HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME DEUXIÈME

LIVRE PREMIER

 

CHAPITRE X. — PARIS SOULEVÉ.

 

 

Inquiétude générale. — Renvoi de Necker. — Tableau de Paris soulevé. — L'abbé Grégoire. — Déclaration de l'Assemblée nationale. — Héroïsme du peuple, son désintéressement ; défiances qui le calomnient. — Étrange dictature née des événements. — Pourquoi la garde bourgeoise est établie. — Manœuvres artificieuses du prévôt des marchands. — Lettre caractéristique du baron de Besenval à la comtesse Jules. — On trompe le peuple ; son indignation. — Distribution des poudres à l'Hôtel de Ville. — Nuit du 13 juillet 1789.

 

Le dimanche, 12 juillet 1789, de grand matin, Paris entendit crier une motion du duc d'Orléans, dans laquelle, sous le nom d'impôt d'honneur, on proposait une cotisation volontaire pour le soulagement des pauvres. Le duc d'Orléans se plaçait en tête de la liste, il offrait trois cent mille livres[1].

Mais, ce jour-là, les esprits appartenaient à d'autres pensées : les pauvres eux-mêmes semblaient indifférents à leur misère.

Necker est-il renvoyé ? Telle était la question que s'adressaient, en s'abordant, les bourgeois, les militaires, les ouvriers, et jusqu'à de malheureux mendiants qui, n'ayant pas d'asile, cherchaient une patrie. Necker est-il renvoyé ? Et l'on se passait de main en main le numéro d'un journal[2], daté de la veille, écrit à minuit, dans lequel on lisait :

Au contrôle général, tout paraissait tranquille ; cette tranquillité m'a donné de l'espoir. Je me suis rendu dans les galeries du château. Ah ! messieurs, vous croyez bien que ce n'était pas pour apprendre la confirmation d'une nouvelle qui m'effrayait, mais bien plutôt pour y recevoir l'assurance qu'elle était fausse. Il me semble voir quelques mouvements du côté de l'appartement de madame ***. J'en vois sortir presque aussitôt M, le due du ***, M. de *** et le duc *** y étaient entrés quelques instants auparavant. Il m'a semblé apercevoir de l'altération sur les figures. Il était tard : je pris la résolution de me retirer. Comme je passais par la cour des ministres, des courriers prêts à partir augmentèrent mes inquiétudes. Mon chemin pour me rendre à la Croix-Blanche était de repasser devant l'hôtel de M. Necker. Une voiture qui me paraissait la sienne était à la porte, des chevaux de poste y étaient attelés. J'interrogeai en tremblant un de ses gens : Madame Necker, me dit-il, va rejoindre M. Necker à Saint-Ouen. La sécurité de cet homme, messieurs, a rétabli la tranquillité dans mon cœur, et j'espère, à mon réveil, n'avoir que d'heureuses nouvelles à vous apprendre.

 

Quelles seraient ces nouvelles ? En les attendant, on se livrait à de sombres conjectures et l'on échangeait mille discours amers. On se plaignait de la reine, accusée d'avoir fait passer plusieurs millions à l'Empereur[3] ; du comte d'Artois, soupçonné d'une criminelle audace ; du maréchal de Broglie, qui avait osé dire : Je réponds de Paris[4]. Sur les neuf heures, on crut remarquer en différents endroits des hommes à la contenance abattue, au visage consterné. Ils se parlaient entre eux à voix basse, mystérieusement[5]. Plus de doute ! l'heure des désastres allait sonner, d'autant que les rues se remplissaient de cavaliers, de fantassins, et que sous les trains d'artillerie le pavé frémissait. Ce fut alors, parmi la multitude, un ébranlement universel, et de toutes parts, à flots pressés, elle roula vers le Palais-Royal, déjà désigné comme le quartier général des révoltes futures.

Il n'avait pas, à cette époque, l'aspect que nous lui voyons aujourd'hui. Au milieu du jardin, le duc d'Orléans avait fait construire, vers 1788, une enceinte revêtue d'un treillage et que couronnait une terrasse, avec des fleurs et des eaux jaillissantes. On y arrivait des appartements du prince par une petite galerie à jour, et des parties basses du palais par un couloir souterrain, dont on retrouve encore quelques traces[6]. Cette enceinte qui, de loin, offrait l'image d'un vaste bosquet orné de fleurs, avait été d'abord destinée à servir de théâtre à des exercices d'équitation, et avait reçu le nom de cirque, puis elle s'était ouverte à des danses et à des concerts. A l'une des extrémités se trouvait un bassin, flanqué de quatre pavillons. Tout autour s'étendaient de riantes allées, qu'encadraient les galeries. Voilà dans quel frais et voluptueux séjour l'insurrection campa de préférence. Et cet étrange forum devint si redoutable aux ennemis de la Révolution, que l'un d'eux le peignit en ces termes : C'est l'image de la Chimère, dont la tête est d'une belle prostituée, la langue d'un serpent, les mains d'une harpie ; dont les yeux lancent des flammes, dont le cœur est vide ou ne fermente que par de lascives pensées, dont la bouche distille tantôt le venin tantôt des paroles héroïques[7].

Ce fut donc là que se rendit, le 12 juillet 1789, tout le Paris de la Révolution. L'affluence était telle, que beaucoup furent obligés de s'accrocher aux branches des arbres, de s'y tenir suspendus[8]. On ne faisait encore qu'attendre ; mais déjà montait vers le ciel ce mugissement des foules inquiètes, si semblable à celui de la mer.

Entre onze heures et midi, un messager, qui arrivait de Versailles, cria la terrible nouvelle. Tous y étaient préparés, et cependant elle venait jeter sur la situation de si funèbres lueurs, que le premier mouvement de la multitude fut celui d'une incrédulité furieuse. Le nouvelliste est saisi, traîné jusqu'au bassin du cirque ; il courut risque d'y être précipité. Mais, bientôt, des renseignements détaillés, irrécusables, répandirent la conviction qu'on s'efforçait en vain de repousser.

