Voltaire devant le peuple, devant les rois, devant les prêtres. — Les Jansénistes devenus convulsionnaires et les Jésuites intolérants ; sacrilèges et scandales. — Voltaire ouvre l'attaque. — Pascal et Descartes l'importunent. — Il apporte d'Angleterre la doctrine des sensations, favorable à l'individualisme. — La statue de Condillac. — Diderot. — Ce que représente en politique la notion de Dieu. — Association de Diderot et de d'Alembert. — l'Encyclopédie. — Dîners du baron d'Holbach. — École du rationalisme. — Fréret, Boullanger, etc. ; immense anarchie intellectuelle. — Buffon. — Théorie du moi par Helvétius. — Le Misanthrope de Molière dans le dix-huitième siècle : Jean-Jacques Rouleau ; sa lutte-contre les philosophes de l'individualisme. — L'école opposée l'emporte. — L'Europe pensante est conquise par Voltaire. — Frédéric, philosophe. — Frédéric effrayé par le Système de la Nature. — Chute des Jésuites. — Les Jansénistes attaqués à leur tour. — Glorieux et universel apostolat de la tolérance. — Triomphe du rationalisme.La Réformation avait bien, comme nous l'avons montré, introduit le principe d'individualisme dans le monde ; mais Luther, mais Calvin, avaient manqué de logique et d'audace. Ils avaient invoqué la souveraineté de la raison contre Rome, non contre les Écritures. Ils eussent pâli d'effroi, à la seule idée de discuter d'une manière purement rationnelle, Dieu, l'existence de l'âme, l'infini, l'éternité. Les questions qu'ils jugeaient résolues par les livres saints, interprétés au moyen des lumières de la foi, nul, suivant eux, n'avait le droit de les approfondir. Ils avaient laissé à l'individu, en le déclarant affranchi, une partie de ses chaînes ; et, arrivé dans son vol à de certaines hauteurs, l'esprit humain devait aussitôt fermer ses ailes. Les continuateurs que le dix-huitième siècle venait donner à Luther, poussèrent jusqu'à ses plus extrêmes limités l'œuvre commencée. Après avoir livré aux ravages du libre examen le domaine entier de la religion, ils lui abandonnèrent celui de la métaphysique. Ce que Luther avait osé contre les Pères de l'Église, ils l'osèrent contre Luther prosterné devant l'Évangile. Ils proposèrent à l'essor de l'esprit l'immensité même. Ce respect exalté pour la liberté de l'esprit leur commandait la tolérance. Aussi n'eurent-ils rien de cette humeur despotique et de cette cruauté inconséquente dont nous avons vu le règne de Calvin si odieusement souillé. Eux, ils furent humains, et l'apostolat de la tolérance les trouva infatigables. Leur gloire est là. Quant à leur culte de la raison, comme la raison divise tandis que la foi réunit, ils ne purent que placer l'homme sur un monceau de ruines, au sommet desquelles nous l'apercevons aujourd'hui encore, debout et maître de lui, mais inquiet et seul. Qu'on s'en félicite ou qu'on la déplore, une pareille révolution morale était d'une incomparable portée. Il fallait donc, ce semble, à la tête du mouvement qui la produisit, des penseurs d'une rare souplesse d'intelligence, pour que la séduction devînt universelle ; des défenseurs ardents de l'humanité, pour que toute âme généreuse saluât d'avance leur triomphe ; des écrivains d'une prodigue opulence, pour que le bienfait leur créât une clientèle ; d'invincibles railleurs, pour qu'on tremblât devant eux ; des chefs de parti à la fois opiniâtres et prudents, pour qu'il n'y eût ni temps d'arrêt dans l'attaque ni fausse manœuvre ; il fallait des historiens, des poètes, des métaphysiciens, des conteurs, des auteurs dramatiques, des romanciers, des publicistes, admis par le génie et la gloire dans la familiarité des rois ; enfin, et pour que les peuples si longtemps opprimés eussent cette consolation d'être vengés de leurs tyrans par leurs tyrans mêmes, peut-être fallait-il des philosophes craignant Anitus et la ciguë, déliés à l'excès, insinuants, aussi habiles à endormir la .persécution que prompts à la décrier, capables d'hypocrisie, sachant séduire les nobles et flatter les princes. Au dix-huitième siècle, tous ces hommes n'en firent qu'un, et leur nom fut Voltaire. Voltaire ! Est-il permis de porter la main sur cette grande idole ? Un héritier du dix-huitième siècle le peut-il sans témérité ? Car, enfin, la route où marchent les générations vivantes, bonne ou mauvaise, c'est Voltaire qui l'a tracée ; et il a été tel, que, soit par l'amour, soit par la haine, le monde entier se trouve engagé dans les intérêts de sa gloire. Quelle destinée ! être pendant soixante ans tout l'esprit de l'Europe, être l'histoire d'un siècle ; écrire, et par là régner ; rendre les princes, ou fiers d'avoir appris à penser, ou honteux de n'être que puissants ; du fond d'une retraite studieuse et enchantée, tenir les peuples en haleine, mettre leurs dominateurs en émoi, pousser vers le but marqué d'avance une foule illustre ; noter la persécution d'infamie, lui faire peur ; proclamer la tolérance ; combattre et vaincre pour l'humanité ; dans une conspiration sans égale, se donner tous les prêtres pour ennemis, tous les rois pour complices ; ce que Luther n'avait ébranlé que par des prodiges de colère, l'abattre en souriant, et vivre heureux !..... N'importe : à taire ce qui amoindrit ou souilla les noms qu'on adore, je ne vois que faiblesse et lâcheté. Quand un homme est monté sur ces hauteurs de l'histoire, à lui d'élever son cœur au niveau de son destin. Les vrais grands hommes n'ont pas besoin de toutes, ces réticences, dont le respect les insulte. Qu'on les montre tels que la nature les fit, leur action sur l'humanité n'y perdra rien, ayant eu le caractère des choses qui durent. Pourquoi ne dirions-nous pas de Voltaire que, d'une main puissante, il aida au progrès en renversant l'ancienne forme de l'oppression et en avançant ainsi l'heure de l'universelle délivrance ; mais que, par ses opinions, ses instincts, son but direct, il fut l'homme de la bourgeoisie, et de la bourgeoisie seulement. S'il est juste qu'on le glorifie pour avoir avec tant d'éclat renversé la tyrannie qui s'exerçait par voie d'autorité, il l'est aussi qu'on le blâme d'avoir contribué à établir la tyrannie qui s'exerce par voie d'individualisme. Après tout, le soin de sa mémoire nous touche moins que le sort du peuple qu'il pouvait mieux servir. Le génie mérite qu'on le salue, mais il doit souffrir qu'on le juge. Il n'y a d'inviolable au monde que la justice et la vérité. Non, Voltaire n'aima point assez le peuple. Qu'on eût allégé le poids de leurs misères à tant de travailleurs infortunés, Voltaire eût applaudi sans nul doute, par humanité, mais sa pitié n'eut jamais rien d'actif et qui vînt d'un sentiment démocratique ; c'était une pitié de grand seigneur, mêlée de hauteur et de mépris. Ouvrez sa Correspondance : l'aristocratie de ses dédains y éclate à chaque page : On n'a jamais prétendu éclairer les cordonniers et les servantes[1]. Il me revient que cet Omer est fort méprisé de tous les gens qui pensent. Le nombre est petit, je l'avoue, mais il sera toujours respectable. C'est ce petit nombre qui fait le public ; le reste est le vulgaire. Travaillez donc pour ce petit public, sans vous exposer à la démence du grand nombre[2]. Je vous recommande l'infâme (la superstition). Il faut la détruire chez les honnêtes gens et la laisser à la canaille[3]. Ceux qui crient contre ce qu'on appelle le luxe ne sont guère que des pauvres de mauvaise humeur[4]. Enfin, notre parti l'emporte sur le leur dans la bonne compagnie[5]. Vous aviez bien raison de dire, monseigneur, que les Genevois ne sont guère sages, mais c'est que le peuple commence à être le maître[6]. La raison triomphera, au moins chez les honnêtes gens, la canaille n'est pas faite pour elle[7], etc., etc. Il nous serait aisé de multiplier les citations. Avoir un cordonnier dans sa famille était presque, aux yeux de Voltaire, une flétrissure : Je le prie de passer rue de La Harpe et de s'informer s'il n'y a pas un cordonnier parent du scélérat (J.-B. Rousseau) qui est à Bruxelles, et qui veut me déshonorer[8]. Il se moquait de Jean-Jacques, s'adressant à des marchands de clous[9] ; et lui, l'historien du czar Pierre, il ne pouvait comprendre que l'auteur à Emile eût fait de l'état de menuisier le complément d'une éducation philosophique. Il a un jeune homme à élever, disait-il en parlant de Rousseau, et il en fait un menuisier ; voilà le fond de son livre ![10] etc. Je crois que nous ne nous
entendons pas sur l'article du peuple, que vous croyez digne d'être instruit.
J'entends par peuple, la populace qui n'a que ses bras pour vivre... Il me paraît essentiel qu'il y ait des gueux ignorants. Si
vous faisiez valoir comme moi une terre, et si vous aviez des charrues, vous
seriez bien de mon avis. Ce n'est pas le manœuvre qu'il faut instruire, c'est
le bourgeois, c'est l'habitant des villes. Quand la populace se mêle de
raisonner, tout est perdu[11]. C'est ainsi que dans la liberté, que dans la vérité des épanchements intimes, Voltaire traitait les artisans, ceux qui portent en gémissant le poids de la civilisation et de ses injustices, le peuple. En revanche, on sait jusqu'où il fit descendre, à l'égard des grands, l'humilité de ses hommages, et dans quelles puériles jouissances la faveur des cours retint sa vanité captive, et combien il aimait à se parer du titre de gentilhomme de la chambre ; on sait qu'il fit de Louis XV un panégyrique où l'excès de la flatterie touchait au scandale ; qu'un jour s'adressant à ce roi, le dernier des rois, il osa l'appeler Trajan ; que le duc de Richelieu, héros des roués fastueux et des libertins à la mode, l'eut pour courtisan, que dis-je ? pour familier ; qu'il s'écriait en parlant de Catherine, impératrice de Russie : Je suis catherin et je mourrai catherin[12] ; qu'il se mit aux pieds des favorites, même de celle qu'une maison de débauche éleva pour les plaisirs du maître, et qui, devenue la royauté, en déshonora l'agonie ; qu'enfin il écrivait à Frédéric, roi de Prusse : Vous êtes fait pour être mon roi... délices du genre humain[13]. Je rêve à mon prince comme on rêve à sa maîtresse[14]. Si vous saviez combien votre ouvrage (l'Anti-Machiavel) est supérieur à celui de Machiavel ![15] J'attends ici mon maître[16]. — J'envoie à mon adorable maître l'Anti-Machiavel[17]. Vous avez fait ce que faisait le peuple d'Athènes. Vous valez bien ce peuple à vous tout seul[18]. Votre Majesté qui s'est faite homme[19]. Un prince à qui j'ai appartenu[20], etc., etc. Calculées ou sincères, de semblables adulations étaient
sans dignité ; et Voltaire ne se serait jamais abaissé jusque-là, s'il avait
eu ce généreux orgueil qui se puise dans le sentiment de l'égalité. Mais né
d'ailleurs avec une nature souple, il se trouva, dès son entrée dans la vie
active, égaré parmi les Vendôme, les Richelieu, les Conti, les La Fare, les
Chaulieu ; et, dans ce cercle où l'art du courtisan s'apprenait à l'école du
bon goût ; il perdit tout ce qui constitue les fiers caractères et les âmes
viriles. Aussi les républiques ne lui apparaissaient-elles à travers l'histoire
que par leur côté sanglant[21]. L'égalité, il
la croyait réalisée, parce que Dieu a mis, pour le monarque comme pour le
mendiant, la douleur à côté de la joie[22]. Quant aux
privilèges de la naissance, tour à tour leur dénonciateur et leur esclave, il
les attaqua, du haut de la scène, par des vers bien connus ; mais loin de la
foule, loin du parterre, et quand il n'avait plus à s'en faire l'écho, le
fils du notaire Arouet se rappelait avec complaisance que, par Marguerite
d'Aumart, sa mère, il était de race noble, et il écrivait : Lorsqu'on imprime que je prends à tort le titre de
gentilhomme ordinaire de la chambre du roi de France, ne suis-je pas forcé de
dire que, sans me parer jamais d'aucun titre, j'ai pourtant l'honneur d'avoir
celte place, que Sa Majesté le roi mon maître m'a conservée ? Lorsqu'on
m'attaque sur ma naissance, ne dois-je pas à ma famille de répondre que je
suis né égal à ceux qui ont la même place que moi ; et que, si j'ai parlé sur
cet article avec la modestie convenable, c'est parce que cette même place a
été occupée autrefois par les Montmorency et par les Chatillon ?[23] Il était impossible qu'un homme capable de tenir un pareil langage ne professât pas le culte de la royauté. Seulement, Voltaire y porta une exagération qu'on a peine à comprendre. Il écrivait à Frédéric : Je voudrais qu'on eût jeté au fond de la mer toutes les histoires qui ne nous retracent que les vices et les fureurs des rois[24]. Et il est à remarquer que, sur ce point, ce fut un roi qui réfuta Voltaire[25]. Mais Voltaire ne fut pas convaincu. Il donna l'exemple en même temps que le précepte. Il n'oublia son étrange système sur les devoirs de l'historien, ni dans le Siècle de Louis XIV, ni dans le Siècle de Louis XV, ni dans l'Histoire de Charles XII, ni dans celle du czar Pierre. Il ne l'oublia que lorsque, dans ses mémoires, il eut à se venger de Frédéric : inconséquence de la passion. Voltaire n'était pas fait, on le voit, pour chercher dans une révolution politique et sociale le salut du peuple. Changer hardiment, profondément, les conditions matérielles de l'État et de la société, il n'y songeait même pas, et ne commença à s'en inquiéter que sur la fin de sa carrière, aux cris poussés par Diderot, d'Holbach et Raynal. Dans les six mille neuf cent cinquante lettres dont se compose sa Correspondance, dans la plupart de ses ouvrages, on est frappé de cette absence de préoccupations politiques. C'est à peine s'il avait foi dans la possibilité d'une vaste rénovation du monde. On en peut juger par cette lettre écrite à M. de Bastide, en 1760, moins de trente ans avant la Révolution. Après avoir montré, dans un tableau saisissant, ceux qui labourent dans la disette, ceux qui ne produisent rien dans le luxe, de tremblants vassaux n'osant délivrer leurs maisons du sanglier qui les dévore, de grands propriétaires s'appropriant jusqu'à l'oiseau qui vole et au poisson qui nage : Cette scène du monde, presque de tous les temps et de tous les lieux, s'écrie-t-il[26], vous voudriez la changer ! voilà votre folie, à vous autres moralistes... Le monde ira toujours comme il va. N'était-ce là qu'un accès de philanthropie chagrine ? Non ; et l'on doit ajouter que ce fut la tendance générale des esprits pendant une notable partie du dix-huitième siècle de négliger les questions politiques ou sociales, pour les problèmes les plus abstraits de la métaphysique. Nous marquerons l'heure où il cessa d'en être ainsi. Mais cette heure solennelle surprit Voltaire et le fit tressaillir. Comme Luther, il fut longtemps à découvrir la pente qui conduisait des abus religieux aux abus politiques, de la philosophie spéculative à la transformation matérielle de la société, de l'agitation des croyances au bouillonnement des intérêts. Nous n'avons donc plus qu'à le suivre d'abord dans sa lutte contre la puissance des prêtres, et ensuite dans ses efforts pour agrandir l'être humain en l'isolant. Ébranler l'empire des prêtres, on ne le pouvait pas sans séparer leur cause de celle des rois. C'est à quoi Voltaire était naturellement porté, et ce fut le premier moyen qu'il employa. La longue et implacable rivalité des papes et des Césars ; l'empereur Henri IV à genoux devant Grégoire VII ; tant de guerres civiles nées du fanatisme religieux ; tant de séditions prêchées du haut des marches de l'autel ; des fils de roi condamnés par l'inquisition ; les confesseurs plus puissants que les favorites, s'emparant de l'autorité des princes en même temps que de leur âme, usurpant la terre au nom du ciel et gouvernant les royaumes qu'ils ne troublaient pas ; les jésuites dans la GUERRE DE TRENTE ANS ; la Ligue ; des moines régicides... que de ressources l'histoire ne fournissait-elle pas au plan d'attaque de Voltaire ! Il les rassembla et les mit en œuvre avec une habileté redoutable. Si la plupart des rois, écrivait-il à Frédéric quand celui-ci n'était encore que prince royal de Prusse[27], si la plupart des rois ont encouragé le fanatisme dans leurs États, c'est qu'ils étaient, ignorants, c'est qu'ils ne savaient pas que les prêtres sont leurs plus grands, ennemis. En effet, y a-t-il un seul exemple, dans l'histoire du monde, de prêtres qui aient entretenu l'harmonie entre les souverains et leurs sujets ? Ne voit-on pas partout, au contraire, des prêtres qui ont levé l'étendard de la discorde et de la révolte ? Ne sont-ce pas les presbytériens d'Écosse qui ont commencé cette malheureuse guerre civile qui a coûté la vie à Charles Ier, à un roi qui était honnête homme ? N'est-ce pas un moine qui a assassiné Henri III, roi de France ? L'Europe n'est-elle pas encore remplie des traces de l'ambition ecclésiastique ? Des évêques devenus princes, et ensuite vos confrères dans l'électorat, un évêque de Rome foulant aux pieds les empereurs, n'en sont-ils pas des témoignages. D'un autre côté, Voltaire s'étudiait à bien établir que les philosophes étaient les alliés naturels des rois. Lui qui osait tout contre les puissances sacerdotales, il n'avait pas assez d'indignation contre le misérable assez fou pour faire un libelle contre un roi. Il est permis de croire que, s'il eût siégé à la Convention, il se serait violemment opposé à la condamnation de Louis XVI, lui qui, accusé d'avoir fait l'apologie du jugement de Charles Ier, s'en défendait en ces termes : Où donc aurais-je fait l'apologie de cette injustice exécrable... Je viens de consulter le livre — les Lettres sur les Anglais — où l'on parle de cet assassinat, d'autant plus affreux qu'on emprunta le glaive de la législature pour le commettre. Je trouve qu'on y compare cet attentat avec celui de Ravaillac, avec celui du jacobin Clément, avec le crime, plus énorme encore, du prêtre qui se servit du corps de Jésus-Christ même, dans la communion, pour empoisonner l'empereur Henri VII. Est-ce là justifier le meurtre de Charles Ier ?