeant les questions métaphysiques que dans leurs rapports avec les principes constitutifs de la sociabilité humaine, ce qu’il combattait dans l’ATHÉISME, c’était son corollaire politique, l’ANARCHIE. Or, l’anarchie ayant pour effet d’abandonner chacun à ses propres forces, ou, en d’autres termes, de laisser sans protecteur le faible, le pauvre, l’ignorant, Robespierre concluait de là que ni l’ignorant, ni le pauvre, ni le faible, ne sont intéressés à la proclamation de l’athéisme comme dogme social ; et voilà dans quel sens il disait ce mot profond : L’athéisme est aristocratique. Toutefois il n’avait garde de s’opposer à ce que chacun fût libre de professer à cet égard l’opinion qui lui semblerait la plus conforme à la vérité. Il n’entendait nullement que la thèse de l’existence de Dieu fût bannie du domaine de la discussion, et qu’on mît des bornes au Tradidit mundum disputationibus eorum. Mais accoupler la loi, qui affirme, à l’athéisme, qui nie ; mais donner pour religion à une société de frères ce qui n’est que la religion de l’individualisme et de l’anarchie ; mais immoler d’une manière absolue au culte exagéré du rationalisme, qui dissout les groupes, le culte du sentiment, qui les forme et les conserve… voilà ce que Robespierre, après Rousseau[83], son maître, jugeait contraire à la doctrine républicaine de l’unité et de la fraternité.

Sans doute on aurait pu aller plus loin et s’élever plus haut que l’affirmation d’un Être suprême.Quand Spinosa définissait Dieu : une substance unique, infinie, dont les deux attributs sont la pensée et la matière, et dont les êtres finis ne sont que des modes, loin de créer le vide dans le monde, il montrait l’Univers tout rempli de Dieu, et en même temps il donnait vie à une conception métaphysique qui correspond aux plus puissantes hardiesses du socialisme moderne. Mais la Révolution ne fut socialiste que par ses aspirations, très-vagues encore : comment aurait-elle poussé jusqu’au Panthéisme ?

Robespierre termina son discours en déclarant qu’il y avait en France une faction de l’étranger, qu’elle s’agitait au sein même des sociétés populaires ; et il conclut à ce que les membres du club des Jacobins fussent soumis à un scrutin épuratoire, proposition qui fut adoptée, séance tenante[84].

D’abord, les Hébertistes tinrent bon, ne pouvant croire qu’un seul homme fût capable de changer la situation par quelques paroles. Le 25 novembre, Chaumette court à la Commune, y tonne contre les filles de joie devenues dévotes, assure que les prêtres sont capables de tout : d’empoisonner les patriotes, d’incendier la maison commune, de mettre le feu à la trésorerie nationale, de renouveler ’histoire des mines ; et, en conséquence, il fait décider que les églises ou temples appartenant à quelque culte que ce soit seront. fermés ; que quiconque en demandera l’ouverture sera arrêté comme suspect que chaque prêtre, que chaque ministre, demeurera personnellement responsable de tout désordre provenant d’opinions religieuses ; que la Convention sera invitée à exclure les prêtres de toute espèce de fonction publique. L’arrêté disait plus, il exprimait le vœu que les prêtres fussent frappés d’interdiction, pour quelque classe d’ouvrage que ce pût être ; mais cette clause barbare, qui les condamnait indistinctement à mourir de faim, dépassait les conclusions de Chaumette : il en demanda et en obtint la radiation[85].

Robespierre ayant pris en main, non la cause des prêtres catholiques spécialement, mais celle de la liberté générale des cultes, telle que la Constitution la proclamait, Chaumette s’aventurait sur une pente bien glissante… Soit qu’il le comprît et voulût abriter sous des mesures populaires l’audace du coup qu’il frappait, soit qu’il ne fît que suivre en cela l’élan de son cœur, où l’amour du pauvre avait toujours eu place, il appuya l’adoption de deux arrêtés, dont l’un enjoignait aux boulangers de ne faire qu’une seule et bonne espèce de pain, le pain de l’Égalité, et dont l’autre établissait une taxe sur les riches, au profit des pauvres[86].

