HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

ORIGINES ET CAUSES DE LA RÉVOLUTION

LIVRE TROISIÈME. — DIX-HUITIÈME SIÈCLE

 

CHAPITRE II. — GUERRE AUX ROIS ABSOLUS. - TRIOMPHE DE L'INDIVIDUALISME EN POLITIQUE, OU RÉGIME CONSTITUTIONNEL. - MONTESQUIEU.

 

 

Fleury avait énervé la monarchie : Louis XV la déshonore. — Infamie de ses amours. — Madame de Pompadour est la royauté. — Excès et folies du pouvoir absolu. — Absence de garanties. — Inanité politique des parlements ; leur insuffisance comme autorité judiciaire. — Le prévôt des maréchaux.— Oppression de l'individu ; nécessité de l'affranchir. — École de l'individualisme en politique : Montesquieu, de Lolme. — École rivale : Jean-Jacques Rousseau. — Les idées de Montesquieu l'emportent. — Tous les penseurs réunis contre les rois absolus. — Attaques de d'Holbach, de Diderot, de Raynal. — Dernier effort du pouvoir absolu ; Maupeou détruit les parlements. — La magistrature nouvelle couverte de ridicule par Beaumarchais. — La scène politique appartient à la bourgeoisie.

 

Tendant que l'ancienne société religieuse s'écroulait ainsi sous les coups redoublés de la philosophie, quel spectacle présentait la société politique ? et sous l'effort de quel principe allait-elle périr à son tour ?

Après le tumulte et les convulsions de la Régence, le royaume s'était laissé aller de lassitude aux pieds d'un vieillard ennemi de l'éclat, importuné par le bruit, doux, craintif et prodigieusement égoïste. A peine installé, le cardinal de Fleury ne prit le gouvernement de la première nation du monde que pour une retraite ménagée au calme de ses vieux jours. Modeste de son naturel, et n'ayant plus dans les veines qu'un reste de sang qui commençait à se glacer, il trembla d'avoir à conduire un peuple ému de puissants désirs. Un seul moyen s'offrait à lui de vivre et de mourir en paix, restant ministre : c'était de mettre à profit la fatigue de la France, fatigue d'un jour, et de la rendre humble, inerte, languissante comme lui-même. Ce fut toute sa politique. Attentif à rejeter dans l'ombre les conceptions du génie, à écarter des affaires les esprits vigoureux ou les âmes profondes, il eut horreur des hommes et des intérêts d'État. Voulant éviter à tout prix les aventures en matière de finances, il fit descendre la science du crédit jusqu'à l'avarice. Impatient de décourager l'ambition nationale, de la détourner des hasards, il livra aux Anglais notre marine et la mer. Telle était en lui la passion' des petits moyens et des petites choses, qu'elle le poussa jusqu'aux limites de la trahison. En 1755, par exemple, si Stanislas, père de la reine, perdit ce trône où l'avaient appelé des vœux que servaient nos épées, ce fut l'effet du mauvais vouloir de Fleury et de l'insuffisance de ses secours, perfidement calculée : félonie que couvrit sans l'absoudre le bonheur diplomatique auquel nous dûmes la Lorraine ! De sorte que Fleury se dédommageait de son impuissance à empêcher la guerre, en mettant obstacle à la victoire ; tant il craignait, pour la France, les emportements de l'orgueil et l'agitation des triomphes !

Dans ses belles années, Louis XIV avait, du moins, su couvrir la monarchie absolue d'un manteau éclatant : sous Fleury, la gloire venant à tomber, on aperçut le squelette. D'ailleurs, agir et en imposer est une des conditions de la force. Quoi de plus ridicule que d'être tout et de disparaître, que de pouvoir tout et de ne rien faire ?

A qui ne voulait qu'amoindrir la monarchie il fallait un monarque énervé : grâce à Fleury, Louis XV n'était encore, à vingt-deux ans, qu'un enfant voluptueux et timide. Bientôt, la bassesse des flatteurs cherchant un emploi aux désirs dont le jeune prince était secrètement consumé, Fleury s'en félicita, loin d'y contredire, bornant sa prévoyance à amener un choix qui le laissât en repos sur la durée de son crédit. Or, parmi les dames de la cour, il n'y en avait peut-être alors qu'une seule dont l'âme, fermée à l'ambition, fût digne d'appartenir tout entière à l'amour : Fleury la devina, et les artifices de sa tolérance l'encouragèrent[1]. C'était madame de Mailly, noble femme, aussi tendre que La Vallière et bien plus malheureuse, puisqu'elle eut à pleurer, dans le triomphe d'une rivale, l'ingratitude et la cruauté d'une sœur !

Voilà comment s'ouvrit la longue série des dissolutions qui marquèrent, en France, les derniers jours de l'ancienne monarchie. On vit quatre sœurs[2], tour à tour attirées dans les bras du maître, se disputer le scandale de ses embrassements et le familiariser avec l'inceste.

Et pourtant, après la mort de Fleury, en 1744, lorsque Louis XV tomba malade à Metz, de vives douleurs éclatèrent, que sa guérison changea en transports de joie. C'est qu'en effet une métamorphose inattendue semblait s'être opérée en lui. Il avait armé son fils chevalier ; il courait au-devant d'une bataille, qui fut la victoire de Fontenoy ; et on lui savait gré d'avoir renoncé aux langueurs de Versailles pour les travaux du camp. Ses faiblesses mêmes, on les vantait alors, madame de Châteauroux ayant appris le rôle d'Agnès Sorel et donné l'héroïsme pour condition à l'amour.

Mais la vie de Louis XV n'eut que cet éclair. Madame de Châteauroux mourut ; et, peu de temps après, le roi s'informait d'une belle inconnue que souvent, dans ses chasses de la forêt de Sénart, il avait rencontrée, au détour des allées, audacieuse, provocante, penchée sur un phaéton d'azur. On la nomma, il la voulut connaître, et la marquise de Pompadour ne tarda pas à gouverner la France.

Elle y parvint sans peine : Louis XV ne demandait qu'à être affranchi de la fatigue de vouloir. Non qu'il se fît illusion sur les dangers de l'inertie dans un siècle d'emportement ; doué d'une clairvoyance rare, il avait découvert, il avait montré le point noir qui déjà montait à l'horizon. Mais, d'un autre côté, il s'était mis à mesurer avec une sagacité froide et sûre l'intervalle qui le séparait des suprêmes périls ; et que lui importait, pourvu qu'il n'y fût pas englouti, le naufrage de la royauté ? Dédaignant les choses parce qu'il méprisait les hommes, jamais il n'apporta dans le conseil où se débattait l'avenir de son royaume, qu'une indolence dont sa timidité masquait l'égoïsme. Quand il ne s'absentait pas de son règne, il ne faisait qu'y assister, spectateur indifférent et silencieux.

Madame de Pompadour tira merveilleusement parti de ces dispositions. Mais le besoin de régner jusqu'au bout lui imposait une tâche difficile à remplir : il fallait amuser le roi. Car le vide s'était fait dans sa pensée, et il avait le cœur chargé d'ennui[3]. Importuné de l'éclat des fêtes et de sa propre grandeur, la solitude avait pour ses sens altérés ce honteux attrait qui fit d'une île cachée à tous les regards le séjour aimé de Tibère. Et, dans la solitude, les loisirs que lui laissait la volupté l'accablaient. Par une douloureuse et singulière contradiction de sa nature, il avait peur de la mort, et continuellement il en évoquait l'image. Un jour, comme il passait devant une colline que des croix surmontaient, il s'arrêta tout à coup, saisi de tristesse, et dit à un homme de sa suite : Allez voir s'il n'est pas dans .ce cimetière quelque fosse nouvellement faite[4]. Il était à la fois avide et dégoûté de la vie : l'aider à vivre était l'étude de la favorite ; et c'est parce qu'elle y réussit à moitié que sa puissance fut sans bornes.

Elle en vint à renverser et à recomposer les ministères. L'abbé de Bernis arriva au pouvoir : il avait été agréable ; il cessa de plaire : il tomba. Quelles que fussent les ressources de son facile génie et son audace, le duc de Choiseul ne se serait jamais élevé jusqu'au faîte, s'il n'y eût été porté par la favorite. Vainement les gentilshommes en qui avait survécu l'orgueil des vieilles races, s'indignaient-ils tout bas de voir la noblesse aux pieds d'une marquise d'emprunt, cousine d'un valet de chambre du roi et fille d'un commis taré. Ce qui avait survécu dans ces gentilshommes, c'était l'orgueil sans l'honneur : l'idole qu'ils insultaient dans l'ombre, ils mettaient de l'émulation à l'adorer publiquement ; et la favorite, qui supposait l'injure de leurs secrets commentaires, les châtiait par le dédain de son attitude. C'était à sa toilette qu'elle recevait grands seigneurs, généraux, prélats, princes du sang, et nul n'était admis à s'asseoir devant elle[5]. Il lui plut d'être dame du palais de Marie Leczinska, de la reine : ce scandale eut lieu. L'offenser fut un crime. Le comte de Maurepas expia par un long exil les hardiesses d'une épigramme. Pour un billet menaçant qu'on la soupçonnait d'avoir placé dans le berceau du petit duc de Bourgogne, madame Sauvé fut jetée à la Bastille, dont les portes se refermèrent à jamais sur elle. Pour quelques vers satiriques dont on avait trouvé chez lui le brouillon, le chevalier de Rességuier fut mis au mont Saint-Michel dans une cage de fer où l'on ne pouvait ni se tenir debout ni s'étendre, et son supplice dura sept ans[6].

Madame de Pompadour avait, cependant, des qualités précieuses. Elle aimait les arts, elle les cultivait. Elle demanda grâce à la postérité par la protection dont, souvent, elle couvrit la philosophie. Elle eut des attachements inviolables, et rien ne put rompre son pacte avec la rude franchise et la vertu de Quesnay. Que de fois on la surprit écoutant d'un cœur ému les rumeurs lointaines de la place publique, et versant des larmes sur sa puissance qu'on maudissait ! Mais elle était condamnée à fournir au monde un mémorable exemple de tout ce que la conservation du pouvoir absolu entraîne de nécessités ignominieuses et conseille d'horreurs.

Il y avait à Versailles une habitation qu'on nommait l'Ermitage. Les dehors annonçaient une ferme ; dans l'intérieur, ce n'étaient que peintures lascives, que charmants réduits ménagés au mystère, que sentiers fuyant sous de dangereux ombrages. Madame de Pompadour y fixa le théâtre de ses plus savantes séductions. C'était là que vêtue tantôt en reine, tantôt en laitière ou en sœur grise[7], elle s'étudiait à ranimer par mainte rencontre en apparence fortuite et par mille scènes imprévues l'imagination éteinte de son amant. Mais comment s'arrêter en pareilles voies ? Quand elle sentit que la jeunesse et la santé l'abandonnaient ; quand, a près avoir cherché dans de violents breuvages et un régime meurtrier[8] des forces nouvelles pour séduire, elle en fut réduite à s'avouer l'inutilité de ses efforts, elle eut recours à des moyens qui allaient conduire le pouvoir absolu à l'épuisement par la honte.

