HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME CINQUIÈME

LIVRE SIXIÈME

 

CHAPITRE V. — LE ROI PRISONNIER.

 

 

Voyage de Paris à Varennes. — Enchaînement inouï de fatalités. — Louis XVI reconnu. — Arrestation de la famille royale à Varennes. — Séjour dans la boutique de l'épicier Sausse. — Soulèvement des villes et des campagnes. — Vaines tentatives et retraite de Bouillé. — Départ de la famille royale pour Paris. — Les royalistes de Châlons. — Nomination de trois commissaires par l'Assemblée. — Scènes du retour. — L'intérieur de la voiture. — La famille royale traversant Paris. — Attitude de la population. — Dénouement.

 

Il existe, du voyage de Varennes, une foule de relations, presque toutes fort diverses, et remplies dé détails qui se contredisent, ou d'accusations hasardées qui ont donné lieu à d'interminables polémiques. Impossible pour l'historien d'arriver à la vérité, s'il ne joue pas en quelque sorte le rôle de juge d'instruction, qui est de confronter les témoins, d'apprécier la valeur de leurs témoignages suivant l'intérêt plus ou moins grand qu'ils peuvent avoir à déguiser la vérité, de rapprocher les dates, d'expliquer les unes par les autres les circonstances caractéristiques, et de recourir au flambeau de la vraisemblance pour dissiper l'obscurité résultant d'affirmations contradictoires. C'est ce que je me suis étudié à faire, ne m'appuyant en général que sur les assertions de ceux qui racontent ce qu'ils ont eux-mêmes vu ou entendu, et pour les cas seulement où ils n'ont pas un intérêt probable à mentir.

 

Nous avons laissé la berline roulant sur la route de Châlons.

A peu de distance de Paris, les fugitifs aperçurent un homme à cheval qui semblait toujours suivre la voiture[1] ; ils s'en inquiétèrent : mais ce nuage qui leur passa sur le cœur fut bien vite dissipé. François, disait la reine au comte de Valory, il me semble que cela va bien[2]. Ils fuyaient donc pleins de confiance. Le printemps les encourageait à l'espoir ; l'air était embaumé, la campagne resplendissante, et puis ils se sentaient libres ! Tenté par la beauté du paysage, Louis XVI voulut gravir à pied une montagne[3].... Mais à Etoges, il avait déjà fallu s'arrêter pour réparer la voiture ; et les retards s'ajoutaient aux retards ; et, à Pont-de-Somme-Vesle, l'âme remplie de trouble, le regard ardemment attaché à l'horizon, Choiseul attendait !

Il était quatre ou cinq heures de l'après-midi, lorsque, le 21 juin, la berline entra dans Châlons. Là, tandis qu'on changeait de chevaux, un homme[4] crut reconnaître le roi. Sur l'avis du maire, il se tut. La voiture passa.

Tout avait été calculé à la minute dans les dispositions prises par Bouillé, et le passage de la famille royale à Pont-de-Somme-Vesle avait été marqué pour trois heures après midi. Or, cette heure avait été de beaucoup dépassée, et Choiseul ne voyait paraître ni voiture ni courrier. Un hasard funeste fit que les paysans d'une terre appartenant à une dame d'Elbœuf ayant refusé le payement des droits non rachetables, on les avait menacés d'exécution militaire, ce qui avait causé une grande rumeur dans la contrée : quand les paysans virent arriver les hussards, ils crurent que c'était pour agir contre eux, et le tocsin sonna dans la campagne[5]. La présence des troupes avait, d'ailleurs, alarmé la population. Elle s'amassait autour des hussards, grossissait à vue d'œil, murmurait. Ah ! il s'agissait d'escorter un trésor ! Le doute se montrait sur les visages. Les paysans disaient : Les hussards sont bien fins, mais nous le sommes plus qu'eux[6]. Et déconcertés à leur tour par l'attention ironique qui les enveloppait, les cavaliers ne savaient plus que penser de tout ce mystère. Longtemps Choiseul et Goguelat consultèrent ensemble, dans l'agonie de l'anxiété[7]. Que croire ? Que résoudre ? Venait-il d'être rompu le fil auquel était en ce moment suspendu le destin de toute une génération de rois ? Fallait-il attendre, attendre encore ? Choiseul avait envoyé le coiffeur de la reine, Léonard, qui l'accompagnait, apprendre à Bouillé sa position et ses angoisses. Enfin, craignant qu'une attente plus longue ne déterminât un mouvement populaire, il leva le détachement ; et informé par Goguelat que, la veille, le passage des hussards avait excité à Sainte-Menehould une fermentation très-vive, il se décida à gagner Varennes par des chemins de traverse, abandonnant de la sorte, sans informations plus amples, les points intermédiaires, et ne laissant personne derrière lui qui pût expliquer son absence au roi.

Grande fut donc la surprise de Louis XVI à son arrivée. Il promène autour de lui des regards inquiets, il cherche Choiseul, il cherche l'escorte promise.... Personne ! Du reste, nulle rumeur sinistre. Au départ des cavaliers, les groupes s'étaient dissipés. On relaye paisiblement, on roule vers Sainte-Menehould, et on arrive en louant Dieu[8]. Dieu ne vous entendait pas, infortunés !

C'était l'heure où cessent les travaux du jour. Beaucoup de villageois avaient quitté les champs et regagné leurs demeures. Le soleil, étincelant au point le plus reculé du nord-ouest, allait rougir de ses derniers rayons le sommet des coteaux. Le moulin de Valmy apparaissait immobile.

A Sainte-Menehould, formés en groupes dans les rues, attablés avec les soldats dans les cabarets, ou assis devant leurs maisons sur des sièges de pierre, les habitants s'entretenaient avec vivacité de l'arrivée inattendue des hussards, de celle des dragons qui leur avaient succédé, de ce trésor mystérieux qui devait passer, disait-on, du bouteselle qu'on avait sonné dans la journée, de l'ordre donné ensuite de desseller[9]. Vers midi, plusieurs s'étaient portés à l'hôtel de ville, disant que tout cela n'était pas naturel ; qu'il fallait se défier de Bouillé ; que les bourgeois feraient bien de monter la garde ; que le département avait envoyé trois cents fusils neufs, et qu'il était urgent de les distribuer. L'agitation avait donc été grande, et elle durait encore.

A la dernière porte du village, vous eussiez vu, allant et venant, en robe de chambre[10], d'un pas brusque et violent, un homme dont le visage portait les traces d'une colère récente : c'était le maître de poste Drouet, un ancien dragon de Condé, jeune encore pourtant, et patriote. Cet homme avait eu, le matin même, une querelle avec l'hôtelier chez lequel Goguelat était descendu, à propos d'un cheval qu'on aurait dû lui demander à lui, et pour lequel on avait traité avec l'aubergiste[11]. Cette circonstance, en soi très-futile, ayant contribué à aigrir les soupçons éveillés dans l'âme de Drouet, le disposait à se montrer, le cas échéant, inexorable. Non loin de là, le capitaine Dandoins se promenait sur la place, en compagnie de quelques dragons, affectant une contenance tranquille[12].

Le galop d'un cheval se fit entendre, et le comte de Valory, avec sa belle veste jaune de courrier, passa devant les villageois ébahis. Ils le furent bien davantage lorsque, cinq minutes après, ils aperçurent, chargée d'une montagne de boîtes et de cartons, l'énorme berline. Tout d'abord ils crurent que c'était le prince de Condé qui était rentré en France incognito[13]. La voiture divisa le groupe des dragons. Eux, par un mouvement assez extraordinaire, puisqu'ils n'étaient pas dans le secret, ils portèrent aussitôt la main à la visière de leurs casques, tandis que la dame au chapeau rabattu les saluait à son tour avec cette grâce mêlée de dignité qu'on savait à la reine[14].

Par une de ces mille fatalités dont se composent toujours les grandes chutes, il advint qu'au moment même où la voilure s'arrêtait devant le maître de poste, Louis XVI mit imprudemment la tête à la portière[15]. La ressemblance de cette physionomie avec l'effigie d'un assignat de 50 livres frappa Drouet[16]. Il appelle un de ses camarades, et se penchant à son oreille : Guillaume, voici le roi ! Mais déjà la voiture partait. Soit ce motif, soit crainte des dragons, Drouet s'abstint d'éclater ; il ordonne à Guillaume de seller deux chevaux, les meilleurs, pour se mettre à la poursuite des fugitifs, les devancer ; court à l'hôtel de ville murmurer le terrible secret, rejoint Guillaume, et les voilà galopant sur la route de Clermont.

