HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME QUATRIÈME

LIVRE QUATRIÈME

 

CHAPITRE VI. — TABLEAU DES FINANCES. - LES ASSIGNATS.

 

 

État des finances au commencement de 1790. — Anciens abus ; leurs conséquences. — La situation en chiffres. — Immenses obstacles à surmonter. — Histoire de la caisse d'escompte ; son origine, ses développements, son importance, ses services, ses fautes. — Abus des arrêts de surséance. — Quel usage Necker fit de la caisse d'escompte. — Projet de conversion de la caisse d'escompte en banque nationale. — Ce que ce plan avait de dérisoire, dans la conception de Necker. — Lutte à ce sujet entre Dupont de Nemours et Mirabeau. — Le plan de Necker rejeté. — Projet présenté par Delaborde de Méréville. — Rapport de Le Coulteux de Canteleu, au nom du comité des finances. — Grandes mesures financières proposées. — La vente de quatre cents millions des domaines nationaux est décrétée. — Tous les esprits lancés à la recherche de quelque remède héroïque. — La banque territoriale de Ferrières. — Impression produite par l'émission des idées de Ferrières. — Tous les districts invités à y adhérer par le district d'Henri IV ; Pétion les adopte. — Création d'effets municipaux proposée par la Commune de Paris ; dans quel but. — Les assignats. — Immense portée de leur établissement. — Ce qu'ils promettaient et leurs périls. — Débat sur les assignats ; ils sont décrétés. — Théorie véritable du papier-monnaie.

 

Nous sommes couchés au pied du Vésuve, disait un jour Mirabeau, en parlant du déficit, et le mot n'était que trop vrai.

Emportée, durant les derniers mois de 1789, par le mouvement de la place publique et le torrent de tant d'idées nouvelles, l'Assemblée n'avait pu accorder aux besoins croissants du trésor qu'une attention rapide ; mais, en 1790, les choses se présentaient sous un aspect tel, qu'ajourner davantage la solution décisive était devenu absolument impossible. Un gouffre était là, un gouffre épouvantable : il fallait trouver moyen de le combler, ou y disparaître englouti. Il fut comblé ! Il le fut, par une suite d'efforts, dont le tableau, s'il était tracé avec grandeur, formerait peut-être la partie la plus étonnante, la plus sérieusement dramatique, d'une histoire si pleine cependant de drames et de prodiges. Qu'on nous permette de revenir un peu sur nos pas, pour embrasser et présenter ce tableau dans son ensemble.

A son avènement au ministère, Necker, en plongeant la main dans les caisses publiques, avait été saisi d'effroi : il n'y avait rencontré que le vide. Brienne avait tout pris, tout épuisé, oui tout, jusqu'aux fonds destinés à de pauvres malades, jusqu'à ceux qui devaient être consacrés au soulagement des victimes de la grêle. C'est à peine si, pour faire face aux gigantesques nécessités du moment, il restait quatre cent mille livres, c'est-à-dire la dépense de l'État pendant un quart de jour[1] !

Par quels procédés d'une habileté secondaire, par quels artifices empruntés à la routine, Necker parvint, pendant quelque temps, à tenir tête à la situation, c'est ce que nous dirons tout à l'heure. Mais c'était un remède héroïque, c'était quelque conception d'une témérité sublime qu'appelait l'immensité du mal. Car, lors de l'ouverture des États généraux, non-seulement le trésor était vide, mais les moyens de le remplir semblaient avoir été détruits sans retour. L'ancien régime ne s'était pas borné à dévorer le présent, il avait d'avance dévoré l'avenir, et cela pour plusieurs années. Tout ce qui pouvait donner un droit quelconque à exercer sur le peuple, on eu avait trafiqué. Juges, chefs de l'armée, gens de finance, administrateurs, officiers de la maison du roi, domestiques des princes, tous avaient du contribuer de leur bourse aux dilapidations du jour, et tous étaient devenus de la sorte créanciers du lendemain. Que d'emplois rendus héréditaires, pour prix de ces mortelles avances ! Et puis de tous ceux qui payaient, recevaient, écrivaient, comptaient, professaient un art, exerçaient un métier, pas un qui n'eût reçu le droit de regagner ce que son titre lui avait coûté. sur qui ? sur le peuple, en l'opprimant. Vendre une clientèle, des hommes, quoi de plus simple ? Est-ce qu'il n'était pas permis de vendre ses terres ? Ainsi faisait-on, et l'abus, à force d'être ancien, avait fini par n'être plus même remarqué. Vint le moment où il n'y eut plus de charges à créer, par conséquent plus de charges avec lesquelles il fût possible de battre monnaie. Que faire ? Recourir à l'impôt ? Mais on avait eu beau entasser taxes sur taxes, comme une énorme partie des recettes restait dans la poche des fermiers généraux, écraser le peuple n'avait jamais été une ressource suffisante, et il agonisait. Emprunter ? Hélas ! la méthode des anticipations y avait mis bon ordre, et voici en quoi elle consistait. L'habitude s'étant introduite de consommer chaque année par anticipation les revenus de l'année suivante, il fallait bien que l'avance de ces revenus fût faite et qu'on la remplaçât entre les mains de ceux qui la faisaient par des rescriptions sur les recettes futures. Mais, quand arrivait l'année dont les recettes avaient été prématurément engagées, quel parti prendre ? Tout était perdu si les porteurs de rescriptions ne consentaient pas à les renouveler, de sorte que, péniblement, les yeux fermés sous le poids d'incessantes angoisses, l'État se traînait entre la nécessité de ce consentement toujours douteux, et le péril d'une banqueroute toujours imminente : abîme d'un côté, abîme de l'autre. Quel emprunt régulier eût été possible en de pareilles conditions ?

Donnons maintenant la parole aux chiffres.

L'état des dépenses publiques au premier novembre 1789, se pouvait diviser ainsi :

1° Les dépenses nationales, comprenant les rentes constituées soit perpétuelles, soit viagères, les gages des charges de magistrature, la liste civile, les dépenses concernant les provinces, telles que primes et encouragements au commerce et aux manufactures, frais de procédures criminelles, frais de perceptions ou traitements des receveurs généraux et particuliers des finances, travaux de charité et mendicité, construction ou entretien des bâtiments publics, ponts-et-chaussées, etc. ;

2° Les dépenses d'administration, se rapportant aux divers ministères, à l'entretien de la maison des princes, aux gages du conseil, aux pensions, au jardin du roi, à la bibliothèque du roi, aux universités et académies, etc.

Or, le total des dépenses nationales était de 253.193.492 liv.

Le total des dépenses d'administration s'élevait à 159.140.000 liv.

Il s'agissait donc de faire face à une somme de 412.333.492 liv.[2]

 

Le pouvait-on ? oui. D'un savant rapport présenté, au mois de novembre, par le marquis de Montesquiou, il résulta que les recettes générales des pays d'états, l'abonnement de la Flandre maritime, les impositions relatives aux fortifications des villes, la nouvelle contribution des privilégiés, le subside destiné à remplacer la gabelle et les aides, les droits casuels, les loteries enfin, suffisaient pour couvrir les dépenses nationales, et que les dépenses d'administration, à leur tour, pouvaient être aisément couvertes par la ferme générale, après suppression de la gabelle, par la régie du Clermontois et celle des domaines, par la ferme des postes, par celle des messageries, des marchés de Sceaux et de Poissy, des affinages, du droit du Port-Louis, par le marc d'or, par la régie des poudres, par les monnaies, par les forges royales, par les caisses du commerce, par les loyers des maisons des Quinze-Vingts.

La comparaison de la recette à la dépense offrait même un excédant de plus de trente-trois mille livres[3]. Là n'était donc point la difficulté.

En dehors des dettes constituées, il y en avait d'autres auxquelles le marquis de Montesquiou appliquait la dénomination vulgaire, mais expressive, de dettes criardes, et celles-là montaient à près d'un milliard, qui se décomposait comme suit[4] :

Anticipations

225.300.000

liv.

Arriéré des rentes pour un semestre

81.000.000

-

Cautionnements des fermiers généraux et régisseurs généraux

201.799.000

-

Receveurs généraux et particuliers, payeurs et contrôleurs des rentes, grands maîtres des eaux et forêts

119.178.853

-

Avances de la caisse de Poissy

902.673

-

Arriéré des départements

80.000.000

-

Besoins extraordinaires des années 1789 et 1790

170.000.000

-

Total :

878.180.526

liv.

Fardeau effrayant, par sa pesanteur d'abord, et peut-être encore plus parla nature des éléments qui le formaient. Car, si l'on ne parvenait à s'en délivrer, pas d'espoir d'échapper aux criants abus que la Révolution était venue frapper d'un arrêt irrévocable, à moins, pourtant, d'une catastrophe, à moins d'une banqueroute.

Comment, en effet, mettre un terme à la désastreuse habitude d'hypothéquer aux folies du présent les ressources de l'avenir, si l'on ne se dérobait, en éteignant ces deux cent vingt-cinq millions d'anticipations, à l'inéluctable nécessité de les renouveler ?

Comment en finir avec le tyrannique régime des fermiers généraux, si l'on ne commençait pas par leur rembourser les deux cents millions qui leur étaient dus ?

Comment améliorer les régies, si l'on restait enchainé aux régisseurs par une dette de près de cent vingt millions ?

Et, si enfin le trésor appelait vainement au secours, pour les cent soixante-dix millions que rendaient indispensables les besoins extraordinaires de 1789 et de 1790... comment vivre ?

Tel était le problème. Pour peu que la Révolution fût impuissante à le résoudre, malheur à elle ! malheur à la France !

Ô charmant et audacieux Écossais qu'on avait vu d'un pas si fier traverser la régence ! Ô puissant esprit qui aviez si bien su faire de la plume lourde du comptable une baguette de magicien, où étiez-vous ? Le pâle Necker avait relégué dans ses livres tout ce qu'il pouvait y avoir en lui de hardiesse. La seule idée de proportionner ses conceptions aux circonstances le glaçait de terreur. Quand il allait entretenir l'Assemblée de la pénurie du trésor, il le prenait volontiers avec elle sur le ton d'un professeur parlant à ses écoliers, et souvent il la blessa par la morgue doctorale de son langage : cependant, il brûlait, au fond, de s'en remettre à elle du soin de frapper quelque coup sauveur. Il a écrit lui-même, depuis : Mon office était de soutenir les finances jusqu'au moment où l'Assemblée nationale les prendrait sous sa garde. Je devais être le berger fidèle, en attendant l'arrivée du maître[5]. Il fut cela certainement, mais rien de plus, et toute sa science se réduisit à lancer la caisse d'escompte au secours de l'État, à peu près comme on lance une chaloupe à la mer pour sauver l'équipage d'un navire en détresse.

