HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

TOME PREMIER

 

CHAPITRE DIXIÈME. — ASSOCIATIONS COOPÉRATIVES ÉTABLIES PAR LE LUXEMBOURG

 

 

Le délégué Bérard. — Association des ouvriers tailleurs. — Le Gouvernement lui accorde la fourniture de cent mille tuniques pour la garde nationale. — La prison de Clichy transformée en atelier. — Statut et règlement de l'Association. — Résultats obtenus. — Désintéressement des associés. — Secours en travail donnés par eux à des ouvrières de divers corps d'état. — Associations des ouvriers selliers. — La confection d'une partie de selles militaires leur est adjugée par le Gouvernement. — Opposition du général Oudinot à cette mesure. — Association des fileurs, des passementiers, etc., etc. — Efforts de la réaction pour empêcher qu'elles ne se consolident. — Opinion de M. William Conningham sur le système coopératif. — Les associations ouvrières à l'Exposition de l'industrie. — Manœuvres et persécutions dirigées contre elles. — L'Union des associations se fonde, sur les bases indiquées par le Nouveau-Monde. — M. Delbrouck, son organisateur, traduit en justice et condamné. — Associations aujourd'hui survivantes.

 

Dans le chapitre suivant, je montrerai comment toute l'Europe a été amenée à mettre sur le compte du socialisme ces trop fameux Ateliers nationaux qui furent, au contraire, en haine du socialisme, établis et organisés par ses adversaires officiels ; je me propose ici de parler d'un genre d'institutions tout autre : j'entends les associations coopératives, dont la fondation eut des résultats si frappants et si durables. J'ai confiance que ce sujet ne paraîtra dénué ni de nouveauté ni d'intérêt. C'est la mise en lumière des efforts tentés pour la réalisation d'un principe qu'on peut considérer, dit la comtesse d'Agoult[1], dans sa belle et généreuse Histoire de la Révolution de février, comme le point de départ de l'organisation naturelle du prolétariat, comme l'origine d'une commune industrielle destinée, avec le temps, à devenir, pour les prolétaires du monde moderne, ce que fut la commune du moyen âge pour les bourgeois : la garantie des droits et la sécurité de l'existence par la combinaison et la confédération des forces.

J'ai déjà expliqué que, suivant moi, l'établissement des associations coopératives d'ouvriers aurait dû se rattacher à l'initiative de l'État ; et cette initiative eût produit des effets d'une portée incalculable, si le Gouvernement provisoire n'en eût repoussé jusqu'à l'idée par le refus Je créer le ministère spécial que je proposais. Cette proposition, mes instances pour la faire accepter, l'appui que me prêtaient sur ce point les ouvriers, les objections élevées par la majorité du Conseil, l'offre de ma démission, l'ardeur avec laquelle on me pressa delà retirer, et les motifs qui, après une longue hésitation, m'y firent consentir, tout cela est connu du lecteur. Je me trouvai donc entièrement paralysé. Et toutefois, deux circonstances se produisirent, qui me donnèrent quelque espoir de pouvoir, malgré tant d'obstacles, mettre les associations ouvrières en mouvement, au moins d'une façon partielle.

En premier lieu, le Gouvernement provisoire avait rendu un décret provisoire qui incorporait dans la garde nationale tous les citoyens, et décidait qu'un uniforme serait fourni, aux frais de l'Etat, à quiconque serait trop pauvre pour en faire lui-même la dépense[2].

En second lieu, le Gouvernement provisoire avait aboli la contrainte par corps clans un décret motivé comme il suit :

Considérant que la contrainte par corps, ancien débris de la législation romaine, qui mettait les personnes au rang des choses, est incompatible avec le droit public ;

Considérant que, si les droits des créanciers méritent la protection de la loi, ils ne sauraient être protégés par des moyens que repoussent la raison et l'humanité ; que la mauvaise foi et la fraude ont leur répression dans la loi pénale ; qu'il y a violation de la dignité humaine dans cette appréciation qui fait de la liberté des citoyens un équivalent légitime d'une dette pécuniaire... etc.[3].

 

En conséquence, la prison de Clichy était devenue libre.

Ainsi donc, on pouvait : 1° fonder une association d'ouvriers, en lui confiant la confection des uniformes de la garde nationale ; 2° transformer la prison de Clichy en atelier.

Sur ces entrefaites, j'apprends qu'il y avait parmi les délégués de la corporation des tailleurs un ouvrier doué de qualités éminentes, et placé très-haut dans l'estime de ses camarades. Je lui fais dire que je désire le voir ; il accourt. Je n'oublierai jamais l'impression qu'il me fit, dès qu'il parut. C'était un homme entre deux âges et de moyenne stature. Sa physionomie était sereine, un peu triste néanmoins, et d'une extrême douceur. Son corps mince et frêle, ses joues creuses, son visage d'une pâleur maladive, et son front prématurément dégarni, disaient assez qu'il avait beaucoup souffert et qu'il ne vivrait pas longtemps. Mais il y avait dans le caractère général de son attitude et dans le calme profond de ses yeux bleus la révélation d'une âme qui avait dû porter courageusement le poids de la vie. Son nom était Bérard.

Je vous ai envoyé chercher, lui dis je, pour avoir votre opinion sur la possibilité de fonder une association parmi les ouvriers tailleurs.

Avant tout, répondit-il, permettez-moi de vous demander si le Gouvernement provisoire est disposé à engager quelques fonds dans des entreprises de ce genre ?

Non ; c'est ce que j'aurais voulu, pour ma part ; et c'est dans ce but que j'avais demandé la création d'un ministère spécial ; mais vous savez que ma demande a été repoussée.

Je le sais, et mes camarades le savent.

Ici, un sourire amer entr'ouvrit ses lèvres, et il s'arrêta. Je compris qu'il faisait effort pour refouler un reproche au fond de son cœur.

Eh bien ? demandai-je.

Eh bien, reprit-il d'un ton à la fois affectueux et ferme qui me frappa, les ouvriers de Paris ont été douloureusement surpris de vous voir céder, sûr comme vous l'étiez qu'ils vous soutiendraient jusqu'à la mort.

Un jour — et ce jour n'est pas éloigné, j'espère — on appréciera équitablement les motifs de ma conduite... Mais venons à la question du moment. Croyez-vous que, dans votre profession, une association coopérative soit possible en dehors même de l'intervention de l'État ?

Il hésita un instant. Puis :

La grande difficulté, dit il, est dans le défaut d'instruments de travail et dans le défaut d'avances. Il y a dans Paris, à l'heure qu'il est, près de deux mille ouvriers appartenant à ma profession, qui ne demanderaient pas mieux que de se former en association. Mais il faut, pour cela, une certaine mise de fonds. Et où trouver l'argent nécessaire ? Est-ce à leurs économies que peuvent s'adresser des hommes dont la plupart, atteints par la crise commerciale, sont sans travail et sans pain ?

Est-ce là, selon vous, l'unique difficulté ?

