HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

ORIGINES ET CAUSES DE LA RÉVOLUTION

LIVRE PREMIER. — PROTESTANTISME

L'INDIVIDUALISME EST INAUGURÉ DANS LE MONDE CHRÉTIEN

 

CHAPITRE III. — L'INDIVIDUALISME DANS LA RELIGION. - CALVIN.

 

 

Calvin, législateur de l'esprit de révolte. — Il divise le monde en élus et réprouvés : sens contre-révolutionnaire de cette doctrine. — Le calvinisme, nouveau genre d'oppression, ne convenait qu'à une féodalité militaire. — Voilà pourquoi il entre en France par la noblesse et cherche à s'y établir par l'épée. — Il y succombe avec la féodalité en armes, dans ce qu'il avait de farouche et de religieux. — L'individualisme passe donc, en se transformant, des champs de bataille dans les livres, de la théologie dans la politique, du camp de la noblesse guerrière dans le domaine de la bourgeoisie pacifique et industrielle.

 

Depuis la venue de Luther, toutes les anciennes puissances étaient en échec. Par l'effet d'une solidarité inévitable, Luther avait réuni contre lui le pape et l'empereur, Léon X et Charles-Quint. Le principe d'autorité chancelait : deux hommes se levèrent en même temps, l'un pour le défendre et le raffermir, l'autre pour le contrefaire : ce furent Ignace de Loyola et Calvin.

On sait ce qu'il fut donné au premier d'accomplir et combien étrange est l'époque de sa vie qui nous le montre fatigué de la gloire du soldat, mais avide d'une gloire nouvelle, assailli de visions, en proie à une sorte de démon intérieur, tantôt gravissant les montagnes d'un pas rapide comme pour aller vers Dieu, tantôt sous l'empire de quelque révélation surnaturelle, s'arrêtant en larmes au seuil des églises et y demeurant des heures entières, oppressé, immobile ; puis un jour, l'âme remplie d'une ardeur pieuse mêlée à de chevaleresques souvenirs, allant suspendre son bouclier à une image de la Vierge, et après avoir fait devant cette image la veille des armes[1], s'engageant dans le service du ciel ! En Calvin, rien de semblable. Ici, au lieu d'une nature impétueuse et tendre, au lieu d'un homme joignant l'illuminisme des Alumbrados à l'humeur aventureuse des chevaliers errants, nous trouvons un logicien serré, subtil et maître de son cœur. Toutes les qualités de l'organisateur, Calvin les possède : puissance de méditation, suite dans les idées, courage réfléchi, conviction opiniâtre et violente.

Et cependant la conception propre à Calvin devait périr, tandis qu'au soldat espagnol, au poète, à l'illuminé, resta l'honneur d'avoir laissé des règlements politiques d'une profondeur incomparable, et d'avoir fondé cette société de Jésus qui devait prolonger l'existence de Rome en l'absorbant, sauvegarder les trônes mis en tutelle, et opposer à l'individualisme débordé une barrière, encore debout.

C'est qu'Ignace de Loyola fut conséquent avec son principe, et qu'il n'en fut pas de même de Calvin.

En faisant d'une obéissance aveugle et illimitée la règle de son Institut, Ignace de Loyola employait un moyen conforme à son but, qui était de combattre l'individualisme et de le dompter.

Mais vouloir continuer Luther et créer une papauté protestante, vouloir s'ériger en législateur despotique du libre examen, c'était tenter l'impossible. Et c'est justement ce que fit Cal vin, lorsque, en 1535, il publia son Institution de la Religion chrétienne.

Nulle part les droits de l'autorité n'avaient été proclamés avec autant d'exagération que dans ce code du protestantisme. Elle est, dit Calvin, aussi indispensable aux hommes que le pain, l'eau, le soleil et l'air[2]. Et il ne demande pas seulement au pouvoir de maintenir l'ordre matériel ; il lui demande de punir les sacrilèges, les offenses à la religion, et d'empêcher qu'on ne sème dans le peuple des germes d'idolâtrie, qu'on ne blasphème la sainte volonté de Dieu[3]. Voilà Calvin franchissant d'un bond l'immense intervalle qui sépare le protestantisme de la théocratie.

Il fallait justifier cette monstrueuse inconséquence ; il fallait dire comment un tel despotisme se pouvait concilier avec le droit reconnu à chacun de décider par lui-même du sens des Écritures, et de ne suivre d'autre guide que la grâce reçue d'en haut : Calvin supposa que Dieu accordait aux élus le privilège d'entendre de la même manière sa parole divine. La réunion de ces élus, il l'appela, par opposition à Rome, la véritable Église ; et il crut avoir ainsi dans la liberté des consciences ressaisi l'unité perdue[4]. Vain détour ! il oubliait qu'à peine à son berceau le protestantisme avait produit une foule de sectes différentes : les Luthériens, les Carlostadiens, les Zwingliens, les Ubiquitaires ; il oubliait que l'institution chrétienne avait précisément pour but de rallier tant de détachements épars d'une armée aussitôt rompue que rassemblée ; il oubliait que lui-même il différait sur des points importants, sur la question de l'eucharistie, par exemple, et de Luther, et de Zwingle, et d'Œcolampade.

