HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME DEUXIÈME

LIVRE PREMIER

 

CHAPITRE PREMIER. — TABLEAU DE LA COUR DE FRANCE.

 

 

Tableau de la cour de France avant la Révolution. — Portrait de Louis XVI. — La royauté représentée par Marie-Antoinette. — Situation de cette princesse, à la cour ; ses illusions ; ses fautes. — Sympathies qu'elle inspire au. comte d'Artois et au duc de Chartres. — Menées ténébreuses du comté de Provence ; il aspire à la royauté et cherche à perdre la reine ; sa dissimulation. — Louis XVI enveloppé par la faction de son frère. — Causes secrètes de l'éloignement de Louis XVI pour la reine. — Marie-Antoinette et madame Jules de Polignac ; scènes imprudentes. — Les amis de la reine ; leurs plaisirs. — Joseph II en France ; Marie-Antoinette est appelée l'Autrichienne. — Pièges inutilement tendus à Louis XVI par son frère. — Première source des attaques dirigées contre l'honneur de la reine ; elle s'engage dans une carrière de folies. — Désaffection générale ; menaçante attitude de l'Hôtel de Ville ; avilissement graduel de la royauté. — Mœurs des gens de cour ; abdication morale de la noblesse. — Le comte de Saint-Germain ; comment il isole le trône. — La vie de cour s'efface. — Versailles insensiblement abandonné ; importance croissante de Paris.

 

Le jour où Louis XVI devint roi avait été marqué dans son cœur par de noirs pressentiments. Ce jour-là, autour de son aïeul atteint d'un mal contagieux, il n'avait vu que serviteurs effarés, pleins de trouble, que courtisans combattus entre la tentation de fuir et la crainte de perdre, en fuyant, le bénéfice d'une longue bassesse. Une bougie, qui figurait pour ceux du dehors la vie du monarque agonisant, brûlait sur une fenêtre du château ; et rangés dans les cours, prêts à monter a cheval, les gardes du corps, les pages, les écuyers attendaient avec impatience que la bougie éteinte donnât la nouvelle du trépas désiré et le signal du départ. Enfin, le moribond ayant rendu l'âme, on s'empressait autour du nouveau maître, lorsque tout à coup, saisis d'une sorte d'effroi prophétique, Louis XVI et Marie-Antoinette tombèrent à genoux, et ce cri fut entendu[1] : Guidez-nous, protégez-nous, mon Dieu ! nous régnons trop jeunes.

Louis XVI avait alors vingt ans, et Marie-Antoinette n'avait pas encore atteint sa dix-neuvième année, étant venue au monde le 2 novembre 1755, date du tremblement de terre de Lisbonne.

Triste présage ! et de combien d'autres, non moins funestes, n'avait-il pas été suivi ? On se rappelait, quand Louis XVI monta sur le trône, les fêtes de son mariage ensanglantées, plus de mille citoyens étouffés sous l'entassement de la multitude, et leurs cris de détresse montant, comme une prédiction sinistre, dans le bruit des joies populaires.

Mais bientôt les fantômes importuns s'évanouirent. Il y eut un moment où la nation sembla se recueillir et fil silence. Il y avait dans les colères et les douleurs du peuple quelque chose de tellement sourd qu'elles ressemblaient à du calme : ceux-là s'endormirent dans l'espoir d'un paisible lendemain qui, placés à la surface de la société, voulaient en ignorer les abîmes.

Cependant, que faisait le roi ? Tandis que le comte de Maurepas, son mentor, cherchait un aliment à des moqueries cyniques et souriait à la lutte établie entre des ministres réformateurs et les courtisans ; tandis que les philosophes révolutionnaires allaient à la conquête des esprits et que, par des voies souterraines, mais sûres, les mineurs s'avançaient jusqu'au pied de la monarchie, le roi chassait ; il récitait des litanies ou des psaumes ; le roi faisait des serrures : heureux quand il avait contenté l'ouvrier Gamain, son maître, dont il redoutait fort la sévérité, ou bien lorsque, perdu dans l'ombre des corridors de Versailles et chargé des instruments de son travail favori, il était parvenu à gagner la chambre aux enclumes sans être aperçu de la reine[2].

C'est qu'en effet Louis XVI n'avait rien d'un roi. Et le voir suffisait pour le juger. Sa démarche indécise, ses manières lourdes, la mollesse de sa physionomie, sa brusque timidité, — car, ainsi que l'empereur Claude, il était aussi prompt à s'irriter que facile à surprendre, — tout cela révélait son règne et permettait de lire dans sa destinée. On eût dit qu'afin de mieux encourager les futurs élus de la place publique à porter la main sur lui, Dieu l'avait d'avance dépouillé de tout prestige. En lui transmettant leur autorité, ses aïeux ne lui avaient rien laissé pour la défendre ; rien, pas même la domination du regard, pas même l'attitude et le geste du commandement ! Dans lui la dignité contenue de Louis XIV se trouva changée en embarras, et la grâce de Louis XV en bonhomie. On allait avec insulte frapper sa famille dans sa personne ; et le type de cette famille, il le reproduisait assez dégénéré pour que le peuple désapprît le respect. Roi, il représentait l'affaiblissement de son principe ; homme, il représentait le dépérissement de sa race.

Aucun de ses ancêtres, Henri IV excepté, ne serait allé, comme lui, visiter l'indigent dans un réduit obscur, et ne se serait écrié sur le chemin du sacre : Point de tapisseries ! Je ne veux pas qu'on empêche le peuple et moi de nous voir[3] ; mais, en revanche, aucun d'eux n'aurait, par des menaces brutales, avili ses accès de colère, ou, spectateur d'une course de chevaux, parié un écu[4], et fait descendre jusque-là l'exemple de l'économie.

Louis XVI était instruit ; il possédait, en géographie et en histoire, des connaissances peu communes ; il avait un fonds de bonté qui résista aux mauvais conseils du rang suprême. Mais quand les rois prennent leu point d'appui autre part que dans la bassesse humaine, il leur est si difficile de se maintenir, que Louis XVI eut contre lui ses qualités mêmes. Sa faiblesse l'exposait au mépris du peuple : ce qui lui attira le mépris des grands, ce fut l'honnêteté de ses mœurs. Séparé du peuple par ses fautes et de la noblesse par ses vertus, il resta seul : étranger à la nation sur le trône, étranger à la cour dans un palais, et comme égaré au sommet de l'Etat.

On raconte que, lorsque, prisonnier à Hamploncourt, Charles Ier cherchait à séduire par des promesses Ireton et Cromwell, ceux-ci eurent avis secrètement qu'à Holborn, dans l'auberge du Sanglier bleu, un inconnu passerait portant sur sa tête une selle qu'il importait d'ouvrir. Ils se rendirent au lieu désigné, et, l'homme ayant paru, ils se jetèrent sur lui, fendirent la selle avec la pointe de l'épée ; et, dans une lettre écrite à Henriette-Marie par le monarque fugitif, ils lurent : Ne t'inquiète pas des concessions, au lieu d'un cordon de soie, c'est une corde de chanvre que je leur réserve. Cromwell alors prit son parti, et quelque temps après la tête de Charles Ier, tombait, à Whitehall, sous la hache du bourreau masqué. Eh bien, cette dissimulation si fatale au premier Stuart, elle devait se montrer dans Louis XVI. Mais ce fut son malheur plutôt que son crime : il devint faux parce qu'il était faible.

Rester debout au faite d'un édifice que tant de béliers battaient en ruines, le plus héroïque des mortels l'eût tenté bien en vain. Et toutefois, si une âme agrandie par le péril avait tenu chez lui la place du génie absent, Louis XVI aurait pu faire du moins à la royauté une chute illustre ; lui-même il aurait pu mourir enveloppé dans la poésie d'un tel désastre. Mais non : pour que la leçon fût complète, il fallait qu'au spectacle de la monarchie abattue se joignit celui de la monarchie humiliée. Il se trouva donc que Louis XVI ne sut ni s'élever au niveau de son infortune, ni s'égaler à son destin. Revêtu de la majesté royale, il lui communiqua ce qu'il avait de vulgaire. En la personnifiant, il la perdit.

