HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

TOME PREMIER

 

CHAPITRE HUITIÈME. — LE LUXEMBOURG - LE SOCIALISME EN THÉORIE

 

 

Une visite au duc Decazes. — Les ouvriers sur les sièges des pairs de France. — Albert ; ses antécédents, son attitude au sein du Conseil, son abnégation et son dévouement. — Mes pressentiments en entrant au Luxembourg. — Etat précaire de l'industrie et de la production en France lors de la chute de Louis-Philippe. — Manufacturiers demandant eux-mêmes une enquête sur la question du travail. — La révolution de 1848 et la crise industrielle. — Travail socialiste antérieur à cette révolution et ignoré des hommes d'État de la monarchie. — Installation de la Commission de gouvernement pour les travailleurs. — Proclamation aux ouvriers. — Doctrines présentées comme but ultérieur ; mesures transitoires. — Le travail attrayant. — Exemple des effets qu'il est permis d'en attendre. — La colonie de Petit-Bourg. — L'égalité relative : autre exemple. — Définition de la liberté sociale par M. Thiers. — Conclusion à en tirer. — Émancipation du travail préparée par une intervention de l'État. — Solidarité entre les ateliers d'une même industrie, d'abord ; entre toutes les industries, ensuite. — Projet de loi, sur ces bases, présenté par la Commission du Luxembourg. — Opinion de M. John Stuart Mill.

 

Quand je quittai le collège, j'étais presque enfant ; et néanmoins, sous l'empire de circonstances de famille très-dures, très-pressantes, je dus chercher âme faire, par mes propres efforts, une place dans la vie. Au nombre des amis de ma mère était un homme d'un grand mérite, M. Flaugergues, le même qui, vice-président du Corps législatif à l'époque où le premier empire agonisait, prononça ces belles paroles, à la nouvelle du désastre de Waterloo : Du calmé, messieurs. Après la bataille de Cannes, l'agitation était dans Rome, et la tranquillité dans le Sénat. M. Flaugergues avait des vues fort libérales, un caractère indépendant et fier : de là son peu d'influence dans les salons ministériels ; mais je le savais lié avec M. Decazes, grand référendaire de la Chambre des pairs, et j'eus recours à lui. De ce qui se passa, j'ai conservé un vif souvenir. Un beau matin, M. Flaugergues me mène au Luxembourg. On l'annonce. Le duc, assis sur son lit, était en train, je me le rappelle, de lire le Constitutionnel. M. Flaugergues, après les formalités d'usage, me recommande à la bienveillance du grand référendaire. Lui, se tourne lentement vers moi, et, d'un geste protecteur, me frappant sur la joue : Eh bien, nous verrons ce qu'on peut faire pour ce petit garçon. Je sortis, et ne le revis plus. Etrange moquerie du destin ! Le 1er mars 1848, il était donné à ce petit garçon de coucher dans le lit où il avait vu le duc assis, plusieurs années auparavant, et que le duc venait de quitter[1].

Mais, en fait de rapprochements, combien plus extraordinaire le spectacle d'une assemblée d'ouvriers en blouse venant siéger dans le somptueux palais de Marie de Médicis, et dans cette même salle où les pairs de France avaient coutume de se réunir !

Quand je me rendis au Luxembourg, qui m'avait été assigné pour résidence, Albert m'accompagnait, en sa qualité de vice-président de la Commission de gouvernement pour les travailleurs. C'est à peine si, jusqu'à présent, j'ai parlé d'Albert. Le lendemain de la grande tourmente de février, parmi les personnes rangées, à l'Hôtel-de-Ville, autour de la table du Conseil, j'en remarquai une que je voyais alors pour la première fois. C'était un homme de taille moyenne, au visage pâle, aux traits réguliers, à la physionomie sévère, mais dont l'expression annonçait beaucoup de droiture. Ouvrier, il n'avait jamais vécu que dans le monde des ouvriers. Son attitude me frappa. Jeté tout à coup dans la société d'hommes tels qu'Arago et Lamartine, le dernier si remarquable par l'élégance exquise de ses manières, Albert ne paraissait ni ébloui ni embarrassé, et sa modestie relevait la dignité de son maintien. Pendant la délibération, il garda le silence, prêtant une attention passionnée à chacune de nos paroles et arrêtant sur chacun de nous tour à tour un regard qui fouillait au fond de nos pensées. A l'issue du Conseil, il se leva, vint à moi, et me dit : Je vois que vous aimez réellement le Peuple. — Il me tendit cordialement la main, et noua fûmes amis.

Albert n'était pas un homme ordinaire. Absorbé dès son enfance, dans des travaux purement manuels, il n'avait pu donner beaucoup de temps à la culture de son esprit ; mais je m'aperçus bien vite qu'il avait une intelligence vive, un jugement sain, et un bon sens sur lequel ne pouvaient rien, ni les apparences les plus brillantes, ni les artifices de l'éloquence la plus raffinée. Il parlait peu mais toujours à propos. Le dévouement qui marqua son affection pour moi eut quelque chose de vraiment héroïque. Quel soin il prit de s'effacer ! et avec quelle généreuse sollicitude il s'étudia à détourner sur moi le bénéfice de son influence, toujours prêt, en mon absence, soit à me renvoyer le mérite de toute mesure bien accueillie, soit à prendre la responsabilité exclusive de toute démarche exposée à être ou mal comprise ou mal jugée ! Et cette abnégation était d'autant plus admirable, qu'elle avait sa source dans un attachement illimité à la cause que je servais, et qu'il croyait juste. Aussi dirai-je, sans affectation aucune, et comme un hommage qui lui est strictement dû, qu'au Luxembourg, le beau rôle fut le sien.