Il en est une autre qu'on ne doit point perdre de vue, dans une profession telle que la mienne. Vous n'ignorez pas sans doute, monsieur, de quelle source les confectionneurs tirent le plus clair de leurs bénéfices : des associations fondées sur le principe de la fraternité humaine pourraient-elles, ainsi que les confectionneurs, battre monnaie avec le chômage et la misère ? pourraient-elles, en exécutant le travail à vil prix, faire tomber encore le taux, déjà si réduit, des salaires ? Il leur faudrait donc vendre plus cher ; et comment dès lors soutenir la concurrence ? Savez-vous, monsieur, combien une pauvre femme reçoit pour un gilet qui, souvent, exigera d'elle deux jours de travail ? Quinze sous ! oui, quinze sous ! Voilà l'explication des gros bénéfices faits par certains spéculateurs. Ah ! plutôt mourir de faim, que d'aller à la fortune le long de tels sentiers ! Et ce sentiment est général parmi nous ; car, à moins d'un franc et demi par jour, il est impossible qu'une femme vive, et il est affreux de penser à ces longues veilles où, courbées incessamment sur un travail si improductif pour elles, d'infortunées jeunes filles usent leur santé, et luttent contre le désespoir, dans une agonie dont, quelquefois, la prostitution seule est le terme.

En parlant ainsi, l'honnête ouvrier était arrivé par degrés à une animation extraordinaire ; une vive rougeur colorait les pommettes de ses joues, et l'émotion de son cœur brillait dans l'humide éclat de ses yeux.

— Mais, repris-je, si l'État vous faisait une commande considérable ; s'il mettait un local à votre disposition ?

— Oh ! alors, ce serait différent, surtout si un prix raisonnable nous était offert pour la main-d'œuvre. Comme je vous l'ai dit, Paris renferme en ce moment un grand nombre d'ouvriers tailleurs en qui le principe d'association trouvera des partisans sincères, et, quant à moi, je suis prêt à me dévouer tout entier à son triomphe, croyant cela nécessaire et juste.

— Mais il m'est revenu que vous êtes très-habile dans votre état, et que vous comptez parmi ceux qui ont coutume de toucher un bon salaire. Vous allez affronter une rude tâche...

Il m'interrompit en s'écriant :

— Ah bah ! j'en ai vu bien d'autres !

Le résultat de cette entrevue fut la formation d'une association d'ouvriers tailleurs, à la tête de laquelle figurèrent Bérard et les deux ouvriers qui, comme lui, avaient été délégués par la corporation. J'obtins pour eux la commande de cent mille tuniques ; la prison de Clichy, devenue vacante, se changea en atelier[4] ; et les associés s'y installèrent, au nombre d'environ deux mille, sous l'empire d'un règlement qui, fait par eux-mêmes, se rapportait aux principes développés, huit années auparavant, dans le livre intitulé Organisation du travail[5].

Dès le commencement, les associés se montrèrent profondément imbus de l'idée qu'ils avaient charge de contribuer à l'émancipation graduelle de leurs frères, en leur donnant une preuve pratique des avantages du système coopératif, conçu dans un esprit de solidarité. Pour être admis dans la famille — famille est vraiment le mot — les conditions furent : 1° possibilité d'employer des travailleurs additionnels ; 2° de la part du candidat, bonne conduite, bonne volonté, et connaissance suffisante du métier. Nulle autre autorité que celle de tous, représentée par des mandataires élus — serviteurs désintéressés de l'intérêt commun, et sûrs, comme tels, d'être aimés, respectés, obéis. Convaincus que, dans une association de frères, le faible ne doit jamais être sacrifié au fort ; qu'une répartition inégale des fruits du travail collectif tend à encourager l'égoïsme chez les uns, à éveiller l'envie chez les autres, à relâcher le lien de l'association, et à préparer de la sorte sa ruine ; que des hommes qui travaillent côte à côte, en vue d'un intérêt commun, sont naturellement accessibles au même sentiment d'honneur dont sont animés des soldats combattant côte à côte, en vue d'une commune victoire ; que l'atelier est au pouvoir de créer ce que le champ de bataille est au pouvoir de détruire, et qu'il est aussi honteux de reculer devant le travail que devant l'ennemi, les ouvriers de Clichy ne crurent nullement commettre une faute en adoptant le système de l'égalité absolue, soit dans la distribution des salaires, soit dans celle des bénéfices. Il fut. en outre, convenu qu'un fonds spécial serait destiné au soulagement des veuves, des orphelins, des malades, et que la somme des profits serait divisée en deux parts : l'une, à répartir entre les associés ; l'autre, réservée pour la formation progressive d'un capital collectif, indivisible, appartenant, pour ainsi dire, au principe de l'association, et destinée à le fortifier, à le perpétuer, à l'étendre.

Il est étrange que ceux qui ont poussé de si vives clameurs contre le système de l'égalité dès salaires, adopté à Clichy et, depuis, dans beaucoup d'autres associations ouvrières, n'aient pas pris garde que ce système est précisément celui qui est en vigueur dans une foule de métiers — dans l'armée — dans la marine — dans tous les ordres de fonctions publiques ! Je ne puis me rappeler sans sourire que, dans l'Assemblée constituante de 1848, dont chaque membre recevait vingt-cinq francs par jour, et où, conséquemment les orateurs les plus renommés et les plus brillants génies se trouvaient, en fait de rémunération, juste au niveau d'hommes munis d'un fort léger bagage de mérite, j'ai entendu plusieurs de ces derniers tonner contre l'égalité des salaires, au nom des droits du talent ; ces braves gens n'oubliaient qu'une chose, qui était de s'appliquer à eux-mêmes leur théorie. Et qu'auraient-ils donc répondu à qui leur eût demandé si tous les soldats — lesquels reçoivent une paye uniforme — sont également zélés, également actifs, également courageux ? si, parmi les juges d'un même degré, il y a égalité d'intelligence et de savoir comme égalité de traitements ? Et d'où vient que cela ne paraît monstrueux à personne ? Dira-t-on que, dans l'un et l'autre cas, l'espoir de l'avancement, les perspectives ouvertes sur l'avenir, fournissent à l'activité individuelle de suffisants mobiles ? Mais une association du genre de celle dont il est ici question fournit des mobiles absolument analogues, l'intérêt de chacun y étant lié à l'intérêt de tous, et le bénéfice collectif ne pouvant s'accroître, sans que la part afférente à chacun s'accroisse en proportion. Il y a mieux : on est fondé à soutenir que l'intérêt personnel ici est d'autant plus en jeu que la récompense est plus certaine, plus immédiate. Mais quelle certitude le soldat, par exemple, a-t-il devant lui ? Esclave de ses chefs, victime de leurs injustes préférences ou jouet de leurs caprices, soumis à mille chances qui échappent à son contrôle, et lancé dans une vie de hasards qui sans cesse pousse la mort sur son chemin, en quoi, pour lui, l'espoir de l'avancement diffère-t-il du plus nuageux des rêves ?

D'un autre côté, on ne saurait nier que, dans une association coopérative, il n'y ait, ainsi que dans un peuple ou une armée, cette force impulsive qui, sur une grande échelle, s'appelle esprit public, et, sur une petite échelle, esprit de corps. Et là aussi existe, en vertu du rapprochement des volontés, en vertu de la concordance des efforts, cette loi du point d'honneur, dont la puissance, quoique matériellement immesurable, est si grande. C'est le point d'honneur qui parle au soldat, lorsque, placé sous les yeux de ses camarades, il faut qu'il tue : pourquoi le point d'honneur ne parlerait-il pas aussi haut à l'ouvrier, lorsque, placé de même sous les yeux de ses confrères, il aurait à produire ? Il les vole si, appelé à partager leurs profits, il élude le devoir de partager leurs fatigues ; et la honte d'être, sur le champ de bataille, un lâche, ne saurait être un frein plus efficace que celle d'être, dans l'atelier fraternel, un voleur.

