Ici se termine le récit des événements auxquels j'ai été mêlé. Ceux-là mêmes qui abusèrent, contre nous de leur triomphe d'un jour, ont-ils évité le châtiment de leurs actes ? Non. Les persécuteurs ont été persécutés ; les proscripteurs ont été proscrits ; les hommes qui nous avaient foulés aux pieds, sous prétexte que la société devait être sauvée à tout prix, ont été, absolument sous le même prétexte, ioulés aux pieds à leur tour. J'exposerai en quelques mots comment cela s'est fait, non par un vulgaire sentiment de satisfaction vindicative, mais parce qu'il résulte de là ce solennel enseignement : qu'aucun parti n'est sûr, lorsqu'il viole les lois éternelles de la justice, qu'il ne sera pas, un jour, réduit à invoquer leur protection. Parmi les diverses causes d'où est né l'empire, il en est une qui mérite d'être signalée plus particulièrement comme ayant exercé une influence désastreuse : c'est l'établissement de la ligue connue sous le nom de rue de Poitiers. Cette ligue, composée de tous les chefs du parti réactionnaire, et au sujet de laquelle d'Orsay m'écrivait : La rue de Poitiers est le choléra de Paris, ouvrit, lors de la présidence de Louis Bonaparte, une souscription ayant pour objet de sauver la société, et qui ne tarda pas à rapporter près de deux cent mille francs Or, tout l'argent provenant de cette souscription fut employé à imprimer et à répandre des libelles contre le socialisme. En ces pages remplies de venin et qu'on eut soin de distribuer gratis, de distribuer à profusion dans chaque ville, dans chaque village, et jusque dans les hameaux les plus reculés, quiconque était coupable du crime de désirer quelque amélioration profitable au Peuple, était baptisé communiste. Et être communiste, c'était soupirer après la loi agraire, bien que les communistes, au contraire, eussent adopté le principe de la grande culture ; — c'était vouloir la promiscuité des sexes, bien que les communistes fussent pour l'institution du mariage[1] ; — c'était pousser à la destruction du sentiment religieux, bien que les communistes eussent basé leur économie sociale sur la morale de l'Évangile[2] ; — c'était ne respirer que violence, bien que, parmi les communistes, quelques-uns condamnassent, avec une exagération dangereuse, tout recours à la force[3], Un des points de la doctrine communiste était que les enfants, après avoir passé leurs premières années sous l'aile maternelle, doivent être admis à jouir des bienfaits de l'éducation publique, et cela, aux frais de la société tout entière, une bonne éducation donnée à tous étant affaire d'intérêt général, autant et plus que le maintien d'une armée : sur cette opinion fut greffée l'imputation monstrueuse que les communistes demandaient l'abolition de la famille. Ils avaient indiqué comme le résultat, encore éloigné mais désirable, des progrès de l'humanité, un ordre social dans lequel on mettrait à profit tous les avantages attachés au régime de l'association, tels que salles communes de réception, de récréation, de lecture, conformément à ce qui est pratiqué aujourd'hui même dans les établissements thermaux des Pyrénées, dans certains grands hôtels de nos villes, dans les clubs de Londres, —réserve faite pour chacun, bien entendu, de son indépendance, de sa personnalité, du choix de ses amis, de son intérieur, de son foyer de famille, sanctuaire inviolable : de là cette autre imputation, que les communistes avaient en vue je ne sais quel immoral et hideux amalgame. Par malheur, ce système de calomnies fut aidé par deux circonstances : d'abord la physionomie même du mot communisme, expression très-mal choisie, en ce qu'elle semblait effectivement impliquer une idée de promiscuité, et qu'on eut le tort d'employer avant que le public eût le temps de connaître sa signification réelle ; ensuite, le pouvoir considérable des accusateurs, rapproché des faibles ressources dont les accusés disposaient. Deux ou trois journaux, d'une circulation très-limitée, et quelques