La caisse d'escompte, ai-je dit ! Voici son histoire, sans laquelle celle des finances de la Révolution est incomplète, et serait même inintelligible.

Tout le monde sait en quoi consiste le mécanisme des banques de circulation. Les banques ne font, en réalité, que changer du papier contre du papier. On leur apporte des effets de commerce revêtus de signatures solides, et à très-court terme, à trois mois par exemple, elles donnent à la place des billets au porteur où se trouve déduit à l'avance l'intérêt de l'argent pendant ces trois mois, billets dont elles s'engagent à payer le montant en espèces à la première demande.

Cette condition remplie, le papier circule comme le numéraire, avec une facilité tout aussi grande ; car c'est avoir de l'argent que d'avoir des billets qu'on peut à volonté convertir en argent, et même cela vaut mieux, parce que les billets tiennent moins de place et ne coûtent point de frais de transport.

Si donc la banque qui a émis ces billets inspire de la confiance, elle aidera efficacement ceux qui ont des effets de commerce à faire escompter, et elle ne tardera pas à s'enrichir. Sachant en effet que son papier pourrait s'échanger contre des écus aujourd'hui, les porteurs ne songeront à l'échanger que dans un mois, dans deux mois…, et la banque, bénéficiant de ce retard, ajoutera, dans la somme de ses gains, à l'intérêt de l'escompte, celui des billets pendant tout le temps qu'ils ne seront pas sortis de la circulation.

Mais pour que les billets soient réellement remboursables en numéraire, à la première demande, que faut-il ? Qu'ils soient représentés, dans les coffres de la banque, par une quantité d'argent propre à leur servir de gage. A la vérité, il n'est pas nécessaire que cette quantité d'argent soit équivalente à la somme des billets émis, ce qui enlèverait au banquier, par le chômage des espèces, le gain résultant de la circulation du papier ; — car c'est seulement quand quelque crise éclate, et sous l'empire d'une panique, que les porteurs des billets de banque se précipitent tous à la fois vers la caisse pour avoir en bonnes espèces sonnantes la valeur de ces billets. En temps ordinaire, que la réserve en numéraire soit du tiers, du quart, plus ou moins, selon le degré de crédit que la banque possède, cela suffit, mais encore faut-il que cette réserve existe, l'acquittement des billets à présentation étant la condition suprême qui donne le poids de l'argent à ce qui ne serait bientôt réputé, sans cela, qu'un vain chiffon de papier.

Ainsi, toute banque de circulation doit avoir : 1° dans son portefeuille, l'équivalent de ses billets en bons effets de commerce ; 2° dans ses coffres, une réserve en numéraire suffisante pour répondre tout de suite à la somme probable des demandes d'argent que les porteurs de billets peuvent faire.

C'était sur ces principes — trop tôt violés — qu'en 1776, peu de temps avant la chute de Turgot, et par simple arrêt du conseil, la caisse d'escompte avait été établie. Elle fut autorisée, non-seulement à escompter les lettres de change et autres effets commerçables à un taux modéré ; mais encore à faire le commerce des matières d'or et d'argent, et à recevoir les dépôts qui lui seraient volontairement confiés. Le capital primitif avait été fixé à douze millions et formé en commandite par quatre mille actions de trois mille livres chacune. Les conditions furent :

Que la caisse n'élèverait jamais ses escomptes au delà. de 4 pour 100 ;

Qu'elle ne ferait aucun emprunt portant intérêt ;

Qu'elle ne contracterait aucun engagement qui ne fût à vue et payable au porteur ;

Qu'elle serait réputée la caisse personnelle et domestique de chaque particulier qui y tiendrait son argent[6].

C'étaient là certes de sages précautions, et très-clairement formulées. Cependant le public gardait une attitude soupçonneuse. On se rappelait avec inquiétude Law, ses promesses éblouissantes, ses miracles, et le bouleversement qui s'en était suivi. Bien osé, disait-on, celui qui aventure sa fortune aux mains d'un prétendu caissier qui, à la première réquisition du ministre des finances, lui livrera les clefs de la caisse[7]. On remarqua aussi, non sans défiance, que la plupart des personnages appelés à administrer la nouvelle banque étaient étrangers ; ce qui fit dire à un écrivain : Ne serait-il pas nécessaire que ces messieurs tinssent pour quelque chose à la France, qu'ils y eussent des immeubles considérables ? Qui nous garantira qu'après avoir extrait chez nous la somme d'or et d'argent proportionnée à leurs désirs, ils n'iront pas jouir de leur fortune réelle dans une autre patrie, en ne nous laissant que leur papier de soie pour essuyer nos larmes ?[8]

Deux années s'écoulèrent, fort rudes à traverser : les actions ne trouvaient pas à se placer, et la circulation repoussait les billets. Mais, à la fin de 1778, plusieurs des premières maisons de banque de Paris s'étant groupées autour de la caisse d'escompte, elle prit un essor qui ne s'arrêta qu'au mois de septembre 1783. La prospérité avait amené les fautes. La caisse avait eu l'imprudence de prêter au gouvernement six millions qu'il ne pouvait rendre, et ce déficit imprévu, joint à une trop grande émission de billets, mettait la banque hors du droit chemin. Bientôt, sa réserve en numéraire se trouvant réduite à la somme .presque nulle de cent trente-huit mille livres, elle se vit dans l'impossibilité de continuer ses payements à bureau ouvert. Que fit-elle ? Elle obtint ou accepta du ministre l'autorisation de les suspendre, en d'autres termes, elle se prévalut d'un arrêt de surséance[9], ressource néfaste qui d'un papier de confiance faisait un papier monnaie. Là-dessus, grandes colères ! Mais elles durèrent peu, grâce à l'intervention de la gaieté française, et elles s'évaporèrent en épigrammes. Les femmes se mirent à porter des chapeaux à la caisse d'escompte[10] : c'étaient des chapeaux sans fonds. Et tout fut dit.

Au reste, il fut alors prouvé par inventaire et porté à la connaissance du public que l'actif de la caisse surpassait son passif d'une somme considérable, du double[11]. D'un autre côté, les six millions qu'elle avait prêtés au gouvernement lui furent rendus ; les fonds qui étaient représentés dans son portefeuille par des effets de commerce rentrèrent peu à peu ; enfin, mille actions nouvelles créées et un appel de cinq cents livres sur les anciennes la mirent en état de reprendre ses payements à bureau ouvert, avant l'expiration du terme fixé par l'arrêt de surséance[12].

A dater de ce moment, qui fut marqué par l'adoption de nouveaux et prudents statuts, la caisse d'escompte prospéra à souhait, et elle était au haut de la roue, lorsqu'au mois de février 1787, Calonne lui demanda tout à coup soixante-dix millions. Il ne s'agissait pas, pour le despotique ministre, d'un prêt volontaire à obtenir : il exigeait, il menaçait, il montrait en perspective à la caisse d'escompte la création de deux compagnies rivales qu'il ne tenait qu'à lui de faire éclore d'un souffle. Elle trembla pour ses dividendes, se hâta de battre monnaie en émettant vingt mille actions nouvelles sur le pied de quatre mille livres : et son capital se trouvant de la sorte élevé à cent millions ; elle en garda trente millions pour son commerce, et déposa au trésor public, comme prêt forcé, les soixante-dix millions dont Calonne avait besoin[13].

Le 19 août 1788 fut un jour tristement mémorable dans l'histoire de la caisse d'escompte. Ce jour-là, les administrateurs furent bien étonnés — ils l'ont affirmé du moins[14] — en lisant, affiché sur la porte de leur établissement, un arrêt du conseil qui dispensait la caisse de payer ses billets à vue, l'autorisait à les solder en bonnes lettres de change, ordonnait de les recevoir dans tous les payements, dans toutes les caisses publiques et privées, en un mot, donnait un cours forcé à la circulation de titres qui, jusque-là, avaient reçu leur mouvement de la volonté libre et confiante des porteurs. Brienne était ministre alors, il allait cesser de l'être, et, comme s'il n'eût pas voulu quitter le ministère avant d'avoir comblé la mesure de ses folies, il sonnait de toutes ses forces, le malheureux ! le tocsin de la banqueroute. Et à quel propos ? L'état de la caisse d'escompte exigeait-il, en ce moment, ce second arrêt de surséance ? Non, puisqu'elle ne le demandait pas ; non, puisqu'au mois de mai précédent elle avait, pour servir de gage à cent vingt millions de billets émis, près de cinquante millions en argent, c'est-à-dire une réserve des cinq douzièmes. Il est vrai que depuis, malgré la précaution qu'elle avait prise de ralentir ses escomptes et de diminuer ainsi la masse de ses billets circulants, la diminution de ses espèces avait suivi une progression assez rapide, tant l'aspect des choses était trouble, tant le ciel apparaissait couvert de nuages, tant la Révolution approchait ! Mais il n'en est pas moins certain qu'avant l'arrêt de surséance du 18 août 1788, personne ne songeait à convertir ses billets en écus, et que, cet arrêt une fois publié, chacun, à l'exception des gens d'affaires[15], se désola de n'avoir entre les mains que du papier.

Le devoir de la caisse d'escompte était, en semblable occurrence, de repousser formellement un arrêt qui ne lui assurait l'avantage actuel de pouvoir disposer et placer à intérêt sa réserve, qu'en sapant son crédit par la base et en ébranlant tout son avenir : elle n'eut point cette courageuse sagesse. Partagée entre les inspirations d'un égoïsme étroit et la crainte de trop mécontenter ses créanciers, elle déclara n'avoir pas sollicité l'arrêt, n'en profita qu'en partie, et continua à acquitter de ses billets à vue pour environ trois cent mille livres par jour[16], en ayant soin de ne payer que certaines quotités de sommes, et, à chaque porteur, mille livres seulement[17].

Voilà où en était cet établissement qui allait être l'objet de tant d'éloges et de si rudes attaques, lorsque Necker prit les rênes de l'État.

Un de ses premiers actes fut de presser secrètement les administrateurs de lui avancer, contre quinze millions de rescriptions, six millions pour le mois de septembre, six millions pour le mois d'octobre, et trois millions pour le mois de novembre[18].