On risque d'irriter les princes en se dévouant à leur gloire ; on est bien près de les dominer quand on se dévoue à leurs vices. La marquise le comprit ; et ce fut par des services impurs qu'elle résolut de racheter auprès de son amant les torts d'une beauté affadie et d'une santé désormais rebelle au plaisir. Cachant sous une poétique abnégation le côté vil de ses calculs, elle affecta de s'élever au-dessus de la jalousie par un désintéressement passionné. C'est là, disait-elle au roi en lui mettant la main sur le cœur[9], c'est là que j'en veux. Elle se donna donc et se choisit des rivales, reines d'une nuit qu'elle se réservait de détrôner le lendemain. Des portraits furent mis sous les yeux du prince, dans le but d'exciter en lui des mouvements de curiosité ardente. On alla jusqu'à peindre sur le lambris du laboratoire de Marie Leczinska des visages de jeunes filles, chastement encadrés dans des tableaux pieux[10], et dont on indiquait de la sorte au roi les modèles tenus en réserve. Alors, la maison de l'Ermitage devint le Parc-aux-Cerfs. Alors, au sein de mœurs différentes et sous des noms modernes, reparut cette race des anciens affranchis qu'on croyait perdue, et dont Tacite avait immortalisé l'infamie vénale. Louis XV eut des ravisseurs à gages chargés d'épier, de surprendre, de conduire au repaire où la luxure royale attendait sa proie, les victimes que vendait la misère ou qu'on dérobait à la vigilance des familles. Ce qu'on poursuivait surtout, c'était la beauté unie aux grâces et à l'ingénuité de la puberté naissante, l'innocence ayant le cruel et double avantage de mieux ménager les inquiétudes de la favorite et d'aiguillonner plus vivement les désirs du maître. Lui, soit raffinement de volupté, soit superstition véritable, il se plaisait, au milieu de ses désordres, à des pratiques de dévotion dont il imposait la règle aux enfants livrées à son caprice ; et il les voulait agenouillées, disant leur prière, aux pieds mêmes de la couche où il allait leur donner l'éducation de la débauche[11]. Celles qui, ne cherchant pas à connaître leur séducteur, se résignaient à lui servir de jouet, on se contentait de les séparer de leurs enfants aussitôt qu'elles devenaient mères ; et, couvertes de diamants, enrichies aux frais de l'État, on les mariait à quelque être assez vil pour épouser leur précoce déshonneur ; mais malheur à celles dont le roi se faisait aimer ou qui se montraient capables de lui plaire longtemps : sur un signe de la favorite alarmée, la Bastille s'ouvrait, et Louis XV, signant l'ordre d'arrestation, avait la bassesse de punir l'amour qu'il ressentait ou qu'il avait inspiré[12].

Ce que devaient couler de semblables dissolutions, on le conçoit. Louis XV, qui était avare à l'excès ; qui avait souffert que madame de Mailly se ruinât pour lui ; qui ne rougissait pas d'amasser un pécule, denier par denier, au milieu de la détresse générale ; qui maniait en agioteur le commerce des blés,. Louis XV souriait aux trésors de l'État engloutis par ses largesses du Parc-aux-Cerfs. Elles montèrent à cent millions, disent les écrivains modérés[13] ! Comment, d'ailleurs, mesurer le scandale ? Trop connus, les désordres de Louis XV répandirent la corruption et l'encouragèrent. Des familles respectables furent troublées par la découverte d'espérances cyniques. Le roi de France reçut des lettres telles qu'aux époques de dépravation fameuse en recevaient les acteurs en renom. La prostitution courut au-devant de lui.

On s'indigna d'abord, et l'on finit par s'inquiéter. Des bruits, renouvelés d'un autre âge, commencèrent à circuler parmi le peuple. On parlait de bains de sang humain prescrits à Louis XV comme un dernier moyen de rallumer sa vie[14]. Et, pour accréditer l'affreuse rumeur, on s'appuyait sur la nature du pouvoir absolu, qui est de tout oser, se trouvant en des mains perverses. Est-ce que des excès n'avaient pas été déjà commis qui dépassaient la mesure commune ? Où étaient les lois protectrices du citoyen ? Pourquoi un prince effréné dans ses plaisirs s'arrêterait-il, quand il serait question de son existence, devant des crimes contre lesquels on n'avait d'autre garantie que leur énormité même ? On s'anime, on s'excite par ces discours à croire aux plus monstrueux complots ; et voilà que soudain Paris se lève en tumulte. C'en est fait : des enfants ont été arrachés à leurs mères ; on en a la preuve ; on cite des circonstances effrayantes ; on rapporte des paroles étranges échappées à l'imprudence des ravisseurs. Les places publiques retentissent de clameurs furieuses, auxquelles se joint le gémissement d'une foule de mères éplorées. L'hôtel du magistrat, gardien de la cité, fut impétueusement envahi. Le lieutenant de police dut s'enfuir par des jardins, menacé qu'il était d'être égorgé. L'émeute enfin ne se dissipa que devant un brutal emploi de la force. Mais la force, depuis, ne cessa de décroître, à mesure que s'exaltaient les colères. Un enlèvement de vagabonds avait suffi pour causer cette épouvante ; et quelle preuve plus frappante de la profondeur que le peuple apportait déjà dans ses défiances et dans sa haine ?

Telle se montrait, au dedans, la royauté de Louis XV ; et son rôle, au dehors, fut au niveau de tant d'opprobre.

Qu'on se figure un prince servi dans les diverses cours de l'Europe par des agents secrets d'une admirable clairvoyance ; un prince tenant dans ses mains, au moyen d'une correspondance mystérieuse, tous les fils de la politique européenne ; instruit à l'avance des projets formés contre lui par ses ennemis, et connaissant beaucoup mieux que ses propres ministres la marche à suivre pour disposer de la paix ou féconder la guerre : ce prince, ce fut Louis XV. Mais, encore une fois, que lui importait la destinée du royaume ? Dans cette correspondance intime et particulière qu'il entretenait à grands frais, que cherchait-il ? Un préservatif contre l'ennui dont il était obsédé ; un spectacle vain, une force qui lui permît de sortir de lui-même ; une occasion de prendre en défaut la sagacité de ses ministres, de railler leur ignorance, de se raffermir dans son mépris des hommes et son dégoût des affaires humaines. Jamais il n'était plus heureux que lorsque, témoin des désastres prévus ou annoncés par lui sans qu'il se fût mis en peine de les prévenir, il pouvait dire à ses conseillers : J'avais raison ! C'étaient là ses divertissements ; et les humiliations, les calamités de son royaume, il les faisait servir aux triomphes moqueurs de son amour-propre.

Asservie à un semblable monarque, alors que personne ne se portait héritier de Richelieu, que pouvait la France ? Notre diplomatie devint la risée de l'Europe. Une guerre avait été entreprise en 1741, dans l'orgueilleux espoir d'arracher à Marie-Thérèse l'Allemagne impériale et de rendre l'Angleterre à la race des Stuarts. Or, quel est le résultat obtenu, après mainte campagne héroïque, a près la victoire de Fontenoy ? Le traité d'Aix-la-Chapelle, en 1748, nous donne Marie-Thérèse à reconnaître et Charles-Édouard à proscrire.

On sait combien avait été vif et passionné l'accueil fait par la France à ce malheureux prince, quand un corsaire de Saint-Malo était venu le jeter sur nos rivages, pleurant son courage trahi, ses espérances perdues, ses amis livrés à d'abominables supplices, et sa cause abandonnée par un successeur de Louis XIV. On se plaisait à rappeler ses aventures chevaleresques, colorées par son malheur ; on l'aimait dans ce généreux pays de France, parce que la fortune l'avait accablé sans l'avilir, parce qu'il avait erré sous le poids de la défaite dans des marais et des bruyères, seul, ayant faim et couvert de haillons. Tout à coup une nouvelle se répand : au milieu de Paris, en plein Opéra, devant une foule immense, sur un ordre exprès de Louis XV, le Prétendant a été arrêté ; un sergent aux gardes l'a renversé comme il se mettait en défense, et on le conduit à Vincennes, captif, insulté. Ce fut, d'un bout du royaume à l'autre, un élan d'indignation qu'il faut renoncer à peindre. En apprenant l'arrestation du prince Édouard, Voltaire s'écria[15], tout panégyriste de Louis XV qu'il était : Ô ciel ! est-il possible que le roi souffre cet affront et que sa gloire subisse une tache que toute l'eau de la Seine ne saurait laver ! La royauté n'avait rien de mieux à offrir à la France, en dédommagement des scènes du Parc-aux-cerfs.

Ce n'est pas tout. En 1741, la France s'était armée au profit de Frédéric II contre Marie-Thérèse ; en 1756, elle s'arme au profit de Marie-Thérèse contre Frédéric II. Et ne vous étonnez pas d'un aussi brusque changement, d'une pareille atteinte à la politique suivie par Henri IV, par Richelieu, par Louis XIV. Si l'on abandonne ce grand projet de l'abaissement de la maison d'Autriche ; si l'on affronte le génie guerrier de Frédéric II ; si l'on se condamne à porter au delà du Rhin toutes les forces de la France, attaquée alors par l'Angleterre sur la Méditerranée et sur l'Océan, c'est que la marquise de Pompadour le veut ainsi. On connaît les suites. La défaite de Rosbach, quatre-vingts millions de subsides[16] payés bénévolement à l'Autriche, des armées entières englouties dans des expéditions folles, trente-sept vaisseaux de ligne et cinquante frégates pris ou détruits par les Anglais[17], le Canada par nous sacrifié définitivement à leur dictature avide, ainsi que la Guadeloupe, la Martinique, Tabago, Saint-Vincent, Sainte-Lucie, nos comptoirs de l'Afrique et de l'Inde... voilà ce que produisit la GUERRE DE SEPT ANS, voilà ce que valut à la France le titre de ma bonne amie donné par Marie-Thérèse à la maîtresse d'un monarque absolu.

Chez un peuple qui n'est pas absolument dégradé, la gloire est, dans la science du despotisme, un artifice indispensable : car, la gloire et la liberté absentes à la fois, c'est trop de vide. Sous Louis XV, la France avait fini par manquer d'air : on travaillait à lui faire une situation impossible.

Nous avons rappelé ce que fit Louis XV, ce qu'il fit impunément : c'est assez dire qu'à la veille de ne plus pouvoir rien, la royauté pouvait tout. Voici, en effet, un monarque dont l'avilissement même constate la puissance. Vous demandez s'il a le droit de contraindre ses sujets ? ses impudicités sont le désespoir ou la terreur des mères ; s'il a le droit de puiser dans le trésor public ? il y prend la dot de chaque vierge qu'il a séduite ; d'attenter à la liberté des citoyens ? son nom au bas de quatre lignes, et on lève le pont-levis de la Bastille ; de créer capricieusement des impôts ? il en assoit pour son compte personnel, par l'agiotage, sur la famine ; de nommer aux emplois ? sa maîtresse les distribue ; de faire la paix ou la guerre ? sa maîtresse en décide.

Eh quoi ! aux débordements d'une puissance ainsi exercée la constitution politique du pays n'offrait-elle donc aucun obstacle, aucune barrière ? Non : ce que la royauté avait devant elle, ce n'étaient pas des obstacles, c'étaient des périls ; ce n'était pas une barrière, c'était un abîme.

Mais ce droit de remontrances dont le parlement, depuis Louis XI, se trouvait investi ?... Arme vaine, maniée par des mains sans vigueur. Les remontrances ne pouvaient être un frein qu'à la condition de répondre à une force ; elles ne pouvaient servir de garantie aux libertés publiques, qu'à la condition d'être soutenues par beaucoup d'audace, par des colères généreuses, par un dévouement fougueux et systématique à la cause du peuple. Or, n'oublions pas que les parlementaires étaient des juges. Et comment la colère d'un tribun s'allumerait-elle dans un juge ? Les ardeurs politiques s'accordent mal avec cet attachement aux anciennes formes, ce culte de la coutume, ce respect des pouvoirs établis et ces graves habitudes qui caractérisent le magistrat, qui lui sont imposées. La liberté veut qu'on marche : le propre de la magistrature est d'être assise.

D'ailleurs, les charges étant devenues vénales et héréditaires, le parlement s'était habitué à regarder l'administration de la société comme un patrimoine. On avait acheté ou trouvé dans sa famille un domaine qu'on entendait laisser intact à ses enfants ; et vu ainsi à travers les illusions de l'intérêt privé, l'intérêt public reculait, il s'amoindrissait outre mesure, il s'effaçait presque.

C'est peu : les parlementaires se montraient fiers du privilège de noblesse qu'on leur avait conféré. Ils ne consentaient pas à se croire du peuple, de la bourgeoisie. Leur impuissance faisait partie de leur vanité.

Enfin, il n'y avait pas jusqu'à la composition du parlement qui ne fût de nature à lui interdire dans les luttes politiques les honneurs d'un rôle actif et vraiment sérieux. Ici, en effet, cinq chambres des Enquêtes et deux des Requêtes, où se pressaient les jeunes conseillers ; là une Grand'Chambre, où l'on n'était admis que par rang d'ancienneté et dans laquelle les présidents à mortier étaient compris. Donc, au sein même du parlement, la fougue des uns devait être à chaque instant combattue par l'âge et la craintive prudence des autres. La Grand'Chambre pesait sur les Enquêtes de tout le poids de l'expérience, de la vieillesse, de la hiérarchie, du respect que commandent de longs services et des mœurs austères.

Aussi, quels traits marquent, jusqu'au dix-huitième siècle, le rôle politique du parlement ?