Aussi les regards ne se portèrent d'abord que sur Marie-Antoinette. Elle était alors dans tout l'éclat de sa beauté, de cette beauté irrégulière et contestable, mais attirante, qui avait ébloui Versailles, inquiété madame du Barry et surpris Louis XV en agitant les cendres de son cœur. C'était une vie d'enchantements qui s'offrait à la jeune reine. Pas un nuage sur son front, à cette époque ; pas une amère pensée qui altérât la limpidité de ses yeux bleus. Sa taille, aux gracieux balancements, n'avait point la roideur altière que l'orgueil offensé lui donna plus tard ; et dans sa lèvre saillante, qui s'accoutuma depuis au dédain, on ne remarquait encore que l'indice d'une origine autrichienne et impériale. Pourquoi se serait-elle déliée de l'avenir ? On l'enivrait d'hommages. Pour elle, peintres et poètes avaient rajeuni l'art des flatteries délicates. On plaçait son portrait dans une rose épanouie. Dépouillée de ses diamants et vêtue d'une robe de gaze, elle était comparée à l'Atalante des jardins de Marly. Au théâtre, on saluait sa présence par des vœux qu'elle crut éternels ; et lorsque, du haut du balcon des Tuileries, montrant la foule pressée, le vieux maréchal de Brissac disait : Voyez ! ce sont autant d'amoureux, madame[5], elle souriait attendrie et s'abandonnait au mensonge des rêves heureux.

Elle entra donc avec délices dans une carrière d'imprévoyance et de caprices coupables. Nature impétueuse quoique tendre, et plus avide des agitations que du repos de l'amour, elle avait hâte d'épuiser la douceur de vivre. Tout ce qui aurait gêné l'essor de ses désirs, tout ce qui l'aurait réduite à un bonheur grave et surveillé, elle le rejeta ; et rien ne trouva grâce auprès d'elle de ce qui pouvait seulement attrister un peu son horizon. Dans des réceptions publiques, devant des femmes âgées, elle ne sut pas toujours cacher derrière son éventail ces sourires moqueurs dont on n'oublie pas l'injure. Sur un signe d'elle, la cour appartint à la jeunesse, c'est-à-dire au goût des choses nouvelles, à l'emportement des faciles voluptés, à l'imprudence. On éloigna les dévouements grondeurs, qui sont les plus fidèles ; d'une main impatiente on écarta l'étiquette[6], voile étendu sur les' misères de la royauté ; on changea en riant les formes consacrées et anciennes, si importantes dans un Etat monarchique ; ce qui avait été établi pour marquer la hiérarchie des rangs fut insensiblement sacrifié à ce qui favorisait la liberté, dans le plaisir, et, sans le vouloir, sans le savoir, Marie-Antoinette servit, par la révolution qu'elle introduisait dans les usages, celle qui s'accomplissait dans les esprits.

Que les prédilections d'une princesse ; tout entière à l'ardeur des vives années, que ses plaisirs, que ses caprices, soient jugés dignes d'avoir place dans la mémoire des hommes, il serait certes permis de s'en étonner si l'importance des petites choses n'était pas précisément ce qui caractérise cet insolent régime des monarchies absolues. Aussi bien, les circonstances condamnaient Marie-Antoinette à n'avoir pas de vie privée. Il est des reines dont le sort est de rester toujours au-dessous du contrôle de l'histoire, qui se contente de les nommer et craindrait de trop descendre en s'occupant de leur sagesse ou de leurs erreurs. Telle fut Marie Leczinska, fille obscure d'un monarque abattu ; telle ne pouvait être Marie-Antoinette, car son mariage avait été la consécration du système autrichien du duc de Choiseul, et l'Europe avait tressailli à la nouvelle, que le successeur de Louis XV épousait une archiduchesse ! C'est qu'en effet c'était un événement grave et nouveau que ce rapprochement de deux maisons fameuses par leur longue rivalité, que cette alliance des Cabinets de Vienne et de Versailles, si contraire aux plans de Henri IV, de Richelieu et de Louis XIV. L'Angleterre avait compris qu'une fois libre de ses mouvements du côté de l'Autriche, la France ne tarderait pas à se tourner du côté des mers ; les puissances protestantes avaient pris ombrage de la ligue formée entre les deux grandes nations catholiques ; la Prusse s'était demandé avec inquiétude comment elle s'agrandirait désormais en Allemagne, et la maison de Savoie comment, sous la pression de deux colosses, elle maintiendrait sa fragile indépendance. Voilà quels intérêts, quelles préoccupations, quelles haines se réunissaient contre le système représenté par Marie-Antoinette. Elle se trouvait donc placée, qu'elle le voulût ou non, à la tète d'un parti militant, sur une scène immense. Et puis, comme un flambeau allumé pour éclairer sa vie, la gloire de sa mère la suivait.

Ainsi exposée, elle aurait dû surveiller chacune de ses actions, chacun de ses mouvements. Mais les acclamations du dehors l'avaient séduite, et elle se sentait consumée par l'indomptable feu de la jeunesse. Elle ne fut pas plutôt à Versailles qu'elle se fit une existence entièrement contraire aux habitudes de Louis XVI, se plaisant aux réunions dont il condamnait la frivolité, livrant aux hasards des parties de nuit la majesté royale, deux fois compromise, et accumulant les imprudences ; Tantôt, pour se rendre à une soirée où le roi ne devait point l'accompagner, elle avançait l'aiguille de la pendule et abandonnait de la sorte aux sarcasmes de la cour la dignité de son époux trompé[7] ; tantôt elle se parait d'une plume de héron donnée par Lauzun et qu'il avait portée à son casque[8] ; ou bien, dansant avec Dillon et ne se croyant, pas écoutée, elle lui disait : Touchez comme mon cœur bat, et s'attirait cette dure apostrophe du roi : Madame, M. Dillon vous croira sur parole[9]. Son attitude devant le duc de Coigny et les empressements indiscrets du comte d'Artois pouvaient prêter à des interprétations funestes : elle ne s'en inquiéta pas ; et, la tête haute, l'âme ravie, elle courut au-devant de sa perte, que tramaient déjà, cachés dans l'ombre du trône, de redoutables ennemis. Car pendant que le brillant comte d'Artois[10] se déclarait le chevalier de la reine et que le duc de Chartres[11] l'entourait de soins affectueux, le comte de Provence[12] s'essayait ténébreusement à un rôle qu'il faut connaître si l'on veut savoir tout ce que renferme de honteux mystères cette vie des cours sur laquelle passèrent les vengeances de la Révolution.

Louis XVI était né avec un vice de conformation qui semblait lui interdire l'espoir d'avoir des enfants. On ne l'ignorait pas à Versailles, et il en avait couru, Louis XVI n'étant encore que Dauphin, mille bruits malignement exagérés. On voyait déjà le petit-fils de Louis XV se résignant au célibat, supposition que ne démentaient ni sa dévotion ni ses mœurs ; on parlait à voix basse d'une consultation de médecin ; on nommait les docteurs Leroy et Dessault[13] ; on disposait diversement de l'avenir. Que Louis XVI mourut sans postérité, le comte de Provence, son frère, était roi. Des ambitieux, à qui la place manquait ailleurs, commencèrent donc à se grouper autour de ce prince, et ils éveillèrent en lui la soif de régner, d'autant plus prompts à flatter sa fortune prévue, qu'il était supérieur à l'aîné de la famille en intelligence, en instruction, en fermeté de caractère, et que Louis XVI reconnaissait l'ascendant de cette supériorité, ayant coutume de dire : Demandez à mon frère de Provence.

On juge d'après cela combien fut vive, dans un certain monde, la sensation produite par l'arrivée de Marie-Antoinette à Versailles. Les projets que son mariage menaçait de déjouer se changèrent contre elle en hostilité sourde. On avait admis que Louis XVI ne pouvait pas avoir d'enfants : on décida que, s'il en survenait, on les tiendrait pour illégitimes. Le principe d'hérédité corrompt, il détruit dans leur germe les affections de famille, et c'est un terrible encouragement à la haine, entre parents, que la perspective d'une couronne à enlever : Marie-Antoinette pouvant devenir mère, on la désira coupable. Alors commença l'odieuse pratique des accusations anonymes ; alors furent semés dans le palais maints libelles retraçant de monstrueuses amours, des amours dignes de l'impudique Julie ou de l'amante effrénée de Silius.