livres peu connus, voilà tout ce que les derniers eurent à opposer à une propagande de mensonge à faire frémir. Le 15 septembre 1849, j'adressai de Londres, par la voie du journal que j'y rédigeais alors, la lettre suivante aux membres du Comité de la rue de Poitiers : Messieurs, Pour sauver le vieux monde, qui s'en va ; Pour couper les ailes au socialisme ; Pour persuader aux martyrs de tant d'inégalités conventionnelles, qu'en leur prêchant l'égalité on les mène dans le pays des songes ; Pour donner aux misérables leur misère à adorer ; Pour faire savoir aux pauvres que la pauvreté est de commandement divin et d'essence immortelle ; Pour prouver qu'on ne doit à personne la certitude d'avoir du pain en le gagnant..., et prouver cela à des affamés ; Pour montrer aux ouvriers de la ville, esclaves du salaire, et aux cultivateurs de la campagne, serfs de l'usure, l'idole du capital sur l'autel, et crier de manière à être entendu de la France entière : A genoux ! Pour orner enfin de bandelettes le front des victimes du mal et leur recommander le culte des faux dieux en l'honneur desquels on les immole... ; Vous avez, messieurs, ouvert une liste de souscription ; et, l'argent étant venu en toute hâte, à votre voix, défendre la domination de l'argent, vous avez recueilli 169.554 francs. Faut-il vous l'avouer ? Cette nouvelle nous a fait d'abord tressaillir de joie„ nous contre qui allait être conduite cette grande croisade. La discussion ne tue que l'erreur ; et, comme nous sommes sûrs d'avoir pour nous la vérité, il ne pouvait nous déplaire de vous voir, à vos frais, agrandir le champ de bataille et généraliser le combat. D'ailleurs, portés naturellement à nous respecter dans nos adversaires, nous comptions sur la probité de vos répugnances, sur la loyauté de vos terreurs et de vos haines. Nous nous promettions d'avance qu'en nous accusant, vous prendriez souci de justifier vos accusations ; qu'en nous réfutant, vous nous citeriez ; en avez-vous agi de la sorte ? J'ai sous les yeux votre compte rendu. Il en résulte que vous avez fait composer trente et une brochures imprimées à 2.500.000 exemplaires. Voilà, certes, une publicité formidable, et, pour peu que la raison soit de votre côté, c'en est fait : à l'heure où je parle, le socialisme est mort ! Mais voyons un peu ce que disent ces brochures ? J'ouvre et je lis ; — car nous autres, socialistes, nous n'inventons rien : nous prouvons, et, quand il nous arrive d'attaquer, nous nous croyons tenus de citer : Je ne sais vraiment pas où ces gens-là ont la tête, ni à quoi ils songent, pour venir nous conter de semblables sottises. Il faut qu'ils nous croient bien bêtes, bien ignorants ou bien corrompus. Eux qui n'ont rien à perdre, rien aménager, et qui ne peuvent que gagner au désordre, ils font leur métier d'anarchistes et de bandits ; cela se conçoit. Ils voudraient pouvoir voler et piller tout le monde. Ils ne respectent rien, pas plus le passé que le présent, pas plus ce qui a été que ce qui est. Ils ne s'inquiètent de rien ; car que leur importe la justice, la loi, la morale, la société, la religion ? Leurs idées n'ont rien de commun avec celles-là. Quand j'entends ces partageux-là me parler, il me prend toujours envie dé les chasser à coups de trique. (Les Partageux, par WALLON, p. 58.) Si je tenais Proudhon, je crois que je l'étranglerais. (Lettre de Pierre Favel, p. 3.) Sans famille, l'homme descendrait au niveau de la brute qui nourrit ses petits et ne les reconnaît pas ensuite : tel est le progrès que vous prêchent les réformateurs de la société. (Le Club de village, par M. LAMARQUE-PLAISANCE, p. 16.) Toujours et toujours le même système. Prendre aux a uns pour donner aux autres, prendre à ceux qui possèdent légitimement pour donnera ceux qui n'ont aucun droit. Seulement, jusqu'à présent, on voulait accabler les riches, sans profit pour les pauvres, même à leur préjudice, en satisfaisant des passions de haine et d'envie. Ici, c'est le pauvre lui-même que