Sous Charles IX, il approuve, par faiblesse et non par conviction, l'assassinat de Coligny, dont il fait pendre aux fourches de Montfaucon le glorieux cadavre.

Pendant la Ligue, il adhère à l'Union d'une manière solennelle, sans autre but que de la trahir ; et il court se prosterner devant le Béarnais vainqueur, après l'avoir proscrit[18].

Sous Richelieu, nous le voyons traversant Paris à pied, par forme d'amende honorable, se mettant à genoux devant Louis XIII, et subissant l'outrage de ces dures paroles : J'enverrai sept ou huit d'entre vous dans un régiment de mousquetaires pour y apprendre l'obéissance[19].

Pendant la Fronde, il s'effraye de se trouver un jour tout-puissant, et il se hâte de conjurer ceux qu'il a vaincus de le délivrer des soucis de son triomphe[20].

Sous Louis XIV, il est comme mort.

Sous le Régent, sa créature et son complice, il essaye d'élever la voix, et aussitôt il est exilé à Pontoise. Par qui ? Par Dubois, étonné que des magistrats lui résistent.

Et ce qui prouve bien que la faiblesse du parlement comme corps politique tenait à la nature même de ses fonctions et de ses prérogatives, c'est qu'il avait, après tout, pour se faire respecter, deux moyens redoutables, décisifs : la cessation de service et les démissions combinées. Il en fit grand usage dans les derniers temps. Et l'on sent combien devait être alarmante une soudaine interruption du cours de la justice. Que d'intérêts en émoi ! quel trouble subitement apporté dans les relations civiles ! Encore si l'orage ne s'était formé que dans la foule inquiète des clients ! Mais les avocats prenaient feu ; et l'outre des tempêtes, c'est la parole. Bientôt, la bazoche grondait ; le peuple, sans trop s'inquiéter des motifs de la querelle, se précipitait dans le mouvement ; amazones de l'émeute, les femmes de la Halle accouraient sur le premier plan ; il s'en fallait de peu que la patrie ne fût déclarée en danger. D'où vient donc qu'une telle ressource était vaine ? Nous l'avons dit, et si l'on en veut une explication plus complète encore, on la peut lire dans un mémoire remis au Régent par l'abbé Dubois[21].

Quelle force pourrait s'opposer à l'exécution de la volonté du roi ? Les parlements ? Ils ne peuvent faire que des remontrances : encore est-ce une grâce qu'ils doivent à Votre Altesse Royale ; le feu roi, extrêmement jaloux de son pouvoir, leur ayant sévèrement défendu d'en faire. Et si, toutes leurs remontrances finies, il ne plaît pas au roi de retirer ou de modifier la loi, ils doivent l'enregistrer. Si, au contraire, le parlement la refuse encore, le monarque lui envoie des ordres ultérieurs. Alors paraissent de nouvelles remontrances qui sentent la faction. Les parlements ne manquent pas de faire entendre qu'ils représentent les peuples, qu'ils sont les soutiens de l'État, les gardiens des lois, les défenseurs de la patrie, avec bien d'autres raisons de cette espèce. A quoi l'autorité répond par un ordre d'enregistrer, ajoutant que les officiers du parlement ne sont que des officiers du roi et non des officiers de la France. Petit à petit, le feu s'allume dans le parlement, les factions s'y forment et s'agitent. Alors, il est d'usage de tenir un lit de justice, pour conduire au point qu'il faut messieurs du parlement. S'ils s'y soumettent, on est obéi, et c'est tout ce que peut vouloir le plus grand roi du monde ; s'ils résistent encore, au retour dans leurs chambres, ou bien on exile les plus mutins et les chefs des factions, ou bien on exile à Pontoise tout le corps du parlement. Alors, on suscite contre lui la noblesse et le clergé, ses ennemis naturels ; on fait chanter des chansons, on fait courir des poésies plaisantes et fugitives ; et l'opération, dont nous connaissons bien la marche et les résultats, n'occasionne que des émotions légères, qui n'ont aucun grave inconvénient, et le parlement n'en est pas moins exilé pour avoir été désobéissant. On prend alors les jeunes conseillers qui dominent dans ce corps, par famine. Le besoin qu'ils ont de vivre dans la capitale, l'habitude des plaisirs, l'usage de leurs maîtresses, leur commandent impérieusement de revenir à leurs foyers, à leurs femmes entretenues, à leurs véritables épouses. On enregistre donc, on obéit, et on revient.

 

Tel était, décrit par le génie pénétrant et cynique de Dubois, le mécanisme des résistances parlementaires. Cela suffisait-il pour constituer un régime de garanties ?

La vérité est que le parlement ne fit jamais efficacement obstacle qu'aux entreprises de Rome et de la partie ultramontaine du clergé, et c'est sous ce rapport qu'il servit la domination de la bourgeoisie ; mais contre les excès de la monarchie absolue, son influence était nulle. Seulement ses doléances empêchaient la nation de s'endormir trop longtemps dans le silence du despotisme ; ses protestations, étouffées par la violence, formaient un permanent et dramatique appel à la liberté ; sa prétention de représenter les états généraux le poussait à en évoquer, de loin en loin, l'imposant fantôme ; et il gardait la place d'une révolution.

Quand la liberté n'est point au sommet de l'État, elle n'est nulle part : sous l'ancienne monarchie, les intérêts publics flottaient à l'aventure ; et l'inanité du pouvoir politique des parlements laissait à découvert jusqu'à leur pouvoir judiciaire. S'agissait-il d'un innocent à punir, d'un coupable à sauver, d'un procès injuste à faire gagner à quelque personnage en crédit, le roi évoquait l'affaire, c'est-à-dire la portait devant le grand conseil, tribunal exceptionnel et servile, placé sous la main du prince, pour fournir le moyen d'éluder la juridiction du parlement.

Et puis, à côté de la justice régulière des cours souveraines, des présidiaux, des baillis, il y en avait une autre étrangement irrégulière et sauvage : la prévôté des maréchaux. Originairement, les prévôts des maréchaux n'avaient eu à connaître que des crimes commis à la suite des armées ; mais combien leur juridiction s'était étendue ! Vagabonds, gens de guerre, condamnés, voleurs errants, composaient la foule des justiciables du prévôt, Et ici nulle forme protectrice, pas de recours, pas de retard : c'était l'arbitraire sur les grands chemins.

Aussi, que de violences, malheureusement trop certaines, trop bien attestées par les continuelles remontrances des parlements ! Tantôt ce sont des voyageurs que, sous prétexte de vagabondage, la maréchaussée arrête, à cause de l'argent trouvé sur eux[22] ; tantôt c'est un jeune homme, né imbécile, et qu'on maltraite, qu'on juge, qu'on flétrit, qu'on emprisonne comme muet volontaire, parce que, rencontré non loin du lieu de sa naissance, il n'a pu ni s'expliquer ni répondre[23]. Vainement, l'ordonnance de 1670 avait-elle prescrit au juge prévôtal de faire juger sa compétence au présidial le plus prochain[24] : les réclamations des parlements sont là pour prouver que l'arbitraire avait alors une vie que les ordonnances n'avaient pas.

La justice ! était-ce autre chose qu'un vain nom, quand la royauté se permettait de livrer ses ennemis à des commissions choisies par elle, ivres du désir de la venger, et au milieu desquelles le prince paraissait lui-même, comme Louis XIII, en qualité de témoin à charge[25] ?

Dans Rome dégénérée, les empereurs ne s'étaient pas crus dispensés de connaître ceux que leur toute-puissance atteignait ; pour frapper, ils avaient besoin de haïr ; En France, avant la Révolution, une combinaison exista qui rendait le prince injuste à l'avance, au hasard, dans l'intérêt des caprices d'autrui. Des ordres d'arrestation où le nom de la victime est laissé en blanc et dont on fait cadeau à des favoris, à sa maîtresse, voilà un genre d'attentat auquel probablement la postérité refusera de croire.  On commença par donner des lettres de cachet en blanc, on finit par les vendre : la tyrannie fut mise dans le commerce.

Pour comble de malheur, cet insolent mépris de la liberté et de l'existence des citoyens était bien vite descendu des actes de la royauté dans ses ordonnances et de ses ordonnances dans les mœurs. Rien de plus odieux, rien de plus effrayant que l'esprit de la procédure criminelle, par exemple, avant la Révolution. La règle était celle-ci : la certitude de la répression est tout, les garanties dues à l'accusé ne sont rien. D'après l'ordonnance criminelle rendue sous Louis XIV, le procès d'un accusé présent pouvait être l'affaire de vingt-quatre heures[26]. A peine un homme était-il accusé d'un crime, qu'on le te- nait pour coupable. Le magistrat qui aurait dû être son juge, devenait aussitôt son ennemi[27]. Et toujours la répression se tenait dans l'ombre, comme si la société eût rougi de sa justice ! Audition des témoins, procédure, confrontation, conclusions de la partie publique, tout était secret[28]. Qui le croirait ? on craignait tant de voir éclater l'innocence de l'accusé, qu'il était défendu au procureur du roi de motiver la poursuite[29]. S'agissait-il de péculat, de concussion, de banqueroute frauduleuse, de vols de commis ou associés en matière de finance ou de banque, de supposition de par de fausseté de pièces, le juge alors avait le droit facultatif de donner un conseil à l'accusé : pour les autres crimes, le ministère de l'avocat était interdit[30]. Plus la peine doit être sévère, plus il importe évidemment que la culpabilité soit bien prouvée : c'était le contraire qui avait lieu. On ne mesurait jamais à l'accusé avec une parcimonie plus cruelle les moyens d'établir son innocence que lorsqu'on lui demandait sa tête. S'il avait pris la fuite, on pouvait le condamner par défaut, sans que son crime fût prouvé[31]. Et, quant au système pénal, il était terrible. La société se réservait de n'assurer au besoin ses vengeances par la peine de mort qu'après les avoir déshonorées par la torture.

Si, en matière criminelle, la barbarie dominait ; en matière ci vile, ce qui dominait, c'était la confusion poussée à l'extrême. Et d'abord, comme l'a fort bien observé un judicieux et savant écrivain[32], il existait, au dix-huitième siècle, entre le droit civil et le droit commercial, une anomalie complète. Les lois sur les contrats, sur les successions, sur l'état des personnes, en un mot tous les rapports que règle le droit civil, portaient l'empreinte de la féodalité, tandis que c'étaient des institutions modernes qui gouvernaient la nation commerçante, nation moderne. De là, dans les profondeurs mêmes de l'ordre social, une lutte perpétuelle et funeste entre des éléments contraires. Que d'entraves pour le commerce dans un royaume où chaque procès presque soulevait un conflit de juridiction ! où le justiciable était toujours en peine de savoir si sa fortune dépendait ou des parlements, ou des cours des aides, ou du grand conseil, ou des cours des monnaies, ou des intendances ! dans un royaume enfin qui, parallèlement au droit romain, reçu dans les pays de droit écrit, comptait soixante coutumes principales et trois cents législations partielles[33] !

Un mot résume cette situation de la France avant 89 : oppression de l'individu.

C'était donc naturellement à affranchir l'individu que devait tendre l'effort révolutionnaire des penseurs.

Mais il y avait deux manières d'envisager la question : fallait-il anéantir toute force dans le pouvoir, ou s'étudier à rendre la force dans le pouvoir bienfaisante et tutélaire ? Deux écoles politiques se formèrent, comme il s'était formé deux écoles philosophiques, comme nous verrons se former dans le chapitre suivant deux écoles économiques : là est le secret des luttes terribles qui devaient sortir des entrailles mêmes de la Révolution.

Ici, et tout d'abord, un grand nom se présente : Montesquieu.

Mais, dans la région des idées rénovatrices, Montesquieu avait des ancêtres qu'il serait injuste d'oublier. Il descendait en ligne directe, non pas, ainsi qu'on l'a tant dit et répété, de Bodin, auquel il n'emprunta que ses vues sur l'influence des climats, mais d'Hotmann, d'Hubert Languet, de l'auteur du Dialogue d'Archon et Politie, des publicistes protestants du seizième siècle.