Mais la nécessité d'échapper aux contradictions qui le pressaient devait entraîner Calvin à des affirmations d'une bien autre portée. C'était avec le dessein d'affranchir l'homme à l'égard de l'homme, que Luther avait adopté le fatalisme de la prédestination, qui, rapportant tout au despotisme de Dieu, ne laisse plus rien à faire aux autorités humaines. Calvin sentit bien que sa théorie du pouvoir était ruinée de fond en comble, s'il concluait de la fatalité qui pèse sur le criminel à une tolérance universelle et systématique. Il osa donc prétendre que, dans le coupable, la faute est à la fois nécessaire et néanmoins imputable à la volonté[5]. Indigne conclusion, dont l'absurdité résulte du seul rapprochement des termes ! L'homme n'est pas libre, et pourtant il est responsable de ses actes : tel fut le dernier mot de la doctrine de Calvin. Et pourquoi ? Parce qu'en faisant de sa liberté un usage pervers, le premier homme a perdu en lui tous ses descendants, excepté ceux qu'il a plu à Dieu de sauver par un décret arbitraire de sa puissance[6].

Ainsi, Calvin admettait un royaume des élus, un royaume des réprouvés, et entre les deux un abîme qui ne devait être jamais comblé, jamais franchi. Apportant dans son explication du dogme du péché originel je ne sais quelle affreuse et sanglante logique, il faisait des trois quarts du genre humain l'irrévocable part de Satan et sa proie éternelle. Niant le libre arbitre sans nier l'enfer, il tenait en réserve pour des crimes qu'il déclarait impossibles à éviter, des châtiments pleins d'horreur. L'enfant même, parmi les réprouvés, il le damnait jusque dans les entrailles maternelles. Il faisait à Dieu cet outrage de l'adorer injuste, barbare et tout-puissant.

Transportez le calvinisme, de la théologie à la politique, voici les conséquences : les élus, ce sont les heureux de la terre ; les réprouvés, ce sont les pauvres ; entre les uns et les autres, il est un abîme, un fatal abîme : l'inégalité des conditions ; et le divin caprice qu'il faut subir en l'adorant, c'est le hasard de la naissance.

Aussi Calvin regardait-il l'aristocratie comme la meilleure de toutes les formes de gouvernement[7].

Et maintenant sa vie est expliquée. Si dans Genève, devenue la Rome du protestantisme, il établit une discipline que Rome ne connut jamais ; s'il fit trembler ses disciples et s'efforça d'écraser ses adversaires ; s'il ne craignit pas de lever au ciel, d'un air de triomphe, ses mains rouges du sang de Servet ; s'il écrivit sur le droit d'exterminer par le glaive les hérétiques, un livre digne du génie de l'inquisition[8] ; si Mélanchthon ne put l'approcher sans en devenir moins tendre[9] ; si Théodore de Bèze enfin le loue de s'être jusqu'au bout montré implacable[10]... qui pourrait ne pas voir en tout cela le fruit d'une doctrine qui sanctifiait la haine ?

Luther avait dit : Nul n'a pouvoir sur la conscience de l'élu du Seigneur. Calvin venait dire : L'élu du Seigneur a pouvoir sur le réprouvé. L'individualisme de Luther aboutissait donc naturellement à un régime de garanties : il convenait à une société industrielle. L'individualisme de Calvin, au contraire, se combinait avec des idées d'oppression : il convenait à une société militaire.

Et en effet, ce fut par la féodalité en armes, dont il servit les derniers efforts, que le calvinisme s'introduisit dans notre pays. Depuis quelque temps, la France était agitée par un mouvement d'émancipation analogue à celui qui emportait l'Allemagne. En répandant le culte de l'antiquité païenne, en détrônant la Sorbonne au nom de la science, et la scolastique au profit des littérateurs, la Renaissance avait frayé les voies à la Réforme, qui déjà comptait en France des martyrs, et, entre autres, Louis de Berquin. Comment-allait être accueilli le calvinisme ? Quels devaient être les effets immédiats de son passage et son influence révolutionnaire ? Comment la bourgeoisie française fut-elle amenée à adopter le principe d'individualisme, après l'avoir dépouillé, et de la forme religieuse que lui avait donnée Luther, et du caractère violent dont l'avait revêtu Calvin ? C'est ce que nous allons exposer.

La pensée, à cette époque, était déjà devenue tellement dominante dans le monde, qu'elle seule pouvait désormais fournir aux factions, soit un point d'appui, soit un but avouable. Les intérêts en étaient venus à ne pouvoir plus se produire qu'à la suite des idées. Quel principe représentaient les Guise ? Quel principe avait-on à invoquer pour les combattre ? C'est ainsi que la question se trouva posée : tant on était déjà loin de ces grossières querelles des Armagnacs et des Bourguignons !

Or, le principe sur lequel devait naturellement s'appuyer un soulèvement de nobles, Calvin venait de le mettre en lumière. Portée d'une égale ardeur vers la résistance à l'égard du trône, vers l'oppression à l'égard du peuple, la noblesse aurait vainement cherché une doctrine plus conforme à ses tendances que le calvinisme, si propre à exalter à la fois et l'orgueil qui fait les rebelles et celui qui fait les tyrans.