l'on dépouille, afin d'enrichir nous ne savons qui, et surtout pour éblouir, au moment des élections, ceux qui auraient l'innocence de se laisser tromper. Tel est le dernier progrès du socialisme ; telle est la plus odieuse de ses machinations. (Le Budget de la République rouge, p. 33.) Vous vous rappelez, vous surtout, ouvriers de Paris, cette indigne charlatanerie, Sous prétexte d'organiser le travail, de soi-disant tribuns du peuple, très-amateurs de toutes les jouissances de la vie, s'étaient installés dans un pompeux palais, au Luxembourg. Aux dépens du Trésor public, ils y faisaient grande chère ; ils arrosaient des perdreaux truffés avec des vins des meilleurs crus, et, dans l'intervalle de ces occupations, ils jetaient, chaque jour, à de pauvres gens trompés des théories inintelligibles. (La Vérité aux ouvriers, aux paysans, aux soldats, par M. THÉODORE MURET, p. 5.) ... M. Cabet, avec son Icarie ; M. Cabet, qui, avec ses dehors doucereux, a entraîné tant de malheureux dans l'abîme ; M. Cabet, dont le nom nous apparaît, chaque jour, dans les feuilles publiques mêlé aux turpitudes et aux escroqueries de toutes sortes ; M. Cabet, enfin, qui pratique peut-être aujourd'hui, dans l'estomac d'un crocodile icarien, ses charmantes théories... (Où est le salut du pays ? par UN AMI DE LA FRANCE, p. 8 et 9.) Les socialistes et les communistes sont des montagnards renforcés... C'est un ramassis d'aventuriers, d'hommes ruinés, criblés de dettes, échappés des galères ; une foule de vauriens, de libertins, de fainéants qui veulent vivre à leur aise aux dépens d'autrui. (Petit Manuel du paysan électeur, p. 22.) Je m'arrête, de dégoût. Oui, c'est pour trouver partout des échos à ces prodigieuses vilenies ; c'est pour infecter du venin de ces mensonges le lait dont se nourrissent les esprits ignorants et les cœurs simples ; c'est pour assure ! une prime à ce libertinage de style, qui étonnerait le fantôme évoqué d'Hébert lui-même, qu'on aura bientôt dépensé deux cent mille francs... de quoi sauver de la faim, pendant un an, deux cents familles ! Ah ! ces livres que vous faites faire et que vous payez, vous ne les avez pas lus, messieurs, n'est-ce pas ? Non, il n'est pas possible que vous laissiez votre responsabilité s'égarer à ce point et descendre si bas, vous, monsieur Thiers, qui avez eu l'honneur de vous asseoir autour du tapis vert où se joue la partie des rois contre les peuples ; vous, monsieur de Montalembert, qui devez avoir les scrupules d'un dévot ; vous, monsieur Baraguay-d'Hilliers, qui êtes un soldat ; vous tous enfin qui formez le conseil des soixante-quinze ; doctes économistes, savants à la démarche grave et au front pensif, élégantes célébrités de la rive gauche de la Seine, héros du savoir-vivre, Camille Desmoulins de la contre-révolution I Mais on vous compromet, je vous en avertis. Vos serviteurs mangent leurs gages à vous faire un mauvais renom. Songez-y ! songez-y ! L'on déshonore votre livrée. Où donc veulent en venir ceux qui s'en vont décriant de la sorte un si haut patronage ? A nous faire égorger ? Il faut bien le croire, quand nous avons entendu un de ces honnêtes philosophes crier : Il n'y a qu'un argument à opposer aux socialistes, le fusil ou la fourche. A vous, messieurs, de voir si vous ne feriez pas bien de désavouer cette rage subalterne, au lieu de lui laisser prendre vos couleurs ; car, vous qui avez certainement médité sur l'histoire et ses enseignements, vous n'ignorez pas qu'à poursuivre une doctrine avec la fourche et le fusil, le péril est extrême ; que, dans la chasse aux pensées, quand on la veut sanglante et que le cor sonne l'hallali, il est arrivé plus d'une fois aux chiens de se retourner contre les chasseurs ; que la grande affaire, en ce monde, est d'avoir raison, au moyen de la raison ; que la calomnie, en définitive, n'a jamais porté aussi loin qu'une idée juste ; que les premiers chrétiens, traités de brigands, furent livrés aux bêtes fauves, ce qui accéléra le