Et ne croyez pas que cette chaîne de penseurs se fût rompue complètement, même pendant le dix-septième siècle, où tout ce qui n'était pas bruit de guerre et de gloire semble n'avoir été que silence. Oui, jusque dans le sein du dix-septième siècle, la révolte intellectuelle continua de germer et de mûrir. Soupirs de la France, esclave qui aspire à la liberté, tel est le titre qu'on s'étonne de lire en tête d'un ouvrage ayant pour date 10 août 1689 ! Et quel est le représentant de la tradition révolutionnaire sous Louis XIV ? C'est un prélat, c'est un grand seigneur, c'est l'oracle des ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, c'est le candidat des jésuites au ministère, c'est le précepteur d'un héritier du trône, c'est un prêtre tenté légèrement par l'ambition, mais charmant de douceur et de grâce mystique, trop tendre peut-être, c'est Fénelon.

Qu'on y prenne garde, néanmoins : Fénelon ne fut révolutionnaire ni logiquement ni par système ; il le fut par élan, et ses idées se ressentirent de la mobilité de ses inspirations. Tantôt, préoccupé des abus du pouvoir, il disait à Télémaque[34] : N'entreprenez jamais de gêner le commerce pour le tourner selon vos vues. Il faut que le prince ne s'en mêle point de peur de le gêner1 ; tantôt, préoccupé des dangers de la licence, il montrait la sagesse, sous les traits de Mentor, établissant des magistrats à qui les marchands devaient rendre compte de leurs effets, de leurs profits, de leurs dépenses et de leurs entreprises[35].

Nul doute qu'il ne fût trop avant dans l'avenir, quand il écrivait : Il ne faut permettre à chaque famille, dans chaque classe, de pouvoir posséder que l'étendue de terre absolument nécessaire pour nourrir le nombre de personnes dont elle sera composée.

Nul doute, d'autre part, qu'il ne fût trop avant dans le passé, quand il se plaignait du sort des vrais seigneurs réduits à attendre dans les antichambres, ou à cacher leur misère au fond des provinces[36] ; quand il donnait le premier rang, dans son plan de Salente, à ceux qui avaient une noblesse plus ancienne et plus éclatante[37] ; quand il demandait que l'inégalité des privilèges de naissance et des conditions se retrouvât jusque dans la diversité des costumes : vêtement blanc avec frange d'or aux personnes du premier rang, habit jaune et blanc aux derniers du peuple[38].

Fénelon était noble[39] : il ne l'oublia point assez ; mais son opposition au pouvoir absolu, dans le siècle du despotisme, à Versailles, sous les yeux de Louis XIV, n'en a pas moins droit aux souvenirs reconnaissants du peuple. Taxes excessives, répartition inique des impôts, goût du faste, idolâtrie de l'or, Fénelon mit à attaquer tous les abus dont le peuple souffrait, beaucoup de courage et de dignité. Il osa rappeler au plus orgueilleux des monarques qu'il y avait en France une autre puissance que la sienne : les états généraux, et une autre majesté que le prince : la nation. Il osa écrire l'histoire de Louis XIV dans cette phrase[40] : Le roi, qui ne peut être roi tout seul, et qui n'est grand que par ses peuples, s'anéantit lui-même peu à peu par l'anéantissement des peuples dont il tire ses richesses et sa puissance.

Un homme digne d'être placé, après l'archevêque de Cambrai, dans la famille des précurseurs de la Révolution, c'est l'abbé de Saint-Pierre, âme naïve et intrépide égarée au milieu des désordres de la Régence, publiciste plein de sève, et qui eut cette fortune, étant un mauvais écrivain, d'être traduit en beau style par Jean-Jacques. Le Régent avait établi autant de conseils qu'il y avait de genres d'affaires à traiter ; et l'abbé de Saint-Pierre avait pris la plume pour faire l'apologie de cette récente forme d'administration. Mais ce n'était là que le but apparent : le but réel était plus haut et plus loin. La Polysynodie ou pluralité des conseils cachait une vive et noble protestation contre le pouvoir absolu. Qui n'a pas les épaules d'Hercule et veut soutenir le monde doit s'attendre à être écrasé : donc, suivant l'abbé de Saint-Pierre, un despote n'avait rien de mieux à faire, s'il voulait jouir de sa puissance, et concilier avec la vie animale l'empire des dieux, que de garder pour lui les vrais honneurs, l'oisiveté, en remettant à d'autres les devoirs à remplir. Par cette méthode, ajoutait l'auteur avec une ironie amère[41], le dernier des hommes tiendra paisiblement et commodément le sceptre de l'univers... Le sage, s'il en peut être sur le trône, renonce à l'empire ou le partage. Mais ce que ferait le sage a peu de rapport à ce que feront les princes.

Un pareil langage nous paraît tout simple aujourd'hui ; mais, du temps de l'abbé de Saint-Pierre, parler ainsi était un acte de courage et un danger : l'auteur de la Polysynodie fut accusé d'avoir manqué de respect à la mémoire de Louis XIV, et l'Académie le chassa de son sein comme factieux. Lui se consola en poursuivant des travaux qu'il savait utiles à l'humanité, et qui ne jetèrent point assez d'éclat pour avertir la persécution. D'ailleurs, le bon abbé devançait tellement son époque par ses idées, qu'il n'eut pas de peine à obtenir l'indulgence des ignorants et des sceptiques. Comment se serait-on inquiété, il y a plus de cent ans, d'un homme qui publiait un projet de paix perpétuelle, et qui, dans l'espoir de rendre la guerre désormais impossible, proposait de porter les querelles de prince à prince ou de peuple à peuple devant un grand tribunal européen ? Jean-Jacques Rousseau lui-même trouva le plan trop hardi, eu égard à l'état de l'Europe, et il le déclara presque inexécutable en l'admirant[42]. Cependant nous l'avons vue appliquée de nos jours, quoique dans un sens odieux et par des potentats, cette belle idée d'un arbitrage général ; nous avons eu la sainte alliance des rois ; nous sommes entraînés par un courant qui conduit à la sainte alliance des peuples ; et un avenir prochain expliquera le jugement de Rousseau sur le projet de paix perpétuelle[43] : C'est un livre solide et sensé ; il est important qu'il existe.

Il faut ici presser le pas ; il faut arriver à ce président du parlement de Bordeaux, à ce baron de la Brède et de Montesquieu, véritable héritier des publicistes protestants du seizième siècle[44], inspirateur des travaux de l'Assemblée constituante, et dont l'influence, empreinte dans nos institutions modernes, ne saurait être à demi acceptée ou à demi combattue. Célèbre dès 1721 par les Lettres persanes, satire élégante et sensuelle, escarmouche philosophique en attendant la grande bataille, Montesquieu avait, depuis, visité Venise dont le gouvernement soupçonneux lui lit peur, Gênes dont le séjour le remplit de tristesse, Florence où il fut surpris et charmé de voir le premier ministre du prince régnant, assis devant sa porte sur une chaise de bois et en chapeau de paille, Londres enfin d'où il rapporta un chapitre de l'Esprit des lois, auquel se lient invinciblement deux dates fameuses : 1789 et 1830.

Ce n'est pas la force qui mène le monde, quoi qu'en puissent dire les apparences : c'est la pensée ; et l'histoire est faite par des livres. Mais leur action est plus ou moins immédiate : celle de l'Esprit des lois fut directe et décisive. Exposer simplement les doctrines politiques de cet ouvrage tant vanté ne suffirait donc pas : ce n'est qu'après les avoir appréciées que nous serons en état de bien comprendre les faits qui en sont sortis.

Distinguant trois espèces de gouvernement, le républicain[45], le monarchique et le despotique, Montesquieu donne pour principe ou ressort : au premier la vertu, au second l'honneur, au troisième la crainte.

Ainsi, d'après Montesquieu, pas de démocratie possible sans beaucoup de vertu ; et, pour qu'on ne se méprenne pas sur sa pensée, il a soin de dire[46] : Ce qui ne signifie pas que, dans une certaine république, on soit vertueux mais qu'on devrait l'être. Depuis, la maxime a fait fortune ; adoptée d'abord sans examen, elle a fini par être protégée contre l'examen par sa trivialité même, et les partisans du régime constitutionnel ont crié triomphalement à leurs adversaires : Vous voulez être républicains, et vous ne savez pas être vertueux !

Mais en faisant de la vertu le ressort indispensable des Etats démocratiques, Montesquieu n'aurait-il pas confondu le principe avec le résultat et donné pour base à l'édifice, ce qui n'en est que le couronnement ?

Au point de vue social, la vertu consiste dans l'harmonie entre l'amour que l'homme se porte à lui-même et celui qu'il doit à ses semblables ; elle est dans le monde moral ce que l'ordre est dans le monde physique. Or, le régime démocratique tend, par essence, à concilier le sentiment individuel et le sentiment social. Il rend hommage au premier en admettant la représentation de chaque intérêt, au second en soumettant tous les intérêts à la loi de l'égalité. Ne séparant jamais l'homme du citoyen, et ce qui revient à l'individu de ce que la société réclame, les démocraties disent : Tu mourras pour ton pays, parce que c'est ta propriété ; pour tes citoyens ; parce qu'ils sont tes frères ; pour ta patrie, parce qu'elle est ta mère.

Les monarchies, au contraire reposant sur un principe d'exclusion parce que le privilège d'un seul amène celui de plusieurs, elles sont obligées de créer un faux intérêt social au profit duquel une foule d'intérêts individuels sont méconnus ou écrasés. Le régime monarchique met donc la société en perpétuelle contradiction avec la nature humaine ; ceux qu'il exclut, il les condamne à l'isolement, il les fait rebelles ou lâches. Dans une monarchie constitutionnelle, l'homme dit : le pays, dans une démocratie, le citoyen dit : ma patrie. Mais de ce que la vertu est plus facilement praticable et plus commune dans un Etat démocratique, devrons-nous conclure, à l'exemple de Montesquieu, qu'elle y soit plus nécessaire ? De ce que la vertu est le résultat naturel des institutions démocratiques, devrons-nous conclure qu'elle en soit la condition ?

Les démocraties, dont le trait caractéristique est l'admissibilité, imposent évidemment à la masse des citoyens moins de sacrifices et se peuvent maintenir à moins de frais, si elles sont bien réglées, que les monarchies, dont le trait caractéristique est l'exclusion ; il est surprenant que Montesquieu ne s'en soit point aperçu. Où donc faudra-t-il de la résignation, de la modestie dans les désirs, un respect absolu de l'ordre établi, la résolution de souffrir plutôt que de troubler l'État, si ce n'est là où les institutions demandent du respect à ceux qu'elles abaissent, de l'amour à ceux qu'elles repoussent, une volontaire obéissance à ceux qu'elles dépouillent ?

Il n'est pas vrai non plus, malgré ce qu'en pense Montesquieu, que l'ambition ait dans les démocraties des dangers inconnus aux gouvernements monarchiques.

Les ambitions ont moins de colère dans une démocratie, précisément parce qu'elles ont un cours prévu et régulier. Le principe d'admissibilité, en leur permettant l'espoir, les éloigne de la violence. L'intervention toujours active de l'opinion dans la vie des citoyens leur interdit les bassesses de l'intrigue, et l'espérance du succès leur vient de cet orgueil intime qui se mêle aux vastes désirs.

Dans une monarchie, malheur au gouvernement si l'ambition s'est étendue avec les lumières, et s'il se rencontre parmi la foule des âmes orgueilleuses et fortes ! Car, bientôt, heurtant la digue opposée aux légitimes ambitions, et ne pouvant suivre avec calme les voies légales, elles s'élanceront frémissantes dans les voies révolutionnaires ; elles iront, prenant sur leur passage toutes les douleurs inconsolées, toutes les haines qui attendent. et qu'arrivera-t-il ? On avait attaqué les institutions par la parole, on les attaque par l'épée ; l'opposition monte jusqu'à l'émeute ; l'émeute grandit jusqu'à l'insurrection ; et un jour vient où les royautés égarées n'ont plus qu'à choisir entre l'exil et l'échafaud.

Il ne faut pas, assure Montesquieu[47], beaucoup de probité pour qu'un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintienne : la force des lois dans l'un, le bras toujours levé du prince dans l'autre, règlent et contiennent tout.

La force des lois ! Mais elle est bien moindre dans une monarchie que dans une démocratie. Comment les lois auraient-elles une grande force morale, quand les citoyens y peuvent voir un intérêt d'homme ou de caste, s'imposant aux destinées d'un peuple entier ? Et comment ne seraient-elles pas, au contraire, environnées d'éclat et de majesté, quand elles représentent la volonté de tous, garantie par la puissance de tous ? Dans une démocratie, c'est avec une imposante autorité que l'État fait courber les têtes rebelles ; car son glaive ne se lève ici qu'au nom de l'ordre social, et sa sévérité s'appelle justice nationale, jamais vengeance particulière. Dans une monarchie, quoi de semblable ? si le pouvoir d'un roi se met sous la sauvegarde des épées, c'est en son nom qu'il se défend ; c'est dans le sentiment égoïste de sa conservation qu'il semble puiser le courage de la lutte ; et, s'il triomphe, il se déshonore.

