HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME NEUVIÈME

LIVRE DIXIÈME

 

CHAPITRE DEUXIÈME. — GUERRE DE LA VENDÉE

 

 

Le curé Bernier. — Formation du Conseil supérieur de Châtillon. — Distribution des forces républicaines en Vendée. — Inaction de Biron ; son caractère. — Les Héros de cinq cents livres ; traîtres mêlés à de bons patriotes. — Manœuvres de la trahison. — Les républicains chassés de Doué. — Aspect de Saumur. — Salomon battu à Montreuil. — Siège et prise de Saumur par les royalistes. — Menace de pillage : belle proclamation des chefs vendéens. — Leur jalousie à l’égard l'un de l'autre. — Cathelineau nommé généralissime. — Les mouchoirs rouges. — Attitude des prêtres parmi les rebelles. — Corps de volontaires nationaux, découragés. — Camp de Légé. — Démêlés entre Charette et la marquise de Goulaine. — Charette se réfugie auprès de Royrand. — Accueil qu’il reçoit. — Il retourne à son camp. — Prise de Machecoul par Charette. — Charette et Lescure concertent une attaque sur Nantes. — Les soldats de Charette tentés par l’opulence de Nantes ; provision de sacs. Dangers de la République, si l’attaque de Nantes réussissait. — Les Vendéens à Angers. — Évacuation d’Ancenis. — 80.000 Vendéens marchent sur Nantes. — Députation nantaise à la barre de la Convention. — Rapport de Choudieu. — Westermann fait une pointe sur Parthenay et s’en empare. — Affaire de Luron ; Sandoz bat en retraite pendant que ses officiers gagnent la bataille. — Aspect de Nantes. — Canclaux-Beysser. — Coustard. — Baco. — Admirable unanimité de patriotisme dans Nantes à l’approche de l'ennemi. — Le ferblantier Meuris à Nort ; héroïsme de Meuris et de ses compagnons ; service immense qu’il rend à la ville de Nantes. — Belle défense de Nantes. — Cathelineau blessé mortellement. — Levée du siège par les Vendéens. — Imitation de l’antiquité.

 

Nous avons laissé les Vendéens évacuant Fontenay[1] ; leur court séjour dans cette ville fut marqué par un fait important, la création de ce qu'ils appelèrent le Conseil supérieur.

Parmi les prêtres engagés dans la révolte figurait un curé nommé Bernier, homme séduisant de manières, d’une éloquence douce, d’une activité sans bornes, très-supérieur par l’esprit à tous ceux qui l’entouraient, mais cachant derrière tant d’avantages une soif ardente du pouvoir, le génie de l’intrigue, des mœurs dissolues, et une âme capable des plus noirs attentats[2]. Peu connu encore, à l’époque dont nous parlons, pour ce qu’il était en réalité, cet habile hypocrite jouissait, dans l’armée vendéenne, d’un ascendant qui devint bientôt décisif. Ce fut lui qui, de concert avec Bernard de Marigny et d’Elbée, imagina la formation d’un corps chargé de résoudre, sous le nom de Conseil supérieur, les questions administratives et judiciaires[3]. Le siège du nouveau pouvoir fut fixé à Châtillon ; et le Conseil, présidé par le faux évêque d’Agra, eut pour membres, outre plusieurs avocats et hommes de loi, quatre prêtres, qui furent le curé Bernier, de la Rochefoucauld, Brin, vicaire général du diocèse de la Rochelle, et Jagault, un bénédictin[4].

Mettre ainsi un pouvoir civil à côté du pouvoir militaire, c’était, pousser à la discorde ; et la rivalité ne tarda point en effet à éclater[5]. Mais le seul fait de cette institution annonçait une tendance à s’organiser et des vues d’avenir dont les républicains eurent à se préoccuper.

Comprenant enfin que, pour réduire un ennemi formidable, il ne suffisait pas de quelques bandes de citoyens armés à la bâte, le Comité de salut public résolut d’opposer aux rebelles des troupes de ligne. Trois légions, comprenant artillerie, infanterie et cavalerie, et dont l’une avait pour chef Westermann, reçurent ordre de marcher en Vendée ; à cette force on joignit des divisions de gendarmerie à pied, sous les ordres de Rossignol, d’abord ouvrier orfèvre, puis bas-officier aux gardes ; et trente mille fantassins, tirés des armées du Nord et du Rhin, furent envoyés en poste jusqu’à Orléans et Angers[6].

D’un autre côté, le Comité de salut public crut devoir l'appeler le général la Bourdonnaye et diviser l’étendue de son commandement ; de sorte que les forces destinées à combattre la rébellion se trouvèrent partagées en deux armées, l’armée des côtes de la Rochelle, s’étendant depuis l’embouchure de la Gironde jusqu’à Nantes, et l’armée des côtes de Brest, répandue depuis Nantes jusqu’à Saint-Malo[7].

Le général Canclaux commandait la seconde ; Biron, arrivé à Niort le 29 mai[8], y prit le commandement de la première.

Ce partage, trop propre à briser l’unité de la résistance, ne pouvait manquer d’avoir des résultats funestes ; et ils s’aggravèrent, nous le verrons, du peu d’accord qui existait entre les représentants en mission, dont les uns furent appelés à siéger à Nantes, d’autres à Saumur ; ceux-ci à Tours, ceux-là à Fontenay, à Niort, aux Sables. Au commencement de juin, la distribution des forces républicaines sur les points particulièrement menacés était celle-ci : à Niort, seize mille hommes ; à Thouars, que les Vendéens avaient abandonné, six mille ; à Doué, huit mille ; à Saumur, dix mille[9].

Nous avons dit quel admirable élan de patriotisme fit affluer à Niort, pour protéger cette ville, après la prise de Fontenay, les habitants des contrées circonvoisines, hommes mûrs, jeunes gens, vieillards. Le concours fut tel, qu’on craignit la famine, et qu’il fallut renvoyer ceux qui n’étaient pas en état de servir utilement, les vieillards, par exemple. Jusque-là, rien de mieux ; mais les autres, ne pouvait-on, par un mouvement impétueux et hardi, les pousser au cœur de la Vendée, en leur donnant pour point d’appui, et la garnison de Niort, et les troupes ralliées de Fontenay[10] ? Ce mouvement, exécuté avec précision, au moment même où les vainqueurs de cette dernière cité, les paysans, ne songeaient qu’à regagner leurs villages, eût peut-être empêché les chefs vendéens, tranquillement rassemblés à Châtillon, d’y mûrir le plan d’une nouvelle campagne.

Malheureusement Biron n’était pas homme à mettre à profit la puissance de l’enthousiasme populaire ; à Peine s’il était capable de la comprendre. Héritier des traditions d’une famille célèbre par d’ambitieuses galanteries et par une grande légèreté d’esprit mêlée à beaucoup de grâce, il ne reproduisait que trop fidèlement dans sa personne le type, charmant et vain, des Lauzun. brave, il l’était sans nul doute, et de cette bravoure qui s e sent aussi à l’aise devant le bourreau que devant l’ennemi. Traître, il y avait trop du lier gentilhomme en loi pour qu’il s’avilît à ce point. Mais sa jeunesse emportée, ses liaisons de plaisir avec le duc d’Orléans, ses dettes, l’insouciance fastueuse avec laquelle il lui était arrivé d’offrir des titres de cent mille francs contre vingt- cinq louis, l’éclat de ses amours, ses voyages romanesques, et jusqu’à celle guerre d’Amérique où l’élégance raffinée de sa tenue militaire scandalisa plus d’un guerrier en bonnet de laine[11], tout cela était une singulière initiation au rôle de général sans-culotte. Voici comment Mercier du Rocher le peint dans ses Mémoires manuscrits[12] : Je le vis à Tours ; un petit plumet tricolore flottait attaché à sa cocarde. Il se présenta au département d’Indre-et-Loire en courtisan. Pendant toute cette visite, il se tint debout, le chapeau à la main, à demi incliné, et parlant le langage le plus doucereux. Quant aux rebelles, il dit qu'il ne s’en inquiétait point ; qu’il les jouerait par-dessous jambes ; qu’il ne craignait que les désorganisateurs et les clubistes. — Mais, général, lui fit observer quelqu’un, si l’on vous dénonce ?Quand on est sûr d’être écouté à la Convention, répondit-il, on n’a pas peur des dénonciations. D'ailleurs, je me moque bien d’être pendu !... Il y avait là un ancien militaire qui avait perdu un bras et une cuisse. Biron le recommanda aux administrateurs, et sortit.

