Dubois-Crancé devant Lyon ; proclamations conciliantes. — Le royalisme à Lyon ; ses manœuvres. — Les républicains lyonnais trompés. — Les royalistes compromettent Lyon sans retour. — Entrevue de Paris et de Précy. — Physionomie du siège. — Des prêtres et des femmes parmi les combattants. — Émigrations d’ouvriers. — Arrivée des Auvergnats. — Maignet et Châteauneuf-Randon sont pour une attaque de vive force ; Dubois-Crancé est d’une opinion contraire. — Kellermann remplacé par Doppet. — Attaque du 29 septembre. — Couthon arrive ; sa présence précipite le dénouement. — Rappel de Dubois-Crancé et de Gauthier. — Sommation dernière aux Lyonnais. — État déplorable de Lyon. — Soulèvement des esprits. — La femme Rameau. — Egoïsme des meneurs royalistes ; proposition magnanime repoussée. — Négociations. — La ville est ouverte. — Évasion de Précy ; sa colonne dispersée et anéantie. — Les assiégeants entrent dans Lyon, le pain à la main. — Remarquable modération de Couthon, conforme à la politique représentée, dans le Comité de salut public, par Robespierre et Saint-Just. — Pendant qu’à Paris Robespierre sauve les soixante-treize signataires d’une protestation en faveur des vaincus du 31 mai, Couthon, à Lyon, veille à la sûreté des personnes et des propriétés. — Menées de Dubois-Crancé et de Gauthier. — Leur arrestation ordonnée par la Convention, puis révoquée. — Opposition, au sujet de Lyon, entre les gens de la haute main et les gens révolutionnaires. — Robespierre, Couthon et Saint-Just veulent conserver Lyon à la République ; Collot-d’Herbois, Billaud-Varenne et Barère demandent un exemple terrible ; décret qui ordonne la destruction de Lyon. — Couthon paraît approuver ce décret, mais en diffère le plus possible l’exécution. — Fermeté qu’il met à réprimer tout désordre. — Difficulté de sa position. — Ne pouvant se résoudre à détruire Lyon, il provoque son remplacement. — La Convention lui donne pour successeurs Collot-d’Herbois et Fouché.On vient de voir comment la France révolutionnaire se mit en mesure de faire face aux trois grands dangers qui la menaçaient : Lyon, la coalition, la Vendée. Les trois chapitres qui suivent montreront comment la ville de Lyon fut domptée, la coalition repoussée, la Vendée vaincue. Peu de jours après avoir paru devant Lyon, Dubois-Crancé et Gauthier adressaient aux Lyonnais un manifeste où ils disaient : Citoyens, la résistance que des hommes perfides qui se sont emparés de l’administration ont mise à reconnaître la Convention nationale et ses décrets, a nécessité l’appareil et le développement d’une force armée... Vous avez, dit-on, reconnu la Constitution ; eh bien, nous sommes donc frères, et vous allez nous recevoir en frères. Nous sommes vos libérateurs, car nous venons vous tirer du joug de l’oppression ; nous venons arracher les patriotes des mains de leurs bourreaux. Nous savons distinguer les bons citoyens de Lyon qui gémissent, depuis deux mois, sur les désordres dont ils sont victimes, de ces hommes pervers qui, coalisés avec les rebelles de la Vendée et parlant sans cesse de République une et indivisible, subordonnent les lois à leurs caprices, à leur vengeance, et poursuivent avec autant d’impudence que d’acharnement le système des Cobourg et des Dumouriez[1]... Dans une autre proclamation, en date du 14 mai, Dubois-Crancé disait encore : Citoyens, quelle est donc l’influence de ceux qui se sont emparés de tous les pouvoirs dans votre ville ?... Ils affectent de répandre que les représentants du peuple ont le projet de détruire Lyon, qu’ils veulent le meurtre des citoyens et le pillage des propriétés. Comment pouvez-vous croire à de pareilles absurdités ? Les richesses de l’État ne se composent-elles pas de celles des citoyens ? et la prospérité d’une ville peut-elle être indifférente à la République ?... Le massacre des citoyens est encore plus horriblement supposé. Les soldats de la République combattent des rebelles, mais ils n’assassinent pas des frères égarés qui sont rentrés dans le devoir. Vous parlez sans cesse du pillage des propriétés ; mais c’est un délit que la Constitution réprouve et que la loi punit. Oui, citoyens, vos personnes et vos propriétés sont en toute sûreté si vous respectez les lois ; mais, s’il faut vous traiter en ennemis et en rebelles, vous devez subir dans toute leur étendue les peines que la loi prononce. Vous servez la cause de nos ennemis ; vos chefs le savent bien. Ils veulent que vous versiez votre sang pour sauver leurs têtes de la proscription ; ils veulent qu’une ville entière périsse plutôt que de renoncer à leurs complots liberticides[2]. Le 21 août, même langage. ... Vous dites que vous êtes nos frères ; prouvez-le en nous ouvrant vos portes et en rendant à la République ce que vous lui avez pris. Marchons ensemble aux frontières, et que l’aspect de nos embrassements fasse fuir nos ennemis ! Alors toutes vos craintes seront dissipées, vos propriétés respectées. La Convention peut même faire grâce aux coupables, S’ils prouvent qu’ils ne sont qu’égarés. S’ils sont des conspirateurs, auriez-vous l’impudeur de les défendre ? Le pourriez-vous sans vous avouer leurs complices ? Votre sort est donc entre vos mains, et si votre cité se couvre de décombres, n’en accusez que vous[3]. Ces proclamations, d’un style si conciliant d’ailleurs, établissaient une distinction tranchée entre la masse des Lyonnais et leurs meneurs. Aux premiers, poussés dans le piège d’une résistance insensée, on tendait les bras ; aux seconds seuls, conspirateurs royalistes déguisés en républicains, on parlait de châtiment. La distinction était-elle légitime ? C’est ce dont on va juger par les imprudents aveux d’un royaliste qui se trouva placé au centre de toutes les intrigues : Tout n’était pas faux, écrit-il, dans l’accusation de royalisme portée si généralement contre les Lyonnais. Il était vrai que les familles nobles réfugiées chez eux, entrant naturellement dans leurs intérêts, leur fournissaient plusieurs combattants ; il était vrai que, depuis que Précy était nommé commandant, et surtout depuis que l’exercice de ses fonctions l’avait rendu presque maître de la ville, beaucoup de royalistes des autres provinces de la France, et que l’on croyait émigrés, étaient accourus pour le seconder. Il était vrai encore que les chefs du parti royaliste dans Lyon se concertaient secrètement par lettres avec un agent de nos princes... M. Imbert-Colomès, et qu’ils envoyèrent un des leurs en Suisse auprès de M. de Monty... pour qu’il procurât aux Lyonnais des armes et des instructeurs suisses. Il est vrai enfin que, depuis la victoire remportée par les Lyonnais le 29 mai, nos princes, retirés à Hamm sur les États prussiens, avaient dirigé leur attention sur Lyon, et que les délibérations qu’y avait prises la Commission populaire républicaine leur avaient fait concevoir le projet d’envoyer en Suisse un officier capable de lier les mouvements de Lyon avec les opérations de l’armée piémontaise., et de commander les émigrés qui voudraient aller combattre à Lyon en faveur de la monarchie. M. le marquis d’Autichamp fut le général que choisirent nos princes pour cette grande entreprise[4]. Le même auteur, dans l’effusion de son royalisme, déclare bien haut que le président et le secrétaire des délégués des sections étaient royalistes l’un et l’autre[5] ; que le Comité de salut public lyonnais avait pour secrétaire général Roubiès, père de l’Oratoire, prêtre réfractaire[6] ; que le royaliste Précy, presque maître de la ville[7], recevait d’un colonel, agent des princes à Lausanne, des messages où des renforts de troupes piémontaises et autrichiennes lui étaient promis[8] ; qu’un jour il répondit à un inconnu qui lui demandait s’il accepterait des secours de l’Angleterre : Fût-ce le diable qui vînt à notre secours, nous le recevrions avec plaisir[9] ; et que les officiers royalistes de l’ancien régime, employés d’abord pour la seule défense de la ville, ne tardèrent pas à agir pour la cause de la royauté[10]. Ce n’est pas que l’étendard de la révolte à Lyon fût le drapeau blanc ; loin de là : une grande partie de la bourgeoisie lyonnaise appartenant aux opinions de la Gironde, et ces opinions ayant leur place jusque dans les corps administratifs, les meneurs royalistes avaient eu soin de se couvrir des livrées de la République[11] ; et après avoir précipité Lyon dans la résistance, à force de lui faire peur de la Montagne, ils n’attendaient, pour lever le masque, que le moment où les habitants de cette ville infortunée, compromis sans retour, seraient forcés de subir, ou l’empire avoué du royalisme, ou les vengeances du gouvernement républicain. Aussi se gardaient-ils bien de refuser, soit leur adhésion, soit leur signature, aux actes où, en réponse à Dubois-Crancé, il était dit : Vous nous avez peints auprès des soldats tantôt comme des royalistes, tantôt comme des fauteurs