triomphe du christianisme, et que, si leur maître mourut crucifié entre deux voleurs, ce fut précisément afin que, changeant plus tard l'infamie en gloire, la vérité nous donnât pour symbole de la rédemption du genre humain... l'opprobre d'un gibet. Croyez-moi, messieurs, dans le cas où vos convictions seraient de la trempe des nôtres, ce que vous avez de mieux à faire, c'est d'employer à nous combattre deux cent mille francs... deux cent millions, s'il se peut, en y mettant de la bonne foi et de la décence. Voulez-vous que vos scribes prennent l'engagement de ne pas nous calomnier, de ne pas nous prêter mensongèrement des idées qui ne furent jamais les nôtres, et des projets qui nous font horreur ? Voulez-vous qu'ils s'obligent d'avance, quand ils nous réfuteront, à nous citer ? A cette condition, messieurs, je souscris pour votre œuvre de propagande ; que dis-je ? j'ouvre une souscription populaire destinée à l'agrandir. Mais donnez un budget à la discussion : jusqu'ici, sans le savoir, je pense, vous n'en avez donné un qu'à la calomnie. Le défi ne fut pas relevé ; l'appel ne fut pas entendu ; et la France continua d'être inondée de pamphlets où la vérité était outragée presque à chaque page. On y faisait sonner bien haut, en leur donnant l'accent de la menace, ces mots : loi agraire ; on y parlait d'un parti des partageux, prêt à mettre le pays en lambeaux. Beaucoup d'hommes honorables, mais ignorants, prirent l'alarme. D'autres, qui tiraient avantage d'abus dont ils avaient conscience, furent charmés d'avoir un voile à jeter sur ce que leurs inquiétudes réelles avaient de peu avouable. On répandit que les élections de 1852 allaient être le signal du meurtre et du pillage. Quelque insensés que fussent ces pronostics, ils valurent l'appui de la bourgeoisie aux réactionnaires de l'Assemblée, dans leur guerre à mort contre ce qui restait de la Révolution de février ; et ils profitèrent de cette circonstance, non-seulement pour détruire le suffrage universel, mais encore pour désarmer le peuple de Paris ; ce qui revenait à supprimer la seule force qui eût pu efficacement les protéger contre l'éventualité d'un coup d'État. Puis, afin que rien ne manquât à cette œuvre de folie, ils finirent par mettre l'armée à la disposition de Louis Bonaparte — ceci, hélas ! avec l'appui de ceux du côté gauche, dupes en cette occasion de la crainte que leur inspirait le général Changarnier et la perspective d'un second 18 fructidor. Ce fut le dernier coup porté au régime parlementaire. Les apôtres de la grande croisade prêchée contre le socialisme se trouvaient avoir fourni à Louis Bonaparte le prétexte et les moyens de sauver la société, sans eux, et contre eux. La mine fit sauter ceux qui la creusèrent. Quelques mots encore. Il y a bien longtemps déjà que, comme conclusion de l'Histoire de dix ans, j'écrivais : Dieu nous garde, pourtant, de désespérer de notre pays ! Il est des sociétés roides en quelque sorte, inflexibles, et que volontiers l'on comparerait à ces lourds cavaliers du moyen âge, bardés de fer : difficilement on les atteignait au travers de leur épaisse armure ; mais, une fois par terre, ils ne pouvaient plus se relever. Autre est la France, société douée, dans sa force, d'une souplesse merveilleuse, et qui semble éternellement jeune. A quelles fatigues sans exemple et sans nom n'a-t-elle pas résisté ! De 1789 à 1815, elle a eu des colères, enduré des souffrances, et accompli des travaux à éreinter la nation la plus vigoureuse. Elle n'est pas morte, néanmoins, et en 1830, après quinze ans d'apparente langueur, il s'est trouvé qu'elle avait réparé son sang. Oui, la France est faite pour vivre plusieurs vies. Elle porte en elle de quoi étonner les hommes sous des aspects différents et imprévus. Jamais peuple eut-il, suivant l'expression de Montaigne parlant d'Alexandre, une beauté illustre par tant de visages ? La France n'a-t-elle pas suffi aux rôles les plus divers comme les plus éclatants ? N'a-t-elle pas