Tel était le général de l’armée des côtes de la Rochelle. Au fond, ses sympathies appartenaient beaucoup plus à des hommes comme la Rochejaquelein et Lescure qu’aux désorganisateurs et aux clubistes. Aussi ne se pressa-t-il pas d’entrer en campagne. Renfermé à Niort, il y passa son temps à trier les généreux volontaires que le péril y avait attirés, et à suivre des intrigues de boudoir. Or, pendant ce temps, les rebelles, déjà maîtres de Chollet, Vihiers, Coron et Vezins, chassaient successivement des villages de Concourson et de Vercher les troupes républicaines, poussaient jusqu’à Doué leurs bandes victorieuses, et, dépassant celle dernière ville, menaçaient Saumur[13]. Ce succès des Vendéens n’avait rien, au reste, de surprenant ; car on avait eu l’imprudence de placer à Concourson, à Vercher, à Doué, c’est-à-dire aux avant-postes, une légion nommée Germanique, laquelle se composait en partie de déserteurs étrangers, et des compagnies franches de nouvelle réquisition qui n’avaient jamais fait l’exercice à feu[14].

Ces compagnies franches étaient celles dont on désigna dérisoirement les soldats sous le nom de Héros de cinq cents livres, parce qu’ils avaient été levés à prix d’argent par la Commune de Paris. Et il est certain qu’au début leur conduite sembla justifier de tout point cette appellation flétrissante. Mais la suite prouva que l’armée parisienne comptait dans ses rangs un grand nombre de patriotes aussi intrépides qu’ardents, parmi lesquels une poignée de traîtres qui étendirent, au corps infesté de leur présence l’infamie que seuls ils méritaient. La manœuvre de ces misérables consistait, aussitôt le-combat engagé, à mettre le feu à un caisson, et à s’enfuir en criant : On nous trahit ! Sauve qui peut ![15] Doué fut le premier théâtre de leurs noires pratiques ; et, à Saumur, où leur fuite les avait conduits, ils ne s’occupèrent qu’à semer le désordre. A les entendre, la trahison était partout, et il ne fallait s’en prendre de la dernière déroute qu’à la perfidie du général Leygonnier. La vérité est que Leygonnier avait le commandement à Loué ; mais, ayant reçu des représentants du peuple réunis en commission à Saumur l’ordre formel de se rendre dans cette dernière ville, il se trouva qu’il était parti de Loué quand l’ennemi s’y présenta[16]. L’injustice, à son égard, se mariait donc ici à la fureur, fureur telle que, s’il eût paru, les héros de cinq cents livres l’égorgeaient sur place[17].

Aucune de ces circonstances n’était ignorée des chefs royalistes, qui avaient à Saumur beaucoup de complices secrets. Le républicanisme des habitants de cette ville paraissait, en effet, si douteux, que, lors du procès de Louis XVI, Manuel, ayant opiné pour qu’on enfermât le monarque déchu dans la citadelle de Saumur, fut accusé d’avoir voulu donner un roi aux rebelles[18]. Toujours est-il que, dès le commencement des troubles, un garde-magasin avait mis le feu aux poudres, et tenté de faire sauter la ville[19] ; et ce qui prouve assez que les habitants attendaient les Vendéens, c’est qu’à la première nouvelle de l’approche de l’armée rebelle ils s’empressèrent d’ôter de dessus leurs portes les inscriptions républicaines consacrées par l’usage à cette époque[20]. Ajoutez à cela que le désordre était à son comble dans l’armée ; que les auberges regorgeaient de soldats ou d’officiers ivres[21], et que ceux du bataillon parisien remplissaient tout de leurs clameurs, jurant qu’on voulait les mener à la boucherie, qu’ils ne marcheraient pas sans canons[22].

Aussi, quoique la place fût défendue par une garnison nombreuse, et protégée tant par son fort que par de bonnes redoutes, pratiquées à droite et à gauche de la route de Doué et aux moulins de Bournan, les chefs royalistes se décidèrent à l’attaque.

Mais par où attaquer ? On devait prévoir que le général Salomon, qui commandait, à Thouars, près de six mille hommes, s’empresserait de marcher au secours de Saumur : cette considération fil renoncer au projet de suivre la route directe ; et il fut résolu qu’on se porterait sur Montreuil-Bellay, de manière à couper la communication de Thouars à Saumur, pour attaquer ensuite par le côté naturellement le moins bien défendu[23]. Le 8 juin, l’armée vendéenne était à Montreuil. Là, elle se divisa en deux colonnes, dont l’une marcha sur Saumur, tandis fine l’autre se préparait à recevoir les troupes venues de Thouars, qu’on attendait d’un moment à l’autre[24].

L'attente fut de courte durée. Ainsi que les chefs loyalistes l’avaient prévu, le général Duhoux, qui commandait à Saumur, s’était hâté d’avertir le général Salomon, et celui-ci s’était mis en route sur-le-champ. Parti de Thouars à quatre heures du soir, il se trouvait à environ un quart de lieue de Montreuil, lorsque deux habitants de la paroisse de Saint-Marlin-du-Sauzay le viennent prévenir qu’une petite bande de brigands est en train de rançonner le village. Il y envoie aussitôt vingt-cinq cavaliers, qui rencontrent effectivement cinq ou six brigands, et les tuent à coups de pistolet. Le bruit met en éveil l’armée des rebelles, peu éloignée. Une forte colonne accourt ; les vingt-cinq cavaliers se replient, et la colonne, déployant un front qui annonçait de douze à quinze mille hommes, tombe rudement sur les troupes du Salomon, troublées de ce choc inattendu[25]. Elles essayèrent de résister, mais en vain. Outre que la partie était trop inégale, la division de Bonchamps, irritée d’être arrivée trop tard à l’affaire de Doué, avait juré de prendre sa revanche ; elle se montra terrible. La déroute des républicains fut donc complète, et ils abandonnèrent le champ de bataille, laissant à l’ennemi deux canons, cinq barriques de cartouches, beaucoup de superbes chevaux d’artillerie, et neuf cents prisonniers. Quant au nombre des morts, il fut plus considérable du côté des vainqueurs, qu’une fatale méprise, due aux ombres de la nuit, fil se fusiller les uns les autres[26].

La victoire de Montreuil encourageant les paysans, les chefs eussent inutilement tenté de les retenir, et toute J’armée se mit en marche au cri, mille fois répété, de : Vive le roi ! Nous allons à Saumur ![27]

Il avait été arrêté, parmi les chefs, que Lescure se présenterait par le pont Fouchard, en tournant les redoutes placées à l’embranchement des routes de Montreuil et de Doué ; que la Rochejaquelein suivrait la rivière le long des prairies de Varia, et que Fleuriot, Stofflet, Desessarts, iraient passer par les hauteurs au-dessus de Thoué, se dirigeant sur le château de Saumur[28].

Les trois attaques eurent lieu presque en même temps, dans la matinée du 10 juin. Une demi-heure avant l’action, trois pièces de canon avaient été enclouées près de la salle de la Comédie par un canonnier qui, depuis, paya cette trahison de sa tête[29]. L’attaque, du côté de Les- cure, eut tout d’abord un rapide succès : on tourna les redoutes, et le pont fut franchi. Mais, une halle ayant atteint Lescure au bras, les paysans, l’apercevant couvert de sang, commencèrent à plier. Il s’efforce de les retenir : une vigoureuse charge des cuirassiers de Paris les refoule en désordre et les épouvante. Dommaigné accourt à la tête de la cavalerie vendéenne, et l’engagement devient formidable. Menou, Berthier, Bourbotte, se sont jetés dans la ville, dès qu’ils l’ont vue en danger : le premier reçoit une balle dans la poitrine ; le second a deux chevaux tués sous lui ; le troisième, renversé, allait périr, lorsqu’un jeune officier met à pied à terre et lui donne son cheval. Ce jeune homme était Marceau[30]. Enfin, un coup de mitraille emporte le général vendéen Dommaigné, sa troupe est culbutée, et, la déroule devenant complète, tous les gens de Lescure s’enfuient vers l’abbaye de Saint-Florent. Malheureusement, deux caissons, qui tout à coup vinrent à verser sur le pont de Fouchard, arrêtèrent les cuirassiers et permirent à Lescure de ramener ses soldats. Passant leurs fusils à travers les roues des caissons, ils visent aux chevaux et aux yeux des cuirassiers, elle combat est rétabli à l’avantage des Vendéens[31]. Pendant ce temps, la Rochejaquelein forçait le camp républicain placé dans les prairies de Varin. Il av ait jeté son chapeau par-dessus les retranchements en criant : Qui va me le chercher ? et s’était élancé le premier[32]. Emporté par son ardeur, il pénétra au galop jusqu’à la grande place, sans regarder si on le suivait, Un seul officier l’accompagnant en effet, et tous les deux courant, éperdus, sur les fusils dont les rues étaient jonchées, et que les pieds de leurs chevaux faisaient partir[33]. Car déjà ce cri des traîtres s’était élevé du sein des bataillons de Paris : Nous sommes trahis ! Sauve qui peut ![34] et l’infanterie traversait la ville dans le plus effroyable tumulte[35].