J'ai eu occasion de décrire ailleurs l'impression que j'éprouvai en entrant au palais désert du Luxembourg. Tristes et muettes étaient ces vastes salles où une aristocratie en cheveux blancs allait être remplacée par un peuple en haillons. Lorsque, pour la première fois, je les traversai, dans le calme solennel de la nuit, il me sembla que mes pensées, comme autant de pâles fantômes, se dressaient autour de moi. Je sentis amèrement que, dans les routes non battues et obscures où je m'engageais, j'aurais à poser le pied sur plus d'une vipère endormie. Les calomnies qui m'attendaient revêtirent une forme corporelle : je les vis, je les touchai. Non, mon cœur n'eût pas été plus agité, si Faust lui-même eut été là, murmurant à mon oreille ces mots redoutables : Il fut de tout temps foulé aux pieds, celui qui, ayant une conviction profonde, ne fut pas assez sage pour en dérober au monde le secret. Et quoi de plus propre, en effet, à réaliser la menace, que la nature des idées que je me proposais de proclamer ? Tracer une voie nouvelle en des régions situées au dessus, bien au-dessus de la sphère des partis ; — me livrer en pâture à la haine de tous les tenants aveugles du vieux monde, en appelant la pauvreté de son vrai nom : esclavage ; — opposer les avantages du système d'association, graduellement mis en pratique, aux maux de la concurrence, qui fait, du domaine de l'industrie, un champ de bataille, et de la sorte irriter à jamais contre moi tous ceux dont la prospérité se compose des larmes et du désespoir d'autrui ; — provoquer au combat tous les propriétaires de la publicité écrite, tous les dispensateurs de la renommée, tous les dépositaires du bruit, et cela sans autre moyen de défense que les sympathies passagères des illettrés, des faibles, des pauvres, et leurs acclamations d'un jour suivies d'un long silence ; — puis, pour comble, avoir à mettre en garde contre toute agitation sans but, contre tout effort conduisant à un suicide, ceux que l'excès des douleurs et des injustices souffertes rend impatients de la lutte : épées qu'on brise après le meurtre, dés sanglants dans la partie des faux tribuns et des ambitieux !... Ah ! je me gens le droit de le dire : quand je résolus de marcher hardiment devant moi, je ne fus le jouet d'aucune illusion. Je savais qu'une société vieillie dans la corruption ne se laisse pas discuter impunément ; je savais qu'un malade qui ne connaît pas son mal et n'y veut pas croire s'irrite si on lui en parle- ; et la Fortune, en m'accablant, ne m'a point étonné.

Avant d'en venir aux actes du Luxembourg, j'exposerai, en peu de mots, les circonstances qui firent d'une enquête solennelle sur la question du travail une des nécessités de la situation.

Longtemps avant la révolution de février, un mal, qui avait son siège dans les profondeurs de la société, rongeait en France l'industrie, et appelait un remède décisif. En déployant une persévérance indomptable, en assujettissant la mer, en prenant possession des marchés lointains, et, pour tout dire, en conquérant le monde par son commerce d'une manière presque aussi complète que Rome le fit avec ses armées, l'Angleterre a pu parer aux dangers de la concurrence ; mais, en France, l'action de ce principe se trouvait resserrée dans un cercle trop étroit pour ne pas amener des catastrophes. Le monde industriel était devenu un camp ; l'industrie, un combat à mort ; la production, un jeu de hasard joué avec un emportement fiévreux par des aventuriers, entre le chômage et la banqueroute ; tous les intérêts étaient aux prises, et, comme dernier trait, la foule hâve des ; travailleurs sans pain, des travailleurs qui s'offraient au rabais ; et cherchaient en vain des acheteurs, formait comme une marée montante prête à tout engloutir. On ne l'a pas oubliée, cette devise terrible : Vivre en travaillant, ou mourir en combattant !

J'ai entre les mains un grand nombre de lettres que divers manufacturiers m'adressèrent, le lendemain de mon installation au Luxembourg., Rien de plus tragique : les uns offrent leurs établissements, qui ne peuvent se soutenir ; les autres, en mettant à la disposition de l'État bâtiments, matières premières, machines, ne demandent, en échange, qu'une place dans un, système nouveau ; et tous réclament l'intervention de l'Etat en faveur de l'industrie qui se meurt, disent-ils, si on l'abandonne à elle-même. Un fait généralement ignoré, c'est que-la nécessité d'un plan de réforme sociale fut suggérée par des sollicitations véhémentes, venues non-seulement de la classe ouvrière, maïs de nombre de fabricants en détresse[2].

La révolution de 1848 ne produisit point la crise industrielle : elle ne fit que la déclarer. Imputer aux prédications du Luxembourg le délabrement des affaires, c'est le comble de l'ignorance et de la puérilité. Ceux qui attribuent à des réformes sociales, proposées mais non encore mises à l'essai, les embarras nés de la situation même qui les provoque, ressemblent à un malade qui, après avoir repoussé les prescriptions de la médecine, leur attribuerait l'aggravation de la maladie.

D'autre part, il ne faut pas croire que le socialisme ait pour date la révolution de 1848 : elle lui donna une scène éclatante, mais ne fut point son berceau. Depuis longtemps il se faisait, parmi le peuple, — non des campagnes, mais des grandes villes, — un travail souterrain, qui ne se révélait aucunement par la tribune parlementaire, et ne se manifestait qu'imparfaitement par les journaux et par les livres. Tandis que de vulgaires grands hommes agitaient leur ambition dans l'urne des votes et remplissaient le monde d'un tumulte vain, de pauvres ouvriers, qu'on croyait absorbés par les soucis de leur labeur quotidien, s'élevaient, du fond de l'atelier, à des préoccupations d'une portée immense, et vivaient dans la région des hautes pensées. A cette société corrompue et malade, ils composaient, en espérance, un lendemain radieux. Ils interrogeaient la loi des transformations sociales du passé, pour savoir si la civilisation n'avait pas encore un pas à faire ; et, se rappelant que les hommes du peuple avaient cessé d'être esclaves, puis d'être serfs, ils se demandaient, émus d'un noble espoir, si les hommes du peuple ne cesseraient pas d'être prolétaires, le prolétariat n'étant que la dernière forme de l'esclavage.

Mais le moyen d'affranchissement, où le trouver ? Il avait été indiqué à notre génération par cette formule, d'un sens profond : Liberté, égalité, fraternité ; il ne s'agissait que de bien définir les trois termes de cette belle devise. L'instinct populaire ne s'y trompa point.

Le Peuple comprit :

Que la liberté est, non pas seulement le droit, mais le pouvoir, pour chaque homme, de développer ses facultés, sous l'empire de la justice et la sauvegarde de la loi ;

Que, la diversité des fonctions et des aptitudes étant pour la société une condition de vie, l'égalité consiste dans la facilité donnée à tous de développer également leurs facultés inégales ;

Que la fraternité, enfin, n'est que l'expression poétique de cet état de solidarité qui doit faire de toute société une grande famille.

Ainsi :

Plus d'individualisme, parce que c'est l'abandon du pauvre, du faible, de l'ignorant, et que, laisser passer, c'est laisser mourir ;

Plus de concurrence anarchique, parce que l'anarchie est un despotisme déréglé, et que la lutte entre le fort et le faible aboutit à l'oppression.

Plus de mobiles puisés dans l'antagonisme furieux des intérêts, parce que, là où le succès des uns représente la ruine des autres, la société porte dans ses entrailles la guerre civile.