Ils ne pouvaient accéder à cette prière sans violer les statuts, sans reculer le terme où ils auraient pu payer à présentation tout porteur de billets, sans disposer du gage de leurs créanciers. Prêter au gouvernement ce qu'on doit au public, n'est-ce pas fouler aux pieds les règles les plus fondamentales du crédit, se jouer de la sainteté des promesses, abuser de la confiance de tous, disposer de la propriété d'autrui ?

La caisse d'escompte encourut ces reproches, et quand ils retentirent autour d'elle, elle répondit :

Que, si le gouvernement était tombé en faillite, le sort des porteurs de billets n'en eût pas été meilleur ;

Que les fournisseurs de l'État venant à manquer, les maisons de banque se seraient écroulées l'une sur l'autre ;

Que le commerce aurait sombré ;

Que l'industrie aurait péri ;

Que la caisse d'escompte aurait succombé à son tour, et que, sa destruction produisant l'effet d'une pierre lancée au milieu d'un bassin, son malheur se serait étendu de proche en proche et de ruine en ruine, jusqu'aux extrémités du royaume[19].

Le raisonnement eût été admirable, si, pour empêcher le gouvernement d'aller à la banqueroute, le commerce de sombrer, l'industrie de périr, le royaume d'entrer en confusion, il n'eût existé qu'un moyen, un seul, celui d'un établissement de crédit violant d'une manière permanente toutes les lois du crédit, et apportant une générosité rare à prêter ce qui ne lui appartenait pas ! Mais il était assez naturel que ce genre de générosité ne fût pas du goût de ceux qu'il menaçait de ruiner, et quand la caisse d'escompte avait invité le public à lui apporter son argent en toute confiance, elle n'avait pas dit qu'elle en disposerait de façon à épargner au ministre des finances l'embarras des grandes découvertes.

Ce n'était, d'ailleurs, qu'aux dépens d'autrui que la caisse d'escompte déployait ce patriotisme tant vanté par elle. Car, dans le temps même où, grâce aux arrêts de surséance, elle n'acquittait en argent qu'une partie des billets à rembourser, elle plaçait à intérêt le reste de son numéraire, continuait ses escomptes, s'enrichissait, et partageait des dividendes entre ses actionnaires[20], comme s'il était permis de retirer les profits d'une entreprise avant d'en avoir payé les dettes !

Ajoutons que Necker abusa étrangement du ressort qu'il avait sous la main. Les finances étant un vrai tonneau des Danaïdes, et un premier secours en ayant appelé un second, le second un troisième, et ainsi de suite, il se trouva qu'au mois de décembre 1789, la caisse d'escompte avait prêté au gouvernement jusqu'à quatre-vingt-dix millions, sans compter les soixante-dix millions qu'elle avait déposés au trésor en 1785[21].

Si une pareille ressource eût été inépuisable, elle était assurément de nature à convenir à Necker, qu'elle dispensait de tout effort d'innovation. Aussi, rien d'égal à l'activité de sa tendresse pour la caisse d'escompte. Tantôt il écrivait aux compagnies de finances, pour les engager à appeler à elles le papier de la caisse, les billets noirs ; tantôt il remontrait aux joueurs de la cour combien il leur serait commode d'alléger leurs poches[22], en allant échanger à la caisse leurs pesants rouleaux de louis contre ces chiffons légers, dans lesquels il était arrivé à Calonne d'envelopper les pistaches qu'il envoyait aux dames[23].

De leur côté, les banquiers, les gens d'affaires ne négligeaient rien pour soutenir un papier dont la circulation leur était bonne. On demandait à un banquier ce qui serait arrivé si, ne pouvant réaliser ses billets noirs à la caisse, quelqu'un les lui eût offerts au-dessous du pair ; il répondit : Je les aurais pris au pair !...[24]

Tout cela ne pouvait avoir qu'un temps : il était impossible que ce crédit artificiel se maintint jusqu'au bout, et que des billets non payables à vue ne finissent pas tôt ou tard par être décriés. Dans beaucoup d'échanges le numéraire fut exigé impérieusement ; les marchands de bestiaux qui fournissaient les marchés de Sceaux et de Poissy menaçaient de ne plus fournir ces marchés, si on n'avait que des billets noirs à leur offrir ; les marchands de farine déclarèrent aux boulangers qu'ils entendaient être payés en argent[25]. Mais l'argent était devenu de plus en plus rare. Non-seulement on le cachait, ce que la tourmente du jour expliquait de reste, mais on l'exportait. Et pourquoi ? Voici la réponse que faisait à cette question un des plus infatigables adversaires de la caisse d'escompte, Mirabeau :

L'homme inquiet ou mécontent de notre situation politique ne le serait pourtant pas assez pour envoyer son argent hors du royaume, si les billets de la caisse d'escompte se payaient à présentation ; car, pouvant concentrer de grandes valeurs sous un imperceptible volume, sûr de réaliser à l'heure, à la minute où il voudrait réaliser, il se garderait bien d'encourir le déficit énorme qu'il éprouve en envoyant ses capitaux hors de France. Mais, tout au contraire, les premiers pas qu'il fait vers leur réalisation ne lui procurent que des billets de caisse, et pressé par ses appréhensions, il ne peut convertir promptement ces billets que contre des lettres de change sur l'étranger. Mais Paris n'en reçoit pas. On n'envoie pas négocier des lettres de change là où on les paye en billets qui ne peuvent être réalisés à volonté. Il faut donc que quelqu'un dans Paris les fournisse. Mais qui osera les fournir, s'il ne conserve pas dans le prix du change la ressource d'envoyer à Londres ou à Amsterdam des louis ou des écus de France pour les payer ? Aussi notre numéraire est devenu, dans ces grandes places de commerce, plus abondant que les espèces de toutes les autres nations. Il faut mettre fin à ce malheur. S'il dure, nous éprouverons les mêmes calamités qui ont signalé l'apparition de Law. En vain fondrons-nous de la vaisselle pour en faire des écus. Ce ne sera jamais que comme des gouttes d'eau qui irritent la soif au lieu de l'éteindre[26].

 

Nous avons raconté ailleurs[27] comment, après avoir successivement négocié deux emprunts, Necker avait proposé une contribution patriotique du quart du revenu. Les deux emprunts ayant échoué, et la contribution patriotique rapportant si peu, si peu, que c'était pitié, Necker imagina, pour tout expédient, de convertir en banque nationale sa chère caisse d'escompte.

Son plan était celui-ci ;

La caisse d'escompte, convertie en banque nationale, aurait eu un privilège pour dix, vingt ou trente ans.

Des commissaires publics auraient surveillé sa gestion, et ses statuts, révisés, auraient été revêtus d'une sanction légale.

Une limite aurait été assignée à l'émission des billets, dont la circulation n'aurait jamais pu excéder deux cent quarante millions.

La nation se serait rendue caution de ces billets, marqués d'un timbre aux armes de France et ayant pour légende ces mots : garantie nationale.

Ils auraient été reçus comme argent dans toutes les caisses royales et particulières.

Pour augmenter le capital de la caisse, qui était alors de cent millions, on aurait créé douze mille cinq cents actions nouvelles, payables en argent effectif et faisant, à quatre mille francs par action, la somme de cinquante millions.

Le capital de la caisse se serait ainsi élevé à cent cinquante millions, ce qui, en y ajoutant les deux cent quarante millions de billets qu'elle était autorisée à émettre, donnait une somme de trois cent quatre-vingt-dix millions, laquelle se serait divisée de cette manière :

70 millions déposés au trésor en 1787

70

millions.

90 millions prêtés au gouvernement dans le courant de l'année 1789

90

»

80 millions destinés à l'escompte des lettres de change

80

»

70 millions destinés aux fonds de caisses en numéraire effectif

70

»

80 millions à prêter encore au gouvernement

80

»

TOTAL

390

millions.

Ainsi, appeler la caisse d'escompte d'un beau nom, étendre à tout le royaume ses opérations qui jusqu'alors avaient été resserrées dans Paris ; faciliter ces opérations en les couvrant de la garantie nationale, et, comme résultat pratique d'un changement de noms qui n'aboutissait pas même à un changement d'abus, tirer de la caisse d'escompte un nouveau secours de quatre-vingts millions, lequel, avec le dépôt de 1787 et l'ensemble des prêts faits en 1789, constituerait la caisse créancière de l'État pour une somme de deux cent quarante millions[28] : voilà en quoi consistait toute l'économie du projet de Necker. Il en résultait qu'en garantissant les deux cent quarante millions de billets déjà émis ou à émettre par la caisse d'escompte, l'État n'aurait fait que cautionner sa propre dette.

Trouver moyen d'endetter l'État, quand c'était de le libérer qu'il s'agissait ! On juge si l'opinion se tint pour satisfaite. Quoi ! la caisse d'escompte, en cessant de payer à bureau ouvert, avait encouru un discrédit irréparable, elle s'était laissé flétrir par quatre arrêts de surséance, et l'on en faisait le pivot financier autour duquel allaient tourner les destinées de la Révolution ! On l'appelait pompeusement à communiquer à l'État le crédit... qu'elle avait perdu ! Singulière banque nationale que celle qui continuait à appartenir à une association de particuliers, lesquels auraient tous les bénéfices, alors que le gouvernement prendrait sur lui, à l'égard de leurs créanciers, la responsabilité de toutes les pertes ! Le plan du ministre mettait-il un terme au scandale des arrêts de surséance ? Pas le moins du monde ; il semblait le consacrer, au contraire, il l'élevait aux proportions d'un scandale national. Et puis, pourquoi ce privilège exclusif, qui empêcherait, dans les provinces, l'établissement de banques locales, à la portée de leurs habitants ? Comment ! encore des privilèges ! Si l'on voulait une vraie banque nationale, une banque nationale qui ne fût ni un mensonge ni une jonglerie, rien de mieux : qu'on la constituât avec les fonds de l'État, au profit de l'État, et qu'on dît à la caisse d'escompte : Vous avez un actif qui dépasse votre passif ; vous avez ici des débiteurs ; là des créanciers : faites-vous payer des uns, payez les autres, et liquidez !

Ces plaintes eurent, dans Mirabeau, un organe qui leur donna le retentissement de la foudre. Un député, d'ailleurs assez obscur, de Lavenne, avait dit : Ce que M. Necker a écrit de sa main, il l'effacerait avec ses larmes s'il avait pu en prévoir les suites[29]. Le mot fut répété.