Il est très-vrai qu'au système de l'égalité des salaires on peut objecter avec raison qu'il ne donne pas plus au père de famille qu'au célibataire. Mais combien plus pressante est l'objection contre le mode contraire, sous l'empire duquel un pauvre ouvrier, chargé de quatre enfants, gagnera moins, s'il est faible, que tel autre qui, habile ou robuste, mais garçon, n'a qu'une bouche à nourrir ?

Au reste, il doit être bien entendu que ni les ouvriers de Clichy, ni ceux qui, depuis, les imitèrent, n'eurent garde d'adopter l'égalité des salaires comme le vrai principe de justice sociale ; non, non. Ils en essayèrent, faute de trouver dans l'ordre de choses existant le moyen de réaliser la doctrine A chacun selon ses facultés, de chacun selon ses besoins, la seule, en effet, qui pose les bases d'une rétribution équitable, la seule qui se prête au complet développement de l'être humain en chacun de nous, la seule qui mette la société d'accord avec la nature. Malgré son Imperfection manifeste et ses inconvénients possibles, le système de l'égalité des salaires fut adopté par l'unique motif que, de tous les procédés transitoires dont la constitution actuelle de la société permettait l'emploi, celui-là s'éloignait le moins de la science sociale qui a pour point de départ ce bel axiome : Qui fait ce qu'il peut fait ce qu'il doit.

Quant aux résultats, il est permis d'affirmer qu'ils furent, sous tous les rapports, remarquables.

Je me souviens qu'un jour deux Anglais de distinction, MM. Wilson et Moffatt, me firent l'honneur de me venir voir au Luxembourg. Ils désiraient une lettre d'introduction pour le gérant de l'association de Clichy. Je m'empressai de la leur donner ; et je sais qu'ils n'oublièrent jamais ni la réception courtoise qui leur fut faite dans cet établissement, ni le mélange de dignité naturelle et de bonne grâce que leur parurent présenter les manières de leurs ciceroni en blouses, ni enfin l'impression qu'ils reçurent du spectacle de ces ateliers, où ils furent surpris de ne rencontrer rien qui n'annonçât l'ordre, la discipline, l'amour du travail et la concorde.

Ce qui est certain, c'est que tous les engagements de l'association furent remplis alors avec une probité scrupuleuse ; l'ouvrage commandé fut achevé en temps utile ; un prêt de onze mille francs, fait aux ouvriers associés par les maîtres tailleurs, se trouva remboursé au bout de peu de temps, et lorsque, à l'expiration du contrat passé avec la ville de Paris, l'association liquida, pour se reconstituer sur de moins larges bases, ce fut avec bénéfice[6].

Ce qui vaut aussi qu'on le signale, c'est l'exemple que les ouvriers associés de Clichy donnèrent à leurs frères, et comme citoyens, et connue hommes. La bonne volonté, voilà ce dont ils tinrent compte avant tout, entourant d'une protection délicate les plus faibles d'entre eux, les moins intelligents, et s'étudiant à leur aplanir la route. Parmi eux, rien qui ressemblât au favoritisme. Le poste de chacun lui était assigné par le libre choix de ses égaux. Là, tout emploi eut le caractère auguste d'un devoir, et toute dignité fut un fardeau. Là, on vit de pauvres ouvriers, sans autre législateur que leur conscience, réaliser cette profonde et touchante maxime de l'Évangile : Le premier d'entre vous doit être le serviteur de tous les autres.

Quelques faits montreront de quel esprit l'association de Clichy était animée.

Dans un moment où le travail pressait à Clichy, une personne qui était à la tête d'un grand nombre d'ouvrières brodeuses, alors sans emploi, vint proposer à l'établissement de faire des grenades brodées pour les tuniques des gardes nationaux ; à un prix qu'elle-même fixa, et qui fut immédiatement accepté. Peu de temps après, arrivent des brodeurs. Ils n'avaient pas connaissance de la démarche des ouvrières, et venaient offrir leurs services, à un prix très-réduit. L'association, sachant ce qu'entraîne d'immoral parmi les femmes l'avilissante tyrannie de la faim, n'hésita pas à refuser, en faveur du sexe le plus faible, la moins onéreuse des deux offres[7].

Il y avait, à cette époque, dans la capitale une foule de couturières manquant d'ouvrage, et les maires de Paris, qu'elles assiégeaient de sollicitations douloureuses, se hâtaient de les renvoyer à l'établissement de Clichy, où l'on supposait qu'elles pourraient trouver à s'occuper. Eh bien ! jamais le travail qu'elles demandaient à l'association ne leur fut refusé, bien que -quelques-unes d'elles y fussent si peu propres, qu'il fallait défaire et refaire tout ce qu'elles avaient fait. Grande perte de temps et d'argent ! Mais pouvait-on acheter trop cher le bonheur d'arracher à la misère et à ses cruelles tentations quelques victimes de plus[8] ?

Quand le marché avec la ville de Paris fut rompu, la masse in travail à exécuter cessa naturellement d'être en rapport avec le nombre des ouvriers employés. Eh bien, qu'arriva-i-il ? Que, parmi ceux qu'il n'y avait plus possibilité d'occuper, beaucoup refusèrent de retirer leur part, ne voulant pas abandonner l'association, tandis que les autres, tous ouvriers capables, s'imposèrent de dures privations et se firent un devoir de laisser à la caisse commune le produit intégral de leur travail ; ce qui permit de fonder, dans le local même le l'association, une cuisine où près de trois cents hommes sans ouvrage vécurent plusieurs mois, à raison de trente centimes par jour[9].

Il me serait facile de multiplier les exemples ; mais je n'écris pas un livre spécial, et l'abondance des matières m'avertit de hâter le pas.

La seconde association établie par le Luxembourg fut celle des selliers. On se rappelle le décret dit Gouvernement provisoire qui avait pour but de protéger la classe ouvrière contre la concurrence écrasante des personnes nourries et logées aux frais de l'État : comme conséquence de ce décret, je ils adjuger une partie des selles qui se confectionnaient dans l'établissement militaire de Saumur, un certain nombre d'ouvriers selliers de Paris, que cette commande mit en état de former une association. J'eus, cela va sans dire, des résistances à vaincre. D'où elles partirent, on le devine. Mais la France, en ce tempe là, marchait la tête haute, tenant en main le sceptre de la raison, et la justice n'était pas à la merci de l'épée ! Un jour, je vois entrer chez moi, au Luxembourg, les délégués de la corporation des selliers. Ils avaient le visage altéré, l'œil en feu. Citoyen, s'écrièrent-ils, nous vous conjurons d'intervenir. Il s'agit d'annuler la décision prise relativement aux selles que l'on confectionne à Saumur, et c'est sur ce point qu'un général est en train de haranguer une foule immense, réunie, en ce moment même, rue Saint-Honoré, dans la salle Valentino. Venez, de grâce ; venez ! Je monte avec eux en voiture, et nous partons. La salle Valentino était, en effet, remplie de peuple, et un homme que je reconnus à l'instant leur adressait un discours très-animé. C'était — Rome frémit aujourd'hui, à ce nom ! — c'était le général Oudinot. J'allai droit à lui : Est-il vrai, général, que vous êtes ici pour vous opposer à l'exécution des ordres du Gouvernement provisoire ? Il répondit qu'il ne songeait à rien de semblable ; qu'il avait cru devoir communiquer à l'assemblée des réflexions qui lui paraissaient justes, et il se confondit en protestations de bon vouloir, en assurances de dévouement. La foule poussa de grands cris, et salua la retraite du général par des démonstrations de joie si vives, qu'il fallut en modérer l'excès.