Ainsi ; de la cour[14] — il ne faut pas qu'on l'oublie — partirent les premiers coups frappés sur Marie-Antoinette. Quand des plébéiens la firent mourir, depuis longtemps déjà des gentilshommes l'avaient diffamée.

C'était peu, il entrait dans le plan de la faction d'incliner aux défiances l'esprit incertain de Louis XVI. Des mains furtives parvinrent à glisser jusque dans son secrétaire des pages chargées de venin, et un jour, en se mettant à table, il trouva sous sa serviette des lignes qui lui firent monter la rougeur au front[15]. Bientôt, une curiosité fatale le poussant à épier lui-même les accusations, Blaizot, son libraire, eut ordre de jeter tous les pamphlets relatifs aux choses de la cour dans l'ouverture d'une cassette, dont le roi seul avait la clef[16]. De là, en partie, l'indifférence que, durant les premières années de son mariage, Louis XVI apporta dans ses relations avec Marie-Antoinette, indifférence telle, qu'il allait, par devoir seulement, se placer dans le lit de la reine, et s'endormait souvent sans lui adresser la parole[17]. Et ses mécontentements ne se renfermèrent pas toujours, dans cette silencieuse froideur ; il les laissa quelquefois éclater en procédés vulgaires et violents : témoin la consigne donnée de fermer, passé onze heures, la grande cour du château, pour qu'au retour d'une promenade nocturne, Marie-Antoinette, reçût une humiliante leçon[18]. Rien qui né soit mortel aux pouvoirs dont l'heure approche. Des scènes d'alcôve, des détails de vie intime, qui, en d'autres temps, n'eussent pas été remarqués, acquirent alors une importance sérieuse. Les dédains du roi, ses emportements furent tour à tour signalés comme vengeance, et flétris comme procédés ; ils ouvrirent carrière à de cruelles conjectures, et servirent de preuve à des inculpations qui faisaient de plus en plus monter vers les hauteurs le mépris public.

De son côté, retiré à l'écart et confiné, disait-on, dans ses goûts littéraires, le comte de Provence gardait une réserve prudente, et suivait un plan de conduite dont sa jeunesse même contribuait à voiler la profondeur. L'âge de son frère ne l'autorisait à concevoir que des espérances éloignées, confuses ; mais, soit illusion de son impatience, soit prévision des troubles de l'État, il se croyait appelé à être roi, et il s'y exerçait d'avance par les artifices d'une dissimulation précoce. Nous dirons plus tard ses vues politiques : à l'époque où ce récit nous amène, le système du prince n'avait pas encore mûri dans sa tête, et il ne songeait qu'à écarter insidieusement de son chemin ce qui pouvait lui être un embarras ou un obstacle. Respectueux et courtois envers la reine quand elle était présente, il la félicitait sur ce qu'elle avait semé partout la joie autour d'elle, et l'encourageait à être heureuse ; il lui adressa, en lui envoyant un éventail, des vers dont on put vanter la galanterie[19], lui donna des fêtes pleines de voluptueux souvenirs. Mais, en même temps, il la calomniait par des insinuations ménagées avec art, et par des sarcasmes calculés. C'est ainsi qu'on répéta ce mot de lui au comte d'Artois, quand le comte d'Artois eut un fils : Maintenant, mon frère, prenez garde, dans vos amours, de ne pas nuire à votre héritier[20].

Une circonstance vint donner à cette inimitié sourde des armes nouvelles et des auxiliaires. Voulant avoir des amies qu'elle pût librement aimer, quoique reine, Marie-Antoinette s'était d'abord sentie entraînée vers la princesse de Lamballe, jeune femme aux affections sérieuses et qu'avaient de bonne heure éprouvée les chagrins : madame Jules de Polignac parut à la cour, et aussitôt la princesse de Lamballe fut remplacée dans les préférences de la reine. Un doux visage, beaucoup de réserve dans le maintien, un fonds de dissimulation, mais de l'éloigné ¬ ment pour les soucis de la grandeur et une indolence ennoblie par la sérénité du sourire, par l'expression rêveuse du regard… telle était la comtesse Jules. Pourtant, son intimité avec Marie-Antoinette fut la source des attaques qui contribuèrent le plus à flétrir, par l'avilissement des personnes royales, la chute de la royauté.

Asservie à la direction de sa belle-sœur, Diane de Polignac[21], la comtesse Jules fut amenée à servir d'instrument à l'élévation de ses proches ; et en cessant d'être désintéressée, son influence devint odieuse. La faveur accordée aux nouveaux venus écartait des prétentions rivales, menaçait des positions acquises : les Noailles se répandirent en plaintes ; sans compter qu'il s'était établi dans la société de madame de Marsan[22] un foyer de dangereuses rumeurs.

Ajoutez à cela que la reine se trouva placée entre des partis qui se disputaient l'avantage de lui donner un amant, et fut en butte aux vengeances des vaincus dans ce honteux antagonisme ; qu'elle avait contre elle plusieurs des personnes du sang royal ; que les comtesses de Provence et d'Artois l'observaient, d'une âme jalouse[23] ; que madame Adélaïde, tante du roi, avait toujours nourri de fortes préventions contre les princesses autrichiennes[24] ; et qu'une autre tante du roi, madame Louise, menait la guerre du fond du couvent des carmélites, où sa dévotion ambitieuse s'agitait[25]. N'était-ce pas de ce couvent, n'était-ce pas du palais même de l'archevêque de Paris que venaient quelques-unes des satires jetées en pâture à la malignité des courtisans ? On osa le penser et on ne craignit pas de l'écrire, tant les divisions de la famille royale étaient devenues manifestes ! Si bien que, de toutes parts, des regards ennemis épiaient les démarches de la reine et restèrent fixés sur ses fautes.

Elle, intrépide et fière en sa frivolité, elle brava les mécontentements, dédaigna les avis. De quel droit prétendait-on régler les battements de son cœur ? Ce rang suprême dont la majesté cache un si amer trésor de contrainte et d'ennui, entendait-on le transformer pour elle en servitude ? Et elle s'abandonna témérairement, sans réserve, à l'amitié d'une femme devant qui elle pouvait s'écrier : Dieu soit loué ! je ne suis plus reine ![26]

Encore si elle avait su se ménager la ressource du silence, du demi-jour ! Mais non : ce qui la tenta, ce fut la gloire d'une tendresse avouée, éclatante. La plus pressée de nous embrasser, c'est moi[27], écrivait-elle à son amie. Elle en vint à passer avec elle et chez elle de longues heures, toujours trop vite écoulées ; et lorsque, effrayée d'un bonheur que menaçaient tant de haines ou blessée dans la délicatesse excessive de son orgueil, madame de Polignac parlait de séparation, c'était en tombant à ses genoux que Marie-Antoinette essayait de la retenir, c'était en mêlant les supplications et les larmes[28]. Scènes funestes dont le comte d'Artois fut le premier à divulguer le secret, que lui avait livré une porte entr'ouverte. J'ai dérangé deux amies[29], disait-il étourdiment à chacun ; et ces paroles, il les accompagnait d'un sourire.

Quels étaient, du reste, dans l'entourage de la reine, ceux qui auraient pu lui être moralement un rempart ? Était-ce le baron de Besenval, âme corrompue et légère, officier suisse plus délié, sous des apparences de rondeur militaire, que les Français de l'Œil-de-bœuf ? Était-ce M. de Vaudreuil, amant présumé de la comtesse Jules[30], ou M. d'Adhémar, son confident ambitieux[31] ? Était-ce M. de Guines qui, fier d'avoir joué de la flûte avec le grand Frédéric[32], se plaisait à un continuel persiflage et amassait ainsi autour de lui les ressentiments ? Était-ce le duc de Lauzun, spirituel, élégant, aimé des femmes, mais capable par ses vanteries de déshonorer ses succès ? Le seul des amis de la reine qui n'eût pas été homme à la compromettre, c'était précisément celui dont le conseil des intimes avait voulu faire son amant ; c'était M. de Coigny[33], personnage grave, modeste et nullement intéressé.