Il était huit heures du soir. Le général Coustard, qui, sur une hauteur voisine, commandait quelques troupes fraîches, veut arracher la victoire aux rebelles, et forme le projet de les charger dans la ville. Voyant qu’ils se portaient sur les batteries de la droite pour s’emparer de la chaussée du pont Fouchard, il ordonne à deux bataillons d’aller droit au pont avec quatre pièces d’artillerie. Mais, quelques-uns de ses soldats le saisissent, l’appellent traître et le placent à la bouche d’un canon[36]. D’autres le délivrent et promettent de lui obéir. Pendant ce temps, l’ennemi s’était emparé du pont et y avait établi une batterie ; de sorte qu’il ne restait plus au général qu’un moyen de rentrer dans la ville, forcer le pont. Un détachement de cuirassiers, commandé par Weissen, reçoit l’ordre de charger. Où nous envoyez-vous ? s’écrie-t-il. — À la mort ! répond Coustard. Weissen part aussitôt, et ne revient que couvert de blessures[37], tandis que les héroïques cuirassiers, dont le corps presque tout entier fut détruit dans celle journée sombre, couvraient de leurs cadavres la place où ils avaient combattu[38]. Non moins admirable fut la conduite des soldats de Picardie ; républicains dignes de ce nom, ils aimèrent mieux se précipiter dans la Loire et y périr que se rendre[39]. Les fuyards, au nombre d’environ quatre mille, se dirigèrent, les uns vers Tours, d’autres vers la Flèche, un petit nombre vers Angers[40]. Saumur appartint aux royalistes. Restait la citadelle, qui, quoique battue à boulets rouges, tint bon durant trois heures, et dont la garnison ne se rendit qu’aux supplications des dames de la ville, à condition toutefois qu’on lui accorderait les honneurs de la guerre, et qu’elle défilerait devant l’armée catholique avec armes et bagages, ce qui fut exécuté[41].

Cette victoire coûta cher aux Vendéens, et leurs chefs y coururent, presque tous, les plus grands périls. On a vu que Lescure fut blessé au bras dans le combat, et Dommaigné tué : la Rochejaquelein eut un cheval abattu sous lui ; un coup de feu emporta l’habit de Beaugé, et un boulet de canon passa assez près de Desessarts pour lui appliquer sur la joue, par la commotion de l’air, le sabre qu’il tenait à la main[42].

Pour ce qui est des républicains, leur perte fut énorme : huit mille prisonniers et près de deux mille morts[43] ! La fameuse Marie-Jeanne avait joué, au profit des Vendéens, de la façon la plus meurtrière, et les paysans n’oublièrent jamais comment, au siège de Saumur, elle tua neuf chevaux d’un seul coup[44]. Ils lui donnèrent alors pour sœur une belle coulevrine faisant partie des quarante-six pièces de canon[45] dont ils s’emparèrent, et ils baptisèrent celle-ci Marie-Antoinette.

Immense fut le butin ; et toutefois la caisse du district échappa : Santerre l’avait emportée, et, pour assurer sa tuile, avait rompu en partie le pont de bois construit sur un des bras de la Loire[46].

Peu s’en fallut, du reste, que le triomphe des paysans ne bit souillé par d’abominables excès, comme le prouve la proclamation suivante, très-noble et très-indignée :

Nous, commandant les armées catholiques et royales, pénétrés de la plus juste horreur pour la conduite infâme de quelques soldats de l’armée catholique et royale, qui se sont permis de commettre des dégâts et pillages dans les maisons honnêtes de cette ville, et encore plus indignés de la scélératesse de quelques habitants qui désignent eux-mêmes du doigt des maisons à piller et à dévaster, déclarons et proclamons hautement que tout soldat des armées catholiques et royales atteint et convaincu des délits susmentionnés sera passé aux verges pour la première fois, et, en cas de récidive, fusillé ; et que tout habitant convaincu d’avoir provoqué au pillage d’une maison quelconque de cette ville sera sujet aux mêmes peines.

A Saumur, le 15 juin 1793, l’an 1er du règne de Louis XVII.

Bernard de MARIGNY, chevalier DESESSARTS, de la ROCHEJAQUELEIN, de LESCURE, DUHOUX d’HAUTERIVE, DONNISSAN, CATHELINEAU, DEHARQUE, d’ELBÉE, STOFFLET, de BEAUVOLLIERS, de LAUGRENIÈRE, de BONCHAMPS, réunis en conseil général[47].

 

La prise de Saumur donnait à la révolte une consistance qui appelait naturellement l’attention des chefs sur la nécessité d’une organisation plus complète et surtout d’un pouvoir militaire centralisé. Or l’homme qui semblait désigné, dans ce cas, au commandement suprême, c’était d’Elbée. Nul, en effet, qui l’égalât au point de vue des talents qu’exige la direction d’une armée ; nul qui eût mieux compris que lui le genre de tactique adapté à une guerre comme celle de la Vendée. Habile à déborder et à tourner l’ennemi, à placer en seconde ligne sa cavalerie, toujours trop faible pour être engagée, et à rendre inutile ou embarrassante celle qui lui était opposée, employant peu d’artillerie, mais l’employant à propos, rie se laissant jamais attaquer même dans un poste favorable à la défense, parce qu’il savait qu’en un pays haché et couvert toutes les chances sont en faveur de l’attaque, et d’une attaque violente, imprévue[48], d’Elbée possédait, en outre, l’art d’inspirer aux siens beaucoup de confiance et d’attachement. J’ai vu, écrit un des généraux qui eut à le combattre, j’ai vu des prisonniers vendéens verser des larmes en entendant prononcer son nom[49]. Aussi était-ce lui qui, en réalité, se trouvait avoir dirigé, depuis la fin d’avril, les opérations des armées d’Anjou et du Haut-Poitou. Mais nous avons déjà dit combien les chefs vendéens ressemblaient, par l’esprit d’indiscipline et la turbulence des ambitions privées, à la noblesse calviniste et féodale du seizième siècle : d’Elbée n’était pas sans exciter la jalousie de ses compagnons d’armes, gentilshommes ; et un secret désir de l’écarter dirigea leur choix sur un généralissime plébéien. Ils sentirent d’ailleurs — et madame de la Rochejaquelein en fait l’aveu naïf dans ses Mémoires[50] — qu’il était d’une bonne politique de flatter chez le paysan cet esprit d’égalité dont la Révolution française répandit si puissamment la contagion. Cathelineau fut donc proposé par Lescure[51], et personne n’y contredit. Roué d’une éloquence sans apprêt, mais entraînante et forte ; honnête, courageux, plein de sens, et d’une piété telle, que les paysans l’avaient surnommé le Saint de l’Anjou et se plaçaient auprès de lui, quand ils pouvaient, dans les combats, pensant qu’on ne courait pas risque d’être blessé auprès d’un si saint homme, Cathelineau méritait certainement l’honneur du choix. Mais ce qui le recommanda d’une façon plus particulière aux suffrages des nobles, ce fut son extrême modestie[52]. Stofflet, sous des dehors timides, cachait une âme rude et Hère ; il se savait l’égal des nobles et ne s’en cachait pas : Cathelineau s’offrait comme un instrument moins indocile. Le fait est que le titre dont on le para fut purement fictif : l’héroïque paysan garda sa part des travaux, des fatigues et des périls de la guerre ; mais à d’Elbée resta l’influence réelle. C’est à peine si le généralissime parut dans les Conseils, et, comme nous le verrons plus loin, des manifestes d’une importance majeure furent publiés sans sa signature[53].

La politique à laquelle Cathelineau dut l’éminence de son grade fut celle qui détermina le remplacement de Dommaigné, général de la cavalerie vendéenne, par Forestier, fils d’un cordonnier de village[54].

Ces arrangements terminés, les chefs vendéens songèrent à étendre leur empire, mais d’abord à mettre à profit les ressources nouvellement acquises. Pour employer la grande quantité de salpêtre trouvée à Saumur, ils établirent des moulins à poudre à Mortagne et à Beaupréau ; complétèrent l’apothicairerie de l’armée, assez mal fournie jusqu’alors ; envoyèrent en lieu sûr les magasins de blé formés à Chinon par les républicains, et firent fabriquer un nombre considérable de mouchoirs rouges, ce qui tint à une circonstance assez singulière. La Rochejaquelein s’était mis à porter un mouchoir rouge autour de sa tête, et plusieurs à sa ceinture pour ses pistolets. Afin d’empêcher qu’on ne le reconnût à ce costume dans les combats, ses amis l’imitèrent, et, l’exemple gagnant de proche en proche, les mouchoirs ronges devinrent à la mode dans l’armée. Or, raconte gaiement madame de la Rochejaquelein : Cet accoutrement, les vestes et les pantalons, qui étaient l’habit ordinaire des officiers, leur donnaient tout à fait la tournure de brigands, comme les républicains les appelaient[55].