du royalisme ; nous désirons que des hommes impartiaux leur fassent connaître la pureté et la sainteté de nos principes[12]. Quand on songe que l’homme appelé, en sa qualité de secrétaire général, à rédiger de pareilles réponses, était un royaliste ardent, un père de l’Oratoire, un prêtre non assermenté, comment ne pas s’indigner de tant d’hypocrisie ? Elle fut poussée à ce point, que, des bouviers s’étant un jour présentés aux portes de la ville avec la cocarde blanche, les royalistes ne trouvèrent pas mauvais en politique qu’on eût arrêté ces paysans trop ingénus ; si bien que le plus mutin d’entre eux fut sur le point d’être fusillé par jugement de conseil de guerre[13]. Et ce n’était pas seulement pour empêcher les rangs de la révolte de s’éclaircir, que les royalistes se paraient des couleurs de la République ; ils obéissaient en cela aux inspirations d’une politique dont les lignes suivantes d’un des leurs révèlent la profondeur immorale : Dès qu’on voyait la même cocarde tricolore aux assiégés et à leurs ennemis, il était naturel d’en conclure que les seconds n’en voulaient qu’à la vie et à la fortune des premiers ![14] Pour égarer ce malheureux peuple de Lyon, que ne fit-on pas ? On alla jusqu’à placarder sur tous les murs, comme ayant été écrite par Danton à Dubois-Crancé, la lettre que voici : Mon cher collègue, la fameuse journée du 10 août approche. Il est temps de frapper le grand coup. Il faut enfin que la sainte Montagne triomphe. Si nous devons abandonner le Mont-Blanc, qu’importe ? Dût-on voir les Savoisiens enchaînés deux à deux, pas de demi-mesures ; il est temps que nous régnions. Si l’on ne peut forcer la ville de Lyon par les armes, il faut la réduire en cendres. Si les cultivateurs crient et demandent à qui ils vendront leurs denrées, dis-leur qu’ils aillent à Constantinople. Surtout, répands les assignats, ne les compte pas ; ils se retrouveront à la fin[15]. Lorsque, voulant donner à la Convention une idée des manœuvres employées à Lyon, Barère vint lire, à la tribune, cette lettre qui trahissait avec tant de naïveté la main d’un faussaire, Danton se contenta de dire, avec mépris, qu’il était plus malin que les auteurs de cette pièce ; qu’il n’avait point de correspondance, et que, s’il lui était arrivé d’écrire, il aurait conseillé des mesures non moins vigoureuses, mais plus politiques[16]. Il n’y a lieu de s’étonner, après cela, ni de l’extrême mollesse des assiégeants pendant la majeure partie du mois d’août, ni de l’obstination aveugle des assiégés. Dubois-Crancé savait en effet, comme ses nombreuses proclamations le prouvent, de quels artifices la masse des Lyonnais était dupe. Il aurait donc voulu échapper, en les éclairant, à l’affreuse nécessité d’une guerre d’extermination ; et ce sentiment, on le retrouve dans une lettre du 18 août, écrite par Couthon, Carnot, Robespierre, Barère et Saint-Just aux deux représentants Dubois-Crancé et Gauthier, pour leur recommander d’épargner les Lyonnais s’ils se soumettaient[17]. Mais, à leur tour, les fauteurs de la révolte savaient fort bien, — et les manifestes de Dubois-Crancé ne le leu laissaient pas ignorer, — qu’entre eux les séducteurs et la population séduite la Convention nationale faisait une grande différence, et qu’ils n’avaient point, eux, de quartier à attendre. Il leur fallait donc à tout prix écarter jusqu’à l’idée d’une soumission volontaire qui les eût mis au pied de l’échafaud. On juge s’ils y épargnèrent leurs soins, et la lettre attribuée à Danton indique assez la nature des moyens qu’ils mirent en usage. Malheureusement, quand le siège avait commencé, tout encourageait les Lyonnais à la résistance. Carteaux n’avait pas encore pris Marseille ; Bordeaux n’avait pas encore demandé grâce ; l’incendie allumé en Vendée, loin de s’éteindre, s’étendait, et Paris, de plus en plus enveloppé par l’Europe, semblait au moment d’être fait prisonnier ; qui jamais eût pu croire la Convention capable de vaincre à ce point la mort ? Les Lyonnais, d’ailleurs, n’avaient devant eux, dans les premiers jours du mois d’août, qu’une armée de huit mille hommes avec un petit train d’artillerie[18]. Qu’était-ce que cela ? Le triple de ces forces eût été nécessaire contre une ville en état de fournir au delà de vingt mille combattants, et qui, bâtie au confluent de la Saône et du Rhône ; dominée au nord, entre les deux rivières, par- les hauteurs de la Croix-Rousse ; à l’ouest, sur la droite de la Saône, par les collines de Fourvières et de Sainte-Croix, n’avait besoin, pour se défendre, que d’une bonne artillerie et de quelques redoutes[19]. Or, d’après les relations royalistes elles-mêmes, Schmith pourvut-à ce qu’un nombre considérable de canons protégeât la cité, et le Lyonnais Agnel de Chenclette, ancien officier d’artillerie, sut aux anciennes redoutes en ajouter de nouvelles, qui étaient autant de chefs-d’œuvre dans l’art des fortifications[20]. Avec de tels éléments de résistance, et en des circonstances qui paraissaient si propices, il n’est pas surprenant que les Lyonnais aient cédé à la dangereuse tentation de montrer la seconde ville de France tenant tête à la première. Il est vrai que l’illusion ne fut pas de longue durée. Mais, quand des luttes de ce genre sont une fois engagées, tout ce qui en retarde le dénouement en augmente la violence. Chaque coup de canon tiré sur la ville devait naturellement enflammer sa colère, et chaque coup de canon tiré par elle aggravait ses torts. C’était le jour anniversaire du 10 août que les assiégeants avaient essayé leurs batteries, établies sur le tertre de Montessuy ; et l’on racontait que c’était à une femme lyonnaise, dont il avait fait sa maîtresse, que Dubois-Crancé avait réservé, ce jour-là, le triste honneur de donner le signal du feu, après avoir reçu comme un hommage, des mains de son amant, la corde fumante. Le fait était faux, peut-être ; mais il avait circulé, et l’on y croyait[21]. Le surlendemain, arrêté par lequel le Forez était détaché de Lyon. Presque à la même date, autre arrêté qui, sur la demande des habitants de la Guillotière, réunissait ce faubourg de Lyon au département de l’Isère[22]. Il y avait là matière à commentaires sinistres, et l’on pense bien que les royalistes en tirèrent profit pour souffler la flamme autour d’eux. Aussi, quelle fut la réponse des Lyonnais à l’invitation conciliante que Dubois-Crancé et Gauthier leur firent, le 14 mai, de séparer leur cause de celle des fauteurs de la révolte[23] ? Leur réponse fut, — et elle portait vingt mille signatures : — Nous sommes sous les armes, décidés, si l’on ne nous rend justice, à nous ensevelir sous les débris de la ville. Si vous avancez, vous éprouverez ce que peuvent des hommes libres[24]. La missive ajoutait, à l’adresse de Dubois-Crancé, de Gauthier, de Laporte et de Javogues, nommément désignés dans la suscription : Si vous avez à faire des propositions, le peuple de Lyon vous somme de les lui faire adresser : on en délibérera : voilà notre dernier mot[25]. C’est ainsi que d’honnêtes et sincères républicains se trouvèrent amenés à défendre une cause qui n’était point la leur, et à inscrire leurs noms sur un document où le gouvernement de la République était bravé avec insolence par ses plus mortels ennemis ! Les représentants du peuple, dans la personne desquels la Convention était traitée de la sorte, écrivirent aussitôt au Comité de salut public : Les bombes sont prêtes, le feu rougit les boulets, la mèche est allumée. Si les Lyonnais persistent dans leur rébellion, nous ferons la guerre, demain au soir 19, à la lueur des flammes qui dévoreront cette ville rebelle. Oui, encore quelques jours, et Isnard et ses partisans iront chercher sur quelle rive du Rhône Lyon a existé[26]. Tel était l’état des choses et des esprits, lorsque le bruit se répand qu’une armée de vingt-cinq mille Piémontais, débouchant du petit Saint-Bernard et du mont Cenis, est descendue dans les vallées de Sallenche, de la Tarentaise, de la Maurienne ; que Kellermann, chargé d’arrêter l’invasion de la Savoie, s’est éloigné ; que Gauthier est parti avec lui. A cette nouvelle, les royalistes, à Lyon, tombent dans l’ivresse de la joie ; ils se préparent à jeter bien loin un déguisement qui les gêne. Leurs femmes et leurs filles se mettent à façonner des emblèmes avant-coureurs du retour des lis. Pourquoi tant de mystère ? Les rubans blancs se transforment en cocardes ; et, non contents de les porter sous leurs habits, plusieurs combattants n’hésitent plus à les étaler. Déjà même, un étendard aux fleurs de lis a été déposé dans un lieu de réserve[27]. Toutefois, une épreuve tentée alors sur l’opinion publique par quelques administrateurs royalistes n’eut pas le succès espéré. Un papier obsidional ayant été créé pour les besoins du siège, et le filigrane de ce papier se trouvant marqué d’une fleur de lis, grand nombre de citoyens s’en