[28] Ce désir de sceller entre la philosophie et la royauté une étroite et durable alliance était si vif chez Voltaire, qu'on en retrouve à chaque instant l'expression sous sa plume : Pour être bon chrétien, il faut respecter, aimer, servir son prince[29]. Les philosophes servent Dieu et le roi[30]. Toutes les bulles du monde (en parlant d'une maladie du Dauphin) ne valent pas la poitrine et le foie d'un fils unique du roi de France[31]. Les philosophes ne demandent que la tranquillité, et il n'y a pas un théologien qui ne voulût être le maître de l'État[32]. Ainsi, à l'exemple de Luther, à l'exemple de Calvin, Voltaire prêchait à la fois la révolte contre les autorités spirituelles et la soumission aux pouvoirs temporels. Révolutionnaire en religion, il n'entendait pas qu'on le fût en politique ; et c'était de très-bonne foi qu'il s'obstinait dans cette inconséquence, si utile, du reste, à ses projets ; car à ses amis, à ses adeptes, aux confidents de ses pensées les plus secrètes, il tint toujours le même langage qu'aux rois. Il écrivait à d'Alembert[33] : On ne s'était pas douté que la cause des rois fût celle des philosophes ; cependant il est évident que des sages, qui n'admettent pas deux puissances, sont les premiers soutiens de l'autorité royale1. Le plan était nettement tracé : l'histoire vint en aide. Voltaire eut ce rare bonheur que ses idées furent toujours servies par les événements. Pendant qu'il pensait pour son siècle, son siècle agissait pour lui ; et, par exemple, dans le temps même où il criait aux princes de se défier des théologiens, de leur fanatisme dominateur et de leurs cabales, une guerre théologique vint embraser Paris. Elle fut sombre, cette guerre, et furieuse ; elle imprima aux passions un mouvement qui ne devait plus s'arrêter ; elle couvrit les factions religieuses de ridi- cule et d'opprobre ; elle inquiéta les rois dans le sens des projets de Voltaire ; elle déchaîna en France les colères d'une presse clandestine, inévitable ; et, mettant aux prises le pouvoir royal et le pouvoir parlementaire, elle hâta la Révolution dans laquelle ils coururent l'un et l'autre s'engloutir. Nous avons dit les mœurs du haut clergé, son faste mondain, son opulence, son ardeur à défendre l'in- violabilité de ses richesses alors que le peuple haletait sous le fardeau des charges publiques ; nous avons dit quelles passions battaient sous la pourpre romaine, et par quels scandales étaient compromis en France les destins de la religion. Mais la piété avait été longtemps conservée en dépôt par le clergé inférieur, par les jansénistes ; longtemps ils s'étaient imposé la glorieuse tâche d'honorer leurs croyances par l'austérité de leur vie ; et lorsque Fleury, devenu ministre, était descendu à les persécuter pour gagner les bonnes grâces de Rome, on les avait vus, appuyés sur l'opinion, entraîner le parlement dans leur querelle et déployer une fermeté d'âme digne de Saint-Cyran, de Nicole et d'Antoine Arnauld. Tout à coup on apprend qu'un saint homme, un diacre, nommé Pâris, vient de mourir, et, bientôt après, qu'une jeune fille a été saisie, sur la tombe du bienheureux, de convulsions étranges, surnaturelles. Aussitôt, les jansénistes se réveillent comme d'un lourd sommeil. Leur noire dévotion, exaltée par le souvenir des persécutions précédentes et par le malheur, se décide à tenter la fortune des miracles. La contagion gagne de proche en proche, elle frappe les cerveaux malades ou affaiblis, elle s'empare des âmes enthousiastes, elle attire les fourbes. Ce fut un vrai délire. Des scènes, Jour à tour effrayantes et voluptueuses, se passèrent dans l'asile des morts. Des femmes venaient, dans un costume flottant et trop libre[34], frémir sur un tombeau comme la sibylle antique sur le trépied. Ce n'étaient que discours mystérieux et symboliques, extases, invocations à l'esprit de Dieu. Les unes se faisaient enlever par les pieds avec des cordes, secouaient leurs têtes échevelées, et passaient de la fureur à une immobile tristesse ; les autres appelant le secouriste[35] d'une voix plaintive et caressante, demandaient qu'on leur marchât sur le corps, prenaient des attitudes lascives, se répandaient en mélancoliques prophéties ou chantaient des mélodies inconnues[36]. Signes d'en haut ! disaient les jansénistes, et ces contorsions dont s'offensaient également la raison et la pudeur, ils les appelaient des prodiges divins : nul doute que par là Dieu ne voulût annoncer la grandeur insondable de ses desseins sur l'Eglise ; le prophète Élie allait venir[37]. Et de telles extravagances avaient cours en plein dix-huitième siècle, après les saturnales de la Régence, au milieu d'un peuple frondeur ! En vain le cimetière de Saint-Médard, premier théâtre de l'agitation, fut-il fermé par ordre, le nombre des convulsionnaires ne fit que s'accroître. Emportant la terre du saint tombeau, ils se répandirent dans Paris, incrédule, mais étonné. En chaque quartier, il se tint des assemblées secrètes et sinistres dont quelques-uns parlaient avec mépris, quelques-uns avec horreur, presque tous avec surprise. Ici les patients avaient résisté, par la seule vertu de la foi, à des coups de lance ou d'épée ; là, mis en croix, ils avaient vaincu la douleur et dompté la mort. On cita, on put citer comme incontestables des faits par où éclatait la puissance de l'âme violemment agitée dans des organisations débiles. Des convulsionnaires se crurent brûlés par l'attouchement des os-et des pierres tirés des ruines de Port-Royal[38]. Mais combien de jeunes filles semblaient renouveler la tragédie du Calvaire, qui ne tremblaient que des frissons de l'amour[39] ! Combien pour qui prévoir l'avenir ne fut qu'une ressource de la pauvreté, un moyen d'assurer le présent ! Et cependant, il advint que des hommes mûris par l'étude, que des personnages. respectables, des écrivains en renom, des magistrats, se laissèrent toucher à des spectacles dont l'indécence avait une couleur biblique, et rappelait à des esprits dévotement prévenus, tantôt le sommeil de Noé, tantôt l'apparente folie de David, ou bien encore la nudité de Saül se roulant dans la poussière[40]. Ainsi, Port-Royal, sa sévérité, ses vertus, n'étaient plus représentés que dans des conciliabules où l'artifice se mêlait à la soif des âcres voluptés ; cette crédulité qui dans Nicole n'avait été que l'exagération du zèle et dans Pascal qu'une mélancolie sublime, aboutissait à un mysticisme suspect ; la théologie décriait son propre règne, déjà menacé par la Révolution, qui grondait ; et les victimes destinées à Voltaire couraient d'elles-mêmes au-devant de ce roi des génies moqueurs. Comme tout sert les révolutions, quand leur jour approche ! Pendant que les jansénistes se faisaient convulsionnaires, les jésuites, factieux en sens inverse, devenaient intolérants jusqu'au scandale. On eût dit que, pour mieux donner raison à Voltaire, les divers représentants de l'idée religieuse mettaient une sorte d'émulation à troubler l'État. Qu'en 1749, le clergé se soit soulevé contre l'édit par lequel Machault, ministre philosophe, imposait les biens ecclésiastiques, il n'y a rien là qui doive surprendre : en refusant de contribuer aux charges publiques, sur le pied de l'égalité, les évoques restaient fidèles à leurs habitudes. Mais ils ne se bornèrent pas à un refus hautain. Après avoir déclaré dans les remotrances du 24 août 1749[41], délibérées en assemblée générale, que les serviteurs de Dieu étaient seulement tenus à des dons gratuits ; que leurs immunités, en matière d'impôt, faisaient partie de la constitution monarchique ; qu'on ne pouvait frapper un impôt sur les ministres de l'Église sans les avilir et les réduire à la condition des autres sujets du roi, le clergé conçut l'audacieux projet d'écarter les périls d'un refus obstiné, en réveillant les querelles religieuses de manière à occuper sans réserve le parlement, la cour et l'opinion. Alors fut reprise par l'archevêque de Paris et par les jésuites cette trop fameuse bulle Unigenitus, brandon de discordes lancé en France du haut du Vatican ; alors l'obligation d'adhérer à la bulle devint un véritable signal de guerre et comme la contre-partie des miracles ou des bouffonneries du jansénisme. Sans un billet de confession, constatant l'adhésion prescrite, plus de sacrements, plus de passeport pour le voyage du ciel. Les jansénistes s'indignèrent, le parlement fulmina ; mais les jésuites s'y attendaient et la résistance n'était propre qu'à enflammer le zèle de Christophe de Beaumont, prélat doué de vertus violentes, prêtre né pour être persécuteur ou martyr. Le désordre fut donc immense. Des curés interdits par l'archevêque s'ils accordent les sacrements sans billet de confession, et atteints, s'ils les refusent, par un arrêt du parlement ; des moribonds implorant en vain les consolations dernières ; des milliers d'hommes rassemblés, à la porte des églises, autour des cadavres qui attendent la sépulture ; des prêtres qui s'enfuient emportant la clef du tabernacle[42] ; toutes les familles épouvantées dans leurs croyances ; l'extrême-onction administrée, non plus en vertu du pouvoir d'un homme de Dieu, mais de par la sentence des tribunaux[43] ; le viatique promené dans l'émeute, le fanatisme debout entre des morts et les cercueils ouverts pour les recevoir, voilà le Paris religieux du dix-huitième siècle. Le clergé sauva ses biens. ; mais son autorité ? Son autorité reçut mille atteintes mortelles. Pendant qu'une brochure célèbre, publiée sous le simple nom de Lettres, sapait les privilèges ecclésiastiques, un pamphlet véhément reprochait à certains prédicateurs des humbles vertus de l'Evangile leurs chevaux, leurs équipages, leurs palais, leur vaisselle d'or, leurs somptueux jardins, leurs concubines connues[44]. En même temps, dans l'intérieur des maisons ; entre les piles de bois des chantiers ; sur la Seine, dans des bateaux ; partout enfin où il y avait chance d'éviter les regards d'un pouvoir ombrageux, on imprimait les Nouvelles ecclésiastiques, arme terrible, empoisonnée, que les jansénistes maniaient dans l'ombre avec une incomparable adresse. Or, ces feuilles rédigées par des théologiens contre des théologiens, par des prêtres contre des prêtres, elles avaient, colportées par la haine, une publicité dont rien ne put jamais arrêter l'essor ; elles circulaient, grâce à des artifices ingénieux et sans nombre ; elles étaient collées le long des murs par des enfants cachés dans des hottes que des femmes portaient sur leur dos[45] ; le lieutenant de police Hérault eut l'humiliation d'en trouver des exemplaires dans sa voiture ; elles pénétraient à la cour ; elles inondaient la ville. Et les philosophes d'applaudir ; car c'était à eux, à eux seuls, que devaient profiter les coups portés de part et d'autre. Leur chef, du reste, avait déjà commencé l'attaque, si vivement annoncée par les malices de Fontenelle et par les Lettres persanes de Montesquieu. Lâchement insulté, en 1726, par un grand seigneur auquel il demanda une réparation de gentilhomme et qui, pour toute réponse, le fit jeter à la Bastille, Voltaire n'était sorti de sa prison que par la porte de l'exil, et il avait trouvé à Londres un asile, la liberté d'écrire, des amis. Dans la ferme de lord Bolingbroke, où venaient Pope et Swift, il avait vu réunis les plus hardis penseurs de l'Angleterre ; il y avait entendu les sarcasmes d'une incrédulité savante ; la révélation y était niée, la théologie couverte de mépris, la métaphysique même traitée de passe-temps inutile ; on y croyait à l'existence d'un Dieu, mais d'un Dieu non révélé, inaccessible, dont il y avait folie à chercher l'énigme, et l'on invitait l'homme à épouser la nature, en se reposant dans cette idée que tout ce qui est, est bien[46]. C'était donc là que Voltaire avait puisé ce déisme épicurien qu'il apporta ensuite aux Français, adouci, ménagé, prêché avec élégance et bon goût, mais sans exagération d'optimisme, — car un jour Voltaire écrira Candide. — D'un autre côté, il avait lu les livres du sage Locke, le seul qui ait appris à l'esprit humain à se bien connaître[47], et il s'était rendu sans effort à la doctrine, renouvelée d'Aristote : les idées nous viennent des sens. Que dire encore ? L'accueil enthousiaste fait par les Anglais à la Henriade, épopée de la liberté de conscience, n'avait fait que l'encourager dans son dessein de tuer le fanatisme. Ainsi, quand il revint en France, Voltaire y apportait l'éducation que l'Angleterre lui avait donnée : sa religion était le déisme, sa philosophie la sensation, sa morale la tolérance. Renverser le christianisme fut son but. Au besoin, il aurait trouvé dans les circonstances de sa vie particulière des motifs pour l'agression. Des prêtres venaient de refuser la sépulture à une pauvre comédienne, à une Phèdre qu'il avait tendrement aimée, mademoiselle Lecouvreur. Les convulsions ! il en connaissait mieux que personne les mensonges, lui dont le frère, Armand Arouet, s'était choisi un sérail parmi les plus jolies convulsionnaires[48]. Mais ce n'est point par des détails biographiques qu'on peut expliquer l'action des hommes de la trempe de Voltaire. Ici, pour expliquer un homme, il ne faut pas moins que l'histoire d'un siècle. Les temps étaient venus, et Voltaire éclata par les Lettres anglaises[49]. C'était tout une révolution intellectuelle que ces lettres : le parlement les fit brûler par la main du bourreau, et le libraire Jore perdit sa maîtrise. Mais l'impulsion était donnée. Voltaire se moqua du parlement qui avait aussi condamné l'émétique, alors qu'elle guérissait des conseillers de la grand'chambre[50] ; et, réfugié au château de Cirey, chez la marquise du Châtelet, il se mit à y fourbir de nouvelles armes. Cependant le domaine du christianisme était comme gardé par une grande ombre, celle de Pascal, et il la fallait écarter si on voulait passer outre. Aussi Voltaire s'étudia-t-il d'abord à ébranler la gloire de Pascal. Pour établir la vérité du christianisme, l'auteur des Pensées avait eu recours à un système d'une élévation imposante. Il avait présenté le christianisme comme seul propre à expliquer ce qu'il y a dans la nature humaine de sublime et de misérable à la fois. Chargé d'ennui, aussi incapable de bonheur que de connaissance, usant le peu de jours qui lui sont comptés à poursuivre des fantômes, impatient de ses joies comme de ses maux, dévoré du besoin de s'oublier, et dans les étourdissements de son ambition, dans le tumulte de ses fêtes, ne cherchant qu'un moyen de se dérober au spectacle de lui-même, de fuir le silence de son cœur, l'homme n'était, suivant Pascal, qu'imbécillité et corruption. Mais, d'autre part, cet être humain qu'il abaissait si cruellement, Pascal ne pouvait s'empêcher de l'admirer. Car enfin, l'homme tient de Dieu, puisqu'il en a l'idée. Ses pieds sont, il est vrai, fixés au sol par de grossières attaches ; attendez un