Ils laissaient derrière eux la tempête. Déjà ce qui n'avait été d'abord qu'un chuchotement était devenu une clameur. Le tambour battait ; les gardes nationaux demandaient de la poudre et des cartouches ; les villageois accouraient, armés de fléaux ; des garçons d'auberge accouraient armés de fourches. Dandoins, mandé à l'hôtel de ville, n'eut que le temps de glisser entre les mains du maréchal des logis La Gache un portefeuille qui contenait d'importantes dépêches, et celui-ci s'élança hors de la ville, un pistolet dans chaque main et la bride entre les dents[17]. Sorti de Sainte-Menehould, et arrivé sur la hauteur, il aperçut, loin devant lui, un homme à cheval qui allait très-vite. Il devina aussitôt dans quel dessein, et piqua des deux. Drouet courait après le roi pour le saisir, lui courut après Drouet pour le tuer.

Il faisait presque nuit. La voiture atteignit Clermont. Roi, ne chevauche plus avant ; retourne, car tu es trahi ! Ainsi avait autrefois parlé à Charles VI cette espèce de fantôme enveloppé d'un linceul qui lui apparut dans la forêt du Mans. Louis XVI venait d'avoir, lui aussi, son apparition ; à lui aussi un inconnu venait de jeter en passant ces mots redoutables : Vous êtes trahi ! On relaya néanmoins à Clermont sans accident, et même nul ne prit garde à une imprudente démarche du comte de Damas, qui, s'approchant de la voiture, se mit à causer avec la famille royale ; il avait sur la tête son bonnet de police, et se surprenait à tout instant à vouloir l'ôter[18]. Autre faute, et celle-ci se trouva être plus fatale : au moment du départ, le courrier qui était sur le siège, cria bien fort aux postillons de prendre la route de Varennes. Ceux de Sainte-Menehould qui avaient amené les voitures à Clermont, entendirent l'ordre de quitter la grand'route. Ils le dirent à Drouet qu'ils rencontrèrent en s'en retournant, de sorte que celui-ci prit la traverse et ne passa point à Clermont, où le comte de Damas l'eût peut-être arrêté[19]. Bizarre enchaînement de circonstances toutes funestes à cette famille ! En se jetant ainsi dans les bois, Drouet, du même coup, échappait à la vue du maréchal des logis qui le poursuivait[20], et se dérobait à un péril qu'il était loin de soupçonner.

Jusqu'au moment où, croyant le roi sauvé, le comte de Damas ne songea plus qu'à sortir de Clermont avec ses cavaliers, la ville fut assez calme ; mais à peine eut-il fait sonner à cheval, que tout changea de face : la ville s'était illuminée comme par enchantement, on sonnait les cloches[21]. Les municipaux coururent chez le comte de Damas, l'interrogèrent, et n'obtenant de lui aucune réponse satisfaisante, essayèrent de le retenir prisonnier[22]. Il n'échappa qu'à grand'peine, presque seul, ses dragons ayant refusé de le suivre. Toutefois, Rémy, son quartier-maître, avait déjà reçu de lui, et s'était mis fidèlement en devoir d'exécuter l'ordre de regagner la voiture avec un détachement. S'il eût rejoint la famille royale, et il le pouvait au bout d'une heure, il entrait avec elle à Varennes, et qui sait ? Le roi était sauvé. Mais la fatalité était là, toujours là ! Rémy se trompa de chemin, et près de Verdun seulement, après une marche rapide de six heures, désespéré, il s'aperçut de son erreur[23].

Ce fut une nuit étrange... Le long des routes frayées ou non frayées du Clermontois, sur le penchant de ses collines, sous l'ombre de ses bois épais, au travers de ses fondrières et de ses ravins, que de cavaliers éperdus ! Ici, Damas et les siens, là, Choiseul et Goguelat traînant après eux leurs hussards allemands ; plus loin, Rémy et ses dragons s'égarant dans les ténèbres ; ailleurs, Drouet et Guillaume, lancés à la poursuite de leur proie, poursuivis eux-mêmes ! et tous, d'un fiévreux éperon, ensanglantant le flanc de leurs montures ! Elle brûlait le pavé à son tour, la berline ; car gravir à pied les montagnes n'était plus de saison. Les morts vont vite !

Varennes, petite ville dont la population, à cette époque, n'excédait pas quinze cents âmes, est à cheval sur la rivière d'Aire, qui la partage en ville haute et ville basse. La première, adossée à une montagne, se joint à l'autre par une route étroite communiquant à un pont qu'on ne peut atteindre qu'en passant sous une voûte massive et sombre. Comme il n'y avait point de poste établie à Varennes, Bouillé y avait envoyé son second fils et le comte de Raigecourt, avec mission d'y placer un relais. Ces deux officiers, fort jeunes l'un et l'autre, étaient descendus à l'auberge du Grand Monarque, située au delà du pont, dans la ville basse, y avaient provisoirement placé le relais, et attendaient, pour le diriger vers l'endroit le plus convenable, que, conformément aux instructions reçues, un courrier les vînt avertir de l'arrivée du roi. Or, il était onze heures un quart, et aucun courrier ne s'était présenté. Seulement, un voyageur inconnu avait demandé à leur parler et les avait suppliés de lui procurer des chevaux, disant qu'il portait dans sa voiture l'habit de cérémonie du roi et les bijoux de la reine ; qu'il allait à Luxembourg ; qu'il y devait attendre les ordres de Leurs Majestés ; qu'il avait quitté le duc de Choiseul à Sainte-Menehould ; que là, de même qu'à Clermont, le peuple s'était mutiné. Cet homme était Léonard, coiffeur de la reine[24]. A son langage, les deux officiers jugèrent que le projet de fuite était manqué. Cependant ils allèrent se promener sur la route ; mais au lieu d'y rester à tout événement, ils rentrèrent à l'auberge vers onze heures et demie, montèrent dans leurs chambres et éteignirent leurs lumières... pour se mettre au lit, ont dit leurs accusateurs ; pour laisser croire qu'ils étaient couchés et prévenir tout soupçon fâcheux, ont-ils répondu dans leur défense[25].

Quoi qu'il en soit, c'était juste en cet instant que le comte de Valory entrait dans la ville haute, ne précédant que de quelques minutes la famille royale, qui, ici encore, était sauvée si le garde du corps eût été un vrai courrier et l'eût précédée d'une heure !

Un silence profond régnait partout ; la ville était endormie ; çà et là quelques fenêtres éclairées, Valory cherche en tremblant le relais, n'aperçoit rien, n'entend rien, et, consterné, revient à la voiture, qui suivait à peu de distance. Le roi, la reine, les enfants, tous s'étaient endormis ; mais tous ils venaient d'être réveillés en sursaut par ce cri sinistre d'un homme à cheval qui les avait dépassés : Postillons ! de par la nation, dételez ! Vous menez le roi ![26] Et presque aussitôt un coup de tambour ; puis encore le silence, interrompu seulement par le bruit des roues.

Sur la pente de la chaussée s'élevait une maison appartenant à un vieil officier nommé Préfontaine. On aperçut de la lumière aux croisées ; la voiture s'arrêta tout court, et de Moustier, un des trois gardes, forçant la porte de la maison, qui s'était refermée précipitamment, entra. L'ancien major était accouru en robe de chambre : Que voulez-vous ? demanda-t-il d'un ton ferme. — Il s'agit d'obliger une dame. — Nous savons bien ce que c'est, répliqua-t-il. Il s'avança vers la voiture ; échangea quelques mots avec le roi, et sur la demande qui lui en fut faite, conduisit de Moustier chez le commandant des hussards de Lauzun[27]. Mais le temps s'écoulait. Inquiète, la reine descendit, appuyée sur le bras du comte de Malden, entra dans la maison de Préfontaine[28], en ressortit presque aussitôt, erra dans les rues avec le roi, alla frapper à plusieurs portes... Toutes les recherches furent vaines. De son côté, le comte de Moustier revenait tristement vers ses maîtres : il n'avait pu trouver le commandant des hussards, qui, croyait-il, s'était enfui[29]. Il fallut proposer aux postillons de passer outre ; mais ils s'y refusaient, alléguant la fatigue de leurs chevaux. Enfin, à force d'instances, le roi obtint d'eux qu'ils le conduiraient du moins, de l'autre côté du pont, et il remonta en voiture avec la reine[30].

Drouet, pendant ce temps, le terrible Drouet était arrivé. Il court, sur la place du marché, à la taverne du Bras d'or, où quelques marchands de bestiaux se trouvaient attablés, prend à part le cabaretier, et d'un ton bref : Boniface, es-tu bon patriote ?Si je le suis !Alors, viens. Ils sortent, vont prévenir l'épicier Sausse, procureur de la commune ; ramassent cinq ou six compagnons, se rendent sous la voûte que la voiture avait à franchir, barrent le pont au moyen d'une voiture renversée, et, le fusil à la main, se tiennent en embuscade[31].