Or, elle approchait avec rapidité l'heure des pensées sombres, l'heure tragique. Mais aucun de ceux-là ne songeait aux orages, que les orages devaient emporter ! Des fêtes énervantes, des divertissements d'une singularité folle remplirent donc les derniers loisirs laissés par la fortune à tant d'existences en péril. Tantôt, c'étaient des chevaliers, émules fictifs des preux de Charlemagne, qui dans des jardins somptueux, sous des arbres auxquels étaient suspendus lances et boucliers, restaient plongés dans un sommeil magique, jusqu'à ce que, paraissant tout à coup, la reine daignât rompre le charme[34] ; tantôt, après la lecture de quelque page relative aux amours des cerfs, il prenait fantaisie à ces gentilshommes d'avoir des vêtements de peau de cerf et de s'enfoncer, ainsi métamorphosés, au plus épais des ombrages du parc[35] ; tantôt enfin, dans ces rigoureuses journées d'hiver qui sont le désespoir du pauvre, Marie-Antoinette et les seigneurs de sa suite venaient fouler la neige des boulevards sur de rapides traîneaux figurant des lions ou des cygnes ou des corbeilles de fleurs. Les heures de décadence ont des joies qui leur sont propres : jouer la comédie, et la jouer d'une manière furtive, devint un amusement cher à la fille de Marie-Thérèse. Au temps où la noblesse avait des passions viriles, on donnait des tournois pour figurer la guerre : maintenant, c'étaient des danseurs qui, mêlés aux nobles, portaient les couleurs des dames, dans des fêtes imaginées pour simuler des tournois.

Tel était donc l'aspect de la cour, lorsque d'un événement inattendu naquirent des accusations dont la portée fut mortelle.

Dès le mois d'avril 1777, on avait aperçu et remarqué dans la capitale, vêtu d'un simple habit brun et se mêlant volontiers parmi la foule, un étranger aux allures bizarres, aux cheveux d'un blond ardent, à la lèvre enflée, et dont les traits étaient évidemment d'un frère de la reine. On racontait de lui des choses étranges : que, pouvant avoir des palais pour gîte, il recherchait l'obscur séjour des hôtelleries ; qu'il couchait sur une peau d'animal sauvage[36] ; que souvent il mangeait debout[37] ; qu'il témoignait aux gens du peuple une affection hautaine et aux grands du mépris ; qu'il était possédé d'un insatiable désir de tout voir, de tout connaître, de tout fronder, de toucher à tout. Il se donnait le titre de comte, il se faisait appeler Falkenstein ; mais son vrai titre, c'était l'Empereur, et son vrai nom Joseph II.

Humilier à jamais les prêtres et, dans la personne d'un monarque philosophe, donner son Grégoire VII à l'Empire vengé ; bouleverser de fond en comble un vaste royaume ; refaire un peuple par ordonnance ; ce qu'il faut à Dieu des siècles pour accomplir, le terminer en un jour et se substituer à l'histoire ; servir les hommes, mais sans s'inquiéter de leur vouloir, sans les aimer, sans les craindre, et en les traitant comme des cartes asservies aux combinaisons du joueur, voilà ce qu'avait rêvé Joseph II, prince que l'excès de son orgueil réduisit à une impuissance bruyante, mais en qui le génie exista du moins à l'état d'ivresse, .et qui ne se trompa que dans des proportions héroïques. Despote révolutionnaire, il semblait avoir deviné que l'inévitable atelier des révolutions du monde désormais, ce serait Paris ; et il accourait, poussé par une sorte de curiosité jalouse.

L'archiduc Maximilien était déjà venu en France et n'y avait laissé que de fâcheux souvenirs : Joseph II n'eut pas de peine à les effacer ; il étonna la cour et charma la ville. On l'admira brusque et affable tour à tour, fuyant les hommages convenus, raillant Versailles, étudiant le peuple au milieu du peuple, à la façon du czar Pierre, et comprenant que là où frissonnait la foule, là battait, à cette époque, le cœur de la France. On put le trouver assis sur une borne devant un jardin public dont il attendait qu'on ouvrît les portes[38], et, plus d'une fois, il s'oublia au fond d'une de ces tragiques tavernes où déjà grondait sourdement la vie des clubs. Ne voulant point payer sa gloire en flatteries aux distributeurs de renommée, il n'avait pas voulu visiter le fameux seigneur de Ferney ; mais, à Paris, personne n'ignora bientôt avec quelle grâce il avait prié Buffon malade de ne pas quitter sa robe de chambre pour le recevoir[39], et avec quelle émotion respectueuse il avait salué le modeste, l'immortel abbé de l'Épée. Il visita l'Hôtel des Invalides, où Louis XVI n'était jamais entré[40]. A l'Hôtel-Dieu, il assista au pansement des blessés, goûta au bouillon du pauvre ; et son indignation s'échappa en paroles véhémentes quand il aperçut gisant côte à côte, sur le même grabat, un convalescent, un fiévreux, un moribond, un mort[41].

Voilà quels traits marquèrent ce voyage ; et s'il devint funeste à Marie-Antoinette, c'est qu'autour d'elle, et jusque sur les marches du trône, veillaient des ennemis attentifs. Joseph II étant allé observer la France dans ses principales villes après l'avoir observée dans Paris, ils commencèrent à semer le soupçon. Ils s'alarmaient de l'empressement d'un étranger à connaître nos ports, nos chantiers, nos manufactures, nos arsenaux ; à interroger nos ressources ; à surprendre le secret de notre grandeur. Ils demandaient ironiquement si Joseph II n'avait été conduit que par un caprice de voyageur à faire auprès de certains négociants de Brest et du Havre des démarches propres à diminuer notre commerce maritime, au profit du sien[42], et si c'était un dépit bien désintéressé que celui qui avait éclaté dans l'amertume de son regard, dans l'altération de son visage, à la vue des merveilles de l'industrie lyonnaise. Inconcevable folie de se fier à un prince grandi au milieu des ressentiments de Vienne ! Car enfin, pouvait-il avoir oublié ce que l'histoire avait mis de barrières entre la maison de Bourbon et la maison d'Autriche ? Pouvait-il avoir oublié sa mère récemment poursuivie par nos armes, et poussée à la limite du désespoir ? Lui-même n'avait-il pas été cet enfant que Marie-Thérèse présentait à ses guerriers de Hongrie, lorsque, adjurés de haïr la France, ils s'écrièrent en tirant leurs épées : Moriamir pro rege nostro Maria Theresa ! Il y fallait donc prendre garde ; il fallait craindre que des instructions fatales n'eussent été apportées à la reine par son frère... Insensiblement, les inculpations s'envenimèrent, s'étendirent. On accusa Marie-Antoinette d'avoir appelé le petit Trianon Schœnbrunn, ce qui était faux[43]. On l'accusa, mais avec raison cette fois, d'introduire dans nos modes des changements désastreux pour l'industrie nationale, et qui tendaient à favoriser, selon les vues de Joseph II, les manufactures de lin des Pays-Bas[44]. Adopter, faire prévaloir l'usage de s'habiller de blanc, n'était-ce point proscrire les étoffes de soie, enrichir Bruxelles, ruiner Lyon ? Des plaintes fort vives s'élevèrent ; les tantes du roi furent priées de présenter un mémoire où les griefs des négociants lyonnais étaient consignés[45] ; on dit, on répéta que Marie-Thérèse nous avait envoyé sa fille pour se venger : la reine de France fut nommée l'Autrichienne. L'Autrichienne ! Mot redoutable dont la Révolution s'empara, et que nous entendrons retentir au pied d'un échafaud !