Ce n'est pas que, dans ses préoccupations de despote religieux et d'organisateur, Calvin n'eût condamné la révolte. Et même, la Confession de foi des Réformés de France contient cet article, qui est le quarantième et dernier[11] : Nous tenons qu'il faut obéir à leurs lois et statuts — des magistrats — payer imposts et autres devoirs, et porter le joug de la subjétion, d'une bonne et franche volonté, encore qu'ils fussent infidèles, moyennant que l'empire souverain de Dieu demeure en son entier. Par ainsi nous détestons ceux qui voudraient rejeter les supérioritez, mettre communauté et confusion de biens, et renverser l'ordre de justice. Déclarations illusoires ! L'essence de l'individualisme est de se changer en révolte quand il subit le pouvoir, et en tyrannie quand il le possède. Il ne dépendait pas du calvinisme d'échapper aux conséquences de son principe : il éclata, en France, parla conjuration d'Amboise.

On sait comment le complot fut dénoncé par le protestant Avenelles et le protestant Lignères ; comment La Renaudie fut tué en cherchant à rallier autour d' Amboise les conjurés épars ; comment l'entreprise échoua enfin, et quel fut le triomphe des Guise. Mais loin d'étouffer la guerre civile à son berceau, ce triomphe la rendit inévitable, terrible, par les cruautés dont le cardinal de Lorraine rassasia son cœur. Le sang ruissela dans les rues d'Amboise. La Loire fut couverte de cadavres. Et la cour d'assister aux exécutions comme à une fête. Ce spectacle, dit d'Aubigné[12], estonna le roy, ses frères, et toutes les dames de la cour qui, des platesformes et des fenestres du chasteau, y assistoient. Mais surtout cette compagnie admira Villemongis Bricmaut, qui, prest à mourir, emplit ses deux mains du sang de ses compagnons, qu'il jeta en l'air, puis les eslevant sanglantes : Voilà le sang innocent des tiens, ô grand Dieu ! et tu le vengeras ! La prédiction ne fut que trop bien accomplie.

Les calvinistes, dès ce moment, ne respirèrent plus que la guerre. Quant aux catholiques, l'atrocité des supplices récents réjouit les uns, mais fut aux autres un sujet de pitié, à quelques-uns de remords. Le chancelier Olivier en mourut, et ses derniers moments appartinrent au désespoir : on eût dit : que ce fust quelque jeune homme en la fleur de l'âge qui, de toute sa puissance, esbranloit le lict et la couche par la force de la maladie et de la douleur[13]. Le cardinal de Lorraine l'étant venu voir : Ah ! ah ! cardinal, s'écria-t-il furieux, c'est toi qui nous damnes ! Et comme celui-ci disait au mourant de prendre garde, que c'était l'esprit malin qui tâchait de le séduire : C'est bien dit, répliqua le chancelier d'une voix amère, c'est bien rencontré. Puis il se retourna et ne parla plus.

Dans la France du seizième siècle, si violemment poussée à la conquête du libre examen, la France superstitieuse du moyen âge devait se retrouver longtemps encore. En plusieurs villes le peuple croyait à certaines visites nocturnes de je ne sais quels esprits mystérieux et redoutables. Leur noir monarque, à Tours, s'appelait Huguet. Les calvinistes ayant quelquefois des assemblées nocturnes, leurs ennemis, après la conjuration d'Amboise, les appelèrent Huguenots[14], leur voulant donner un baptême d'ignominie.

Ils étaient vaincus, on les jugeait flétris : qu'avaient à faire les Guise pour compléter la victoire ? Il leur restait Condé à livrer au bourreau. Leur audace ne s'étonna point d'un tel coup à frapper, et, pour la couvrir, ils convoquèrent les états à Orléans. Condé se montra intrépide, dédaigneux de ses juges, de ses ennemis et de la vie. On le condamna ; mais, le 5 décembre 1560, la mort de François II vint, en le sauvant, donner un chef politique aux sectateurs de Calvin, et à ses disciples armés un capitaine.

Condé convenait-il à son rôle ? Singulier sectaire qu'un prince qui se plaisait d'une manière à peu près exclusive aux coups de lance, à la fumée des camps, aux gais discours, aux amours faciles, et aimoit autant la femme d'autruy que la sienne[15]. Condé n'était pas homme à voir dans la défense de la religion nouvelle autre chose qu'un passe-temps de chevalier. Or, ce qu'il fallait aux calvinistes, c'était un chef plein de zèle pour leur doctrine et pénétré de son esprit. Car, je le répète, il ne s'agissait plus de conduire au combat des intérêts ou des passions, il s'agissait d'y conduire une idée.

Un guerrier méditatif, convaincu et taciturne, un guerrier sombre comme le Dieu de Calvin, voilà le général qu'il fallait aux soldats qu'avait frappés le souffle venu de Genève. Et tel était l'aîné des Châtillon, l'amiral de Coligny. Il parlait peu et agissait prudemment avec une âme tumultueuse, avec de hardis desseins. Un fond de tristesse altérait son sourire ; l'austérité de ses mœurs n'était pas sans quelque rudesse ; malheureux dans les combats, jamais il n'approcha de l'éclat de François de Guise. Mais ce fut sa gloire particulière d'avoir fait de la vertu la moitié de son génie ; de s'être acquis, rien que par des batailles perdues, un renom de capitaine illustre ; d'avoir été enfin le héros de la mauvaise fortune. Pour ce qui est du droit de commander, il n'avait ni à le recevoir ni à le prendre : il le possédait naturellement, par la confiance qu'il inspirait, par son geste et la gravité de son orgueil. Ce fut au point que les reîtres mêmes, si indisciplinés, si avides, du salaire de leur courage, tremblèrent, quand Coligny les commanda, de lui paraître cupides, et, sous son regard, s'étonnèrent de ne pouvoir être insolents.