Mais, pendant ce temps, Hébert allait répétant chaque jour dans son journal : Il faut que la sœur du dernier tyran soit traduite au tribunal révolutionnaire. Et, de son côté, la Commune pressait la Convention de réaliser ce vœu barbare. De quels crimes la mort de madame Élisabeth devait-elle donc être l’expiation ? Quelles vengeances son supplice était-il destiné à assouvir ? Et quel besoin la Révolution avait-elle de ce sang ? Ô misère des partis ! Robespierre, qui déployait alors tant de courage civil, craignit néanmoins de se perdre, s’il laissait percer la sympathie que lui inspirait l’infortunée princesse, et il n’osa disputer cette tête innocente à l’impatience féroce d’Hébert qu’en insultant la victime qu’il eût voulu sauver : A qui persuadera-t-on, s’était-il écrié dans la séance des Jacobins du 21 novembre, que la punition de la méprisable sœur de Capet en imposerait plus à nos ennemis que celle de Capet lui-même et de sa criminelle compagne ?[87] Méprisable ! un pareil mot appliqué à une pareille femme, dans la situation qu’on lui avait faite, était une injustice et, tranchons le mot, une lâcheté.

Cependant un adversaire des Hébertistes venait d’entrer dans la lice, qu’ils ne s’attendaient guère, en ce moment, à y rencontrer. De retour de sa retraite d’ Arcis-sur-Aube, Danton se rangea, dès le premier jour, à la suite de Robespierre, dénonçant comme lui la conspiration de l’étranger, flétrissant comme lui le scandale des mascarades antireligieuses, repoussant comme lui et le prêtre du fanatisme et celui de l’incrédulité, rendant hommage comme lui à l’existence d’un Être suprême, et comme lui enfin s’écriant : Nous n’avons pas voulu anéantir la superstition pour établir le règne de l’athéisme[88].

Déjà, au reste, la réaction était flagrante : Chaumette perdit courage et recula si bien, qu’il en vint à tenir, le 28 novembre, un langage qui était presque une répétition textuelle de celui de Robespierre. La tribune des hommes libres ne peut être convertie en chaire de métaphysique. L’article 7 de la déclaration des droits garantissant celui de manifester sa pensée et ses opinions par la presse ou de toute autre manière, le droit de s’assembler paisiblement et le libre exercice des cultes ne sauraient être interdits. — Je pardonne aux demi-savants, aux philosophes d’un jour, les rêves de leur imagination délirante ; à mon sens, si le fanatisme est une maladie de l’esprit, je les crois plus fanatiques que ceux contre lesquels ils s’élèvent. — Quant à moi, si j’ai méprisé la superstition, je ne me crois pas en droit pour cela de persécuter celui qui en est atteint. — Je compare ceux qui agissent autrement à ces hommes dédaigneux et irritables qui, loin d’attaquer la maladie, outragent le malade. — Les premiers Nazaréens, persécutés par des gens aussi insensés qu’eux, transportaient leurs cérémonies dans des cavernes, dans des souterrains. Leur secte se fût anéantie d’elle-même si elle n’eût été que méprisée. — Ne nous informons pas si un homme va à la messe ou à la synagogue ou aux prêches : informons-nous seulement s’il est républicain[89]

Quel prodigieux changement d’attitude, dans l’espace de moins d’une semaine ! Quelle étonnante palinodie ! Il ne restait, pour la compléter, qu’à annuler purement et simplement l’arrêté du 23 ; mais comment Chaumette aurait-il pu requérir la réouverture des églises et des temples, ayant requis qu’on emprisonnât quiconque oserait la demander ? Il se borna donc à solliciter de la Commune un arrêté portant : 1° qu’on n’empêcherait jamais les citoyens de louer des maisons pour leur culte et de payer les ministres ; 2° qu’on ferait respecter la volonté des sections qui avaient renoncé au catholicisme pour ne reconnaître que le culte de la raison, de la liberté et des vertus républicaines[90].