Mais le travail intellectuel qui s'accomplissait au fond de la société, ceux qui en habitaient les hauteurs l'ignoraient. Les prétendus hommes d'État de la monarchie, les prétendus savants en politique et législation, les financiers habiles, les industriels renommés, ne se doutaient pas qu'ils marchaient sur un monde nouveau. Le moment devait donc arriver où ils se réveilleraient comme en sursaut, dans un coup de tonnerre. Ce moment arriva, et restera dans l'histoire, sous le nom de Révolution sociale de février.

Nul doute qu'aux yeux des classes ouvrières, une révolution purement politique n'eût été, en 1848, une déception, et les scènes précédemment décrites montrent assez à quels formidables résultats une déception de ce genre eût pu nous conduire.

En une semblable occurrence, une Commission de gouvernement pour les travailleurs ayant été instituée, nous accusera-t-on d'avoir prétendu changer la société du jour au lendemain, ou d'avoir attenté au principe de la liberté, en essayant d'imposer nos idées par la force ?

Voici la réponse :

A peine installés au Luxembourg, nous adressâmes aux ouvriers, Albert et moi, la proclamation suivante[3] :

Citoyens travailleurs, la Commission de gouvernement, instituée pour préparer la solution des grands problèmes qui vous intéressent, s'étudie à remplir sa mission avec une infatigable ardeur. Mais, quelque légitime que soit votre impatience, elle vous conjure de ne pas faire aller vos exigences plus vite que ses recherches. Toutes les questions qui touchent à l'organisation du travail sont complexes de leur nature. Elles embrassent une foule d'intérêts qui sont opposés les uns aux autres, sinon en réalité, du moins en apparence. Elles veulent être abordées avec calme et approfondies avec maturité. Trop d'impatience de votre part, trop de précipitation de la nôtre, n'aboutiraient qu'à tout compromettre. L'Assemblée nationale va être incessamment convoquée. Nous présenterons à ses délibérations les projets de loi que nous élaborons en ce moment, avec la ferme volonté d'améliorer, moralement et matériellement, votre sort, projets de loi, d'ailleurs, sur lesquels vos délégués sont appelés à donner leur avis...

 

Ainsi, sonder les plaies sociales, d'une main prudente ; exposer avec bonne foi les résultats découverts ou entrevus, ; prendre la discussion pour arme, et accepter l'opinion publique pour juge, en l'appelant à se prononcer par l'organe d'une assemblée nationale, issue du suffrage universel, telle fut la marche que, dès l'abord, nous nous engageâmes à suivre ; volontairement et solennellement.

Cet engagement fut rempli : la suite de ce récit le prouvera. Et, en réalité, nous nous cornâmes à proposer une série de mesures temporaires, adaptées à la situation, et susceptibles d'une application immédiate ; car nous n'ignorions pas que, dans ce long et douloureux acheminement de l'humanité vers le règne de la justice, il est de nécessaires étapes. Eh ! qui donc pourrait, sans folie, songer à transporter, d'un coup, une société ignorante et frivole, dans des régions telles que les contemplent les grands cœurs et les esprits d'élite ? Mais si celui-là est un insensé qui s'imagine pouvoir atteindre, d'un seul bond, le but d'un long voyage, non moins insensé est celui qui se met en route sans savoir où il va. Quand un mécanicien construit une machine, il n'a certes pas la prétention de la faire autrement que peu à peu, mais cela ne l'empêche pas d'en embrasser d'avance l'ensemble. Quand un auteur compose un drame, il en place les actes les uns après les autres, à coup sûr, mais il a eu soin, d'abord, de tracer le plan général de la pièce, et, au moment même où il écrit la première scène, il a en vue le dénouement.

Il faut donc distinguer entre les doctrines qui, au Luxembourg, furent présentées comme le but ultérieur, définitif, à atteindre, et les mesures d'un caractère purement transitoire qui y furent proposées comme immédiatement applicables.

Les premières se peuvent résumer ainsi qu'il suit :

L'homme a reçu de la nature certaines facultés, — facultés d'aimer, de connaître, d'agir. Mais elles ne lui ont point été données pour qu'il les exerce solitairement ; elles sont donc l'indication suprême de ce que chacun doit à la société dont il est membre ; et cette indication, chacun la porte écrite dans son organisation en lettres de feu. Si vous êtes deux fois plus fort que votre voisin, c'est une preuve que la nature vous a destiné à porter un fardeau double. Si votre intelligence est supérieure, c'est un signe que votre mission est de répandre, autour de vous plus de lumière. La faiblesse est créancière de la force ; l'ignorance, de l'instruction. Plus un homme peut, plus il doit ; et c'est là le sens de ces belles paroles de l'Evangile : Que le premier d'entre vous soit le serviteur des autres. D'où l'axiome : De chacun, selon ses facultés. Là est le DEVOIR.

Mais, avec des facultés, l'homme a reçu, de la nature, des besoins : besoins intellectuels, moraux et physiques ; besoins du cœur, de l'intelligence, des sens, de l'imagination. Or, quel moyen que chacun remplisse la fonction pour laquelle la nature le créa, si les institutions sociales qui pèsent sur lui font obstacle à l'entier développement de son être, en lui refusant la satisfaction des besoins inhérents à son organisation particulière ? D'où — dans les limites des ressources communes, et en prenant le mot besoins dans sa plus large et plus noble acception — cet axiome, qui correspond au premier et le complète : A chacun selon ses besoins. Là est le DROIT.

Utopie ! ne manqueront pas de s'écrier les hommes superficiels, ou ceux à qui des investigations de ce genre sont tout à fait étrangères. Cependant, voyons un peu.