Au milieu de ces dispositions, le clergé rebelle ne s oubliait pas ; et l’imposteur qui figurait à sa tête affectait toute la hauteur, toute l’inflexibilité d’un véritable pontife romain. Parmi les prêtres des paroisses du paya conquis — ils appelaient ainsi la France[56] ! — plusieurs avaient humblement rétracté leur serment à la Constitution, et demandaient à rentrer dans le giron de l’Église papale : celle amende honorable de leur part ne fut pas jugée suffisante ; et ils furent avertis, par mandement solennel, qu’aucune rétractation de serment ne serait admise, a moins que le prêtre repentant ne commençât par se soumettre aux censures ecclésiastiques. Le mandement doit signé Brin, doyen de Saint-Laurent ; Rodier, vicaire général du diocèse de Luçon ; Bernier, curé de Saint-Laud ; Doussin, prieur de Sainte-Marie de l’île de Ré ; et, eu première ligne, Gabriel, évêque d’Agra[57]. En d’autres termes, c'était sous l’invocation d’un titre usurpé, c’était au nom d’un pouvoir frauduleux, que l’abbé Guyot de Folleville suspendait les foudres du sacerdoce sur les prêtres coupables d’avoir obéi à la loi !

La situation devenait de plus en plus difficile pour les républicains en Vendée. D’une part, le Comité de salut public ne pouvait y envoyer qu’un nombre limité de troupes régulières, enchaîné qu’il était par la nécessité de garder les frontières, qu’on menaçait alors sur tous les points. D’autre part, l’abandon prolongé du foyer, la longue incertitude des événements, les cris des enfants redemandant leurs pères, les gémissements des femmes implorant le retour de leurs maris, n’étaient que trop de nature à lasser le zèle des volontaires venus de loin. Déjà les représentants du peuple en mission avaient dû, par arrêté spécial, renvoyer le quart des gardes nationaux mis en réquisition ; mais celle mesure n’avait fait qu’aggraver le mal, ceux qui restaient enviant le sort des autres et se répandant en plaintes amères. Non que le patriotisme fît défaut : quoi de plus admirable que l’aspect de Niort, le lendemain de la prise de Fontenay ? Mais l’enthousiasme qui affronte la mort n’est pas la persévérance qui se plie jusqu’au bout à la fatigue d'un éternel qui-vive et triomphe des douleurs morales de l’absence. Nous avons sous les yeux une lettre autographe adressée aux représentants du peuple en mission près de l’armée de la Rochelle par les officiers du district de Citray ; il y est dit, en substance :

Les volontaires sous nos ordres ne veulent plus servir. Fils de métayers pour la plupart, ayant des biens à faire valoir, se trouvant d’ailleurs ici soumis à toutes sortes de maux, n’ayant pas de chemise, n’ayant pas de souliers, réduits à coucher sur la dure, souvent même insultés par les hussards des troupes régulières qui leur crient : Vous n’êtes bons qu’à manger notre pain, ils attendent avec anxiété que vous décidiez de leur sort[58].

Autre lettre, celle-ci des administrateurs du département de la Haute-Vienne au général Biron :

Général, dès que le département de la Haute-Vienne eut appris que les révoltés s’étaient emparés de Bressuire et de Thouars, il arrêta la formation d’une légion à cheval composée de tous les officiers des gardes nationales du département. On pensait que des hommes qui devaient leur grade au choix de leurs camarades étaient les plus propres à former une troupe d’élite. On a vu avec regret le vœu des compagnies se porter en bien des endroits sur des pères de famille que leur âge et leurs habitudes rendent peu propres aux fatigues d’une campagne. On voulut faire un triage ; mais les plus âgés furent les plus ardents à demander qu’on les menât contre les brigands. Us croyaient qu’il s’agissait d'un coup de main et non d une campagne entière. Maintenant, voilà que les femmes et les enfants réclament leurs maris et leurs pères. Chacune de nos séances se passe à écouler leurs lamentations[59].

 

C'est peu : l’effort des Girondins proscrits pour soulever la province s’était fait sentir en Vendée comme ailleurs ; et plusieurs départements qui avaient fourni des volontaires nationaux leur mandaient secrètement de regagner leurs foyers, afin de se coaliser avec ceux dont l’intention sacrilège était de marcher sur Paris[60]. Les bataillons de Bordeaux, par exemple, qui avaient combattu avec tant d intrépidité, ne parlèrent plus, après le 31 mai, que de revenir chez eux. Boulard, commandant la division des Sables, donne, à cet égard, à Biron des détails navrants, dans une lettre datée de la fin de juin, et où s’exhale la tristesse d’une âme héroïque[61]. Vers la même époque, Samuel Camer écrivait, de Marans, que plusieurs volontaires de la Charente-Inférieure et de la Corrèze venaient de déserter ; que le bataillon de l’Égalité, excellent jusqu’alors, se montrait ébranlé par l’exemple de ceux de la Corrèze ; que, de plusieurs municipalités, arrivaient des encouragements à la désertion ; que la malveillance était à l’œuvre, prompte à débaucher les troupes, et, dans cette honteuse mission, infatigable[62].

Tout semblait donc sourire à la cause royaliste, et il est à remarquer que, tandis que l'armée de l’Anjou et du Haut-Poitou se signalait par la prise de Saumur, la fortune de la guerre, dans le Marais, ne se montrait pas moins favorable à Charette. Animé du désir de singer le général d’armée, ce hardi mais présomptueux chef de bandes avait eu l'idée de convertir en une vaste plaine le poste qu’il occupait à Légé, poste auquel de grands arbres et des baies touffues servaient de retranchements naturels. Il fit donc abattre les arbres, raser les buissons, et, de la sorte, finit par demeurer exposé de toutes parts aux attaques des républicains[63].

Toutefois il se trouvait protégé, du côté de Nantes, par une autre bande royaliste, qui, réunie aux insurgés des communes voisines de Nantes, formait un corps avancé, et avait à soutenir les sonies presque journalières des Nantais. Mais, entre cette bande, que commandait Vrignaud, et celle de Charette, il n’existait nul accord. La troupe de Vrignaud ayant peine à subsister dans le canton de Vieillevigne, alors très-peuplé, Charette, pour qui elle était un rempart, s’était engagé à la nourrir ; et, au lieu de cela, il la laissait sans pain, tandis que lui, entouré de femmes galantes et de jeunes gens efféminés, passait son temps en festins et en dansés. De là un mécontentement qu’avait soin d’enflammer la marquise de Goulaine, femme ambitieuse, fort influente, que Charette avait 'Mortellement blessée par l’ironique cadeau d’une quenouille, et qui s’en vengeait en intriguant contre lui à Vieillevigne[64].

La haine de la marquise eut un moment de triomphe. Les républicains, sortis des Sables, s’étant un jour avancés brusquement jusqu’à Palluau, l’armée de Charette fut saisie d’une terreur panique et se réfugia sur le territoire de Montaigu, où commandait Royrand. Celui-ci, homme probe et très-avare de réquisitions, vit arriver avec inquiétude des milliers débouchés à nourrir. Il fit mauvais accueil à Charette, et alla jusqu’à lui dire que du moins d fallait voir l’ennemi avant de décamper[65]. Charette apprend, sur ces entrefaites, que le poste de Saint-Colombin n’est gardé que par quatre cents républicains, tirés d’anciens régiments de ligne : impatient de se relever, et la rage dans le cœur, il court sur ce poste, l’enlève, se concerte avec Royrand, reprend son camp de Légé, culbute une colonne envoyée contre lui de Machecoul, pousse droit à la ville et s’en empare[66].

Lescure était au château de la Boulaye, lorsque ces nouvelles lui parvinrent. Il écrivit aussitôt à Charette une lettre de félicitations, à laquelle celui-ci répondit par des compliments sur la prise de Saumur ; et tel fut le point de départ d’une négociation ayant pour objet l’investissement de Nantes par les deux armées combinées[67]. Il fut convenu que Charette attaquerait Nantes par la rive gauche de la Loire, tandis que, passant le fleuve, l’armée de l’Anjou et du Haut-Poitou irait attaquer par la rive droite.