émurent, et l’on dut retirer ces mandats de la circulation[28]. D’un autre côté, les Girondins étaient encore si forts dans l’administration, que trente-deux prêtres, enfermés à Pierre-Scise au nom de la République, n’avaient pas été rendus à la liberté[29]. Le royalisme fut donc forcé de garder son masque, au moins dans les actes de l’administration et du commandement militaire[30] ; l’inscription République une et indivisible continua de figurer sur les portes de la ville, et les royalistes se consolèrent de la contrainte qui leur était imposée en songeant au bénéfice qu’ils en retiraient. Qu’on n’oublie pas ces paroles de l’abbé Guillon de Montléon, que nous avons déjà citées : Dès qu’on voyait la même cocarde aux assiégés et à leurs ennemis, il était naturel d’en conclure que les seconds n’en voulaient qu’à la vie et à la fortune des premiers ![31] Cependant, Dubois-Crancé n’avait pas abandonné l’espoir de fléchir, par des représentations fraternelles, l’obstination des Lyonnais, et il chargea le commissaire des guerres Pâris de leur porter la troisième des proclamations mentionnées au commencement de ce chapitre. Le ton en était très-mesuré, très-conciliant, et, en certains passages, pathétique. On n’y disait pas : Je vous somme ; on y disait : Je vous conjure[32]. Mais ce document contenait une phrase qui tendait à maintenir la situation de Lyon, précisément parce qu’elle en faisait connaître le secret : Voyez, Lyonnais, dans quel précipice vous ont entraînés les intrigants coalisés avec Pitt et Cobourg. Ils ne vous parlent de vos droits que pour vous les ravir. C’est leur tête, prête à tomber sous le glaive de la loi, qu’ils défendent[33]. Le royaliste Précy, commandant de la place ; le royaliste Roubiès, secrétaire général du Comité de salut public lyonnais ; le royaliste Milanais, président des délégués des sections ; le royaliste Rambaud, âme de la commission qui avait présidé à l’exécution de Chalier, ne pouvaient se méprendre au langage de Dubois. Une seule ressource leur restait : s’abriter derrière la résistance désespérée des Lyonnais. C’est ce qu’ils firent ; et ce fut le prêtre non assermenté Roubiès qui rédigea[34] la réponse que résumait ce mot fatal : Nous ne vous ouvrirons point nos portes[35]. Un historien de nos jours raconte[36], d’après des notes manuscrites de Pâris, que, ce dernier ayant reçu mission de Dubois-Crancé de tenter avec Précy une négociation secrète, le général des insurgés lui dit : La Convention a soif de sang ; elle veut une expiation et une leçon. Lyon est condamné, je le sais : il succombera ; mais vos soldats n’y entreront, sachez-le bien aussi, que sur des monceaux de cadavres. S’il ne s’agissait que de ma tête, je la donnerais... Mais combien de braves Lyonnais sont, comme moi, notés pour la hache du bourreau ! Mieux vaut la balle du soldat. Nous irons jusqu’au bout. Paris ayant parlé du démembrement possible de la France, comme conséquence de ces funestes dissensions : Jamais, s’écria Précy, jamais ! les Lyonnais se feraient tuer jusqu’au dernier pour défendre le territoire de la patrie. Ainsi, Lyon devait succomber ; Précy le savait, et il poussait cette malheureuse ville au-devant d’une catastrophe inévitable, sauf, quand le moment serait venu, non pas à mourir de la balle du soldat, mais, ainsi que la suite le prouve, à s’enfuir, lui et les siens, en laissant la population exposée à toutes les vengeances du vainqueur ! Il repoussait avec horreur, devant l’envoyé de Dubois-Crancé, l’image de l’invasion triomphante ; et, pendant ce temps, de l’aveu de Guillon de Montléon, lui et les siens entraient dans des transports de joie à la nouvelle de la descente des Piémontais[37] ! Les formalités requises pour la convocation des sections ayant entraîné un retard de trente-six heures dans l’envoi de la réponse que Dubois-Crancé attendait, il donna l’ordre du bombardement, auquel les assiégés ripostèrent par deux mille coups de canon. N’y avait-il donc aucun moyen d’arrêter cette lutte fratricide ? Dubois-Crancé, tentant un dernier effort, écrit, aux Lyonnais : Pourquoi, si vous vous soumettez aux lois, douteriez-vous de l’indulgence de la Convention ? Ne dites pas que vous avez juré de mourir libres. Votre liberté ne peut être que celle que toute la France a jurée. Tout autre acte de liberté prétendue est une rébellion contre la nation entière[38]. Après treize heures d’attente, il reçut pour toute réponse la notification que les citoyens, obligés de se disperser pour le service du siège, ne pouvaient plus correspondre eux-mêmes avec les représentants, et qu’il n’y avait plus d’autre moyen de s’entendre que de former un congrès de commissaires nommés de part et d’autre[39]. Le bombardement recommença. On touchait à la fin du mois d’août. La Convention apprend que Toulon vient d’être livré aux Anglais par les royalistes, et, loin de fléchir, redouble d’efforts. Pour réduire Lyon, cent bouches à feu sont tirées des arsenaux de Besançon et de Grenoble ; six compagnies d’artillerie, dix bataillons de vieilles troupes et deux régiments de cavalerie sont appelés des frontières des Alpes, et viennent renforcer le corps de siège, qui fut alors partagé en quatre divisions, formant chacune une attaque : deux à la droite du Rhône ; une dans l’isthme, entre le Rhône et la Saône, et une sur la droite de la Saône[40]. Ces diverses attaques étaient confiées aux généraux Valette, Vaubois et Rivas, placés, durant l’absence de Kellermann, sous les ordres du général Dumuy, ou plutôt de Dubois-Crancé, ingénieur habile, par qui furent conduites, en réalité, les opérations du siège. Les Lyonnais avaient, tout d’abord, occupé des postes à une et deux lieues de la place, poussé des partis jusqu’à Saint-Étienne, de manière à communiquer avec Montbrison. Si, profitant de ce que les quatre camps de Dubois-Crancé, séparés par un fleuve et une rivière, ne communiquaient entre eux qu’au moyen de deux ponts, les assiégés eussent débouché sur l’un d’eux, au nombre de dix ou douze mille hommes, en tenant l’ennemi en échec sur les autres points par des démonstrations, ils pouvaient frapper un grand coup. Mais, écrit Jomini, cette combinaison ne vint pas à la pensée de Précy, qui se contenta de disputer le terrain pied à pied, si bien, qu’il finit par être enfermé dans l’enceinte de la ville[41]. Au reste, emporter Lyon de vive force n’était pas chose facile. Entre le Rhône et la Saône, la Croix-Rousse présentait six étages de redoutes impossibles à tourner, et qu’il fallait successivement enlever avant d’être aux murs de la place. Du côté de l’est et à la sortie du pont Morand, se hérissait une redoute en fer à cheval, capable de contenir mille combattants et huit pièces de canon, très-bien construite d’ailleurs, en pierre de taille, avec un excellent fascinage et un fossé de vingt pieds de large sur douze de profondeur. A l’ouest, enfin, les hauteurs de Sainte-Foy et de Fourvières ne semblaient pouvoir être le prix que d’un heureux excès d’audace[42]. Aussi les efforts de Dubois-Crancé se bornèrent-ils, pendant tout le mois de septembre, à intercepter les subsistances de Lyon et à le resserrer, mais en multipliant, hélas ! les ravages de la canonnade et du bombardement ! La ville était trop étendue pour être endommagée dans toutes ses parties ; ce fut surtout celle que l’isthme embrassait qui eut à souffrir, à cause de l’avantage qu’offrait, pour l’établissement des batteries incendiaires, les chemins creux dont la plaine de la Guillotière est traversée. Comment rappeler, sans que le cœur se brise, ces maux affreux infligés à des Français par des Français ? Les plus beaux quartiers de Lyon s’abîmèrent sous une pluie de fer et de feu. Les somptueuses maisons qui bordaient le quai Saint-Clair tombèrent sur le passage des bombes et des boulets rouges. L’arsenal sauta, couvrant une foule de maisons particulières de ses débris enflammés[43]. Les cris convenus, que poussaient du haut des toits les femmes intrépides qui s’étaient chargées d’observer la projection des bombes et d’en suivre les paraboles étincelantes, ressemblaient de loin à des cris de miséricorde[44]. Vous eussiez dit le sanglot de la ville en détresse. Mais ce sanglot, il n’arrivait à l’oreille des assiégeants que mêlé au bruit de l’artillerie lyonnaise ; et le spectacle des flammes qui dévoraient une cité rebelle leur inspirait moins de pitié que de colère, lorsqu’à cette clarté sinistre ils avaient à ensevelir tant de morts ! Car il y eut des jours où le sol qui touchait au pied des redoutes fut tellement jonché de cadavres, que l’air en devint contagieux[45]. L’armée de Dubois-Crancé comptait dans ses rangs quatre mille pères de famille en réquisitions[46] : combien d’entre eux que leurs enfants ne devaient jamais revoir ! Et à mesure que le siège se prolongeait, l’espoir du pardon s’éloignant de plus en plus, la défense tenait de plus