La caisse d'escompte avait de nombreux adversaires et de très-redoutables : son plus ingénieux défenseur fut Dupont de Nemours, un des flambeaux de la secte des économistes, le disciple fidèle du docteur Quesnay, le collaborateur de l'abbé Baudeau, l'ex-gouverneur du prince Adam Czartoryski, le protégé de Gustave III, celui dont Turgot, son imposant ami, disait : Il ne sera jamais qu'un jeune homme de brillante espérance[30], et qui mourut, en effet, très-âgé sans avoir jamais été vieux. A un savoir réel il alliait une vivacité d'esprit assez piquante pour paraître quelquefois juvénile : elle ne lui fit pas défaut en cette circonstance. Il tint tête à l'émeute intellectuelle de l'opinion, il tint tête à Mirabeau soufflé par Clavière, avec beaucoup de verve à la fois et d'autorité. Répondant à ceux qui reprochaient à la caisse d'escompte d'avoir manqué à ses engagements en cessant de payer ses billets à vue : Une banque s'engage-t-elle à payer ainsi ? Oui, à une condition, bien connue de tous, c'est que les porteurs ne se présenteront pas tous à la fois, et qu'il ne s'en présentera que jusqu'à concurrence de la réserve, c'est-à-dire du tiers, du quart... Une banque qui, même en prévision des plus affreuses crises, dirait : Venez à ma caisse, et quoi qu'il arrive, vous serez toujours payés comptant, ressemblerait au dentiste de carrefour promettant d'extirper les dents sans mal ni douleur. Dupont de Nemours insistait fort sur ce que la caisse d'escompte n'avait profité qu'en partie des arrêts de surséance, sur ce qu'elle avait toujours acquitté, même sous l'empire de ces arrêts, jusqu'à trois cent mille livres de ses billets par jour. Il niait que la banque d'Angleterre, dans ses moments de crise, se fût aussi bien conduite, elle que cependant l'on citait sans cesse comme un modèle. Il rappelait qu'en 1697, elle avait suspendu ses payements sous le prétexte d'une refonte de monnaie, alors qu'elle aurait dû payer en espèces anciennes jusqu'au jour où le produit de la fabrication lui aurait permis de payer en espèces nouvelles. Il rappelait encore qu'en 1745, elle avait payé en schellings et demi-schellings comptés un à un, ce qui l'empêchait de payer au delà de deux mille livres sterling par jour. Et pourquoi l'inébranlable banque était-elle à ce point ébranlée ? parce qu'il y avait, à quelque quarante-cinq lieues de distance, un prétendant sans espoir à la tête de quinze cents montagnards d'Écosse ! L'union du crédit de l'État et de celui de la caisse, l'orateur la comparait à celle de deux arbres qui, séparés, seraient trop faibles contre le vent, mais qui résistent à ses efforts en entremêlant leurs branches et leurs racines. Il ajoutait : Si la banqueroute a été évitée, si la probité du roi et celle du ministre ont été secourues, si les représentants du peuple ont été assemblés, si une fois réunis ils ont senti ce qu'ils devaient être, si le clergé n'est plus une corporation, si la noblesse n'est plus un ordre, si les pays d'état ne sont plus des républiques, si les parlements sont à vos pieds, c'est à la caisse d'escompte que vous le devez, et il concluait à l'adoption du plan, légèrement modifié, de Necker[31].

Mais Necker avait perdu tout prestige. L'Assemblée, que fatiguaient les admonestations magistrales du ministre, avait fini par être frappée de son insuffisance ; elle écarta le projet de convertir la caisse d'escompte en banque nationale, et songea sérieusement à prendre elle-même en main, par le moyen de ses comités, l'administration des finances. De Laborde de Méréville ayant proposé l'établissement d'une banque particulière établie sur des bases plus larges que la caisse d'escompte, destinée à remplacer celle-ci en l'absorbant et qu'on aurait instituée, sans lui ôter son caractère privé, caissière générale de l'État, l'Assemblée nomma, pour examiner ce projet de concert avec le ministre, dix commissaires, et, sur leur rapport[32], présenté le 17 décembre 1789 par Le Coulteux de Canteleu, elle adopta les importantes mesures que voici :

Supprimer immédiatement la caisse d'escompte dont on avait à attendre encore tant de secours publics et particuliers, c'eût été une imprudence : il fut décidé qu'elle continuerait provisoirement ses opérations, mais qu'elle aurait à revenir, le plus tôt possible, aux conditions de son engagement fondamental, celui de payer ses billets à bureau ouvert. Elle avait prêté au gouvernement soixante-dix millions en 1787, quatre-vingt-dix millions en 1789 : on lui demanda de fournir au trésor, dans un délai de six mois, une nouvelle somme de quatre-vingts millions, de telle sorte que, le 1er juillet 1790, sa créance à l'égard de l'État devait s'élever à deux cent quarante millions.

Ceci bien entendu, il s'agissait de savoir sur quelles ressources l'État prendrait de quoi éteindre une pareille dette, ajoutée à toutes les autres. On n'avait pas d'argent, on n'avait pas de crédit, on ne pouvait disposer des revenus publics, engagés d'avance. Que faire ? ce que fait en pareil cas tout honnête homme qui a des propriétés : vendre ; et, avec le prix de la vente, se libérer. Or, il y avait deux espèces de propriétés nationales, dont il était possible de faire argent : les domaines de la couronne d'abord, et ensuite les domaines ecclésiastiques. Les premiers avaient pu être et avaient été considérés comme inaliénables, tant qu'ils avaient dû suffire à l'entretien des rois et de leur famille ; mais ils redevenaient naturellement disponibles, dès qu'au moyen d'une liste civile, la nation se chargeait elle-même de pourvoir aux besoins de son premier fonctionnaire, et d'y pourvoir magnifiquement. Quant aux seconds, un décret irrévocable et solennel les avait placés sous la main de l'État, qui était libre d'en faire l'usage jugé le plus convenable, à la seule condition de subvenir aux frais du culte, à l'entretien des ministres de l'autel et au soulagement des pauvres. Bien résolue à affecter ces deux espèces de propriétés à la libération de l'État, l'Assemblée décréta qu'à l'exception des forêts, qu'à l'exception des maisons royales, dont Louis XVI voudrait se réserver la jouissance, les domaines de la couronne seraient mis en vente, ainsi qu'une portion des domaines ecclésiastiques, jusqu'à concurrence de quatre cents millions.

Mais la vente pouvait tarder, et les dettes à éteindre pressaient. Il fallait donc imaginer un moyen de jouir du prix de cette vente, avant même de l'avoir réalisée. Dans ce but, on arrêta la création de quatre cents millions d'assignats, c'est-à-dire de billets d'achats sur les biens à vendre. Par là, les quatre cents millions de terres, pour les quelles l'État avait à trouver des acheteurs, allaient être représentés sans plus attendre, par quatre cents millions en papier, dont une partie fut remise à la caisse d'escompte en garantie du remboursement de ses avances. Hâtons-nous de faire remarquer que ces assignats dont il est ici question n'eurent pas d'abord le tragique caractère qu'ils allaient bientôt revêtir ; on ne leur donna point, dès le début, un cours forcé, on ne les créa point comme papier-monnaie, dans le sens absolu du mot. Ce n'étaient encore que de simples mandats négociables, des anticipations tirées sur une vente de domaines qu'on espérait réaliser. On ne devait pas longtemps en rester là !

Ainsi, la fin de l'année 1789 fut marquée par l'adoption de quatre grandes mesures financières :

1° Emprunt de quatre-vingts millions fait à la caisse d'escompte ;

2° Aliénation résolue d'une partie des domaines nationaux jusqu'à concurrence de quatre cents millions ;

3° Création, sous le nom d'assignats, de quatre cents millions de mandats négociables correspondant à la vente espérée et destinés en partie au payement de la caisse d'escompte ;

4° Établissement d'une caisse de l'extraordinaire, spécialement affectée à l'extinction de la dette publique[33].

Pour surmonter la situation, ne fallait-il rien de plus ?

Ce secours de quatre-vingts millions suffirait-il, si, comme il n'était que trop aisé de le prévoir, l'équilibre entre les revenus et les dépenses ne se rétablissait pas ; si l'impôt sur la gabelle continuait à n'être pas payé et n'était pas remplacé à temps ; si l'acquittement des impositions ordinaires était retardé par les troubles des provinces ; si, faute de confiance dans l'avenir, les anticipations ne se renouvelaient pas ?

On décidait que quatre cents millions de domaines nationaux seraient vendus ; mais il y avait loin encore de la vente résolue à la vente effectuée ! A quelles résistances ne fallait-il pas s'attendre de la part des prêtres, lorsque d'une expropriation sur le papier on en viendrait à une expropriation matérielle ? Rien de bien arrêté, d'ailleurs, ni sur la manière dont on procéderait à cette vente, ni sur l'appât qu'on opposerait, dans l'esprit des acheteurs, à l'empire des scrupules religieux, ni sur l'administration provisoire des biens à vendre, ni sur la dotation du clergé, enfin.

Quant aux quatre cents millions d'assignations créées, trouverait-on à les négocier ? Si l'on n'y réussissait pas, on n'aurait fait que bâtir un château de cartes.