Montesquieu a tracé un éloquent tableau des effets de la corruption dans les républiques[48] : la corruption est-elle dans les monarchies plus difficile à introduire ou moins funeste ? N'est-ce pas autour des trônes, au milieu de tant d'ambitions casanières réunies à l'ombre d'une immobile majesté, que la corruption se présente armée de ses plus savantes caresses, de ses plus molles séductions ? N'est-ce pas dans les cours que la corruption devient une science ? Une monarchie tempérée trouvera toujours son Walpole, et aura peu de chose à faire pour dégénérer en monarchie absolue.

Plier des âmes républicaines à la servitude, on le peut sans doute, mais non sans de longs efforts ou des tentations prodigieuses. Même après que Rome fut descendue par des pentes perfides jusque sous la dictature de Sylla, il fallut employer à l'achat de la liberté les richesses de l'univers conquis. Mais il n'est pas dans le cours ordinaire qu'un seul homme puisse, comme Pompée, faire présent d'un cirque à la multitude, ou, comme Lucullus, servir aux convives d'une nuit les trésors d'un opulent royaume.

Et quant aux effets de la dépravation publique en ce qui concerne l'indépendance des États, qu'importe la nature des institutions ? Montesquieu cite l'exemple d'Athènes ; et il est très-vrai qu'elle avait perdu son antique vertu, quand Philippe l'emporta. Mais si elle avait épuisé dans la volupté le reste de ce sang jadis prodigué aux batailles héroïques ; nation de poètes, si elle n'entendait plus le nom de Thémistocle dans le murmure des flots de Salamine ; nation de guerriers, si elle n'éprouvait plus à la voix de Démosthènes de magnanimes tressaillements, cette dégénération tenait à des causes tout à fait étrangères à la nature des institutions politiques. Arrivée, sous le gouvernement d'un monarque, au degré de corruption qui la perdit sous un gouvernement républicain, Athènes aurait-elle mieux défendu sa vieille indépendance et sa gloire ? La monarchie aurait-elle rendu victorieux à Chéronée ceux qui ne voulaient pas que l'on convertît aux usages de la guerre l'argent destiné aux théâtres ?

Quand on étudie sérieusement Montesquieu, on s'étonne de le trouver si affirmatif, à la fois, et si faible. Sa profondeur prétendue n'est qu'à la surface : c'est un déguisement de ses erreurs.

On voit combien peu étaient fondées les prédilections politiques de Montesquieu. Mais le spectacle de l'Angleterre l'avait ébloui ; et, plus heureux que les publicistes du seizième siècle, dont il continuait la tradition, il était destiné à introduire en France ce qu'ils n'avaient fait, eux, qu'admirer de loin et annoncer[49]. Jetez les yeux sur l'Esprit des lois ; vous y trouverez décrit, rouage par rouage, tout le mécanisme politique d'aujourd'hui : une assemblée issue de l'élection, armée du droit de voter les impôts, et partageant le pouvoir de faire les lois avec une assemblée de nature aristocratique ; en face, un roi héréditaire, sacré, inviolable, chargé de l'exécution des lois, et pouvant leur refuser son assentiment ; au-dessous et à côté d'une magistrature permanente dont les fonctions judiciaires ne se confondent ni avec la puissance qui fait la loi, ni avec celle qui l'exécute, des juges passagers, tirés du corps de la nation, et en qui l'accusé reconnaît ses pairs[50].

Or, quand Montesquieu vint proposer à la France l'adoption du système politique depuis longtemps établi en Angleterre, y avait-il entre les deux pays une analogie de situation qui autorisât de notre part un pareil emprunt ?

En Angleterre, la royauté, la chambre des lords, la chambre des communes, ne furent jamais que trois fonctions, que trois manifestations diverses d'un même pouvoir, celui de l'aristocratie : c'est ce que Montesquieu ne remarqua point. Il crut que la constitution anglaise reposait sur le jeu de trois pouvoirs naturellement et nécessairement rivaux ; et il ne soupçonna pas que, si ces trois prétendus pouvoirs, au lieu de n'être que des fonctions, avaient été de véritables forces, des forces distinctes, ennemies, faites pour se contenir mutuellement, disposées à se combattre, la constitution anglaise aurait porté dans son sein les germes d'une effroyable anarchie !

Car enfin, mettre en présence le principe héréditaire et le principe électif, un roi et une assemblée, n'est-ce pas créer au sommet de la société la nécessité d'une lutte pleine de périls ? Et si, en cas de conflit, nul moyen légal n'existe de faire céder, soit le monarque, parce qu'il est inviolable ; soit l'assemblée, parce que le droit de voter les subsides la rend toute-puissante, n'est-il pas évident que la société flotte incertaine entre une révolution et un coup d'État ? En construisant le corps de l'homme, Dieu a voulu que la tête eût sur le bras une autorité souveraine : la tête veut, le bras exécute. Le régime constitutionnel, interprété dans le sens de Montesquieu, avait cela d'absurde, que, dans le corps social, il appelait le bras à contrôler les décisions de la tête.

Il est vrai que, prévoyant la lutte, Montesquieu confiait à un troisième pouvoir le soin de la prévenir ou de l'apaiser. Mais est-il raisonnable que, pour arriver à une médiation, l'on commence par faire naître une cause de discordes ? N'inventez pas le mal : vous n'aurez pas à en inventer le remède.

A supposer, d'ailleurs, que l'autorité médiatrice remplisse exactement son rôle, est-ce qu'une impulsion vigoureuse sortira jamais de l'arrangement mécanique de ces trois forces éternellement en peine de leur équilibre ?

Un tel équilibre, bon tout au plus pour empêcher, que vaudra-t-il pour agir ? Imaginé en vue du repos, produira-t-il le mouvement ? Montesquieu répond[51] : Ces trois puissances devraient former un repos ou une inaction ; mais comme, par le mouvement nécessaire des choses, elles sont contraintes d'aller, elles seront forcées d'aller de concert. Mais le cours du fleuve entraîne-t-il celui qui se tient sur la rive ? Or, le vice des pouvoirs constitutionnels est justement de s'agiter en dehors du mouvement de la société, absorbés qu'ils sont par leurs querelles intestines et par l'embarras de vivre. Aussi bien, n'en déplaise à Montesquieu, les gouvernements, dignes de ce nom, guident la marche des sociétés, loin de se traîner honteusement à leur suite. Quoi ! n'éprouver d'autre souci que d'exister ; s'user en disputes vaines ; perdre à défendre sa prérogative ou à empiéter sur celle d'autrui le temps dû aux travaux qu'il faudrait diriger, aux questions qu'il importerait d'approfondir ; abaisser à de petites intrigues, prostituer au désir d'avoir une majorité servile le génie dont la tutelle est réclamée par des millions de malheureux,. ce serait là, chez un grand peuple, la condition du pouvoir ! Oh ! que nous avons une bien plus haute idée des obligations que ce mot exprime ! Être le pouvoir, c'est chercher la sécurité de tous dans le soulagement de ceux qui souffrent ; c'est protéger les faibles contre les forts, et les forts contre eux-mêmes, hélas ! c'est faire que la liberté soit une richesse commune, et non le patrimoine de quelques-uns, c'est découvrir et rassembler toutes les forces intellectuelles de la nation ; c'est étudier, c'est se dévouer ; être le pouvoir, c'est aussi être novateur, parce que les sociétés se meuvent d'un mouvement continu, et que régulariser leur travail éternel est le premier devoir de qui ose commander aux hommes.

Mais à chaque siècle sa tâche. Avant la Révolution, le fait dominant, nous l'avons dit, c'était l'oppression de l'individu. Jusqu'alors, on n'avait guère connu les gouvernements que par leur tyrannie et leurs rapines ; on n'aspirait qu'à briser, de quelque forme qu'ils fussent, les moules du despotisme ; on avait horreur du principe d'autorité. Et quoi de plus propre à flatter cette disposition générale des esprits que le système recommandé par Montesquieu ? Un trait caractérise ce système, et il nous est fourni par l'Esprit des lois[52] : Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, LE POUVOIR ARRÊTE LE POUVOIR. Voilà le dernier mot de la théorie constitutionnelle. Il s'agissait de donner à l'autorité tant d'occupation chez elle, qu'elle n'eût pas à s'occuper de ce qui se passait au dehors ou au-dessous ; il s'agissait d'amoindrir autant que possible l'État au profit de l'individu, et de résoudre ce singulier problème : Annuler le principe d'autorité sans le détruire.

Ainsi s'expliquent les brillantes destinées de l'Esprit des lois. La valeur de ce livre, ce fut en partie sa date. Charmant de grâce et de finesse dans les Lettres persanes, écrivain fier et d'une ampleur admirable, soit dans son livre de la Grandeur et décadence des Romains, soit dans son Dialogue d'Eucrate et de Sylla, Montesquieu, par l'Esprit des lois, ne se plaça qu'au second rang des publicistes ; et jamais il n'aurait acquis la réputation d'un penseur, s'il n'avait eu pour en imposer aux lecteurs inattentifs une concision savamment étudiée, et un style bref, convaincu, impérieux. Avant d'être livré à l'impression, l'ouvrage avait été communiqué à des amis de l'auteur et avait rencontré parmi eux des juges sévères : Helvétius lui reprochait un asservissement trop marqué aux préjugés ; le président Hénault ne le regarda que comme un recueil de matériaux propres à faire un livre ; Silhouette, le même qui fut contrôleur général, conseilla brusquement à Montesquieu de jeter au feu son manuscrit[53].

Et, du reste, lorsqu'il parut en 1748, l'Esprit des lois fut assez froidement accueilli. Voltaire, qui le réfuta, le comparait à un cabinet mal rangé, avec de beaux lustres de cristal de roche[54]. Le succès du livre commença par deux femmes, madame de Tencin et madame Geoffrin, qui se déclarèrent hautement en sa faveur[55]. Le public était alors tout entier aux querelles de théologie ou de philosophie pure : bientôt la passion politique s'éveilla ; la bourgeoisie n'eut pas de peine à reconnaître et salua volontiers dans Montesquieu son véritable législateur ; elle fut entièrement séduite par un système qui promettait à l'individu tant de garanties nouvelles, désarmait l'autorité, tendait à faire de chacun son maître en l'affranchissant de toute action sociale, et supprimait l'obstacle au profit des forts, dût l'appui être supprimé au détriment des faibles.

Plus tard, l'œuvre commencée par Montesquieu, de Lolme l'acheva en publiant un ouvrage qui analysait avec beaucoup de soin les diverses parties de la constitution anglaise, et en faisait d'une manière ingénieuse ressortir les avantages. Sous un régime déshonoré par le scandale des lettres de cachet, les arrestations arbitraires, les cruautés ensevelies dans l'ombre de la Bastille, et les arrêts qui, souvent, condamnaient aux flammes les plus belles productions de l'esprit humain, aurait-on pu lire sans une sorte d'émotion jalouse, que, chez un peuple voisin, la liberté individuelle était inhérente à la personne même du citoyen et réputée droit de naissance[56] ; que nul Anglais n'avait à craindre d'être emprisonné, sinon en vertu d'un jugement conforme aux lois du pays[57] ; qu'aux termes de l'acte d'Habeas corpus[58], tout officier, ou concierge de prison, 'qui ne délivrait pas à son prisonnier, six heures après demande, copie du warrant d'emprisonnement, encourait des peines graves[59] ; qu'en Angleterre enfin, chacun avait le droit non-seulement de porter ses plaintes devant les chambres par voie de pétition, mais de s'adresser librement au peuple par la presse : Droit redoutable à ceux qui gouvernent, dit de Lolme, et qui, dissipant sans cesse le nuage de majesté dans lequel ils s'enveloppent, les ramène au niveau des autres hommes[60].