La berline approche, elle est sous la voûte : Halte-là ! vos passeports ! Et deux fusils se croisent dans la voiture par chacune des portières, tandis que le procureur de la commune dirige sur la figure du roi la lumière d'une lanterne[32]. Fallait-il résister ? Le pouvait-on ? Les gardes du corps n'avaient sur eux que des couteaux de chasse[33]. Des armes, qui devaient être déposées dans la voiture[34], avaient été oubliées. Drouet enjoignit brutalement aux voyageurs de venir chez le procureur de la commune dont la maison était tout proche, sans toutefois laisser échapper un mot qui pût faire croire que c'était le roi, que c'était la reine. A son tour, Sausse feignit de les prendre pour de simples voyageurs, examina leurs passeports, et parut les trouver en règle. Seulement il leur fit observer que leurs chevaux ne pouvaient aller plus loin sans rafraîchir ; il les priait donc de se reposer dans sa maison, où ils seraient mieux que dans la voiture[35]. La famille royale fut reçue dans une salle basse, de la porte de laquelle on pouvait voir tout ce qui se passait dans la rue. Louis XVI montrait beaucoup de sérénité. En entrant, il avait demandé à boire, sans façon : on lui apporta une bouteille de vin de Bourgogne et du fromage[36]. La reine s'assit en silence.

Sausse se répandait en propos insignifiants, sortait d'intervalle en intervalle, comme pour voir si les chevaux étaient prêts, mais en réalité pour donner les ordres nécessaires[37]. Louis XVI, qui commençait à s'alarmer de ces allées et venues, lui dit : Restez, votre conversation me plaît. Mais déjà tout avait pris feu ; Drouet sonnait le tocsin d'une main furieuse ; on battait la générale ; les habitants sautaient à bas de leurs lits, s'armaient ; la ville s'illuminait, et des courriers, expédiés par Sausse, allaient dans toutes les directions faire lever les paroisses voisines. Les réquisitions du procureur-syndic étaient en ces termes : Vite, partez avec des armes et des canons ; envoyez de la garde nationale. Vite ! le roi est ici avec la famille royale. Vite ! vite ![38] Quand Sausse crut le moment venu, il dit à Louis XVI, en lui montrant du doigt un cadre suspendu à la muraille : Sire, voilà votre portrait !Eh bien, oui, mon ami, répondit Louis XVI avec émotion, je suis le roi[39].

Choiseul, Goguelat et leurs cavaliers allemands approchaient de Varennes. Ils auraient pu y arriver beaucoup plus tôt, sans un des innombrables accidents qui marquèrent cette fatidique épopée. La nuit les ayant surpris dans les bois, au milieu des fondrières, un hussard tomba dans un trou profond, s'évanouit ; et comme ses camarades ne voulurent pas l'abandonner, il fallut perdre trois quarts d'heure à le chercher, à le ramasser, à lui faire reprendre connaissance[40]. De sorte que Choiseul et Goguelat n'atteignirent Varennes que vers minuit et demi, une heure et demie environ après l'arrestation du roi, quand déjà les gardes nationales accouraient de toutes parts, et qu'au bruit du tambour, au bruit des cloches, le jeune chevalier de Bouillé s'était, avec son compagnon Raigecourt, enfui vers son père[41].

Ce ne fut pas sans peine que Choiseul gagna la caserne, où il espérait trouver les soixante hussards de Rodwell ; car deux hommes s'étaient pendus à la bride de son cheval et lui criaient que son devoir était d'obéir à la municipalité, de ne connaître qu'elle[42] ! Il parvint à se dégager pourtant ; mais, arrivé à la caserne, il apprit que le roi était arrêté ; que les soixante hussards étaient tous dispersés et à boire dans la ville[43]. Rodwell, leur commandant, parut seul ; mais lui-même il ne tarda pas à abandonner son poste, laissant le commandement à un maréchal des logis, qui, étant patriote, retint ses hommes dans l'inaction la plus complète[44].

Choiseul ne pouvait donc disposer que des quarante hussards qu'il avait amenés de Pont-de-Somme-Vesle. Ignorant quel sort l'attendait, il prit à part leur officier, nommé Boudet, lui remit les diamants de madame Élisabeth, avec prière, s'il était tué, de les porter au comte de Provence ; puis, se tournant vers les hussards, il leur dit, d'une voix émue, que la famille royale était prisonnière ; qu'il fallait la délivrer ou mourir. Les hussards, étonnés, se regardaient l'un l'autre en disant : Der Kœnig ! die Kœnigin ! Le roi ! la reine ! Choiseul commanda : Sabre à la main, et les conduisit au grand trot à la maison du procureur de la commune[45]. Elle se trouvait alors remplie de monde. Le roi et sa famille étaient montés au premier étage.

En descendant de cheval, Choiseul rencontra sur le seuil le comte de Damas, qui venait d'arriver à l'instant même : Êtes-vous en force ?Je suis seul, mon régiment a refusé. Suivi du comte de Damas et du baron de Goguelat, Choiseul s'enfonça dans un escalier tournant qui menait au premier étage. A l'entrée de la chambre où était le roi, se tenaient deux paysans armés de fourches. Ils firent mine de défendre la porte ; mais le duc les écarta et entra l'épée au poing[46].

Spectacle navrant ! sur un lit en désordre, l'enfant royal dormant tout habillé et d'un profond sommeil ; près de lui, madame de Tourzel, la tête dans ses mains ; contre la fenêtre, madame Élisabeth, la sœur du dauphin ; plus loin, causant avec l'épicier, le roi, la reine ; dans le fond, les trois gardes du corps assis ; et, sur une table, du pain, une bouteille, quelques verres[47].

Louis XVI, sa femme, sa sœur, s'avancèrent presque joyeux, et reçurent avec bonté des visiteurs dont ils connaissaient le dévouement. Que faire ? demanda le roi. Le comte de Damas répondit : Sire, vous sauver[48]. Choiseul reprit : Sire, j'ai ici quarante hussards. Je vais en démonter sept. Vous monterez un des chevaux, tenant M. le dauphin dans vos bras ; la reine en montera un, Madame Royale un autre, madame de Tourzel et Madame Élisabeth chacune un, ainsi que mesdames Neuville et Brunier que vous ne voulez pas abandonner ; nous vous entourerons avec les trente-trois hussards qui restent, et nous nous ferons jour le sabre à la main. Pas une minute à perdre ! Dans une heure mes hussards seront gagnés[49]. Mais Louis XVI n'était pas l'homme des partis hasardeux. Il croyait, d'après les discours de Sausse, qu'il ne s'agissait pour lui que d'attendre jusqu'à la pointe du jour. Sachant d'autre part que le jeune Bouillé s'était mis en route à onze heures et demie pour aller avertir son père, et calculant qu'on pouvait franchir à cheval en moins de trois heures la distance qui séparait Varennes de Stenay, il comptait sur la prochaine arrivée de Bouillé comme sur le seul dénouement qui fût sans péril. Car enfin, disait-il au duc de Choiseul, répondez-vous que dans cette bagarre inégale de trente hommes contre sept à huit cents, un coup de fusil ne tuera pas la reine, ou ma fille, ou mon fils, ou ma sœur ?[50]

Goguelat était descendu pour examiner l'état des choses. Il vit que les hussards faisaient encore bonne contenance ; il remarqua que, dans cette multitude ameutée, beaucoup étaient mal armés et quelques-uns sans armes ; il apprit que, près du pont, il y avait un gué. Si on voulait tenter un coup hardi, on le pouvait. Goguelat en parla vivement à la reine ; mais, toute intrépide qu'elle était, elle n'osa courir cette grande aventure : n'avait-elle pas là ses enfants ? Je ne veux rien prendre sur moi, répondit-elle. C'est le roi qui s'est décidé à cette démarche, c'est à lui d'ordonner, et mon devoir est de le suivre[51]. D'ailleurs, comme Louis XVI, elle espérait en Bouillé.