Le projet conçu par Marie-Thérèse d'influer puissamment au moyen de sa fille sur la politique de la France ne saurait être mis en doute. A son départ de Vienne, Marie-Antoinette avait reçu, écrite de la main de l'impératrice, une liste contenant les noms des personnages avec lesquels on aurait à se concerter lorsqu'on serait à Versailles : c'étaient les Choiseul, les Praslin, les frères de Montazet, d'Estrées, d'Aubeterre, la Beauveau, religieuse, etc. La note portait : Consultez-vous avec Mercy. Je vous recommande en général tous les Lorrains[46]. Il y avait eu conséquemment résolution arrêtée, dès l'origine, de créer, au sein de la cour de France, un parti tout à la dévotion de l'Autriche ; et Marie-Thérèse n'avait cessé de travaillera la consolidation de son ouvrage par des instructions secrètes, directement adressées à la femme d'un prince dont on connaissait l'incapacité. Mais Marie-Antoinette était trop jeune encore et trop occupée de ses plaisirs pour donner une grande place dans son existence aux tourments de la politique. D'ailleurs, conseillé par son ministre des affaires étrangères, Louis XVI se tenait en garde contre l'Autriche, et Marie-Antoinette inspirait de si grandes défiances que, du vivant de M. de Vergennes, elle ne pénétra jamais dans le cabinet, placé immédiatement au-dessous de la chambre aux enclumes, la plus élevée du château[47]. Les accusations soulevées par le voyage de Joseph Il n'étaient-elles donc justes, à l'égard de Marie-Antoinette, qu'en ce qui concernait les choses de mode ou de cérémonial ? Non, car sa correspondance avec sa famille nous la montre, en 1778, lors de la guerre de la succession de Bavière, intervenant avec passion, dans ce qu'elle appelle la circonstance la plus importante de sa vie, pour assurer l'appui de la France à l'Autriche ; envoyant à sa mère toutes les informations qui l'intéressent ; lui disant chaque courrier qui vient du roi de Prusse ; s'irritant si le ministre ou le roi lui cachent une dépêche, à elle ou à Mercy ; agissant enfin directement auprès du roi ou des ministres, avec une ardeur qui dure tout le temps de a guerre, et prétendant faire servir aux intérêts de ; la cour de Vienne les nouveaux droits que vient de lui acquérir sa première grossesse[48]. Plus tard encore, en 1784, au moment où Joseph II faisait la guerre à la Hollande, Marie-Antoinette ne se montra pas moins ardente qu'en 1778. D'accord avec Mercy, elle assiégea Louis XVI, trompa les ministres, s'efforça de leur arracher des promesses et des engagements en présence du roi, qu'elle avait gagné d'abord, et parvint même à retarder les courriers, de manière à informer son frère des résolution qu'ils lui portaient et à lui donner ainsi le temps d'y parer. Il n'est que trop vrai aussi que Marie-Antoinette disait toujours en parlant de l'Autriche : ma patrie, et en parlant de la France : ce pays-ci[49] ; et pourtant elle ne mérita, suivant nous, complètement d'être appelée Autrichienne que le jour où les tempêtes se levèrent, et alors le châtiment fut terrible.

Cependant, fidèle à son rôle, le comte de Provence s'étudiait à faire naître entre Louis XVI et' la reine des causes actives de mésintelligence. Persuadé que l'éloignement qui existait entre eux finirait par avoir un terme si l'on ne donnait point une maîtresse au roi, il l'entoura de mille pièges, cachés sous de riants dehors. Tous les raffinements qui peuvent rendre attrayante la domination du plaisir, toutes les tentations de nature à réveiller une âme endormie, on sut les réunir dans les fêtes de Brunoy. Louis XVI s'y trouvait au milieu de femmes que le maître du lieu avait eu soin de choisir et qui étaient averties, femmes perdues de mœurs, mais d'une beauté provocante, et dressées à l'art des séductions[50]. Où s'arrêter, dans les routes du mal, quand on ne croit qu'au bonheur de porter une couronne, quand on n'a qu'un désir, un espoir, une passion, un but : régner ? Le comte de Provence aurait voulu pénétrer un à un les sentiments de Louis XVI, s'établir en quelque sorte dans le sanctuaire de ses pensées ; et, pour y parvenir, aucun moyen ne lui parut trop vil. Ignorant l'anglais et remarquant que Louis XVI, à qui cette langue était familière, l'employait souvent en sa présence pour se cacher de lui, il fit entrer à son service comme valet de chambre un professeur d'anglais, auquel une sévère discrétion fut prescrite[51]. On commença, on poursuivit assidûment des études dont personne ne recevait confidence ; et, bientôt, le comte de Provence fut en état de comprendre ce que son frère disait devant lui avec la conviction de n'être pas écouté.

Vains artifices ! L'événement tant redouté par le comte de Provence arriva enfin. La dévotion de Louis XVI, la rigueur des principes qui avaient présidé à son éducation, la gravité naturelle de ses mœurs, sa timidité même, tout contribuait à le sauver du scandale de ces amours adultères dont Louis XIV et Louis XV lui avaient laissé l'exemple. Et, d'un autre côté, il n'était pas sans souffrir de l'oisiveté de sa jeunesse. Il ne put donc s'obstiner jusqu'au bout dans le parti pris de l'indifférence. Les obstacles qu'on avait d'abord jugés insurmontables ayant fini par céder à l'art des médecins, son éloignement pour la reine fit place à une affection emportée, peu délicate, mais qui le subjugua. Aussi le bruit ne tarda-t-il pas à se répandre que Marie-Antoinette allait devenir mère, et, en, effet, le 19 décembre 1778, elle accoucha d'une fille. Grande fut l'émotion. Les uns voyaient déjà Marie-Antoinette arrivée à un crédit que rien ne balancerait désormais et ils étalaient leur joie, tandis que les autres gardaient un silence plein d'embarras ou songeaient à décrier par d'obscures manœuvres une fécondité qui leur était odieuse.

A cette époque se rapporte un fait étrange et qui montre bien de quelle région partirent tant de traits empoisonnés. Peu de jours après qu'elle fut relevée de couches, la reine reçut, de la part d'un curé de Paris, une petite boîte contenant son anneau nuptial. A la boîte était joint un billet conçu en ces termes : J'ai reçu sous le secret de la confession l'anneau de Votre Majesté, avec l'aveu qu'il lui a été dérobé en 1771, dans l'intention de servir à des maléfices pour l'empêcher d'avoir des enfants[52].

Vint le baptême de Madame, et il donna lieu à un incident non moins caractéristique[53]. La cérémonie commençait, lorsque, s'adressant au comte de Provence, qui tenait sa nièce sur les fonts baptismaux, le grand aumônier lui demanda de quel nom il avait fait choix. Monsieur, répondit aussitôt le prince d'un ton sardonique et avec une affectation outrageante, cette question n'est pas la première que vous ayez à m'adresser : il faut s'enquérir d'abord des père et mère. Étonné, confus, le prélat fit observer que la question n'était de rigueur que quand le doute était-permis. Or, ajouta-t-il, ce n'est point ici le cas, et personne n'ignore que Madame est née du roi et de la reine. — Est-ce votre avis, monsieur le curé ? dit le comte de Provence en se tournant vers le curé de Notre-Dame et comme pour prolonger le scandale de cette scène. L'assistance était nombreuse, la circonstance solennelle. Un sourire cruel parut sur les lèvres de quelques-uns ; les plus honnêtes furent secrètement indignés, et ce fut au milieu d'une rumeur, provoquée à dessein, que le curé répondit : En thèse générale, Votre Altesse Royale à raison ; mais, dans le cas présent, je n'aurais pas agi autrement que le grand aumônier.

A partir de ce jour, les pamphlets se multiplièrent, et la haine qui les dictait ne sommeilla plus. De ténébreux réquisitoires, où à des accusations trop fondées se mêlait le limon de la calomnie, accoutumèrent les esprits à des commentaires que l'histoire rougirait de mentionner, s'il n'était pas juste d'assigner leur véritable origine aux libelles que les ennemis de la Révolution française ont, ramassés dans ses bas-fonds.