peu : le voilà qui monte au plus haut de la région des étoiles, le voilà qui veille au centre des mondes endormis. Ne vous étonnez pas si, sachant qu'il mourra dans une heure, il garde un visage calme et fier ; pendant qu'on cloue les planches de son cercueil, son immortalité l'occupe. Découvrir les causes et la fin, jamais il ne le peut, mais toujours il l'essaye ; et si sa faiblesse se trahit par la constante inutilité de l'effort, sa supériorité n'en paraît que mieux dans son audace inépuisable et son désir indompté. Il aime, il veut, il espère, et ce pouvoir, d'espérer est un démenti à la croyance du néant. Comment expliquer tant de grandeur associée à tant de misère ? Pourquoi l'infini attire-t-il notre pensée, puisqu'il ne peut que l'opprimer et la remplir d'épouvante ? Atomes errants dans l'immensité mobile des cieux, d'où nous vient cet invincible désir de fixer autour de nous ce qui nous emporte, d'embrasser ce qui nous engloutit ? Pascal, à ces questions solennelles, n'avait trouvé d'autre solution que la fameuse hypothèse de la majesté primitive de l'homme et de sa déchéance, et adoptant le dogme du péché originel, point de départ du christianisme, il s'était écrié : Sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes[51]. Certes, c'était un coup de génie que d'avoir fait résulter la vérité de la religion chrétienne de ce que seule elle peut rendre compte de l'homme, de sa nature intime, de sa grandeur, de sa misère, et des surprenants contrastes qui se remarquent en lui. Et quelle profondeur dans ce langage adressé aux incrédules : Oui sans doute il y a quelque chose de ténébreux et de terrible dans un dogme qui nous montre toute la race des humains déchue, en expiation d'une faute commise par le premier d'entre eux ; mais, si cette croyance nous manque, notre esprit entre dans une nuit bien plus épaisse encore. Car alors c'est nous, nous-mêmes, qui sommes l'effrayant et suprême mystère. A des preuves d'une portée aussi haute, et l'on pourrait ajouter aussi épique, Voltaire opposa cette moquerie perçante, ce victorieux bon sens qui étaient son génie. Quoi ! l'homme serait inconcevable sans un mystère inconcevable[52] ! Quoi ! on en était venu à transformer en explication ce qui avait si fort besoin d'être expliqué ! Rendre compte des prétendues contrariétés de la nature humaine n'était point l'affaire d'une religion et n'en démontrait nullement la vérité. Mais d'ailleurs quel avantage la religion chrétienne avait-elle, à cet égard, sur l'antique fable de Prométhée et de Pandore, sur les Androgynes de Platon, sur les dogmes des anciens Égyptiens, ou sur ceux de Zoroastre[53] ? Voltaire suivait ainsi pas à pas l'illustre défenseur de la religion chrétienne. Si Pascal avait vécu du temps de Voltaire, imagine-t-on quel magnifique spectacle eût donné au monde le combat de ces deux intelligences souveraines ! Mais Voltaire s'attaquait à un génie tombé dans l'éternel silence. Il riait devant un tombeau. Et du reste, il faut le dire : Pascal s'était laissé entraîner, par l'effroi que le doute lui inspirait, à des affirmations trop cruelles pour être vraies. N'avait-il pas, continuateur attristé de Calvin et de Jansénius, gravé sur l'airain de son style leur désolante doctrine ? Mais ne le jugeons pas d'après son adhésion au jansénisme, fruit amer de son désespoir. Vouloir tout connaître avait été son mal : il en mourut. Avide de certitude, il s'était adressé aux sens, au sentiment, à la raison ; et dans ces trois sources tant vantées de nos connaissances, il ne trouva que jugements faux, témoignages suspects, impressions variables et contradictoires. Le point d'appui qu'Archimède avait demandé pour soulever le globe, Pascal l'aurait voulu pour soulever le monde immatériel, et le levier que promenait autour de lui sa forte main ne rencontra que le vide. Alors, convaincu de l'impuissance de la raison, il s'efforça de croire, de croire à la manière des idiots ou des enfants. Il se fit, à plaisir, humble et petit ; sa consolation eût été de s'ignorer ; mais la foi ne lui donna point le repos que lui avait refusé la raison. La religion est-elle bien certaine ? croyons : c'est moins périlleux que de ne croire point ! Telle fut, confessée à demi dans son livre, l'intime et constante pensée de ce grand homme aux abois. Il ne put ni douter ni croire : double et poignante impossibilité par où s'explique ce qui parut en lui de sublime et de puéril. La puérilité de Pascal. y eut-il jamais rien de plus émouvant ? Donc, ne l'accusons pas sans un respect douloureux, lui si incertain, hélas ! si combattu, si complètement martyr de son propre génie, d'avoir blasphémé la cause du progrès. Mais rappelons-nous plutôt que, par quelques-unes de ses pages immortelles, il mérite d'être placé dans la tradition révolutionnaire : La puissance des rois est fondée sur la raison et la folie des peuples, et bien plus sur la folie. L'égalité des biens est juste ; mais ne pouvant faire qu'il soit forcé d'obéir à la justice, on a fait qu'il soit juste d'obéir à la force. — Ce chien est à moi, disaient ces pauvres enfants ; c'est là ma place au soleil ! Voilà le commencement et l'image de l'usurpation de toute la terre. Ainsi avait parlé Pascal quand Voltaire parut ; et jamais Voltaire ne devait aller jusqu'à ces limites. Parmi les écrivains dominateurs du siècle précédent, Descartes, plus encore que Pascal, parut dangereux à Voltaire. Pourquoi ? Un jour qu'enfermé seul dans une chambre d'hiver, Descartes s'entretenait avec ses pensées[54], il conçut l'héroïque dessein de détruire de fond en comble l'édifice des opinions qu'il avait jusqu'alors adoptées, sauf à le rebâtir ensuite, soit avec des idées plus vraies, mieux prouvées, soit avec les mêmes, lorsqu'il les aurait ajustées au niveau de sa raison[55]. Le voilà donc doutant de tout ; le voilà rejetant de son esprit, par un effort sans exemple, toutes les croyances qui reposent sur l'autorité des autres hommes. C'en est fait : il n'y a plus autour de lui que le vide et la nuit. Mais pour douter, il faut au moins penser que l'on doute, et pour penser, il faut être. Ainsi, dans la solitude des mondes évanouis comme les visions d'un rêve, une chose est restée invinciblement debout : la pensée ; et la certitude de la pensée fournissant à Descartes celle de l'existence, il a trouvé au temple des connaissances humaines une base qu'il ose proclamer inébranlable. Je pense, donc je suis, vérité première, incontestable, qui va lui servir, de déduction en déduction, à établir toutes les autres. De la nature pensante de l'homme, une fois admise, Descartes tirera successivement la preuve que nous avons une âme distincte du corps, la preuve qu'il y a un Dieu, la preuve que le monde extérieur est réel[56], etc. Et, après avoir de la sorte reconstruit l'édifice qu'il s'était plu à renverser, Descartes le déclarera hautement et hardiment indestructible. Ne doutez plus de Dieu, ni de l'âme, ni du monde réel : Descartes a rencontré le principe de certitude, et ces notions, qu'il en a déduites, il les donne comme aussi assurées désormais que des théorèmes de géométrie. Il est parti du doute, mais il l'a épuisé, il l'a vaincu. Il a saisi pour son usage personnel le droit d'examen, mais il l'a désarmé. Un moment révolutionnaire en philosophie, Descartes semble avoir eu la prétention de fermer à jamais la porte aux révolutions. Hier il doutait, aujourd'hui il s'impose. On sent combien, dans l'indépendance de son esprit, Voltaire devait être blessé de ce que le dogmatisme cartésien présentait d'absolu et d'impérieux. Comment attaquer efficacement l'Église, si l'on admettait l'infaillibilité de ce Descartes qui avait employé la raison même à la démonstration des choses de foi qu'en matière de philosophie l'Église enseignait ? Aussi Voltaire se montre-t-il partout, dans ses livres, fort animé contre le célèbre inventeur de la Méthode. Il voulait qu'on s'abstînt de le lire ; il le dénonçait comme un guide trompeur et qui n'était pas exempt de charlatanisme. Tous ses calculs sont faux, s'écriait-il[57], tout est faux chez lui, hors la sublime application qu'il a faite le premier de l'algèbre à la géométrie. Au surplus, en s'attachant à ébranler la réputation de Descartes, en décriant sa métaphysique, en exaltant Locke, en prêchant la doctrine des sensations, Voltaire était l'homme de son époque et l'apôtre fidèle de l'individualisme. Car, si par la pensée l'homme se répand au dehors et se prodigue, par la sensation au contraire il ramène tout à lui. Prenez un philosophe croyant au sensualisme et conséquent à sa foi : rien autour de lui qui ne soit créé pour le servir ou lui plaire. Le soleil ne s'épanouit dans les cieux qu'afin de lui donner par le sens de la vue l'idée de lumière. Il devient un point de convergence au milieu de l'univers. Quelle importance attribuée à l'individu ! Mais aussi quel encouragement à l'égoïsme ! Dans la logique d'un tel système, n'attendez pas de l'homme ce dévouement sublime au malheur abstrait, aux douleurs éloignées : le sensualiste n'a que des notions relatives ; il s'intéresse uniquement à ce qu'il touche ; il ne compatit qu'aux douleurs visibles, au malheur saisissable ; il n'est ému que par les gémissements qui sont venus frapper son oreille ; son idéal enfin ne dépasse point les bornes de l'horizon. Il n'aura pas, à moins que son cœur ne contredise sa théorie, de ces nobles élans qui, sur les ailes de la pensée, avec le désintéressement qu'elle donne et la soudaineté de son vol, nous transportent au delà du monde sensible et nous élèvent de la sensation environnante jusque sur les cimes d'où l'on embrasse l'humanité. Mais c'était précisément parce qu'elle servait la cause de l'individualisme, qu'au dix-huitième siècle la philosophie des sensations devait prévaloir. Hobbes l'avait inaugurée en Angleterre sous des formes brutales ; Locke lui avait donné de plus sages allures ; Voltaire venait de l'importer en France sans pédantisme : Condillac la développa clairement, méthodiquement, avec une austère élégance, et au moyen d'hypothèses ingénieuses. Il supposa l'homme à l'état de statue organisée, puis il exposa comment les premières idées lui venaient par les yeux ; comment des notions plus justes et plus complètes lui étaient ensuite fournies par le sens du toucher, instruisant celui de la vue[58]. Notre œil voit, la sensation lui apprend à regarder, l'expérience lui enseigne à discerner, à choisir. Plein de son hypothèse qu'il trouvait heureuse, Condillac la prolongeait à plaisir ; il promenait à travers les mille accidents de la vie son impressionnable statue ; il lui faisait peur des ténèbres, en attendant qu'elle fût détrompée par l'aurore, de manière à lui donner une mesure du temps et l'idée même de la durée par les alternatives du jour et de la nuit[59]. En confondant la sensation avec l'idée, ou plutôt en déclarant l'idée fille de la sensation, Condillac rendait l'âme esclave des sens ; il la réduisait, même dans son essor le plus hardi, à la condition de l'oiseau qui traîne dans les airs les liens de sa servitude. La philosophie de Condillac tendait conséquemment à particulariser les sentiments de l'homme ; elle aboutissait à l'individualisme. Après avoir parcouru le monde, respiré le parfum des fleurs, écouté les harmonies de la nature, goûté les fruits de la terre et perfectionné l'éducation de ses organes, il devait arriver que la statue animée se ferait homme, proclamerait sa personnalité, se couronnerait de ses mains et remonterait sur son piédestal. Nous avons dit le chef, indiqué le drapeau : bientôt il sera temps de faire mouvoir l'armée. Mais d'abord, à qui fut-il donné de la rassembler, de la conduire au combat ? Car, presque toujours absent de Paris, Voltaire ne pouvait commander que de loin ; et c'était sous son inspiration plutôt que sous ses ordres qu'on allait marcher en avant. Il est rare qu'il n'y ait point dans les armées un de ces capitaines cyniques, fougueux et bons, insubordonnés mais illustres, qui bravent la défaite et tentent l'impossible, qui se battent partout où l'on se bat, et qui, pour décider des rencontres, n'ont souvent qu'à se montrer, les vêtements et les cheveux en désordre, le bras étendu. Ces héros sympathiques s'appellent Kléber à Héliopolis ; dans une assemblée, Danton ; parmi les philosophes militants, Diderot. Diderot n'était pas un grand seigneur bourgeois comme Voltaire. Le fils du bon forgeron de Langres[60] n'était pas un homme à ménager les princes en frappant sur les prêtres. Aussi, pas de précautions chez lui, pas de réticences, sa vie est tout en dehors. A travers le dix-huitième siècle, il passe et repasse à chaque instant, toujours en éveil, prêt à oser, parlant haut, débordant de verve, plein de chaleur et tourmenté du besoin de communiquer le feu qui l'anime. Doué de la plus noble des générosités, celle de l'esprit, il dépensait ses idées avec l'insouciance d'un riche dissipateur. Tantôt il insérait quelque chapitre révolutionnaire dans l'Histoire philosophique des deux Indes de l'abbé Raynal[61] ; tantôt il improvisait, pour la Correspondance de Grimm, des pages brûlantes. A son cinquième étage de la rue Taranne, où le visitaient les philosophes, les poètes, les abbés, les fous et les princes, il ouvrait sa porte à chacun. Il donnait au premier venu son talent, son génie. il ne les vendit jamais. L'action de Diderot sur son époque fut immense, et elle s'exerça principalement par la parole. Là éclatait sa nature révolutionnaire, et les meilleures pages de ses livres ne sont elles-mêmes que des lambeaux de discours enflammés. Dans les réunions des philosophes, chez madame Geoffrin ou bien aux Tuileries, en plein air, il étonnait par l'éclat de ses aperçus et le mordant de ses paradoxes. En vain Suard lui opposait-il quelquefois des observations délicates et justes, son éblouissante improvisation effaçait tout, et facilement il élevait la causerie jusqu'à l'éloquence, pour peu qu'on eût touché quelque fibre de sa riche organisation, instrument à mille cordes qui résonnait aux moindres vibrations de l'air environnant. Porté sur la fantaisie, Diderot n'avait pas plutôt abordé une question qu'il en atteignait les extrémités. S'il venait à se prendre d'amour pour la nature, il l'aimait au point de la confondre avec Dieu, comme il le fit dans sa fameuse Lettre sur les aveugles[62]. S'il étudiait la matière, il la décomposait avec tant de passion, que bientôt s'oubliant au milieu des phénomènes admirés, il croyait y découvrir une sensibilité latente et sourde qui, par les combinaisons d'une industrie heureuse, pouvait se développer jusqu'à devenir la pensée, jusqu'à être la conscience[63]. S'il explorait le domaine de la morale, il arrivait à la faire dépendre de nos organes et s'écriait : Ah ! madame, que la morale des aveugles est différente de la nôtre ! Que celle d'un sourd différerait encore de celle d'un aveugle, et qu'un être qui aurait un sens de plus que nous trouverait notre morale imparfaite ![64] Les mœurs ne seraient-elles pas une tyrannie d'invention humaine ? Il ne répugne pas à Diderot qu'on le pense, et lorsque, dans le Supplément au voyage de Bougainville, il célèbre les grandeurs et les abandons de l'état sauvage, son but est moins, ce semble, de stigmatiser la savante corruption des sociétés que de les affranchir de la pudeur. Malheureusement, la trace des hardiesses philosophiques semées dans les Interprétations de la nature et les Entretiens sur le rêve de d'Alembert, ne devait pas s'effacer de sitôt ; elle reparaîtra dans les bas-fonds de la Révolution française. En revanche, que de fécondes pensées jaillirent de ces excès de l'audace ! Ne dirait-on pas que Diderot est de notre dix-neuvième siècle, quand il écrit : Vous avez pitié d'un aveugle ? Eh ! qu'est-ce qu'un méchant, sinon un homme qui a la vue courte ?