A son tour, Hébert se rétracta, et avec beaucoup moins de dignité encore : On a dit que les Parisiens étaient sans foi, sans religion, qu’ils avaient substitué Marat à Jésus. Déjouons ces calomnies[91]. Et, quelques jours après : On m’accuse d’athéisme : je nie formellement l’accusation. Je prêche aux habitants des campagnes de lire l’Evangile ; ce livre de morale me paraît excellent, et il faut en suivre les maximes pour être parfait Jacobin. Le Christ me semble le fondateur des sociétés populaires[92].

Inutile d’ajouter que, depuis le discours de Robespierre, les mascarades antireligieuses avaient cessé dans Paris ; mais elles continuaient en province. De la ville d’Auch, Cavaignac écrivait que le peuple entier avait dansé la carmagnole autour d’un brasier patriotique alimenté par des croix, par des saints de bois, par des vierges à miracles[93]. André Dumont, un des plus fougueux partisans de l’Hébertisme, mandait, de son côté : Partout on ferme les églises, on brûle les confessionnaux, on fait des gargousses avec les livres des lutrins[94]. Alors même que de semblables manifestations n’auraient eu pour résultat que d’enflammer le fanatisme et d’inaugurer la guerre civile des âmes, elles avaient de quoi inquiéter la sagesse du Comité de salut public ; mais ce danger n’était pas le seul qui le préoccupât. Il craignait que le mouvement hébertiste ne servît à confirmer l’opinion que les divers gouvernements s’étudiaient à répandre en Europe, touchant ce qu’ils appelaient l’immoralité de la nation française. Comme Robespierre l’avait fait remarquer aux Jacobins : Il n’était pas de peuple qui ne fût attaché à un culte quelconque ; et, dès lors, quoi de plus funeste que de fournir aux rois un prétexte d’enrégimenter à leur service les préjugés religieux de leurs sujets ? La Révolution n’avait-elle pas assez d’obstacles à surmonter ? Fallait-il refroidir nos alliés ? Fallait-il multiplier le nombre de nos ennemis[95] ? Tels furent les motifs déterminants d’un manifeste que Robespierre, au nom du Comité de salut public, proposa à la Convention de lancer. C’était une réplique amère et quelque peu déclamatoire aux libelles que les Cabinets ne cessaient de publier contre la Révolution. On y lisait : Vos maîtres vous disent que la nation française a proscrit toutes les religions ; qu’elle a substitué le culte de quelques hommes à celui de la Divinité ; ils nous peignent à vos yeux comme un peuple idolâtre et insensé. Ils mentent. Le peuple français et ses représentants respectent la liberté de tous les cultes et n’en proscrivent aucun. Ils honorent la vertu des martyrs de l’humanité sans engouement et sans idolâtrie ; ils abhorrent l’intolérance et la superstition, de quelques prétextes qu’ils se couvrent ; ils condamnent les extravagances du philosophisme comme les crimes du fanatisme[96]. La Convention vota ce manifeste avec enthousiasme[97]. Puis, sur une motion de Barère, que Robespierre appuya vivement et qui fut amendée par Cambon, elle décréta défense expresse de troubler ou de menacer la liberté des cultes, réserve faite des précautions de salut public déjà ordonnées à l’égard des prêtres réfractaires et turbulents[98].

Le grand rôle qu’en cette occasion joua Robespierre témoignait de son influence et accrut sa popularité, mais en lui créant, dans les deux camps opposés, des ennemis mortels. Le 9 thermidor fut la vengeance que l’immoralité d’Hébert légua à l’immoralité de Tallien ; et, quant aux prêtres, toujours si intéressés à ce qu’on les opprime quand ils n’oppriment pas, ils se promirent bien de poursuivre jusqu’au tombeau et au delà du tombeau l’homme qui venait de leur enlever le bénéfice d’une persécution où le burlesque s’ajoutait à la violence ; l’homme qui recommandait contre eux le seul système qu’ils eussent à redouter : une surveillance active, propre à déjouer leurs manœuvres sans leur fournir l’occasion désirée de se poser en martyrs. Et c’est ce qui explique le prodigieux entassement de calomnies dont tous les écrivains royalistes et catholiques ont chargé à l’envi la mémoire de Robespierre, jusque-là qu’ils l’ont rendu comptable, aux yeux de la postérité, des excès mêmes qu’il usa sa vie à combattre. Ah ! c’est qu’en effet le véritable adversaire des détracteurs de la Révolution française était celui qui n’eut d’autre préoccupation que de lui donner une contenance à la fois calme et ferme et un caractère élevé. Robespierre eût été moins attaqué, s’il eût davantage mérité de l’être !