Questions de vie ou de mort ! Et l'ardeur avec laquelle l'opinion publique se mit à les agiter le prouva bien. Car, pendant que les femmes et les filles des plus célèbres artistes de Paris — dans la liste étincelaient les noms de Fragonard, de Vernet, de David — couraient faire don de leurs bijoux à l'Assemblée ; pendant qu'à la patrie en détresse, des magistrats offraient la finance de leurs charges, de belles jeunes filles leurs bracelets, de pauvres soldats trois mille livres à prendre sur leurs subsistances d'un mois[34], que d'esprits lancés à la découverte ! Sous la plume des Kornmann, des Brissot, des Brûlé, des Béyerlé, des Cernon, que de chiffres vinrent se grouper en colonnes libératrices ! Chacun faisait son rêve d'or, tous les matins on sauvait l'État. Pour quelques-uns, ce genre de recherches avait le charme d'une aventure. Favras ne s'était-il pas mis à calculer avant de conspirer ? N'avait-il pas écrit fièrement sur la première page d'un livre : le déficit de la France vaincu ? Les idées les plus bizarres furent émises, les combinaisons les plus ingénieuses se firent passage, et de l'intelligence française, vivement remuée, jaillirent, mêlées comme toujours à des tourbillons de fumée, les étincelles ! Innombrables sont les brochures dont la crise des finances inonda la place[35]. L'un proposait rémission d'un papier que, par un établissement spécial, on assurerait contre le discrédit, de même qu'on assure les maisons contre l'incendie, et les navires contre le naufrage[36] ; un autre demandait le surhaussement des monnaies, en partant de cette donnée que la dette était de trois milliards, et qu'il restait dans le royaume, tant en or qu'en argent, un milliard dix-sept millions de numéraire[37] ; un troisième voulait la conversion de toutes les dettes de l'État, viagères ou perpétuelles, en une tontine générale, divisée en seize classes, la première comprenant les enfants jusqu'à l'âge de cinq ans, et la dernière les vieillards passé soixante-quinze[38]. L'auteur de ce dernier plan se nommait Morainville, et le titre de son livre était : l'Union des trois ordres, ou la poule au pot. Suivant un certain chevalier de S*** M***, rien à espérer, si l'on ne confiait pas le maniement des finances à un conseil de la nation, composé de députés nommés ad hoc par chaque province, et si on ne se hâtait pas de fonder une banque nationale, formée de tous les revenus de l'État, qu'on continuerait à percevoir en espèces métalliques, et qui serait tenue d'acquitter dans ces espèces le papier de circulation nationale émis par elle[39]. Ces idées de banque nationale à créer, de papier-monnaie à répandre sous telle ou telle garantie, fermentaient du reste dans toutes les têtes ; elles se retrouvent, quoiqu'un peu diversement combinées, dans une foule d'écrits : c'est ce qui fut proposé par Reboul Sennebier, par le fameux Linguet, par un ancien consul de paix à Maroc, nommé d'Audibert de Caille, lequel avait pris pour épigraphe : Soyez d'accord et nous serons heureux[40], conseil, hélas ! plus facile à donner qu'à suivre. Afin de populariser parmi les femmes ce désir d'une monnaie rivale du métal, on fit vendre chez les marchandes de nouveautés les brochures qui la demandaient, et l'on imagina des titres tels que celui-ci, par exemple : La Franche-Picarde, ou le vœu de Madame de***, pour la création d'un papier-monnaie[41].

Tel était le mouvement des esprits, lorsqu'un négociant lyonnais, nommé Ferrières, vint exposer un système qui occupa fortement l'attention publique, ébranla le monde des capitalistes, et vaut qu'on s'y arrête.

La pratique des virements est bien connue. A doit à C une somme de vingt mille livres, et il lui est dû à lui-même vingt et un mille livres par B. D'un autre côté, C doit aussi à B vingt mille livres. Dans cette occurrence, A rencontrant C à la loge de change lui dit : Je vous dois vingt mille livres, et B me les doit : voulez-vous que je vous paye en vous transmettant ma créance sur B ? L'arrangement est accepté. Par conséquent, si B remet à C la quittance des vingt mille livres dont ce dernier est son débiteur, il se trouvera par cela seul libéré à l'égard de A jusqu'à concurrence de cette somme, et ne restera plus lui devoir que mille livres. Supposons qu'il les lui paye en argent : il aura suffi de ce faible appoint de mille livres en espèces métalliques pour solder entre A, B et C, des comptes qui portaient sur des sommes considérables. Or, il est aisé. de comprendre comment une opération de cette nature, étendue à la masse des créanciers et débiteurs d'une place, réduit à peu de chose la nécessité de l'intervention des espèces, laquelle n'est plus requise alors que pour les appoints. De sorte que grâce aux virements, le crédit se peut maintenir dans le commerce, indépendamment du resserrement des espèces métalliques, sur la base des valeurs primitives en marchandises.

Ce fut dans l'étude de cette pratique, heureux obstacle à la tyrannie du capitaliste oisif, que Ferrières prit son point de départ. Considérant que les habitants d'un pays sont tous, quoique à des degrés différents et sous des conditions diverses, créanciers et débiteurs les uns des autres, il imagina d'appliquer à la circulation générale le principe des virements lyonnais.

Mais dans une place de commerce, tous les contractants ont sur leur solvabilité réciproque des données à peu près sûres, qui disparaissent dès qu'on recule le mur d'enceinte de cette place jusqu'aux frontières d'un vaste royaume. En second lieu, il ne saurait y avoir dans un royaume, ainsi que dans une ville, une loge de change, où puissent se rencontrer et aller s'entendre tous ceux qui ont des dettes à compenser au moyen de leurs créances.

Il y avait donc d'abord à choisir pour base quelque chose de plus stable, de plus propre à exciter la confiance et à la nourrir, que des marchandises qui s'usent, qui se détériorent, qu'on déplace, qu'on détourne, et en outre il fallait trouver une forme de contrat qui dispensât de la loge du change, et ne réclamât point, de la part des contractants, une connaissance exacte de leurs mutuelles ressources.

Ce double but, Ferrières crut qu'on l'atteindrait : 1° en remplaçant, comme base des virements, les marchandises par des fermes, des champs, des maisons ; 2° en créant des billets hypothéqués sur ces maisons, sur ces champs, sur ces fermes, c'est-à-dire portant en eux-mêmes leur valeur, de telle sorte que le cessionnaire n'eût pas besoin de connaître les affaires du cédant, et que leur simple transmission, consentie, de la main de celui-ci dans la main de celui-là, et ainsi de suite, servît à consommer l'acquit de l'un et le débit de l'autre.

Mais toutes les dettes n'étant point exactement compensables par toutes les créances, de quelle manière les différences seraient-elles soldées, et comment les appoints en espèces métalliques seraient-ils payés ? Ici intervenait naturellement l'idée des banques.

Voilà de quel enchaînement d'observations et de déductions naquit, dans la tête du négociant lyonnais, le plan financier dont nous allons dessiner les lignes principales[42].

— On aurait établi, en nombre égal aux divisions du royaume, des caisses territoriales, formées de tous les revenus bruts de l'État, relevant d'une caisse centrale, et chargées d'acquitter en argent, à la première demande, les signes territoriaux qui leur seraient présentés.

— Ces signes auraient consisté dans des billets émis sous la garantie de la nation, transmissibles et exprimant l'engagement hypothécaire de telle ou telle portion du sol, de tel ou tel immeuble.

— Tout propriétaire foncier, pressé du besoin ou du désir d'emprunter, n'aurait eu qu'à se rendre à la caisse territoriale de son département, qui lui aurait prêté en signes territoriaux la somme par lui demandée à quatre et demi pour cent, sur hypothèque, jusqu'à concurrence des deux tiers de sa propriété, et après avoir soigneusement constaté son identité, vérifié son titre, examiné si le bien engagé était libre.

— Au bout d'une année, si le propriétaire se trouvait avoir jeté ses signes dans la circulation, il aurait été obligé d'en payer le montant à la caisse. Si, au contraire, il se trouvait les avoir gardés, il aurait été tenu ou de les renouveler ou de les rendre. — Sur les quatre et demi pour cent d'intérêt, un et demi auraient été pour les frais d'administration, deux et demi auraient appartenu à l'État et servi à sa libération définitive.

Cette combinaison mariait le crédit à la terre ; elle tendait à les féconder l'un par l'autre ; elle promettait de conduire promptement à l'extinction de la dette publique, en y appliquant les bénéfices d'une vaste opération de banque ; elle ne pouvait manquer, si elle réussissait, de faire baisser l'intérêt de l'argent ; elle devait remplir, avec du papier, il est vrai, mais avec un papier ayant le plus solide des gages, les canaux qu'avaient laissés vides, dans la circulation, la fuite du numéraire et ses alarmes. Tout cela parut séduisant au dernier point. Ferrières conféra de son plan avec des financiers en renom et des hommes d'affaires, avec Le Normand, Mayou de La Balue, Gojard, Pomarel, avec le trésorier général, avec les commis du trésor, avec les administrateurs de la caisse d'escompte, et tous s'avouèrent sinon convaincus, du moins éblouis[43]. Pétion ne se contenta point d'adopter ces vues, il déclara qu'il les porterait à la tribune nationale[44] ; à son tour l'Hôtel de Ville s'en préoccupa vivement ; enfin l'auteur fut appelé à en faire l'exposé détaillé devant les commissaires du district de Henri IV.

Le compte rendu de l'interrogatoire est sous nos yeux ; le voici, avec quelques modifications que rendait indispensables de notre part, quant à la forme, son défaut de correction et de clarté.

D. Quel moyen les caisses territoriales auront-elles de s'assurer si les biens-fonds sur lesquels on empruntera sont déjà libres de toute hypothèque ?

R. Dans le cas où l'Assemblée nationale adopterait mon système, elle aurait à décréter que quiconque aura des hypothèques sur biens-fonds, sera tenu de les indiquer et d'en justifier à l'administration, sous peine d'être déchu.

D. Le propriétaire emprunteur pourra-t-il disposer du bien sur lequel il aura pris un signe ?

R. Il ne pourra disposer que de la portion sur laquelle ne pèsera point son engagement.

D. Qu'arrivera-t-il si, à la fin de l'année, le propriétaire emprunteur, après avoir livré à la circulation les signes territoriaux à lui remis, n'en paye pas le montant à la caisse ?

R. La caisse se mettra en possession du bien ; elle y établira un régisseur ; elle percevra les revenus dont elle fera séquestre, et sur le produit desquels elle retiendra quatre pour cent jusqu'à ce que le bien, vendu, la-rembourse de ses avances.

D. Les signes territoriaux obtiendront-ils un crédit suffisant ?

R. Certainement. La lettre de change la plus acceptable ne s'attire un crédit équivalent à celui des espèces sonnantes que par l'opinion que l'on a de la solidarité des tireurs, accepteurs et endosseurs. Si par hasard on se trompe, c'en est fait ; car comment poursuivre dans les mains où il peut l'avoir fait passer, la propriété du créancier ? Ce que le signe territorial, au contraire, vous met dans la main, ce n'est pas le résultat d'une opinion tantôt vraie, tantôt fausse, c'est, sous la forme d'un morceau de papier, une ferme, c'est un champ, c'est une maison. Or, la mesure de tout crédit est la valeur inhérente à la chose qui en est le gage.