Et, chose singulière ! plus les attaques devenaient violentes et dangereuses, plus la reine semblait prendre plaisir à mettre contre elle les apparences. L'orgueil qui dure est une fatigue ; d'ailleurs, s'essayer à des hardiesses impunies, c'est un des privilèges de la puissance : on eût dit que Marie-Antoinette avait hâte de mesurer son pouvoir à ses caprices. Un jour elle fut aperçue à Marly, dans un cabriolet de rencontre, seule et le conduisant de sa main royale[54]. Tout Paris parla d'une course nocturne de la reine, et de la reine déguisée, dans une voiture de place[55]. Les réjouissances publiques l'attiraient ; et qu'on la découvrît à demi cachée au sein du tumulte, elle s'en inquiétait peu. Ne l'avait-on pas vue rechercher avec enivrement le péril des bals de l'Opéra, et se perdre en leur tourbillon, heureuse ou tremblante sous le masque ? De même, lui écrivait à ce propos son frère Joseph II, le 29 mai 1777, daignez penser un moment aux inconvénients que vous avez déjà rencontrés aux bals de l'Opéra, et aux aventures que vous m'en avez racontées vous même là-dessus. Je ne puis vous cacher que c'est de tous les plaisirs indubitablement le plus inconcevable de toute façon, surtout de la façon que vous y allez, car Monsieur, qui vous accompagne, n'est rien... Le lieu par lui-même est en très-mauvaise réputation. Qu'y cherchez-vous ? une conversation honnête ? vous ne pouvez l'avoir avec vos amies ; le masque l'empêche. Danser non plus ; pourquoi donc des aventures, des polissonneries, vous mêler parmi le tas de libertins, de filles, d'étrangers, entendre ces propos, en tenir peut-être qui leur ressemblent, quelle indécence !... Le roi abandonné toute une nuit à Versailles, et vous, mêlée en société et confondue avec toute la canaille de Paris ![56] Et dans ces nuits d'été qu'elle avait coutume de passer sur la terrasse du parc, livré alors à la foule des promeneurs, nuits embaumées, nuits languissantes, dont la musique des gardes françaises complétait l'enchantement, ne lui était-il pas arrivé d'aller s'asseoir, en robe de percale blanche et en simple chapeau de paille, sur les bancs que l'ombre effaçait, pour y épier le moment de quelque surprise et les émotions de l'imprévu ? On doit la blâmer, et il est permis de la plaindre. Élevée par l'abbé de Vermond, un Dubois amoindri ; entourée de séductions et de pièges ; unie à un prince dont la gaieté même était pesante, comment ne se serait-elle point parfois dérobée au despotisme du respect, elle si docile au commandement des fantaisies passagères et des vaines pensées ?

Mais ne s'appartenir pas est la loi des hautes situations. Par un juste retour à l'égalité, il faut, quand on jouit de la grandeur, qu'on soit des premiers à la subir. Marie-Antoinette l'oublia trop, et une désaffection aussi accablante que rapide vint l'avertir en la frappant. La naissance de sa fille avait été saluée par ces élans de joie servile qui, dans un Etat monarchique, emportent les peuples aussitôt que le hasard leur envoie des maîtres : la naissance du Dauphin fut accueillie, trois ans après, avec froideur ou, plutôt, avec insulte. On répandit dans le public qu'à l'instigation du comte de Provence, douze pairs avaient signé circulairement une protestation dans laquelle la légitimité du fils de la reine était attaquée en termes formels[57]. Il est certain que les magistrats de la cité affectèrent une indifférence propre à accréditer le soupçon. Ils mirent tant de retard à ordonner les divertissements d'usage, que Marie-Antoinette s'écria dans un accès d'humeur : Devrons-nous attendre les fêtes jusqu'à ce que le nouveau-né soit en état de les voir et d'y danser ? [58] On les donna enfin, ces fêtes désirées. Mais elles furent silencieuses et mornes. Chacun remarqua la mesquinerie calculée du feu d'artifice. A l'Hôtel de Ville, les tables avaient été servies de façon à humilier les convives ; et l'on fit paraître, au dessert, des figures en sucre qui présentaient d'offensantes allusions[59]. Ainsi s'annonçaient de loin ces formidables haines de la Commune de Paris !

Un monarque rejeté sur le second plan, une reine insultée, voilà donc ce qui personnifiait en France la royauté, à une époque où, plus que jamais, les mensonges du prestige eussent été nécessaires. Et en avant de ce trône, désormais incapable de se défendre seul, personne pour le défendre. Car princes et nobles semblaient à l'envi se précipiter vers le déshonneur et la mort. Ne demandez pas ce que font, sur le sol miné de la monarchie, les gardiens naturels des institutions et des choses d'autrefois. Pendant que ses deux frères s'occupent, celui-ci d'horlogerie, celui-là de machinations viles, le comte d'Artois court les bals masqués. Le duc d'Orléans laisse s'éteindre aux bras de madame de Montesson, secrète épouse, les restes d'une existence usée par des amours d'Opéra. Son fils, le duc de Chartres, se partage entre le jeu, les voluptés grossières et des leçons d'escamotage payées à Comus[60]. Représentant farouche, infirme et caduc de la descendance illégitime de Louis XIV, le comte d'Eu passe sa vieillesse à chasser, dans une voiture d'invention nouvelle. Le prince de Lamballe... il est mort sous les baisers de créatures immondes, dont une a eu le voile du palais rongé par la débauche[61].

Dans la masse de la noblesse, à part un petit nombre d'exemples glorieux, même décadence. Quand l'abbé Terray s'était avisé de taxer les citoyens à raison de leurs titres, on avait rencontré dans les bureaux de recette une foule de nobles venant déclarer, sous l'empire d'une sordide inquiétude, qu'ils n'étaient pas nobles, qu'ils ne voulaient pas l'être ; et ce mouvement d'abdication morale n'avait fait que revêtir depuis un caractère de plus en plus honteux. Sur la scène élevée où marchaient fièrement les femmes des lieutenants généraux et les duchesses, mainte union solennelle fit monter, non pas des vierges plébéiennes, mais des femmes disputées et dérobées à des embrassements d'histrions, mais des courtisanes publiquement vendues aux plaisirs des ambassadeurs étrangers. Épouser, dans l'unique but de s'enrichir, la fille de quelque opulent financier devint un procédé de gentilhomme. C'était au point qu'un marquis ruiné reçut, des officier de son corps, l'autorisation dégradante de refaire sa fortune en se mariant à une des élèves de la Paris, célèbre entremetteuse du temps[62]. Et ils appelaient cela, dans un langage aussi bas que l'action elle-même : prendre du fumier afin d'engraisser leurs terres. Il y eut des procès de vol où des gens de qualité figurèrent ; il y eut des accusations d'assassinat échangées entre grands seigneurs, et des poursuites judiciaires substituées aux réparations par l'épée.

Pour faire autour du trône une solitude absolue et mortelle, que fallait-il encore ? Un ministre ennemi des privilèges militaires et destructeur systématique de la maison du roi ? Ce ministre fut trouvé. Car c'est le propre des situations graves de créer les hommes qui leur conviennent.

Lorsqu'en 1775, M. du Muy mourut, laissant vacante la place de ministre de la guerre, il y avait à Lauterbach, en Alsace, un vieux soldat dont les habitants du lieu aimaient à citer la dévotion mystique, la bienfaisance et les propos moqueurs. Saint-Germain était son nom. D'abord jésuite, puis lieutenant de dragons, et forcé de fuir, à la suite d'un duel sanglant, il avait promené au loin la double bizarrerie de son caractère et de sa destinée. Rappelé en France par le maréchal de Saxe, après avoir accompagné la fortune d'Eugène, servi l'Autriche, servi la Bavière, combattu les Turcs, il était parvenu rapidement au grade d'officier général, et, quoique dans des commandements secondaires, il avait su mieux que personne, durant la guerre de Sept ans, ralentir le cours de nos désastres et embarrasser le génie de Frédéric. C'était le temps où madame de Pompadour décidait de la direction et disposait du sort de nos armées. Or, le rude officier dédaignait fort les princes, les flatteurs, les favorites ; et, comme il avait pour principe de viser aussi haut que le comportait son étoile[63], il se lassa d'obéir à des généraux courtisans qui ne le valaient pas. Ses services, trop peu vantés par le maréchal de Broglie, se tournent en aigreur. Il se plaint, il éclate, il se croit entouré de persécuteurs mystérieux, il écrit, dans son style original et animé : On me livre, tout nu, aux morsures des guêpes ; et, un beau jour, désertant tout à coup son corps d'armée, jetant derrière lui son cordon rouge, abandonnant sa patrie en deuil, il court, un traité secret à la main, bouleverser la constitution militaire du Danemark. Ses réformes irritèrent par leur violence ; le pouvoir dans l'exil lui échappa ; un infidèle banquier le réduisit à la misère, et, retiré à Lauterbach, il était en train de planter un arbre, la tête couverte d'un bonnet de laine, quand on lui vint annoncer, de la part de Louis XVI, sa nomination au ministère de la guerre. Ah ! ah ! dit-il, d'une voix triomphante et amère, on songe à moi ! N'ayant pas de domestique[64], il pria un paysan de le suivre, et partit.