Ainsi naquit l'association des selliers. Elle se développa ! sur une ligne parallèle à celle que suivait l'association de Clichy, et, lorsque, en août 1848, je quittai Paris, elle prospérait.

A l'action du Luxembourg se rapporte la naissance d'une troisième association, celle des fileurs. Je laisse la parole aux délégués de la corporation :

Le décret qui ordonnait l'équipement de cent mille gardes nationaux fut l'origine de l'association des fileurs, le citoyen Louis Blanc ayant fait une démarche immédiate auprès du maire de Paris pour nous procurer la fourniture de cent mille épaulettes. Le citoyen Marrast ne voulait pas confier une affaire aussi considérable à des ouvriers sans mobilier industriel, sans capitaux, n'ayant que leur moralité à offrir pour garantie. Par l'intervention de Louis Blanc, fut signé, le 26, le traité de la ville avec une association qui ne pouvait se former sans cette importante commande, vu la quantité d'argent indispensable au fonctionnement d'une filature, et le peu d'espoir d'écouler les produits à cette époque.

Louis Blanc nous mit alors en rapport avec les délégués des passementiers, qui formèrent dans leur corporation une société en commandite avec laquelle nous passâmes un traité pour la fabrication de l'épaulette. Nous devions lui fournir les laines dégraissées, tirées, peignées, filées et teintes. Ainsi, par l'initiative du Luxembourg, plusieurs centaines d'ouvriers allaient, dès les premiers jours de la Révolution, mettre en pratique le principe d'association, qui reçoit aujourd'hui de si féconds développements.

Une autre difficulté survint : malgré les garanties de solvabilité offertes par notre marché, aucun commerçant nef voulait nous vendre à terme, aucun prêteur d'argent ne voulait nous faire des avances. Nous nous adressâmes au président de la Commission des travailleurs : il était sans budget ; l'homme chargé d'organiser les associations n'avait pas à sa disposition un centime. Par son intermédiaire, néanmoins, nous obtînmes du comptoir d'escompte, le 10 avril, un prêt de 12.000 francs, qui nous permit de marcher.

Quand la réaction l'emporta, notre marché fut suspendu, plus tard rompu brutalement, du droit du plus fort. On refusa de nous indemniser pour les cinquante mille paires d'épaulettes que nous avions encore à livrer. Plaidez, nous dit-on pour toute réponse ; le procès durera un an ; pendant tout ce temps, pas d'argent. Transigez, nous vous soldons l'arriéré et la retenue des trois dixièmes. La faim donna raison aux hommes d'affaires de la ville[10].

BOULARD et LEFRANC,

Ex-délégués des fileurs.

 

Voilà de quels efforts, sourdement contrariés dans les premiers jours, puis combattus à visage découvert, sortit le mouvement qui, dans le court espace de quelques mois, se trouvait avoir engendré plus de cent associations ouvrières, appartenant à toutes sortes de professions.

Ce n'est pas que, longtemps avant 1848, le système coopératif n'eût été le sujet de plusieurs écrits, activement répandus parmi le Peuple. Moi-même, dès le mois d'août 1840, j'avais traité la question très en détail ; et l'année 1843 avait vu le principe fécond de l'union des intérêts et de la mise en commun des forces pratiqué avec succès par un groupe très-intelligent et très-laborieux d'ouvriers bijoutiers. Mais cette association, quoique constituée sur des bases solides, n'avait jamais compté au delà de dix-sept membres, et n'avait pas fait de prosélytes. Le nouveau principe avait existé en germe au fond des choses pendant plusieurs années ; mais il ne devait se développer et paraître au grand jour que sous l'action puissante de la révolution de février.

Dieu sait par quels prodiges de vouloir et au prix de quels sacrifices de simples ouvriers parvinrent à conduire de grandes entreprises d'industrie ! Ce qu'ils accomplirent, abandonnés à leurs propres forces, montre de reste ce qu'ils auraient pu, aidés par l'Etat. Mais, loin de leur venir en aide, le gouvernement ne songea qu'à semer des obstacles sur leur route. Les réactionnaires ne furent pas plus tôt au pouvoir, qu'entre eux et les associations ouvrières une guerre à mort commença. A celles qui avaient eu le Luxembourg pour berceau des mains cruelles arrachèrent le fruit de contrats passés sous la garantie de tout ce qui rend une-convention inviolable et sacrée ; quand il fut question d'indemnité, il y eut refus pur et simple ; ou bien, le consentement se réfugia derrière des délais presque aussi meurtriers que le refus même[11].

Et puis qu'on se figure les difficultés à vaincre ! Car, enfin, il ne s'agissait pas de moins que de donner vie à de nobles idées, en ayant raison de la routine, en tenant tête aux habitudes et aux préjugés du vieux monde, en luttant contre des passions furieuses dont l'hostilité disposait de ressources formidables, et en résistant à la coalition de tous les monopoles : monopole du pouvoir, monopole de la richesse, monopole de la science ! Y eût-il eu défaite, en ce combat si lamentablement inégal, ou n'en aurait certes pu rien conclure contre l'excellence intrinsèque du principe. Qui ne sait, d'ailleurs, que les tâtonnements et les fautes sont inséparables d'un premier début ? Sur les mers orageuses du nouveau mondé, que de vaisseaux perdus, avant que l'art de la navigation eût tracé des routes sûres au génie des voyages !

Mais quoi ! il était dit qu'en cette occasion, l'essai réussirait au delà de toute attente. Aux détracteurs de l'association, les ouvriers de Paris allaient répondre, à la façon de ce philosophe de l'antiquité qui, pour réfuter ceux qui niaient le mouvement, marcha. Eux, ayant à prouver que l'association était possible et fructueuse, s'associèrent, et, cela, sous l'impulsion des mêmes sentiments, sous la loi des mêmes idées, avec le même but devant les yeux : but héroïque qui était d'émanciper le travailleur par une sorte d'assurance mutuelle, et d'élever tout être humain à la dignité d'homme.

Un fait révèle d'une manière frappante jusqu'où alla le succès des associations ouvrières de Paris : dans plusieurs quartiers de la ville, les billets émis par elles en guise de payement et qu'elles remboursaient à la fin de chaque mois, eurent cours clans le petit commerce, servant ainsi, et de papier-monnaie, et d'annonce[12].