Mais la présence même de Bouillé à Varennes ne serait-elle pas le signal des plus affreux périls ? Jusqu'où n'irait point la rage des habitants, dès que la ville serait menacée ? Voilà ce que sentaient bien Choiseul et Damas ; mais ils calculèrent que cette fureur et le danger ne dureraient qu'un instant. La barrière une fois forcée, comment douter que la déroute ne fût rapide et complète ? L'essentiel était donc de mettre le roi et sa famille hors d'atteinte. Les défenseurs qui entouraient leurs personnes étaient alors au nombre de dix : le duc de Choiseul, le comte de Damas, le baron de Goguelat, Florac, Rémy, les trois gardes du corps, et deux sous-officiers du régiment de Monsieur-Dragons. Choiseul et Damas convinrent secrètement ensemble de profiter du local et de l'escalier tournant où l'on [ne pouvait monter qu'un de front, pour se rendre maîtres de l'intérieur ; de fermer les fenêtres des deux chambres d'en haut, dont on confierait la défense aux gardes du corps ; puis, à la première annonce de l'arrivée des troupes, aux premiers coups de pistolet, de chasser ceux qui étaient dans la première chambre avant celle du roi, de profiter de l'avantage de l'escalier en coquille pour en interdire le passage. , écrit le duc[52], un seul homme en pouvait arrêter plusieurs ; là il aurait fallu nous tuer tous successivement avant que la défense de l'escalier fût abandonnée, défense que les cadavres de part et d'autre auraient même prolongée dans un passage aussi resserré. On attendit ainsi, la reine passant le temps à raconter les détails de son départ de Paris à ses fidèles serviteurs, et, par l'intérêt de ses récits, charmant leur impatience[53].

Or, le tocsin continuait, prolongé d'échos en échos ; et les paroisses voisines, qu'il appelait, se levaient tout entières ; et, dans la campagne, à plusieurs lieues à la ronde, chacun quittait sa femme, ses enfants, sa charrue, pour courir au roi, à ce roi qui, disait-on, passait à l'ennemi ; et beaucoup de maires de village faisaient comme celui de Louvres, jetaient leur tablier, prenaient un fusil[54] ! Bientôt, on put évaluer à cinq ou six mille le nombre des arrivants. La boutique de Sausse était remplie de bruit et de foule. Devant la porte, dans la rue, les gardes nationaux entouraient familièrement les hussards, leur serraient la main, leur versaient à boire. Les municipaux, après une première visite à la famille royale, délibéraient à l'hôtel de ville. Drouet, avec une vigilance farouche, rôdait dans les environs.

Goguelat étant une seconde fois descendu pour juger des dispositions de la troupe, Drouet s'avança et lui lança cet avertissement terrible : Je vois bien que vous voulez enlever le roi ; mais vous ne l'aurez que mort ![55] Un instant après, Goguelat, essayant de dissiper un groupe, Roland, major de la garde nationale de Varennes, pousse à lui : Encore un pas, et je vous tue ! Goguelat s'élançait vers le major ; un coup de pistolet l'atteint à la poitrine et le renverse. On le transporta sanglant dans une maison voisine, tandis que les hussards criaient : Vive la nation ![56]

Les heures s'écoulaient ; Bouillé ne paraissait pas... ce furent les municipaux qui parurent. Longtemps Louis XVI s'était flatté de l'espoir qu'à la pointe du jour, en tout cas, il lui serait loisible de continuer sa route. Lorsqu'il apprit qu'il s'agissait de le ramener à Paris, qu'on avait envoyé prendre les ordres de l'Assemblée, toute force l'abandonna. Il devint suppliant. Et la reine, la reine elle-même, cette -fière et dédaigneuse fille de Marie-Thérèse, à quel état d'humiliation elle fut alors réduite ! Assise sur un banc, entre deux caisses de chandelles, dans une misérable boutique de village, le cœur gonflé de soupirs, le visage altéré, les mains jointes, elle implorait madame Sausse ; elle essayait d'émouvoir l'épouse, d'émouvoir la mère : Est-ce que vous n'avez pas d'enfants ? Et elle lui montrait le dauphin et sa sœur endormis. Mais, avec un bon sens glacé, la femme de l'épicier répondait : Je suis désolée de ne pouvoir vous être utile, madame. Vous pensez au roi ; moi, je pense à M. Sausse. La grand'mère du procureur-syndic entra. C'était une pauvre femme octogénaire. Elle fut saisie, elle, d'un attendrissement profond, alla s'agenouiller à côté du lit, baisa les mains des enfants, pria pour eux, les bénit, et se retira tout en larmes[57].

Pendant ce temps, le comte de Raigecourt et le chevalier de Bouillé, qui avaient quitté Varennes à onze heures et demie, arrivaient à Dun. Ils n'osèrent confier le secret dont ils étaient dépositaires à Deslon qui commandait là un détachement de hussards[58] ; mais celui-ci ayant appris, au passage de Rodwell, qu'on avait arrêté à Varennes deux voitures où se trouvaient un homme, deux femmes et des enfants, devina tout, et ne prenant conseil que de son cœur, partit à la tète de ses hommes. De Dun à Varennes il y a cinq grandes lieues : elles furent franchies en moins de deux heures[59]. Le projet de Deslon était d'attaquer sur-le-champ, mais la vue des barricades élevées à l'entrée du pont le retint. Faire mettre pied à terre à une partie de son détachement et avancer, il l'aurait pu si ses soldats avaient eu des cartouches. Malheureusement, — et ceci est caractéristique, — les cartouches délivrées aux hussards lorsqu'ils étaient partis du régiment leur avaient été volées dans les différentes maisons où ils logèrent sur leur route[60] ! Deslon exprima le désir d'être conduit au roi, en reçut l'autorisation de M. de Sigemont, qui commandait la garde nationale de Varennes, se fit donner un otage, et, laissant les siens aux portes de la ville, alla droit à la boutique de Sausse. Admis devant Louis XVI, il lui exposa rapidement l'état des choses, et demanda ce qu'il devait dire à Bouillé. Ici, le rapport de Deslon, tel qu'on l'a publié dans les Mémoires sur l'affaire de Varennes, porte : Le roi se plaignit amèrement de ce qu'il était prisonnier, et parla avec infiniment de fermeté et de courage[61]. Mais il y a là un faux commis après coup ; car, dans ce même rapport, tel qu'il fut d'abord reproduit par Bertrand de Molleville, royaliste fanatique, et analysé par M. de Fontanges, on fit : Le roi était dans un tel état d'abattement, que M. Deslon craignit que Sa Majesté ne l'eût pas entendu, quoiqu'il eût répété trois fois la même chose[62]. Enfin, le malheureux prince laissa échapper ces mots, qui peignaient bien le trouble de son âme : Dites à M. de Bouillé de faire ce qu'il pourra. Je suis prisonnier ; je n'ai plus d'ordres à donner[63]. Se tournant alors vers la reine, Deslon lui adressa la parole en allemand ; mais le roi coupa court aussitôt à un entretien qui pouvait paraître suspect. Comme Deslon se retirait, le comte de Damas le regarda fixement et lui dit tout bas en langue allemande : A cheval, et chargez ! Une voix rude cria : Pas d'allemand ![64]

Entre cinq et six heures, grand bruit. Ce sont des courriers qui arrivent de Paris ; c'est Romeuf, lancé par Lafayette sur la trace du roi ; c'est Baillon, dépêché par l'hôtel de ville. Baillon entra seul, les cheveux en désordre, l'habit décolleté, dans un état d'agitation effrayant : Sire, tout Paris s'égorge, nos femmes, nos enfants. — Eh ! ne suis-je pas mère aussi ? interrompit la reine, en saisissant le bras du messager et en lui montrant le dauphin, ne suis-je pas mère ? Enfin, que nous voulez-vous ? La porte s'ouvrit, et, le visage baigné de larmes, les yeux baissés, Romeuf s'avança un papier à la main. Lafayette ! s'écria la reine avec violence, il n'a en tête que sa République américaine... Il verra ce que c'est qu'une république... Eh bien, monsieur, montrez-le-moi donc, ce décret. Elle le prit vivement, y jeta les yeux, et, sans aller jusqu'à la fin : Les insolents ! A son tour, Louis XVI ne put se contenir : Il n'y a plus de roi, en France, dit-il, et il posa le décret sur le lit. Mais le reprenant aussitôt, et le jetant par terre, la reine s'écria : Non, je ne veux pas qu'il souille le lit de mes enfants. Romeuf, combattu entre la pitié, la douleur et le respect, se pencha vers Marie-Antoinette, et lui dit à demi-voix ces mots dont elle parut frappée : La reine voudrait-elle qu'un autre que moi fût témoin de ces mouvements ?[65]

Baillon était descendu dans la rue, où il animait le peuple[66]. Provoqués par le tocsin, dont les appels funèbres se répétaient de village en village, les habitants des campagnes circonvoisines, maintenant réunis à Varennes, pouvaient s'évaluer à près de dix mille hommes[67]. Le délire était au comble. On criait dans la foule : à Paris ! à Paris ! Cette menace cruelle fut entendue : Nous le traînerons par les pieds dans sa voiture[68]. La Reine, qui passait tour à tour du dédain à la colère, à l'effroi, s'inquiétait du sort de ses serviteurs. S'approchant du duc de Choiseul, elle lui dit : Croyez-vous M. de Fersen sauvé ?[69]

Une clameur impérieuse appelait Louis XVI à la fenêtre ; il parut... Dieu, quel abaissement ! Ô petits-fils de ceux qui dans Louis XIV adorèrent la majesté d'un Dieu, eh bien ! oui, cet homme en habit gris, ce visage où l'abattement a remplacé l'émotion, cette chevelure défaite, ce front humilié, ces bras pendants, ces lèvres sans parole, cet œil sans pensée, en un mot le valet Durand, c'est le roi ! On dit qu'il y en eut qui s'attendrirent ; on dit qu'il y en eut qui poussèrent ce cri, plein de compassion : à Verdun[70] ! Et pourquoi non ? Est-ce que le malheur n'est pas une puissance, la plus chère de toutes aux âmes généreuses ?