 

FIN DU NEUVIÈME VOLUME

 

 

 



[1] Voyez, dans le premier volume, sur les Origines et les causes de la Révolution, le chapitre intitulé Triomphe de l’individualisme en philosophie, ou rationalisme.

[2] Adresse de Chaumette à ses concitoyens. Voyez le Moniteur, an Ier, 1793, n° 147.

[3] Beaulieu, Biographie universelle.

[4] Beaulieu, Biographie universelle.

[5] Mémoires sur les prisons, t. II, p. 147.

[6] On trouve cette erreur dans le Nouveau Paris de Mercier. Voyez le t. V, chap. CCXI. — HÉBERTISTES.

[7] Adresse de Chaumette à ses concitoyens, ubi supra.

[8] Moniteur, an Ier, 1793, n° 275.

[9] Moniteur, an II, n° 63 et 111.

[10] Moniteur, an II, n° 27.

[11] Moniteur, an 1er, 1793, n° 280.

[12] Moniteur, an II, 1793, n° 59.

[13] Moniteur, an II, 1793, n° 30.

[14] Essais de Montaigne, liv. Ier, chap. XIX.

[15] Moniteur, an II, 1793, n° 50.

[16] Moniteur, an II, 1793, n° 63.

[17] Voyez le procès de Chaumette dans l’Histoire parlementaire, t. XXXII, 277 et 278. — Voyez aussi le t. XXX de la même histoire, p. 159.

[18] Moniteur, an Ier, 1793, n° 50.

[19] Histoire parlementaire, t. XXXI, p. 20 et 21.

[20] Voyez Louis XVII, sa vie, son agonie et sa mort, par M.de Beauchesne.

[21] Louis XVII, sa vie, son agonie et sa mort, par M.de Beauchesne, liv. XII, p. 112 et 115.

[22] Voyez, plus haut, le chapitre intitulé Mort de Marie-Antoinette.

[23] Procès de Chaumette, voyez l’Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 300.

[24] On en verra plus loin la preuve dans le compte rendu de son procès.

[25] Un mot d’Anacharsis Clootz sur les conférences secrètes entre quelques membres de la Convention, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. 775, 6, 7. British Muséum.

[26] Bases constitutionnelles de la République du genre humain, par Clootz, ubi supra.

[27] Chapitre dernier, par Clootz, ubi supra.

[28] La République universelle, par l’Orateur du genre humain, ubi supra.

[29] Bases constitutionnelles de la République du genre humain, par Anacharsis Clootz, ubi supra.

[30] Appel au genre humain, par Anacharsis Clootz, ubi supra.

[31] La République universelle, ubi supra.

[32] Adresse de Clootz à ses commettants, ubi supra.

[33] La République universelle.

[34] Anacharsis Clootz à son oncle Corneille Pauw, ubi supra.

[35] Le Nouveau Paris, t. III, chap. LXXXIX, p. 75.

[36] Le Nouveau Paris, t. III, chap. LXXXIX, p. 75.

[37] Bases constitutionnelles de la République du genre humain, ubi supra.

[38] Voyez le curieux travail de M. George Avenel, intitulé Anacharsis Clootz, 2 vol. Paris, 1865 (Librairie internationale.)

[39] C’est ce que Chaumette déclara formellement devant le tribunal révolutionnaire. Relativement au caractère de cette déclaration et à l’attitude de l’accusé devant ses juges, nous aurons occasion de relever une bien étrange erreur commise par M. Michelet, qui, du reste, n’a manqué de justice envers Chaumette que dans cette occasion.