Voici ce que, le 28 juillet. 1851, M. William Conningham, alors membre du parlement d'Angleterre, racontait à un meeting nombreux :

Le 24 avril, je partis pour Paris... Ayant toujours cru dans la valeur pratique du système coopératif, ce n'était pas sans surprise que j'avais lu maint rapport de journaux mentionnant la chute de. diverses associations ouvrières, et la déconfiture de la dernière qu'eussent établie les cuisiniers. Quelle autre surprise, plus grande encore, fut la mienne, lorsque, à mon arrivée, je découvris que, semblables aux conversations de M. Landor, les rapports en question étaient purement imaginaires ; que, loin d'avoir les jambes cassées, les cuisiniers associés se tenaient très-fermes sur leurs pieds ; et que l'activité, non interrompue, de leurs marmites fraternelles, continuait d'être dénoncée au passant par le parfum qui leur est propre. La vérité est que je ne trouvai pas moins de quarante associations de cuisiniers dans Paris. De plus, je m'assurai que l'association fraternelle des tailleurs, fondée par M. Louis Blanc et devenue l'objet de tant d'attaques, loin d'être défunte, avait réalisé une somme de 70.000 francs, et ouvert, dans le faubourg Saint-Denis, une suite d'ateliers spacieux, bien éclairés et. bien aérés, où les travailleurs, soustraits à la tyrannie du marchandage, n'avaient affaire qu'à des agents de leur choix, administrateurs habiles de la chose commune. Je dois ajouter, toutefois, que les statuts originaires avaient subi de grandes modifications, et que le travail à la tâche avait été adopté[13]. Bref, le principe coopératif était si peu mort, qu'il avait envahi jusqu'aux provinces, et que les plus intelligents parmi les ouvriers ne s'occupaient que de former des associations nouvelles, déployant dans cette entreprise un zèle au-dessus de tout éloge, et cette disposition au dévouement que le principe de la coopération fraternelle est seul capable d'enfanter. Par ce succès, la question se trouve désormais élevée du domaine de la théorie dans celui de la pratique, et s'impose forcément à l'attention du législateur[14].

 

Lorsque l'association de Clichy fut établie, on s'en allait disant avec assurance, dans certaines hautes régions, qu'une expérience de ce genre était le comble de l'absurdité ; que les ouvriers n'avaient ni assez d'esprit d'ordre ni assez d'intelligence pour se passer d'un maître. Le résultat a fait justice de ces affirmations tranchantes, et, si j'avais à écrire l'histoire du système coopératif en France, je ne serais vraiment embarrassé que du nombre des preuves. Dès le mois de décembre 1849, j'avais la satisfaction de pouvoir publier dans le Nouveau Monde, journal daté de l'exil, les renseignements suivants :

Les tailleurs de limes ont obtenu, à l'exposition de l'industrie, une médaille d'argent pour leurs produits, sans rivaux dans le commerce. Fondée en décembre 1848, cette association a dû bientôt, pour satisfaire aux besoins de sa nombreuse clientèle, établir, dans le faubourg Saint-Antoine, une première succursale. A 25 pour cent de rabais elle fournit aux travailleurs des instruments qui égalent tout ce qui se fait de mieux dans les fabriques anglaises. Encore un peu de temps, et la France sera délivrée du tribut qu'elle paye à nos voisins d'outre-Manche.

Les cuisiniers ont eu pour s'établir de grands obstacles à vaincre. Leurs premières associations s'ouvraient en plein état de siège, sous le régime des conseils de guerre et des transportations, après six mois d'un chômage universel qui réduisait aux maigres pitances de l'assistance publique les trois quarts des ouvriers de Paris. Nous nous rappelons que les fondateurs d'un de ces établissements durent, pour acheter les provisions de la journée d'ouverture, mettre au mont-de-piété montres, bijoux, habits, effets de toute sorte. Aujourd'hui, ils ont plus de quarante maisons florissantes, et leur inventaire constate, dès aujourd'hui, un courant d'affaires de deux millions cinq cent mille francs par an.

Les associations culinaires ont révolutionné l'alimentation du peuple. A d'ignobles gargotes, véritables boutiques d'empoisonneurs, elles ont substitué des établissements propres, spacieux, commodes, où les ouvriers, au lieu d'aliments souvent disputés au ruisseau, trouvent une nourriture variée et toujours parfaitement saine. Des associations nouvelles se forment chaque jour ; il faut qu'elles évitent, par une trop grande vicinité, de se faire une nuisible concurrence. La création d'un syndicat général des associations culinaires est un événement de haute importance et qui produira de grands résultats.

Les formiers commencèrent au nombre de cinq leur association ; ils sont aujourd'hui quarante-cinq, et ne peuvent suffire à la besogne. La perfection et le bon marché de leurs produits leur ouvriront par l'exportation de nouveaux débouchés. A Londres, à l'époque de la saison, ils pourraient, ainsi que les cordonniers, recueillir des commandes considérables.

Les ébénistes exposent en ce moment dans leurs magasins la magnifique bibliothèque qui fut, à l'exposition de l'industrie, l'objet d'une admiration générale et qui leur a valu une médaille d'argent. Il y a des personnes qui s'imaginent encore que les ouvrages d'art sortis des ateliers de nos ébénistes et de nos orfèvres sont de la main du patron dont le nom décore la boutique. Le chef-d'œuvre produit parles ébénistes associés leur cause un profond étonnement.

L'association des menuisiers en fauteuils, formée primitivement de huit membres, en comprend aujourd'hui cent cinquante, et ses immenses ateliers auront bientôt envahi toute la cour Saint-Joseph. Le quart de la corporation fait partie de l'Association, les trois autres quarts sont inscrits pour remplir les places vacantes.

 

Maintenant, que parmi tant d'associations qu'on vit en si peu de temps naître et prospérer, quelques-unes aient péri dans l'effort même de l'enfantement, et d'autres à la suite d'une brillante mais courte carrière, c'est certain ; mais la cause en doit être cherchée ailleurs que dans le vice du principe.

Et d'abord, il faut se souvenir que les associations n'eurent pas toutes la même origine. Voyant que, partout où resplendissait le mot magique, le peuple accourait en foule, et qu'après un mois d'existence, quelques-uns de ces établissements se trouvaient, avoir pris un développement colossal, certains industriels, en voie de banqueroute, effacèrent tout à coup leurs enseignes, arborèrent le triangle, symbole de l'association fraternelle, et, un masque sur le visage, trompèrent le public, en continuant de rançonner leurs ouvriers. Chez eux, il n'y avait de fraternel que le nom. La fraude ne tarda pas à être découverte ; les chalands disparurent ; la spéculation croula ; et les détracteurs du système coopératif ne manquèrent pas de le rendre responsable des suites d'une contrefaçon misérable.

D'un autre côté, loin de tendre aux associations ouvrières une main amie, le gouvernement mit tout, absolument tout en œuvre, pour les- miner et les détruire.

Il est bien vrai qu'en 1848, sous la pression des idées récemment émises par le Luxembourg, la majorité de l'Assemblée constituante ne-crut pas pouvoir refuser aux associations fraternelles un. crédit de trois millions. Mais ni cette majorité, dominée par les orléanistes, ni le gouvernement, composé alors de républicains appartenant à Pécule.-de l'ancienne économie politique, n'étaient animés du désir de pousser à des réformes sociales de quelque portée ; de sorte que le crédit voté ne fut, en réalité, que l'appât dont on se servit pour amener certaines associations à modifier leurs statuts et à sacrifier à leur intérêt particulier le but général.

Et, pendant ce temps, tous ceux qui, par des motifs divers, soupiraient après la ruine du nouveau principe, s'étudiaient à attirer les ouvriers hors du droit chemin. Affectant pour leur bien-être matériel une vive sollicitude, ils s'appliquaient à relâcher peu à peu le lien moral que je m'étais efforcé de nouer entre les associations. Que le système de l'égalité des salaires fût très-défectueux au point de vue économique, personne assurément ne le savait mieux que moi ; mais sa portée sociale consistait à introduire, à développer, au sein de la classe ouvrière, le germe d'une alliance étroite entre le fort et le faible, alliance destinée à faire insensiblement, de tous les déshérités, une armée pacifique mais compacte et imposante.