La première objection qui se présente aux esprits inattentifs, est l'impossibilité apparente de fixer la mesure d'un besoin. Objection étrangement futile ! La mesure d'un besoin est dans son degré d'intensité. Est-ce que nous ne cessons pas de manger quand nous n'avons plus faim ; de boire, quand nous n'avons plus soif ; de marcher, quand nous sommes fatigués ; de lire ou de jouer, quand nous n'éprouvons plus de plaisir à le faire ? Il n'est pas jusqu'aux besoins morbides qui n'aient leur limite naturelle et infranchissable. La difficulté n'est donc pas de trouver une mesure à nos besoins, mais d'arriver à un arrangement social tel que les prescriptions de la nature n'y soient contrariées par aucun obstacle conventionnel, né de cet arrangement même : comme, par exemple, dans la société actuelle, où l'on voit des paralytiques manquer de tout moyen de transport, tandis qu'il y a chevaux et carrosses à l'usage de gens à qui le mouvement serait bon pour la santé. Il est singulier que des faits où se trouve, manifestement, le germe des perfectionnements possibles de la société, se passent chaque jour sous nos yeux, sans que personne prenne la peine de les analyser. Dans la famille, est-ce que les enfants ne donnent pas proportionnellement à ce qu'ils peuvent, et ne reçoivent pas proportionnellement à ce qu'il leur faut ? Est-ce que celui d'entre eux qui est en état d'aider la famille par ses travaux, s'autorise de ses services pour confisquer la part de celui de ses frères qui n'est encore, pour la famille, qu'une charge ? L'action du double principe, posé plus haut, est ici bien évidente ; et, si l'on objecte qu'elle s'explique, en ce cas, par des liens naturels d'affection, impossibles à supposer entre des hommes inconnus les uns aux autres, le spectacle de ce qui a lieu dans un club, fournit une réponse décisive. Là, une fois admis, chaque membre a le libre usage des journaux, de la bibliothèque, dn billard, de la salle ou l'on fume, etc. Mais, dans le fait, chacun prend-il, de ces divers avantages, une part identique à celle de son voisin ? Non : tel membre fréquente, de préférence, la salle de billard ; tel autre la salle de lecture ; et celui qui ne fume pas paye volontiers sa cotisation pour l'entretien de la salle destinée aux fumeurs. A chacun selon ses besoins, voilà le principe sur lequel tout club anglais repose. Oui, au point de vue de la proportionnalité à établir dans la satisfaction des besoins de l'homme en société, un club est la mise en pratique du socialisme sur une petite échelle, son objet et son résultat étant de fournir à tous les membres qui le composent l'égale satisfaction de leurs besoins inégaux. Je pourrais multiplier les exemples, et montrer, par ce qui se voit journellement, combien est facile la réalisation de la doctrine en question, même pour ce qui touche les besoins intellectuels et moraux. Que sont en effet les cours gratuits, les bibliothèques publiques, les musées, les parcs tels que Hyde-Park, les jardins tels que les Tuileries, sinon d'admirables emprunts faits par la société actuelle à l'idéal de la société future ?

Mais où chacun recevrait de la société ce qu'il lui faut, il serait nécessaire et juste que chacun fît pour la société ce qu'il peut. Et c'est ce qui aurait lieu volontairement, sans effort, et, à part même le sentiment du devoir, par le seul attrait du travail, dans une société où l'accord établi entre les fonctions diverses et les aptitudes naturelles, correspondantes aurait fait du travail un plaisir ; car, de toutes les jouissances de l'homme, il n'en est point de plus vive que celle qu'il puise dans le libre, dans le volontaire exercice de ses facultés.

Si nous voyons aujourd'hui tant de paresseux, c'est la faute d'institutions qui font dépendre uniquement du hasard et de la misère la distribution des fonctions sociales, sans tenir compte, ni de la spécialité des vocations, ni de celle des aptitudes, et sans consulter les penchants. Tel était né poète : la misère le force à être charpentier. Tel était né, comme Louis XVI, avec une propension et des aptitudes marquées pour la mécanique : le hasard de la naissance le condamne à être roi. Est-il surprenant que la haine du travail trouve place au milieu de ce déclassement universel des aptitudes et dans ce perpétuel étouffement des-tendances naturelles ? Qu'on préfère le repos à un travail auquel on ne se sent point propre, vers lequel on n'est point porté, qu'on n'accepte que comme une dure loi de la misère et dont les fatigues sont sans- compensation, suffisante, quoi de plus simple ? Pour les nègres, à qui la. servitude a inspiré l'horreur de. tout travail, le repos-absolu, c'est l'idéal de la, liberté, et l'on conçoit de reste, que la paresse soit fille de l'esclavage. Mais prenez, un ordre- social où les fonctions diverses seraient distribuées selon les, facultés et les penchants... y aurait-il : paresse générale, alors, dites-moi ? Est- ce que les poètes n'aiment pas à faire des vers, les peintres des tableaux, les mécaniciens des machines ? est-ce qu'un véritable mathématicien ne se complaît pas à résoudre des problèmes et un véritable architecte à bâtir des maisons ? est-ce que l'art de cultiver la terre n'a pas des charmes puissants quand il ne constitue pas un labeur contraint et excessif ? Je connais dès hommes qui, possesseurs d'une fortune colossale, travaillent jusqu'à douze heures par jour. Je connais des négociants, qui, après s'être enrichis, restent dans les affaires afin de ne pas s'exposer au malheur de tomber dans l'ennui : tant il est vrai qu'on peut aimer le travail pour lui-même et indépendamment de ce qu'il rapporte, quand on l'a embrassé avec entière liberté et par choix ! De fait, les lois de la nature ne seraient-elles pas dignes de pitié et de mépris, si elle nous avait donné, avec des facultés, une répugnance instinctive à les exercer ; si, en nous donnant des yeux, elle nous avait rendu pénible l'action de voir ; si, en nous donnant des oreilles, elle nous avait rendu pénible l'action d'entendre ? Non, non : la paresse absolue n'est- point pour l'homme un état normal, et elle lui serait un supplice le jour où elle deviendrait obligatoire. Rapp, fondateur d'une communauté civile et religieuse en Amérique, avait imaginé, comme châtiment à infliger aux paresseux, L'OISIVETÉ FORCÉE pendant un laps de temps déterminé ; l'efficacité du moyen en démontra bien vite l'excellence.

Inutile d'observer que la réalisation de la doctrine qui, vient d'être exposée rapidement exclut toute idée d'antagonisme, toute opposition entre l'intérêt privé et l'intérêt public, en un mot tout ce qui n'est pas association. Or, si l'on considère, d'un côté, la puissance du principe d'association, sa fécondité presque sans bornes, le nombre des gaspillages qu'il évite, le montant des économies qu'il permet ; et, d'un autre côté, si l'on calcule l'énorme quantité de valeurs perdues que représentent, sous l'empire du principe contraire, les faillites qui se déclarent, les magasins qui disparaissent, les ateliers qui se ferment, les : chômages qui se multiplient, les marchés qui s'engorgent, les révolutions industrielles qui naissent de l'intervention trop brusque des machines ou de leurs services monopolisés, les crises- commerciales, enfin qui, à des époques périodiques, éclatent comme la foudre, sans passer comme elle..., il faudra bien reconnaître que, par la substitution du premier principe-au second, les peuples gagneraient en richesse ce qu'ils auraient gagné en moralité.

J'ai parlé du travail attrayant : le fait suivant, donnera une preuve frappante des merveilleux effets qu'il est permis d'en attendre, et aussi du pouvoir qu'a l'éducation de pétrir en quelque sorte à son gré la nature de l'homme.