Mais il ne devait s'engager qu'après avoir bien mesuré de l'œil la carrière à fournir. Était-il de la conjuration d'Amboise ? Tavannes l'en accuse ; le contraire est énergiquement affirmé par Brantôme[16] : M. l'amiral ne sceut jamais ladicte conjuration d'Amboise. on ne la lui voulut jamais conférer, d'autant que les conjurateurs le tenoient pour un seigneur d'honneur. et pour ce les eust bien renvoyez loin, rabrouez, et reculé le tout, voyre aydé à leur courir sus. Brantôme assure, en outre, que l'amiral fit parvenir secrètement à madame de Guise l'avis d'un complot tramé contre son mari[17]. Pourquoi non ? Jeunes encore, François de Guise et Coligny s'étaient liés d'amitié fraternelle : ils durent s'en souvenir, jusqu'au jour qui les fit ennemis pour jamais.

Ce jour approchait. Maître du royaume sous François II, le duc de Guise n'avait pas tardé à reprendre, sous Charles IX, son empire un instant ébranlé. Seulement, des alliés lui étaient désormais nécessaires : il les choisit à son gré. Sachant que le connétable, éloigné par lui des affaires pendant la précédente période, joignait à la brutalité de l'ancien homme d'armes une dévotion de nourrice, et, lorsqu'il courait aux arquebusades, récitait des patenôtres[18], il le ramena, il le gagna, en lui faisant peur de la messe abolie et des autels de la Vierge renversés. Restait le maréchal de Saint-André : Guise l'eut pour instrument, l'ayant fait son égal. Ainsi naquit le triumvirat. Et aussitôt on se met à l'œuvre. Antoine de Bourbon, roi de Navarre, n'était à craindre que par son union avec les huguenots : en l'attirant, on l'annule.

On s'assure l'appui de Rome, l'appui de Philippe II ; on a pour soi l'Italie et l'Espagne : nous touchons à la formation de la ligue catholique. Ici commence ce qu'il y eut d'original et de vraiment imposant dans la destinée de François de Guise. Qu'avait-il été jusqu'alors ? un soldat poussé au faîte par sa vaillance et le succès, un ambitieux absous par des victoires, un dompteur de villes à la manière de tant d'autres, et, à tout prendre, un vulgaire grand homme. Mais le voilà conduit en suivant le cours des choses à une domination qui est celle de la pensée servie par le glaive ; le voilà devenu le défenseur suprême d'une idée à qui le passé appartient, et, comme tel, debout sur la limite de deux mondes.

Cependant, en dehors du principe d'individualisme pour lequel Coligny allait s'armer, en dehors du principe d'autorité que François de Guise allait défendre, n'y avait-il plus rien ? Il y avait le principe de fraternité ; et l'homme auquel échut l'incomparable honneur de le représenter se nomme Michel de L'Hôpital. Car Michel de L'Hôpital ne fut pas, ainsi qu'on l'a prétendu, le précurseur de ce parti des politiques que la suite de notre récit amènera bientôt sur la scène et qui introduisit la bourgeoisie aux affaires : parti égoïste dans sa tolérance, humain par scepticisme, et qui n'eut jamais que la modération de l'indifférence. Non : Michel de L'Hôpital se sentait des entrailles pour le peuple. Sa modération était active, sa tolérance n'était que la charité au repos. Le calme du vieillard et la sérénité du sage paraissaient sur son front ; mais au fond de son cœur il y avait un foyer d'agitations généreuses et les flammes de la jeunesse. Il répétait volontiers que les hommes sont tous frères ; et ses efforts pour prévenir les querelles religieuses eurent leur source dans un amour réfléchi et profond de l'humanité, qui, malheureusement, n'était pas de son siècle et qui n'est pas encore du nôtre.

Aussi le colloque de Poissy n'eut-il aucun des résultats qu'en avait espérés la grande âme de L'Hôpital. Placés en face des cardinaux de Lorraine et de Tournon, de Claude d'Espence, de Jacques Lainez, représentants fanatiques du principe d'autorité, les lieutenants de Calvin, Théodore de Bèze et Pierre Martyr, ne firent que commencer par la parole la lutte qui allait se continuer par l'épée entre François de Guise et Coligny. On connaît assez l'histoire de ce colloque ; mais ce que la plupart des historiens ont passé sous silence, et ce qui est pourtant digne d'un souvenir éternel, c'est le discours que le chancelier prononça devant Catherine de Médicis, devant Charles IX, devant une assemblée tout entière en proie à des sentiments de haine et à des projets de meurtre : Proposez-vous une même fin. Je prie les savants de ne point mépriser ceux qui leur sont inférieurs en science, et les autres, de ne point envier ceux qui en savent plus qu'eux, et tous ensemble, de laisser les disputes vaines. Catholiques et protestants, vous avez été régénérés par un même baptême ; vous êtes adorateurs d'un même Christ, vous êtes frères[19]. Exhortation touchante, vraiment sublime ! mais elle venait avant l'heure. La guerre civile était au fond des doctrines ; comment n'aurait-elle pas éclaté dans les faits ? Rien ne put la prévenir, ni l'édit de janvier, édit de tolérance et de justice, ni la prudence du chancelier, ni la politique de Catherine que la puissance croissante des Guise épouvantait. Le 1er mars 1562, dans la petite ville de Vassi, près de trois cents protestants étaient massacrés, dans une grange, par la suite des princes lorrains, sur un signe du cardinal de Lorraine, prêtres et dames applaudissant, et montrant de la main aux soldats les victimes qui cherchaient à s'évader par les toits[20]. Il n'en fallait pas tant ; la France fut en feu.