On croit que ce furent les illuminés d'Allemagne, et notamment le comte de Blecken[65], qui préparèrent cette nomination. Surprise à l'apathie de Louis XVI, elle avait plu à la causticité du comte de Maurepas, curieux de voir à l'œuvre un réformateur qu'on disait tenir du fou et du héros, et qui n'était pas sans rappeler cet autre aventurier mystique dont s'était amusée la cour de Louis XV.

La vérité est que la présence du comte de Saint-Germain à Fontainebleau fut un coup de théâtre. Un déserteur devenu ministre ! Un dévot à la tête des licencieux guerriers de l'Œil-de-bœuf ! L'homme du camp, l'homme du village au milieu des langueurs et des magnificences de la cour ! On savait, d'ailleurs, qu'il exerçait sur les esprits ardents une sorte de fascination ; qu'il avait fait beaucoup de fanatiques dans l'armée ; qu'à la nouvelle de la banque route qui le ruina, les régiments allemands s'étaient cotisés pour lui assurer une pension de seize mille livres ; qu'en payant sa part du tribut, le baron de Wurenser avait dit, par manière de prophétie : On ne doit jamais se brouiller avec les malheureux[66]. Lui, sans tenir compte de sa fortune présente, il arrivait impatient de venger les injures passées. Il allait donc enfin pouvoir leur mettre le pied sur le front, à ces élus de la faveur dont l'insolence avait autrefois pesé sur lui ! Au soldat de fortune l'honneur d'anéantir les privilèges militaires. Et rien, certes, ne convenait mieux au génie du comte de Saint-Germain, génie observateur et calme sur les champs de bataille, mais partout ailleurs, inquiet, turbulent et emporté. On rapporte[67] qu'ayant acheté un domaine à Montfermeil, il se hâta de démolir le château, de couper les bois, de bouleverser les jardins, ne gardant que le sol et des ruines : ce fut l'image de son administration. Tout ce qui servait à l'éclat ou à la force du trône, il le détruisit avec une joie secrète et d'une main violente. Il rendait libres les routes qui, dans les journées des 5 et 6 octobre, du 10 août, devaient conduire au monarque le peuple soulevé.

Jusqu'alors le principe de l'inégalité sous les armes avait été représenté par les mousquetaires gris, les mousquetaires noirs, les grenadiers à cheval, les chevau-légers, les gendarmes : M. de Saint-Germain supprima les deux compagnies de mousquetaires, mit les grenadiers à la réforme, et, s'il se contenta de réduire à cinquante le nombre des chevau-légers et celui des gendarmes, ce fut uniquement par égard pour le prince de Soubise et le duc d'Aiguillon qui les commandaient[68].

L'École militaire de Paris était une institution essentiellement monarchique ; on n'y admettait que des fils de nobles ; on les élevait aux frais du souverain ; on leur apprenait que donner sa vie à son prince, lui donner son âme, c'est l'honneur : M. de Saint-Germain divisa l'Ecole, essaya vainement de la faire passer de Paris dans les provinces, et finit par décider que tout Français pourrait y mettre ses enfants à titre de pensionnaire, substituant à une éducation que le roi payait, une éducation qu'on payait au roi[69].

L'hôtel des Invalides rappelait la gloire de Louis XIV, il semblait attester la sollicitude de la royauté pour le soldat : M. de Saint-Germain fit sortir de l'hôtel les vétérans qui l'habitaient, leur donna des pensions et les dispersa.

Introduire parmi les troupes l'esprit d'indépendance et la passion de l'égalité n'eût pas suffi, peut-être : M. de Saint-Germain, en dénaturant le caractère de l'ancienne discipline, en soumettant l'armée à des peines corporelles[70], disposa les militaires à la révolte, et indirectement, à son insu, il prépara cette grande alliance de l'homme du peuple et du soldat, qui, plus tard, fut conclue devant le pont-levis de la Bastille.

Mais voilà qu'au milieu de son impatience de réformes, cet étrange personnage est saisi de vertige. Son imagination s'égare. A des souvenirs de garnison viennent se mêler confusément dans son cerveau troublé les inspirations du moine, et de ce mélange imprévu sortent mille projets monstrueux ou puérils[71] : il sera défendu aux capitaines de donner des bals dans les garnisons, défendu aux généraux de réunir à leur table au delà de vingt-quatre officiers ; il faudra que les soldats se rendent processionnellement à la messe ; des bénédictins seront chargés de former les élèves de l'École militaire, etc. Il y eut explosion de mécontentements ; des brochures véhémentes furent lancées[72]. Le jour de la dispersion des invalides, un des chariots qui les transportaient s'était arrêté sur la place des Victoires, et l'on avait vu les pauvres vieillards descendre, s'agenouiller autour de la statue de Louis XIV et se lamenter sur ce qu'ils avaient perdu leur père. L'ordonnance relative aux coups de plat de sabre provoqua des scènes d'un effet plus puissant encore. Pour n'avoir pas à appliquer une peine contre laquelle se révoltaient tous les sentiments de l'honneur, des caporaux descendirent au rang de simple soldat[73]. Un officier subalterne, contraint de frapper un de ses inférieurs de vingt-cinq coups, s'arrêta au vingt-quatrième, disant : Quant au dernier, je me le suis réservé à moi-même ; et il s'enfonça le fer dans le corps[74]. Les Français, avait dit un grenadier, n'aiment du sabre que le tranchant ; et ce mot héroïque, l'armée entière le répétait avec une sombre exaltation. Attaqué par les philosophes, que sa dévotion irritait, par les grands, victimes de ses réformes, par les bureaux, dont il avait voulu secouer le despotisme[75], M. de Saint-Germain tomba. Mais il ne tombait qu'après avoir dénaturé la maison du roi, qu'après avoir accompli sa mission révolutionnaire. Instrument de destruction mis en mouvement par une force qu'il servit sans la connaître, il était comme la cognée que le bûcheron jette quand l'arbre est abattu.

Ainsi s'en allait par lambeaux cette vieille monarchie ; ainsi se métamorphosait la physionomie de la cour ; et, vers la fin, Louis XIV, ressuscité, n'eût certainement pas reconnu son Versailles. Ce n'est pas que les nobles eussent renoncé à leurs prétentions : seulement, par un équitable arrêt, ceux-là même qui avaient conservé l'orgueil de leurs prétentions, déchiraient à plaisir le voile qui pouvait en couvrir l'insolence aux yeux des peuples trompés. La reine ayant donné le signal du laisser-aller dans les costumes et dans les mœurs, l'ancienne étiquette n'existant plus que dans les regrets de quelques douairières dédaignées, les robes traînantes ayant disparu et une duchesse ne se distinguant plus d'une actrice[76], les hommes, à leur tour, se piquèrent de suivre l'impulsion. Parmi des seigneurs qui se croyaient d'une race élue, ce fut chose du bel air et philosophique d'être vêtu en gros drap, de quitter les talons rouges, de porter des souliers épais, de se perdre dans la foule un bâton noueux à la main[77]. Et l'on renonça peu à peu au cortège des valets, aux broderies éclatantes, à la noblesse écrite sur un habit, à tout ce qui est grandeur visible et palpable, à tout ce qui jusqu'alors avait rendu vivante et parlante la prééminence des rangs.