D. Est-ce que les signes territoriaux circuleront aussi facilement que l'or et l'argent ?

R. Sans doute, Un minerai arraché aux entrailles de la terre vaut-il plus que la terre même d'où on l'a tiré ?

D. Ces signes peuvent se perdre ?

R. Moins aisément que le numéraire, si on emploie le moyen bien simple que je vais indiquer : le propriétaire A présente à la caisse territoriale de Marseille une propriété foncière, libre, nette et liquide, estimée à douze mille livres. On lui délivre un signe territorial de quatre mille livres qu'il a demandé, signe convertissable en espèces métalliques, à sa présentation dans toutes les caisses territoriales du royaume. Mais A n'a pas manqué de faire coucher sur le registre un mot ou un numéro que lui seul et l'administration connaissent. Ce mot sera, si vous voulez, alla, ou ce numéro CXO. Tout porteur du signe territorial délivré au propriétaire A, voulant réaliser en espèces ce signe de quatre mille livres, n'en obtiendra le payement partiel ou intégral, qu'à la condition de connaître le mot alla, ou le numéro CXO, non écrits sur le signe.

D. Il semble que votre projet ne doive profiter qu'aux propriétaires d'immeubles ?

R. Les non-propriétaires en profiteront aussi par l'échange de leurs marchandises avec les propriétaires lesquels, empruntant des signes à quatre pour cent, ne de manderont pas mieux que de prêter à cinq ou six, alors qu'il faut aujourd'hui payer au capitaliste prêteur dix, onze, et même douze pour cent.

D. La baisse du prix de l'argent est un des résultats de votre système ?

R. Oui, dans ce système, en effet, l'argent perd son utilité comme unique agent représentatif des valeurs, il ne la conserve plus que comme moyen de balance et d'appoint.

D. Sur quels fonds les caisses territoriales prendront-elles de quoi faire face aux payements à vue ?

R. Sur les revenus bruts de l'État, qui devront y être versés, à quoi on peut joindre un milliard, volontairement échangé contre des effets territoriaux par différents particuliers.

D. A quel taux l'État, dans cette hypothèse, pourrait-il se procurer de l'argent, emploi fait des domaines de la couronne et des biens ecclésiastiques ?

R. A un et demi pour cent. Car, la nation prenant des signes affectés sur ces sortes de biens, et les prenant à un intérêt de quatre pour cent, l'argent qu'elle se procurerait à l'aide de ces signes, ne lui reviendrait en réalité qu'à un et demi, puisque des quatre pour cent il en entrerait deux et demi dans le trésor[45]

Telles furent les explications de Ferrières. On ne l'avait pas questionné sur la plus sérieuse des difficultés que donne à résoudre l'établissement de toute banque foncière. Pour qu'un papier, quel qu'il soit, tombe efficacement dans la circulation, la première condition c'est qu'il y reste. Or, un propriétaire ayant à payer des salaires, qui souvent ne dépassent pas un franc par jour, et le salarié, étant obligé à son tour de changer ce franc en centimes, il en résulte que, par la nature même des choses, les billets qui sortent d'une banque foncière n'ont, en général, rien de plus pressé que d'y retourner. C'était là le vrai point à éclaircir.

Quoi qu'il en soit, l'assentiment donné par le district de Henri IV aux vues de Ferrières fut complet et très-actif. Il prit un arrêté qu'il se hâta d'envoyer aux cinquante-neuf autres districts, et dans lequel il les pressait énergiquement, au nom du salut public, de se réunir, de se concerter, d'appuyer auprès de l'Assemblée nationale l'auteur du plan et son organe, Ferrières et Pétion.

L'Assemblée pouvait-elle rester inébranlable, quand de toutes parts venaient s'amonceler autour d'elle les flots de l'opinion ? Mais quoi ! une force plus inévitable encore la pressait. Vivre ! il fallait vivre ! Quel moment de stupeur et d'effroi que celui où, d'un ton lamentable, Necker vint annoncer, le 6 mars 1790, que le remplacement de la diminution du produit sur la gabelle n'était pas effectué ; que le payement des impôts essuyait des retards, terribles dans la circonstance ; que les anticipations sur 1790, quoique infiniment réduites, n'avaient pu être complètement renouvelées ; que de tout cela résultait, malgré trente-neuf millions reçus de la caisse d'escompte, et rien que pour les deux premiers mois de l'année, un vide de cinquante-huit millions[46] ! Or, comme remède suprême à ces grands maux, que proposait Necker ? la formation d'un bureau de trésorerie, appelé à fixer toutes les dépenses journalières, à déterminer tous les modes de payement, et composé de commissaires pris dans le sein de l'Assemblée[47]. C'était laisser la plaie ouverte et saignante, en se rejetant sur autrui du soin de la panser. Le ministre semblait dire : Je suis à bout d'expédients ; voyez vous-mêmes. Une abdication pure et simple eût mieux valu. D'ailleurs, il avait été décrété qu'aucun représentant ne pourrait, dans le cours de la session, accepter de place du pouvoir exécutif. L'Assemblée, par l'organe du marquis de Montesquiou, exprima son sentiment sur la proposition de Necker et la rejeta[48].

C'était trop peu : si l'on s'endormait, on périssait. On avait bien une ressource dans les domaines de la couronne et dans les biens du clergé, mais le point difficile était d'en tirer parti. Les acheteurs ne se présentaient pas ; les quatre cents millions d'assignations, créées au mois de décembre 1789, ne s'étaient point négociées, quoique, pour les rendre plus désirables, on leur eût affecté un intérêt de cinq pour cent[49]. On se trouvait donc avoir entre les mains des chiffons de papier, correspondant à une valeur très-réelle, mais qui semblait morte. De qui viendrait le premier signal de la délivrance ? Ce fut la Commune de Paris qui le donna.

Les meneurs de l'Hôtel de Ville, en qui se personnifiait à merveille le bon sens pratique de la bourgeoisie, pensèrent avec raison que si les assignations ou billets d'achat sur les domaines nationaux n'obtenaient point faveur, c'était parce que la réalisation de la vente décrétée se présentait encore aux esprits comme fort douteuse. Or, il y avait un moyen bien simple de faire évanouir ce doute : c'était de mettre immédiatement les biens en vente, et de les vendre en effet... Mais à qui ? aux municipalités qui, après les avoir achetés en masse à l'État, les revendraient en détail aux particuliers. Les propriétés du clergé, une fois hors de ses mains, la question serait tranchée pour les plus incrédules, et la négociation du papier, auquel ces propriétés servaient de gage, deviendrait facile. Autre avantage : si l'État tentait de se défaire tout d'un coup, directement, sans intermédiaire, de ces domaines de l'Eglise, auxquels la superstition avait si longtemps attaché un caractère sacré, il était à craindre, ou qu'il n'y eût point d'acheteurs, ou que quelques acquéreurs avides ne profitassent des embarras de la nation pour lui imposer des conditions onéreuses. Ne pas vendre, ou vendre mal, telle était l'alternative à prévoir, si, entre l'État et les simples particuliers, aucun grand corps n'intervenait. Et quelle intervention pouvait être plus efficace, plus prépondérante que celle des corps municipaux ? A la vérité, il n'était pas certain que toutes les municipalités du royaume consentissent à entrer dans cette voie ; mais la Commune de Paris espéra que, lorsqu'elle aurait donné l'exemple, et fait résolument le premier pas, les autres suivraient, surtout si, pour les y encourager, on leur abandonnait, comme prix de leurs soins, le seizième des ventes. Quant à elle, sur les quatre cents millions de biens à aliéner, elle s'offrait à en acheter pour deux cents millions, sauf à s'acquitter en obligations payables dans l'espace de quinze ans, d'année en année, obligations dont l'État pourrait se servir à son tour pour désintéresser les créanciers, et qui, sous le nom d'effets municipaux, auraient, selon toute apparence, la faculté de circuler comme monnaie, puisqu'ils reposeraient sur un gage territorial.

Voilà le projet que Bailly vint soumettre à l'Assemblée, dans la séance du 10 mars, et qui, combattu par Duport, mais appuyé par Thouret, fut adopté dans la séance du 17[50].

C'était beaucoup, ce n'était pas assez. L'achat des biens ecclésiastiques par les municipalités rendait irrévocable une des mesures les plus hardies que la Révolution eût prises, et, sous ce rapport, la portée de la proposition faite au nom de la Commune de Paris était immense ; mais il n'y avait encore de résolu qu'une partie du problème.

Payer les créanciers de l'État en effets municipaux, au moyen desquels ils pourraient acquérir une valeur proportionnelle des biens mis en vente, c'eût été à merveille, dans le cas où les créanciers n'auraient voulu que convertir leur argent en terres. Mais il était aisé de prévoir que beaucoup d'entre eux auraient à donner à leur argent une destination différente ; et que leur importerait à ceux-là la possession d'effets municipaux dont, après tout, la circulation comme monnaie n'était pas garantie, n'était pas certaine, et qui risquaient de n'être entre leurs mains qu'une richesse morte, quand il leur plairait d'acheter une marchandise ou de payer une dette ?

Pour remplacer le numéraire absent, Ferrières avait proposé des signes territoriaux, hypothéqués sur tous les immeubles du royaume ; maintenant Bailly, au nom de l'Hôtel de Ville, faisait prévaloir l'idée d'effets municipaux, hypothéqués sur les biens de la couronne et du clergé. Dans l'un et l'autre plan, le papier à émettre se trouvait reposer sur un gage solide, nul doute à cela ; mais enfin, ce n'en était pas moins un papier de confiance. Et quelle mission lui donnait-on ? celle de suppléer au numéraire, que précisément le défaut de confiance avait chassé ou sollicitait à s'enfouir ! Il y avait là quelque chose de contradictoire.

Ainsi, d'une part, il était souverainement injuste de contraindre les créanciers de l'État à recevoir en payement un papier que leurs propres créanciers n'auraient pas été contraints de recevoir à leur tour : c'eût été la banqueroute, avec l'hypocrisie de plus.

Et, d'autre part, il fallait bien créer une monnaie de papier, non de confiance, mais à cours légal, à cours forcé, puisque la confiance avait disparu, puisque la monnaie de métal avait déserté, puisque les billets de la caisse d'escompte avaient perdu tout crédit, puisque le mouvement des échanges était arrêté, puisque le principal ressort de la machine sociale n'existait plus.