A en juger par le récit de d'Aubigné dans son Histoire universelle, ce dut être une nuit terrible que celle qui donna un chef religieux au protestantisme en révolte. Coligny dormait d'un sommeil tranquille, quand tout à coup des sanglots retentissent à côté de lui ; il se réveille effrayé. C'était sa femme qui se répandait en lamentations sur le sort des calvinistes livrés au couteau des catholiques. Le discours de Charlotte de Laval à Coligny eut quelque chose de lugubre, mais d'irrésistible. Il n'entendait donc pas les cris de ses coreligionnaires égorgés ? Il n'y avait donc rien dont son âme se pût émouvoir dans cette cause de Dieu, dans cette cause de leurs frères ? Ce lit m'est un tombeau, disait-elle, puisqu'ils n'ont pas de tombeaux. Ces linceux me reprochent qu'ils ne sont pas ensevelis[21]. Coligny écoutait, l'âme oppressée, vaincu à demi ; il objecta, pourtant, les malheurs du royaume en proie au choc des Espagnols et des Anglais, les déroutes probables, l'opprobre, la calomnie ajoutée à la défaite, la fuite en pays étranger peut-être, et la faim et la nudité : Ne périrait-il point par le bourreau ou sous le poignard d'un assassin ? Et elle, abandonnée, proscrite, ne serait-elle pas un jour réduite à voir ses enfants devenir les valets de leurs ennemis ? Pour peser une telle résolution, je vous donne trois semaines, dit-il en finissant. Mais comment comprimer le cœur d'une femme quand il s'échappe en violences de piété ou d'amour ? Ces trois semaines sont achevées, s'écria impétueusement Charlotte de Laval. Au nom de Dieu, je vous somme de ne nous frauder pas, ou je serai témoin contre vous en son jugement. Le lendemain, Coligny prenait l'épée ; il ne la quitta que pour mourir.

Se plaignant au roi de Navarre du massacre de Vassi, Théodore de Bèze avait dit à ce prince : Sire, c'est à la vérité, à l'Église de Dieu, au nom de laquelle je parle, d'endurer les coups et non pas d'en donner ; mais aussi vous plaira-t-il vous souvenir que c'est une enclume qui a déjà usé beaucoup de marteaux[22]. Mais, observe très-bien Bossuet[23], cette parole, tant louée dans le parti, ne fut qu'une illusion, puisque enfin, contre la nature, l'enclume se mit à frapper, et que, lassée de porter les coups, elle en donna à son tour. Or, pour comprendre ce que dut être un duel semblable entre l'ancien principe et le principe nouveau, il suffit de rapprocher du catéchisme de l'inquisition les théorèmes farouches de l'Institution chrétienne, il suffit de se rappeler que sur l'un des deux camps planait le génie de Philippe II, et sur l'autre celui de Calvin.

Ainsi s'ouvrirent ces guerres. Feuilletez-en jusqu'au bout les annales, si vous vous en sentez la force ; vous n'y trouverez rien de cet élan, de cette générosité chevaleresque, de cet inépuisable fond de gaieté que les Français jusqu'alors avaient portés dans les batailles. Les guerriers que le règne des Valois fait passer sous nos yeux ont, presque tous, quelque chose de la bravoure du sicaire et de la sérénité sinistre du bourreau. Le héros produit par le catholicisme du cardinal de Lorraine et de Philippe II, c'est Montluc, qui mettait à dresser ses enfants au carnage sa sollicitude paternelle[24], et qui aimait à marquer sa route avec des lambeaux humains, attaches aux branches des arbres ; le héros produit par le protestantisme genevois, c'est le baron des Adrets, qui, sous prétexte qu'on ne saurait faire la guerre avec respect et porter à la fois la main au chapeau et à l'épée[25], aurait voulu changer en un vaste cimetière le Lyonnais, le Forez, l'Auvergne, le Dauphiné, le Languedoc ; et le craignoit-on plus que la tempeste qui passe par de grands champs de bled[26]. François de Guise lui-même, quoique naturellement magnanime, parut avoir oublié, au service de son principe, la courtoisie de Metz, et ce qu'on l'avait vu pour les Espagnols de Charles-Quint, il ne le fut pas pour les Français de Coligny. Seul, Condé représenta, dans la lutte, l'ancienne noblesse de France ; mais remarquez bien que Condé n'était huguenot que de nom.

Ivre de courage, d'ambition et d'amour, il s'inquiétait peu de savoir s'il était vrai que Dieu eût, de toute éternité, partagé le monde en élus et en réprouvés, et il n'était pas conduit, conséquemment, à juger légitime, à proclamer sainte l'extermination des réprouvés par les élus !

Si l'on pouvait mettre en doute l'influence du calvinisme sur les mœurs de l'époque des Valois, et les ravages que cette influence exerça même parmi les catholiques, on n'a qu'à méditer le rapprochement que voici. Le principe de Calvin, avons-nous dit, c'était l'individualisme combiné avec des idées d'oppression.

Or, quel fut le trait distinctif, caractéristique des guerres de religion chez un peuple aussi loyal, aussi chevaleresque, aussi humain que le peuple de France ? Ce fut l'assassinat, l'assassinat, qui est la manifestation la plus odieuse, mais la plus logique et la plus directe, du sentiment individuel, exalté outre mesure et perverti.