[65] ou bien, quand réfugié dans un coin du Café de la Régence, il dessine en traits impérissables la figure du Neveu de Rameau, personnage étrange, sans modèle dans les livres, aussi curieux que Panurge, moins banal et plus profond que Figaro. Ô société ! regarde de sang-froid, si tu le peux, à quel degré d'abaissement est tombée la nature d'élite de ce Neveu de Rameau[66] ! Qu'as-tu fait de cette intelligence supérieure ? Pourquoi sa naturelle grandeur n'est-elle plus qu'une puissante et calme bouffonnerie, que la sérénité dans l'abjection ? Drapé dans ses guenilles, qui rappellent à Diderot les habits troués de sa jeunesse indigente, Rameau confesse son état de dégradation avec le bon goût d'un vieux gentilhomme. C'est un misérable, mais inoffensif, dont l'esprit s'est conservé délicat et transcendant, pendant que son âme descendait dans la boue. Un fiacre est son asile ordinaire, son unique ami. Souvent il passe les nuits claires dans l'avenue des Champs-Élysées, et on le rencontre habillé de la veille pour le lendemain. Il vit du grotesque de sa misère, dont on s'amuse en lui prêtant un écu qu'il ne rendra pas. Ses ridicules lui sont payés un morceau de pain. Caricature tragique de la dépravation à laquelle un être intelligent, un être humain, peut être réduit au sein d'une société qui, lui soufflant des passions et le laissant pauvre, lui donne à choisir entre une immoralité pressante et l'héroïsme ! Ne sentez-vous point là quelque chose des préoccupations du dix-neuvième siècle, et comme un pressentiment du socialisme contemporain ? Maintenant, qu'il s'agisse pour les philosophes de faire une œuvre commune, Diderot sera l'homme indispensable. Seul, en effet, Diderot résumait les variations de l'esprit philosophique. Aujourd'hui rêveur, demain géomètre ou mécanicien, bien autrement universel que Voltaire, capable de soutenir avec les médecins matérialistes que la pensée n'est qu'une fermentation du cerveau, et d'aller ensuite pleurer, à l'Ermitage, avec le spiritualiste Jean-Jacques, sur les malheurs de la Nouvelle Héloïse, seul Diderot pénétrait et savait ses amis les philosophes, seul il était propre à leur être à la fois un lien et un aiguillon, à changer leurs doutes en colère, et à conduire à l'assaut leur troupe désordonnée, après l'avoir rendue impétueuse et résolue comme lui-même. Nous voici à la fondation de l'Encyclopédie. Je me figure un architecte qui, sous prétexte de vérifier toutes les pierres qui composent un monument, les détacherait une à une, démolirait peu à peu l'édifice, et, après l'avoir détruit de fond en comble, laisserait le sol couvert de ruines : voilà l'image du travail des encyclopédistes. Quelle audace ! Tout examiner, tout remuer sans exception et sans ménagement[67] ; réunir en un seul ouvrage les innombrables trésors de la connaissance humaine ; rappeler les opinions de tant de sages de l'antiquité ou des temps modernes, leurs croyances, leurs doutes, leurs contradictions, les incertitudes ou les angoisses de leur esprit ; embrasser, entasser dans un dictionnaire alphabétique ce qui ne fut jamais confondu : la théologie et la physique, le commerce et les belles-lettres, l'histoire naturelle, les arts, les langues, les religions, et cela dans l'ordre apparent que fournit le hasard des initiales, et qui n'est, à vrai dire, qu'un vaste désordre ; appeler l'ancien monde au spectacle de sa décomposition, l'analyser, le mettre en pièces, et se servir des lumières du passé pour le mieux détruire., une telle entreprise n'étonna point le génie de Diderot, génie passionné, bouillant, et, en dépit de sa mobilité journalière, opiniâtre dans ses projets. L'Encyclopédie, comme c'est bien là le résumé du dix-huitième siècle philosophique, son œuvre par excellence. Le siècle de Descartes avait procédé par la synthèse, celui de Voltaire devait procéder par l'analyse. L'un avait trouvé et vanté la méthode, l'autre la dédaigne et la nie. A parcourir l'Encyclopédie, on éprouve un vague sentiment de tristesse. On se croirait dans ces champs de Palmyre, célèbres par des débris. La démonstration de l'existence de Dieu, la théorie de l'entendement, les disputes des hommes sur l'âme et son origine et sa destinée, se présentent pêle-mêle avec des descriptions de machines ou des procédés de chimie. La confusion est immense. Et de tant de sciences il ne reste plus que des mots, de chaque ensemble que des parties, de chaque famille que des individus : mille pierres éparses marquent la place de tout ce qui était monument. Mais, œuvre du scepticisme, l'Encyclopédie pouvait-elle affecter une autre forme ? Mettre de l'ordre dans les notions et les ranger, c'est croire, c'est reconnaître un guide et le suivre. Le désordre est une manière d'être naturelle aux sceptiques : il avait caractérisé, au dix-septième siècle, le fameux livre de Bayle. Ce n'est pas qu'il fût dans la pensée des encyclopédistes de ne léguer aux générations à venir que la destruction et la nuit. Ils allaient abattant les croyances anciennes sans scrupule, sans hésitation, parce qu'ils comptaient laisser un livre dont les matériaux serviraient à refaire les connaissances, parce qu'ils se figuraient qu'après le déluge des opinions humaines, leur arche surnagerait, remplie des éléments nécessaires pour repeupler l'univers intelligent. Certes, il y avait à concevoir de tels projets une audace peu commune ; et quelle prudence ne demandait pas l'exécution ! Or, il arriva justement que les deux qualités requises se trouvèrent chez les deux éditeurs de l'Encyclopédie. Diderot, le plus aventureux des penseurs, eut pour collègue d'Alembert, le plus prudent des philosophes. Puissante et singulière association ! Géomètre illustre et de premier ordre, prince de la science, dispensateur des couronnes académiques, d'Alembert avait toujours veillé attentivement sur la tranquillité de sa gloire. En fait de religion, et même de métaphysique, le doute était la constante habitude de son esprit, et toute sa correspondance le dit sceptique ; mais l'incrédulité qu'il épanchait avec un sourire dans ses lettres intimes, il la voilait d'une main soigneuse aux regards orthodoxes, ou, du moins, il n'en laissait voir que le côté permis. Sa finesse, un peu cauteleuse, rachetait ainsi l'intempérance philosophique de Diderot, toujours prompt aux entreprises. Oui, tandis que le téméraire auteur de la Lettre sur les aveugles sortait du donjon de Vincennes aussi impétueux qu'avant d'y entrer[68] ; tandis qu'il s'échappait en saillies d'impiété, déclamait ses dithyrambes contre Dieu, et ouvrait toutes grandes ses deux mains qu'il croyait pleines de vérités, d'Alembert, tacticien plus adroit que ne l'était Voltaire lui-même, se cachait pour frapper l'infâme et lançait la flèche sans montrer la main[69]. Cette circonspection de d'Alembert le rendait éminemment propre à écrire le Discours préliminaire de l'Encyclopédie. Talent, mesure, convenance, dignité, rien ne manquait à cette lumineuse exposition des connaissances humaines et de leur enchaînement glorieux. Suivait un tableau des merveilles enfantées par le génie moderne, tableau imposant dans lequel la France et les nations étrangères pouvaient lire avec orgueil les noms de Descartes, de Pascal, de Galilée, de Newton, de Leibnitz, et de ce François Bacon auquel, justement, d'Alembert venait d'emprunter sa méthode. Ce fut un chef-d'œuvre d'habileté que ce discours préliminaire. D'Alembert y posa les principes de la spiritualité de l'âme et de l'existence de Dieu[70] avec autant de fermeté que l'aurait pu faire Descartes. La conscience des vérités morales, il l'appelait évidence du cœur[71], lui reconnaissant le même empire qu'aux axiomes mathématiques. En un mot, il affectait une orthodoxie qu'il est bien permis de suspecter. Du reste, adoptant, dans sa partie la moins compromettante, la philosophie du jour, d'Alembert n'avait eu garde de laisser dans l'ombre la doctrine des sensations[72], qui est par essence, comme nous l'avons dit, la doctrine de l'individualisme. Aussi l'illustre écrivain tombait-il en contradiction avec lui-même lorsqu'il saluait l'autorité du génie, sentiment qui crée, l'autorité du goût, sentiment qui juge. Où règne la philosophie des sensations, chacun peut juger à sa manière et s'écrier : De quel droit m'imposerait-on des règles que ma sensation personnelle repousse ? Si la frise du Parthénon ne me touche point ; si la couleur de Rubens n'a rien qui m'enchante, je nie Rubens et Phidias. Ainsi, à y regarder de bien près, le mouvement révolutionnaire n'était pas sans percer jusque dans le discours destiné à le couvrir. Car il est certain que le travail de d'Alembert n'était qu'un magnifique rideau tiré sur le renversement des croyances antérieures. Qu'on se refuse à honorer tant de dissimulations, ce n'est pas nous qui oserions y contredire. Mais serait-il juste d'oublier sous quel régime écrivaient les philosophes et ce que doit à leurs stratagèmes notre plume affranchie ? Et ils connaissaient bien leur temps ! A peine quelques volumes de l'Encyclopédie eurent-ils paru, que le fanatisme les dévora pour y chercher des idées révolutionnaires. En vain lisait-on la signature d'un abbé au bas des articles Âme, Athée, Dieu[73], la sagacité des molinistes découvrait sans peine dans quelque article obscur l'hérésie du fatalisme. On put remarquer qu'au mot Fortuit, le malicieux géomètre ébranlait la théorie du libre arbitre, formellement reconnue dans le discours préliminaire. Quant aux jansénistes du parlement, parmi lesquels Voltaire distinguait des tigres aux yeux de veau[74], leur impitoyable clairvoyance nota le matérialisme de Diderot s'écriant : Qu'importe que la matière pense ou non ?[75] Il n'échappa ni aux théologiens de la Sorbonne, ni aux zélés de la grand'chambre, ni aux violents défenseurs de la bulle Unigenitus que, si l'article Dieu était irréprochable, le lecteur, renvoyé à l'article Démonstration, y trouvait contre l'idée de l'infini des traits d'une ironie lointaine et jugée d'autant plus dangereuse. Il fallait donc se résigner à des ménagements extrêmes, et abriter derrière la collaboration rassurante de l'abbé Yvon et du chevalier de Jaucourt les témérités philosophiques de l'abbé de Prades, de Morellet, de Dumarsais, de Raynal, de Voltaire enfin écrivant sous le nom d'un prêtre de Lausanne ; stratégie dont l'âme ardente et ouverte de Diderot ne subissait qu'en frémissant la nécessité, mais à laquelle se pliait sans effort son calme confrère. Aussi, quand Voltaire se plaignait de rencontrer dans l'Encyclopédie des articles de métaphysique et de théologie, dignes, selon lui, d'avoir place dans le Journal de Trévoux, rédigé par des jésuites, Il y a, répondait tranquillement le géomètre-philosophe[76], d'autres articles moins au jour où tout est réparé. Le temps fera distinguer ce que nous avons pensé de ce que nous avons dit. Cependant, l'ouvrage attirait à ses deux principaux auteurs d'innombrables vexations ; on les poursuivait de satires, autorisées, applaudies, récompensées, commandées par le parti du dauphin ; l'œil des censeurs était continuellement sur le livre redouté : et l'on sonnait contre lui à Versailles des tocsins[77] qui annonçaient une persécution imminente. D'Alembert se découragea. Dans l'article Genève, il avait cherché à prouver que le protestantisme mène au socinianisme, c'est-à-dire à la négation de la divinité de Jésus-Christ : les ministres de Genève, qu'on félicitait de leur tendance à devenir incrédules, se tinrent pour insultés ; ils protestèrent, ils se plaignirent à la cour de France, et d'Alembert résolut d'abandonner l'Encyclopédie. Mais Voltaire, de loin, encourageait les combattants, il conjurait d'Alembert de ne pas donner aux ennemis la joie de sa retraite ; il lui demandait avec inquiétude si rien n'avait troublé l'union des associés, si Diderot persistait ; il leur criait à tous : Si vous vous séparez, vous êtes perdus[78]. Mais la persécution ne pouvait rien contre une œuvre qui était en quelque sorte portée par le dix-huitième siècle, qui paraissait sous les auspices du comte d'Argenson[79], qui eut des protecteurs jusque dans le cabinet de Choiseul, jusque dans le palais du roi. Censurée par des brefs du pape, atteinte par des arrêts du conseil, exposée à la colère du parlement, l'Encyclopédie resta debout[80]. Un nouveau cheval de Troie était entré dans les murs de la ville assiégée. L'ancienne société l'avait vu d'abord sans défiance s'introduire au milieu d'elle ; et bientôt, conduits par Ulysse, les philosophes en sortirent armés, pour prendre, pour saccager Ilion. L'orgueilleux et impatient désir de battre en brèche l'autorité des traditions, de convaincre le sentiment général de folie, la prétention dans chacun de se rendre juge de chaque chose, le rationalisme, en un mot, voilà ce qui parut alors prévaloir. Et il y eut cela de remarquable, qu'au lieu de rabaisser la raison comme avait fait Montaigne, les philosophes du dix-huitième siècle se mirent à la vanter outre mesure. Voici le secret de cette différence : Montaigne avait attaqué l'état social, non pas seulement dans telle ou telle de ses formes, mais dans son essence ; et c'était en niant que l'homme fût fait pour vivre en société, c'était en le comparant aux animaux qu'il avait été conduit à découronner la raison. Or, les philosophes du dix-huitième siècle, dans l'apostolat de l'individualisme, n'avaient garde d'aller aussi loin que Montaigne. Ils ne criaient pas à l'homme de fuir la société, ils lui criaient au contraire d'y rester, sauf à y vivre indépendant. Et comment assurer cette indépendance, comment briser la chaîne des croyances traditionnelles ou imposées, si l'on ne parlait pas au nom de la raison et si l'on n'en professait pas le culte ? Malheureusement, la raison, quand chacun la cherche de son côté, n'est pas une divinité facile à reconnaître. La raison de Pascal n'avait pas été celle de Voltaire, et la raison de Voltaire ne fut pas celle de Jean-Jacques. En proclamant, sans restriction, d'une manière absolue, la religion du rationalisme, on élevait autant d'autels rivaux qu'il pouvait y avoir de fidèles ! Aussi l'anarchie intellectuelle fut-elle immense. Chez le baron d'Holbach, qui recevait les philosophes à
dîner les dimanches et les jeudis, leur réunion faisait éclater les plus
profondes dissidences ; difficilement eût-on deviné l'existence d'une école
dans ces banquets périodiques, états généraux de la philosophie, où la
variété des tempéraments n'était pas l'unique secret de la divergence des
pensées. Entrez chez le baron d'Holbach, écoutez le bruit des conversations
qui se croisent, ou bien une dispute solennelle : les convives ne sont
d'accord sur aucun point, ni sur Dieu, ni sur la morale, ni sur le libre
arbitre, ni sur l'âme. Diderot, couvrant toutes les voix, déclame avec
chaleur contre le Dieu des fanatiques, et on croit l'entendre s'écrier : Partout où il y a un Dieu il y a un culte, partout où il y
a un culte, l'ordre des devoirs moraux est renversé. Il arrive un moment où
la notion qui a empêché de voler un écu, fait égorger cent mille hommes[81]. En vain,
[appuyé par Suard et Marmontel, l'abbé Morellet soutient intrépidement le
Dieu de la Sorbonne, et contre l'éloquence emportée de Diderot, et contre la
redoutable érudition de d'Holbach ; il faut qu'un Italien, dont nous
retrouverons plus tard la figure originale, vienne au secours du déisme par
quelque saillie spirituelle et familière : Je
suppose, messieurs, mon ami Diderot jouant aux trois dés dans la meilleure maison
de Paris, et son antagoniste faisant une fois, deux fois, trois fois, enfin
constamment rafle de six. Pour peu que le jeu dure, mon ami Diderot, qui perdrait
son argent, dira sans hésiter : Les dés sont pipés ; je suis dans un
coupe-gorge. Ah ! philosophe, comment ! parce que dix ou douze dés sont sortis
du cornet de manière à vous faire perdre six francs, vous croyez que c'est en
conséquence d'une manœuvre adroite, d'une friponnerie bien tissue, et en
voyant dans cet univers un nombre si prodigieux de combinaisons mille et
mille fois plus compliquées et plus soutenues et plus utiles... vous ne soupçonnez pas que les dés de la nature sont
aussi pipés, et qu'il y a là-haut un grand fripon qui se fait un jeu de vous attraper
![82]
Ainsi, sous une forme triviale et enjouée, Galiani renouvelait contre
l'athéisme le plus sérieux argument des confesseurs de la Divinité. Voyons !
y aura-t-il une chose au monde qui ne soit mise en question par ces
philosophes rassemblés ? La Divinité ? Fréret la considère comme un fantôme
de notre imagination[83]. La spiritualité
de l'âme ? Helvétius la range au nombre des hypothèses[84]. La métaphysique
? ce n'est qu'un dédale de conjectures suivant d'Alembert, et il jure que
dans ces ténèbres il n'y a de raisonnable que le scepticisme[85]. L'histoire ? Boullanger
en fait un recueil de légendes, une galerie de figures cabalistiques, un
songe écrit[86].