Grande entreprise ! les Vendéens n’avaient encore osé rien de pareil. Aux paysans du Marais, surtout, le projet parut superbe. Que d’injures ils allaient pouvoir venger sur ces bourgeois nantais qui, si longtemps, les avaient tenus en échec, et qu’avec une animosité envieuse ils appelaient les culottes de soie ! Et puis, de toutes les places maritimes qui communiquent avec l’Océan, Nantes n’était-elle pas, après Bordeaux, la plus commerçante ? Que de trésors apportés là par les deux à trois mille navires qui, chaque année, entraient dans le port ! El qui sait ce que ne renfermaient pas les belles maisons qui le garnissent sur une longueur de près d’une demi-lieue ! Nantes, aux yeux du paysan vendéen des côtes, c’était le Pérou, et les soldats de Charette se montraient, comme leur chef, assez légers de scrupules. Ils se préparèrent donc gaiement à ce voyage de la terre promise, et firent provision de sacs[68].

Les mêmes motifs n’existaient pas pour l’armée de l’Anjou et du Haut-Poitou, plus morale, mieux disciplinée, et moins en contact avec ce qui aurait pu, soit envenimer son ardeur, soit éveiller sa convoitise. Aussi témoigna-t-elle peu d’empressement[69]. Mais les chefs se déterminèrent par des considérations qui semblaient décisives. Les intelligences qu’ils avaient dans Nantes leur promettaient un succès, sinon certain, du moins très-probable. El quel changement une conquête de ce genre n’eût-elle pas introduit dans leur fortune ! Une fois maîtres de Nantes, ils ne pouvaient manquer de s’emparer de Paimbœuf, ils tenaient le cours de la Loire jusqu’à son embouchure, ils avaient une communication ouverte avec les Anglais, et il leur devenait facile de mettre le feu à la Basse-Bretagne et à la Normandie, où couvait déjà l’incendie. Bonchamps combattit le projet de marcher sur Nantes, mais en vain[70]. L’expédition fut résolue, et l’armée s’ébranla.

Saumur établissant une communication entre les deux rives de la Loire, l'abandonner eût été dangereux ; une garnison y fut laissée, sous les ordres de la Rochejaquelein. Mais comment y retenir des paysans qui, du champ de bataille, n’aspiraient qu’à retourner à leurs villages ? Il fallut s’engager, non-seulement à les nourrir, mais à les payer[71] : expédient qui tendait à modifier le caractère de cette guerre et à lui ôter ce qu’elle avait jusqu’alors Puisé de force dans la spontanéité, la soumission volontaire, l’élan.

Le 17 juin, les Vendéens occupaient Angers, que les habitants, frappés d’épouvante, s’étaient hâtés d’évacuer ; et, le 21, on y lisait sur tous les murs une proclamation signée d’Elbée, d’Autichamp, de Fleuriot, de Boissy, Stofflet, de Hargnes, de Fesque, laquelle menaçait de traiter comme criminel de lèse-majesté, au nom de Monsieur, régent du royaume, quiconque reconnaîtrait une autre autorité que celle de Louis XVII[72].

Il est à noter que ni Cathelineau, ni Bonchamps, ni Bernard de Marigny, ni Lescure, ne signèrent celle proclamation, quoiqu’ils eussent mis leur signature à un manifeste beaucoup moins important, publié à Angers dès le 17. Étaient-ils absents ? Quelque mésintelligence avait-elle éclaté entre eux et leurs collègues ? Ou bien, Stofflet, qui affectait souvent d’agir sans consulter tout le monde, ou même sans consulter personne[73], avait-il pris sur lui de faire acte d’autorité, en s’entendant avec d’Elbée ?

Quoi qu’il en soit, l’orgueil de leur langage semblait an moment d’être justifié par le succès de l’armée vendéenne. Car, à son approche, tout pliait, tout fuyait. Par suite de l’évacuation d’Angers, les postes de la Pointe, de Chantocé, de Saint-Georges, d’Ingrande, avaient été successivement abandonnés, ce qui mettait Ancenis dans l’impossibilité presque absolue de tenir[74] : en vain Coustard était-il accouru dans cette ville, pour empêcher la garnison débattre en retraite : la terreur des habitants, arrivée au comble, s’était répandue parmi les soldats. Ceux ci reçurent l’ordre de se replier sur le chef-lieu du département, et, le lendemain, les bataillons d’Angoulême, de l’Orne, de la Mayenne, de Seine-et-Oise, se retirèrent, suivis d’un grand nombre d’habitants. Ce départ était le signal qu’attendaient les royalistes, jusqu’alors cachés : ils firent nommer un comité composé de vingt citoyens, engagèrent ce qui restait de la population à proclamer Louis XVII, et accueillirent sans opposition la première bande royaliste qui se présenta[75]. Le 22, un courrier apportait au conseil provisoire un exemplaire de l’arrêté suivant, pris la veille à Angers :

DE PAR LE ROY ET DE MONSIEUR, RÉGENT DU ROYAME, il est enjoint au conseil provisoire de faire cuire sur-le-champ, et autant que possible, du pain pour l’approvisionnement de l’armée, et de pourvoir à tout ce qui sera nécessaire pour le logement de quarante mille hommes, etc.[76]...

Signé : D’ELBÉE, chevalier de FLEURIOT, de BOISSY, de FESQUE.

 

Le nombre des Vendéens qui marchaient sur Nantes s’élevait donc à quarante mille hommes, sans compter l’armée de Charette d’égale force[77] !

Or la ville de Nantes, ouverte de tous côtés en deçà Je la Loire, n’avait, pour défendre une contrevallation de près de deux lieues d’étendue, qu’une garnison d’environ dix mille hommes, composée en majeure partie de gardes nationales[78]. Quelques bouts de fossé, quelques épaulements ou parapets faits à la hâte, voilà en quoi consistaient les fortifications. Au dehors, pas de positions, pas d emplacements d’où l’artillerie pût jouer avec grand effet[79]. Jamais situation, en apparence, plus désespérée.

Le 22 juin, une députation envoyée par cette grande ville en détresse se présenta à la barre de la Convention, Qu’elle émut par la véhémence de ses supplications. Délaisserait-on Nantes ? Ouvrirait-on toute grande aux émigrés et aux Anglais cette porte de la France ? Ah ! le temps était passé des mesures ordinaires. Il fallait que le tocsin de la liberté sonnât d’un bout à l’autre de la République. A quoi bon endormir les alarmes ? Le péril n’était que trop imminent. Quant aux Nantais, ils avaient pris leur parti : hommes, enfants, vieillards, travaillaient à préparer la défense ; et, si le sol leur manquait pour vivre, il ne leur manquerait pas pour mourir. L’adjuration des députés se résumait en ces mots : Si nos malheurs n’obtiennent aucun soulagement, nous retournerons vers nos infortunés concitoyens... peut-être ne trouverons-nous plus que leurs cadavres ![80]

Ils finissaient à peine que, d’un ton animé, Laporte s’écrie : Je demande que la Convention fixe l’heure où le tocsin sonnera dans toute la République. Cette motion est appuyée par Legendre, mais combattue par Thuriot, comme tendant à mettre la France en combustion. Tout à coup Barère se lève, tenant à la main une dépêche, dont il s’empresse de donner lecture. Elle était du commissaire montagnard Choudieu et disait : J’arrive de Niort. Biron y est à la tête de vingt-cinq, mille hommes, dont seize mille d’excellentes troupes[81], le reste composé de gardes nationales en réquisition. — Il y a aux Sables douze mille hommes de troupes bien disciplinées, sous les ordres de Boulard. — On a eu à gémir à Niort de la négligence mise dans la construction des fours ; on ne cuit que pour un jour, et l’armée ne peut se mettre en marche sans avoir du pain pour quatre ou cinq jours d’avance. — On organise à Tours une armée qui sera au moins de vingt-cinq mille hommes. Elle se compose des troupes qui nous arrivent de Paris et des débris de la garnison de Saumur. — On s’était d’abord réuni à Angers ; mais l’esprit est si mauvais, qu’on n’a pas même parlé de se défendre... Malgré tout, ça ira, ou nous périrons[82].