Le système politique proposé à la France par Montesquieu, et les réformes indirectement provoquées par de Lolme, avaient pour la bourgeoisie une importance énorme ; mais suffisaient-elles pour le peuple ? Le bienfait de la liberté individuelle était-il de nature à être convenablement apprécié par tant de malheureux, que leur seule obscurité protégeait contre l'arbitraire de la cour ? La liberté de la presse avait-elle son prix, aux yeux de tant de pauvres prolétaires qui n'écrivaient pas et qui même ne savaient pas lire ? Ce qu'il leur fallait à eux, ce n'était donc pas un régime de garanties seulement, c'était un régime de protection. Jean-Jacques le comprit bien ; et tel nous l'avons vu dans l'arène de la philosophie, tel il se montra dans celle de la politique.

Comment n'aurait-il pas senti la nécessité d'un pouvoir tutélaire et les dangers de l'abandon, lui qui, tout enfant, avait dû ses fautes et ses malheurs à la liberté des grands chemins, lui qui avait été réduit à vivre de l'aumône des hôtelleries et à connaître le tourment des nuits sans gîte, lui l'ami de madame de Warens devenu le laquais de madame de Vercellis ! Ah ! il a eu beau, dans les Confessions, donner à la protestation de ses souvenirs un accent tendre et résigné, on devine quels trésors d'indignation s'amassèrent au fond de son âme, lorsque, livré aux défaillances et aux tentations de sa misère, il était un de ces mendiants sur lesquels on essayait alors l'effet des caustiques.

Aussi, rien de comparable comme emportement de logique et d'éloquence au Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. Ce n'était plus, cette fois, la bourgeoisie réclamant son émancipation : un nouvel ordre de citoyens se présentait, demandant sa place dans le monde. Le style de Rousseau rappelait, ici, le langage pathétique et véhément d'un fils de Cornélie. Ce sentiment si fier, cette mélancolie animée, cette phrase si ferme, si harmonieuse, si pleine de vie, et qui au relief de Montaigne mariait la vigueur de Calvin, tout cela se trouvait au service des damnés de la terre ; et le siècle étonné applaudissait à l'invective de l'écrivain, tant il saisissait peu le sens révolutionnaire de ces paradoxes, qu'on prenait pour de simples hardiesses littéraires, mais qui bientôt devaient retentir dans les assemblées de la nation, sous la forme de vérités dogmatiques, et tranchantes comme l'épée.

Le Discours sur l'inégalité était une sombre déclaration de guerre aux vices de la société du temps et au despotisme : Jean-Jacques s'attacha, dans le Contrat social, à établir la théorie de la souveraineté du peuple. La manière dont il posa la question est admirable[61] : Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant.

Ainsi, de même que la Boétie[62], Jean-Jacques n'allait à la liberté que par l'association, et il criait aux hommes de vivre en frères pour vivre heureux.

Quand on place le souverain d'un côté, la société de l'autre, et qu'on n'établit entre eux aucun lien de mutuelle dépendance, d'affection réciproque, on arrive inévitablement à cette conséquence que la société ne saurait trop se précautionner contre le pouvoir et que tout gouverné a dans les gouvernants autant d'ennemis. Aussi Montesquieu, qui voyait le souverain en dehors et au-dessus de la société, avait-il été amené à ne chercher les garanties de la liberté que dans des complications anarchiques. Rousseau, lui, ne salua le souverain que dans la société elle-même, dans la société tout entière, et il eut le droit de dire : Le souverain n'étant formé que des particuliers qui le composent n'a ni ne peut avoir d'intérêt contraire au leur ; par conséquent, la puissance souveraine n'a nul besoin de garant envers les sujets, parce qu'il est impossible que le corps veuille nuire à tous ses membres[63].

Faire résulter la liberté de chacun de son fraternel accord avec ses semblables, et de la nature même du pouvoir souverain ce qui doit servir de sauvegarde au peuple, voilà les deux idées fondamentales du Contrat social, et on n'en saurait imaginer de plus belles.

Car, mettre les garanties du pouvoir en dehors de lui au lieu de les mettre en lui, c'est le menacer imprudemment, c'est l'irriter, c'est lui souffler le désir de prendre ce qu'on lui refuse, de détruire par violence ou par ruse les obstacles qu'on lui oppose ; c'est faire naître le désordre en attendant le despotisme. Et souvent il arrive qu'il faut rendre si forte l'autorité modératrice, qu'elle en vient à avoir besoin d'être modérée à son tour. A Carthage, on créa les Suffètes pour réprimer le Sénat ; le Tribunal des cent pour réprimer les Suffètes ; le Tribunal des cinq pour réprimer le Tribunal des cent : on ne faisait que troubler l'Etat en déplaçant la tyrannie.

Parce qu'après avoir donné à l'ensemble des citoyens la puissance législative et défini la loi : l'expression de la volonté générale[64], Rousseau déclare la souveraineté du peuple inaliénable[65], indivisible[66], sujette à erreur mais toujours digne cependant d'être obéie[67], on a reproché[68] à Rousseau d'avoir tout simplement retourné le système de Hobbes et attribué à la multitude le terrible despotisme que Hobbes avait attribué à la volonté d'un seul. Le reproche n'est pas fondé. Rousseau a grand soin, au contraire, de distinguer les droits respectifs des citoyens et du souverain, et les devoirs qu'ont à remplir les premiers en qualité de sujets du droit dont ils doivent jouir en qualité d'hommes[69]. Il ne veut pas que le souverain puisse charger les sujets d'aucune chaîne inutile à la communauté[70] ; et, en matière de religion, par exemple, il décide que chacun peut avoir telles opinions qu'il lui plaît, sans qu'il appartienne au souverain d'en connaître[71].

Seulement, comme il est des croyances qui touchent aux relations des hommes entre eux, des croyances qui, regardant la vie présente et non la vie à venir, ont une importance sociale et non théologique, Rousseau accorde au souverain, c'est-à-dire à la société considérée dans son ensemble, le droit de fixer les articles d'une profession de foi à laquelle chacun se doit soumettre s'il veut rester dans l'association. Mais n'oubliez pas que la profession de foi dont il s'agit, est purement civile, et ne va pas au delà de ces sentiments de sociabilité sans lesquels il est impossible d'être un bon citoyen[72].

En vérité, il serait étrange que celui-là n'eût fait que forger aux hommes un joug nouveau, qui avait si impétueusement défendu la cause de la liberté et de la dignité humaine, contre Hobbes, contre Grotius, contre tous les publicistes de la tyrannie, contre les odieux logiciens du droit du plus fort. Non, non, grâce au ciel, il n'en a pas été ainsi. Ce qui domine dans le Contrat social, c'est précisément la préoccupation de la liberté[73].

Quand Rousseau invoque l'unité sociale, et ne reconnaît de lois légitimes que celles dont la volonté générale fut la source, c'est qu'il a en vue l'oppression possible du plus faible par le plus fort, c'est qu'il sent la nécessité d'opposer au despotisme, soit organisé, soit anarchique, de quelques-uns la puissance régulière de tous : de sorte qu'en composant le code de l'association, Rousseau se trouve avoir donné à l'individu ses véritables garanties et tracé le seul chemin qui puisse conduire tous les hommes également au bonheur et à la liberté.

Il est aisé maintenant de mesurer l'intervalle qui sépare les principes émis par Montesquieu de ceux qu'adopta Rousseau. Aussi, combien diverses les conséquences ! Montesquieu avait admis l'aristocratie des plus nobles : Rousseau ne s'inclina que devant l'aristocratie des plus vertueux, des plus dévoués et des plus dignes. Montesquieu n'avait voulu que rendre moins lourd le sceptre des rois : Rousseau poussait à le briser. Le premier devait être suivi naturellement par la bourgeoisie, le second par le peuple.

Mais enfin tous les deux ils avaient attaqué le despotisme monarchique, puissant ennemi, contre lequel se réunirent les disciples de l'un et de l'autre, vers la fin du dix-huitième siècle.

Pendant longtemps la guerre n'avait été menée que contre l'Église, et on a vu comment, dans la surprenante conspiration ourdie par lui, Voltaire s'était donné les rois pour complices. Peu importait qu'on fût un despote, pourvu qu'on fût un philosophe : si bien que les souverains tinrent à honneur d'entrer dans la ligue anti- chrétienne, traînant après eux ministres, ambassadeurs, courtisans, gentilshommes. Mais le moment vint où entre les princes et les prêtres se révéla une solidarité, masquée en vain et en vain méconnue. Le mouvement philosophique, représenté par Voltaire, n'avait pas encore emporté les autels, que déjà le mouvement politique, déterminé par Montesquieu et Jean-Jacques, ébranlait les trônes. Le Système de la nature, public en 1770, signala avec un éclat sinistre cette nouvelle forme de la grande révolte du dix-huitième siècle. Voltaire avait prétendu que la cause des rois était celle des philosophes[74] : il reçut alors de ses propres disciples d'audacieux démentis. Que voyons-nous, s'écriaient d'Holbach et ses collaborateurs, dans ces potentats qui, de droit divin, commandent aux nations, sinon des ambitieux que rien n'arrête, des cœurs parfaitement insensibles aux maux du genre humain ; des âmes sans énergie et sans vertu, qui négligent des devoirs évidents dont ils ne daignent pas même s'instruire, des hommes puissants qui se mettent insolemment au-dessus des règles de l'équité naturelle, des fourbes qui se jouent de la bonne foi ?[75] Et ailleurs : Parmi ces représentants de la Divinité, à peine dans des milliers d'années s'en trouve-t-il un seul qui ait l'équité, la sensibilité, les talents et les vertus les plus ordinaires[76]. Venait ensuite une sombre peinture des crimes nés du despotisme monarchique soutenu par le despotisme sacerdotal. Jusqu'alors le mot d'ordre philosophique avait été : Plus de prêtres ! On disait maintenant : Ni prêtres ni rois absolus !

Frédéric se sentit frappé au cœur. Il fut humilié d'avoir joué avec tant de passion une partie qui cessait d'être la sienne. Ses lettres à ses anciens alliés se remplirent de fiel ; il entoura d'une protection fastueuse les jésuites dont son royaume était devenu l'unique asile ; et apprenant qu'on s'arrachait le Système de la Nature dans toute l'Europe[77], il eut recours, pour combattre, au raisonnement : les armées qui lui avaient servi à voler la Silésie ne pouvant rien contre un livre.

Voltaire, de son côté, avait tressailli. Il était, à cette époque, au plus haut de sa gloire ; on se préparait à lui dresser une statue aux frais de tous les penseurs affranchis ; et la liste de souscription allait recevoir le nom du roi de Prusse ; l'heureux vieillard s'émut d'un signal qui ne venait pas de lui. Après avoir loué le Système de la nature, il se repentit, il se rétracta, et bientôt, Frédéric irrité s'imposant à sa faiblesse, il expia par un torrent d'injures adressées au terrible livre[78] l'indiscrétion des premiers éloges[79].

Mais l'impulsion était donnée. On respectait toujours Voltaire : on ne lui trouvait plus assez d'audace. Si le prince dit au sujet mécréant qu'il est indigne de vivre, n'est-il pas à craindre que le sujet ne dise que le prince infidèle est indigne de régner ? Tel avait été le langage de Diderot[80] dans l'Encyclopédie, et ce qu'il avait émis sous forme d'interrogation, maintenant lui et ses amis l'affirmaient. Dans son Histoire politique et philosophique des deux Indes, Raynal s'écriait : Peuples lâches ! imbécile troupeau ! vous vous contentez de gémir, quand vous devriez rugir ! et il s'indignait de voir des millions d'hommes conduits par une douzaine d'enfants appelés rois, qu'armaient de petits bâtons appelés sceptres. Le Système social, par d'Holbach ; le Despotisme oriental, publié sous le nom de Boullanger ; l'Homme, par Helvétius, ne parlaient pas autrement. On était bien loin du temps où d'Argenson, ministre philosophe, se croyait très-hardi en demandant le maintien de la monarchie pure un peu mitigée par la liberté communale.

Coïncidence vraiment providentielle ! Ce fut, à cette même époque, qu'en France le pouvoir despotique dépassa la mesure connue de son déshonneur et de ses prétentions. Madame de Pompadour était morte en 1764 ; et, dans ses amours, Louis XV était parvenu à descendre encore. Une femme, échappée aux bras des laquais, avait apporté dans la vie du prince des habitudes sans nom, et le captivait par des plaisirs dont la saveur consistait en une grossière infamie. On pouvait se borner à mépriser la favorite : on l'envia. Une duchesse de Grammont se fit rivale de madame du Barry, et fut vaincue. Devant la maîtresse nouvelle, le duc de Choiseul osa se souvenir qu'il était premier ministre et orgueilleux : ses dédains préparèrent sa chute.