On croit aux personnages de l'antiquité, à ceux de la primitive Église ? Erreur
: ce sont des êtres chimériques ; et dans leur nom même l'ingénieux et savant
Boullanger prétend découvrir le secret de la vie qu'on leur attribue.
L'existence de saint Pierre n'est qu'une fiction empruntée à la tradition de
l'antique Janus, accompagné du coq symbolique et tenant les clefs des portes
de l'année, comme le chef des apôtres tient les clefs qui ouvrent les portes
du ciel[87].
Pilate, au lieu d'être le juge qui voulut absoudre Jésus-Christ, n'est plus
qu'un magistrat imaginaire, que dis-je ? un mot hébreu, un prétérit de verbe
signifiant celui qui a jugé. D'autres contestent le déluge universel et
calculent qu'il aurait fallu pour submerger le globe vingt fois plus d'eau
que les mers n'en peuvent contenir. Quelques-uns demandent avec ironie
comment la terre a pu se couvrir d'habitants innombrables deux ou trois cents
ans après Noé[88],
et si la fécondité humaine fut jamais capable de mettre au jour en si peu de
temps soixante milliards de personnes, comme l'assurait certain jésuite qui
créait des populations à coups de plume. Il va sans dire que, dans cet
universel effort de démolition, l'on n'avait souci des dogmes du
christianisme, de ses miracles, de ses mystères ; et c'était sur un ton de
triomphe que Diderot répétait ces paroles d'un gentilhomme gascon : Quel est donc ce Dieu qui fait mourir Dieu pour apaiser
Dieu ?[89] Nous n'avons pas encore nommé un des plus beaux et des plus audacieux génies du dix-huitième siècle, Buffon. C'est qu'en effet il se tenait volontiers à l'écart par crainte du péril et gravité. Mais il n'en servait pas moins le mouvement philosophique dirigé contre les anciennes croyances et la tradition religieuse, lorsqu'il composait, au moyen d'éloquentes conjectures, sa Théorie de la terre. Fallait-il admettre, comme il le supposait, que la terre n'était qu'un lambeau du soleil, détaché autrefois de cet astre par le choc d'une comète ; que l'Océan avait, à diverses reprises, séjourné sur nos continents ; que c'étaient les courants de la mer qui avaient creusé les vallons, élevé les collines ; qu'il y avait eu jadis des animaux dont l'espèce se trouvait aujourd'hui éteinte, mais dont l'existence était attestée par les os fossiles de grandeur et de forme extraordinaires qui se voient en Sibérie, au Canada, en Irlande ? Fallait-il avec lui[90] expliquer la génération des êtres vivants par l'hypothèse de molécules organiques, indestructibles, toujours actives et spontanément fécondes ? Évidemment, tout cela contredisait le texte de l'Écriture, démentait la narration de Moïse, et même donnait à penser que cette terre, tombée du soleil, avait bien pu se passer des solennités de la création racontée par la Genèse. Les prêtres ne s'y trompèrent pas. Le premier volume de l'Histoire naturelle, contenant la Théorie de la terre, avait paru en 1749 ; et dès le mois d'août 1750, quatorze propositions, extraites de l'ouvrage, étaient déférées à la Sorbonne. Elle allait fulminer : Buffon conjura l'orage en protestant de sa soumission aux vérités révélées et de son respect pour l'Écriture[91] ; mais le coup était porté, et c'étaient de terribles coups que ceux qui partaient de semblables mains. Que si maintenant on embrasse l'ensemble du mouvement philosophique qui vient d'être rappelé, et qu'on en veuille savoir le dernier mot, un homme l'a dit : c'est Helvétius. Soit qu'il courût s'asseoir à la table de d'Holbach, soit qu'il réunît les philosophes à la sienne, Helvétius n'avait qu'une ambition, l'ambition de l'intelligence. Car, depuis que Voltaire l'avait gracieusement surnommé Atticus, l'élégant fermier général brûlait de ressembler autrement que par son opulence au financier romain et se montrait fort avide de gloire. Incapable, d'ailleurs, de pressurer des malheureux, Helvétius aimait mieux offrir sa bourse aux gens de lettres que d'aller puiser dans celle d'un' pauvre paysan. Il avait donc abandonné les finances pour la philosophie, et il était impatient de faire un livre digne de rester. Il le fit, et comment ? Tandis que, invités par Helvétius, les philosophes se livrent à leurs disputes ordinaires, lui, amphitryon silencieux et de sang-froid, il est attentif aux moindres paroles, il se tient en observation, prêt, ainsi qu'il le dit lui-même, à faire la chasse aux idées[92]. Pas une vérité, pas une erreur ne s'échappent qu'Helvétius ne les ramène à lui ; les traits, les aperçus nouveaux, les paradoxes, il les saisit au passage et les inscrit aussitôt dans les registres de sa mémoire. Si un doute le tourmente, il le lance dans la discussion[93], au milieu des convives échauffés et aux prises, bien sûr que quelques éclairs jailliront de la bouillante verve de Diderot ou de la sagacité de Suard, de la mémoire prodigieuse du baron d'Holbach ou de la pensée de cet abbé Galiani, toujours vif, actif, plein de raison et de plaisanteries[94]. Eh bien, que voyons-nous sortir de ces conversations des philosophes, écoutées, enregistrées, analysées, résumées par Helvétius ? quelle est, pour ainsi dire, la résultante de ces opinions mises en présence ? Le livre de l'Esprit. Et qu'est-ce que ce livre ? Le code même de l'individualisme, la théorie du moi. Or, n'oublions pas qu'Helvétius avait une âme généreuse et des vertus qui réfutaient sa doctrine. Tant il est vrai que c'était le secret de l'école qu'il livrait et non le sien ! tant il est vrai que sa parole ici n'était qu'un écho ! Personne donc, suivant Helvétius, qui ne soit le centre et le pivot de tout : nos idées, nos jugements même ne sont que des sensations, et notre mémoire est une sensation continuée ; le seul genre d'esprit ou de mérite que nous prisions c'est le nôtre ; nous n'admirons, nous ne poursuivons dans autrui que notre image ; nos passions n'ont qu'une source : la sensibilité physique, elles se réduisent à l'amour du plaisir et à la crainte de la douleur ; l'intérêt personnel enfin est l'unique mobile de nos actes, auxquels la société donne le nom de vertus ou de vices, selon le profit qu'elle en retire ou le mal qu'elle en éprouve. L'intérêt personnel ! il n'est pas jusqu'aux royaumes de l'imagination qui ne relèvent de son empire. Enchanteur inaperçu, c'est lui qui remplit de doux fantômes l'âge de nos illusions et qui dessine le pays de nos rêves : Une femme galante qui observait la lune ne croyait voir au bout de son télescope que d'heureux amants penchés l'un sur l'autre[95]. En poussant jusqu'aux dernières limites sa démonstration, Helvétius se plaisait à établir que cette loi de l'intérêt personnel régissait despotiquement tous les êtres organisés, depuis le plus noble des hommes jusqu'au plus vil des animaux, et formait la base unique, invariable des jugements ou des instincts. Les insectes qui vivent dans la pulpe des herbes ne regardent-ils pas avec horreur le mouton qui pâture dans les plaines et dont nous avons fait l'emblème de la douceur ? S'il nous était donné de comprendre leur langage, ne les entendrions-nous pas s'écrier : Fuyons cet animal vorace dont la gueule engloutit et nous et nos cités. Que ne prend-il exemple sur le lion et sur le tigre ? Ces animaux bienfaisants ne détruisent point nos habitations, ils ne se repaissent point de notre sang : justes vengeurs du crime, ils punissent sur le mouton les cruautés que le mouton exerce sur nous[96]. Ainsi, dans le livre d'Helvétius, l'absolu était banni du monde. Vérité, vertu, dévouement, héroïsme, intelligence, génie, tout devenait relatif ; et chacun ne jugeant de tout que d'après lui-même, d'après lui seul, la société tombait en dissolution. Ce n'est pas qu'il n'y eût dans ce livre fameux une foule d'observations fines, d'ingénieux rapprochements. Et même, Helvétius semblait aller au-devant des objections lorsqu'il disait : La vertu consiste à concilier son intérêt propre avec l'intérêt général. Oui sans doute la vertu ne serait que cette glorieuse harmonie dans un état social assez parfait pour supprimer la nécessité du sacrifice ; mais quand César met le pied sur la liberté romaine, Caton peut-il protester autrement que par le généreux oubli de son intérêt personnel, c'est-à-dire en se déchirant les entrailles ? N'y a-t-il pas une puérile subtilité à prétendre que ceux-là ont en vue leur intérêt personnel, qui, noblement amoureux d'une idée vraie, la proclament d'un cœur intrépide dans un siècle qui la repousse, et n'hésitent pas à appeler sur eux l'injure, la calomnie, la persécution, quelquefois la mort dans l'ignominie ? Nous l'avons dit, il faut le répéter : la théorie du moi, le code de l'individualisme, voilà ce que fut et ce que devait être un livre inspiré par les discussions des philosophes du dix-huitième siècle. Mais hâtons-nous d'ajouter que, dans leur honnête candeur, ils furent effrayés de la portée de leurs doctrines, ainsi présentées et complétées. Ne voulant pas s'avouer que telles fussent les conséquences logiques de leurs principes, ils refusèrent de se reconnaître dans le miroir qu'Helvétius venait de leur mettre hardiment devant les yeux ; Voltaire gronda[97] ; et les philosophes traitèrent de paradoxal un ouvrage qui n'était que la quintessence de leurs entretiens ! Cependant, une voix s'était élevée, si mâle et si forte, qu'elle couvrit tout le bruit du dix-huitième siècle. On avait vu, soudain, se mettre en travers du mouvement qui emportait la société, un homme, un seul homme : et c'était un pauvre enfant de Genève, qui avait été un vagabond, qui avait été un mendiant et un laquais ! Immortel et infortuné Jean-Jacques ! lorsque après avoir erré de village en village, oubliant sa misère dans ses rêveries, il arrivait à la porte de madame de Warens, et tremblait, sans se l'avouer, de ne pas obtenir le morceau de pain promis et attendu, qui lui aurait dit qu'un jour il posséderait, la plume à la main, cette impétueuse éloquence de la tribune aux harangues dont s'enivrent les multitudes ; qu'un jour il aurait la gloire de rendre Voltaire jaloux ; qu'il forcerait son époque à hésiter, un instant du moins, entre lui et tant de philosophes renommés ; que ses livres seraient plus tard. le catéchisme où de tranquilles tribuns puiseraient la force de faire naître et de dominer l'agitation du monde ? Comme tout contrastait, dans Rousseau, avec l'esprit de son temps ! On exaltait la raison, qui divise : lui recommandait le sentiment, qui rapproche et réunit[98]. Au milieu des apôtres de l'individualisme, il pensait au Nazaréen qui prêcha la fraternité, et la sainteté de l'Évangile parlait à son cœur[99]. Déiste, Rousseau ne l'était pas, comme Voltaire, par un effort de l'esprit, mais par l'abondance du sentiment. Il n'oublia jamais les joies qu'il devait à son imagination, présent du ciel. Au pays de Vaud, le long des bords du lac de Genève, il s'était senti heureux d'être poète, étant si pauvre, si abandonné ; et il n'en avait pas fallu davantage pour que son âme attendrie et reconnaissante montât facilement vers Dieu. Non, rien ne convenait à Rousseau, dans la philosophie des encyclopédistes : ni la sérénité sceptique de d'Alembert ; ni cette froide statue de Condillac, qui, par la sensation, s'éveillait à la vie ; ni ce système de la fermentation des organes, par où Diderot prétendait expliquer le mystère de la pensée, ni ce vide que l'athéisme laissait dans l'univers et dans l'homme. Jean-Jacques attaqua donc la philosophie de son temps, mais au nom de l'avenir. Et ce n'était point là une médiocre entreprise. Car les philosophes formaient une ligue redoutable, le rationalisme ne les divisant que lorsqu'il s'agissait d'affirmer, et leur servant de lien pour nier et détruire. Ils gouvernaient, d'ailleurs, l'opinion ; ils la gouvernaient souverainement parles livres ; par le théâtre, par la poésie, en un mot par l'intelligence, Il fallait décrier leur grand moyen d'action, la science et les belles-lettres, Rousseau l'essaya, et son premier Discours décida de sa vie. Il ne combattait pas dans ce discours tel ou tel philosophe, tel ou tel système : généralisant ses attaques avec une hardiesse inouïe, il affrontait sur le trône de l'opinion où elle venait de monter, l'intelligence elle-même ; il osait lui demander compte de la manière dont elle exerçait son pouvoir ; il reprochait aux livres de n'avoir servi jusqu'alors qu'à la propagande du mensonge, aux arts d'avoir corrompu les mœurs, aux harangues pompeuses et vaines d'avoir usurpé l'estime ; et, s'élevant dans sa révolte jusqu'à trouver illégitime l'aristocratie de la pensée, il dénonçait à l'indignation du peuple l'inégalité introduite parmi les hommes, par la distinction des talents et l'avilissement des vertus[100]. Le trouble et l'étonnement furent extrêmes dans la république des lettres : c'est ce que Rousseau avait espéré. Au fond, l'anathème dont il frappait les sciences et les arts ne pouvait être, dans son intention, qu'une tactique audacieuse et éclatante. Il redoubla dans sa Lettre à d'Alembert sur les spectacles. Alors, les esprits s'agitèrent autour de ses paradoxes inattendus ; les philosophes sentirent bien qu'on les venait provoquer jusque dans le centre de leur empire, et ils se préparèrent à accabler Rousseau de leur vengeance. La guerre était déclarée ; et Jean-Jacques la soutint en opposant à la philosophie de l'individualisme, la philosophie de l'unité. Il devait être le précurseur du socialisme moderne : ce fut son malheur et sa gloire. Mais Rousseau, dans un discours, admirable d'ailleurs d'éloquence et de passion, n'a-t-il pas célébré, à la honte de l'état de société, les vertus, les splendeurs de la vie sauvage ? Ayant des règles d'éducation à tracer, n'a-t-il pas instruit son élève à se passer du commerce des humains ?... Arrêtez. Dans le dix-septième siècle, Molière, le premier des penseurs et des poètes, composa une pièce qui restera comme une des plus solennelles et des plus pathétiques protestations qui aient jamais retenti dans le monde. Il mit sur la scène la lutte des grands esprits contre une société qui traite leur sagesse de folie, la lutte des grandes âmes contre une société à qui leur élévation ne paraît qu'imbécillité. Or le héros de cette lutte sublime, désespérée, impuissante, comédie pour les générations passées, tragédie pour les générations futures, Molière l'appela le Misanthrope ; mais ce misanthrope, il le montra rude et tendre, d'une franchise violente, d'une fierté un peu ombrageuse, et faible néanmoins comme un enfant dans les choses du cœur, affectant de haïr les hommes, quoique en réalité inconsolable de n'avoir pas à les aimer sincères et vertueux. Eh bien, le Misanthrope de Molière, au dix-huitième siècle, ce fut Rousseau, Rousseau en qui la haine n'était que de l'amour aigri, que de la tendresse effarouchée. Quoi ! vous le prendrez au mot, lui, le plus sociable des humains[101], lorsque avec la mollesse des sociétés civilisées, avec leur politesse hypocrite et les mille formes de leur esclavage, il viendra faire contraster l'existence grossière mais indépendante de l'homme des bois ? Eh ! ne voyez-vous point quelle malédiction se cache sous l'enveloppe de ce nouveau paradoxe ? Ne sentez-vous point que ceci est de l'ironie à la manière de Pascal ? Ce véhément délire est-il autre chose que l'exagération naturelle de la vérité en colère ? Et ne comprendrez-vous pas mieux Rousseau que vous n'avez compris Alceste, quand vous avez trouvé Alceste plaisant parce qu'il s'emportait, ridicule parce qu'il était révolutionnaire, sauvage enfin parce que déchiré, navré, refoulant au fond de lui ses sanglots mais espérant peut-être des jours meilleurs, il s'écriait : Trahi de toutes parts, accablé d'injustices, Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices, Et chercher sur la terre un endroit écarté Où d'être homme d'honneur on ait la liberté. Maintenant, si l'on demande pourquoi, dans Émile, Rousseau s'est occupé de l'éducation particulière et non de l'éducation publique ou sociale ; pourquoi il a voulu faire de son élève un homme abstrait[102], et lui apprendre tout simplement le métier de vivre[103], il en a dit lui-même les raisons : L'institution publique n'existe plus et ne peut plus exister, parce que où il n'y a plus de patrie il ne peut plus y avoir de citoyens[104]. Et Rousseau avait un autre motif dont il a laissé également échapper le secret. Il croyait, il savait la société à la veille d'une révolution profonde et sans exemple[105]. Par une de ces intuitions familières au génie, il voyait déjà l'Europe bouleversée, les rangs confondus, les nobles en fuite et dans l'exil, les riches réduits à l'indigence. Il jugeait donc, vu la mobilité des choses humaines, et vu l'esprit inquiet et remuant du siècle[106], qu'Émile devait être élevé, non pour un état d'association et de paix, mais pour un état de