été successivement la Révolution et l'Empire ? Pourquoi nous découragerions-nous ? Le mal vient d'une erreur qu'il est si facile de réparer ! Comment croire que la Bourgeoisie s'obstinera dans son aveuglement ! Tutrice naturelle du Peuple, est-il possible qu'elle persiste à se défier de lui comme d'un ennemi ? Ceux qui l'y excitent la trompent et se préparent à l'asservir ; à force de lui faire peur des hommes du peuple, on lui a ôté la conscience de ses véritables dangers. Ils sont moins à ses pieds que sur sa tête et autour d'elle. Qu'elle y songe ! Ce passage contenait deux prédictions, l'une heureuse, l'autre menaçante ; et toutes les deux se sont accomplies. En premier lieu, la Révolution de 1848 est venue montrer tout ce que la France avait en elle de vie. En second lieu, le coup d'État de décembre a révélé d'une manière terrible les périls et les malheurs que la Bourgeoisie doit inévitablement attirer sur elle, toutes les fois qu'elle refusera de faire cause commune avec le Peuple. Qu'avons-nous vu, en effet ? Pendant que les prétendus sauveurs de la société insultaient chaque jour les ouvriers, les dépouillaient du suffrage universel, les appelaient vile multitude, et leur enseignaient de la sorte à regarder la dictature éventuelle du général Changarnier comme le pire des fléaux, la Bourgeoisie, de son côté, saisie d'effroi à la seule idée des élections de 1852, se disposait à fuir, éperdue, un vain fantôme, au risque d'aller tomber dans un abîme : l'abîme béant d'une dictature militaire. Mais qui donc pourrait croire un seul instant que le génie de la France est éteint, que son pouls a cessé de battre, que ses nobles aspirations sont pour jamais évanouies ? Non, non. Elle se tait, mais son silence est plein de pensées. Sous la surface glacée, le fleuve poursuit son invincible cours. La lampe a été momentanément mise sous le boisseau, mais elle brûle, inextinguible. FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME |
[1] Cette institution n'eut jamais de plus zélé partisan que M. Cabet, qui, cela va sans dire, en fit un des pivots de sa colonie icarienne.
[2] Voyez le livre de M. Cabet, intitulé le Vrai Christianisme.
[3] M. Cabet, par exemple, qui repoussait, par principe, l'emploi de la force physique.
Comme on s'est étudié à faire du socialisme un épouvantail, et que le succès de cette manœuvre a rallié, certaines gens au coup d'État, l'anecdote qui suit paraîtra, peut-être, digne de trouver place ici.
Un jour, je discutais avec Pierre Leroux, en présence de quelques amis communs, sur Ja légitimité de la guerre et delà résistance à l'oppression. Tout en reconnaissant que la guerre et les révoltes à main armée étaient des maux dont la suppression importait fort à l'humanité, je déclarai que, quant à moi, je les jugeais nécessaires, aussi longtemps que les causes d'oppression et de guerre existeraient. Là-dessus, Pierre Leroux soutint qu'il n'y avait que deux doctrines entre lesquelles il fallait que les penseurs, amis de l'humanité, se décidassent résolument ; celle de Mahomet, qui combat le mal par des moyens qui en découlent, comme l'emploi de l'épée ; et celle de Zoroastre, qui n'oppose au mal que le bien. La dernière, selon lui, était la seule vraiment effective, la seule qui conduisît droit au progrès. Je lui posai alors cette question : Vous vous croyez certainement utile à vos semblables par vos écrits, vos discours, vos exemples. Eh bien, je suppose qu'attaqué à main armée, vous soyez placé dans l'alternative, ou de perdre la vie, ou de vous défendre contre un homme réputé par vous un monstre, un fléau de l'humanité, que feriez-vous ? Il répondit sans hésiter : Ceci étant établi que je meurs pour la vérité, je me laisserais tuer, convaincu que, de tous les moyens de servir ma cause, nul ne saurait être plus efficace. — De sorte que ce moyen, selon vous, serait... — Le martyre.
Et voilà le socialiste que lord Normanby, parlant de son élection à Paris, appelle un violent démagogue !