Le caractère rassurant de ce rapport venait contrebalancer mal à propos les salutaires appréhensions éveillées par la supplique des députés nantais : la nouvelle d’un brillant fait d’armes de Westermann acheva, peu de temps après, de distraire l’attention de l’Assemblée. Lescure avait suivi l’armée vendéenne à Angers ; mais, pour parer sans doute au danger d’une diversion du côté de Niort, il était revenu sur ses pas, et, occupait Parthenay, lorsque Westermann, alors à Saint-Maixent, quitte brusquement son poste, se présente, le 25 juin, aux portes de Parthenay, les enfonce à coup de canon, et entre au pas de charge dans la ville. Le lendemain, il écrivit aux représentants du peuple à Niort, en leur rendant compte de ce succès : J’ai poursuivi l’ennemi jusqu’à près de trois lieues sur la route de Thouars... Là, forêts et buissons m’ont arrêté... J’ai bien cru tenir Lescure, mais je n’ai pu avoir que deux de ses chevaux. Je vous enverrai à Niort tous les bœufs que j’ai pris. Le pain, je m’en servirai pour ma troupe, et j’attendrai ici quelques heures de pied ferme cette armée prétendue catholique. En ce moment, j’entends de toutes parts sonner le tocsin pour le rassemblement : cela ne fait qu’animer davantage mes soldats, qui, quoique épuisés de fatigue, sont disposés à un nouveau combat ; mais, comme les bœufs ne peuvent combattre, ils font mon avant-garde sur Saint-Maixent. — J’ai perdu peu de monde. — Mon premier lieutenant-colonel d’infanterie est entré le premier à Parthenay sabre en main et a tranché la tête à un ecclésiastique qui tenait une mèche, prêt à mettre le feu au canon... Pas une obole n’a été prise aux habitants[83].

Le complément du compte rendu officiel se trouve dans une lettre du commissaire montagnard Goupilleau à son collègue Maignen : A Parthenay, il y a eu six cents Vendéens tués ; du coté des républicains, quelques blessés seulement. Si Westermann eût eu de bons guides, il s’emparait de Lescure, de Beaudry et de Beau repaire, qui se sont sauvés en chemise par un endroit dont on ne se défiait point. On a pris vingt mille livres pesant de pain et quarante bœufs gras[84].

Trois jours après, les républicains remportaient un avantage non moins signalé à Luçon, qu’une bande nombreuse de paysans était venue attaquer, à cinq heures du soir, sur quatre colonnes. La victoire sembla d’abord pencher du côté des paysans. Sandoz, qui commandait les républicains, croit tout perdu ; il donne le signal de la retraite ; et le bataillon de la Charente-Inférieure, recevant les ordres du général, les exécute ; mais, par un hasard fortuné, ils ne parviennent pas aux autres corps, qui continuent de se battre avec intrépidité. Un bataillon, nommé le Vengeur, fut admirable. Enfin, Boissier, à la tête de ses dragons, tombe rudement sur les Vendéens, les refoule, leur lue quatre cents hommes, et les rejette au delà du pont de Mainclaye[85].

Malheureusement ces faits d’armes étaient trop isolés et avaient lieu sur des points trop éloignés de Nantes pour que celle ville en ressentît le favorable contre-coup. Abandonnée à ses propres forces, il ne lui restait plus de sauvegarde que le courage de ses habitants. Or ce n’était pas la première fois que cette cité puissante avait à témoigner glorieusement d’elle-même devant l’histoire. Elle pouvait se rappeler avec orgueil comment, en 1343, elle avait repoussé les Anglais, et quel siège terrible elle avait, dès 445, soutenu contre les Huns. Ce vieux château qui s’élève sur le bord de la Loire à l'extrémité du cours de Saint-Pierre, un souvenir fameux, demandait qu’à tout prix on le sauvât de l’invasion des hordes catholiques : c’était là que Henri IV avait rendu, en faveur de la liberté de conscience, l’immortel édit dont la révocation par son petit-fils inonda de sang les Cévennes.

Qu’allait-il arriver ? Nantes avait eu longtemps dans son sein un ennemi cruel, la division. Deux clubs s’y étaient livré une guerre acharnée : l’un, celui de Saint- Vincent, composé de révolutionnaires pleins de feu, tels que Bachelier, Chaux, Goullin[86] ; l’autre, celui des Halles, qu’appuyait un comité des trois corps administratifs[87]. D’un autre coté, les hommes naturellement appelés Pur leur position à diriger la défense ne présentaient à la dévolution que des garanties douteuses. L’impression que pouvait donner de lui à de francs jacobins l’ex-marquis Canclaux est curieuse à observer dans le passage vivant d’un rapport lu, quelques mois plus tard, à la Convention, par Nicolas Hentz, député de la Moselle : Canclaux m’a paru un homme de l’ancien régime, moulé pour l’ancien régime, mais non pas un traître. Seulement, de telles gens, liés avec les aristocrates, dont ils aiment les manières de cour, trahissent sans s’en apercevoir. Le plus sur est de ne pas s’en servir[88].

Beysser, commandant temporaire de la ville et du château de Nantes, ne pardonnait pas aux Montagnards leur récente victoire sur la Gironde, et couvait dans sa pensée le projet de soulever contre la Convention la ville qu’il avait à défendre contrôles Vendéens[89].

Coustard, que nous avons vu figurer avec éclat dans l’affaire de Saumur, était un homme d’une bravoure aventureuse, mais d'opinions suspectes. Né dans l’île de Saint-Domingue, et venu de bonne heure en France, où il entra dans les mousquetaires, son mariage avec une Nantaise l’avait fixé à Nantes dès 1768, et on le citait pour l’audace avec laquelle, un des premiers, on l’avait vu, après la découverte de Montgolfier, monter en aérostat, aux acclamations d’une immense multitude, attirée parla nouveauté du spectacle. Elu membre de l’Assemblée législative, son attitude y avait été telle, qu’on le soupçonna d’avoir été gagné par Louis XVI ou par la reine ; et, lorsque dans la Convention il se rallia à la Gironde, ce fut de manière à laisser craindre qu’il ne penchât secrètement pour la royauté[90].Toutefois il n’existait contre lui aucune preuve, et sa conduite à Saumur avait été celle d’un citoyen et d’un soldat.

Comme Coustard, Baco, maire de Nantes, était un homme d’un courage bouillant, que relevaient encore son âge avancé et sa chevelure blanche. Mais son cœur appartenait à la Gironde : circonstance fâcheuse, dans un moment où les Girondins cherchaient à se venger de leur défaite en attisant la guerre civile, et où l’anéantissement du royalisme était au prix d’un concours sans réserve au pouvoir delà Convention.

Les chefs vendéens n’ignoraient rien de tout cela, et fondaient sur l’aveugle emportement de l’esprit de parti l’espoir d’une prompte réussite. Ils se trompèrent. L’esprit de parti, cette fois, se trouva moins fort, parmi les Nantais, que l’amour de la Révolution et le culte de la France. Les jalousies se lurent, les dissidences s’ajournèrent. Peuple et bourgeoisie s’unirent dans une sainte résolution de sauver la ville ou de périr. Il n’y avait guère, pour la garder, que cinq bataillons de troupes régulières ; mais de quels miracles n’est point capable une grande cité dont chaque habitant a fait pacte avec la mort ? On vit Baco, le maire aux cheveux blancs, le véhément vieillard, parcourir les rues, félicitant les uns, encourageant les autres, soufflant à tous son âme ardente. Merlin (de Douai), trop homme de loi pour être un guerrier, se laissa néanmoins porter de bonne grâce par l’élan général. Canclaux, qui, comme tous les militaires, n’avait de foi qu’aux militaires, songea sérieusement à organiser une défense qu’il avait d’abord jugée impossible. Que dire encore ? Ceux du club de Saint-Vincent et ceux du club des Halles se tendirent noblement la main, firent alliance pour le combat, et coururent confondre leurs rangs dans une église dont ils firent retentir les voûtes de ce cri, aussi girondin que montagnard, après tout : Vive la République ![91]

Le 28 juin au soir Canclaux fut averti par ses avant- postes qu’on apercevait au loin comme des fusées volantes et des ballons illuminés. Bientôt on entendit des bruits semblables au mugissement du taureau. C’était l’avant-garde des Vendéens, qui arrivaient, en hurlant, faute de tambours, dans des cornes de bœuf[92], pendant que l’arrière-garde s’avançait au son des cantiques[93]. Il avait été convenu entre les chefs que l’attaque aurait Heu simultanément par l’armée de Cathelineau et celle de Charette, le 29 juin, pendant la nuit, à deux heures. A deux heures, en effet, Charette était à Pont-Rousseau, d’où il tirait sur la ville à boulets rouges. Faire plus, il ne le pouvait guère ; car il lui eût fallu, pour cela, pénétrer, sur une longueur d’une demi-lieue, à travers une gorge étroite formée par les ponts de la Loire et de la Sèvre, sans pontons ni bateaux. Et cependant le caractère de ses soldats était si connu, on les savait si avides de meurtre et de butin[94], que d’un mouvement impétueux, et au nombre de vingt-cinq ou trente mille, les habitants se portèrent de ce côté, laissant dégarnies les roules de Vannes, de Rennes et de Paris. Si donc, en ce moment, l’armée de l’Anjou et du Haut-Poitou eût été à son poste, engageant le combat, c’en était fait de Nantes, sans doute. Mais l’ennemi ne parut de ce côté qu’à huit heures du matin, lorsque déjà tout était préparé pour le recevoir[95]. Qui fut le sauveur de Nantes ? un ferblantier nommé Meuris.