Necker avait reçu la veille la lettre royale qui lui annonçait son renvoi et son exil. II était à table en ce moment. Il lut le message d'un air impassible, continua de s'entretenir librement avec ses convives, et, à la fin du dîner, prétextant un mal de tête, il pria madame Necker de l'accompagner à un tour de promenade. Ils montèrent aussitôt en voiture, et ils entraient à Bruxelles que la baronne de Staël ignorait encore les circonstances de la chute et de la fuite de son père[9], tant le ministre disgracié avait mis de soin à ne pas devenir une occasion de trouble ! Or, Lafayette lui avait fait dire : Si l'on vous renvoie, trente mille Parisiens vous ramèneront à Versailles[10].

Il est des moments dans l'histoire où un homme est une situation. Le renvoi de Necker une fois confirmé, le Palais-Royal prit une physionomie formidable. Pendant toute la matinée, le temps était resté couvert[11] ; mais, en cet instant, par une coïncidence extraordinaire, le ciel s'éclaircit, et le soleil plana sur ces milliers de têtes qu'il embrasait. Parvenu au milieu de sa course, il darda ses rayons sur le miroir ardent placé au méridien du Palais-Royal ; la lumière du canon les reçut, le coup partit[12], c'était le soleil lui-même qui semblait donner le signal de la Révolution ; et, dans l'élan d'une sorte de superstition sublime, le peuple poussa un grand cri.

Alors un jeune homme sort du café de Foy, monte sur une chaise, et, tenant un pistolet d'une main, une épée de l'autre, il crie : Aux armes ! Arrachant ensuite une feuille d'arbre, il s'en fait une cocarde. En un clin d'œil les arbres sont dépouillés. On se précipite. Le jeune tribun se nommait Camille Desmoulins pour l'histoire ; pour la plupart de ceux qui le suivaient en tumulte, ce n'était encore qu'un inconnu courageux.

Au Palais-Royal, le flux et le reflux de la multitude ; les rues tantôt couvertes d'hommes qui couraient par troupes et en silence, tantôt désertes ; ici, des boutiques précipitamment fermées ; là, des femmes prenant en de vastes mannes des rubans verts qu'elles distribuaient aux passants ; des coups de fusil tirés de distance en distance ; à toutes les croisées, des visages où se peignait une curiosité tragique : tel se montra Paris. A quatre heures du soir, une foule immense s'était présentée, demandant les bustes du duc d'Orléans et de Necker, chez le sculpteur Guillaume Curtius, au boulevard du Temple[13]. Les bustes ayant été livrés, on vit le terrible cortège descendre le long des boulevards, dans un ordre de marche à la fois triomphant et funèbre. Du reste, il ne se composait pas seulement de gens du peuple : toutes les conditions y étaient confondues. A côté d'un Savoyard qui, un bonnet noir sur la tête[14], promenait l'effigie du duc d'Orléans, celle de Necker était portée par un élégant jeune homme ayant deux montres et vêtu d'un habit de soie rayé[15]. Des drapeaux flottaient en signe de victoire, mais aussi de tristesse et de deuil[16] ; et, chemin faisant, on criait : Plus de joie ! fermez les spectacles[17]. La colonne alla traverser le Palais-Royal, et, par la rue Richelieu, se dirigea vers la place Louis XV. Des cavaliers se trouvaient postés à la place Vendôme. Le jeune homme à l'habit de soie y reçut un coup de feu, il tomba mort[18]. Mais le buste fut aussitôt relevé, et, se mêlant aux troupes, qui avaient reçu l'ordre de reculer, le cortège arriva avec elles jusqu'à l'entrée de la place Louis XV. Là, au milieu d'un effroyable désordre, le Savoyard fut atteint d'un coup de feu à la jambe gauche et d'un coup de sabre à la poitrine. On l'entoure ; un de ses compagnons le charge sur ses épaules, l'arrache à la mêlée et court le porter au Palais-Royal, où il resta exposé tout sanglant à la vue du peuple.

Cependant, Besenval était sur la place Louis XV avec un fort détachement des gardes suisses, les hussards de Berchiny, les dragons de Choiseul, le régiment de Salis-Samade ; et la foule allait s'amoncelant autour des soldats. Besenval parut d'abord immobile ; mais bientôt, pris d'une impatience farouche, il se décide à employer la force ; et, au lieu de disposer ses régiments de manière que les divers groupes pussent s'écouler par les Champs-Élysées, par les avenues qui à droite conduisent au quai, ou par les larges issues qui s'ouvrent à gauche sur la rue Saint-Honoré, il adopte une manœuvre[19] dont l'inévitable effet devait être de rassembler sur un seul point des milliers d'hommes et de les contraindre à fuir vers le jardin des Tuileries par l'étroit passage du Pont-Tournant. Une semblable évolution était si extraordinaire, elle présageait de si affreux malheurs, que le prince de Lambèse, auquel on ordonna de pousser droit aux Tuileries, se fit deux fois répéter l'ordre[20]. Forcé d'obéir, il s'avance à la tête de ses dragons allemands, chassant devant lui la multitude. Un vieillard fut foulé aux pieds des chevaux ; des mères furent renversées, qui traînaient après elles leurs enfants ; l'air retentissait de gémissements lamentables. Les dragons traversent au pas le Pont-Tournant, se heurtent à une barricade formée à la hâte avec des monceaux de chaises, la franchissent, et arrivent dans le jardin des Tuileries à la hauteur de la statue de Mercure. Là, saisis, au milieu de leur violence, d'un doute mêlé de respect, les officiers ôtèrent leurs chapeaux[21]. Mais la confusion était extrême, et tandis que, se poussant l'un l'autre, les promeneurs inoffensifs fuyaient pleins d'épouvante, quelques jeunes gens indignés jetaient sur les dragons, du haut des terrasses, pierres, chaises, débris de bouteilles. Soudain on crie : Tournez le pont ! tournez le pont ! et, dans la crainte que la retraite ne leur soit coupée, les cavaliers font volte-face en tirant des coups de pistolet. Furieux, le prince de Lambesc court à un groupe d'hommes qui se disposaient à tourner le pont, il en frappe un de son sabre. L'ordre lui fut alors apporté d'aller se poster au Garde-Meuble de la couronne, et les troupes qui couvraient la place Louis XV rentrèrent dans leur sinistre immobilité.