En mai 1848, je reçus la visite du directeur d'une école industrielle établie à Petit-Bourg, pour l'éducation d'un certain nombre d'enfants pauvres. M. Allier — c'était le nom du directeur — désirait me montrer son établissement ; M. et Mme Victor Hugo devaient être de la partie. Nous nous mîmes en route. A notre arrivée, M. Allier nous fit faire le tour des ateliers, où l'on enseignait aux enfants toutes sortes de métiers divers. La joyeuse ardeur des petits apprentis nous étonna. On eût dit, à les voir, qu'ils jouaient au travail ; et notre surprise redoubla, lorsque, dans l'atelier de forge, nous aperçûmes, au milieu du bruit et de la fumée noire, un jeune gars occupé à frapper sur une enclume, d'un bras qui semblait infatigable. Il avait le sourire sur les lèvres, et l'œil aussi brillant que les étincelles qui volaient autour de lui. Il y avait là grand feu, et nous étions dans une chaude journée de mai ! On nous conduit au jardin, où nous trouvons une bande de petits jardiniers qui s'employaient très-activement, les uns à cultiver les fleurs, les autres à soigner les plantes, d'autres à arroser. Les faces rayonnantes de ces enfants, la splendeur du jour, la beauté du lieu, situé sur des hauteurs d'où l'on jouissait d'une vue que je ne saurais mieux comparer qu'à celle de Sydenham, tout cela formait une scène charmante. Je pensai aux jeunes vulcains enterrés dans le Pandémonium que nous venions de quitter, et l'idée me vint naturellement qu'ils devaient envier le sort des habitants fortunés de l'Éden où nous nous trouvions : j'en fis la remarque. Mais ceci est affaire de choix, s'écria aussitôt M. Allier d'un air de triomphe ; ces enfants ne font que ce qu'ils ont déclaré préférer. Là git tout le secret de l'ardeur qu'ils déploient. Et il nous expliqua que l'usage de l'établissement avait été, dans les commencements, de distribuer les travaux sans autre règle qu'une appréciation à peu près arbitraire des diverses aptitudes. Mais le vice de cette méthode n'avait point tardé à se révéler : les enfants prenaient en dégoût la tâche qui leur avait été assignée ; ils s'y livraient avec répugnance, et demandaient continuellement à en changer. Alors, continua M. Allier, nous essayâmes d'un autre procédé. Quand un enfant arrive, nous lui donnons carte blanche, pendant un temps déterminé, pour aller partout, tout examiner : après quoi, il est lui-même appelé à choisir l'occupation qui lui convient, avec clause qu'il s'y tiendra. Le résultat de ce système est sous vos yeux.

Qu'est-il besoin de commentaires ?

Autre circonstance, non moins instructive et plus piquante, que cette visite me rappelle et que je consigne ici, à l'adresse de ceux qui se hâtent de proclamer impossible tout ce qui sort du cercle, soit de leurs habitudes d'esprit, soit de leur expérience personnelle.

Comme nous continuions de visiter Petit-Bourg, on nous mena voir la salle de punition. Elle ne contenait qu'un prisonnier. Nous sollicitâmes sa grâce, cela va sans dire, au nom des droits de l'hospitalité, et n'eûmes pas de peine à l'obtenir. Au moment où l'enfant sortait, M. Allier lui dit : Et que votre ami soit plus sage désormais. Cette façon de gronder le petit coupable nous parut, on le pense bien, chose mystérieuse. L'explication fut celle-ci : Chaque nouveau venu dans cet établissement est tenu, à l'expiration d'un certain délai, de se choisir un ami parmi ses camarades, et d'en faire publiquement la déclaration ; le but est de leur enseigner à tous les devoirs de l'amitié, de les former à la pratique du dévouement ; et voici de quelle manière : lorsqu'un enfant commet une faute, — vous allez rire, — ce n'est pas lui qu'on châtie, c'est son ami. Conformément à la prédiction, nous nous mîmes à rire, et rappelâmes l'histoire de certaines petites majestés qui, pour chacune de leurs peccadilles, recevaient le fouet dans la personne de leurs amis plébéiens. Oh ! c'est bien différent ! répliqua M. Allier : il n'y avait pas réciprocité dans le cas dont vous parlez. Sur quoi, il nous apprit que, depuis l'introduction de cet usage, si singulier et en apparence si injuste, de punir l'ami du coupable au lieu du coupable lui-même, le nombre des fautes commises avait considérablement diminué. Chacun mettait son honneur à ne point faire punir son ami ; celui auquel cela arrivait était couvert de honte, tandis qu'au contraire, celui sur qui tombait le châtiment matériel éprouvait une sorte de joie hautaine à l'endurer avec courage ; de sorte que, sous le rapport moral, c'était bien réellement le coupable qui subissait l'expiation encourue. En mentionnant ce curieux procédé, je ne prétends pas en recommander l'adoption ; mais quoi de plus propre à montrer jusqu'à quel point l'éducation peut influer sur le tour de nos idées, sur la direction de nos sentiments, et sur la nature des mobiles qui déterminent nos-actes ?

Je reprends. Que les-hommes ne naissent tous ni avec la même intelligence, ni avec les mêmes penchants, pas plus qu'ils ne naissent avec la même taille ou le même visage, nul ne songe à le nier. La société n'étant qu'un mutuel échange de services fondé sur la diversité des forces, des aptitudes, des besoins et des goûts, la nature a créé les hommes inégaux, précisément parce qu'elle a créé l'homme social. Aussi n'y eut-il jamais d'autre dogme professé, au Luxembourg, que celui de l'égalité relative, de l'égalité prise, non dans le sens d'identité, mais dans le sens de proportionnalité : de l'égalité qui consisterait, pour tous, sans l'égal développement de leurs facultés inégales, et dans l'égale satisfaction de leurs besoins inégaux. Hors de là, il ne saurait y avoir qu'iniquité et oppression. Et quel peut, je le demande, être le but de la formation des sociétés, sinon d'empêcher que l'inégalité naturelle qui règne parmi les hommes ne devienne une source de tyrannie et de souffrance ? Malheureusement, le but social est loin encore d'avoir été atteint, et cette société d'aujourd'hui, qui ne permet pas l'abus de la force physique, nous offre le triste spectacle d'une lutte permanente où l'ignorant et le pauvre, sont écrasés. Si les lois de la justice et de la raison étaient obéies, il y aurait place pour tous, à l'époque de L'enfance, aux sources de l'intelligence, et place pour tous, dès l'entrée de la carrière active, au banquet de la vie ; la distribution des fonctions sociales ne serait plus abandonnée au hasard, mais déterminée par la spécialité des vocations ; et le travail du plus grand nombre cessant d'avoir sa raison d'être dans le despotisme de la faim, l'homme serait vraiment libre. Mais, hélas ! ce sont souvent les vérités les plus incontestables et les plus claires qui ont le plus de peine à prendre possession des esprits. Il y a dans les préjugés, il y a dans les erreurs qui datent du berceau une forcé de résistance prodigieuse. Il ne faut pas être envieux du temps, disait Necker. Belle parole, mais qui serre le cœur, quand on songe à la lenteur poignante avec laquelle s'écoulent, sous le toit du prolétaire, les heures de l'agonie !