Dans ma pensée, l'important était d'accoutumer les travailleurs à ne regarder, parmi eux, les efforts de chacun que comme un moyen d'arriver à l'affranchissement de tous. C'était créer une force, sous la formé d'un devoir, et transformer le principe de la fraternité humaine en instrument de délivrance... Les hommes du passé ne s'y trompèrent pas, et ils ne négligèrent rien pour diviser, par l'attrait d'avantages personnels, particuliers, momentanés, les membres de la grande famille des travailleurs. Ardents à détacher de la cause commune les plus habiles d'entre eux, ils firent appel à leurs moins nobles instincts, tonnant contre l'injustice qu'il y avait à ne leur pas assurer une rémunération proportionnée à leur degré d'habileté ou d'intelligence, comme si la mise en pratique de la justice distributive était le trait dominant de l'ordre social actuel, où l'on rencontre à chaque pas la sottise en voiture éclaboussant le mérite à pied, et autour de princes au maillot des millionnaires en bourrelets, et tant d'heureux qui, pour être tels, n'ont eu qu'à se donner la peine de naître !

Quoi qu'il en soit, le principe coopératif demeura longtemps debout dans certaines professions, et ne reçut dans d'autres, que des atteintes partielles. Mais, à côté des apôtres fervents d'une idée, à côté des initiateurs courageux qui s'étaient engagés dans les routes nouvellement ouvertes, avec un cœur préparé aux sacrifices, il y avait ceux que tentait l'espoir d'un succès immédiat, et qu'animait une égoïste impatience. A ceux-là combien de fois n'avais-je pas dit : Prenez garde ! Ce n'est pas à vous qu'il est donné d'atteindre la terre promise, et l'on n'y va point, d'ailleurs, le long de riants sentiers. Ne vous bercez pas d'illusions, au bout desquelles vous risquez de ne trouver que désappointements amers. Toute conquête exige patience et courage. Rappelez vous que vous avez, non à accepter le bonheur, mais à le conquérir[15]. Malheureusement, un semblable langage n'était pas de nature à être partout et toujours compris. Beaucoup déployèrent une constance admirable ; mais il y en eut qui fléchirent.

Et puis, aux manœuvres souterraines, s'ajouta l'effet d'une persécution sauvage. La police enveloppa de son abject réseau les associations ouvrières ; sous prétexte qu'elles n'étaient que des sociétés politiques déguisées, on les persécuta de toutes les façons imaginables ; pour mieux ruiner leur crédit, pour leur enlever leur clientèle, la presse de la réaction n'eut pas honte d'annoncer faussement, jour par jour, la chute de celles-là mêmes dont la prospérité défiait toute calomnie. A l'association de Clichy s'adressèrent les plus venimeuses attaques. Fille aînée du Luxembourg, elle portait au front la marque du péché originel, et aucune amertume ne lui fut épargnée. Que de fois le pauvre Bérard n'eut-il pas à repousser les flèches lancées des quatre points cardinaux contre l'association ! que de fois n'eut il pas à tenir tête au Constitutionnel... que dis-je ! à la Voix du Peuple de M. Proudhon[16] ? Est-il, je le demande, un pays civilisé où il soit licite de renverser une entreprise industrielle, à force de saper son crédit par de publiques et mensongères attaques ? Eh bien, voilà ce qui fut, sous le régime qui succéda à celui du Gouvernement provisoire, non-seulement permis, mais encouragé.

J'étais alors en exil, et tout ce que je pouvais pour les ouvriers était de leur dire ce que je pensais, lorsqu'ils me faisaient l'honneur de me consulter. En août 1849, à une lettre que quelques-uns d'entre eux m'écrivirent, je répondis :

Il est un point, mes chers amis, sur lequel je ne saurais trop vivement appeler votre attention. Gardez-vous de tracer autour de vos associations un cercle infranchissable ou même difficile à franchir. Ce serait revenir au tyrannique et odieux système des jurandes et.des maîtrises.

Si les associations, au lieu d'être ouvertes à tous, devenaient des réunions d'individus en nombre fixe et déterminé, rassemblés par le commun désir de s'enrichir aux dépens de leurs frères, elles n'auraient plus rien qui les distinguât de certaines sociétés commerciales qui pullulent autour de nous, et constitueraient de nouvelles bandes d'exploiteurs.

Au temps du Gouvernement provisoire, plusieurs associations avaient reçu de l'Etat de grands travaux. Un des premiers actes de la réaction au pouvoir fut de refuser brutalement l'exécution de ces marchés, passés dans toutes les formes qui rendent un contrat obligatoire et sacré. C'était ruiner d'un coup des associations qui, comptant sur des traités en règle, avaient déjà fait des frais considérables. Quand il fut question d'une indemnité pour certaines associations, on différa, on traîna en longueur, dans l'espoir que les associations, frappées si cruellement, seraient mortes avant le payement. Il est même arrivé qu'une fois l'indemnité a été refusée tout court. Voilà tout l'appui qu'ont reçu du gouvernement les travailleurs associés.

Autre cause d'insuccès : Dans ces associations créées pour arriver sans secousse à la suppression du régime du concurrence, la concurrence est venue s'établir. A côté d'une maison qui s'ouvrait dans un quartier bien situé, on a vu s'installer une seconde association, puis bientôt une troisième. La clientèle, ainsi dispersée, n'était plus suffisante pour faire vivre trois établissements. Ils tombaient tous les trois là où un seul aurait prospéré. Ce résultat ne se fût pas produit si la distribution, l'agencement des associations eussent été confiés à des mains prévoyantes, au lieu d'être livrés au hasard et au caprice ; si l'on eût suivi partout un plan méthodique, un plan arrêté à l'avance au sein d'une réunion compétente.

Le fait est que les associations ne peuvent vivre que parla solidarité. Il faut qu'il s'établisse entre elles toutes le même lien qui existe entre les divers membres de chacune d'elles. Isolées les unes des autres, elles échoueraient infailliblement dans leur lutte contre les possesseurs des privilèges. Bien unies, s'étayant les unes les autres et se prêtant un mutuel appui, elles formeront une masse compacte, et seront en mesure de braver les crises de la politique, celles de l'industrie, jusqu'au jour où l'Etat mettra au nombre de ses plus impérieux devoirs de s'occuper du sort des travailleurs.

Le premier pas a été fait dans la voie de l'émancipation sociale : les associations existent. Il s'agit maintenant de les solidariser. C'est là le but vers lequel doivent tendre aujourd'hui tous vos efforts. Voici, à cet égard, la marche qui pourrait être suivie :

Il serait établi, sous le nom de Comité central des Associations ouvrières, un conseil où seraient représentées toutes les associations basées sur le principe de fraternité.

Ce conseil aurait pour mission :

De centraliser tous les efforts individuels ;

De traiter les grandes questions de la production et de la répartition ;

D'aider à la formation des associations qui se créent, au développement de celles qui existent ;

De contrôler les rapports mutuels des associations pour l'échange des produits, les prêts, les avances, les adjudications, les bons d'échange et de circulation, etc.

Le Comité des Associations ouvrières s'occuperait des institutions qui sont le complément de l'association naturelle, comme entrepôts, bazars, cités ouvrières, caisses de, retraite, maisons d'asile.