En un instant, l'expédition brutale fut connue de tout Paris ; mais, suivant l'usage, on exagérait. On raconta que les dragons avaient fait feu sur les passants ; on représenta le prince de Lambesc égorgeant un vieillard qui était tombé à genoux et demandait grâce[22] ; il y en eut qui affirmèrent qu'on allait incendier la capitale. Un coup de canon, tiré sur ces entrefaites[23], vint ajouter aux alarmes et aux colères. Dans chaque quartier de la ville, des pelotons se forment ; les boutiques des armuriers sont pillées, mais on n'y prend ni or ni argent : on ne voulait que du fer[24]. Il était neuf heures du soir lorsque des fusiliers de la compagnie de Vaugirard, ayant à leur tête un caporal nommé Garde et un tambour, coururent attaquer, à l'hôtel de Montmorency, un détachement de Royal-Allemand. Un garde française s'élance à la bride d'un dragon, esquive un coup de sabre, et, d'un coup de baïonnette, étend sur la place le cavalier ennemi[25]. Les soldats étrangers demandaient à soutenir le combat : les chefs donnèrent le signal de la retraite. En même temps, les gardes françaises qui occupaient la caserne de la rue Verte voyaient arriver au milieu d'eux un homme à l'extérieur inculte, à la peau rouge et bourgeonnée, aux traits hideux, mais qui, fier et ne parlant jamais de lui-même qu'à la troisième personne[26], exerçait le double empire de l'orgueil et de l'audace. C'était Gonchon, le Mirabeau des faubourgs. Excités par lui, les gardes françaises abandonnèrent bruyamment la caserne, et marchèrent à la place Louis XV pour y livrer combat aux troupes étrangères. Mais la place venait d'être évacuée lorsqu'ils y parurent.

Devant Paris ainsi déchaîné, l'attitude de l'autorité fut partout celle de la stupeur. A l'hôtel des Invalides, c'était M. de Sombreuil qui, entendant décharger une lourde charrette de pierres et croyant entendre le canon, dépêchait au ministre pour savoir comment on résisterait à une artillerie imaginaire[27] ; à l'autre extrémité de Paris, c'était M. de Launay qui, apercevant, du haut de la Bastille, la population du faubourg Saint-Antoine violemment émue, envoyait un courrier à Versailles pour déclarer qu'il ne prendrait rien sur lui[28] ; enfin, c'était Besenval qui, passant d'un excès de témérité à un excès contraire, retirait ses troupes de la place Louis XV et laissait la capitale livrée à elle-même[29].

En cette extrémité, apprenant qu'une multitude immense qui cherchait des armes avait envahi la grande salle de l'Hôtel de Ville, quelques électeurs s'y rendirent avec l'espoir de calmer les esprits[30]. La veille, quand le député Guillotin était venu annoncer à l'Hôtel de Ville qu'à Versailles le calme régnait et qu'on n'avait rien à craindre, un électeur, nommé de Leutre, s'était impétueusement écrié : Vous vous rappelez, messieurs, que le 13 juillet 1788, une grêle épouvantable dévasta la moitié de la France : eh bien, si vous n'y avisez, la journée du 13 juillet 1789 sera plus désastreuse mille fois que celle du 13 juillet 1788[31]. Cette lugubre prophétie s'accomplirait-elle ? Voilà ce que déjà se demandaient les représentants de la bourgeoisie. Cependant l'effervescence croissait de minute en minute, dans la grande salle de l'Hôtel de Ville. La barrière qui séparait les électeurs de la foule des citoyens fut franchie : Des armes ! il nous faut des armes ! Les électeurs ordonnèrent au concierge de délivrer celles qui pourraient se trouver à l'Hôtel de Ville. Mais le peuple n'attendit pas. Le dépôt des armes des gardes de la ville est découvert, les portes tombent sous un puissant effort ; chacun s'arme, et un inconnu vient monter la garde au seuil de la grande salle, en chemise, jambes nues, sans souliers, un fusil sur l'épaule[32].

La soirée fut terrible. On se faisait donner de l'argent pour acheter de la poudre ; on arrêtait dans les rues pour demander : Êtes-vous du tiers état ?[33] En certains quartiers, des groupes furent vus lisant, à la lueur des torches, maint placard où la gaieté même était menaçante : Charge de grand maître des cérémonies à vendre ; s'adresser à madame de Brézé ; ou bien encore : Le duc de Bourbon ayant été emporté par la passion de la chasse à la poursuite d'un cerf, des indemnités sont promises aux personnes dont les possessions ont été endommagées. Les barrières brûlèrent. Or, à mesure que les ténèbres s'épaississaient, le bruit en s'éteignant semblait augmenter la terreur. Vers minuit, on commença de sonner le tocsin à l'Hôtel de Ville, à Notre-Dame, dans toutes les paroisses ; chacun se barricada chez soi ; et, cette nuit-là, le sommeil ne descendit que sur les yeux des enfants[34].