en plus du désespoir. Ah ! que ne furent-ils dirigés contre les envahisseurs de la patrie, les actes de courage par où se signala cette défense lamentable ! On vit des prêtres figurer dans les sorties sous l’uniforme du soldat, et une jeune couturière de dix-sept ans, Marie Adrien, servir en habit d’homme comme canonnier[47] ; on vit deux jeunes gens, Barthélémy Dujast et Laurençon, attacher sur leur tête des fusées à incendie enveloppées d’une toile goudronnée, passer le Rhône à la nage, et courir jusqu’à trois cents toises de la rive gauche du fleuve mettre le feu à des chantiers de bois de construction qui protégeaient les batteries de Dubois-Crancé[48]. Quant à ceux des habitants dont l’âme était restée fidèle au gouvernement de la République, qu’imaginer de comparable à l’horreur de leur situation ? Traîtres à la Convention et à leur conscience s’ils prenaient les armes, et passibles, dans le cas contraire, des peines portées contre les délinquants[49] ; menacés, s’ils parlaient de se rendre, d’être traduits devant une commission militaire pour propos séditieux[50], et, s’ils se taisaient, d’être désignés plus tard aux ressentiments du vainqueur, de quelles malédictions secrètes ils durent poursuivre les fauteurs de la guerre civile ! S’échapper était l’unique voie de salut qui leur fût ouverte : beaucoup s’y précipitèrent ; et l’armée assiégeante eut à partager son pain avec une multitude de pauvres ouvriers en soie, accourus au-devant d’elle. S’il en faut croire une lettre de Dubois-Crancé au Comité de salut public, le nombre des fugitifs, hommes, femmes et enfants, ne monta pas à moins de vingt mille. Pendant ce temps, Couthon faisait lever toute l’Auvergne. Nous avons déjà décrit ce prodigieux mouvement. Le général Nicolas, détaché pour l’accélérer, fut enlevé, dans le Forez, avec un détachement de hussards qui l’accompagnait[51]. Mais, cet échec ne servant qu’à rendre les appels de Couthon plus brûlants et plus efficaces, un formidable cri de guerre ébranle les montagnes du Puy-de-Dôme ; de chacun de leurs sommets roule une énorme avalanche de paysans[52] ; à l’approche d’une de leurs colonnes, un bataillon de Lyonnais, qui occupait Montbrison, se replie[53] ; et, le 17 septembre, Lyon voit arriver à Saint-Genis une ardente cohue de pâtres, armés de faux, de piques, de fourches, de fléaux. Maignet et Châteauneuf-Randon conduisaient ces rudes réquisitionnaires[54]. Javogues, de son côté, amenait ceux du Forez. Lyon sentit comme le froid de la mort. Rien à espérer des Piémontais : Kellermann venait de les repousser dans le fond de la Maurienne[55]. Vers la fin de septembre, l’armée assiégeante, renforcée d’un détachement de la garnison de Valenciennes, était forte de trente-cinq mille hommes, dont huit mille environ de troupes réglées et vingt-deux mille de réquisition[56], sans compter un nouveau renfort que Couthon, resté en arrière, promettait. La Convention et le Comité de salut public, à qui rien ne paraissait impossible, n’avaient pas attendu jusque-là pour témoigner leur surprise de la lenteur du siège ; bientôt cette surprise se changea en colère. Quoi ! éternellement canonner ! éternellement bombarder ! quand donc approcherait-on les Lyonnais à la baïonnette ? Cette impatience hautaine des pouvoirs révolutionnaires, Châteauneuf-Randon et Maignet, à peine arrivés devant Lyon, la représentèrent[57]. Dubois-Crancé, esprit méthodique, n’aurait pas voulu risquer un échec ; sachant les Lyonnais, à la veille d’être affamés, il eût préféré les réduire par la disette[58], et Gauthier partageait à cet égard son sentiment. De sorte qu’il se forma comme deux partis parmi les assiégeants, celui de Dubois-Crancé et de Gauthier, dont le quartier général était à la Pape ; et celui de Châteauneuf-Randon et de Maignet, qui établirent leur quartier général à Sainte-Foy. Mais comment la temporisation aurait-elle lutté longtemps contre l’audace, sous le règne des audacieux ? La destitution de Kellermann, accusé de mollesse[59], fut la première preuve décisive que le Comité de salut public donna de sa volonté d’en finir, et, le 26 septembre, Doppet, appelé au commandement de l’armée des Alpes, était devant Lyon[60]. Il est permis de ne pas adopter comme définitif le jugement suivant que Napoléon a porté de Doppet : Il était Savoyard, médecin et méchant ; son esprit ne se fondait que sur des considérations ; il était ennemi déclaré de tout ce qui avait du talent ; il n’avait aucune idée de la guerre, et n’était rien moins que brave. Autre est le langage de Jomini. Doppet, dit ce grand critique militaire, était une espèce de Montagnard illuminé, homme de bien pourtant, et très-propre à seconder les vues de la Convention pour la réduction de la ville rebelle[61]. Quoi qu’il en soit, Doppet n’eut pas plutôt pris la direction du siège, qu’il songea à le terminer d’un seul coup. Quelques jours auparavant, Dubois-Crancé s’était emparé de vive force de la route d’Oullins : Doppet, après en avoir conféré avec les généraux Rivas et Valette, se décide à attaquer les hauteurs de Sainte-Foy. Cette attaque fut fixée, en conseil de guerre, à quatre heures du matin, le 29 septembre. Elle devait être précédée de démonstrations sur la Croix-Rousse, les Brotteaux et le pont de la Mulatière, à la pointe de Perrache, levée qui prolonge d’une demi-lieue le quai Saint-Clair et va se terminer au confluent du Rhône et de la Saône. La journée fut sanglante. Les assiégeants ayant emporté une redoute placée entre le grand et le petit Sainte Foy, les autres batteries qui couronnaient ou flanquaient les versants de la colline sont abandonnées. De son côté, la division Valette force le pont de la Mulatière, et pousse vivement les Lyonnais à la pointe de Perrache. Précy, accouru avec sa cavalerie et une partie de sa réserve d’infanterie, parvient à arrêter le torrent ; mais ses troupes, mitraillées par les batteries que Rivas vient de placer sur les hauteurs enlevées, reculent, rentrent dans Lyon, et laissent le pont aux assiégeants. Pendant ce temps, Vaubois avait poussé avec tant de vigueur sa fausse attaque sur les Brotteaux, qu’il avait chassé les Lyonnais du faubourg ; mais il ne put s’y maintenir, foudroyé qu’il était, à son tour, par les batteries de gros calibre établies dans les retranchements du Pont-Morand, sur les quais de la rive gauche du Rhône et aux Collinettes[62]. Le 2 octobre, Couthon parut. Il arrivait avec ses rochers de l’Auvergne, impatient de les précipiter dans les faubourgs de Vaize ; et, tout d’abord, la flamme qui brûlait au fond de son cœur se répandit en adjurations passionnées. Est-ce que ce siège n’aurait pas de fin ? est-ce que Lyon retiendrait longtemps encore, misérablement cloués autour de son enceinte, les soldats destinés à reprendre Toulon aux Anglais ? Perdre une minute c’était perdre un siècle. Attendrait-on la saison des pluies ? et les torrents qui venaient de submerger plusieurs batteries dans le camp n’avertissaient-ils pas de se hâter[63] ? On avait lancé, disait-on, trente mille boulets et quatorze mille bombes sur la ville rebelle ; l’avait-on réduite ? Que parlait-on de tactique ? La tactique était l’opium des insurrections populaires. Il n’y avait, pour le peuple tout-puissant, que trois instruments de victoire : l’enthousiasme, la foi, la force. Voulait-on mettre le fer au feu, oui ou non[64] ? Il y avait déjà presque quinze jours que le peuple de Lyon n’avait plus qu’une poignée d’avoine par tête pour toute nourriture[65] : voilà ce que Dubois-Crancé opposait aux discours emportés de Couthon. Il ne cachait pas, d’ailleurs, que cette foule de paysans mal armés n’était à ses yeux qu’un embarras. Votre réquisition ! dit-il un jour à Couthon, cela ne vaut pas six liards[66]. Mais Couthon savait bien le contraire, et, mieux que son collègue, il comprenait en quoi consistait le nerf de la Révolution. Dubois-Crancé se trouva tout à coup presque isolé dans le camp, et condamné à Paris. On se rappelle qu’au sein du Comité de salut public Robespierre, Saint-Just et Couthon formaient un parti auquel faisait contre-poids celui de Billaud-Varenne, Collot-d’Herbois et Barère. Ceux-ci, pour enlever à Couthon la gloire de soumettre les Lyonnais, auraient bien voulu que Dubois-Crancé, par un coup décisif, terminât l’affaire avant l’arrivée de son collègue[67]. Mais plus leur désir à cet égard était violent, plus l’obstination de Dubois-Crancé à temporiser les irrita. Pour ne pas laisser sans chef l’armée qui tenait tête aux Piémontais, Dubois-Crancé avait cru devoir suspendre l’envoi de l’arrêté qui destituait Kellermann[68] ; cet acte, dont le motif était louable, mais la forme arbitraire, fut l’objet d’une véhémente dénonciation de Billaud-Varenne ; sur quoi, la Convention prononça le rappel de Dubois-Crancé et de Gauthier[69]. Une lettre particulière de Robespierre et de Saint-Just avait annoncé à