Cet homme, en qui le cœur d’un héros battait sous l’habit de Partisan, s’était offert à aller, avec le 3e bataillon de la Loire-Inférieure qu’il commandait, défendre Nort, point très-important que les Vendéens avaient à franchir, pour prendre à revers le camp de Saint-Georges, seul obstacle à leur attaque par les routes de Paris, de Rennes et de Vannes. Or, le 27 juin, à quatre heures du soir, un corps de quatre mille Vendéens s’était présenté devant Nort, prêt à traverser l’Erdre. Mais Meuris était là qui les attendait de pied ferme, bien qu’il n’eût à leur opposer que cinq cents hommes et deux pièces de campagne. Le feu commença et ne dura pas moins de quatorze heures[96]. La rivière paraissait profonde ; les Vendéens, n'osant risquer le passage, cherchaient un gué, ne le pouvaient trouver, hésitaient : une femme, échappée de Nort, leur indiqua l’endroit favorable. Aussitôt des cavaliers vendéens, portant des fantassins en croupe, se jettent dans l’Erdre. Les volontaires de Meuris ont épuisé leurs munitions ; mais ils savent combien il importe au salut de Nantes que la marche de l’ennemi soit retardée : ils reçoivent, la baïonnette au bout du fusil, les premiers Vendéens qui ont passé la rivière. Le gros de l’armée suivait. Les volontaires, enveloppés, presses de toutes parts, continuent de combattre avec un courage indomptable, le courage des trois cents Spartiates aux Thermopyles. Ceux qui tombaient servaient de rempart aux autres. Déjà, de ce bataillon héroïque, il ne reste plus que quarante-deux hommes. Meuris les serre autour du drapeau, et les ramène à Nantes, couverts de sang, de sueur et de poussière[97]. Le but de l’expédition était atteint, la marche de l’ennemi avait été retardée ; et à ce premier résultat d’un prix inestimable se joignit l’effet électrique que produisit sur la population un exemple de dévouement sublime.

Le camp de Saint-Georges levé, la ville fut attaquée sur sept points à la fois. De la lande de Ragon, les Vendéens de Charette s’étaient portés en foule au faubourg des Sorinières, avec trois pièces de canon et deux pierriers, le faubourg ayant été abandonné, dès le commencement. de l’attaque, par l’ordre même de Beysser, à cause de l’inutilité de ce poste et de l’incivisme de la plupart de ceux qui l’habitaient[98]. Au reste, rien ne manquait aux préparatifs faits pour la défense de Pont-Rousseau : une pièce de dix-huit, mise en batterie dans la plaine d'Orillard, enfilait le village des Sorinières ; on avait abattu les arbres qui auraient pu protéger les assaillants ou nuire au jeu des pièces républicaines ; et des postes nombreux gardaient tous les points menacés, l’artillerie des républicains, servie avec moins de vivacité, mais plus d’habileté et de succès que celle des ennemis, leur lit éprouver d’assez grandes pertes. Trois fois le drapeau blanc fut renversé[99].

Pendant ce temps, une colonne d’environ quatorze mille Vendéens arrivait parla route de Rennes, soutenue d’une grosse artillerie, et s’avançait jusqu’à une demi-portée de canon des barrières. Là commandaient Canclaux, du côté des Nantais, et, du côté des Vendéens, Cathelineau. Les batteries vendéennes furent placées sur une éminence, au milieu du grand chemin, et un corps nombreux se posta sur la gauche, tandis que, lancés sur les routes de Vannes et de Paris, de forts pelotons s’avançaient, à la faveur des blés, le long des haies, et s’emparaient de diverses maisons, d’où les assiégeants tiraient à couvert sur la ville. L’altitude des bataillons républicains fut admirable. Ils supportèrent le feu de l’ennemi avec une fermeté que rien ne put ébranler, et y répondirent sans relâche. Dirigée par l’adjudant général Billi, leur artillerie sema partout le ravage. Plusieurs canons appartenant aux assiégeants sont coup sur coup démontés ; un de leurs caissons est brisé ; leurs meilleurs pointeurs tombent l’un après l'autre et sont aperçus étendus sans mouvement à côté de leurs pièces[100].

Une lueur d’espoir, mais bien vile dissipée, brilla aux yeux des Vendéens. Le prince de Talmont était venu à Angers rejoindre l’armée. Impatient d'y signaler sa présence, il oublia, dans son ardeur, ce qu’on avait décidé au conseil de guerre, savoir, que des moyens de retraite seraient ménagés aux Nantais. Ayant avisé, vers le milieu Ou jour, une bande qui sortait de Nantes à pas précipités par la route de Vannes, il court la charger, et, en la repoussant dans la ville, ne fait qu’animer la défense[101].

De son côté, Cathelineau, à la tête de quelques centaines d’hommes intrépides, était parvenu à se glisser, le long des jardins, jusque sur la place Viarmes. Il croit la ville prise, ôte son chapeau, se jette à genoux, et, tirant son chapelet, se met à prier[102]. D’une mansarde voisine, un cordonnier le voit, le couche en joue, et Cathelineau tombe baigné dans son sang. C’était la Vendée elle-même que ce cordonnier, sans le savoir, venait de frapper au cœur !

Les hardis paysans qui avaient pénétré dans la ville ne songent plus qu’à leur chef, à ses yeux éteints, à son visage couvert d’une pâleur mortelle, et ils l'emportent en pleurant. Tout fut dit. L’armée vendéenne se trouva dissoute en un clin d’œil. Généraux, officiers, soldats, se précipitent dans des barques, et repassent la Loire en désordre, abandonnant près de cinq mille hommes sur le champ de bataille[103].

Le 30, une troupe consternée rentrait dans Ancenis, précédée d’un brancard sur lequel gisait Cathelineau[104]. Il avait été atteint d’une halle qui s’était perdue dans la Poitrine, après avoir fracassé le bras : il ne survécut que quinze jours à sa blessure. Il laissait, pour le représenter dans le combat, trois frères, quatre beaux-frères et seize cousins germains, qui, tous, périrent les armes à la main, en défendant la cause illustrée par son héroïsme[105]. D’Elbée lui succéda, mais nul ne le remplaça. Pourquoi ? Parce que, selon cette belle et forte parole de M. Michelet[106] : Dans la contre-révolution, il représentait encore la Révolution et la démocratie. Charette, dans ce désastre de la grande armée, n’avait plus rien qui le retint devant Nantes. Après un jour passé à canonner de loin la place et à danser en manière de bravade, il ramena, on pourrait dire dans son repaire, ses soldats, très-peu satisfaits d’avoir à remporter leurs sacs vides.

Quant aux Nantais, heureux d’avoir fêté par une aussi magnifique victoire le patron de la ville, — car la levée du siège de Nantes eut lieu le jour de la Saint-Pierre, — ils volèrent, pour toute récompense, aux frères d’armes de Meuris... quoi ? Des chemises, des bas et des souliers à ceux d’entre eux qui justifièrent en avoir besoin[107] : imitation de l’antiquité, qu’il est bon de rappeler, parce qu’elle caractérise l’époque.

 

 

 



[1] Voyez, dans le volume précédent, le chapitre intitulé les Girondins et la Vendée.

[2] Madame de la Rochejaquelein, toute Vendéenne qu’elle était, avoue que les Vendéens, après la guerre, reprochaient au curé Bernier des crimes qui ne laissent pas d’avoir quelque probabilité. Voyez les Mémoires de cette dame, chap. VIII, p. 151.

[3] Pièces contre-révolutionnaires, publiées par Benjamin Fillon, p. 66.

[4] Voyez la liste complète dans l’ouvrage ci-dessus, p. 68.

[5] Lettre de Cumont à Sapinaud de la Vérie. Pièces contre-révolutionnaires, publiées par Benjamin Fillon, p. 68.

[6] Mémoires sur la Vendée, par un ancien administrateur militaire des armées de la République, chap. V, p. 47.

[7] Mémoires sur la Vendée, etc., chap. V, p. 46.

[8] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 192.

[9] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 192.

[10] C’est l'opinion exprimée par un juge compétent. Voyez les Mémoires d'un administrateur des armées républicaines, chap. V, p. 48.

[11] Voyez, dans la Biographie universelle, l’article qui le concerne.

[12] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 192 et 193.

[13] Voyez, en les rapprochant, les Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VIII, p. 134-136, et les Mémoires d'un administrateur, etc., liv. II, chap. I, p 54-56.

[14] Mémoires d'un administrateur des années républicaines, liv. II, chap. I, p. 54 et 55.

[15] Voyez les Observations sur la guerre de la Vendée, par Nicolas Hentz, député de la Moselle, imprimées par ordre de la Convention, p. 5, dans la Bibliothèque historique de la Révolution, — 1046, 7-8. (British Muséum.)