Inutile d'ajouter que, dans un État gouverné par les caprices de pareilles femmes, le désordre des finances était devenu épouvantable. A la fin de 1769, la dépense ordinaire et extraordinaire excédait les revenus disponibles de 100 millions ; on devait 110 millions sur les services arriérés : de sorte que la dette exigible ne s'élevait pas à moins de 210 millions[81]. L'abbé Terray mit un fer rouge sur la plaie. Voyant que le roi refusait de réduire ses dépenses ; que les financiers refusaient d'abandonner, dans la détresse publique, une partie de leur proie accoutumée ; que le clergé se prétendait de droit divin exempt d'impôt ; que les parlementaires et les nobles se tenaient, avec un égoïsme impitoyable, retranchés dans leurs privilèges, Terray entra froidement, sans passion et sans peur, dans la voie des violences financières. Il réduisit les pensions d'un, de deux, de trois dixièmes ; il reprit aux nobles les domaines royaux engagés ; il diminua d'un cinquième les rentes de l'Hôtel de Ville ; il força les propriétaires d'offices à prêter 28 millions à l'État ; il arracha 26 millions au clergé[82] : il se fit maudire et mit à porter le poids de l'exécration publique une sérénité que rien ne put troubler, pas même l'indignation de Voltaire.

Terray avait laissé intactes les pensions qui n'excédaient pas 400 francs ; terrible aux riches, il avait eu souci des pauvres ; il avait répondu aux chanteurs de l'Opéra exigeant leur payement comme une chose sacrée : Il est juste de payer ceux qui pleurent avant ceux qui chantent[83]. Mais les intérêts lésés étaient ceux qui ont la voix haute ; et en voulant sauver la monarchie, Terray l'ébranla jusque dans ses fondements.

Alors parut en scène un homme qui tenta dans le domaine de la justice ce que Terray osait dans le domaine des finances. Nommé chancelier en 1768, Maupeou avait juré la ruine des parlements, et il tint parole. Audacieux et rusé, ferme et insinuant, opiniâtre avec une rare souplesse de courtisan, rude quand il était utile d'imprimer la crainte, bouffon dans le danger pour inspirer la confiance, Maupeou avait, en orgueil et en bassesse, tout ce qui mène au succès.

Quand il conçut son hardi projet, la magistrature semblait inébranlable. Les parlements de province s'étaient coalisés sous les ordres du parlement de Paris, avaient adopté la dénomination de classes, et pris pour devise ces mots significatifs : unité et indivisibilité. Impatient de frapper un coup qui servît à prouver sa force, et secrètement protégé par le duc de Choiseul, le parlement de Paris, en ce temps-là, se disposait à condamner le duc d'Aiguillon, accusé d'avoir commis dans son gouvernement de Bretagne une foule d'excès, et encore tout meurtri de sa lutte contre La Chalotais et les états bretons.

Maupeou ne recula pas un instant devant la grandeur du péril. En se déclarant le protecteur du duc d'Aiguillon, favori de la maîtresse du roi, il détournait à son profit l'influence que donnait à madame du Barry la science du plaisir. Le parlement ayant rendu un arrêt qui déclarait le duc d'Aiguillon entaché et le suspendait de ses droits de la pairie, ce fut l'occasion que Maupeou choisit pour commencer ses attaques. Elles furent poussées avec une incroyable ardeur. C'est demain, disait Maupeou, le 6 décembre 1770, que j'ouvre la tranchée devant le parlement. Le lendemain, en effet, éclatait ce foudroyant édit de discipline qui anéantissait les classes, transformait le droit de remontrances en une formalité vaine, interdisait les démissions combinées, et défendait aux magistrats de suspendre, pour quelque cause que cc fût, le cours de la justice.

Maupeou avait tout prévu : le parlement devait résister ; mais le mot d'ordre était donné aux mousquetaires, et les lettres de cachet étaient prêtes. Les plaideurs devaient se plaindre de l'interruption de la justice ; mais le plan d'une organisation nouvelle se trouvait déjà tracé.

L'opinion publique devait s'émouvoir ; mais, afin de l'apaiser, Maupeou allait proclamer la suppression de la vénalité des charges et la gratuité de la justice. Que d'habileté dans un pareil ensemble de mesures ! que de hardiesse, de vigueur, de prévoyance !

Mais quoi ! changer l'ancienne forme de la monarchie, n'était-ce pas donner à l'esprit révolutionnaire un dangereux exemple ? Innover au profit du despotisme quand de toutes parts s'élevait contre le despotisme le cri des penseurs en révolte, n'était-ce pas faire à la royauté une violente agonie ?

Maupeou eut beau déployer les ressources de son génie et triompher ; il eut beau se couvrir de l'approbation de Voltaire[84], et montrer par l'institution d'un tribunal nouveau qu'on pouvait se passer de l'ancienne magistrature, le déchaînement universel prouva bien que les temps du pouvoir absolu étaient passés. Un fait, inouï dans les annales des cours, le prouva mieux encore.

Lorsque appelant au ministère le duc d'Aiguillon, madame du Barry. renversa enfin le duc de Choiseul et le fit exiler à Chanteloup, les courtisans suivirent en foule dans sa retraite le ministre disgracié, et son infortune compta plus de flatteurs que n'en avait connu sa puissance.

Ainsi, l'insouciant Louis XV s'était laissé mettre dans la main le fouet insolent de Louis XIV. Les rancunes d'une courtisane et la volonté d'un ministre hautain avaient suffi pour détruire le plus ancien corps du royaume et faire disparaître avec lui jusqu'à l'ombre de toute résistance. La royauté était en pleine dictature.

Cet effort devait être le dernier.

La magistrature nouvelle cependant s'installait aux applaudissements de Voltaire, et c'était beaucoup. Le parlement dissous avait décrété de prise de corps tant d'écrivains généreux et fait brûler tant de livres par la main du bourreau, que les encyclopédistes souriaient en secret aux violences du chancelier, et Voltaire poursuivait dans leur défaite de sa colère ardente, infatigable, les assassins de Calas, de La Barre, de Lally[85].

Mais cette fois, l'opinion jugeait autrement que Voltaire. Le nom de parlement Maupeou, donné au parlement usurpateur, annonçait son impopularité, et qu'il lui serait bien difficile de laver la tache de son origine.

La France ne voulait à aucun prix reconnaître pour siens des juges qu'on avait vus envahir le Palais sous les auspices d'un détachement de mousquetaires[86], et il répugnait au Paris aimable, tolérant et frondeur du dix-huitième siècle, que la justice fût rendue en vertu d'un coup d'État. Si donc le parlement royal avait de son côté le patriarche de Ferney, il avait contre lui la nation ; et bientôt le sentiment public rencontra un interprète redoutable dans un autre Voltaire, plus jeune, plus intrépide, un Voltaire éloquent : Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais.

Jamais la nature ne fit un pareil lutteur ; et jamais tant de circonstances ne se réunirent pour développer un caractère irascible, quoique maître de lui. Beaumarchais savait employer les ressources de la colère et en éviter les imprudences. De l'habileté dans l'audace, l'à-propos du courage, une âme à l'épreuve de la fortune, un esprit éblouissant, un style sculpté, fouillé et en relief comme ces manches de poignard que ciselait l'orfèvre florentin, tout cela mis en jeu fit de Beaumarchais un révolutionnaire, de sa vie un combat, de ses ennemis autant de victimes, du parlement-Maupeou la risée publique.

Comment s'ouvrit cette lutte mémorable et de quoi s'agissait-il ? Un procès d'argent était engagé entre Beaumarchais et le légataire universel de Pâris-Duverney, le comte de La Blache, celui-ci poussant l'animosité jusqu'au délire. Jeune et immensément riche, le comte de La Blache, contestait une créance incontestable, non dans un intérêt de justice, mais par haine contre Beaumarchais, et avec l'intention avouée de dépenser cent mille écus qu'il pouvait garder plutôt que de payer quinze mille francs qu'il devait. Beaumarchais perdit sa cause. Mais son procès principal venait de s'aggraver d'un incident formidable.

Il fut accusé par le rapporteur du procès, le conseiller Goëzman, d'avoir voulu le corrompre en achetant son suffrage ; et cette accusation, reconnue bientôt calomnieuse, ne tendait pas à moins qu'à faire flétrir Beaumarchais par la main du bourreau. Puissants de la terre, gardez que votre bras n'atteigne un homme de génie. Si un tel homme se trouve enveloppé dans quelque injustice, sa seule indignation est capable d'engendrer des événements. Un moine irrité peut changer la face du catholicisme, si ce moine s'appelle Luther. Un particulier aux prises avec toute une magistrature peut la jeter par terre, s'il s'appelle Beaumarchais. On reconnaît un homme d'élite à ce trait qu'il généralise ce qui l'intéresse. Ses affaires privées s'éclairent d'un jour inattendu. Il entraîne des peuples entiers dans ses querelles. Comparaît-il devant un parlement, aussitôt il élargit l'enceinte du prétoire ; il prend une nation à témoin et pour auditoire l'humanité ; et à une époque, dans un royaume, où il n'existe encore qu'un roi et des sujets, il s'élève de l'humiliation de l'accusé à l'importance de l'accusateur.

Et quel était donc celui qui poursuivait Beaumarchais en corruption de juge ? C'était un conseiller de qui Beaumarchais n'avait pu obtenir une audience qu'après vingt-deux démarches inutiles[87], et au prix de deux rouleaux de cinquante louis remis à la femme de ce magistrat. Était-ce la faute du plaideur si la porte du conseiller ne s'était ouverte — une seule fois — que devant un messager porteur de louis d'or, et si l'on avait eu ensuite l'ignominie d'exiger une montre enrichie de diamants et quinze louis de surplus pour une seconde audience promise par l'épouse et non accordée par le mari ? Fallait-il que Beaumarchais, ruiné d'après l'avis de M. Goëzman, dont la partialité s'était si imprudemment trahie, eût encore la mortification de laisser les quinze louis entre les mains de madame Goëzman, qui, après avoir restitué les rouleaux et la montre, prétendait retenir ces quinze louis, sans doute à titre d'épingles sur un marché aussi déshonorant pour le magistrat qu'onéreux au plaideur ? Solliciter une entrevue afin d'éclairer son juge, on appelait cela tenter de le corrompre ! Comme si la honte d'avoir vendu des audiences devait noircir le solliciteur éconduit et rançonné[88] !

Voilà ce que les inimitables Mémoires de Beaumarchais mirent au jour avec une dialectique pressante, une verve irrésistible, et dans un langage plaisant jusqu'à la bouffonnerie, sérieux jusqu'à l'éloquence.

Prévenu contre le parlement, le public épousa la querelle de Beaumarchais. La curiosité, s'éveillant de toutes parts, se changeait en une sympathie universelle. Dix mille exemplaires vendus en deux jours[89], faisaient des moindres détails de ce procès une source inépuisable de conversations et de sarcasmes. On ne s'entretenait que des rouleaux et de la répétition enrichie de diamants. On répétait partout les noms d'Arnaud Baculard, du gazetier Marin et de Bertrand Dairolles, désormais voués à la célébrité du ridicule pour s'être portés chevaliers de la dame aux quinze louis. Grâce à tant de milliers d'exemplaires volant de main en main, le public étonné pénétrait ces mystères du greffe qui sont la pudeur des procédures. Il se laissait conduire à travers les obscurs détours du Palais de Justice, dans ces réduits destinés aux interrogatoires, aux confrontations, aux récolements ; formalités que Beaumarchais savait rendre si curieuses, faisant de leur mise en scène une comédie vivante comme Figaro et donnant déjà le rôle de Basile au parlement-Maupeou.

En effet, tout en se défendant d'avoir voulu dépriser pied à pied le tribunal, Beaumarchais, dont le courage était aussi de la clairvoyance, généralisait ses attaques afin d'agrandir sa cause, et prêtant l'oreille aux favorables murmures, il écrivait[90] : La nation n'est pas assise sur les bancs de ceux qui prononceront ; mais son œil majestueux plane sur l'assemblée. Si elle n'est jamais le juge des particuliers, elle est en tout temps le juge des juges.