Personne n'ignore quelle fut la fin de François de Guise ; et ce n'est pas sans raison que Bossuet s'est fait du crime de Poltrot une arme contre les calvinistes d'alors[27]. Il est certain, en effet, qu'avant de frapper, Poltrot allait annonçant partout le coup qu'il méditait. Et nul, parmi ceux du parti, ne le détourna de son dessein.

Comment ne pas reconnaître en de telles fureurs l'effet d'une doctrine qui avait osé mettre la religion dans la haine ? Comment n'y pas retrouver ce genre de conviction qui animait Renée de France quand elle écrivait à Calvin : Je n'ai pas oublié ce que vous m'avez écrit, que David a haï les ennemis de Dieu de haine mortelle, et je n'entends point de contrevenir ni de déroger en rien à cela ; car, quand je saurais que le roi mon père, et la reine ma mère, et feu monsieur mon mari, et tous mes enfants seraient réprouvés de Dieu, je les voudrais haïr de haine mortelle, et leur désirer l'enfer. Voilà quels disciples Calvin faisait parmi les femmes ; faut-il s'étonner s'il en trouva de terribles parmi des gens d'épée ? Le calvinisme, d'ailleurs, était venu mettre la Bible dans toutes les mains, et répandre ainsi, en lui prêtant un caractère divin, ce mélange de religion et de barbarie par où se distingue l'histoire du peuple juif.

Hâtons-nous de dire que la contagion se communiqua bien vite aux catholiques, les mœurs que Catherine de Médicis avait apportées d'Italie ne les ayant que trop bien disposés à subir, sous ce rapport, l'influence du protestantisme. Trop ardente, la soif de la volupté finit par se confondre avec la soif du sang, et la cruauté est un des symptômes de l'excessive dépravation dans l'amour. La cour de France en offrit, sous le règne des Valois, un exemple aussi étrange que tragique. Les femmes que Catherine entretenait autour d'elle pour tirer profit du pouvoir de leur beauté ne cédaient qu'à des amours homicides. A des propos de galanterie passionnée se mêlaient sans cesse, autour du trône, des projets de meurtre. Si l'on allait s'exercer dans les salles basses du Louvre à donner prestement un coup de poignard, c'était après des raffinements de débauche sans nom, c'était au sortir d'une atmosphère tout imprégnée des énervants cosmétiques de Florence. Les gentilshommes écrivaient à leurs maîtresses avec du sang : celui de leurs rivaux ou le leur. La mode était aux parfumeurs et aux sicaires.

L'assassinat fut donc de tous les partis. On s'en fit un moyen de renommée ; quelques-uns y excellèrent. On put citer, on vanta, parmi les plus fameux, Thomas, surnommé le tireur d'or[28]. Il avait coutume de manger avec des mains rouges de ses meurtres, se faisant honneur de mêler à sa nourriture le sang versé par lui en trahison.

Assassiner devint même œuvre de roi. Ceux de Guise, après la conjuration d'Amboise, avaient conseillé à François II de se mettre un beau jour à jouer avec Condé et de lui donner de la dague dans le sein ; François n'osa, et fut traité de lâche[29]. Cette lâcheté ne fut pas celle de Charles IX. Apprenant un soir que La Mole, dont il avait juré la mort, était au Louvre, il prend avec lui six gentilshommes, leur recommandant d'étrangler avec des cordes, qu'il leur distribua, la personne qu'il désignerait. Lui-même, portant à la main une bougie allumée, il poste ses complices sur le chemin que La Mole devait prendre pour aller chez le duc d'Alençon. Mais La Mole, ayant eu l'idée de se rendre d'abord chez la reine de Navarre, sa maîtresse, l'amour le sauva[30].

Ainsi, l'assassinat est partout, à cette époque, et jusque dans les batailles ! A Dreux, le maréchal de Saint-André tombe sous les coups de Baubigni, qui l'épiait dans le combat et avait une injure personnelle à venger[31]. A Saint-Denis, le connétable est renversé d'un coup de pistolet, au moment où il était abandonné des siens, blessé au visage, à bout de résistance et de forces[32]. A Jarnac, Condé meurt, lui aussi, d'un assassinat[33]. Il venait d'être fait prisonnier, lorsqu'il fut aperçu par des soldats de la compagnie du duc d'Anjou. Les voyant venir de loin, il se tourne vers celui qui avait reçu son épée, et lui dit : Je suis mort ! D'Argens, tu ne me sauveras pas. Puis se couvrant la face de son manteau, comme autrefois Jules César, il attendit. Il connaissait bien son temps : Montesquiou alla droit à lui et le tua.

Telle était donc l'influence du calvinisme, même sur la noblesse catholique, condamnée à le subir en le combattant, que chacun en était venu à se faire individuellement juge dans sa propre cause et, qui plus est, exécuteur de la sentence ; résultat logique de cette doctrine pleine de fiel, qui défendait aux hommes le repos de l'indifférence, le calme de l'égoïsme, et leur commandait, au nom de Dieu, l'activité dans la haine.

Il y avait par conséquent deux raisons pour que le calvinisme en France passât vite : sa nature d'abord, essentiellement antisociale, et ensuite son alliance avec la féodalité militaire, déjà sur le déclin.