Couthon, qui du reste ne la provoqua point[70], cette décision souveraine, et cela avant même qu’elle eût été rendue, tant elle était considérée comme inévitable[71]. Il ne crut donc pas devoir en attendre la notification officielle et définitive ; et, dans la nuit du 6 au 7 octobre, il fit imprimer, au quartier général de Sainte-Foy, une proclamation destinée à apprendre aux Lyonnais, en leur adressant une sommation dernière, que c’était à lui qu’ils avaient maintenant à répondre. Il ajoutait : Que les hommes qui n’ont pas de crimes à se reprocher soient tranquilles ; leurs personnes et leurs propriétés seront respectées. La loi ne frappe que les coupables. Nous donnons ordre de suspendre le bombardement jusqu’à demain quatre heures du soir. Si, à cette heure, votre réponse n’est pas arrivée, le feu du peuple reprend, et ne cessera plus que la justice nationale ne soit satisfaite[72]. La sommation fut portée, le 7, à Lyon, par un trompette. Elle était en plusieurs paquets, à l’adresse des sections ; et, comme on craignait que cet appel suprême ne fût soustrait par les meneurs à la connaissance du peuple, des personnes affidées avaient reçu mission d’en jeter des copies dans les divers quartiers de la ville[73]. La face des choses, depuis quelque temps, y était bien changée. L’aspect de tant de maisons en ruines ; les larmes de tant de mères en deuil ; l’accroissement indéfini du nombre des blessés et des morts ; la disette devenue telle, qu’on n’avait plus pour nourriture qu’un peu d’avoine et la chair des chevaux tués, tout tendait à décourager l’esprit de résistance[74]. Précy eut beau faire placarder sur les murs une proclamation où il disait, en style de caserne : J’invite les bons citoyens à dénoncer les j..... f..... qui se cachent dans la ville[75], cela n’empêcha pas le nombre de ceux qui manquaient à l’appel d’augmenter de jour en jour, d’heure en heure. Et puis, le cœur était revenu aux vaincus du 29 mai. Leurs émissaires parcouraient les ateliers, poussant le peuple à secouer le double joug du royalisme déguisé et de la faim. La femme d’un négociant lyonnais était sortie de Lyon, dès le 5, avec deux enfants en bas âge, pour aller faire part à Dubois-Crancé de son dessein de soulever la population, dût-elle y laisser la vie[76] : car il ne faut pas perdre de vue qu’une commission militaire était appelée à juger en dernier ressort, à Lyon, les délits concernant la sûreté publique pendant le siège ; et déjà quatre personnes, par sentence de cette commission, avaient été fusillées[77]. La femme Rameau tint parole. Elle retourne à Lyon, sans y ramener ses enfants ; court de quartier en quartier répandre les sentiments qui l’animent, ameute les ouvriers en soie, et rend à la République les canonniers de garde à la porte Saint-Clair[78]. Telle était la situation, lorsque le trompette envoyé par Couthon entra dans la ville. Les administrateurs n’osent convoquer les sections, prévoyant trop leur réponse. Mais le peuple se rassemble en tumulte, se présente à la Commune, et demande impérieusement communication dés paquets reçus. Il fallut promettre que les sections seraient consultées ; et les administrateurs, qui ne cherchaient plus qu’à gagner du temps, pour faciliter à Précy, à ses compagnons d’armes et à eux-mêmes des moyens sûrs d’évasion, renvoyèrent au lendemain, 8 octobre, la convocation voulue par le peuple[79]. Ainsi, leur unique préoccupation maintenant était... la fuite ; la fuite, en abandonnant à des vengeances qu’ils prévoyaient devoir être terribles cette cité qu’eux seuls avaient mise au bord de l’abîme ! Un magnanime jeune homme, Laurent Ponthus Loyer, crut pouvoir prévenir ce qu’il regardait comme un déshonneur. Il va trouver les chefs et leur dit : Au quatorzième siècle, pour détourner la vengeance d’Édouard III, Eustache de Saint-Pierre et quelques autres habitants de Calais s’avancèrent à sa rencontre, la corde au cou, en victimes expiatoires. Imitons-les, en allant nous dévouer à la colère des assiégeants et nous charger de tout l’odieux de ce qu’ils nomment la rébellion. Ce sacrifice inattendu les désarmera sans doute, puisqu’ils sont Français ; mais, s’il entrait dans leurs desseins de nous faire périr, nous aurions du moins, en expirant, assouvi leur fureur et procuré la paix à nos concitoyens. Mais les administrateurs préférèrent[80] recourir à des négociations combinées de manière à assurer la fuite ou à la couvrir. Ils convoquèrent donc, le 8 octobre, une assemblée générale des sections où ne se trouvèrent, ni ceux d’entre eux qui s’étaient le plus signalés dans les mesures de résistance, ni Précy et les siens[81]. La délibération eut le résultat prévu. Des commissaires sont nommés pour aller traiter, avec Couthon et ses collègues, de la reddition de la ville. Les conditions imposées par ceux-ci furent que les portes, carrefours, lieux de défense intérieure et extérieure, canons et munitions de guerre seraient livrés ; qu’il y aurait désarmement général de la population ; que tout individu qui paraîtrait en armes serait fusillé ; que tous les patriotes détenus depuis le 29 mai seraient représentés aux portes de la ville, — au moment où les troupes de la Convention y feraient leur entrée ; que Précy et son état-major seraient mis en état d’arrestation[82]. Le débat durait encore, lorsque le bruit se répand, au camp de Sainte-Foy, que les rebelles se préparaient, cette nuit-là même, à une sortie : d’où la conclusion que c’était dans l’unique but de la favoriser que les commissaires lyonnais avaient été envoyés au quartier général[83]. Seulement, on n’indiquait pas d’une manière précise sur quel point devait avoir lieu la tentative de fuite. Aussitôt, sans donner le signal d’une attaque générale, Doppet ordonne partout une surveillance exacte et une bonne défensive. Mais l’ardeur d’un des postes conventionnels brusqua le dénouement. Une redoute fut emportée, du côté de Saint-Just : dans la nuit du 8 au 9 octobre, la ville se trouva ouverte[84]. Pendant ce temps, Précy avait pris ses mesures, et le 9 octobre, à six heures du matin, il débouchait sur la rive droite de la Saône, à la tête d’une troupe divisée en trois corps, dont le dernier, formant l’arrière-garde, marchait sous la conduite du comte de Virieu. Le dessein de Précy était de passer la Saône au-dessus de Trévoux, de gagner le département du Jura, de pénétrer en Suisse par les montagnes de Saint-Claude, et d’aller se ranger sous les drapeaux du prince de Condé[85]. Un instant, la fortune parut lui sourire : les deux premières divisions de sa petite armée réussirent à traverser les lignes des assiégeants ; mais la dernière fut moins heureuse. Vivement attaquée, elle fut taillée en pièces, et Virieu, son chef, qui avait, entendu la messe avant de partir, resta parmi les morts. Cet échec fut décisif. Les compagnons de Précy se découragent, se dispersent, et sont assommés comme des bêtes fauves partout où le paysan les rencontre. Précy lui-même n’échappa que par miracle. Après avoir erré plusieurs jours dans les bois, accompagné de deux des siens, Legoult et Madinier, il fut recueilli, au village de Sainte-Agathe, dans les montagnes du Forez, par un cultivateur hospitalier, chez lequel il demeura pendant neuf mois, caché au fond d’un souterrain[86]. Dès la nuit même où ils avaient appris que Lyon devait se soumettre, Couthon et Maignet s’étaient occupés des subsistances avec la plus généreuse sollicitude. Douze commissaires, envoyés par eux dans les départements voisins, firent parvenir, le 9 octobre, jour de l’entrée des troupes, une partie des provisions demandées ; mais, comme elles ne suffisaient pas, les assiégeants, par une inspiration vraiment française, gardèrent pour les assiégés la moitié de leurs rations ; si bien qu’on put dire à la lettre qu’ils étaient entrés dans Lyon le pain à la main[87]. Ce fut aussi d’un élan soudain qu’ils jurèrent de protéger les propriétés, toutes devenues nationales, ou appartenant à des patriotes, soit fugitifs, soit opprimés[88]. Couthon, de son côté, avait apporté à Lyon, avec un désir fougueux de soumettre cette ville, le parti pris de la pacifier. Sentant combien la destruction de ce foyer d’industrie importait à l’Angleterre, il eût voulu pouvoir le conserver à la République ; d’autant qu’en y consacrant ses soins, il ne faisait que se conformer à la politique qu’avec Robespierre et Saint-Just il représentait au sein du Comité de salut public. Cette politique, sans avoir encore publié son programme, se laissait déjà deviner à de clairs symptômes. Une fermeté inébranlable, mais en même temps une aversion décidée pour toute exagération, voilà ce qui la caractérisait, et ce qui venait de se révéler, à la Convention, d’une manière frappante. Le 3 octobre, l’Assemblée ayant adopté un rapport présenté par Amar contre les Girondins inculpés, et un membre ayant demandé qu’on décrétât