Lorsqu'il avait éloigné de Paris la majesté royale, lorsqu'il l'avait placée à Versailles parmi les siens, Louis XIV avait sans doute voulu donner à la haine du peuple tant de milieux à traverser, qu'elle eût de la peine à atteindre le monarque. Mais il arriva que, fascinée par son destin, Marie-Antoinette aima passionnément et rechercha Paris. La vie abandonna donc peu à peu ce palais qu'avaient choisi pour théâtre à leurs prodiges, la vanité et la bassesse humaines. La solitude, le silence, finirent par envahir l'antichambre fameuse où se tenait le valet d'élite que séparait des premières puissances de la terre un simple paravent, et dont la voix, toujours respectée, chassait dans la galerie du château des nuées de comtes et de barons. Il diminua de jour en jour, d'heure en heure, le nombre de ceux qui, groupés le soir à la porte du cabinet royal, attendaient avec une impatience servile et jalouse qu'un salut, un sourire, un regard du maître décidât de leur fortune. Longtemps on avait dit : la cour et la ville ; le moment vint où il fallut renverser les termes. On quitta Versailles, où était le roi : on se hâta vers Paris, où était le peuple.

 

 

 



[1] Mémoires de madame Campan, ch. IV, p. 78. 1822.

[2] Soulavie, Mémoires historiques et politiques, t. II, p. 47. Paris, 1801.

[3] Nougaret, Règne de Louis XVI, t. I, p. 54. Paris, 1791.

[4] Madame de Gentis, Souvenirs de Félicie.

[5] Mémoires de madame Campan, p. 60.

[6] Mémoires du comte de Tilly, t. 1, ch. II, p. 25. — Montjoie, Hist. de Marie-Antoinette, p. 56. — M. de Lévis, Souvenirs et portraits, p. 137.

[7] Mémoires du comte de Tilly, t. I, ch. VI, p. 145. — Mémoires de madame Campan, t. I, ch. IV, p. 128.

[8] Mémoires de madame Campan, t. I, ch. II, p. 169.

[9] Revue rétrospective, n° 1, p, 87.

[10] Depuis, Charles X.

[11] Depuis, Philippe-Égalité.

[12] Depuis, Louis XVIII.

[13] Manuscrit de M. Sauquaire-Souligné. — Ce manuscrit nous a été confié peu de temps avant la mort de l'auteur, par l'auteur lui-même, témoin de la plupart des faits consignés dans les notes qui nous ont été remises, et dont nous avons pu vérifier l'exactitude par de nombreux témoignages écrits.

[14] Montjoie, Hst. de Marie-Antoinette, p. 111 et 112. — C'est ce que reconnaît aussi madame Campan. Et il importe, de remarquer que les premiers libelles dirigés contre Marie-Antoinette ne pouvaient être inspirés par le duc de Chartres, qui était un des plus ardents amis de la reine, à cette époque.

[15] Chronique secrète de Paris, par l'abbé Baudeau, année 1774, insérée dans le n° 9 de la Revue rétrospective, p. 383.

[16] Nougaret, Règne de Louis XVI, t. I, p. 130.

[17] Mémoires de madame Campan, t. I, ch. III, p. 60.

[18] Bachaumont, Mémoires secrets, t. XIV, p. 155. — Nougaret, Règne de Louis XVI, t. I, p. 326 et 327.

[19] Bachaumont, Mémoires secrets, t. XXVII, p. 292.

[20] Manuscrit de M. Sauquaire-Souligné.

[21] Soulavie, Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, t. VI, p. 31.

[22] Mémoires de madame Campan, t. I, ch. III, p. 64.

[23] Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, t. VI, p. 6.

[24] Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, t. VI, p. 6.

[25] Chronique secrète de Paris, par l'abbé Bandeau.

[26] Montjoie, Hist. de Marie-Antoinette, p. 105.

[27] Montjoie, Hist. de Marie-Antoinette, p. 162.

[28] Mémoires de Besenval, t. II, p. 107.

[29] Fragments inédits des Mémoires du prince de Ligne, publiés par la Revue nouvelle.

[30] Voyez les Mémoires historiques et politiques, t. VI, p. 30, et les Mémoires du comte de Tilly, t. I, ch. VI, p. 141.

[31] Mémoires de Besenval, t. II, p. 90.

[32] M. de Lévis, Souvenirs et portraits, p. 159.

[33] Voyez à ce sujet les aveux que fait dans ses Mémoires, t. II, ch. XVII, le comte de Tilly, un des plus ardents défenseurs de Marie-Antoinette et son admirateur passionné.

[34] Mémoires de madame Campan, t. I, p. 162.

[35] Mémoires historiques et politiques, t. VI, p. 50.

[36] L'Espion anglais, t. VI, p. 140.

[37] L'Espion anglais, t. VI, p. 140.

[38] Annales de Linguet, t. I, p. 239.

[39] Annales de Linguet, t. I, p. 235.

[40] L'Espion anglais, t. VI, p. 149.

[41] Annales de Linguet, t. I, p. 233.

[42] Mémoires historiques et politiques, t. VI, p. 23.

[43] Mémoires de madame Campan, t. I, p. 111.

[44] Mémoires historiques et politiques, t. VI, p. 41.

[45] Mémoires historiques et politiques, t. VI, p. 42.

[46] Cette note se trouve in extenso dans Soulavie.

[47] Soulavie, Mémoires historiques et politiques, t. VI, p. 26.

[48] Marie-Antoinette, Marie-Thérèse, Joseph II et Léopold II. — Leur correspondance recueillie par le chevalier Alfred d'Arneth — Vienne ; Paris, 1866.

[49] Marie-Antoinette, Marie-Thérèse, Joseph II et Léopold II. — Leur correspondance recueillie par le chevalier Alfred d'Arneth — Vienne ; Paris, 1866.

[50] Conversations recueillies à Londres, 1807. — Voyez dans les Mémoires de Bachaumont ce qui a trait à ces fêtes. — Le même fait est rapporté dans les Mémoires de mademoiselle Berlin, p. 63 et 64. Seulement, le comte de Provence y est désigné par ces mots : Le plus puissant des ennemis de la reine.

[51] Nous tenons ce fait d'un très-grave et très-savant magistral, que nous nommerions, au besoin.

[52] Mémoires de madame Campan, t. I, p. 208.

[53] Manuscrit de M. Sauquaire-Souligné, et Mémoires secrets de Bachaumont, t. XIII, p. 251.

[54] Mémoires secrets de Bachaumont, t. XXVII, p. 231.

[55] Mémoires de madame Campan, t. I, p. 165.

[56] D'Arneth, Correspondance de Marie-Antoinette, etc., ubi supra, p. 11 et 12.

[57] Manuscrit de M. Sauquaire-Souligné.

[58] Montjoie, Hist. de Marie-Antoinette, p. 134.

[59] Montjoie, Hist. de Marie-Antoinette, p. 136.

[60] L'Espion anglais, t. I, p. 187.

[61] L'Espion anglais, t. I, p. 209.

[62] L'Espion anglais, t. I, p. 226 et 227.

[63] Soulavie, Mémoires historiques et politiques, t. III, p. 59.

[64] Nougaret, Règne de Louis XVI, t. III, p. 157.

[65] Soulavie, Mémoires historiques et politiques, t. III, p. 59.

[66] Nougaret, Règne de Louis XVI, t. III, p. 157.

[67] Nougaret, Règne de Louis XVI, t. III, p. 167.

[68] Voyez les Mémoires du prince de Montbarrey, successeur du comte de Saint-Germain à la guerre, t. II, p. 160.

[69] Soulavie, Mémoires historiques et politiques, t. III, p. 66.

[70] Ce n'était point par cruauté, car il supprima la peine de mort, infligée indistinctement, avant lui, à tous les déserteurs. — Voyez Mémoires du comte de Saint-Germain, p. 87.

[71] Mémoires secrets de Bachaumont, t. X, p. 5.

[72] Requête des soldats à la reine, et Lettres d'un grenadier du régiment de Champagne à un de ses camarades de l'hôtel des Invalides.

[73] L'Espion anglais, t. III, p. 428.

[74] L'Espion anglais, t. III, p. 429.

[75] Mémoires du prince de Montbarrey, t. II, p. 154. — Mémoires du comte de Saint-Germain, p. 10 et 12.

[76] Montjoie, Hist. de Marie-Antoinette, p. 100 et 101.

[77] Montjoie, Hist. de Marie-Antoinette, p. 100 et 101.