Aussi, après les batailles de Jarnac et de Moncontour, la lassitude des huguenots est devenue évidente. Doublement fatigués et de leurs excès et de ceux de leurs ennemis, ils ne soupirent plus qu'après la paix. Elle leur est offerte le 15 août 1570, et aussitôt ils mettent bas les armes. Catherine de Médicis les appelle à Paris, avec de douces paroles, avec des promesses, et ils courent en foule au piège qui leur est. tendu. Il est vrai que la dernière paix leur était extrêmement avantageuse : on leur assurait la liberté de conscience ; on abolissait les édits qui leur avaient enlevé leurs emplois ; dans Paris, à la cour, on leur laissait des temples ; les villes de la Rochelle, de Montauban, de Cognac, de la Charité, leur étaient abandonnées pour deux ans, etc. Mais de pareilles conditions n'étaient-elles pas précisément trop favorables pour ne point paraître suspectes ? Et après tant de traités de paix déchirés, après tant de violations de la foi jurée, toujours suivies .d'une série d'égorgements, était-il permis aux huguenots de se livrer sans réserve à Catherine et à ses sinistres conseillers ? Cependant, leur impatience d'en finir est si vive qu'ils se pressent tous vers la mort qu'on leur prépare. Coligny lui-même, bien convaincu désormais de l'épuisement du calvinisme, s'attache à endormir sa prudence accoutumée. C'est en vain que, de toutes parts, on l'avertit du péril : Il vaut mieux, répond-il, mourir une fois d'un brave coup que de vivre cent ans en peur[34]. Et, arrivé à Paris, quelle est sa grande préoccupation ? d'aller faire la guerre aux Espagnols dans les Pays-Bas, pour détourner à jamais du royaume la guerre civile[35].

Voilà où en était le calvinisme en France, lorsque, le 24 août 1572, dans la capitale, au milieu de la nuit, la cloche du Palais donna le signal du massacre général des huguenots ! Par où il se peut juger que, de tous les forfaits restés dans la mémoire des hommes, la Saint-Barthélemy fut à la fois le plus exécrable et le plus inutile.

Le calvinisme languissait : la Saint-Barthélemy le ranima ; elle lui souffla des colères qui, pendant quelque temps, lui tinrent lieu de puissance. Aux massacres on répondit par des soulèvements ; mainte ville s'embrasa, dont les passions religieuses semblaient assoupies ; à venger Coligny les huguenots apportèrent, en plusieurs provinces, autant d'ardeur qu'ils en avaient montré à le suivre ; et les horreurs commises dans les matines de Paris enfantèrent la constance des assiégés de la Rochelle, leurs prodiges, leur héroïsme invaincu.

Du reste, en méditant la Saint-Barthélemy, Catherine de Médicis n'avait en vue aucun résultat social. Car, cette femme, qui passe pour avoir eu du génie, parce que sa vie entière fut un crime heureux, ne tendit jamais par de grands moyens qu'à de petites choses : à assurer son pouvoir de cour, à s'affranchir de quelque inquiétude personnelle, à saper des prétentions gênantes. Lors de la conjuration d'Amboise, prenant ombrage du triumvirat, elle pousse les protestants à la révolte, très-ayse que sur le grabouil et rumeur d'armes, elle fût en sauveté[36]. Plus tard, l'ascendant de Coligny lui fait peur, et elle cache un assassinat dans un massacre. Volontiers, en son ambition furieuse et stérile, elle aurait mis le feu au royaume, rien que pour y régner avec moins de soucis au milieu des cendres. Que lui importait la religion ? Brantôme, son panégyriste, a beau la représenter faisant ses Pasques, et ne faillant tous les jours au service divin, à ses vespres, à ses messes[37], sa vraie dévotion, sa dévotion sincère consistait à obéir aux astrologues, à calculer le nombre de jours réservés à ses ennemis ou à ses amants, sur les balancements d'une bague suspendue à un cheveu.

 

Par elle s'introduisirent en France mille pratiques d'un caractère à la fois puéril et funèbre, le goût des incantations, l'usage de tracer des cercles magiques. Quand La Mole fut interrogé sur le prétendu complot qui lui coûta la tête, on s'inquiéta fort d'une certaine image de cire qui lui appartenait et qu'on avait trouvée ayant un coup dans le cœur. Sommé de déclarer si cette figure avait rapport à la maladie du roi, La Mole jura que non et que ladite image était pour aimer sa maîtresse[38]. Tel était le genre de catholicisme mis à la mode par Catherine !

Aussi les terreurs de la superstition vinrent-elles peser sur cette âme que n'aurait peut-être pas envahie le remords. Le lendemain du jour où expira le cardinal de Lorraine, qu'elle avait reçu dans son lit, le haïssant, la reine fut tout à coup saisie d'épouvante. Étant à table, elle se mit à trembler violemment et s'écria : Jésus ! voilà le cardinal de Lorraine que je vois ![39] Longtemps, cette apparition la poursuivit, et, pendant plus d'un mois, Catherine de Médicis ne put demeurer seule.

Quant à Charles IX, s'il est difficile de ne le point maudire, il l'est aussi de ne pas le plaindre. Franc, d'humeur joyeuse et plein de douceur, il dut de devenir féroce et sombre à l'atmosphère en quelque sorte chargée de crimes qu'il respira. Irritable, débile, son organisation était incapable de résister aux impressions qui l'assaillirent. L'odeur du sang lui portait à la tête, et sa cruauté ne fut jamais que de l'ivresse. Lui qui, à la Saint-Barthélemy, tirait sur ses sujets huguenots, il prit en horreur les héros de ce carnage et leurs prouesses d'assassins. Il avait fallu lui arracher le signal de la tragédie : quand elle fut commencée, il y joua frénétiquement son rôle ; et quand elle fut finie, il en garda un tel souvenir que ses nuits se remplirent de spectres et qu'on ne le vit plus sourire.