A Versailles, la journée du 12 juillet s'était écoulée dans une silencieuse inquiétude. Les communications avec la capitale ayant été interrompues, ni les courriers de la poste ni les gens à pied n'avaient pu franchir les barrières, ce qui fit dire à Mirabeau, s'adressant à Louis XVI : Roi infortuné au sein d'un peuple qui vous chérit, n'oubliez jamais ce jour d'angoisses. C'est ainsi que vivent les tyrans[35]. Les députés s'étaient réunis de bonne heure ; mais, ne se trouvant pas en nombre, l'Assemblée nationale avait ajourné au lendemain ses résolutions, en répétant le fameux vers d'Horace : Si fractus illabatur orbis, que rappela en cette occasion l'abbé Grégoire.

L'abbé Grégoire commençait alors à fixer sur lui les regards. C'était un homme en qui se combinaient harmonieusement deux natures tout à fait diverses. Aussi fier de sa raison qu'un philosophe, aussi simple de cœur que le plus humble des pasteurs de village, il avait pris de la lecture des auteurs profanes le mépris des préjugés, de celle de l'Évangile l'amour des pauvres. Janséniste, il l'était, mais sans qu'il fût aisé de savoir s'il tenait davantage de Fénelon ou de Saint-Cyran. De là vient que ce prêtre si rude aux puissances terrestres, et qui eut souvent des inspirations dignes de l'inflexible génie d'Antoine Arnauld, consacra néanmoins sa vie à la défense des juifs, des nègres, des prolétaires, de tous les damnés d'ici-bas. Il portait, du reste, en sa personne les signes visibles de ces contrastes intérieurs. Car il avait à la fois un front sévère et des manières insinuantes, l'œil hardi et le sourire plein de douceur.

Le 13 juillet, à neuf heures du matin, l'Assemblée nationale entrait en séance. Les événements de Paris n'étaient pas encore connus ; mais on avait appris que MM. de La Luzerne, de Saint-Priest, de Montmorin venaient de recevoir l'ordre de quitter la cour et que les nouveaux ministres étaient le baron de Breteuil, le maréchal de Broglie, MM. de La Galaizière, de La Porte, Foulon. Des noms semblables en disaient assez sur les desseins de la cour : la consternation fut générale. Mounier ayant proposé qu'une députation fût envoyée au roi pour lui demander le rappel des ministres et lui déclarer que la patrie ne pouvait avoir aucune confiance dans leurs successeurs, Lally-Tollendal se leva et, avec l'accent de la tristesse :

Reportons-nous, dit-il, à l'époque du mois d'août dernier. Les lois étaient renversées ; vingt-cinq millions d'hommes étaient sans juges et sans justice, le trésor public sans ressources ; le peuple n'avait d'autre espérance que les états généraux ; la famine se montrait de loin. La vérité a frappé l'oreille du roi ; son cœur a gémi des calamités publiques, et il a rappelé le fidèle ministre qui, dans des temps plus heureux, lui avait donné des preuves de son dévouement. La justice reprend aussitôt son cours ; le trésor public se remplit, le mot infâme de banqueroute n'est plus prononcé, les prisons sont ouvertes et rendent les malheureux qu'elles renfermaient. Les états généraux ont été annoncés ; et personne n'en a plus douté lorsqu'un ministre vertueux en garantissait la tenue, et le nom du roi a reçu mille bénédictions. La famine a été annoncée ; mais bientôt les mers ont été couvertes de vaisseaux, les deux mondes mis à contribution pour notre subsistance, plus de quatorze cent mille quintaux de farine et de grains importés parmi nous ; et les alarmes paternelles du roi, guidé par son ministre, ont triomphé. Enfin, malgré les obstacles, les intrigues, les états généraux se sont ouverts. Les états généraux se sont ouverts ! Que de choses dans ces mots !... Chaque jour a vu éclore des réunions, des principes de constitution. Nous avons marché en avant ; la France a respiré. Et c'est dans cet instant que des conseils pervers enlèvent au roi un serviteur fidèle, à la nation un ministre vertueux ! Ce n'est pas assez : on nous enlève trois autres ministres dont les vertus méritent notre estime. Ce n'est pas assez encore : M. Necker est exilé, banni, réduit à fuir comme un coupable. Mais qui donc a pu se rendre son accusateur ? Sont-ce les parlements, qu'il a rappelés ; les peuples, qu'il a nourris ; les créanciers, qu'il a payés ? Au défaut des accusateurs, je cherche les calomniateurs... Je l'ai entendu appeler factieux : sa retraite a-t-elle été celle d'un factieux ?... Il s'est dérobé à la douleur publique. On a passé toute la nuit dans les alarmes, à le chercher. Il a mieux aimé se priver de toute consolation que d'occasionner des troubles par sa retraite, et son dernier sentiment a été pour le bonheur de la France. Si ce ne sont pas là les caractères sacrés de la vertu, il est impossible de croire à la vertu[36].

 

Ces paroles sont accueillies par des applaudissements[37] mêlés de larmes. Au milieu de l'émotion universelle, le comte de Virieu, député de la noblesse, demande qu'on renouvelle en commun le serment du jeu de paume. Les serments sont éternels, répond M. de Clermont-Tonnerre ; il est inutile de les renouveler. La constitution sera, ou nous ne serons plus. Cependant, que rencontrerait-on au bout de la carrière ardente où l'on se sentait entraîné ? que ferait le peuple ? Les mots établissement d'une milice bourgeoise ayant été prononcés, M. de Saint-Fargeau s'écria : Lorsque personne ne représente le peuple, il se représente lui-même[38]. En ce moment, un courrier du commandant de Paris est introduit et remet au président la lettre suivante : La foule est immense au Palais-Royal.... les barrières du côté du nord ont été saccagées ; celle du Trône est en feu. Chacun prend la cocarde verte. Ils disent qu'ils vont ouvrir les prisons. Ils ont été mal instruits à Versailles : on veut punir les bandits et les garder dans les prisons[39]. Ces nouvelles, leur laconisme sinistre, le désordre même de la rédaction remplissent d'effroi l'Assemblée. Elle reste quelque temps muette d'horreur ; mais peu à peu l'énergie des âmes se réveillant, une députation est envoyée au roi.