d’accusation, comme étant leurs complices, soixante-treize de leurs collègues, signataires d’une protestation en leur faveur, Robespierre n’avait pas hésité à combattre cette dernière mesure, en termes qui méritent d’être rappelés : La Convention nationale ne doit pas chercher à multiplier les coupables, c’est aux chefs de la faction qu’elle doit s’attacher ; la punition des chefs épouvantera les traîtres et sauvera la patrie. S’il en est d’autres parmi ceux que vous avez mis en état d’arrestation, le Comité de sûreté générale vous en présentera la nomenclature, et vous serez toujours libres de frapper. Mais faites attention que, parmi les hommes que vous avez vus traîner le char des ambitieux, il en est beaucoup d’égarés... Ici, des murmures l’ayant interrompu, il reprit avec force : Je dis que vous avez ordonné un rapport sur les signataires de la protestation, et qu’il est de votre justice d’attendre ce rapport. Je dis que la dignité de la Convention lui commande de ne s’occuper que des chefs. Je dis que, parmi les hommes arrêtés, il en est beaucoup de bonne foi, mais qui ont été égarés par une faction hypocrite. Je dis que, parmi les signataires de la protestation, il s’en trouve, et j’en connais, dont les signatures ont été surprises !... Qu’on me montre de nouveaux coupables, et l’on verra si je ne suis pas le premier à appeler sur leur tête la vengeance des lois[89]. Couthon ne négligea rien pour faire prévaloir à Lyon la politique ferme, vigilante, mais modérée que Robespierre essayait à Paris. Des malveillants excitaient les soldats à violer leur serment de respecter les propriétés ; Couthon, de concert avec Laporte et Maignet, annonce que quiconque sera pris à piller sera fusillé dans les vingt-quatre heures[90]. Les vengeances privées brûlaient de s’assouvir ; Couthon fait publier par Doppet, l’écho fidèle de ses pensées, une proclamation où les soldats sont adjurés de se prêter à la répression de tout acte arbitraires[91]. Le travail s’était arrêté, paralysé par la peur ; Couthon, Laporte et Maignet ordonnent que les ateliers soient ouverts et que les relations commerciales reprennent leur cours[92]. L’esprit sectionnaire s’agitait ; Couthon, Maignet et Châteauneuf-Randon défendent aux citoyens de s’assembler en sections, jusqu’à ce que toute fermentation dangereuse ait disparu[93]. Il eût été peu équitable de comprendre dans la même catégorie ceux des rebelles qui avaient été saisis les armes à la main, et ceux qui, moins ostensiblement, s’étaient engagés dans la révolte, nul doute ne pouvant exister à l’égard des premiers, et une erreur étant possible à l’égard des seconds. Couthon, d’accord avec ses trois collègues Châteauneuf-Randon, Maignet et Laporte, institua, pour juger les cas de flagrant délit, une commission militaire, et, pour examiner les autres cas, une commission de justice populaire, procédant par voie de jurés, et soumise à une stricte observation des formes[94]. La condescendance fut même poussée jusque-là que le désarmement des Lyonnais, annoncé dès le 11 octobre, n’était pas encore commencé le 13[95]. Dubois-Crancé et Gauthier, qui, quoique frappés d’un décret de rappel, avaient sollicité et obtenu d’entrer à Lyon, n’appartenaient pas, comme Couthon, au parti des gens de la haute main ; ils relevaient du parti des gens révolutionnaires, ils suivaient la bannière portée dans le Comité de salut public par le sombre Billaud-Varenne, par le frénétique Collot-d’Herbois, et par ce Barère que sa pusillanimité même asservissait aux violents. La grande modération de Couthon leur déplut. Ils lui reprochaient d’ailleurs, dans le secret de leur cœur, la place qu’au dernier moment il était venu prendre dans la victoire. Ils s’étudièrent donc à le décrier, mais sourdement, et sans affronter son influence. Soutenus par Javogues, homme de la trempe de Collot-d’Herbois, ils commencèrent à insinuer que la fuite de Précy et de ses complices était due aux ménagements de Couthon ; ils firent remarquer que la cohorte des rebelles était sortie par l’endroit le plus favorable à son dessein, le faubourg de Vaize ; ils parurent étonnés de la lenteur mise à désarmer la population, attribuant à cette lenteur la perte de trente mille fusils pour la République ; ils trouvèrent mauvais qu’en entrant à Lyon Couthon ne se fût pas entouré d’un appareil militaire et n’eût pas montré ce visage sévère qui[96] convient au représentant d’une grande nation outragée. Ils cherchèrent enfin à se créer un parti parmi les membres de l’ancienne municipalité, ceux de l’ancien club central et quelques chefs de l’armée. Informé de ces manœuvres, Couthon les dénonce à la Convention. Mais, avant même que sa lettre fût parvenue à l’Assemblée, Robespierre et Saint-Just avaient arraché au Comité de salut public un arrêté qui changeait le rappel de Dubois-Crancé et de Gauthier en un ordre formel de les appréhender au corps et de les amener à Paris ; ordre rigoureux à l’excès, que la Convention révoqua[97] presque aussitôt après l’avoir sanctionné[98]. Cependant, quelle conduite fallait-il que l’Assemblée tînt à l’égard de Lyon ? Que la révolte eût été dirigée par des royalistes, impossible de le nier. Leur chef était ce même Précy qui, au 10 août, avait combattu dans les rangs des Suisses, et à qui Louis XVI avait, en quittant son palais, adressé ces paroles : Ah ! fidèle Précy ![99] L’état-major s’était trouvé composé de marquis et de comtes ; une foule d’émigrés, accourus de divers points, avaient combattu au premier rang ; et le but qu’ils se proposaient était assez nettement indiqué par le drapeau décoré de fleurs de lis que Doppet venait d’envoyer à la Convention[100]. Mais la ville de Lyon, prise dans son ensemble, pouvait-elle être avec justice accusée de royalisme ? Ne contenait-elle pas un grand nombre de républicains sincères, quoique opposés à la Montagne ? Le soin avec lequel les royalistes s’y étaient vus forcés de cacher leur drapeau n’avait-il rien qui parlât à des âmes républicaines ? Et n’était-ce pas ici le cas d’appliquer, en faveur des hommes de bonne foi égarés, la politique si noblement avouée par Robespierre le 3 octobre ? Il était bien évident, d’ailleurs, que ruiner Lyon, la plus riche ville de France par ses fabriques, c’était ménager à nos ennemis, à l’Angleterre surtout, un triomphe assuré sur notre industrie. Comment oublier que, sous Louis XIV, les Anglais, en guerre avec la France, avaient offert six millions pour la destruction du commerce lyonnais ? Ainsi pensaient, dans le Comité de salut public, les gens de la haute main ; la conduite de Couthon le prouve le reste ; mais tel n’était pas le sentiment des gens révolutionnaires ; et ceux ci, quand il leur arrivait d’avoir l’appui des gens d’examen, Prieur, Carnot et Lindet, formaient une majorité contre laquelle échouait, quelque grand qu’il fût, l’ascendant moral de Saint-Just et de Robespierre. Ajoutez à cela que l’idée de faire un exemple qui attestât au vieux monde ce que le monde nouveau portait en lui de puissance inexorable était la seule qui fût en rapport avec le tempérament de la Convention, la seule qui eût chance de convenir au génie exalté des Jacobins, la seule enfin qui pût emprunter de la force aux prodigieuses passions de cette époque prodigieuse. Quel cruel moment pour Robespierre que celui où ses rivaux du Comité de salut public le réduisirent à l’alternative, ou de paraître faiblir, ou de condamner, en consentant à la ruine de la seconde ville de France, et la politique de Couthon et la sienne propre ! Quoi qu’il en soit, ce fut sur un rapport présenté par Barère, au nom du Comité de salut public, que la Convention rendit, le 12 octobre, le décret le plus terrible dont il soit fait mention dans l’histoire : Il sera nommé par la Convention nationale une commission extraordinaire de cinq membres, pour faire punir militairement et sans délai les contre-révolutionnaires de Lyon. Tous les habitants de Lyon seront désarmés. Leurs armes seront distribuées sur-le-champ aux défenseurs de la République. Une partie sera remise aux patriotes de Lyon qui ont été opprimés par les riches et les contre-révolutionnaires. La ville de Lyon sera détruite ; tout ce qui fut habité par les riches sera démoli, il ne restera que la maison du pauvre, les habitations des patriotes égorgés ou proscrits, les édifices spécialement employés à l’industrie, et les monuments consacrés à l’humanité ou à l’instruction publique. Le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de la République. La réunion des maisons conservées portera désormais le nom de Ville affranchie. Il sera élevé sur les ruines de Lyon une colonne qui attestera à la postérité les crimes et la punition des royalistes de cette ville, avec cette inscription[101] : LYON FIT LA GUERRE À LA LIBERTÉ ; LYON N’EST PLUS ! La popularité est loin de valoir ce qu’elle coûte, lorsque, pour l’obtenir