Un jour, dans ce pays oui m'a jeté l'exil, je m'entretenais du grave sujet qui précède avec un Anglais de mes amis, homme dont l'esprit est hanté, pat ? des préjugés contre lesquels proteste en vain la générosité de son âme. Aux vues que je lui exposais, il fit mainte objection, insistant, non-seulement sur l'impossibilité d'une application immédiate, impossibilité que j'admettais, mais même sur l'erreur fondamentale, disait-il, qu'il y avait à faire, d'un pareil idéal, le but ultérieur à poursuivre.

Or, il arriva que, le lendemain, devait avoir lieu une partie de campagne dont nous étions, mon interlocuteur et moi. Il s'agissait d'aller diner sur l'herbe dans l'ile fameuse où fut signée la grande charte des libertés anglaises,  magna Charta. Notre caravane se composait de personnes des d'eux sexes, fort différentes par la position sociale, la fortune, l'intelligence, mais que rapprochait un sentiment de bienveillance mutuelle et éclairée. Il y avait un chiffre de dépenses à atteindre, des provisions à rassembler : cd fut l'affaire de qui avait du vin dans ses caves et de l'argent dans sa bourse. A l'heure dite, nous étions tous au rendez-vous convenu. Des barques nous attendaient ; nous y montâmes, nous partîmes. Ceux qui savaient ramer se mirent aux rames sans se faire prier, et, tandis qu'ils se fatiguaient joyeusement à conduire, les autres s'occupaient à regarder fuir les bords de la Tamise, à jouer avec les enfants ou à causer avec les dames.

Quand nous eûmes mis pied à terre et qu'il fut question de transporter à l'endroit désigné d'avance nos munitions... de paix, les plus vigoureux réclamèrent le privilège de se charger du précieux fardeau, chacun comptant bien, d'ailleurs, avoir son tour dans le bonheur d'être utile. C'est ce qui arriva. Aux dames échut de droit, le soin de tout disposer pour notre festin champêtre, et les enfants trouvèrent parfaitement à s'employer, à leur grande joie. Il va sans dire que, pendant le repas, la bonne harmonie ne fut troublée par aucune prétention tirée, soit du plus ou moins de mérite de tel convive, soit de la différence des petits services rendus ou à rendre. Les rameurs, qui s'étaient donné tant de peine, n'auraient eu garde d'en prendre texte pour réclamer quoi que ce fût au détriment de ceux qui n'avaient point ramé. Les plus belles attirèrent davantage les regards, peut-être ; mais il eût paru fort étrange, intolérable, qu'en raison de leur beauté elles exigeassent les meilleurs vins et les mets les plus délicats. Chacun mangea selon son appétit, but selon sa soif. Il fallut pourvoir ensuite à ce que la soirée fût agréablement remplie, et chacun y fit de son mieux. L'un chanta, l'autre joua de la guitare, un troisième récita des vers charmants de sa façon. Personne ne fut requis de faire ce qu'il ne savait pas, personne ne refusa de faire ce qu'il savait, et tous reçurent de cordiales félicitations, quoique tous n'eussent contribué aux plaisirs de la journée, ni au même degré, ni de la même manière. Bref, nous nous en revînmes enchantés d'avoir passé ensemble des heures si douces et nous promettant de recommencer le plus tôt possible.

Au moment où nous allions nous séparer, je pris à part mon interlocuteur de la veille et lui dis : Eh bien, que vous en semble ? Vous avez vu aujourd'hui en action mes raisonnements d'hier. Pourquoi avons-nous été si heureux et sommes-nous restés si unis ? Parce que nous avons appliqué d'instinct la formule : De chacun suivant ses facultés, à chacun suivant ses besoins. — Mais ceci, répondit-il avec un léger embarras, n'était qu'une affaire de plaisir. — Eh ! qu'importe ? répliquai-je. La question est justement de transformer le travail en plaisir ; et vous avez pu remarquer quel charme ont prêté même à nos fatigues l'absence de toute contrainte et la liberté du choix. — C'est un cas exceptionnel. — Qu'importe encore ? Si la règle est loin de valoir l'exception, pourquoi, de l'exception, ne chercherions-nous pas à faire la règle ? Ô folie des hommes !

Mon ami l'Anglais ne répondit pas ; il me serra la main, et s'en alla tout pensif.

Lorsque, au mois de septembre 1848, le Droit au Travail fut discuté dans l'Assemblée nationale, M. Thiers donna de la liberté sociale la définition suivante : Elle consiste, dit-il[4], à disposer de ses facultés comme on l'entend, à choisir sa profession. Il est singulier que M. Thiers n'ait pas pris garde qu'en s'exprimant de la sorte, il prononçait contre l'ordre social actuel la plus dure des sentences, et proclamait implicitement la vérité de ce qu'on a appelé les théories du Luxembourg ; car il faudrait un degré bien extraordinaire de hardiesse pour prétendre que la constitution actuelle de la société se prête à l'exercice de la liberté, telle que M. Thiers la définit. Sont-ils libres d'entrer dans la carrière de la magistrature, de s'appliquer aux lettres, d'aspirer aux grasses fonctions de la finance, en un mot de disposer de leurs facultés comme ils l'entendent et de choisir leur profession, ces pauvres enfants qui, forcés d'ajouter au salaire paternel le fruit d'un travail horriblement précoce, sont envoyés, dès l'âge de sept ans, dans une manufacture où la flamme de leur intelligence s'éteint, où la santé de leur âme se perd, où toutes leurs facultés s'épuisent à surveiller une roue qui tourne ? Sont-ils libres de suivre le goût qui les entraîne vers l'agriculture ou le commerce, ces adolescents, fils du pauvre, que réclame le devoir militaire, dont les fils du riche se dispensent à prix d'or ? Que dis-je ! Sont-elles libres de devenir d'honnêtes mères de famille, ces pécheresses que le tragique ouvrage de Parent-Duchâtelet nous montre irrésistiblement poussées dans les impasses de la prostitution par l'excès de la misère ? Qui ne voit que, le régime actuel donnant presque tout au hasard d'une naissance heureuse, c'est ce hasard, et non la loi naturelle des vocations, qui décide presque toujours du choix des carrières ? On cite et l'on compte ceux qui, par un surcroit d'énergie, aidé de circonstances particulières, sont parvenus à dompter les obstacles dont le berceau du pauvre est entouré. Le pauvre, libre ! Eh ! nous ne laissons pas même à sa liberté la borne de nos rues et la pierre de nos chemins ; car nous punissons comme mendiant celui qui tend la main, faute d'emploi, et comme vagabond celui qui s'endort sur les marches d'un palais, faute d'asile. Non, le pauvre ne jouit pas de cette liberté sans laquelle il ne vaut pas la peine de vivre ; — et c'est tout au plus, si à son tour, le riche est appelé à en jouir, asservi qu'il est aux préjugés-qui le rendent esclave de lui-même. Louis XVI, qui eût été un digne et heureux serrurier, a dû au hasard de la naissance de mourir sur un échafaud ; et tel qui mourra sur un grabat, après avoir vécu dans une mansarde, avait en lui les germes d'une intelligence à gouverner un empire. En veut-on la preuve ? Elle est fournie par toutes les-révolutions, qui, agitant la société de manière à en déchirer la surface, ont si souvent tiré de ses profondeurs de quoi étonner les hommes. Nul observateur impartial qui ne soit obligé de reconnaître dans le principe qui sert de base à la société actuelle la négation même de la grande maxime, récemment proclamée en Angleterre avec tant d'éclat : The right man in the right place.