Un grand mouvement régnait au château, mouvement de joie et d'orgueil, non de terreur[40]. Le soulèvement de Paris ne s'y peignait à l'imagination des courtisans que sous les couleurs d'un emportement de populace dont il serait facile d'avoir raison. Le baron de Breteuil qui avait un gros son de voix et qui marchait à grand bruit en frappant du pied, comme s'il eût voulu faire sortir de terre une armée[41], n'avait jamais déployé une confiance plus présomptueuse. Louis XVI y fut trompé. Il reçut la députation en homme qui se croyait le maître, il répondit : Je vous ai déjà fait connaître mes intentions sur les mesures que les désordres de Paris m'ont forcé de prendre ; c'est à moi seul de juger de leur nécessité, et je ne puis à cet égard apporter aucun changement.

Ce fut alors qu'indignée, calme néanmoins, et s'élevant à la majesté du sénat romain menacé par le voisinage d'un camp ennemi, l'Assemblée nationale prit ce célèbre arrêté :

L'Assemblée, interprète de la nation, déclare que M. Necker, ainsi que les autres ministres qui viennent d'être éloignés, emportent avec eux son estime et ses regrets ;

Déclare qu'effrayée des suites funestes que peut entraîner la réponse du roi, elle ne cessera d'insister sur l'éloignement des troupes extraordinairement rassemblées près de Paris et de Versailles et sur l'établissement des gardes bourgeoises ;

Déclare de nouveau qu'il ne peut exister d'intermédiaire entre le roi et l'Assemblée nationale ;

Déclare que les ministres et les agents civils et militaires de l'autorité sont responsables de toute entreprise contraire aux droits de la nation et aux décrets de cette Assemblée ;

Déclare que les ministres et les conseils actuels de Sa Majesté, de quelque rang et état qu'ils puissent être ou quelques fonctions qu'ils puissent avoir, sont personnellement responsables des malheurs présents et de tous ceux qui peuvent suivre ;

Déclare que la dette publique ayant été mise sous la garde de la loyauté française, et la nation ne refusant pas d'en payer les intérêts, nul pouvoir n'a le droit de prononcer l'infâme mot de banqueroute, nul pouvoir n'a le droit de manquer à la foi publique.

 

Pendant qu'à Versailles les représentants de la bourgeoisie résistaient si noblement à la cour, à Paris ils se mettaient en défense contre le peuple, calomnié par leurs soupçons.

Dans la matinée du 13, plusieurs électeurs s'étaient rendus à l'Hôtel de Ville dès huit heures du malin, et pour en imposer à la multitude, qui déjà remplissait les salles, ils avaient mensongèrement annoncé l'existence d'une milice bourgeoise[42]. Former cette milice, et, par elle, peser sur le peuple, devint la grande préoccupation des électeurs. Effrayés de ce bruit du tocsin que leur envoyaient tous les échos de la ville, effrayés de ce cri : Aux armes ! qui sortait de toutes les bouches, ils mandent à la hâte M. de Flesselles, prévôt des marchands, et les échevins. Une foule innombrable se pressait autour de l'Hôtel de Ville : à l'aspect de M. de Flesselles, qui arrivait d'un air confiant, elle se répandit en acclamations. Elle ne se doutait pas qu'on méditait alors contre elle des mesures décisives, et que c'était précisément pour donner à ces mesures un vernis de légalité qu'on avait mandé le prévôt des marchands. En effet, il ne fut pas plutôt entré dans la grande salle de l'Hôtel de Ville, que l'assemblée des électeurs s'empressa de lui décerner la présidence. On arrêta ensuite, après une courte délibération, que les citoyens réunis à l'Hôtel de Ville se retireraient dans leurs districts respectifs ; qu'un comité permanent serait nommé ; que chaque district — ils étaient au nombre de soixante — serait appelé à fournir deux cents hommes pour la formation d'une milice parisienne ; qu'au comité permanent appartiendrait le droit de veiller à la sûreté publique, de pourvoir à l'organisation de la milice parisienne ; que tout particulier muni d'un sabre, d'un fusil, d'un pistolet, d'une épée serait tenu de les porter à son district ; que les attroupements devaient cesser[43]. Sans plus de retard, les membres du comité permanent furent élus, mais parmi les échevins et les électeurs seulement. L'usurpation était flagrante : un citoyen, nommé Grélé, la dénonça fièrement, et pour faire tomber son opposition on l'adjoignit au comité à l'instant même[44].

Ainsi, la bourgeoisie se donnait une garde prétorienne de douze mille hommes. Au risque de subir la cour, on voulait désarmer le peuple !

Et pourtant, rien de plus admirable que la conduite de ce peuple, objet de tant de défiances. C'était son honneur qui gardait la ville. Tandis qu'au-dessus de lui on délibérait sur les moyens de le réduire à l'impuissance, il se distribuait spontanément en groupes protecteurs, mettant à empêcher qu'on ne déshonorât sa colère un soin vigilant, quelquefois, cruel. Dans le jardin de l'abbaye de Montmartre, par exemple, des ouvriers pendirent à un arbre un de leurs compagnons qui avait volé une poule[45]. D'autres amenèrent sur la place de Grève, pour l'y brûler, la voiture du prince de Lambesc ; mais sa malle et tous les effets qui y étaient contenus furent remis scrupuleusement à l'Hôtel de Ville[46]. Voilà comment le peuple se vengeait des craintes dont on lui prodiguait l'outrage.

Ce fut une inspiration de générosité qui le conduisit à la prison de la Force. Dans cette Bastille de l'usure languissaient des malheureux dont plusieurs y avaient été jetés jeunes encore et y avaient vu leurs cheveux blanchir[47], coupables qu'ils étaient du crime de pauvreté. Aussi l'émotion fut-elle profonde quand ils traversèrent Paris, se tenant par la main, pleurant de joie et bénissant leurs libérateurs. Or, ce même peuple qui rendait à la liberté les prisonniers de la Force, aidait à réprimer la révolte de ceux du Châtelet[48], afin de bien montrer qu'il protégeait le malheur, non le vol ou l'assassinat.