Pendant ce temps, à la tête de Royal-Allemand, Bouille accourait ventre à terre.

Il avait passé presque toute la nuit à attendre des nouvelles, lui quatrième, entre Dun et Stenay, sur le bord de la route, dans un fossé, ayant avec lui son fils aîné[71]. Ils tressaillirent de joie, lorsque, vers quatre heures et demie du matin, ils aperçurent au loin deux cavaliers. C'était le chevalier de Bouillé qu'accompagnait Raigecourt. Le général croyait le roi sauvé, il apprit qu'on le retenait captif. Désespéré, il envoie son fils Louis à Stenay prendre le Royal-Allemand, auquel l'ordre avait été donné de tenir les chevaux sellés et prêts pour le départ. Rien de préparé ; le commandant était au lit[72] ! Ce fut au bout de trois quarts d'heure seulement, — et il fallait pour cela quinze minutes, — que les hommes furent à cheval[73]. Bouillé leur distribua quatre cents louis qu'il avait sur lui, leur promit qu'ils deviendraient la garde allemande du roi, et partit avec eux au grand galop. Il n'est plus temps, leur cria un prêtre qui les vit passer. Ils continuèrent, mais, en vue de Varennes, l'avertissement du prêtre leur fut confirmé par Deslon. Il était neuf heures, et, à huit, le roi était parti ! Bouille voulait pousser en avant : chefs et officiers le détournent de ce dessein. Ils objectent le soulèvement des campagnes annoncé de distance en distance par le bruit des tambours et le son des cloches, l'approche de la garnison de Verdun en marche avec du canon, l'impossibilité de trouver un gué, l'avance qu'ont déjà les voitures, l'épuisement des chevaux harassés par une marche de près de neuf lieues à allure forcée. Bouillé ordonna la retraite, et, se tournant vers son fils aîné qui l'avait toujours félicité sur le bonheur de ses entreprises, il lui dit d'une voix déchirante : Eh bien, direz-vous encore que je suis heureux ?[74]

La famille royale était partie en effet, et la voiture qui la ramenait à Paris s'avançait lentement, précédée, entourée, suivie, d'une foule immense et diverse : gardes nationaux, bourgeois, paysans ; tout cela brandissant piques, fourches ou fusils, criant, menaçant, mugissant, roulant pêle-mêle sous un soleil de juin et à travers des flots de poussière. Pour contempler ce spectacle, si nouveau, d'un roi traîné captif au milieu de ses États, on accourait de loin, de bien loin, et, à chaque pas, l'escorte grossissait, devenait plus effrayante. Et toutefois, les outrages ne s'adressaient guère qu'aux trois gardes du corps, exposés sur le siège de la voiture comme des criminels au pilori. Le roi, en considération de sa faiblesse, trop connue, on l'épargnait ; on épargnait aussi la reine, que protégeaient ses deux pauvres enfants, dont on apercevait de temps en temps à la portière les têtes blondes.

Aux approches de Sainte-Menehould, le trajet devint orageux, et, un peu au delà, il y eut du sang versé. Un gentilhomme, le marquis de Dampierre, venu sur un cheval fringant présenter ses hommages au roi, traversa la foule comme s'il la passait en revue. Elle se crut insultée. Des mains violentes saisissant la bride de son cheval, le marquis fit effort pour se dégager, y parvint, se jeta dans les terres, tira un coup de pistolet en fuyant, et, poursuivi comme un cerf l'est à la chasse par les chiens[75], atteint bientôt, enveloppé, il disparut.... quelques instants après, sa tête était au bout d'une pique ! Douter que ce meurtre horrible ait été le résultat d'une colère aveugle et trompée, la réponse faite par des furieux à une provocation, imaginaire peut-être, mais tenue pour réelle, ce serait calomnier l'espèce humaine. Le comte de Valory, qui retrace cet assassinat, convient lui-même qu'un grand nombre de personnes, sur la route, purent impunément donner à ses maîtres des marques d'intérêt profond, de respect, d'amour[76].

Et ce fut bien autre chose, à Châlons, la ville la plus royaliste d'alors. Les yeux pleins de larmes, les mains chargées de bouquets, dames et demoiselles vinrent au-devant des captifs. C'était, dit un témoin oculaire, à qui solliciterait l'honneur de leur être présenté[77]. Ils furent reçus dans une vaste salle, se mirent à table devant tous, et tous de les combler de bénédictions. La garde nationale de Châlons ne parlait de rien moins que de leur composer une garde à cheval, que de les amener à Montmédy[78]. Ils passèrent la nuit à respirer ce doux encens ; une fois encore ils étaient heureux ! Mais quel changement soudain et terrible, lorsque, le lendemain, avant le jour, la cité bourgeoise, manufacturière et républicaine de Reims envoya ses phalanges d'ouvriers rudes, de clubistes et de sectaires ! C'était une véritable armée qui remplissait Châlons, la Champagne presque entière étant accourue. Or, les Châlonnais et ceux de Reims se mesuraient si bien des yeux, qu'un combat fut au moment de s'engager[79]. Ce fut au sortir de la messe, célébrée pour lui dans une chambre préparée à cet effet, que Louis XVI entendit crier : à Paris ! à Paris ! et déjà l'on couchait en joue les croisées. Résigné à son destin, il descendit, passa d'un air calme devant un forcené qui le menaçait du poing[80], et remonta silencieusement en voiture avec sa famille.

Suivant le témoignage de Ferrières, l'arrestation, connue à Paris, y avait jeté dans un embarras singulier les orléanistes, les contre-révolutionnaires, et même les constitutionnels[81]. Les premiers perdaient le bénéfice d'un trône vacant ; les seconds prévoyaient des outrages dont leur impuissance s'alarmait ; les derniers sentaient que la République avait plus à gagner au spectacle d'un roi humilié qu'à son absence. Il y eut entre les principaux meneurs de l'Assemblée des conférences secrètes où l'on s'occupa de nommer les commissaires à envoyer au-devant de la famille royale. Dans le comité qui se rassembla pour cela, Mathieu Dumas fut appelé. Un autre homme d'épée, le maréchal de Rochambeau, s'y trouvait. On fut unanime, dit Mathieu Dumas, dans ses Souvenirs, pour conserver le principe monarchique et le respect dû à la famille royale[82]. Les commissaires choisis furent Latour-Maubourg, constitutionnel et grand ami de Lafayette, le républicain Pétion, et Barnave, représentant trop fidèle du mouvement de défection qui commençait à diviser la gauche. Mathieu Dumas reçut mission d'accompagner les trois commissaires et de prendre le commandement de la force armée qu'on supposait devoir accourir sur le passage[83]. Ils partirent.

Ce fut le 23 juin, entre Château-Thierry et Châlons, à deux lieues au delà de Dormans[84], que les quatre envoyés rencontrèrent la voiture. Ils mirent pied à terre. Les deux portières étaient ouvertes. Barnave s'avança et présenta le décret[85]. Messieurs, dit Louis XVI après l'avoir lu, je suis bien aise de vous voir. Je ne voulais point sortir du royaume. J'allais à Montmédy, où mon intention était de rester jusqu'à ce que j'eusse examiné et accepté librement la Constitution[86]. A ces mots, Barnave dit à voix basse à Mathieu Dumas, qui se trouvait près de lui : Si le roi se souvient de répéter la même chose, nous le sauverons[87]. Puis, montant sur le siège de la voiture, il proclama le décret[88].