Il y a là un mal impossible à nier, et qui a sa racine dans la possession, transformée en privilège, de tous les moyens d'éducation et de subsistance, de tous les instruments de travail : état de choses qui fait qu'un- grand' nombre d'hommes trouvent, dès leur premier pas dans la vie, un obstacle invincible au développement de- leurs facultés naturelles et à l'emploi de leurs véritables : aptitudes.

Aussi, à qui les encouragerait an travail par l'espoir d'en recueillir les fruits, combien pourraient répondre :

Vous nous criez : Travaille ? mais nous n'avons ni un champ pour labourer ; ni du bois pour construire ; ni du fer pour forger ; ni de la laine, de la soie, du coton, pour en faire des étoffes. C'est peu : ne nous est-il pas interdit de cueillir ces fruits, de boire à cette fontaine, d'aller à la chasse de ces animaux, de nous ménager un abri sous ce feuillage ? Tout nous manque pour travailler et... pour vivre, parce qu'en naissant nous avons trouvé tout envahi autour nous ; parce que des lois, faites sans nous et avant nous, ont remis cruellement au hasard le soin de notre destinée ; parce qu'en vertu de ces lois, les MOYENS DE TRAVAIL dont la terre semblait avoir réservé l'usage à tous ses enfants sont devenus la possession exclusive de quelques-uns. A ceux-ci de disposer de. nous, puisque nous ne pouvons disposer de nous-mêmes. Travaille ! Nous sommes prêts, mais cela ne dépend-il que de notre volonté ? Travaille, et tu seras assuré de conserver le fruit de ton travail. Eh ! comment nous garantiriez-vous le fruit de notre labeur, quand vous ne pouvez ou n'osez nous garantir l'emploi de nos bras ? Notre, dénuement nous livre à la merci d'autrui, et ce qu'on nous offre, en échange de notre activité, ce n'est pas le produit- créé, c'est seulement un salaire qui nous permettra de vivre en le créant, salaire dont la concurrence maintient le chiffre au. niveau des plus strictes nécessités- de. la vie, et qui ne laisse presque jamais- de marge pour des épargnes, que dévorerait, d'ailleurs, le premier jour de chômage ou de maladie. Ce n'est donc pa6 la perspective du bien-être futur de nos enfants qui nous stimule, nous : en fait de stimulant, nous ne connaissons que la faim. Gomment se fait-il que ceux qui fécondent la terre soient en peine d'un morceau de pain ? que ceux qui tissent les étoffes précieuses soient en peine d'un vêtement ? que ceux qui bâtissent les palais ne sachent pas quelquefois où reposer leur tête ?

Telles étaient les plaintes qui, le lendemain de la révolution de 1848, s'échappaient du. fond des ateliers, non-seulement à Paris, mais dans toutes les grandes villes de France ; et, pour mon compte, je n'aurais pu nier la légitimité de ces plaintes, sans manquer à. mes convictions les plus intimes. Que faire donc ? Présenter au Peuple, comme susceptible d'une application prochaine, la doctrine dont j'ai dû, me borner à indiquer ici d'une façon toute sommaire la direction et l'esprit, c'eût été encourir le juste reproche d'encourager des rêves ; et, comme membre dj Gouvernement provisoire, comme homme politique ayant à tenir compte de la situation, des choses, je n'aurais pu rien faire de semblable, sans commettre une faute dangereuse. La question était donc de montrer, loin dans l'avenir, l'idéal à réaliser, et de proposer, au point de vue de cet idéal, mais en évitant, soit d'alimenter des espérances chimériques, soit de provoquer de brusques secousses dont le Peuple aurait eu le premier à souffrir, une série de mesures partielles, progressives, et dont l'application immédiate n'offrit aucune difficulté sérieuse. C'est dans ces limites que le Luxembourg renferma son action.

J'avais eu souvent occasion de remarquer que, lorsqu'il s'agissait de petites expériences industrielles ou militaires, fussent-elles d'une utilité douteuse, fussent-elles d'un caractère meurtrier, les dépositaires du pouvoir n'y épargnaient ni le temps ni l'argent, tandis que rien n'était tenté pour découvrir ou constater quel mode de relations sociales offrirait aux hommes le plus de chances d'être heureux en devenant justes. Et il me sembla qu'une question de cette nature valait bien que ceux qui se parent si pompeusement et si volontiers du titre d'hommes d'État s'en occupassent un peu. Restait à savoir quel genre d'initiative promettait des résultats avantageux au Peuple.

Il importe ici de noter qu'en Angleterre l'usage d'aider les entreprises particulières au moyen d'avances tirées de la bourse du public, est loin d'être inconnu ; témoin les fonds avancés parle Conseil privé, sous la garantie d'un contrôle, et conditionnellement, à des personnes associées pour l'établissement et la direction d'un certain nombre d'écoles. Il est vrai que, dans la session de 1849, ce fut, de la part de sir Robert Peel et d'autres, le sujet d'une vive opposition. Mais pourquoi ? Parce que l'acte censuré émanait du seul pouvoir exécutif, auquel on déniait le droit  le disposer d'une portion quelconque de l'argent appartenant au public, si ce n'est à la suite et en vertu d'un vote du parlement.