dissolution générale et de guerre. Oui, que son élève sût résister aux coups du sort, braver la misère, vivre, s'il le fallait, dans les glaces d'Islande ou sur le brûlant rocher de Malte ; car, l'heure approchait où la science vraiment nécessaire serait celle-là. Apprendre à Émile à être citoyen ? ah ! on avait alors quelque chose de bien plus pressé à lui apprendre : Rousseau lui voulut enseigner à être homme. Et quel imposant caractère ne revêt pas le livre d'Émile, considéré sous cet aspect ! Quelle haute mélancolie dans des enseignements donnés et reçus au bruit de ces prophétiques paroles : La révolution va venir ! Quelle accusation portée contre la doctrine qui menaçait de prévaloir, contre l'individualisme, que ce système d'éducation particulière et exceptionnelle adopté, recommandé, par cela seul que le temps de l'éducation publique n'était plus ou était bien éloigné encore ! Du reste, ce fut dans Émile que, distinguant sa cause de celle du passé, Rousseau la sépara d'une manière définitive de celle du présent. Et jamais l'imagination n'avait revêtu d'aussi vives couleurs la démonstration des vérités qui servent de lien moral aux membres épars de la famille humaine. L'humble vicaire savoyard, que Jean-Jacques donnait pour juges aux philosophes du temps, il le montrait sur une colline tel qu'autrefois le disciple aimé de Socrate sur le promontoire de Sunium ; et là, par un beau jour d'été, aux rayons du soleil levant, au centre d'un paysage couronné dans l'éloignement par la chaîne des Alpes, il prêtait à l'homme de paix un langage où l'onction chrétienne de Jean Hus se retrouvait dans l'éloquence grave de Platon. Or, ce n'était plus, cette fois, l'orgueil solitaire de la RAISON qui était invoqué ; Jean-Jacques adjurait le siècle raisonneur par excellence de s'incliner devant l'autorité du SENTIMENT. Je sens que la faculté de comparer les impressions qui me viennent du dehors a ses racines en moi : donc, je ne suis pas l'esclave du monde extérieur. Au ravissement où me plonge le spectacle de l'univers, je sens la présence de l'invisible ordonnateur des mondes : donc, il faut que je l'atteste et que je l'adore, cet être inconnu de qui relèvent les lois mêmes de l'attraction et qui lança les planètes sur la tangente de leurs orbites[107]. Je sens qu'il y a en moi un principe d'activité que je cherche en vain dans la matière, et le triomphe des méchants durant la vie m'indique l'immortalité comme la justification de Dieu : donc, j'ai une âme, et elle est immortelle. Je sens qu'après avoir délibéré, je veux : donc, je suis une créature libre. Si l'intérêt personnel était l'unique inspirateur de mes actes, mes yeux auraient-ils des larmes pour un malheur éloigné, et serais-je pénétré d'admiration pour les véritables héros des siècles éteints ? Non, je le sens : donc, ma vie n'est pas à moi seulement, elle est à l'humanité. Et maintenant, que peuvent contre l'énergie de mes élans vos argumentations subtiles ? Que vous servira de m'avoir réduit au silence, quand du fond de moi s'élèvera contre vous une protestation muette mais in- domptée ? Vous vous fatiguez à me convaincre ? Je veux être persuadé. Vous prétendez agir sur mon esprit ? Voyons d'abord si vous avez puissance sur mon cœur. Voilà le BON PRÊTRE, voilà Jean-Jacques. Sa mission, dans une société qui allait se décomposant, fut d'opposer au culte exagéré de la raison, qui détruit les groupes, le culte du sentiment, qui les forme et les conserve. Et de toutes les notions dont se compose la foi de Rousseau, pas une qui ne rentre dans cette majestueuse et poétique doctrine de l'unité, de la fraternité. S'il crut, par exemple, à l'existence de Dieu, ce ne fut pas, ainsi que Voltaire, par le désir d'expliquer plus logiquement la création, mais par le besoin de réserver un protecteur aux faibles et aux opprimés[108], protecteur par qui tôt ou tard serait rétablie la balance et dont la justice était une garantie contre l'éternité de l'oppression. Diderot, comme plus tard Anacharsis Clootz, fut poussé à l'athéisme par l'horreur que lui inspiraient les fanatiques ; il aima mieux nier Dieu que le confesser féroce, et il refusa d'implorer en lui le souverain modèle des tyrans terrestres. Mais, parce qu'on avait longtemps abusé, en la défigurant, de la notion de Dieu ; parce que la théologie des époques de ténèbres avait osé faire Dieu violent, vindicatif, furieux, implacable ; parce que les despotes avaient eu l'étonnante insolence de donner leur splendeur usurpée pour un reflet de la lumière divine, et leurs ordres iniques pour autant d'échos des célestes commandements, fallait-il confondre l'idée de despotisme avec l'idée de tutelle ? Et ne pouvait-on, sans nier Dieu, le définir autrement que n'avaient fait des bourreaux impies ? C'est ce que pensa Rousseau en écrivant Émile, et c'est ce que, plus tard, devait penser Robespierre lorsqu'il institua la fête de l'Être suprême. Partisans l'un et l'autre d'un pouvoir fort tant qu'il y aurait des faibles à protéger et des malheureux à sauver de l'abandon, l'auteur du Contrat social et son disciple n'ignoraient pas que la forme des sociétés est la contre-épreuve de leur métaphysique et de leur théologie. Or, ils comprirent que l'athéisme consacre le désordre parmi les hommes, en supposant l'anarchie dans les cieux. Encore un trait pour achever le tableau : on sait que Jean-Jacques, malgré l'admiration passionnée que lui inspirait l'Évangile, n'admit pas un Dieu révélé, qu'il fut déiste. Eh bien, il n'y eut pas jusqu'à son déisme qui ne tînt à sa doctrine de l'unité et à l'affliction que lui causait la diversité des cultes : Dès que les peuples se sont avisés de faire parler Dieu, chacun l'a fait parler à sa manière et lui a fait dire ce qu'il a voulu. Si l'on n'eût écouté que ce que Dieu dit au cœur de l'homme, il n'y aurait jamais eu qu'une religion sur la terre[109]. Tels furent les efforts de Rousseau, telle fut sa mission philosophique. Mais il n'était, dans son siècle, que le re- présentant de la seconde moitié du nôtre. On lut avidement et l'on vanta ses livres, on refusa de suivre sa trace. La Nouvelle Héloïse enchanta les jeunes gens et les femmes ; à la voix du précepteur d'Émile, les mœurs domestiques se modifièrent, et des milliers de petits enfants durent à Rousseau d'être allaités par leur mère. Mais Jean-Jacques ne remporta pas d'autres victoires jusqu'au moment où ses ouvrages parurent sur la table du Comité de salut public. Aussi, son existence fut-elle remplie par la douleur et condamnée à ce genre de tourment qui fit, de sa folie, la continuation de la folie de Pascal ! Tantôt réfugié à l'Ermitage, tantôt proscrit par la France et Genève, ses deux patries, tantôt errant à travers la bruyante solitude de Paris, où, sous le costume d'Arménien, il passait connu et respecté, mais tout entier à ses défiantes tristesses, Rousseau ne put que se traîner languissamment et mourir, jour par jour, dans l'isolement de sa gloire. Traité d'impie au parlement, et raillé par l'incrédulité philosophique, décrété de prise de corps par la grand'chambre, censuré par la Sorbonne, dénoncé par l'archevêque de Paris, qu'il accabla de sa terrible Réponse ; en butte aux injures multipliées de Voltaire, dont il se vengea en souscrivant pour sa statue[110], inconsolable de l'amitié de Diderot perdue, et, peut-être, calomniée dans les Confessions, Jean-Jacques connut tous les maux, lui qui avait, pour en épuiser l'amertume, une sensibilité rare et un orgueil démesuré. Donc, s'il fut quelquefois coupable, s'il devint injuste à force d'injustices souffertes ou redoutées, relisons ses œuvres impérissables, et qu'il soit absous par ses malheurs, qui sont la sainteté de son génie. Quelle autre destinée que celle de Voltaire, soutenu et porté par le grand courant du dix-huitième siècle ! Voltaire est absent, et il remplit la France. De Ferney, il préside les banquets d'Helvétius, anime les encyclopédistes au combat, donne le ton à l'esprit français, et force l'Europe entière à vivre de son souffle. Depuis qu'il l'a fait retentir des mâles accents de la liberté romaine, et qu'il y a montré Tartufe les armes à la main[111], le théâtre est à lui. Partout on récite ses vers, on répète ses romans ou ses contes ; dans les livres qu'il n'ose avouer, on le devine à son talent qui déjoue sa prudence ; sa moquerie est inévitable ; le nombre de ses victimes échappe au calcul ; et il semble qu'on n'entende plus dans son siècle que le long et formidable éclat de rire dont il a donné le signal. S'il vient à Paris, ce n'est pas pour s'y cacher comme Rousseau, mais pour y marcher d'ovations en ovations, et un soir, après une représentation de Mérope, être embrassé dans la loge de la maréchale de Villars, au nom et aux applaudissements d'un public idolâtre. On n'attend pas de nous, ici, l'énumération de tant d'écrits lumineux que la bourgeoisie sait par cœur. Voilà bientôt cent ans que Voltaire conduit le triomphe de la classe dominante. Qu'on remonte l'histoire depuis la Révolution jusqu'à Louis XIV, on ne fera que parcourir la vie de Voltaire, vie prodigieuse et, dans le dix-huitième siècle, indispensable. Otez Voltaire du dix-huitième siècle, la victoire de l'armée philosophique devient incertaine. Grâce à la persévérance de ce facile génie, les encyclopédistes eurent pour auxiliaires, dans leur guerre à l'Église, des princes et des rois. Les Délices, Lausanne, Ferney, furent les résidences royales de la philosophie. De là partait chaque jour cette correspondance que Voltaire entretenait avec les souverains, ses vaniteux confrères[112], immense labeur dont se jouait sa plume étincelante, diplomatie incomparable qui domina presque toutes les cours de l'Europe, tourna presque toutes les têtes couronnées, et réduisit de hautains monarques à se faire les courtisans d'une majesté nouvelle qui s'appelait la raison. Ministre des relations extérieures de la philosophie, Voltaire sut lui conquérir des alliances dans les diverses communions. Pour les princes allemands qui reconnaissaient en lui un continuateur de l'œuvre commencée par le prophète de Wittemberg, une flatterie élégante signée Voltaire était comme une investiture morale. Autrefois on voulait être armé chevalier : maintenant, pas un grand personnage qui n'eût l'ambition d'être armé philosophe en recevant à Ferney l'accolade du patriarche. Pourquoi non ? Voltaire n'avait-il pas séduit un pape, même un pape ? Et la plume qui félicitait Catherine II d'envoyer cinquante mille hommes en Pologne pour y établir la liberté de conscience[113], n'avait-elle pas, par une audace heureuse, dédié Mahomet à Benoît XIV ? Le fanatisme religieux attaqué en France sous les auspices du Vatican ! le souverain pontife agréant la dédicace d'une tragédie dans le temps où Rousseau fulminait sa Lettre sur les spectacles !... Que d'imprévu déjà, et quelles nouveautés ! On eût dit que les puissances de la terre, pressentant l'orage, se hâtaient de conjurer les puissances de l'esprit. A Moscou, l'impératrice de Russie se préoccupait des discours ou du silence de Voltaire ; à Fontainebleau, Christian VII, roi de Danemark, s'honorait devant Louis XV d'avoir appris de Voltaire à penser[114] ; Gustave III, dans l'espoir d'être admiré des philosophes, renonçait solennellement au pouvoir arbitraire[115] ; Joseph II, en vrai prince du dix-huitième siècle, méditait contre les prêtres ses fougueux édits, et mettait au service des idées le bras d'un César germanique : n'y avait-il pas en tout cela quelque chose de vraiment providentiel ? L'antiquité vit des rois devenir maîtres d'école ; jamais on n'avait vu un petit nombre d'hommes d'esprit tenir une école de rois. Voltaire put écrire à Damilaville : J'ai brelan de roi quatrième[116]. Il devait gagner cette grande partie ! Parmi ces souverains, comment oublier Frédéric ? On pourrait se représenter Frédéric placé de l'autre côté du fleuve qui sépare le monde ancien du monde nouveau. Tant qu'il reste sur la rive, il est un incontestable grand homme ; car il réunit les qualités diverses qui, dans les siècles précédents, firent les rois illustres : le génie de l'homme de guerre, l'audace d'un preneur de villes et de provinces, la science d'un administrateur, la volonté suivie d'un despote d'élite. Mais s'il passe le fleuve, le voilà aussitôt découronné ; car il se trouve, lui conquérant, au milieu de philosophes qui insultent à l'esprit de conquête ; lui guerrier, parmi les penseurs qui ont horreur de la guerre[117] ; lui monarque absolu, parmi des écrivains qui frondent la tyrannie. Ainsi, Frédéric entrait, en se faisant philosophe, dans une situation fausse, presque impossible ; et rien ne montre mieux l'influence décisive de l'esprit d'alors que le rôle double et contradictoire imposé au génie du roi de Prusse. Louis XV qui, en fait de préoccupations d'avenir, n'avait que la peur de l'enfer et qui se croyait absous d'avance de ses déportements pourvu qu'il détestât les philosophes[118], Louis XV pouvait bien se préserver de la contagion. Mais le roi de Prusse avait pour cela trop peu de préjugés et trop d'esprit. Frédéric, d'ailleurs, était occupé de la postérité comme le plus vulgaire des héros. Il avait beau douter par accès de l'immortalité de son âme ; il avait beau s'appeler sans souci et donner à sa retraite favorite le nom inventé par son indifférence prétendue, il n'en chérissait pas moins, dans les philosophes, des amis de sa gloire[119] ; il était sensible aux félicitations coupables que Voltaire lui adressait au sujet de la bataille de Rosbach, un de nos désastres[120] ; il lui plaisait de savoir que, pendant qu'il combattait la France, des philosophes français, les amis de madame Geoffrin, échangeaient, groupés dans une certaine allée des Tuileries, leurs vœux pour la prospérité de son règne et le succès de ses armes[121]. Nul n'ignore comment, après avoir appelé Voltaire à sa cour en 1750, l'avoir nommé son chambellan, lui avoir donné un de ses ordres et vingt mille francs de pension[122], Frédéric, en 1752, lui préféra Maupertuis, l'humilia, le réduisit à s'enfuir, le fit insulter à Francfort par un sbire, et mérita, de la part du poète outragé, le surnom de Denys de Syracuse. Mais qu'importe ? Frédéric avait besoin des philosophes ; il les servait : le pacte n'avait donc pas tardé à être scellé de nouveau, et c'était postérieurement à l'aventure de Francfort que Voltaire félicitait le vainqueur de Rosbach ! On peut juger par ce trait des sacrifices que le triomphe du philosophe coûta souvent à la dignité de l'homme. Et ce n'était pas seulement à l'égard des rois, il faut le dire, que Voltaire faisait preuve d'un excès de souplesse, c'était aussi à l'égard des prêtres, de ces mêmes prêtres dont il avait juré de ruiner l'empire. A Ferney, il n'avait garde de ne pas aller à la messe, il communiait, et il lui arriva de bâtir une église[123]. Mais ces actes de dissimulation, si peu honorables, il savait leur donner un tel vernis de bon goût et de grâce, qu'ils profitaient à son rôle sans avilir son caractère ; et il en était quitte pour écrire gaiement à ses amis : Quand on a l'honneur de rendre le pain bénit à Pâques, on peut aller partout la tête levée[124]. Rien ne manquait donc à la philosophie du dix-huitième siècle pour s'emparer de la société : ni les qualités et les défauts du chef, ni l'ardeur des disciples, ni de puissants protecteurs, ni un public attentif et sympathique. Quant aux adversaires que les philosophes avaient à combattre, c'est à peine si, après Rousseau, il est nécessaire d'en parler. Que pouvaient contre un mouvement qui passait sur Jean-Jacques lui-même, des hommes qui ne savaient résister qu'au nom des idées mortes ? Que pouvaient Le Franc de Pompignan avec son discours de réception à l'Académie, Palissot avec son injurieuse Comédie des philosophes modernes, madame du Deffand avec sa mauvaise humeur, l'avocat Linguet avec son journal, et même ce Gilbert, si amer dans son infortune et si tendre, qui ne fit qu'apparaître un jour et mourir ! Et puis, ce n'était pas un facile courage que celui qui consistait à affronter Voltaire ; et chacun tremblait devant l'homme qui burinait ainsi le portrait de Fréron : Il joint les mensonges de Simon au style de Zoïle, à l'impudence de Thersite et à la figure de Ragotin[125]. De sorte que tout contribuait à agrandir, à fortifier la souveraineté militante de Voltaire, depuis l'art de la flatterie jusqu'à celui de l'intimidation. D'un autre côté, les anciennes croyances étaient minées jour par jour, heure par heure, dans une foule d'ouvrages sortis de plumes inconnues, publiés sous de faux noms ou attribués mensongèrement à des écrivains déjà morts. La Hollande, devenue une vaste imprimerie à l'usage des idées philosophiques, inondait l'Europe de livres antichrétiens : le