ou la conserver, il faut mentir aux autres et se mentir à soi-même. Couthon n’entendait certainement pas servir d’instrument à la ruine de Lyon ; et pourtant la crainte pusillanime de paraître manquer d’énergie le domina si bien, qu’ayant reçu le décret du 12 octobre il écrivit au Comité de salut public, dans une lettre destinée à être communiquée à la Convention : La lecture de votre décret du 12 du premier mois nous a pénétrés d’admiration. Oui, il faut que Lyon perde son nom. De toutes les mesures grandes et vigoureuses que la Convention nationale vient de prendre, une seule nous avait échappé, celle de la destruction totale[102]. Rien ne répondait moins qu’un pareil langage à la secrète pensée de Couthon ; et la preuve, c’est qu’il n’y conforma nullement sa conduite. Plus d’une semaine s’écoula sans que rien annonçât de sa part l’intention d’exécuter les ordres de l’Assemblée. Il avait reçu, dès le 15 octobre, le décret rend u le 12, et ce fut le 26 seulement que le signal de la destruction fut donné par lui. Comme ses infirmités l’empêchaient de marcher, il se fit placer dans un fauteuil et porter devant un des édifices de la place de Bellecour, qu’il frappa d’un petit marteau d’argent, en ayant soin de dire : La loi te frappe ![103] mot remarquable, à l’adresse des anarchistes, et qui empruntait des circonstances une signification particulière ! Dans le cortège figuraient quelques hommes armés de pioches et de leviers ; mais il ne leur fut pas enjoint, même alors, d’en faire usage, et là répugnance de Couthon à détruire le foyer de l’industrie française devint de jour en jour plus marquée[104]. Tant de modération n’était pas pour plaire à ceux qu’animait un impatient et brutal esprit de vengeance ; mais, si Couthon n’avait point montré assez de courage dans ses lettres à la Convention, il en montra du moins, et beaucoup, dans chacun de ses actes. Informé que, non contents de déclamer contre les retards de la commission de justice, certains meneurs allaient jusqu’à se permettre des arrestations arbitraires, il signa et fit signer à ses collègues Maignet, Laporte et Châteauneuf-Randon, l’arrêté suivant : Nul ne pourra être privé de sa liberté qu’en vertu d’un arrêté des représentants du peuple, ou d’un mandat d’arrêt d’une autorité constituée. — Tout individu qui en aura fait emprisonner un autre ou qui l’aura privé de la jouissance de sa propriété par la voie, des scellés, ou autrement, sans un ordre légitime, sera considéré comme ennemi du peuple et mis en état d’arrestation. — Le fonctionnaire public qui aura abusé de sa place pour opprimer des citoyens et s’emparer de leur propriété, sera dégradé publiquement et exposé pendant trois jours consécutifs sur une des places de cette ville, avec un écriteau portant son nom, sa qualité et ces mots : Prévaricateur dans ses fonctions ! — Tous les bons citoyens sont invités, au nom de la patrie, de la justice et de l’humanité, à dénoncer avec courage aux représentants du peuple les abus, les injustices et les prévarications dont ils seraient victimes ou qui pourraient être à leur connaissance[105]. Ce n’est pas que Couthon prétendît glacer le moins du monde l’action révolutionnaire en tout ce qui touchait aux vrais intérêts de la République : loin de là ! Mais, à la politique sage et forte qu’il eût voulu inaugurer, il fallait des points d’appui ; et c’est ce qu’il ne trouva point à Lyon. Il s’aperçut bientôt qu’il risquait de s’aliéner les uns, à cause de la violence de leurs passions, et qu’il serait impuissant à ramener les autres, à cause de l’obstination de leurs préjugés. L’esprit public, écrivait-il douloureusement, est perdu en cette malheureuse ville. Il nous faut une colonie de bons citoyens, qui, transportés sur une terre pour ainsi dire étrangère à la République, y transplantent les principes révolutionnaires[106]. Autre sujet de préoccupation : Dubois-Crancé était à Paris, où il faisait retentir le club des Jacobins de ses plaintes ; et Couthon ne tarda pas à apprendre que, dans une séance de ce club soupçonneux, Collot-d’Herbois, parlant de l’évasion de Précy, s’était écrié ironiquement : ... Comment les Lyonnais ont-ils pu s’ouvrir un passage ?... Ou les rebelles ont passé sur le corps des patriotes, ou ceux-ci se sont dérangés pour les laisser passer[107]. Collot-d’Herbois ne nommait pas son collègue ; mais l’attaque était suffisamment claire. Elle avertissait Couthon des accusations meurtrières qu’il allait s’attirer, pour peu qu’il hésitât à exécuter le décret du 12 octobre. Ne voulant pas se charger de cette responsabilité sanglante, il obtint qu’on la lui épargnât, et elle fut acceptée, le 30 octobre, par deux hommes bien faits pour se présenter aux Lyonnais comme les messagers de la mort : Collot-d’Herbois et Fouché. |
[1] Proclamation du 8 mai 1795, reproduite dans les Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, t. I, chap. VIII, p. 359-442.
[2] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, p. 350-354.
[3] Voyez le Moniteur du 17 septembre 1795.
[4] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, t. I, chap. IX, p. 363-365.
[5] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, t. I, chap. VIII, p. 332.
[6] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, t. I, chap. IX, p. 408.
[7] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, t. I, chap. IX, p. 363.
[8] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, t. I, chap. IX, p. 366.
[9] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, t. I, chap. IX, p. 369.
[10] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, t. I, chap. IX, p. 379.
[11] Le mot est de l’abbé Guillon de Montléon lui-même, t. I, chap. VIII, p. 332.
[12] L’abbé Guillon de Montléon, p. 357.
[13] C’est Guillon de Montléon, un prêtre, qui dit que les royalistes ne trouvèrent pas cela mauvais en politique. (Voyez ses Mémoires, t. I, chap. VIII, p. 359.)
[14] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, chap. IX, p. 387.
[15] Voyez le Moniteur du 22 août 1793.
[16] Moniteur du 22 août 1793, séance de la Convention, du 21 août 1793.
[17] Nous avons mentionné cette lettre dans le chapitre précédent.
[18] Jomini, Histoire critique et militaire des guerres de la Révolution, t. IV, liv. V, chap. XXIV, p. 185.
[19] Voilà ce que déclare en propres termes, t. IV, p. 185, Jomini, grand théoricien militaire, comme chacun sait. On nous pardonnera d’avoir préféré son appréciation à celle de l’abbé Guillon de Montléon, qui, t. I, p. 526 de ses Mémoires, assure que l’assiette de Lyon n’était pas favorable à la défense, contrairement à ce que Dubois-Crancé fit croire aux ineptes Jacobins. (Voyez p. 330.)
[20] Guillon de Montléon, t. I., chap. VIII, p. 339.
[21] L’abbé Guillon de Montléon, t. I, chap. VIII, p. 345, l’affirme sans hésitation, mais sans citer ses autorités et sans nous apprendre comment il put savoir d’une manière certaine ce qui se passait dans le camp ennemi.
[22] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, p. 346 et 347.
[23] Voyez plus haut.
[24] Ceci en date du 17 août 1795. Voyez le Moniteur du 30 du premier mois.
[25] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, t. I, chap. IX, p. 375.
[26] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, t. I, chap. IX, p. 375 et 376.
[27] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, p. 376. — Le lecteur remarquera que c’est à un écrivain royaliste que nous empruntons tous ces faits, si caractéristiques !
[28] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, p. 375 et 376.
[29] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, p. 380.
[30] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, p. 380.
[31] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, p. 387.
[32] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, p. 401.
[33] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, p. 399.
[34] Voyez la note placée au bas de la page 408 des Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, t. I.
[35] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, t. I, p. 407.
[36] M. de Barante, Histoire de la Convention, t. III, p. 251 et 252. Édition Meline.
[37] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, chap. IX, p. 378. — Nous recommandons à ceux qui veulent savoir jusqu’à quel point l’histoire de la Révolution française a été défigurée par l’esprit de parti, la lecture des pages où M. de Barante raconte le siège de Lyon. Il n’y dit pas un mot, pas un seul mot, du rôle que les royalistes y jouèrent, comme royalistes. M. Thiers n’est pas plus explicite, et le côté politique de l’événement n’est pas même indiqué dans son récit, étriqué outre mesure. Quant à M. Michelet, il mentionne tout simplement la prise de Lyon, et, par une omission que nous ne pouvons comprendre, il ne dit rien du siège.
[38] Dépêche du 25 août 1795.
[39] Guillon de Montléon, chap. IX, p. 421.