Madame de Tourzel quitta la voiture du roi, pour aller avec un des commissaires dans celle qui les avait amenés. Les deux autres montèrent dans le carrosse royal. La reine aurait désiré que La Tour Maubourg fût un de ceux-là, parce que sa figure ne lui était point inconnue. Mais ce dernier lui fit observer en particulier que Barnave était un membre très-influent de l'Assemblée ; qu'il avait compté s'asseoir parmi la famille royale ; que sa vanité en serait flattée ; que la reine aurait ainsi l'occasion de le mieux connaître, et que cela n'était peut-être pas sans importance pour le service de Sa Majesté[89]. Le comte de Valory, qui était sur le siège de la voiture et pouvait très-bien ne pas voir ce qui se passait à l'intérieur, raconte que Pétion poussa l'audace jusqu'à exiger que Madame Élisabeth quittât sa place, dans le fond du carrosse, pour la lui laisser occuper[90]. Mais ce fait de grossièreté brutale, si peu vraisemblable en soi, est formellement démenti par la relation de l'archevêque de Toulouse, qui, écrivant en quelque sorte sous la dictée de la reine elle-même, dit : Les choses furent arrangées ainsi : Barnave, qui était assez mince, se mit dans le fond de la voiture entre le roi et la reine ; Pétion, sur le devant, entre Madame Élisabeth et la jeune princesse ; le dauphin, sur les genoux de sa mère, de sa tante ou de sa sœur[91].

D'abord, la reine affecta de l'humeur et laissa tomber son voile sur son visage, comme si elle eût résolu de ne pas ouvrir la bouche tout le long de la route. Mais un regard rapide que Barnave jeta sur l'un des trois gardes du corps assis sur le siège, et le léger sourire dont il accompagna ce regard[92], qui évidemment cherchait Fersen, vinrent tout à coup trahir dans le jeune avocat une préoccupation étrange. En un instant, Marie-Antoinette devina tout. Sans affectation, elle trouva moyen de faire connaître quelles étaient les personnes qui étaient sur le siège[93] et Barnave, que la présence de Fersen aurait peut-être rendu aigre et moqueur, se montra aussitôt plein de douceur, plein de prévenances, et respectueux autant qu'ému. Attaqué de conversation par Louis XVI sur la Révolution, sur l'Assemblée, il mit à défendre son opinion une délicatesse qui n'échappa point à la reine et dont elle fut touchée. Insensiblement tentée du désir, bien naturel et bien légitime, de gagner un cœur qui, avec un entraînement si doux, venait s'offrir, elle releva son voile, elle parla. Barnave fut charmé, il était perdu !

Si Pétion poussa, au contraire, l'austérité jusqu'à l'insolence ; s'il fut d'une familiarité presque cynique ; si, ayant soif, il se fit brusquement servir à boire par Madame Élisabeth sans même la remercier[94]..., c'est ce qu'assurent des témoignages trop royalistes pour n'être pas suspects de quelque exagération. Ce qui est certain, c'est qu'il joua mal à propos le rôle du paysan du Danube, qu'il fut âpre, dogmatique et sec, oubliant ainsi que la rudesse, si elle est quelquefois de la dignité devant la puissance, n'est plus que du mauvais goût devant le malheur, et que la générosité est la première vertu d'une âme vraiment républicaine. Et ce qui n'est plus douteux aujourd'hui, c'est qu'il eut la ridicule fatuité de supposer à Madame Élisabeth des intentions de séduction naturelles ou préméditées, qu'il crut devoir repousser par une affectation d'austérité fort déplacée[95]. Aussi la reine ne put-elle lui cacher combien elle se sentait blessée. Dans un moment où il tenait sur ses genoux le petit dauphin, et roulait sur ses doigts, assez fort pour le faire crier, les beaux cheveux blonds de l'enfant : Donnez-moi mon fils, lui dit Marie-Antoinette ; il est accoutumé à des soins et à des égards qui le disposent peu à tant de familiarités[96].

Plus souvent, du reste, plus volontiers, d'autant qu'il y était encouragé par le sourire de sa mère, le jeune prince allait à Barnave, dont la physionomie ouverte l'attirait. Ses yeux s'étant un jour fixés sur les boutons de l'habit du tribun, il y aperçut des lettres, se mit à les épeler, et étant parvenu à déchiffrer l'inscription, tout joyeux il s'écria : Tiens, maman, vois-tu : vivre libre ou mourir ! Il examine les autres boutons, et les trouvant les mêmes : Ah ! maman, partout vivre libre ou mourir. Barnave était profondément attendri. La reine garda le silence[97]...

On atteignit Dormans à neuf heures et demie du soir[98]. La ville était illuminée. Un logement convenable ayant été préparé pour la famille royale, elle y passa la nuit tranquillement, tandis que, rassemblée en face de l'auberge, la foule stationnait, calme, muette, respectueuse même, mais ne perdant pas de vue les voitures[99] !

Le lendemain, 24 juin, lorsqu'à la pointe du jour on se remit en marche, le nombre des seuls gardes nationaux formant une partie du cortège s'élevait à environ dix mille. Mathieu Dumas les fit ranger en bataille à droite et à gauche sur la route de Paris, les voitures roulant entre les deux lignes. Il y avait encore dans les cœurs un tel mélange de sentiments contraires ; le ressouvenir et les traditions du passé y combattaient encore avec tant de force les colères du moment et l'image de l'égalité républicaine, que lorsque les prisonniers passèrent, les troupes présentèrent les armes, et, en signe de respect, inclinèrent les drapeaux[100]. Au surplus, depuis l'arrivée des commissaires, nul cri séditieux, nul mot outrageant à l'adresse du roi et de sa famille, nulle violence. Cependant un prêtre, pour avoir heurté le sentiment général par des manifestations trop marquées de douleur ou d'indignation, avait couru, entre Châlons et Meaux, de sérieux dangers, et n'avait dû la vie qu'à quelques nobles paroles de Barnave, qui, dans cette occasion, se jetant presque hors la portière, fut retenu par Madame Élisabeth. La reine disait en racontant ce trait, que dans les moments des plus grandes crises, les contrastes bizarres la frappaient toujours, et que la pieuse Élisabeth, retenant Barnave par le pan de son habit, lui avait paru la chose la plus surprenante[101].

Après avoir traversé Château-Thierry, la Ferté-sous-Jouarre, on s'arrêta à Meaux, où l'on devait souper et coucher, dans le palais que Bossuet avait autrefois rempli de sa présence et qu'il remplissait encore de son souvenir. Là, Pétion, qui craignait pour les trois gardes du corps, proposa de les faire évader, à la faveur d'un déguisement, et vit ses offres repoussées. Quel pouvait être le motif de ce refus ? Louis XVI, comme il le dit en particulier à ses gardes, croyait-il sérieusement que l'intention secrète de Pétion était de les faire assassiner[102], sous prétexte de les sauver ? Une inspiration toute d'humanité fut-elle à ce point calomniée dans son cœur ? Mais les périls au-devant desquels ils traînaient leurs serviteurs, en les retenant auprès d'eux, ni lui ni la reine ne les ignoraient. Car le comte de Valory raconte que Marie-Antoinette l'ayant emmené, ainsi que ses deux compagnons, dans une chambre attenante à celle de Louis XVI, elle tira des tablettes pour y écrire leurs noms de baptême, ceux de leurs pères, mères, sœurs et frères ; puis, les yeux humides de pleurs, leur dit : Si nous avions le malheur de vous perdre, et que nous ne succombassions pas nous-mêmes sous les coups de nos ennemis, soyez certains que nos bienfaits iraient chercher vos familles. Ce serait moi qui leur apprendrais leur infortune, et les sentiments qui ne peuvent plus sortir de nos cœurs[103]. La reine prévoyait donc le sort auquel ses gardes pouvaient être exposés. Pourquoi la proposition généreuse de Pétion fut-elle écartée si injurieusement ? Au moins eût-il été convenable de faire ôter aux trois gardes leur déguisement, qui ne les désignait que trop aux colères de la multitude ! C'est ce que Mathieu Dumas demandait. Il pressa le roi, il pressa la reine, de consentir à ce que les vestes de courrier fissent place à des uniformes de grenadiers de la garde nationale. Il ne put rien obtenir. La reine coupa court à ses instances par cette étrange réponse : Non, le roi doit rentrer à Paris avec sa famille et ses gens, comme il en est sorti[104].

La soirée, à Meaux, fut marquée par une circonstance qui montre dans quel trouble d'esprit se trouvait Louis XVI. Comme la chaleur était grande, il s'était assis en chemise auprès d'une table, quoique les portes fussent ouvertes et que la pièce qui précédait sa chambre fût remplie de monde. Tout à coup, il appelle le commandant de la force armée : Dumas, a-t-on mis des sentinelles du côté du jardin ?Oui, sire, j'ai moi-même donné les consignes. — Eh bien, il y a à la suite de cette garde-robe un escalier qui descend au jardin. Voyez où cela va[105]. Mathieu Dumas obéit, et Louis XVI parut tranquillisé en apprenant qu'au bas de l'escalier était une sentinelle.