Militaire philosophe, les Doutes, Imposture sacerdotale, le Christianisme dévoilé. Et la recommandation de Voltaire ne manquait à aucune des productions sérieusement dirigées contre l'Église, ses dogmes et ses ministres. C'est un trésor, écrivait-il en parlant du Testament du curé Meslier... Quelle réponse, misérables que vous êtes, que le testament d'un prêtre qui demande pardon à Dieu d'avoir été chrétien ![126] A son tour, Frédéric favorisait de son mieux cette infatigable conspiration de la pensée. Mais, non content de pousser à l'assaut de l'Église des auteurs dont sa protection encourageait la fougue, il songeait à détruire les couvents dans son royaume, à séculariser les bénéfices, et ouvrait une oreille complaisante à cet éloge de Voltaire : Votre idée d'attaquer la superstition christicole par les moines est d'un grand capitaine[127]. Nous avons déjà nommé le baron d'Holbach. Longtemps il avait été déiste, et même il avait fait des efforts pour ramener à sa croyance l'exalté Diderot. Un jour, le rencontrant dans un de ces ateliers où Diderot étudiait la description des arts et métiers, d'Holbach lui montre une machine dont les admirables secrets trahissaient l'invisible génie de l'ouvrier qui les inventa ; et il adjurait son ami de saluer le grand ouvrier de la nature, il cherchait à l'émouvoir, il le priait pour Dieu. Tout à coup, emporté par son émotion, il tombe à genoux, et, fondant en larmes, il supplie Diderot de renoncer à l'athéisme ; mais dans cet étrange combat, c'est Diderot qui l'emporte, et le déiste se relève athée[128]. Or, c'était d'Holbach qui, en 1770, publiait, sous le nom de Mirabaud, le code d'athéisme le mieux raisonné, le plus complet, qui eût encore paru. Le Système de la nature fait époque dans le dix-huitième siècle. Jusqu'alors, l'athéisme ne s'était guère échappé qu'en saillies : dans le Système de la nature, il se produisait sous une forme dogmatique et tranchante. Spinosa, dans le siècle précédent, avait bien nié, lui aussi, le Dieu personnel des chrétiens, mais en substituant à leur dogme un système plein de poésie et de majesté. Faire de Dieu une substance unique, infinie, dont les deux attributs sont la pensée et la matière, et dont les êtres finis ne sont que des modes, ce n'était point créer le vide dans le monde, c'était au contraire montrer l'univers tout rempli de Dieu. Dans le Système de la nature rien de semblable. Jamais avec plus de calme, jamais avec une sérénité plus effrayante, on n'avait entassé pareilles ruines. D'après le Système de la nature, l'homme est un être purement physique, et ce que nous, appelons l'homme moral n'est que cet être physique considéré sous un certain point de vue[129]. L'homme résulte d'une agrégation de certaines matières, douées de propriétés particulières, dont l'essence est de penser, de sentir, de se mouvoir[130]. Ce que l'homme est en petit, la nature l'est en grand : voilà tout. Humectez de la farine avec de l'eau et renfermez ce mélange, vous aurez des êtres organisés, vous aurez la vie[131] ; mettez le feu en contact avec la poudre, vous aurez le mouvement : la matière contient donc le mouvement et la vie[132]. L'âme ? organe matériel. Les passions ? molécules indiscernables à la vue et qui fermentent[133]. Le libre arbitre ? nécessité renfermée au dedans de nous-mêmes[134]. L'immortalité ? heureuse chimère. Laissons à l'enthousiaste ses espérances vagues, laissons au superstitieux les craintes dont il nourrit sa mélancolie ; mais que des cœurs raffermis par la raison ne redoutent plus une mort qui détruira tout sentiment[135]. Ce livre, auquel nous reviendrons dans le chapitre suivant, consacré à la politique, causa une émotion universelle. Imagination, nobles espoirs, logique des affections sublimes, certitudes des poètes, voilà ce qui était réputé faiblesse, dans des pages où respirait néanmoins l'enthousiasme de la vertu et où se révélait Diderot ! Quelle témérité philosophique était encore possible, après un hymne aussi sombre, aussi terrible, chanté au hasard et au néant ? Frédéric se troubla, même comme philosophe, et, de la plume que Voltaire lui avait appris à manier, il réfuta le Système de la nature. Voltaire, non moins effrayé, poussa un de ces cris que tout son siècle entendait. La division, introduite dans le camp de la philosophie, éclata aux yeux de l'Europe entière. Ainsi, le rationalisme, poussé à l'excès, se dénonçait lui-même : l'anarchie intellectuelle devenait le grand événement de l'histoire. Mais cette réaction, animée d'ailleurs par l'exagération contraire du principe d'autorité, ne s'opérait pas sans profit pour la cause du progrès ; et, bien que divisés, les philosophes n'en atteignaient pas moins de leur inévitable colère l'ennemi commun. Je vois tout couleur de rose, disait depuis quelque temps d'Alembert. Ce qu'il voyait, c'était la compagnie de Jésus mourant de mort violente, en attendant que les jansénistes mourussent de leur mort naturelle. Or, l'abolition des jésuites ne tarda pas à justifier les pressentiments de d'Alembert ; et ce fut une victoire que la philosophie du dix-huitième siècle remporta dès sa première campagne. Car, il ne faut pas confondre les causes générales de la chute des jésuites avec les accidents qui servirent à la précipiter. On est d'abord surpris quand on se rappelle par où commença l'ébranlement de cette haute muraille dont Pascal avait prédit la ruine. Qui avait porté les premiers coups ? Peut-être un ministre philosophe, un correspondant titré de Voltaire, un souscripteur de l'Encyclopédie ? Non : par une de ces singularités qui sont le jeu de l'histoire, il advint que le premier destructeur des jésuites était un ami de la sainte inquisition, l'altier marquis de Pombal. Il ne détestait en eux qu'une influence importune à son tyrannique pouvoir, et une tentative d'assassinat commise sur la personne du roi de Portugal fut le prétexte qu'il prit pour les frapper. Ce n'était donc là, de sa part, qu'une exécution politique, et il eut soin de s'en expliquer devant l'Europe, dans des manifestes où il semblait refuser aux philosophes la gloire d'avoir armé son bras. Mais, comme il avait flétri son triomphe par sa cruauté, ses déclarations mêmes furent profitables à la philosophie, qui jouissait ainsi du résultat sans qu'on fût en droit de lui imputer l'odieux des moyens. L'Europe, en effet, avait été saisie d'horreur en apprenant qu'à la suite de deux coups de pistolets tirés par une personne inconnue sur Joseph Ier, amant de la marquise de Tavora, toute la famille de dona Teresa avait été enveloppée, presque au hasard, dans une accusation capitale et jugée par un tribunal d'exception asservi aux haines personnelles du ministre portugais ; que sur un échafaud dressé en face du Tage on avait vu paraître, la corde au cou, le crucifix à la main, et mourir de la main du bourreau, dona Eléonore de Tavora ; une femme ; que son mari, ses fils, plusieurs de ses serviteurs avaient péri dans d'affreux tourments ; et qu'enfin attaché Sur là roue, rompu vif, le duc d'Aveiro était mort au milieu des tortures et en remplissant la place du supplice de hurlements épouvantables[136]. Certes, la philosophie dut être charmée qu'on ne la rendît pas responsable de l'expulsion des jésuites portugais, alors que cette expulsion se trouvait associée à tant de barbarie. Aussi Voltaire, Diderot, d'Alembert, s'empressèrent-ils de mêler leur voix aux cris de réprobation qui s'éleva de toutes parts. Mais, encore une fois, le résultat leur était acquis ; et lorsque Voltaire s'apitoyait sur le sort du P. Malagrida, pauvre vieillard mis en prison, puis, sous prétexte d'hérésie, étranglé et brûlé par ordre de Pombal, Voltaire savait bien que sa pitié ne sauverait pas les jésuites. En Portugal, ils venaient d'avoir contre eux un ministre violent ; mais partout ils avaient contre eux le roman de Candide et la philosophie. Ils devaient tomber comme ces fruits trop mûrs qui se détachent de l'arbre au moindre souffle. C'est ce qui arriva. Successivement chassés du Portugal par Joseph Ier, de la monarchie espagnole par Charles III, de la France par madame de Pompadour unie au duc de Choiseul, il ne leur restait plus qu'à subir l'anathème de Rome, dont ils étaient la milice ; et ils n'échappèrent pas à ce dernier malheur, témoignage éclatant de la puissance de l'esprit nouveau. A peine Ganganelli est-il devenu Clément XIV, que les rois très-chrétiens le pressent de détruire l'ordre des jésuites ; l'Autriche elle-même se prête à ce commencement de révolution ; et ce sont les ambassadeurs des grandes cours qui portent à Rome le vœu des encyclopédistes. Le duc de Choiseul, qui ne faisait pas aux jésuites l'honneur de les haïr, avait eu la spirituelle insolence de choisir pour aider à leur destruction, auprès du Vatican, un homme d'État, célèbre par ses petits vers, le gracieux cardinal de Bernis. Le pape hésita longtemps, dominé qu'il était par une frayeur vague et de noirs soupçons[137]. Mais son siècle l'entraînait. Après avoir abusé des délais, des temporisations, artifices de sa faiblesse, Ganganelli signa le fameux bref Dominus ac redemptor qui supprimait les jésuites dans tout l'univers[138]. Quelques mois après, quoique doué d'une constitution robuste, Ganganelli tomba dans une subite décrépitude. Ses forces l'avaient abandonné, le sommeil l'avait fui. Bientôt, les ambassadeurs étonnés n'eurent plus devant eux qu'un spectre, dont les regards trahissaient une raison à demi égarée. Caché au fond de son palais, plein de la peur de lui-même, l'infortuné pontife se sentait mourir. Quand l'heure vint, ses os s'exfolièrent comme l'écorce d'un arbre flétri ; et alors on se souvint qu'en signant le bref de la suppression des jésuites, Clément XIV s'était écrié : Cette suppression me donnera la mort[139]. Les médecins avaient parlé bien bas, dit un historien de nos jours, M. de Saint-Priest ; les funérailles parlèrent trop haut. Les entrailles de Clément rompirent le vase qui les contenait ; les ongles tombèrent ; la peau demeura collée aux habits ; la chevelure du cadavre était restée tout entière sur le coussin de velours : Rome et l'Europe crurent à un empoisonnement. Mais ce n'était pas encore assez pour les encyclopédistes que d'avoir abattu les jésuites. Que nous servirait d'être délivrés des renards, disait Voltaire à La Chalotais, si on nous livrait aux loups ?[140] Les loups, c'étaient les jansénistes. Aussi, en écrivant l'Histoire de la destruction des Jésuites, d'Alembert se garda bien de briser sur des ennemis morts les armes dont il avait besoin contre des ennemis vivants. Il transforma l'épitaphe de la société de Jésus en une satire à l'adresse de la canaille jansénienne[141]. L'intolérance, la cruauté judiciaire, la superstition étaient des monstres que les philosophes brûlaient d'autant plus de détruire, que chaque jour quelque nouvelle atrocité venait surexciter leur ardeur. Tantôt c'était l'horrible et absurde condamnation du calviniste Calas, roué vif à Toulouse ; tantôt c'était Sirven flétri, quoique innocent ; ou bien encore on apprenait que, pour n'avoir pas ôté leur chapeau à trente pas d'une procession et avoir frappé le poteau d'un crucifix, deux jeunes gens, le chevalier de La Barre et d'Étallonde avaient été condamnés par les juges jansénistes d'Abbeville et du parlement de Paris à avoir le poing coupé, la langue arrachée avec des tenailles, et enfin à être brûlés vifs[142]. Indignés, les philosophes s'emportèrent contre la barbarie des parlements, contre le fanatisme des Busiris en robe. Voltaire surtout fut irrité à ce point que cette fois, oubliant son procédé ordinaire, la raillerie, il rencontra le génie de l'indignation. Il sentait que les bons mots ne convenaient pas aux massacres. Les échafauds de Calas, de La Barre se dressant dans son esprit, il récapitula ces procès ténébreux, outrages à la raison, qu'il ressentait comme autant d'injures personnelles. Pour réhabiliter le chevalier de La Barre, il écrivit une Relation étincelante du feu de sa colère, et où reparaissait la passion qui avait inspiré le Traité sur la tolérance. A son tour, il fulmina contre les juges d'Abbeville et contre le parlement de Toulouse des réquisitoires d'une violence admirable. Peut-être devons-nous un des bienfaits de la Révolution française aux anathèmes de Voltaire[143]. Des jugements secrets ! des condamnations sans motifs ! Y a-t-il une plus exécrable tyrannie que celle de verser le sang à son gré sans en rendre raison ? Ce n'est pas l'usage, disent les juges ? Eh ! monstres ! il faut que cela devienne l'usage. Vous devez compte aux hommes du sang des hommes1[144]. Et Voltaire s'appuyait de cette maxime de Vauvenargues, qui semblait écrite pour la circonstance : Ce qui n'offense pas la société n'est pas du ressort de sa justice[145]. L'année même où le parlement appliquait la peine des parricides à une étourderie d'écoliers, on reçut à Paris le traité des Délits et des Peines, de l'Italien Beccaria, et l'abbé Morellet, sur l'invitation de Malesherbes, se hâta de traduire en français un ouvrage où la magistrature janséniste allait lire son déshonneur. On devine l'impression que dut produire un pareil livre au milieu des récits du supplice de La Barre. Sept éditions furent épuisées en six mois ; et, cédant aux prières de son traducteur, Beccaria partit de Milan pour venir visiter à Paris tant de lecteurs sympathiques. Helvétius, madame Geoffrin, le baron d'Holbach, Malesherbes l'accueillirent avec effusion ; mais lui, sombre et mélancolique, le cœur saignant d'une blessure de l'amour, il ne pouvait dissimuler à ses hôtes l'altération de sa physionomie et le fond de ses tristesses[146]. Il nous quitta emportant sa douleur, et nous léguant sa mansuétude. Ah ! ce fut la vraie conquête des philosophes du dix-huitième siècle que la tolérance en matière de religion. Par là, du moins, ils furent unis, ils s'aimèrent, ils firent école. En dépit de leurs continuelles dissidences, au sortir des dîners bruyants où nous les avons écoutés disputant sur l'âme et sur Dieu, ils se rappelaient en souriant leurs controverses, et le plus ferme déiste écrivait le lendemain à son adversaire : Monsieur et cher athée[147]. On ne saurait ouvrir un seul de leurs livres, qu'on n'y soit arrêté par d'éloquentes attaques à l'inquisition et à Calvin. Dans la Cruauté religieuse, Boullanger déroulait les scènes de carnage qui souillent l'histoire de l'Église[148]. Helvétius consacrait un chapitre de l'Esprit à flétrir la persécution ; il se demandait si les chrétiens, enfants de l'Évangile, devaient recommencer les sacrifices du paganisme et imiter Agamemnon traînant Iphigénie à l'autel pour honorer les dieux[149]. L'abbé Raynal invoquait les douces vertus ; il traçait, dans l'Histoire des deux Indes, le portrait de cet armateur, qui, traitant la couleur du nègre comme une hérésie de la nature, calcule froidement la recette et la dépense de son brigandage[150]. Avant de traduire Beccaria, Morellet avait lancé le Manuel des Inquisiteurs, où on lisait que, pendant la première moitié du siècle, et dans un seul royaume, le nombre des victimes de l'inquisition s'était monté à onze mille, dont deux mille trois cents avaient péri dans les flammes[151]. Enfin, l'on se plaisait à redire les austères mais tendres maximes de ce Vauvenargues, sitôt enlevé, hardi capitaine qui chargeait à la tête de son régiment un jonc à la main, et qui, devenu moraliste, détesta le bourreau autant qu'il méprisait la mort. Il n'était pas jusqu'aux simples littérateurs qui ne prissent en main la cause de la tolérance. Par ce côté le Bélisaire de Marmontel s'élevait à l'importance d'un roman philosophique, et si le fanatisme religieux était montré dans les Incas sous son véritable jour, c'est que Marmontel, ami de Diderot, de Raynal et d'Helvétius, n'avait pas de peine à colorer ses écrits d'un reflet de leurs conversations ; et comment aurait-il pu d'ailleurs fournir à l'Encyclopédie son contingent littéraire, sans y gagner, comme tant d'autres, cette hérésie de la tolérance qui avait pénétré, par Benoît XIV et Ganganelli, jusque dans les conseils du Vatican ? Ainsi, trop dédaigneuse de l'autorité du sentiment, l'école des encyclopédistes exagéra l'importance de la sensation, vanta outre mesure le rationalisme, et ne chercha la dignité morale de l'individu que dans son isolement. Mais elle eut cette gloire d'arracher à la superstition le pouvoir d'opprimer les hommes. La tolérance était le beau côté du rationalisme : Rousseau, sur ce point, ne parla pas autrement que Voltaire ; et au sein d'une crise où tout fut exception et violence, nous entendrons la voix la plus redoutée demander respect pour la conscience humaine. |
[1] Correspondance de Voltaire, à d'Alembert, t. XXI, p. 191. Édit. Delangle frères. Paris, 1851.