Toutefois, des scènes d'une violence déplorable, bien que faciles à concevoir, eurent lieu au couvent des lazaristes. On avait dit que ce couvent renfermait d'énormes amas de grains, et c'était là une dénonciation redoutable dans un moment où Paris souffrait si cruellement de la famine. Le bruit était fondé, mais ce qu'on ignorait, c'est que les lazaristes faisaient d'abondantes aumônes. Leur maison fut assaillie, et la fureur populaire s'y déploya : emportement désintéressé d'ailleurs ; car de l'argent, offert aux assaillants, fut repoussé avec mépris[49], et cinquante-deux voitures[50] chargées de farine furent fidèlement conduites à la halle par des hommes qui manquaient de pain.

Cependant, Paris semblait en proie à une sorte d'ivresse sacrée. Des gens qui ne se connaissaient point s'abordaient impétueusement pour se communiquer l'ardeur d'un fraternel délire. Partout on distribuait des cocardes vertes ; les femmes en jetaient aux passants, de chaque croisée ; et si quelqu'un demandait pourquoi on adoptait le vert, couleur du comte d'Artois, des voix répondaient : C'est la couleur de l'espérance[51]. On obligeait les femmes à donner leurs rubans, dont on ornait les fusils[52]. Des chefs de bandes faisaient battre le rappel, ou, faute de tambours, rassemblaient leur robuste armée au bruit des sonnettes[53]. Le Garde-Meuble ayant été envahi et les armes qu'il contenait enlevées, casques, lances et boucliers brillèrent portés, comme au temps de la Ligue, par des guerriers en haillons. Enfin, tels furent les effets, souvent bizarres, de ce glorieux désordre que, dans les églises où se tenaient les assemblées, des comédiens aimés de la foule parurent en chaire et s'y firent applaudir en qualité de tribuns[54].

Du reste, rien qui ne fût donné au patriotisme, à l'enthousiasme des idées nouvelles. Des alarmistes allaient, il est vrai, disant : Le palais Bourbon est en feu ; on va brûler Bagatelle, au bois de Boulogne. Nouvelles que semaient des bouches perfides ! car pas un fait ne les vint confirmer, et ce fut sur une fausse alerte que la comtesse de Brionne, après avoir fait démeubler son hôtel par des gens déguisés, s'enfuit elle-même dans une voiture de place[55]. Encore une fois, l'honneur du peuple gardait la ville.

Mais c'est ce que refusa de comprendre la municipalité bourgeoise, impatiente qu'elle était de congédier tant de généreuses ardeurs. Sans se demander si, à l'égard du peuple, leurs appréhensions n'étaient pas une calomnie et si la prudence, quand elle est une injustice, n'est pas un danger, les électeurs, réunis à l'Hôtel de Ville, en comité permanent, prirent un arrêté définitif, portant :

Que le fonds de la milice parisienne serait élevé de douze à quarante-huit mille hommes ;

Que les soixante districts, réduits en seize quartiers, formeraient seize légions ;

Que chaque membre composant la milice parisienne porterait la cocarde rouge et bleue ;

Que tout homme qui serait trouvé avec cette cocarde sans avoir été enregistré dans l'un des districts, serait REMIS À LA JUSTICE DU COMITÉ PERMANENT[56].

Or, le comité permanent avait soin de se réserver la nomination des chefs supérieurs, ne laissant aux districts que celle des simples officiers[57]. Le commandement général fut offert au duc d'Aumont, qui demanda vingt-quatre heures pour y songer, et le commandement en second au marquis de La Salle, qui, sans hésiter, fit abandon de sa fortune et de sa vie[58].

Ce fut un étrange coup d'audace que cette prise de possession du pouvoir souverain par une poignée d'électeurs ou échevins obscurs[59]. Organiser une armée pour le service de la classe moyenne, ordonner le licenciement du peuple, disposer des hauts grades militaires, imposer une cocarde à la Révolution, s'ériger en tribunal suprême, voilà ce qu'osèrent quelques bourgeois, et contre la souveraineté d'un seul, et contre la souveraineté de tous. Mais il est dans la vie des sociétés certaines heures orageuses où ce sont les événements qui font les dictatures.

Aussi bien, ces hommes que l'agitation importunait eurent l'habileté de se présenter d'abord comme agitateurs. Dans les premiers moments, ce fut leur force. Des adhésions passionnées leur vinrent des Grands-Augustins, des Feuillants, des Enfants-Rouges, des Blancs-Manteaux, des Filles-Dieu, des Minimes, du Sépulcre… de tous les districts. Les élèves du Châtelet, les élèves en chirurgie, les gardes françaises, le commandant du guet se présentèrent successivement à l'autorité nouvelle pour saluer son installation[60]. Le peuple lui-même, que trop d'indépendance embarrasse, fit hommage à l'Hôtel de Ville de deux canons d'argent, donnés autrefois à Louis XIV par le roi de Siam, et qui, le 13 juillet, se trouvèrent confondus avec les bagages de l'émeute. Voitures arrêtées aux portes de la capitale, chariots remplis de grains, meubles, vaisselle, provisions de toute espèce étaient dirigés vers la place de Grève, devenue, suivant le mot d'un contemporain[61], l'un des plus riches, mais le plus turbulent et le moins accessible des entrepôts de l'Europe.

Les faubourgs voulaient être armés ; et leur impatience était si fougueuse, que cinquante mille piques furent fabriquées en trente-six heures[62]. Mais les piques ne suffisaient pas, on brûlait d'avoir des fusils. Alors commencèrent, de la part du prévôt des marchands Flesselles, des manœuvres dont il faut dire le secret.