Le 25 juin, — c'était le jour où l'on devait affronter Paris, — de fort bonne heure et pendant qu'on préparait le départ, Marie-Antoinette manda Mathieu Dumas. Elle était très-émue. Par où, dit-elle, passera-t-on pour se rendre aux Tuileries ?Par les boulevards extérieurs, madame, par la barrière de l'Étoile, les Champs-Élysées, le jardin. — Et pourquoi ce détour ? Pourquoi, puisque Paris est tranquille, le roi n'irait-il pas droit à son palais ?Pour déjouer, madame, les projets des malveillants, en passant par un chemin où il n'y a presque pas de maisons. La reine dit : Je comprends ![106]....

Elle comprit bien mieux, hélas ! lorsque, entre Livry et Bondy, elle vit sortir de la forêt une troupe de forcenés qui, se glissant jusque sous le ventre des chevaux, voulaient mettre en pièces la voiture, et lorsque, un peu plus loin, des femmes qui ressemblaient aux sorcières de Macbeth, apparurent inopinément sur le bord de la route en poussant des cris affreux[107].

Et Paris, pendant ce temps-là ? Paris attendait, dans une attitude formidable. Pas de clameurs vaines, cette fois ; pas de fureurs, plus de bruit. Ce qu'on lisait sur les murs, c'était : Celui qui applaudira le roi aura des coups de bâton, celui qui l'insultera sera pendu. Par une de ces inspirations soudaines et fortes dont seul au monde, peut-être, le peuple de Paris est capable, il s'était promis d'être calme. Car il se considérait comme la justice, au moment où devant elle vont comparaître les coupables, et Bonneville n'avait fait qu'exprimer la pensée commune, lorsqu'il avait écrit dans la Bouche de fer : Paix là ! Restez couverts. Il va passer devant ses juges[108].

Lafayette s'était avancé jusqu'à la rotonde de la barrière de Pantin. Là, les voitures s'arrêtèrent un instant. Là aussi, soit qu'il se sentit défaillir, soit qu'il se voulût prémunir contre le danger d'une émotion trop vive, Louis XVI demanda un verre de vin, qu'il avala d'un trait[109]. Les chemins étaient couverts d'une foule innombrable. La rue Saint-Honoré et le boulevard semblaient deux grandes rivières, gorgées par une pluie abondante, qui se déchargent dans un vaste bras de mer[110]. Les voitures traversèrent Paris au milieu d'un silence passionné. La garde nationale, qui bordait les boulevards, portait le fusil renversé, comme en un jour de deuil[111]. Derrière elle, tranquille mais sombre, et le chapeau sur la tête, se tenait le peuple. Et, au moindre tumulte, il criait : La Loi ! La Loi ![112] Deux grenadiers, la baïonnette au bout du fusil, avaient été placés aux côtés de l'avant-train de la voiture, un peu plus bas que le siège, au moyen d'une planche attachée par-dessous ; et cet arrangement, qui donnait aux trois gardes du corps l'apparence de criminels, est ce qui a fait croire qu'on les avait enchaînés sur le siège[113]. La chaleur était dévorante ; une poussière enflammée, que soulevait la marche de l'immense cortège, obscurcissait l'atmosphère. Marie-Antoinette paraissait souffrir cruellement ; Madame Élisabeth montrait sur son visage le calme d'une âme élevée au-dessus des orages de la vie ; le dauphin pleurait sur les genoux de sa mère[114] ; et quant à Louis XVI, plombé, fatigué, il promenait sur la multitude un regard plein de stupeur[115]. Reconnaissant, à la tête du bataillon des Antonins, le redoutable Santerre, il voulut lui parler : Santerre lui tour le dos, ainsi que lui-même, quelques jours auparavant, il l'avait fait au duc de Chartres[116]. Derrière la voiture du roi, vrai corbillard de la monarchie, roulait une espèce de char triomphal, ombragé de palmes, du haut duquel Drouet et Guillaume recevaient les hommages de la foule[117]. La place Louis XV et le jardin des Tuileries traversés, la famille royale mit pied à terre à la porte du pavillon du milieu. Jusque-là tout s'était passé dans un ordre imposant ; le peuple avait déployé une modération invariable, et il avait vu sans colère, avec admiration presque, le député royaliste Guilhermy jeter au loin son chapeau dans la foule, en mettant au défi de le lui rapporter ceux qui criaient : Restez couvert ! Mais de même que les corbeaux suivent les armées en marche, il est des hommes de proie que les révolutions attirent toujours à leur suite, par l'espoir de quelque pâture sanglante. Au moment où la famille royale allait entrer au palais, des furieux s'élancèrent, impatients de frapper, et, la garde nationale repoussant le choc, il y eut une mêlée où les trois gardes furent meurtris, une mêlée d'où Mathieu Dumas, après y avoir laissé son chapeau, son ceinturon et le fourreau de son épée, ne sortit que les vêtements en lambeaux[118]. Dans ce désordre, en présence de ces dangers, la reine eut un mouvement honorable : elle ne voulut descendre de la voiture que la dernière[119]. Deux hommes qu'elle détestait, le duc d'Aiguillon et le vicomte de Noailles, étaient généreusement accourus pour la couvrir de leur popularité ; ils l'enlevèrent en quelque sorte malgré sa répugnance, et, sans lui dire un seul mot, la conduisirent, presque en courant, du côté du château[120], tandis qu'un autre membre de la gauche, Menou, emportait le dauphin dans ses bras[121].

Rentrée dans ses appartements et n'apercevant pas son fils, Marie-Antoinette fut saisie d'une terreur poignante : elle crut qu'on venait de le lui ravir[122], Mais c'était assez de douleurs pour son cœur brisé : la fortune lui épargna, du moins, ce dernier coup.

Ainsi se dénoua la tragédie de Varennes. 25 juin ! date funèbre pour Louis XVI, presque aussi funèbre que le fut, plus tard, celle du 21 janvier ! Car, le 21 janvier, on tua l'homme ; mais, le 25 juin, on avait tué le roi.

 

 

 



[1] Relation de la duchesse d'Angoulême, dans les Mémoires de Weber, t. II, chap. IV.

[2] Précis historique du comte de Valory, p. 269 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[3] L'abbé de Montgaillard, Histoire de France, t. II, p. 352.

[4] Relation de l'archevêque de Toulouse, ubi supra. Cette relation a l'autorité d'un récit fait par un témoin oculaire, se composant de détails fournis à M. de Fontanges par la reine elle-même.

[5] Mémoires du duc de Choiseul, p. 80 et 81.

[6] Mémoires du duc de Choiseul, p. 81.

[7] Mémoires du baron de Goguelat, p. 16.

[8] Relation de la duchesse d'Angoulême, ubi supra.

[9] Voyez à ce sujet la déclaration du maréchal des logis La Gache, dans les Mémoires du duc de Choiseul, aux pièces justificatives.

[10] Mémoires du duc de Choiseul, p. 86.

[11] Déclaration du maréchal des logis La Gache.

[12] Déclaration du maréchal des logis La Gache.

[13] Déclaration du maréchal des logis La Gache.

[14] Relation de l'archevêque de Toulouse, ubi supra.

[15] Relation de l'archevêque de Toulouse, ubi supra.

[16] Rapport de Drouet, dans le Moniteur, séance du 24 juin 1791, cinq heures du soir.

[17] Déclaration de La Gache.

[18] Mémoires du duc de Choiseul, p. 87.

[19] Relation de M. de Damas, p. 223 des Mémoires sur l'affaire de Varennes. — Voyez aussi le rapport de Drouet. Ubi supra.

[20] Voyez la déclaration de La Gache.

[21] Rapport de Rémy, dans les Mémoires du duc de Choiseul, aux pièces justificatives, n° 7.

[22] Extrait des registres des délibérations du directoire de Clermont.

[23] Rapport de Rémy.

[24] Mémoires de Louis de Bouillé et Exposé de la conduite de M. de Raigecourt, p. 116 et 190 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[25] Exposé de la conduite de M. de Raigecourt, ubi supra, p. 129.

[26] Précis historique du comte de Valory, p. 281 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[27] Relation du comte de Moustier. — Cette relation, publiée en 1815, ainsi que celle du comte de Valory, en diffère sur quelques points de détail. Elles ont besoin l'une et l'autre d'être rapprochées de l'ensemble des autres témoignages et soigneusement analysées.

[28] Précis historique du comte de Valory, p. 283.

[29] Précis historique du comte de Valory, p. 284.

[30] Relation de l'archevêque de Toulouse. Ubi supra, p. 110.