Il exercerait sur l'ensemble des associations une surveillance fraternelle et leur imprimerait cette uniformité de mouvement qui est si désirable.

Des associations existent en province et dans les pays étrangers : le Comité se chargerait d'ouvrir des relations entre elles et les associations parisiennes.

Enfin, il s'occuperait de créer des débouchés aux produits par l'exportation, cette source de travail si indispensable pour l'alimentation continue des grands ateliers.

En dehors de ce Comité, les associations conserveraient leur direction spéciale, ainsi que la disposition et le maniement de leurs capitaux.

Tel est, mes amis, le plan que je soumets à vos méditations[17].

 

Ces sentiments étaient en si parfaite harmonie avec ceux du Peuple, qu'un comité ne tarda pas à se former qui, sous le titre d'Union des associations, prit à tâche de centraliser les efforts. Il se composait de vingt-trois membres, et acquit en peu de temps une influence considérable. Je ne saurais, sans dépasser les limites que j'ai dû m'assigner, entrer ici dans le détail dos opérations industrielles du Comité : qu'il mo suffise de dire qu'elles signalèrent tout d'abord la présence d'une institution vaste, fonctionnant dans l'intérêt des travailleurs, et faisant pour eux, avec leur aide, ce que l'Etat avait refusé de faire ou même cherchait à empêcher. Bientôt l'importance de cette institution devint telle, que le gouvernement en prit ombrage, et, comme la légalité lui faisait défaut, il eut recours à un misérable subterfuge. Parmi les papiers du Comité, on découvrit une lettre de moi ; elle n'avait trait qu'à l'industrie, n'importe : un des prétextes dont on avait besoin était trouvé ; les membres du Comité-étaient les directeurs d'une société politique, quoi de plus clair ? On ne voudra jamais croire, en Angleterre, que des poursuites aient pu être intentées sur des motifs aussi scandaleusement frivoles. C'est ce qui arriva cependant ; et, à la suite d'un discours admirable de bons sens, de modération, de saine logique, où le but de l'institution, son caractère, ses moyens d'action, étaient expliqués de manière à jeter dans l'embarras la mauvaise foi la plus effrontée, M. Delbrouck, l'organisateur du mouvement se vit condamné par un abus monstrueux de la force, à quinze mois d'emprisonnement, cinq cents francs d'amende, et cinq ans de privation des droits civils. Mais, dit un écrivain d'ailleurs très-peu favorable aux essais de socialisme tentés sur une grande échelle et dans des vues d'avenir[18], cette défense ne fut pas perdue pour le socialisme pratique, ayant montré combien il y a de modération et d'élévation d'esprit dans ceux qui s'y dévouent.

On a vu comment et pourquoi l'association de Clichy était devenue le point de mire des ennemis du socialisme ou de ses faux amis[19]. Quelques-uns des associés arrivèrent à croire qu'une modification des statuts originaires pourrait, peut-être, calmer la violence d'une persécution à laquelle il était au-dessus de la patience humaine de résister plus longtemps. Par une inspiration de délicatesse dont je fus très-touché, Bérard ne voulut rien décider qu'après m'en avoir écrit. Je lui répondis que lui et se* camarades étaient les meilleurs juges de ce que la pression, des circonstances exigeait ; que, quelle que fut leur décision, mes sympathies leur resteraient fidèles ; mais que, selon moi, la modification de leurs statuts ne les sauverait pas d'injustes attaques, le crime de l'association de Clichy, aux yeux de ses ennemis, étant son origine, et ce qu'il* ne lui pouvaient pardonner étant... de vivre.

La justesse de cette appréciation ne se vérifia que trop. Ce n'est point par des concessions timides qu'on désarme l'esprit de parti et la haine. La guerre continua contre un établissement dont on avait juré la perte, guerre contre laquelle nulle maison de commerce, quelque solide qu'on la suppose, n'eût été capable de tenir. Bérard, d'ailleurs, avait les vertus d'un apôtre, non les qualités d'un homme d'affaires ; la hauteur de son âme n'avait point dans la force de son caractère un suffisant appui ; et il se trouva inférieur à son rôle, le jour où il n'eut plus à diriger une œuvre de pur dévouement. L'entreprise à laquelle il s'était consacré, avec une ardeur à la fois si héroïque et si modeste, succomba enfin ; et lui, mourut, frappé au cœur par le spectacle de ses espérances en ruine et de la réaction victorieuse.

Mais ce qu'en dépit de tout, la réaction n'était point parvenue à tuer, c'était le principe d'association, lequel a survécu à tant d'épreuves, et reçoit, aujourd'hui encre, des applications qui attestent sa puissance. Longtemps après l'époque rappelée ici, il me fut donné d'avoir ot*s les yeux un document où figuraient, dans un état de prospérité que décrivaient des chiffres d'une irrésistible éloquence, l'association. des menuisiers, — celles des maçons, — des formiers, — des ébénistes, — des tourneurs, — des ferblantiers, — des brossiers, — des lunetiers, — des forgerons, — des graveurs ; — des charrons, —des fabricants de machines, — des fabricants de pianos, etc., etc.

Il ne faut pas demander si lord Normanby s'est seulement douté de l'existence de ce grand mouvement social qui s'opérait devant lui. Des ferblantiers, des tourneurs, des forgerons, qu'est-ce que cela ? Et quel intérêt pouvait avoir un ambassadeur d'Angleterre à savoir que des formiers qui avaient deux francs à mettre en commun, arrivèrent par l'association à faire pour 79.000 francs d'affaires, ou que des maçons, avec une mise de fonds de 38.francs, acquirent en quelques années un capital de 237.000 francs, au moyen duquel, en 1857, ils faisaient des affaires pour un million ? Ce sont là des misères qui ne sauraient fixer l'attention de nos hommes d'État. D'ailleurs, Sa Seigneurie ayant cru devoir dire tant de choses qui étaient à omettre, il ne faut pas s'étonner qu'en revanche elle ait cru devoir omettre beaucoup de choses qui étaient à dire. Et pourtant, vous ne- pouviez ignorer, milord, que la question de l'industrie coopérative a été, même en Angleterre, de la part de certains esprits éminents, le sujet de profondes méditations ; et, si c'est par modestie que vous avez hésité à prendre place en aussi bonne compagnie, il ne nous reste plus qu'à regretter pour vous cet excès de timidité, et à exprimer le vœu qu'on ne vous classe pas au nombre de ces observateurs officiels dont un écrivain tory de grand ! renom parle en ces termes :

Les astronomes de l'économie politique ne vont pas manquer de braquer leurs lunettes d'approche sur les premiers essais du système coopératif, et je les entends d'ici prédire le résultat avec leur assurance habituelle ; mais, franchement, je n'ai pas foi dans l'infaillibilité de ces star-gazers. Pendant qu'ils s'amusent à prophétiser, à nous : l'humble lâche d'étudier le progrès de cette expérience et d'en attendre l'issue. C'est peu de chose encore — un nuage tout au plus grand comme la main. Se dissipera-t-il, vapeur inutile, ou bien se répandra-t-il en rosée rafraîchissante sur la portion brûlée et fanée des sociétés humaines ? Dieu seul le sait, et c'est ce que seul le temps révélera[20].

 

Depuis que ces lignes ont été tracées, le temps a commencé ses révélations, et le nuage est devenu de plus en plus visible.