Dans un ouvrage où ont été publiées, à l'abri de certaines formes mystérieuses, plusieurs lettres d'un grand intérêt, attribuées à divers personnages marquants de la Révolution[63], on lit :

LETTRE DU BARON DE NESBA (BESENVAL) À MADAME JULIUS (JULES DE POLIGNAC)

Juillet 1789.

MADAME,

Aucune combinaison humaine ne résistera au torrent ; il a donc été impossible d'arrêter l'explosion. Ce n'est pas, à proprement parler, le peuple que nous avons à redouter, mais ceux qui, sortis de cette classe, ont assez d'influence sur lui pour l'irriter. Il faudrait qu'Irla (la reine), se rapprochât de la duchesse d'Apius (d'Orléans). Elle a peu d'empire sur l'esprit de son époux, mais elle peut empêcher que ses enfants ne suivent la pente que leur gouverneur femelle (madame de Genlis) veut leur faire prendre ; et si l'on parvenait à les détacher de leur père, il aurait moins de crédit aux yeux de ceux qui fondent leurs espérances sur des héritiers. Il n'y a que madame Deliade (Adélaïde) qui puisse opérer cette réunion. Notre position est critique ; le Lorrain (le prince de Lambesc) nous a fait bien du mal par sa pétulance. Il faut que les nouveaux ministres gagnent du temps ; rien n'est perdu si nous parvenons à endormir cette effervescence. Surtout, flattez les nouveaux magistrats ; ils sont hommes et doivent être ambitieux : rien ne doit résister à Irla... Il ne faut rien épargner pour organiser la garde prétendue nationale à notre manière. Surtout, que les commandants soient dévoués à Torve Tesmas (Sa Majesté), tout pourra se réparer.

 

Plus loin, nous citerons en son lieu un autre passage de cette lettre où il est question de papiers importants dont Flesselles était dépositaire. Ce qui est certain, c'est que le prévôt des marchands avait reçu l'ordre de temporiser, d'amuser la foule. Son caractère, d'ailleurs, se prêtait fort bien à un pareil rôle. Homme de plaisir, il avait puisé dans la vie des salons un profond dédain pour la multitude ; il crut, comme Besenval, que l'essentiel était d'endormir l'agitation ; que le peuple ne tarderait pas à succomber à la fatigue de son propre héroïsme. Aussi, tandis que les nouveaux oligarques de l'Hôtel de Ville se montraient effrayés, parce qu'ils étaient sincères, lui, calme, souriant, il se jouait des emportements de la Grève avec une froide insolence, et c'est à peine s'il cherchait à voiler ce que sa sérénité avait de railleur. Il promit que des armes seraient apportées de la manufacture de Charleville ; et lorsque des caisses arrivèrent, étiquetées artillerie, on n'y trouva, en les ouvrant, que du vieux linge[64]. Il envoya les députés du district des Mathurins prendre des fusils au couvent des chartreux ; et les députés n'en rapportèrent qu'un certificat ainsi conçu : Je soussigné, prieur de la Chartreuse, certifie qu'il n'y a chez nous aucune arme à feu ni armes blanches, et qu'il n'y en a jamais eu[65].

Évidemment Flesselles trompait le peuple : le mot trahison fut prononcé ; il alla retentir d'échos en échos jusqu'au fond des faubourgs, et la foule accourut, innombrable, indignée. On savait que des barils de poudre avaient été introduits à l'Hôtel de Ville, qu'ils étaient déposés dans le bureau des payeurs de rentes : on s'y précipite au sein d'une affreuse confusion, plusieurs tenant des pistolets, comme si pour faire sauter tout un quartier il n'eût pas suffi d'une étincelle ! Un coup de fusil fut tiré sur les barils[66] ; la distribution commença. Or, celui qui présidait à cette distribution formidable, c'était un prêtre. Représentant de la religion devant la patrie, il déploya, pendant quatorze ou quinze heures, un invincible courage et une obstination de prudence, plus héroïque en de tels moments que le courage même. Son nom vaut qu'on le conserve. Il s'appelait Lefebvre.

La nuit vint. Accablé de fatigue, le prévôt des marchands se fit faire un lit dans l'Hôtel de Ville[67], où il dormit alors son dernier sommeil. Que se passerait-il le lendemain ? Des hommes terribles avaient été aperçus rôdant autour de la Bastille, qu'ils menaçaient du geste. Toutes les maisons furent illuminées ; on y voyait comme en plein jour. La plupart veillaient, les uns pour empêcher les surprises, les autres pour forger des instruments de mort. Des bandes de gens armés se glissaient bien au détour des rues, mais ainsi que des groupes silencieux de fantômes, et l'on n'entendait par la ville que le pas des patrouilles bourgeoises ou les coups retentissants des marteaux sur les enclumes.

 

 

 



[1] Lettre à M. le marquis de Luchet.

[2] Le Courrier de Versailles à Paris, n° 8.

[3] Lettre à M. le marquis de Luchet.

[4] Annales parisiennes, n° 1, p. 15.

[5] L'Ami du roi, etc., chap. XL, p. 53.

[6] Vatout, Hist. du Palais-Royal, p. 185.

[7] Rétif de la Bretonne, la Semaine nocturne, cinquième nuit, p. 91.

[8] L'Ami du roi, etc., chap. XL, p. 53.

[9] Hist. de la Révolution par deux amis de la liberté, t. I, chap. XV, p. 311.

[10] Mémoires du général Lafayette, publiés par sa famille, t. IV, p. 58.

[11] Lettre à M. le marquis de Luchet.

[12] L'Ami du roi, etc., chap. XL, p. 53.

[13] Déposition de Guillaume Curtius, dans la Procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris ; XCV, p. 150, chez Baudouin, 1790.

[14] Déposition de Guillaume Curtius, ubi supra.

[15] Déposition de François Pépin, dans la Procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris ; CXXIV, p. 185.

[16] Le cousin Jacques, p. 24.