[40] Jomini, t. IV, liv. V, chap. XXIV, p. 187.
[41] Jomini, t. IV, liv. V, chap. XXIV, p. 188.
[42] Voyez, à la suite des Mémoires du général Doppet, note E des Éclaircissements historiques, le compte rendu de la mission des représentants du peuple à l’armée des Alpes, par Dubois-Crancé.
[43] Jomini, t. IV, liv. V, chap. XXIV, p. 189. — L’Hôtel-Dieu de Lyon, sur lequel flottait un drapeau noir, courut aussi risque d’être embrasé, parce que le feu des assiégeants était attiré dans l voisinage par deux mortiers que les assiégés avaient eu la malheureuse inspiration d’y placer. Mais, que les troupes conventionnelles aient pris soi d’épargner cet asile de la faiblesse et de la douleur, c’est ce que prouvent deux faits décisifs : savoir, l’ordre exprès qui en fut donné par Dubois-Crancé, et dont le texte existe, daté du camp de la Guillotière, 22 août, eT signé Dubois-Crancé, Claude-Javogues ; puis, l’admission dans l’hôpital, des blessés appartenant à l’armée des assiégeants, admission que ces derniers, faute de chirurgiens et d’ambulance, avaient sollicitée et obtenue d la générosité des Lyonnais. Eh bien, veut-on avoir une idée du venin don le livre de l’abbé Guillon de Montléon est rempli ? Cet écrivain, je me trompe, ce libelliste, ne rougit pas de dire, t. I, chap. IX, p. 427, que le assiégeants ayant dans l’Hôtel-Dieu leurs propres blessés, y jetèrent bombes et boulets de préférence, avec plus d’acharnement que sur toute autre partie de la ville. Comme une pareille calomnie est habile ! Comme l’abomination qu’elle dénonce est vraisemblable ! Quant à l’ordre de Dubois-Crancé, dont il a le texte sous les yeux et qui évidemment, l’embarrasse, notre abbé se tire d’affaire en ces termes, p. 425 : Cet ordre ne paraît pas avoir été jamais donné !…
[44] C’est ainsi que Dubois-Crancé les qualifiait dans une de ses dépêches.
[45] Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon. — De son côté, dans le compte rendu cité plus haut, Dubois-Crancé dit : Chaque jour, ils nous tuaient du monde.
[46] Compte rendu de Dubois-Crancé, ubi supra.
[47] Guillon de Montléon, t. I, chap. VIII, p. 558.
[48] Ordonnance du 6 septembre 1795, publiée à Lyon par le conseil de guerre établi durant le siége.
[49] Ordonnance du 6 septembre 1795, publiée à Lyon par le conseil de guerre établi durant le siège.
[50] Les termes de l’ordonnance du 6 septembre sont : Il est défendu de tenir les moindres propos séditieux, sous peine d’être poursuivi extraordinairement.
[51] Compte rendu de la mission de Couthon, Châteauneuf-Randon et Maignet, par Maignet, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — 1070, 1,2. British Museum.
[52] Compte rendu de la mission de Couthon, Châteauneuf-Randon et Maignet, par Maignet
[53] Compte rendu de la mission de Couthon, Châteauneuf-Randon et Maignet, par Maignet.
[54] Guillon de Montléon, t. II, chap. XI, p. 51.
[55] Lettre des représentants du peuple près l’armée des Alpes.
[56] Compte rendu de Dubois-Crancé à la suite des Mémoires de Doppet ; n° E.
[57] Compte rendu de Maignet, ubi supra.
[58] Compte rendu de Maignet, ubi supra.
[59] Dubois-Crancé lui-même avait écrit au Comité : Kellermann est franc et loyal, mais il a de la mollesse. Voyez le Moniteur du 29 août 1793.
[60] Mémoires de Doppet, liv. III, chap. II, p. 182.
[61] Jomini, liv. V, chap. XXIV, p. 191.
Le choix qu’on fit de lui en cette occasion n’était donc pas si absurde ! Et pourtant, dans son Histoire de la Convention, t. III, p. 259,M. de Barante s’écrie triomphalement : C’est à de tels hommes que les commissaires de la Convention confiaient le commandement des armées de la République ! Il est vrai que M. de Barante cite le jugement de Napoléon et passe sous silence celui de Jomini.
[62] Voyez les Mémoires du général Doppet, liv. III, chap. III, p. 179 et 180, — Jomini, liv. V, chap. XXIV, p. 191-193.
[63] Voyez sur ce point le compte rendu de Maignet, Bibliothèque historique de la Révolution. — 1070, 1, 2. British Museum.
[64] Voyez la lettre de Couthon au Comité de salut public, dans le Moniteur du 20 du premier mois.
[65] Compte rendu de Dubois-Crancé, ubi supra.
[66] Moniteur du 21 frimaire an II (11 décembre 1793). — Séance des Jacobins.
[67] C’est ce dont témoigne une lettre qu’ils lui écrivirent le 30 septembre, et où les signatures de Robespierre et de Saint-Just ne se trouvent pas.
[68] Compte rendu de Dubois-Crancé, ubi supra.
[69] Séance du 6 octobre 1793.
[70] Compte rendu de Maignet, ubi supra.
[71] La lettre qui l’annonçait à Couthon était du 2 octobre. — Voyez le rapport de ce dernier à la Convention, séance du 18 frimaire (8 décembre 1793).
[72] Voyez Guillon de Montléon, t. II, chap. XIV, p. 192.
[73] Rapport de Couthon, dans la séance du 18 frimaire.
[74] Rapport de Binard, chirurgien de Lyon, à Dubois-Crancé et à Gauthier, extrait par Guillon de Montléon des pièces justificatives que publia Dubois-Crancé.
[75] Rapport de Binard, chirurgien de Lyon, à Dubois-Crancé et à Gauthier, extrait par Guillon de Montléon des pièces justificatives que publia Dubois-Crancé.
[76] Compte rendu de Dubois-Crancé, à la suite des Mémoires du général Doppet ; note E.
[77] Guillon de Montléon, t. II, chap. X, p. 13.
[78] Compte rendu de Dubois-Crancé ; note E des Éclaircissements historiques, à la suite des Mémoires du général Doppet.
[79] Rapport de Couthon à la Convention, séance du 18 frimaire (8 décembre 1793). — Ne se trouve pas dans le Moniteur.
[80] Peut-être plus généreusement ! dit l’abbé Guillon de Montléon, t. II, chap. XIV, p. 205. Quelle appréciation !
[81] Guillon de Montléon, p. 205.
[82] Rapport de Couthon à la Convention. — Nous le citons tel que l’indique Guillon de Montléon dans ses Mémoires, — car le Moniteur, comme nous l’avons dit, ne donne pas la séance du 18 frimaire.
[83] Mémoires du général Doppet, liv. III, chap. III, p. 192.
[84] Mémoires du général Doppet, liv. III, chap. III, p. 192.
[85] Biographie universelle, au mot PRÉCY.
[86] Biographie universelle, au mot PRÉCY. — Jomini se trompe, lorsqu’il dit, liv. V, chap. XIV, p. 194, que Précy gagna la Suisse avec huit cents hommes.
[87] Compte rendu de Maignet. — Compte rendu de Dubois-Crancé.
[88] Compte rendu de Maignet, Bibliothèque historique de la Révolution, — 1070, 1, 2. British Museum.
[89] Convention nationale, séance du 5 octobre 1793.
[90] Voyez le compte rendu de Maignet, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — 1070, 1, 2. British Muséum. — Voyez aussi Guillon de Montléon, t. II, chap. XV, p. 257.
[91] Compte rendu de Maignet, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — 1070, 1, 2. British Muséum. — Guillon de Montléon, t. II, chap. XV, 258 et 259. — Mémoires du général Doppet, liv. III, chap. III, p. 196 et 197,
[92] Guillon de Montléon, t. II, chap. XV, p. 259.
[93] Guillon de Montléon, t. II, ch. XI, p. 261. — Compte rendu de Maignet.
[94] Guillon de Montléon, t. II, ch. XI, p. 267 et suiv. — Compte rendu de Maignet.
[95] Guillon de Montléon, t. II, ch. XI, p. 271.
[96] La phrase est de Dubois-Crancé, et se trouve dans la justification qu’il publia plus tard, en réponse aux reproches de Couthon.
[97] Voyez le Moniteur du 30 du premier mois.
[98] Voyez le Moniteur du 25 du premier mois.
[99] Biographie universelle, au mot PRÉCY.
[100] Moniteur du 25 du premier mois.
[101] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 192.
[102] Moniteur du 2 du deuxième mois, 1793.
[103] Biographie universelle, au mot COUTHON.
[104] Cette grande modération de Couthon est un fait que les écrivains contre-révolutionnaires se sont vus forcés de reconnaître, tant il fut éclatant. Qu’on lise, à ce sujet, dans les Mémoires de l’abbé Guillon de Montléon, t. II, tout le chap. XVI.
[105] Arrêté du 20 octobre 1793.
[106] Moniteur du 30 du premier mois, 1793.
[107] Séance des Jacobins du 17 octobre 1793.