[2] Correspondance de Voltaire, à Helvétius, t. XIII, p. 225.
[3] Correspondance de Voltaire, à Diderot, t. XIV, p. 448.
[4] Correspondance de Voltaire, au prince royal de Prusse, t. III, p. 5.
[5] Correspondance de Voltaire, à Helvétius, t. XV, p. 459.
[6] Correspondance de Voltaire, au duc de Richelieu, t. XVII, p. 239.
[7] Correspondance de Voltaire, à d'Alembert, t. IX, p. 475.
[8] Correspondance de Voltaire, à l'abbé Moussinot, t. III, p. 429.
[9] Correspondance de Voltaire, à d'Alembert, t. XIII, p. 12.
[10] Correspondance de Voltaire, à M. le marquis d'Argence de Dirac, t. XV, p. 274.
[11] Lettre à Damilaville (1er avril 1766). — Correspondance générale de Voltaire, t. VII, p. 57. Édit. A. Aubrée. Paris, 1831.
[12] Correspondance de Voltaire, à Catherine II, t. XXIII, p. 18.
[13] Correspondance de Voltaire, à Frédéric, prince royal de Prusse, t. III, p. 58.
[14] Correspondance de Voltaire, à Frédéric, prince royal de Prusse, t. V, p. 101.
[15] Correspondance de Voltaire, à Frédéric, roi de Prusse, t. V, p. 199.
[16] Correspondance de Voltaire, à Frédéric, t. V, p. 244.
[17] Correspondance de Voltaire, à Frédéric, t. V, p. 254.
[18] Correspondance de Voltaire, à Frédéric, t. VII, p. 3.
[19] Correspondance de Voltaire, à Frédéric, t. V, p. 171.
[20] Correspondance de Voltaire, à d'Alembert, t. IX, p. 452.
[21] Correspondance de Voltaire, à M. le chevalier de R...x, t. XII, p. 262.
[22] Correspondance de Voltaire, à M. Thiériot, t. IV, p. 59.
[23] Correspondance de Voltaire, à M. Kœnig, t. VIII, p. 205.
[24] Correspondance de Voltaire, à Frédéric, t. III, p. 276.
[25] Correspondance de Voltaire, Frédéric à Voltaire, t. III, p. 309.
[26] Correspondance de Voltaire, à M. de Bastide, t. XII, p. 377.
[27] Correspondance de Voltaire, à Frédéric, t. III, p. 154.
[28] Correspondance de Voltaire, à l'abbé Prévost, t. III, p. 489 et 490.
[29] Correspondance de Voltaire, à M. le marquis Albergati Capacelli V, t. XII, p. 481.
[30] Correspondance de Voltaire, à Helvétius, t. XII, p. 5.
[31] Correspondance de Voltaire, à Damilaville, t. XVIII, p. 68.
[32] Correspondance de Voltaire, au prince royal de Prusse, t. III, p. 78.
[33] Correspondance de Voltaire, à d'Alembert, t. VIII, p. 18.
[34] Examen critique, physique et théologique des Convulsions, p. 18.
[35] C'était le nom qu'on donnait aux personnes chargées de venir en aide aux convulsionnaires en les frappant ou en les foulant aux pieds, suivant les désirs des convulsionnaires eux-mêmes.
[36] De Lan, docteur, Dissertation théologique contre les Convulsions, part. II, p. 70, 1735.
[37] Examen critique, physique et théologique des Convulsions, p. 17.
[38] Troisième lettre sur l'œuvre des Convulsions, 1er trait, t. LVII du Recueil général.
[39] Le docteur Hecquet, Naturalisme des Convulsions, p. 119, 170, 183, etc. Soleure, 1735.
[40] Plan général de l'œuvre des Convulsions, p. vij, au tome LVIII du Recueil.
[41] Citées in extenso dans l'Introduction aux Fastes de la Révolution française, par Marrast et Dupont, p. clij.
[42] Soulavie, Hist. de la décadence de la monarchie française, t. III, p. 161.
[43] Voyez à ce sujet les Mémoires ecclésiastiques de l'abbé Picot, t. II, p. 220, 254, etc.
[44] Ce pamphlet fut publié sous le titre de Remontrances du second ordre du clergé, au sujet du vingtième.
[45] Dulaure, Histoire de Paris, sous Louis XV, p. 159.
[46] Essai sur l'homme, épître I, p. 22 de la traduction française, tome II des Œuvres. — On sait que cet ouvrage fut inspiré à Pope par Bolingbroke, son ami.
[47] Dictionnaire philosophique, t. VI, au mot Locke.
[48] Note de Clogenson sur une lettre de Voltaire à l'abbé Moussinot, Correspondance, t. III, p. 232.
[49] Elles sont plus connues sous le nom de Lettres philosophiques. Refondues dans le Dictionnaire philosophique, elles n'existent plus en corps d'ouvrage. M. Beuchot les a seul conservées dans sa grande édition (voyez Quérard).
[50] Correspondance de Voltaire, t. II, p. 54.
[51] Pensées de Pascal, § 3, p. 37. Édit. de 1671.
[52] Remarques sur les Pensées de Pascal, t. XL des Œuvres complètes de Voltaire. Édit. de 1785.
[53] Remarques sur les pensées de Pascal, t. XL des Œuvres complètes de Voltaire, p. 373. Édit. de 1785.
[54] Discours sur la méthode, part. II, p. 7 de l'édition Charpentier.
[55] Discours sur la méthode, part. II, p. 8.
[56] Voyez les Six méditations touchant la philosophie première.
M. de Lamennais a fait ressortir avec beaucoup de force et d'éclat ce qu'il y a de contradictoire ou d'erroné dans les démonstrations de Descartes et l'insuffisance de sa philosophie comme fondement de la certitude. Voyez l'Essai sur l'indifférence en matière de religion, part. III, chap. i, t. II, p. 84 et suiv. Édit. Pagnerre.
[57] Correspondance de Voltaire, lettre au marquis d'Argenson, t. IV, p. 391.
[58] Condillac, Traité des sensations, part. III, chap. III, t. III des Œuvres, p. 273.
[59] Condillac, Traité des sensations, part. III, chap. VII, p. 329-331.
[60] C'est ainsi que Diderot appelait son père le coutelier.
[61] De Meister, A la mémoire de Diderot, dans les notes.
[62] Il a expliqué lui-même sa pensée dans sa réponse à Voltaire, au sujet de cette lettre : l'univers est Dieu, dit-il.
[63] Entretien sur le rêve de d'Alembert. Les interlocuteurs sont le médecin Bordeu et mademoiselle L'Espinasse, célèbre amie de d'Alembert.
[64] Lettre sur les aveugles, Œuvres de Diderot, t. I, p. 298, édit. Brière.
[65] Encyclopédie, au mot : Vice, Défaut.
[66] Voyez le Neveu de Rameau, t. XXII des Œuvres complètes de Diderot. Édit. Brière.
[67] Voyez l'Encyclopédie, au mot Encyclopédie, par Diderot.
[68] Il en sortit en 1749, à la veille de publier l'Encyclopédie. Naigeon, Mémoires sur la vie et les ouvrages de Diderot, p. 131.
[69] Correspondance de Voltaire, t. XV, p. 457.
[70] Discours préliminaire de l'Encyclopédie, p. vj. Édit. de Lausanne, 1781.
[71] Discours préliminaire de l'Encyclopédie, p. XXIV.
[72] C'est à nos sensations que nous devons toutes nos idées. Discours préliminaire de l'Encyclopédie, p. ij.
[73] Ces articles sont de l'abbé Yvon. Voyez la Correspondance de Voltaire, t. VIII, p. 122.
[74] Voltaire appelait ainsi Pasquier dans sa Correspondance avec d'Alembert, t. XXI, p. 113.
[75] Voyez le mot Locke dans l'Encyclopédie.
[76] Correspondance de Voltaire, Lettre de d'Alembert à Voltaire, t. X, p. 15.
[77] Correspondance de Voltaire, Lettre de d'Alembert à Voltaire, t. X, p. 192.
[78] Voyez la Correspondance, t. X, p. 185, 199, 254, 290.
[79] Correspondance de Voltaire, t. XIV, p. 88.
[80] L'Encyclopédie parut en 1751. Le premier arrêt de suppression est du 7 février 1752 ; le bref du pape Clément XIII est du 3 septembre 1759. Au mois de mars précédent, le parlement avait rendu un arrêt de condamnation. Les dix premiers volumes ne parurent qu'en 1760.
[81] Mémoires de Diderot, lettre CLIII, à mademoiselle Voland, t. XXIV. Édit. Brière.
[82] Mémoires de Morellet, t. I, p. 151 et suiv.
[83] Lettres de Thrasybule à Leucippe, t. IV des Œuvres de Fréret, p. 82 et 96. — Cet ouvrage, attribué à Fréret, paraît être de Lévesque de Burigny, un des amis de madame Geoffrin.
[84] Helvétius, de l'Esprit, t. I, p. 125, 126.
[85] D'Alembert à Voltaire, Correspondance, t. XXII, p. 190.
[86] L'Antiquité dévoilée, passim.
[87] Voyez la curieuse Dissertation sur saint Pierre, t. VI des Œuvres de Boullanger p. 177 et suiv.
[88] L'abbé Lenglet, projet de souscription pour une seconde édition de la Méthode pour étudier l'histoire.
[89] Addition aux Pensées philosophiques, t. I des Œuvres, p. 252.
[90] Dans les Époques de la nature.
[91] Picot, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique pendant le dix-huitième siècle, t. II, p. 240 et 241.
[92] Garat, Mémoires sur M. Suard, t. I, p. 229 et 230.
[93] Mémoires de Marmontel, t. II, p. 115.
[94] Correspondance de Voltaire, Lettre à madame d'Épinai, t. XXIII, p. 251.
[95] De l'Esprit, t. I, chap. II, p. 137.
[96] De l'Esprit, t. I, chap. II, p. 184.
[97] Garat, Mémoires sur M. Suard, t. I, liv. III, p. 217.
[98] Que vous sert de me réduire au silence, si vous ne pouvez m'amener à la persuasion ? Et comment m'ôterez-vous le sentiment involontaire qui vous dément toujours malgré moi ? Émile, t. III des Œuvres complètes, p. 415. Édit. Armand Aubrée.
[99] Émile, t. III des Œuvres complètes, Profession de foi du vicaire savoyard, p. 472.
[100] Discours sur les sciences et les arts, t. I des Œuvres complètes de J.-J. Rousseau, p. 28.
[101] Rêveries du promeneur solitaire, première promenade.
[102] Émile, t. I des Œuvres complètes, liv. I, p. 22.
[103] Émile, t. I des Œuvres complètes, liv. I, p. 21.
[104]
Émile, t. I des Œuvres complètes, liv. I, p. 19 et 20.
[105] Émile, t. I des Œuvres complètes, liv. III, dans une note de Rousseau.
[106] Émile, liv. III, p. 22.
[107] Émile, liv. IV, p. 412.
[108] Voyez la lettre de Rousseau à Deleyre, un des amis de Diderot.
[109] Émile, liv. IV, p. 450.
[110] Musset Pathay, Hist. de la vie et des ouvrages de J.-J. Rousseau, p. 525.
[111] C'est ainsi que Voltaire appelait le Mahomet de sa tragédie.
[112] Après avoir vécu chez des rois, je me suis fait roi chez moi. Mémoires de Voltaire, t. II, édit. Delangle.
[113] Correspondance de Voltaire, t. XX, p. 190.
[114] Correspondance de Voltaire, t. XXI, p. 263.
[115] Correspondance de Voltaire, à d'Alembert : J'admire Gustave III, etc. T. XXV, p. 48.
[116] Correspondance de Voltaire, à Damilaville, t. XIX, p. 522.
[117] Voyez la Correspondance de Voltaire et de Frédéric au sujet de la guerre, t. VI, p. 534 ; t. XXV, p. 449, 455, et t. XXVI, p. 54.
[118] Manuscrits du duc de Choiseul, cités par M. de Saint-Priest, dans son Histoire de la chute des jésuites.
[119] Correspondance de Voltaire, à d'Alembert, t. X, p. 95.
[120] Je vous remercie de la part que vous prenez aux heureux hasards qui m'ont secondé à la fin d'une campagne où tout semblait perdu. Correspondance de Voltaire, Frédéric à Voltaire, t. X, p. 197.
[121] Mémoires de Morellet, t. I, p. 85.
[122] Correspondance de Voltaire, à madame Denis, t. VII, p. 185.
[123] Correspondance de Voltaire, t. XXIII, p. 29.
[124] Correspondance de Voltaire, à d'Alembert, p. 126.
[125] Correspondance de Voltaire, t. XIII, p. 87.
[126] Correspondance de Voltaire, t. XIV, p. 197 et 203.
[127] Correspondance de Voltaire, t. XX, p. 9.
[128] Garat, Mémoires sur M. Suard, t. I, p. 208 et suiv.
[129] Système de la nature, t. I, chap. I, p. 16.
[130] Système de la nature, t. I, p. 25.
[131]
Système de la nature, t. I, chap. II, p. 38.
[132]
Système de la nature, t. I, chap. II, p. 38.
[133]
Système de la nature, t. I, chap. XII, p. 276.
[134]
Système de la nature, t. I, chap. XI, p. 247.
[135] Système de la nature, t. I, chap. XIX, p. 330.
[136] Saint-Priest, Hist. de la chute des jésuites, p. 22.
[137] Saint-Priest, Hist. de la chute des jésuites, p. 147.
[138] Le bref de Clément XIV est de 1773. — Choiseul alors était tombé ; es jésuites avaient été chassés de France en 1762.
[139] Crétineau-Joly, Hist. de la Compagnie de Jésus, t. V, p. 395.
[140] Correspondance de Voltaire, t. XV, p. 37.
[141] Correspondance de Voltaire, d'Alembert à Voltaire, t. XI, p. 115.
[142] D'Étallonde parvint à s'échapper et fut accueilli dans son infortune par Voltaire. Quant à La Barre, il fut décapité avant d'être brûlé, aux termes de l'arrêt définitif.
[143] Laissons Voltaire dans le calendrier de nos saints, a dit un démocrate, M. Thoré ; et c'est justice.
[144] Correspondance de Voltaire, au comte d'Argental, t. XIV, p. 540.
[145] Vauvenargues, Réflexions et maximes, CLXIV.
[146] Mémoires de l'abbé Morellet, t. I, p. 161.
[147] Mémoires de l'abbé Morellet, t. I, p. 132.
[148] Boullanger, t. VI des Œuvres, p. 271, 281, 299, etc.
[149] Chap. XXIV, Des moyens de perfectionner la morale, t. I, p. 390, 391.
[150] Raynal, Hist. philosophique des deux Indes, t. IV, liv. XI, p. 171.
[151] Voyez l'Éloge de Morellet, par Lemontey, t. I des Mémoires, p. vj.