[40] Un mot d’Anacharsis Clootz sur les conférences secrètes entre quelques membres de la Convention, ubi supra.

[41] Les très-catholiques compilateurs de l’Histoire parlementaire en conviennent. Voyez le t. XXX de cette histoire, p. 179-181.

[42] Mercier, le Nouveau Paris, t. II, chap. LXXX. — PRÊTRE CONSTITUTIONNEL.

[43] Le Nouveau Paris, t. IV, chap. CLXV. — Renversement du culte catholique.

[44] Le Nouveau Paris, t. IV, chap. CLXV. — Renversement du culte catholique.

[45] Le Nouveau Paris, t. IV, chap. CLXV. — Renversement du culte catholique.

[46] Montgaillard, Histoire de France, t. IV, p. 115.

[47] Histoire parlementaire, t, XXX, p. 178.

[48] Histoire parlementaire, t, XXX, p. 178.

[49] Procès de Chaumette, voyez l’Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 284.

[50] Voyez la séance du 7 novembre 1793. Voyez le Moniteur, ou bien Histoire parlementaire, t. XXX. p 183-195.

[51] Voyez la séance du 7 novembre 1793.

[52] Voyez la séance du 7 novembre 1793.

[53] Voyez la séance du 7 novembre 1793.

[54] Histoire des Montagnards, par Esquiros, t. II, p. 401.

[55] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 195 et 194. M. Michelet, dans son Histoire de la Révolution, liv. XIV, chap. III, présente de cette séance fameuse un compte rendu vraiment extraordinaire. Il suppose d’abord que la lettre lue au commencement de la séance n’était qu’un artifice du Comité de salut public pour avilir d’avance la démission de Gobel ; comme s’il était impossible que l’auteur de l’impudente missive eût pris conseil seulement de lui-même, dans un temps où l’on vit tant de prêtres se parer de leur apostasie, témoin celui qui, le 9 novembre, alla demander à la Commune l’autorisation de substituer au nom d’Érasme celui d’Apostat. (Voyez l’Histoire parlementaire, t. XXX, p. 181.)

M. Michelet suppose, en outre, qu’en venant donner à l’Assemblée, après avoir demandé qu’on fermât les portes, la nouvelle, contenue dans une lettre anonyme, que Rouen marchait au secours de la Vendée, Amar, agent secret des comités en ceci, voulait terroriser l’Assemblée ; comme si le meilleur moyen d’entraver le mouvement contre le culte catholique était de rappeler à la Convention ce que le maintien de ce culte en Vendée faisait couler de sang et de pleurs !

Enfin, M. Michelet suppose que l’abbé Grégoire, cet homme si honorable, si droit, si courageux, si sincère, ne fut, dans sa résistance, que l’instrument des comités et de Robespierre, c’est-à-dire l’acteur d’une pitoyable comédie.

Quelle preuve de tout cela M. Michelet donne-t-il ? Aucune. Quel témoignage invoque-t-il à l’appui de son opinion ? Aucun. Il se borne à dire : Je n’en fais aucun doute. Franchement, c’est trop peu ; surtout quand il s’agit d’attribuer une manœuvre basse et ridicule à des hommes tels que Grégoire, Robespierre, et les membres du Comité de salut public.

[56] C’est en ces propres termes que Robespierre raconta la scène, en présence de Clootz, dans la séance des Jacobins du 12 décembre 1793.

[57] Discours de Robespierre dans la séance du 12 décembre 1793, aux Jacobins.

[58] Voyez, sur la séance des Jacobins du 8 novembre 1793, l’Histoire parlementaire, t. XXX, p. 206 et 207.

[59] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 196 et 197.

[60] Beaulieu, Vie de Chaumette, dans la Biographie universelle.

[61] Beaulieu, Vie de Chaumette, dans la Biographie universelle.

[62] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 199.

[63] Pas un de ces faits qui ne repose sur le témoignage d’un témoin-oculaire, de ce Mercier, dont le génie et la profession furent D’OBSERVER. Voyez le Nouveau Paris, t. IV, chap. CXLVI et CLXV.