[17] Le cousin Jacques, p. 24.

[18] Le fait du garde française tué et celui du buste de Necker brisé d'un coup de sabre sont inexacts. Voyez les dépositions de Curtius et du Savoyard, citées plus haut. Les deux bustes furent rendus intacts à Curtius.

[19] C'est un écrivain royaliste, Montjoie, qui en fait la remarque. Voyez l'Ami du roi, etc., chap. XL, p. 56.

[20] Voyez l'Ami du roi, etc., chap. XL, p. 56.

[21] Voyez l'Ami du roi, etc., chap. XL, p. 56.

[22] Le cousin Jacques, p. 27.

[23] Beaulieu, Essais historiques, t. I, p. 311.

[24] Dusaulx, Œuvre des sept jours, p. 274. Collection Berville et Barrière.

[25] Le cousin Jacques, p. 30. — L'Ami du roi, etc., chap. XL, p. 62.

[26] Les Prisons en 1793, par madame la comtesse de Böhm, p. 159.

[27] L'Ami du roi, etc., chap. XL, p. 60.

[28] L'Ami du roi, etc., chap. XL, p. 60.

[29] Mémoires de Besenval, t. II, p. 363.

[30] Procès-verbal de l'assemblée des électeurs du tiers état, t. I, p. 175. Paris, chez Baudouin, 1790.

[31] Annales parisiennes, n° 1, p. 14.

[32] Procès-verbal de l'Assemblée des électeurs, t. I, p. 180.

[33] Lettre à M. le marquis de Luchet.

[34] Voyez Beaulieu, t. I, p. 514 ; — Lettre au marquis de Luchet ; — Hist. de la Révolution par deux amis de la liberté, t. I, chap. XV ; — l'Ami du roi, etc. etc., chap. XLI.

[35] Dix-neuvième lettre du comte de Mirabeau à ses commettants.

[36] Discours de Lally-Tollendal, rapporté presque en entier dans la Dix-neuvième lettre de Mirabeau à ses commettants. — Voyez aussi le Moniteur, où ce discours est encore plus complet.

[37] Voyez l'Ami du roi, où le discours de Lally-Tollendal est, d'ailleurs, traité de harangue romanesque, 3e cahier, chap. XLII, p. 75.

[38] Moniteur, séance du 13 juillet 1789.

[39] Moniteur, séance du 13 juillet 1789.

[40] L'Ami du roi, etc., 3e cahier, chap. XLII, p. 79.

[41] Madame de Staël, Considérations sur la Révolution française, t. I, chap. XX, p. 212.

[42] Procès-verbal de l'assemblée des électeurs, t. I, p. 183.

[43] Procès-verbal de l'Assemblée des électeurs, t. I, p. 187 et suiv.

[44] Le Procès-verbal de l'assemblée des électeurs, quoique rédigé avec une minutieuse abondance de détails, se garde bien de mentionner ce fait. Dusaulx le rapporte sans commentaire. Voyez l'Œuvre des sept jours, p. 278.

[45] Lettre à M. le marquis de Luchet.

[46] Dusaulx, Œuvre des sept jours, p. 282.

[47] L'Ami du roi, etc., 3e cahier, chap. XLI, p. 66.

[48] L'Ami du roi, etc., chap. XLI, p. 67. — Montjoie, qui rapporte l'un et l'autre fait, ne rougit pas de qualifier de brigands ceux dont il parle.

[49] Fait avoué dans le récit plein d'aigreur du cousin Jacques, voyez p. 34.

[50] Prud'homme, Révolutions de Paris, t. I, p. 7. Sixième édition, 1790.

[51] L'Ami du roi, etc., 3e cahier, chap. XLI, p. 67.

[52] Lettre à M. le marquis de Luchet.

[53] L'Ami du roi, ubi supra.

[54] Le cousin Jacques, p. 43.

[55] Lettre à M. le marquis de Luchet.

[56] Procès-verbal de l'assemblée des électeurs, t. I, p. 195 et suiv.

[57] Procès-verbal de l'assemblée des électeurs, t. I, p. 197.

[58] Dusaulx, Œuvres des sept jours, p. 280.

[59] Voici leurs noms, dont quelques-uns seulement ont survécu : de Flesselles, prévôt des marchands ; Buffault, Sageret, Vergne, Rouen, échevins ; Éthis de Corny, procureur du roi ; Veytard, greffier en chef ; le marquis de la Salle, l'abbé Fauchet, Tassin, de Leutre, Quatremère, Dumangin, Girou, Ducloz du Fresnoy, Moreau de Saint-Méry, Bancal des Issarts, Hyon, Legrand de Saint-René, Jeanin, électeurs ; Grélé, citoyen.

[60] Procès-verbal de l'assemblée des électeurs, t. I, p. 204-231.

[61] Dusaulx, Œuvre des sept jours, p. 279.

[62] Dusaulx, Œuvre des sept jours, p. 284.

[63] Correspondance secrète de plusieurs grands personnages à la fin du XVIIIe siècle, p. 93. Paris, 1802. — Ce livre renferme des pièces dont nous ne sommes pas en mesure de garantir matériellement l'authenticité ; mais nous avons pu vérifier l'exactitude de la plupart des faits que ces pièces constatent. Elles ont été, du reste, publiées par Alexis Roussel, secrétaire de la commission chargée de l'examen des papiers qui, après le 10 août, furent trouvés au château des Tuileries. Alexis Roussel possédait une malle pleine de documents précieux. A sa mort, arrivée sous l'Empire, le lieutenant de police Desmarets fit saisir tous ses papiers.

[64] Procès-verbal de l'assemblée des électeurs, t. I, p. 257.

[65] Buchez et Roux, Hist. parlementaire, t. II, 3e livraison, p. 99.

[66] Procès-verbal de l'assemblée des électeurs, t. I, p. 234.

[67] Dusaulx, Œuvre des sept jours, t. I, p. 287.