Et qu'on ne croie pas ce tableau exagéré. L'assemblée générale des représentants de la Commune de Paris ayant nommé des commissaires pour s'enquérir de l'état de la circulation, il fut constaté, dans un rapport de Farcot, que, dès le mois de janvier 1790, la pénurie d'espèces était effrayante ; que la caisse d'escompte en avait à peine ce qui lui était absolument indispensable ; que la caisse de Poissy, qui en avait le plus pressant besoin, avait dû dépenser une somme énorme pour en tirer du dehors ; que les payeurs de rentes étaient obligés de s'en procurer par toutes sortes de voies ; qu'à la Monnaie, enfin, il ne restait plus, des dix à onze millions frappés avec la vaisselle, que trente mille livres[51].

Ce fut donc sous l'empire d'une nécessité invincible, que la Révolution se résolut à courir la grande aventure des assignats.

Les débats sur cet important objet s'ouvrirent, le 9 avril 1790, par un rapport d'Anson, parlant au nom du comité des finances. La discussion fut moins savante que vive, moins profonde que passionnée. Ce que le clergé voyait clairement dans les assignats, c'était l'instrument de son expropriation, et voilà ce qui, plus que le côté économique de la question, le touchait et l'animait.

Maury, avec une violence mal contenue, commença par dire : Quiconque vous avertira de votre puissance pour vous faire oublier d'être juste, sera l'ennemi de votre gloire. Puis, feignant de croire qu'il ne serait tenu aucun compte des droits de ceux des créanciers du clergé qui avaient déjà hypothèque sur ses biens, il se répandit sur leur sort en lamentations artificieuses. Il cita, en s'y associant, la définition donnée à l'opération débattue par un orateur qu'il ne nommait pas : c'est voler, le sabre à la main. Il prononça un nom d'une célébrité formidable, Law, et il évoqua les ombres de tous les malheureux qui avaient péri écrasés sous les décombres du SYSTÈME. On avait proposé d'attacher un intérêt de quatre et demi pour cent aux assignats, afin qu'on les recherchât et que l'argent fût sollicité à sortir des coffres où il se cachait, pour aller s'échanger contre un papier lucratif : Maury déclara cette idée la plus contradictoire qui fût jamais entrée dans la tête d'un calculateur ; car, disait-il, si les assignats portent intérêt, il y aura avantage à les garder, ils ne circuleront pas, et pourquoi les créez-vous, sinon pour qu'ils circulent ? Supposant ensuite ce qui était en question, il traçait la marche des assignats à travers la société, il les voyait suivis d'une innombrable série de banqueroutes particulières, dont se composerait la banqueroute générale, et il s'écriait : Tout homme en France qui ne doit rien, et à qui tout est dû, est ruiné par le papier-monnaie[52].

Dupont de Nemours qui, en sa qualité d'économiste, voulait par-dessus tout le laisser-faire, et repoussait une monnaie qu'on serait forcé de prendre, Dupont de Nemours avait déjà dit, sous une forme plaisante : Le fonds assigné est exposé à des dangers fortuits ; ainsi les assignats donnent lieu à un peu de faillite volontaire[53].

Cazalès ne fil que reprendre les arguments de l'abbé Maury, mais en y mêlant d'injurieux écarts, des cris de rage. Il dénonça d'avance les hommes vils qui s'en iraient ramasser dans la boue un papier discrédité. Il appela la loi proposée une loi infâme. Il termina en disant : Si, par impossible, l'Assemblée adoptait le projet du comitéà la face du public qui m'entend, en mon nom, au nom de mes commettants, au nom de l'honneur et de la justice, je proteste contre un décret qui entraîne la ruine du royaume et le déshonneur du nom français[54].

Le projet qualifié avec tant de fureur par Cazalès avait été appuyé d'une manière calme, mais pleine de force, par Martineau, Prieur d'Aiguillon, de La Rochefoucauld, Rœderer, l'abbé Gouttes. Dans un discours net et ferme et qui mérite d'être cité, Pétion résuma le débat de manière à le clore :

Le papier-monnaie, dit-il, n'a jamais été que représentatif d'une propriété générale, sans représenter jamais une propriété déterminée, sans avoir une hypothèque positive, sans avoir une époque de payement toujours prévue. En Espagne, à Venise, une longue expérience prouve la bonté de notre théorie. Il faut convenir que les billets de Law eussent sauvé l'État, si l émission n'en eût été excessive. Cependant, les billets de Law étaient toute autre chose que nos assignats. L'or a-t-il une valeur plus réelle que des biens mis en vente et des assignats sur ces biens ? Si les assignats restent libres, la cupidité les menace d'une dépréciation considérable ; si leur cours est forcé, ils seront dispersés dans une foule de mains, ils trouveront une foule de défenseurs. Le bienfait des assignats sera d'assurer la Révolution ; de rehausser le prix des ventes, en multipliant les acquéreurs ; de ranimer le commerce et les manufactures ; de ranimer une circulation devenue languissante par la privation de ses agents. La loi forcera à prendre une valeur pour ce qu'elle vaut réellement : est-ce donc une chose odieuse que de partager entre ses créanciers, des prés, des terres, des vignes ? Est-ce une chose odieuse qu'un lingot d'or divisé en pièces de monnaie ? qu'une lettre de change, dont l'échéance est à la volonté du porteur ? Quant à l'intérêt à attacher au papier-monnaie, ce serait une grande faute que de n'y en point attacher du tout. Le meilleur papier, quand il ne rapporte rien, n'est préférable à l'espèce que pour sa commodité. Le papier qui porte intérêt appelle l'argent, au lieu de l'éloigner. S'il n'avait aucun avantage sur les espèces, l'argent continuerait à se cacher dans les coffres ; si l'intérêt était trop fort, ce seraient les assignats qui seraient enfouis. Le point également éloigné des deux extrêmes est celui auquel il faut se fixer ; je demande : 1° une émission de quatre cents millions ; 2° le cours forcé des assignats ; 3° l'intérêt à trois pour cent ; 4° une émission prochaine ; 5° que les assignats soient à ordre[55].

 

L'Assemblée, sans plus de retard, alla aux voix ; et, voté entièrement dans les deux journées des 16 et 17 avril, le projet du comité des finances devint, par la sanction qu'il reçut le 22, une loi qui marque dans les annales de la Révolution, et dont on ne saurait se dispenser de donner au moins les dispositions principales :

Louis, par la grâce de Dieu, et par la loi constitutionnelle de l'État, roi des Français, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. L'Assemblée nationale a décrété, les 16 et 17 de ce mois, et nous voulons et ordonnons ce qui suit :

I. A compter de la présente année, les dettes du clergé seront réputées nationales : le trésor public sera chargé d'en acquitter les intérêts et les capitaux. La nation déclare qu'elle regarde comme créanciers de l'État tous ceux qui justifieront avoir légalement contracté avec le clergé et qui seront porteurs de contrats de rentes assignées sur lui. Elle leur affecte en conséquence et leur hypothèque toutes les propriétés, tous les revenus dont elle peut disposer, ainsi qu'elle fait pour toutes ses autres dettes.

III. Les assignats, créés par les décrets des 19 et 21 décembre 1789, par nous sanctionnés, auront cours de monnaie entre toutes personnes, dans toute l'étendue du royaume, et seront reçus comme espèces sonnantes dans toutes les caisses publiques et particulières.

IV. Au lieu de cinq pour cent d'intérêt par chaque année, qui leur étaient attribués, il ne leur sera plus alloué que trois pour cent.

V. Les assignats seront depuis mille livres jusqu'à deux cents livres. L'assignat de mille livres vaudra un sou huit deniers par jour ; celui de trois cents livres six deniers ; celui de deux cents livres quatre deniers.

VI. L'assignat vaudra chaque jour son principal plus l'intérêt acquis, et on le prendra pour cette somme. Le dernier porteur recevra, au bout de l'année, le montant de l'intérêt, qui sera payable à jour fixe par la caisse de l'extraordinaire, tant à Paris, que dans les principales villes du royaume.

VII. Pour éviter toute discussion dans les payements, le débiteur sera toujours obligé de faire l'appoint, et par conséquent de se procurer l'argent nécessaire pour solder exactement la somme dont il est redevable.

VIII. Les assignats seront numérotés ; il sera fait mention, en marge, de l'intérêt journalier…

X. Les assignats emporteront avec eux hypothèque, privilège et délégation spéciale, tant sur le revenu, que sur le prix desdits biens, de sorte que l'acquéreur qui achètera des municipalités, aura le droit d'exiger qu'il lui soit légalement prouvé que son payement sert à diminuer les obligations municipales, et à éteindre une somme égale d'assignats. A cet effet, les payements seront versés à la caisse de l'extraordinaire, qui en donnera son reçu à valoir sur l'obligation de telle ou telle municipalité.

XI. Les quatre cents millions d'assignats seront employés, premièrement, à l'échange des billets de la caisse d'escompte, jusqu'à concurrence des sommes qui lui sont dues par la nation, pour le montant des billets qu'elle a remis au trésor public, en vertu des décrets de l'Assemblée nationale. Le surplus sera versé successivement au trésor public, tant pour éteindre les anticipations que pour rapprocher d'un semestre les intérêts arriérés de la dette publique.

 

Suivaient diverses dispositions relatives à la caisse d'escompte.

Ainsi fut créé le papier-monnaie. On venait d'entrer dans une route que bordent les précipices !

Les besoins de la société et du commerce, avait dit avec beaucoup de raison Dupont de Nemours, sont, par rapport au numéraire, comme une éponge qui absorbe une certaine quantité d'eau, mais qui ne peut en contenir une goutte de plus qu'il n'en faut pour l'imbiber complètement : l'eau que vous verserez en sus s'écoulera à l'instant. De même, répandez dans le public plus de numéraire que n'en réclame le service des achats et des ventes, il quittera le pays ; les métaux qu'il employait se changeront en argenterie, en bijoux, ou sortiront[56]. Qu'arriverait-il donc, si la facilité de fabriquer des billets poussant l'État à des émissions exagérées, le papier-monnaie, qu'on introduisait dans la circulation, finissait par l'envahir tout entière ? Qu'arriverait-il si, cédant à une tentation décevante, la Révolution se laissait aller à lancer sur la place une masse surabondante de ce papier, qui ne saurait y entrer sans chasser plus ou moins le numéraire devant lui ? Une victoire de ce genre peut coûter cher à la nation qui y applaudit ? Car, entre le métal et le papier, considérés l'un et l'autre, soit comme mesure fixe des valeurs, soit comme agent des échanges, quelle différence !