[64] Histoire de France, t. IV, p. 89.

[65] Révolutions de Paris, n° 212.

[66] Lettre de Baigne, séance des Jacobins du 18 novembre 1793.

[67] Voyez l’Histoire parlementaire, t. XXX, p. 217.

[68] Séance du 13 novembre 1793, aux Jacobins. C’est dans cette séance qu’Hébert disait en parlant de Robespierre et de Lacroix ; Depuis quand affecte-t-on d’accoler l’homme à qui nous devons la Révolution à celui qui en est la honte ? l’homme à qui le peuple a donné l’épithète d’incorruptible à l’homme le plus corrompu ?

[69] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 218.

[70] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 218.

[71] Le Nouveau Paris, t. V, chap. CCXI, p. 180.

[72] Séance des Jacobins du 16 novembre 1793.

[73] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 222.

[74] Nous reviendrons en détail sur cette affaire, qui a donné lieu à des jugements historiques d’une légèreté déplorable, et dont les suites furent si fatales, et au pauvre Bazire, et à Fabre d’Églantine, non moins innocent que lui !

[75] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 251.

[76] Voyez les détails de cet abominable guet-apens dans l’Histoire parlementaire, t. XXX, p. 238.

[77] On le trouve in extenso dans l’Histoire parlementaire, t. XXX. p. 224-249.

M. Michelet, dans son récit de la lutte de Robespierre contre les Hébertistes, ne mentionne même pas ce discours.

[78] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 244 et 245.

[79] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’Etat, t. II, p. 4544.

[80] Voyez le Moniteur du 22 novembre 1793.

[81] Voyez la séance des Jacobins du 21 novembre 1793, dans l’Histoire parlementaire, t. XXX, p 273.

[82] Voyez ce discours reproduit in extenso dans l’Histoire parlementaire, t. XXX, p. 274-283.

Si M. Michelet, dans son ouvrage, liv. XIV, chap. IV, eût cité ce discours, avant de l’apprécier ; s’il eût reproduit les attaques que cette vigoureuse harangue contient, et contre les fauteurs de superstition, et contre l’intolérance, quel que soit son masque ; s’il eût cité cette phrase : Tout philosophe, tout individu peut adopter, à l’égard de l’athéisme, l’opinion qui lui semble la plus conforme à la vérité : quiconque voudrait lui en faire un crime est un insensé ; si enfin M Michelet eût remarqué ou mis son lecteur en état de remarquer que Robespierre défendait ici, non la liberté particulière du culte catholique, mais la liberté de tous les cultes, telle qu’elle avait été proclamée par la Constitution, et telle que Chaumette dut, quelques jours après, la reconnaître… aurait-il osé écrire ces paroles, si étranges et si injustes : Robespierre fut pris du mal des rois, la haine de l’idée ? La haine de l’idée, c’était Hébert qui l’avait, quand il prétendait empêcher Laveaux d’imprimer qu’il croyait en Dieu.

[83] Voyez dans le premier volume de cet ouvrage, le chapitre intitulé : Guerre à l’Église, — Triomphe de l’individualisme en philosophie, ou rationalisme, — J.-J. Rousseau.

[84] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 285.

[85] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 285.

[86] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 284.

[87] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 274.

[88] Danton fit cette profession de foi dans la séance du 26 novembre 1793.

[89] Voyez le discours de Chaumette, reproduit en entier dans l’Histoire parlementaire, t. XXX, p. 287-291.

[90] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 290.

[91] Séance des Jacobins du 28 novembre 1793.

[92] Séance des Jacobins du 11 décembre 1793.

[93] Lettre de Cavaignac lue à la Convention, dans la séance du 50 novembre 1793.

[94] Lettre d’André Dumont, commissaire dans les départements de la Somme, du Pas-de-Calais et de l’Oise. Séance du 4 décembre 1793.

[95] Voyez le discours de Robespierre, dans la séance des Jacobins du 28 novembre 1793.

[96] C’est ce manifeste que Camille Desmoulins appelait sublime.

[97] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 323.

[98] Histoire parlementaire, t. XXX, p. 324.