Ajoutons que, parmi ceux que Southey nomme ironiquement des star-gazers, il s'est trouvé de vrais, d'illustres astronomes ; mais il est à remarquer que ce sont précisément ceux-là qui ont compris et signalé l'importance du système coopératif. Dans ses principes d'économie politique, M. John Stuart Mill dit :

Il est très-désirable que toutes les tentatives de ce genre soient encouragées. Il n'en est presque pas qui ne 'présentent des caractères qui appellent l'épreuve de l'expérience. Aussi bien, pas d'autre moyen de corriger ce que. peut avoir d'exagéré l'attente qui aujourd'hui, chez tous les grands peuples, tient en éveil des multitudes de jour en jour plus nombreuses. La Révolution de février, ce semble, avait d'abord ouvert à de telles tentatives un champ favorable, et leur avait assuré, dans une juste mesure, tous les avantages inhérents à l'appui d'un gouvernement qui désirait sincèrement leur succès[21]. Il est infiniment regrettable qu'on ait fait avorter les projets qui furent alors conçus, et que la réaction de la classe moyenne contre les doctrines hostiles à la propriété ait créé une aversion déraisonnable, aveugle, à l'égard des idées, même les plus inoffensives et les plus justes, pour peu qu'elles aient une. saveur de socialisme. C'est là une disposition d'esprit dont les classes influentes, et en France, et ailleurs, sentiront tôt ou tard la nécessité de se défaire. Le socialisme a pris irrévocablement place parmi les principaux cléments de la oolitique européenne. lia soulevé des questions qu'on se flatterait bien en vain de rejeter dans l'ombre, rien qu'en refusant de les aborder : elles ne cesseront d'agiter les esprits que par une réalisation de plus en plus complète du but que le-socialisme a indiqué, en tenant compte de ceux des moyens qu'il propose qu'on peut employer avec profit[22].

 

Ce qui grandit l'importance de ce remarquable passage, n'est que, loin d'avoir échoué, comme M. Mill pouvait le croire lorsqu'il écrivit son livre, le système coopératif a, au contraire, produit des résultats qui étonneront, si l'on songe à l'immensité des obstacles dont le récit qui précède n'est lui-même qu'un pâle tableau.

 

 

 



[1] Voyez l'Histoire de la Révolution de 1848, publiée sous le pseudonyme de Daniel Stern, t. II, chap. VIII, pp. 205 et 206.

[2] Voyez le Moniteur du 16 mais 1848.

[3] Voyez le Moniteur du 10 mars 1848.

[4] Voyez le Moniteur du 17 mars 1848.

[5] La première édition avait été publiée en 1840 : la neuvième le fut en 1850.

[6] Voyez dans le Nouveau Monde, une lettre adressée par Bérard au Constitutionnel, 11 juillet 1849.

[7] Voyez dans le Nouveau-Monde, une lettre signée de cinquante-neuf ouvriers, et adressée à la Voix du Peuple, en janvier 1850. La Voix du Peuple était un journal rédigé par M. Proudhon, et la lettre était écrite en réponse à d'iniques attaques auxquelles ce journal avait ouvert ses colonnes.

[8] Voyez dans le Nouveau-Monde, la lettre signée de cinquante-neuf ouvriers, et adressée à la Voix du Peuple, en janvier 1850.

[9] Voyez la lettre dans le Nouveau-Monde.

[10] Voyez cette lettre dans le Nouveau-Monde, décembre 1849.

[11] Voyez la lettre des délégués fileurs, citée plus haut.

[12] Ce fait fut constaté à Paris, en avril 1851, par M. William Conningham, représentant de Brighton à la Chambre des communes, et il a eu occasion, depuis, de le citer, dans un discours public, comme une preuve signalée des conquêtes du système coopératif.

[13] De grandes modifications, non : ceci est une erreur. Quant à l'adoption du travail à la tâche, on verra plus loin que le changement fut déterminé par des raisons étrangères au plus ou moins de mérite de ce système.

[14] Public lecture delivered at Brighton by William Conningham, on the 28th july 1851.

[15] C'est ce que j'avais dit, au Luxembourg, ainsi que le Moniteur en témoigne, et ce que je ne cessais de dire du fond de mon exil, comme on en peut voir un exemple dans le numéro du Nouveau-Monde du mois d'août 1849.

[16] Voyez dans le Nouveau-Monde, 1850, une lettre adressée à M. Proudhon par cinquante-neuf ouvriers.

[17] Cette lettre se trouve dans le Nouveau Monde, numéro du mois d'août 1849.

[18] Voyez l'Association ouvrière, industrielle et agricole, par M. Feugeray, p. 126, Paris, 1851.

[19] Il est douloureux d'avoir à rappeler ici qu'un des hommes qui, pendant le Gouvernement provisoire, attaquèrent le Luxembourg et l'association de Clichy avec le plus de violence, le plus de fureur, et donnèrent cours aux erreurs les plus lamentables, fut... M. de Lamennais.

Dans le Peuple constituant, il osa avancer, en avril 1848, que le délai fixé pour la livraison des fournitures était expiré depuis vingt jours ; et le contrat des ouvriers avec la Ville portait que la livraison totale devait être effectuée seulement le 15 mai !

Il osa prétendre qu'il y avait perte de 8 francs sur chaque vêtement ; et les ouvriers lui prouvèrent, leur inventaire à la main, que, déduction faite de tous les premiers frais indispensables et de l'achat d'un matériel da 1.100 francs, ils avaient, au bout de vingt-cinq jours de travail, réalisa un bénéfice de 734 francs !

Il risqua l'inconcevable assertion que le Luxembourg donnait deux francs par jour à chaque ouvrier de Clichy ; et le Luxembourg n'eut jamais à sa disposition un centime !

Il ne craignit pas d'assurer que les associés perdaient leur temps à us rien faire ; et ils lui prouvèrent que,-pour être bien sûrs de tenir leurs engagements, ils s'étaient volontairement imposé la loi de travailler douze heures par jour, et de travailler le dimanche !

M. de Lamennais a dans son histoire des pages qui rachètent celle-là, et l'héroïsme de sa mort m'inspire un respect qui m'interdit ici toute amère remarque. Je m'arrête donc, et je m'abstiens de reproduire la lettre éloquente et terrible que lui adressèrent, le 29 avril 1848, au nom de quinze cents ouvriers travaillant en famille, les citoyens dont les noms suivent : Edmond Frossard, agent de la Commission de gouvernement pour les travailleurs ; Bérard, Leclerc et Châlons, délégués de l'association des tailleurs ; Mamoz, Lefebvre, Dieudonné, Lenoir, Martougen, membres du Comité de l'association. On peut lire cette lettre dans le Moniteur du 1er mai 1848.

[20] Quarterly Review, n° 98. Article sur les sociétés coopératives, pp. 359-371.

Nous n'hésitons pas à attribuer cet article à Southey, qui a exprimé les mêmes idées dans son ouvrage bien connu : Colloquies with sir Thomas Moore, or Prospects and Progress of society.

[21] Si M. Mill entend parler ici de ceux des membres du Gouvernement qui se mirent à la tête de ces essais, il a raison ; mais s'il parle du gouvernement tout entier, il se trompe ; car ce fut précisément le défaut d'unité d'action sur ce point qui entrava le progrès des associations.

[22] Principlis of Political Economy, by John Stuart Mill, t. II, ch. VII, p. 320.