Le papier est fragile, il est combustible, il est sujet à changer de couleur, il est facile à contrefaire, il se salit, il se déchire, il se perd. Le métal, au contraire, or ou argent, se divise, se réunit sans que sa valeur soit jamais altérée ; qu'on l'expose à l'air, qu'on le confie à la terre, qu'on le plonge dans l'eau, qu'on lui donne le feu à traverser, il reparaîtra toujours identique à lui-même, ayant toujours le privilège d'assurer à son détenteur le même commandement sur toute chose.

Le papier se crée à peu de frais, de sorte que sa multiplication au delà des bornes voulues et le nécessaire avilissement qui en résulte, avilissement si propre à bouleverser les transactions, sont des dangers inhérents à sa nature. La quantité du métal, au contraire, est limitée par la fécondité des mines et les difficultés d'exploitation.

Le papier n'a point de valeur intrinsèque, il ne saurait tirer sa puissance que d'une convention ; il n'est qu'un signe. Le métal, au contraire, qui peut se réduire en lingots et fournir à l'art et à l'industrie leur matière la plus précieuse, le métal joint à sa valeur conventionnelle une valeur parfaitement intrinsèque ; il ne représente pas seulement les objets échangeables, il les vaut ; il n'en est pas seulement le signe, il en est le gage.

Ces considérations semblent décisives, au premier abord ; d'où vient qu'elles agirent faiblement sur ceux que l'esprit de la Révolution animait ? D'où vient que presque tous les écrits financiers de cette époque se rencontrent sur la pente qui mène au papier-monnaie ? Ah ! c'est que la nécessité était là, nous l'avons dit, pressante, violente, inexorable.

Et puis, l'on sentait bien, au fond, que les avantages propres au métal ne le rendent préférable au papier que dans un ordre social imparfait, que dans un régime qui, consacrant la séparation des intérêts, se prêtant à leur antagonisme, fait de la défiance, l'inévitable contre-poids de la fraude, et met, à côté de l'impatience de gagner, la peur de perdre ; oui, c'est justement parce que là monnaie de métal possède une valeur réelle, parce qu'elle est à la fois marchandise et signe, parce que la faculté de l'étendre ne contrebalance pas celle de la resserrer, c'est justement à cause de tout cela qu'il suffit de l'accaparer pour être maître du mouvement des échanges ; c'est-à-dire de la vie, de l'âme, de la respiration de l'industrie.

Une société où les rapports des hommes entre eux seraient réglés avec précision et harmonie ; où tous concourraient, chacun dans la mesure de ses forces, à la réalisation du bonheur commun ; où l'identité des relations et l'accord des intérêts rendraient possible le crédit personnel, celui qui repose sur la valeur d'un homme, et inutile le crédit matériel, celui qui a besoin d'être garanti par une chose... une pareille société n'aurait que faire d'une monnaie marquée au coin de la défiance ; ce qui lui conviendrait, ce serait la monnaie des promesses qu'on tient et auxquelles on croit, ce serait la monnaie de l'association, la monnaie démocratique par excellence, le papier.

Malheureusement, dans les révolutionnaires d'alors, ce sentiment n'était encore qu'un instinct, et un instinct très-vague, très-confus, qui risquait fort de s'égarer, si, comme avait fait Law, on s'aventurait à commencer par où il faut finir ; si l'on appliquait à une société militante et tourmentée par d'effroyables luttes un ressort dont l'emploi se rapporte à la supposition d'une société pacifiée et savamment organisée ; si, en un mot, on adoptait d'une manière trop absolue comme monnaie de la Révolution ce qui, au point de vue scientifique, ne peut être que la monnaie de la Fraternité.

Là fut le péril caché, dès l'origine, dans la création des assignats, et on ne fut pas sans le pressentir. Seulement, on espéra y échapper, en leur donnant à représenter une partie du sol, en leur imprimant, autant que possible, le caractère de la monnaie métallique, qui est d'être à la fois signe et gage. Il était peu probable que, même dans ces conditions, on pût réussir jusqu'au bout ; mais enfin, grâce à ce mélange de hardiesse et de prudence, on doubla le cap sous la tempête ; et si la Révolution ne fut point sauvée sans d'épouvantables secousses, elle le fut du moins à ce prix !

 

 

 



[1] Discours prononcé par Dupont, député du bailliage de Nemours, p. 30, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, t. CXCI, CXCII et CXCIII. British Museum.

[2] Rapport du marquis de Montesquiou, présenté à l'Assemblée le 18 novembre 1789.

[3] Rapport du marquis de Montesquiou, présenté à l'Assemblée le 18 novembre 1789.

[4] Rapport du marquis de Montesquiou, présenté à l'Assemblée le 18 novembre 1789.

[5] Sur l'administration de M. Necker, par lui-même, p. 182. 1791.

[6] Rapport sur la caisse d'escompte, imprimé par ordre de l'Assemblée nationale, p. 1 et 2, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, t. CXCI, CXCII et CXCIII. British Museum.

[7] Règne de Louis XVI, t. V, p. 254. Paris, 1791.

[8] Ibid., p. 255.

[9] Rapport sur la caisse d'escompte, p. 4. Ubi supra.

[10] Règne de Louis XVI, t. V, p. 267.

[11] Discours prononcé par Dupont, député du bailliage de Nemours, p. 7, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, t. CXCI, CXCII et CXCIII. British Museum,

[12] Rapport sur la caisse d'escompte, p. 5.

[13] Voyez dans le IIe volume de cet ouvrage, le chap. intitulé : Apparition du déficit.

[14] Rapport sur la caisse d'escompte, p. 13.

[15] Clavière, Opinion d'un créancier de l'État, p. 67. Londres, 1789.

[16] Discours de Dupont, p. 9. Ubi supra.

[17] Rapport sur la caisse d'escompte, p. 13.

[18] Rapport sur la caisse d'escompte, p. 16.

[19] Voyez dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, t. CLXXXIII, CLXXXIV, CXCI, CXCII, CXCIII, CC, le Discours de Pitra sur la caisse d'escompte, imprimé aux frais de la caisse ; le Rapport sur la caisse d'escompte, et Réponses à quelques objections relatives à la caisse d'escompte.

[20] Rapport sur la caisse d'escompte, p. 28.

[21] Rapport sur la caisse d'escompte, p. 28.

[22] Règne de Louis XVI, t. V, 256.

[23] Voyez dans le t. II de cet ouvrage le chapitre intitulé : Apparition du déficit.

[24] Opinion d'un créancier de l'État, p. 32.

[25] Lettre de Boileux de Beaulieu à M. le président du comité des recherches, à l'Assemblée nationale, p. 11, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, t. CLXXXV, CLXXXVI. British Museum.

[26] Discours que Mirabeau avait préparé pour la tribune, et qui est cité t. VII. p. 23 des Mémoires.

[27] Voyez le tome III de cet ouvrage, au chapitre intitulé : Administration de Necker.

[28] Moniteur, séance du 14 novembre 1789.

[29] Règne de Louis XVI, t. V, p. 269.

[30] Biographie universelle, au mot DUPONT.

[31] Ce discours, incomplètement reproduit par le Moniteur, se trouve in extenso dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, t. CXCI, CXCII et CXCIII. British Museum.

[32] Imprimé en entier dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, t. CLXXXIII et CLXXXIV. British Museum.

[33] Décrets du 19 décembre 1789.

[34] Des libéralités des particuliers envers la patrie et de l'organisation d'une caisse patriotique, par Bouche, député de la sénéchaussée d'Aix, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, t. CXCIV, CXCV. British Museum.

[35] Dans la collection du British Museum : Finances de la Révolution française, ces brochures rassemblées forment, avec quelques rapports et quelques discours, une série d'énormes volumes que nous nous sommes imposé le devoir de lire pour bien connaître le mouvement des esprits et qui s'étend du n° 181 au n° 234 !…

[36] Caisse d'assurance, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, t. CCVI, CCVII. British Museum

[37] Moyen de rétablir promptement les finances, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, t. CCXI, CCXII. British Museum.

[38] L'Union des trois ordres, ou la poule au pot. Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, t. CCII, CCIII.

[39] Essai sur le rétablissement des finances du royaume, par M. le chevalier de S*** M***. Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, t. CLXXXIII, CLXXXIV.

[40] Moyen sûr et facile pour libérer l'État, par M. d'Audibert de Caille, ancien consul de paix près l'empereur de Maroc. Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, CXCIX, CC.

Les brochures de Reboul Sennebier et de Linguet, citées dans l'Histoire parlementaire de Buchez et Roux, ne se trouvent point dans la collection, d'ailleurs si riche, du British Museum.

[41] Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, t. CXCIV, CXCV. British Museum.

[42] Les divers écrits de l'époque, où ce plan se trouve exposé et recommandé, sont tous très-mal faits et affreusement obscurs. Nous nous sommes étudié à les résumer, en y introduisant de l'ordre et de la clarté. Voyez dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, aux tomes CLXXXV CLXXXVI, et CXCI, CXCII, CXCIII, Démonstration géométrique de la base sur laquelle reposent les principes de la banque territoriale de M. Ferrières, par M. B***, député à l'Assemblée nationale, et aussi, Précis et succinct aperçu d'un nouveau plan de finances, par Jacques-Annibal Ferrières.

[43] Précis et succinct aperçu d'un nouveau plan de finances.

[44] Rapport des commissaires du district de Henri IV, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances ; t. CCXI, CCXII. British Museum.

[45] Rapport fait le 22 janvier 1790, par les commissaires nommés pour l'examen du plan de banque territoriale de M. Ferrières, au comité général du district de Henri IV.

[46] Moniteur, séance du 6 mars 1790.

[47] Moniteur, séance du 6 mars 1790.

[48] Moniteur, séance du 12 mars 1790.

[49] Voyez le décret du 19 décembre 1789.

[50] Moniteur, séance de ce jour.

[51] Rapport de Farcot à l'assemblée générale des représentants de la Commune, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — Finances, t. CXCIV, CXCV. British Museum.

[52] Moniteur, séance du 15 avril 1790.

[53] Moniteur, séance du 15 avril 1790.

[54] Moniteur, séance du 15 avril 1790.

[55] Moniteur, séance du 16 avril 1790.

[56] Discours de Dupont de Nemours, sur le projet de transformation de la Caisse d'escompte en Banque nationale. Ubi supra.