Ces paroles retentissaient alors comme une nouveauté révolutionnaire. Les quinze louis étaient un événement. Tandis que les gazettes d'Utrecht et de la Haye entretenaient l'Europe des péripéties de l'action commencée[91], les Mémoires de Beaumarchais se lisaient à Trianon aussi avidement qu'à la ville ; ils amusaient madame du Barry ; ils égayaient Louis XV lui-même ; le flagrant délit constaté dans la maison d'un magistrat ouvrait carrière à mille soupçons injurieux, et la nation, flattée en ses mécontentements, apprenait à mépriser les grands corps de l'État, en attendant leur ruine.

Enfin arriva le jour où Beaumarchais dut comparaître en personne au parlement ; et rien ne saurait mieux prouver l'absence de garanties légales dont souffrait alors l'individu que le trouble où fut jeté un innocent, d'ailleurs intrépide, par les circonstances de cette comparution. Au moment d'entrer dans la salle du parlement, qui ressemblait à un temple, Beaumarchais entend prononcer à haute voix, par le greffier, qui le devançait, ce mot latin adest, adest : il est présent, voici l'accusé ; et la crainte se glisse dans son cœur. Il faut lire ce drame dans la quatrième philippique de Beaumarchais ; il faut se représenter l'écrivain, lorsqu'un profond silence ayant succédé à un bruit de voix confuses, il fut conduit à la barre devant les chambres assemblées, en présence de soixante magistrats uniformément vêtus, et dans une salle attristée par la rareté des flambeaux. Qu'était-ce qu'un simple particulier sans protecteur officiel, sans défenseur, seul en face des robes rouges du parlement ? Aussi Beaumarchais fut-il ému au point que son sang d'abord se glaça[92]. Mais bientôt l'accusé se raffermit, se redresse, et, retrouvant la netteté de son esprit, il tient tête au premier président de la cour souveraine, juge et partie dans le débat. Interrogé, il divise les questions, les décompose, les analyse, et y répond avec précision, avec force, toujours fidèle aux convenances, mais hardi, subtil et redoutable. Il n'oublie pas et il rappelle que sa cause est celle de tous les citoyens.

Le parlement-Maupeou condamna madame Goëzman et Beaumarchais à être mandés à la chambre pour, étant à genoux, y être blâmés, et ordonna que les Mémoires de Beaumarchais seraient lacérés et brûlés par l'exécuteur[93]. Mais à peine ce jugement fut-il connu que le courageux écrivain se vit entouré par l'estime publique. Le prince de Conti mit une noble affectation à se faire inscrire à la porte de Beaumarchais avec tout Paris ; et la première magistrature du royaume dut subir l'outrage des honneurs prodigués au citoyen qu'elle avait voulu flétrir.

Ce triomphe moral de l'écrivain qui, plus tard, devait compléter son œuvre révolutionnaire par le Mariage de Figaro, disait assez que l'ancien parlement ne tarderait pas à être rappelé. Mais nous avons expliqué ce qui rendait celui-là même insuffisant et désormais impossible.

Supposez donc qu'à l'approche de l'heure solennelle, le dix-huitième siècle eût produit un homme assez pénétrant pour embrasser d'un coup d'œil l'ensemble des faits et saisir la loi de leur enchaînement, cet homme aurait pu dire :

Le jour approche où une grande révolution éclatera. Car la société est en gestation d'événements terribles. Cette monarchie qui se couronne de fleurs, qui n'exerce sa dictature que par des courtisanes, qui, lorsque de tous côtés l'orage gronde autour d'elle, court ca- cher sa tête dans le sein des adolescentes violées ou des femmes impudiques, cette monarchie est trop faible, elle est trop vile pour ne pas tomber dans l'asservissement. Elle perdra la réalité du pouvoir exécutif.

Ce parlement, plein de morgue et pusillanime, qui fait servir d'arme aux factions le glaive saint de la justice, qui n'est ni assez fort pour s'emparer de l'autorité ni assez résigné pour la subir, qui ne fait pas les lois et empêche de les faire, ce parlement s'abîmera dans son impuissance séditieuse. Il disparaîtra, léguant à une autre assemblée ses prétentions au pouvoir législatif.

Alors, la bourgeoisie, qui concentre en elle toutes les ressources de la richesse et de l'esprit, qui a décrié le clergé par les philosophes, qui a vaincu la noblesse par les communes, la bourgeoisie agitera mille épées victorieuses. Elle mettra la main sur le pouvoir exécutif et dira au roi : Je vous permets de régner ; elle saisira le pouvoir législatif et s'écriera : C'est moi qui gouverne.

 

 

 



[1] Mémoires historiques et Anecdotes sur la Cour de France, p. 20. 1802.

[2] Soulavie, Décadence de la monarchie française, t. III, p. 26. 1803.

[3] L'Espion anglais, t. I, p. 12. 1779. — Mémoires de madame du Hausset.

[4] Mémoires de madame du Hausset, p. 83.

[5] Mémoires historiques sur la Cour de France, p. 79.

[6] Mémoires historiques sur la Cour de France, p. 65, 74 et suiv.

[7] Mémoires historiques sur la Cour de France, p. 226.

[8] Mémoires de madame du Hausset, p. 92.

[9] Mémoires de madame du Hausset, p. 104.

[10] Mémoires historiques sur la Cour de France, p. 251.

[11] Mémoires historiques sur la Cour de France, p. 238.

[12] C'est ainsi, par exemple, que mademoiselle Tiercelin fut mise à la Bastille.

[13] Lacretelle, Histoire de la France pendant le dix-huitième siècle, t. III, p. 174.

[14] Lacretelle, Histoire de la France pendant le dix-huitième siècle, t. III, p. 180.

[15] Œuvres de Voltaire, t. VII, p. 21. Édit. Delangle.

[16] Extrait des registres particuliers de Louis XV, par Soulavie, Hist. de la décadence de la monarchie française, t. III, p. 275.

[17] Soulavie, Hist. de la décadence de la monarchie française, p. 227.

[18] Voyez plus haut le chapitre de la Ligue.

[19] Sainte-Aulaire, Hist. de la Fronde, introduction, p. 21.

[20] Voyez plus haut le chapitre de la Fronde.

[21] Rapporté dans l'Introduction au Moniteur.

[22] Remontrances de la Cour souveraine de Lorraine, 25 février 1756, citées par Marrast et Dupont dans l'Introduction aux Fastes de la Révolution française, p. XXXIX.

[23] Remontrances de la Cour souveraine de Lorraine, 25 février 1756.

[24] Potherat de Thou, Recherches sur l'origine de l'impôt en France, p. 275.

[25] Sainte-Aulaire, Hist. de la Fronde, voyez à l'Introduction.

[26] Potherat de Thou, Recherches sur l'origine de l'impôt, p. 272.

[27] Commentaire sur le Livre des Délits et des peines, Œuvres complètes de Voltaire, t. XXXIX, p. 95.

[28] Voltaire, Commentaire sur le Livre des Délits et des peines, t. XXXIX, p. 89.

[29] Ordonnance criminelle, titre XXIV, art. 3, citée par Potherat de Thou, p. 276.

[30] Titre XIV, art. 8 de l'Ordonnance criminelle.

[31] Commentaire sur le livre des Délits et des peines, p. 90.

[32] Potherat de Thou, p. 265 et suiv.

[33] Potherat de Thou, p. 268.

[34] Télémaque, liv. III, dans les Œuvres complètes de Fénelon, t. VIII, p. 87. 1822.

[35] Fénelon, Télémaque, liv. XII, p. 276.

[36] Directions pour la conscience d'un roi, Direct, XXXIII, t. VI des Œuvres complètes, p. 551.

[37] Télémaque, liv. XII, p. 278.

[38] Télémaque, liv. XII, p. 279.

[39] Essai historique sur Fénelon, p. 5.

[40] Télémaque, liv. XII, p. 291.

[41] Polysynodie de l'abbé de Saint-Pierre, chap. I, dans les Œuvres complètes de J.-J. Rousseau.

[42] Si jamais vérité morale fut démontrée, il me semble que c'est l'utilité générale et particulière de ce projet. (Jugement sur la paix perpétuelle, par J.-J. Rousseau.)

[43] Jugement, sur la paix perpétuelle, par J. J. Rousseau.

[44] Voyez plus haut le chapitre IV du livre I.

[45] Montesquieu comprend sous ce mot les démocraties et les aristocraties : Le gouvernement républicain, dit-il, est celui où le peuple en corps, ou seulement une partie du peuple ; a la souveraine puissance. Esprit des lois, liv. II, chap. I.

[46] Esprit des lois, liv. III, chap. XI.

[47] Esprit des lois, t. I, liv. III, chap. III.

[48] Esprit des lois, t. I, liv. III, chap. III.

[49] Voyez plus haut, au livre I, le chapitre intitulé Publicistes protestants du seizième siècle.

[50] Voyez dans l'Esprit des lois, liv. XI, tout le chapitre VI.

[51] Esprit des lois, liv. XI, chap. VI.

[52] Esprit des lois, liv. XI, chap. V.

[53] Auger, Vie de Montesquieu, en tête de l'Esprit des lois, p. xxxiij. Édit. Touquet.

[54] Correspondance de Voltaire, t. VIII, p. 551.

[55] Auger, Vie de Montesquieu, p. XXXV.

[56] De Lolme, Constitution de l'Angleterre, t. I, chap. VIII, p. 93. Genève, MDCCLXXXVIII.

[57] De Lolme, Constitution de l'Angleterre, t. I, chap. VIII, p. 93.

[58] Le véritable titre de l'acte est : Acte pour mieux assurer la liberté du sujet et prévenir l'exil au delà des mers.

[59] Voyez les principaux articles de l'acte d'Habeas corpus, dans de Lolme, t. I, chap. XIII, p. 188, 189.

[60] De Lolme, t. II, chap. XII, p. 39.

[61] Contrat social, liv. I, chap. VI.

[62] Voyez plus haut, liv. I, chap. IV : Il ne faut pas faire doute que nous soyons tous libres, puisque nous sommes compagnons. Discours de la servitude volontaire, p. 121 et 122.

[63] Contrat social, liv. I, chap. VII.

[64] Contrat social, liv. III, chap. I.

[65] Contrat social, liv. II, chap. I.

[66] Contrat social, liv. II, chap. II.

[67] Contrat social, liv. II, chap. III.

[68] Voyez le Cours de littérature française, par M. Villemain, XIIIe leçon, p. 434.

[69] Contrat social, liv. II, chap. IV.

[70] Contrat social, liv. II, chap. IV.

[71] Contrat social, liv. IV, chap. VIII.

[72] Contrat social, liv. IV, chap. VIII.

[73] Voyez notamment le chapitre IV du livre II.

[74] Correspondance de Voltaire, voyez plus haut.

[75] Système de la Nature, part. II, chap. VIII, p. 263.

[76] Système de la Nature, part. II, chap. VIII, p. 264.

[77] Correspondance générale de Voltaire, t. XXIII, p. 97.

[78] Expression de Voltaire, Correspondance, t. XXIII, p. 115.

[79] Voyez la Correspondance de Voltaire, t. XXIII, p. 191, 200, 273.

[80] Art. Intolérance.

[81] Introduction aux fastes de la Révolution française, par MM. Marrast et Dupont, p. clviij.

[82] Voyez dans l'Introduction aux fastes un excellent résumé de l'administration de l'abbé Ternay.

[83] Introduction aux fastes, p. CLX.

[84] Correspondance de Voltaire, au maréchal duc de Richelieu : Le solitaire regarde les nouveaux établissements faits par M. le chancelier comme le plus grand service qu'on pouvait rendre à la France. T. XXIV, p. 23.

[85] Correspondance de Voltaire, à madame du Deffand, t. XXIV, p. 4.

[86] Lacretelle, Histoire de France pendant le dix-huitième siècle, t. IV, p. 264, 205.

[87] Voyez le tableau des courses inutiles, dans le Mémoire à consulter pour P.-A. Caron de Beaumarchais, t. III, p. 19. Édit. Furne.

[88] Addition au Mémoire à consulter, t. III, p. 215.

[89] Le fait est avoué par Marin, ennemi de Beaumarchais.

[90] Quatrième Mémoire à consulter contre M. Goëzman, t. III, p. 299.

[91] Supplément au Mémoire à consulter, p. 65, dans les notes, et p. 298 du Quatrième Mémoire.

[92] Quatrième Mémoire à consulter, t. III, p. 502.

[93] Jugement du 26 février 1774.