[16] Mémoires sur la Vendée, par un administrateur des armées républicaines, liv. II, chap. I, p. 56.

[17] Mémoires sur la Vendée, par un administrateur des armées républicaines, liv. II, chap. I, p. 56.

[18] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 196.

[19] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 196.

[20] Mémoires sur la Vendée, par un administrateur, etc., liv. II, chap. I, p. 59.

[21] Mémoires sur la Vendée, par un administrateur, etc., liv. II, chap. I, p. 56.

[22] Rapport de Guillaud, commissaire près l’armée de Thouars.

[23] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VIII, p. 156.

[24] Lettre des commandants des armées catholiques et royales, en date de Montreuil, 9 juin 1793, dans les documents qui nous ont été communiqués par M. Benjamin Fillon.

[25] Rapport de Guillaud, commissaire du département des Deux-Sèvres près l’armée de Thouars, dans les documents sus-mentionnés.

[26] Lettre des commandants, etc., ubi supra.

[27] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VIII, p. 157.

[28] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VIII, p. 157.

[29] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 197.

[30] Mémoires sur la Vendée, par un administrateur, etc., liv. II, chap. I, p. 59.

[31] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VIII, p. 158.

[32] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VIII, p. 139.

[33] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VIII, p. 139.

[34] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 195.

[35] Extrait de la correspondance des généraux de l’armée catholique avec le conseil supérieur séant à Châtillon.

[36] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 195.

[37] Guerre des Vendéens et des Chouans contre la République française, par un officier supérieur des armées républicaines (Savary), t. I, chap. IV, p. 202.

[38] Guerre des Vendéens et des Chouans contre la République française, par Savary., t. I, chap. IV, p. 202. Extrait de la correspondance des généraux catholiques.

[39] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 195.

[40] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 195.

[41] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 195.

[42] Extrait de la correspondance des généraux catholiques.

[43] Extrait de la correspondance des généraux catholiques.

[44] Extrait de la correspondance des généraux catholiques.

[45] Madame delà Rochejaquelein exagère quand elle dit quatre-vingts. Le chiffre quarante-six est celui que donne le compte rendu officiel présenté par les vainqueurs eux-mêmes.

[46] Extrait de la correspondance des généraux de l'armée catholique, ubi supra.

[47] Documents fournis pur M. Benjamin Fillon.

[48] Cet éloge des talents militaires de d’Elbée n’est pas suspect : il vient du général républicain Turreau. Voyez ses Mémoires, liv. II, p. 62-64.

[49] Mémoires, liv. II, p. 64.

[50] Chap. VIII, p. 144.

[51] Chap. VIII, p. 145.

[52] .... On était sûr qu’il écouterait et rechercherait les conseils avec déférence. (Mémoires de madame de la Rochejaquelein, p. 141.)

[53] Il savait écrire cependant, quoi qu’on en ail dit : voici un autographe de lui, que nous avons sous les yeux :

Par ordre du commandant de l’armée catholique royalle, que le nommé Martin vande cenquante paties de foin en pailles au pri qu’il le vand.

A Doué, 15 juin 1793.

CATHELINEAU, BURRARD, DE LA ROCHEJAQUELEIN.

Il existe un autre autographe de Cathelineau, que nous trouvons cité dans les Pièces contre-révolutionnaires. C’est un bon donné par Cathelineau à une personne chez laquelle il logeait, en échange d’une culotte qu’il prit pour remplacer la sienne, déchirée dans le combat.

[54] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VIII, p. 144.

[55] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VIII, p. 147.

[56] Ce sont les termes mêmes du mandement dont il va être question.

[57] Ce mandement est sous nos yeux. C'est une des pièces faisant partie des documents inédits à nous communiqués par M. Benjamin Fillon. Le document est daté : Châtillon-sur-Sèvres, l’an 1er du règne de Louis XVII.

[58] Documents inédits faisant partie de la collection de M. Benjamin Fillon. — La lettre est signée : Vounet, commandant du bataillon ; Laubiez, lieutenant ; Lamartinière et Martin, capitaines.

[59] Documents inédits faisant partie de la collection de M. Benjamin Fillon.

[60] Lettre de Maignen, Phil.-Ch.-Aimé Goupilleau. Même collection.

[61] Même collection.

[62] Même collection.

[63] Voyez, à la suite des Mémoires de madame de la Rochejaquelein, les fragments réunis sous le litre de Éclaircissements historiques.

[64] Éclaircissements historiques.

[65] Éclaircissements historiques.

[66] Biographie universelle. Voyez l’article qui le concerne.

[67] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. IX, p. 150.

[68] Voyez le n° V des Éclaircissements historiques, à la suite des Mémoires de madame de la Rochejaquelein.

[69] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. IX, p. 155.

[70] Mémoires de madame de Bonchamps, p. 37.

[71] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. IX, p. 151.

[72] Collection de M. Benjamin Fillon.

[73] C’est ce qui venait de lui arriver à Saumur.

Pour déterminer les paysans à passer la Loire, il fit publier, de son autorité privée, que quiconque resterait était lin lâche. Voyez Madame de la Rochejaquelein, chap. IX, p. 151.

[74] Exposé des motifs qui ont déterminé l'évacuation d’Ancenis, n° 5 des Pièces justificatives, insérées à la suite de la Vie révolutionnaire des Sans-Culottes d'Ancenis.

[75] Voyez L'entrée des Vendéens à Ancenis, par M. Benjamin Fillon.

[76] L'entrée des Vendéens à Ancenis, par M. Benjamin Fillon.

[77] Mémoires du général Turreau, liv. II, p. 77.

[78] Mémoires du général Turreau, liv. II, p. 77. — On peut voir d’après l'ordre émané de d’Elbée ce qu’il faut penser de cette assertion des Mémoires de madame de la Rochejaquelein : On assure que Cathelineau n’avait pas huit mille hommes quand il arriva devant Nantes.

[79] Mémoires du général Turreau, liv. II, p. 76-77.

[80] Séance de la Convention du 22 juin 1793.

[81] C’est précisément le chiffre que donne, dans ses Mémoires manuscrits, Mercier du Rocher, qui se trouvait à Niort en ce moment, de même que Choudieu. M. Michelet se trompe donc, lorsqu’il dit, liv. XI, chap. VI, p. 97 :

Biron n’avait en réalité que trois mille soldats. Cette misérable troupe était cachée dans Niort, plutôt que logée.

[82] Voyez le Moniteur du 24 juin 1793.

[83] Lettre du général de brigade Westermann aux représentants du peuple, à Niort, en date, du 24 juin 1793. — La copie manuscrite est sous nos yeux.

[84] Autographe faisant partie des documents inédits que nous a communiqués M. Benjamin Fillon.

[85] Rapport de Sandoz, écrit de sa main, dans la collection de M. Benjamin Fillon. — Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 107 et 108. — Lettre des membres composant les conseils généraux des départements et districts réunis dans la collection sus-mentionnée.

[86] Voyez la Notice sur Bachelier, imprimée à Fontenay en 1840.

[87] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 109.

[88] Observations de Nicolas Hentz sur la guerre de la Vendée, imprimées par ordre de la Convention nationale.

[89] Voyez plus loin.

[90] Notes de M. Dugast-Matifeux.

[91] Cette scène touchante se trouve constatée d’une manière solennelle nt officielle dans le discours de l’orateur de la députation nantaise dont nous avons déjà parlé. Voyez le Moniteur du 24 juin 1793.

[92] Mémoires sur la guerre de Vendée, par un administrateur, etc., p. 66.

[93] Entrée des Vendéens à Ancenis, p. 7.

[94] Voyez, sur leurs dispositions au siège de Nantes, le paragraphe 5 des Éclaircissements historiques, à la suite des Mémoires de madame de la Rochejaquelein.

[95] Voyez les Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. IV, p. 153 et 154 ; et, dans la Biographie universelle, l’article Meuris.

[96] Biographie universelle, au mot Meuris.

[97] Biographie universelle.

[98] Rapport de Jean-Michel Beysser, commandant temporaire de la ville et du château de Nantes, aux représentants du peuple Gillot, Merlin et Coustard, commissaires de la Convention nationale prés i armée des côtes de Brest.

[99] Rapport de Beysser.

[100] Rapport de Beysser.

[101] Mémoires de madame de La Rochejaquelein, chap. IV, p. 153.

[102] Entrée des Vendéens à Ancenis, par Benjamin Fillon, p. 8.

[103] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 211.

[104] Entrée des Vendéens à Ancenis, p. 7.

[105] Voyez la Biographie universelle.

[106] Liv. XI, chap. III, p. 121.

[107] Biographie universelle, article Meuris.