Sa mort, qui arriva le 30 mai 1574, laissait le trône à un prince qui fit descendre la royauté si bas, que, lorsqu'il fut question de sauver par un dernier effort le principe d'autorité attaqué dans le catholicisme, le pouvoir royal en fut jugé indigne : on eut recours à la démocratie.

Quelles furent les circonstances principales, le sens, le caractère, la portée, les résultats de ce dernier effort du principe d'autorité, de cette lutte étrange qui nous montrera le catholicisme allié aux passions populaires et qui, dans l'histoire, s'appelle la LIGUE ? C'est ce qu'on ne saurait clairement indiquer, sans quitter un moment le monde des faits pour monter dans celui des idées.

Au seizième siècle, l'individualisme s'est produit, en France, sous trois aspects divers : religion, politique et philosophie. Nous venons de le suivre sous sa forme religieuse, se faisant accepter par la noblesse en armes, cherchant à gagner des batailles et à prendre les villes d'assaut, se traînant à la suite des révoltes, poussant au meurtre : propagande matérielle qui ne releva que de l'épée. Nous allons l'étudier maintenant transformé d'une manière sensible, se séparant des guerriers pour aller aux industriels et aux pacifiques amis des lettres, passant de la religion à la politique et à la philosophie, du milieu des camps dans les livres.

 

 

 



[1] Ranke, Hist. de la papauté, t. I, p. 246.

[2] Politiæ usus non minor inter homines quam panis, aquæ, solis et aeris. — Institut. christ, relig. lib. IV, cap. XX, p. 550. Genevæ, 1559.

[3] Institut, christ, relig. lib. IV, cap. XX, p. 550.

[4] De vera Ecclesia cum qua nobis colenda est unitas, quia piorum omnium mater est. Institut. christ, relig. lib. IV, cap. I, p. 570.

[5] Nego peccatum ideominus debere imputari quia necessarium est. Institut. christ, relig. lib. II, cap. V, p. 104.

[6] Ubi quæritur cur ita fecerit Dominus, respondendum est quia voluit. Institut. christ, relig. lib. III, cap. XXIII, p. 146.

[7] Minime negaverim aristocratiam vel temperatum ex ipsa et politia statum aliis longe omnibus excellere. Institut. Christ. relig. lib. IV, cap. xx, p. 552.

[8] Fidelis expositio errorum Michaelis Serveli et brevis eorumdem efutatio, ubi docetur jure gladii cœrcendos esse hæreticos. An 1554.

[9] Melanchthon ab eo tempore quo, vel caput reposuit in calvinismum, vel commercium cum eo habuit, ferocior factus est et asperior in catholicos. Ulembergius, Vita et res gestæ Philippi Melanchthonis, cap. XXIV, p. 189.

[10] Voyez le Discours de Théodore de Bèze, Œuvres françaises de Calvin, p. 4 et suiv.

[11] D'Aubigné, Hist. universelle, t. I, liv. II, chap. III, p. 64. 1re édit. MDCXVI.

[12] D'Aubigné, Hist. universelle, t. I, liv. II, chap. XV, p. 94.

[13] Théodore de Bèze, Hist. ecclésiastique, t. I, liv. III, p. 268.

[14] Théodore de Bèze, Hist. ecclésiastique, t. I, liv. III, p. 270.

[15] Brantôme, Vies des hommes illustres et grands capitaines françois de son temps, t. III, p. 211. Leyde, 1666.

[16] Brantôme, t. III, p. 152.

[17] Brantôme, t. III, p. 151.

[18] Brantôme, t. II, p. 67.

[19] Fra Paolo Sarpi, Hist. du concile de Trente, liv. V, p. 435.

[20] D'Aubigné, Hist. universelle, liv. III, chap. I, p. 130.

[21] D'Aubigné, Hist. universelle, liv. III, chap. I, p. 130.

[22] Journal de l'Estoile, t. I, p. 55. Collection Petitot.

[23] Hist. des Variations, liv. X, p. 13.

[24] Brantôme, t. II, p. 244.

[25] D'Aubigné, Hist. universelle, liv. III, chap. IX, p. 155.

[26] Brantôme, t. II, p. 245.

[27] Voyez le chapitre X de l'Histoire des Variations.

[28] Journal de l'Estoile, t. I, p. 76.

[29] Théodore de Bèze, Hist. ecclésiastique, t. I, liv. III, p. 270.

[30] Journal de l'Estoile, t. I, p. 82.

[31] D'Aubigné, Hist. universelle, t. I, liv. III, chap. XV, p. 169.

[32] D'Aubigné, Hist. universelle, t. I, liv. III, chap. IX, p. 216.

[33] Journal de l'Estoile, t. I, p. 65.

[34] Brantôme, t. III, p. 185.

[35] Brantôme, t. III, p. 165.

[36] Brantôme, Vies des dames illustres, p. 65.

[37] Brantôme, Vies des dames illustres, p. 87.

[38] Mémoires de l'Estat de France sous Charles neuvième, t. III, p. 196, B. 1575.

[39] Journal de l'Estoile, t. I, p. 109.