[31] Voyez l'Histoire de la Révolution par deux amis de la liberté et le rapport de Drouet.

[32] Mémoires du duc de Choiseul, p. 88. — La reine lui raconta, à Varennes même, les faits qui venaient de se passer.

[33] Mémoires du duc de Choiseul, p. 55.

[34] Précis historique du comte de Valory, p. 251 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[35] Relation de l'archevêque de Toulouse. — Ces détails diffèrent de ceux que donne le comte de Valory. Mais celui-ci n'a écrit ses souvenirs que très-longtemps après l'événement, lorsque sa mémoire, il le dit lui-même, était affaiblie ; et il ne faut pas oublier que le récit de M. de Fontanges fut le résultat des conversations qu'il eut avec la reine quand l'impression des faits était toute vivante.

[36] Lettre écrite de Verdun à la Chronique de Paris, et datée du 25 juin 1791. — Cette lettre, qui présente une analogie frappante avec le récit de M. de Fontanges et est évidemment écrite par un témoin oculaire, contient des détails que l'archevêque a supprimés, on sent bien pourquoi.

[37] Relation de l'archevêque de Toulouse. — Voyez aussi la Lettre écrite de Verdun à la Chronique de Paris, n° 182, année 1791.

[38] Révolutions de France et des Royaumes, etc. n° 82.

[39] Lettre écrite de Verdun à la Chronique de Paris, n° 182.

[40] Mémoires du duc de Choiseul, p. 85.

[41] Exposé de la conduite de M. de Raigecourt, p. 194 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[42] Mémoires du duc de Choiseul, p. 90.

[43] Mémoires du duc de Choiseul, p. 91.

[44] Rapport de Boudet, commandant des hussards de Pont-de-Somme-Vesle, dans les Mémoires particuliers de Bertrand de Molleville, t. I, chap. XIX.

[45] Mémoires du duc de Choiseul, p. 90 et 91.

[46] Mémoires du duc de Choiseul, p. 92.

[47] Mémoires du duc de Choiseul, p. 92 et 93. — Voyez aussi les Mémoires du baron de Goguelat, p. 28.

[48] Mémoires du duc de Choiseul, p. 93. — Voyez aussi la relation du comte de Damas, p. 232 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[49] Mémoires du duc de Choiseul, p. 93 et 94.

[50] Mémoires du duc de Choiseul, p. 94.

[51] Mémoires du baron de Goguelat, p. 29.

[52] Mémoires du duc de Choiseul, p. 98.

[53] Relation de M. le comte de Damas, p. 233 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[54] Déclaration du maire de Louvres, Chronique de Paris, n° 173. — Année 1791.

[55] Mémoires du baron de Goguelat, p. 32.

[56] Mémoires du baron de Goguelat, p. 32.

[57] Mémoires du duc de Choiseul, p. 96.

[58] Rapport de Deslon, p. 176 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[59] Rapport de Deslon, p. 176 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[60] Rapport de Deslon, p. 177 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[61] Rapport de Deslon, p. 178 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[62] Voyez les Mémoires particuliers de Bertrand de Molleville, t. I, chap. XIX, p. 414 : Paris, M. DCCC XVI. Et aussi, la relation de l'archevêque de Toulouse, t. II et p. 122 des Mémoires de Weber.

[63] Mémoires particuliers de Bertrand de Molleville, t. I, chap. XIX, p. 414.

[64] Relation de M. de Damas, p. 238 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[65] Voyez, sur cette scène extraordinaire, en les rapprochant, le récit du duc de Choiseul, p. 103 et 104 de ses Mémoires et la relation de l'archevêque de Toulouse, t. II, et p. 119 des Mémoires de Weber.

[66] Relation de M. de Damas, p. 239 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[67] Mémoires du duc de Choiseul, p. 105.

[68] Mémoires du duc de Choiseul, p. 105.

[69] Mémoires du duc de Choiseul, p. 105.

[70] Relation de M. de Damas, p. 237 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[71] Mémoires du comte Louis de Bouillé, p. 122.

[72] Mémoires du comte Louis de Bouillé, p. 125.

[73] Mémoires du comte Louis de Bouillé, p. 127.

[74] Mémoires du comte Louis de Bouillé, p. 131 et 132.

[75] Précis historique du comte de Valory, p. 301 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[76] Précis historique du comte de Valory, p. 301 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[77] Précis historique du comte de Valory, p. 300 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[78] Précis historique du comte de Valory, p. 302 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[79] Précis historique du comte de Valory, p. 305 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[80] Précis historique du comte de Valory, p. 305 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[81] Mémoires de Ferrières, t. II, liv. X, p. 369.

[82] Souvenirs de Mathieu Dumas, de 1770 à 1856, publiés par son fils, t. I, p. 486. Paris, Charles Gosselin, M DCCC XXXI.

[83] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. I, p. 486.

[84] A une lieue et demie d'Épernay, dit Pétion. Voyez son Récit du retour de Varennes. — Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, t. I, p. 353. (Pièces inédites.)

[85] Pétion dit que ce fut lui qui lut le décret au roi. — Récit du retour de Varennes, ubi supra.

[86] Souvenirs de Mathieu Dumas, etc., p. 489.

[87] Et non, comme M. Michelet le rapporte, par erreur : Voilà un mot qui sauvera le royaume, ce qui est tout différent. Voyez le récit de Mathieu Dumas lui-même, t. I, p. 489 de ses Souvenirs.

[88] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. I, p. 490. Pétion raconte que ce fut lui qui proclama le décret. — Récit du retour de Varennes, ubi supra.

[89] Relation de l'archevêque de Toulouse, t. II.

[90] Précis historique du comte de Valory, p. 307 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[91] Relation de l'archevêque de Toulouse, t. II, et p. 130 des Mémoires de Weber. D'après Pétion, le roi, ayant désiré gar3er dans sa voiture les personnes qui s'y trouvaient, on se plaça ainsi : Le roi, la reine, le prince royal étaient sur le derrière ; Madame Élisabeth, madame de Tourzel et Madame étaient sur le devant. La reine prit le prince sur ses genoux, Barnave se plaça entre le roi et la reine ; madame de Tourzel mit Madame entre ses jambes, et Pétion se plaça entre Madame Élisabeth et madame de Tourzel. — Récit du retour de Varennes, ubi supra.

[92] Relation de l'archevêque de Toulouse, t. II, et p. 130 des Mémoires de Weber.

[93] Relation de l'archevêque de Toulouse, t. II, et p. 130 des Mémoires de Weber.

[94] Mémoires de Weber, p. 134. Voyez aussi sur la tenue de Pétion, Mémoires de Ferrières, t. II, p. 377 ; les Mémoires de madame Campan, t. II, p. 153, le Précis historique du comte de Valory, etc., etc.

[95] Récit du retour de Varennes, ubi supra.

[96] Mémoires de madame Campan, t. II, chap. XVIII, p. 153.

[97] Mémoires de Ferrières, t. II, liv. X. p. 378.

[98] Entre minuit et une heure, dit Pétion. — Récit du retour de Varennes, ubi supra.

[99] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. I, liv. V, p. 492.

[100] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. I, liv. V, p. 493.

[101] Mémoires de madame Campan, t. II, chap. XVIII, p. 154.

[102] Précis historique du comte de Valory, p. 309 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[103] Précis historique du comte de Valory, p. 301 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[104] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. I, liv. V, p. 498.

[105] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. I, liv. V, p. 496.

[106] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. I, liv. V, p. 498.

[107] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. I, liv. V, p. 501.

[108] Bouche de fer, n° 74. — Année 1791.

[109] Révolutions de France et des royaumes, etc., n° 82.

[110] Mémoires de Ferrières, t. II, liv. X, p. 378.

[111] Relation de l'archevêque de Toulouse, t. II.

[112] Chronique de Paris, n° 78. — Année 1791.

[113] Précis historique du comte de Valory, p. 312 des Mémoires sur l'affaire de Varennes.

[114] Mémoires de Ferrières, t. II, liv. X, p. 379.

[115] Un regard d'homme ivre, dit la Bouche de fer, n°74. — Année 1791.

[116] Révolutions de France et des royaumes, etc., n° 82.

[117] Révolutions de France et des royaumes, etc., n° 82 et Chronique de Paris, n° 178. — Année 1791.

[118] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. I, liv. V, p. 503.

[119] Relation de l'archevêque de Toulouse, t. II, et p. 138 des Mémoires de Weber.

[120] Relation de l'archevêque de Toulouse, t. II, et p. 138 des Mémoires de Weber.

[121] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. I, liv. V, p. 503.

[122] Relation de l'archevêque de Toulouse, t. II, et p. 139 des Mémoires de Weber.