Eh bien, le plan du Luxembourg consistait à préparer l'émancipation du travail par une intervention de même nature que celle à laquelle on a eu recours en Angleterre dans l'intérêt de l'éducation, avec cette différence que les vues émises au Luxembourg n'étaient en aucune sorte sujettes aux objections élevées par sir Robert Peel ; car, d'une part, il s'agissait simplement d'un prêt gouvernemental à faire à des associations d'ouvriers, prêt hypothéqué sur la valeur de leurs établissements, et, d'autre part, rien ne devait être décidé à cet égard que dans l'Assemblée nationale, et par elle.

Voici, sous forme de projet de loi, le résumé des mesures qui, au Luxembourg, furent proposées :

ART. 1er. Il serait créé un Ministère du Travail, avec mission spéciale de préparer la révolution sociale, et d'amener graduellement, pacifiquement, sans secousse, l'abolition du prolétariat.

ART. 2. Le ministère du Progrès serait chargé : 1° de racheter, au moyen de rentes sur l'État, les chemins de fer et les mines ; 2° de transformer la Banque de France en Banque d'Etat ; 3° de centraliser, au grand avantage de tous et au profit de l'Etat, les assurances ; 4° d'établir, sous la direction de fonctionnaires responsables, de vastes entrepôts où producteurs et manufacturiers seraient admis à déposer leurs marchandises et leurs denrées, lesquelles seraient représentées par des récépissés ayant une valeur négociable et pouvant faire office de papier-monnaie ; papier-monnaie parfaitement garanti, puisqu'il aurait pour gage une marchandise déterminée et expertisée ; 5° enfin, d'ouvrir des bazars correspondant au commerce de détail, de même que les entrepôts correspondraient au commerce en gros.

ART. 3. Des bénéfices que les chemins de fer, les mines, les assurances, la Banque, rapportent aujourd'hui à la spéculation privée, et qui, dans le nouveau système, retourneraient à l'État, joints à ceux qui résulteraient des droits d'entrepôt, le Ministère du Travail composerait son budget spécial : le budget des travailleurs.

ART. 4. L'intérêt et l'amortissement des sommes dues par suite des opérations précédentes seraient prélevés sur le budget des travailleurs ; le reste serait employé 1° à commanditer les associations ouvrières, 2° à fonder des colonies agricoles.

ART. 5. Pour être appelées à jouir de la commandite de l'Etat, les associations ouvrières devraient être instituées d'après le principe d'une fraternelle solidarité, de manière, à pouvoir acquérir, en se développant un capital COLLECTIF, INALIÉNABLE ET TOUJOURS GROSSISSANT ; seul moyen d'arriver à tuer l'usure, grande ou petite, et de faire que le capital ne fût pas un élément de tyrannie, la possession des instruments de travail un privilège, le crédit une marchandise, le bien-être une exception, l'oisiveté un droit.

ART. 6. En conséquence, toute association ouvrière, voulant jouir de la commandite ; dei l'État, serait tenue d'accepter, comme bases constitutives, de son existence, les dispositions qui suivent :

Après le prélèvement du prix des salaires, de l'intérêt du capital, des frais d'entretien et de matériel, le bénéfice serait ainsi réparti :

Un quart pour l'amortissement du capital appartenant au propriétaire avec lequel l'État aurait traité ;

Un quart pour l'amortissement, d'un fonds de ; secours destiné aux vieillards, aux malades, aux blessés, etc. ;

Un quart à partager entre les travailleurs à titre de bénéfice, comme il sera dit plus tard ;

Un quart, enfin, pour la formation d'un fonds de réserve dont la destination sera indiquée plus bas.

Ainsi serait constituée l'association dans un atelier.

Resterait à étendre l'association entre tous les ateliers d'une même industrie, afin de les rendre-solidaires les uns des autres.

Deux conditions y suffiraient :

D'abord, on déterminerait le prix.de revient ; on fixerait, eu égard à la situation du monde industriel, le chiffre du bénéfice licite au-dessus du prix.de revient, de manière-à arriver à un prix uniforme et à, empêcher toute concurrence entre les ateliers d'une même industrie.

Ensuite, on établirait, dans tous : les ateliers de la même industrie un salaire, non pas égal, mais proportionnel, les conditions de la vie matérielle n'étant pas identiques sur tous les points de la France.

La solidarité ainsi établie entre tous les ateliers d'une même industrie, il y aurait, enfin, à réaliser la souveraine condition de l'ordre, celle qui devra rendre à jamais les haines, les guerres, les révolutions impossibles ; il y aurait à fonder la solidarité entre toutes les industries diverses, entré tous les membres de là société.

Deux conditions pour cela sont indispensables :

Faire la somme totale des bénéfices de chaque industrie, et cette somme totale, la partager entre tous les travailleurs.

Ensuite, des divers fonds de réserve dont nous parlions tout à l'heure, former un fonds de mutuelle assistance entre toutes les industries, de telle sorte que celle qui, une année, se trouverait en souffrance, fût secourue par celle qui aurait prospéré. Un grand capital serait ainsi formé, lequel n'appartiendrait à personne en particulier, mais appartiendrait à tous collectivement.

La répartition de ce capital de la société entière serait confiée à un conseil d'administration placé au sommet de tous les ateliers. Dans ses mains seraient réunies les rênes de toutes les industries, comme dans la main d'un ingénieur nommé par l'Etat serait remise la direction de chaque industrie particulière.

L'Etat arriverait à la réalisation de ce plan par des mesures successives. Il ne s'agit de violenter personne. L'Etat donnerait son modèle : à côté vivraient les associations privées, le système économique actuel. Mais telle est la force d'élasticité que nous croyons au nôtre, qu'en peu d'o temps, c'est notre ferme croyance, il se serait étendu sur toute la société, attirant dans son sein les systèmes rivaux par l'irrésistible attrait de sa puissance. Ce serait la pierre jetée dans l'eau et traçant dés cercles qui naissent les uns des autres, en s'agrandissant toujours.

ART. 7. Les colonies agricoles seraient fondées dans le même but, d'après les mêmes principes et sur les mêmes bases.

Le but et les limites de ce livre ne comportant pas une analyse scientifique, approfondie, complète, des doctrines émises au Luxembourg, je renvoie à l'Appendice l'examen des principales objections soulevées[5]. Mais je ne puis m'empêcher de citer ici ce qu'a écrit pour la défense du Luxembourg, un homme que l'Economist, journal anglais très-influent et antisocialiste par excellence, a proclamé le premier écrivain d'économie politique de nos jours.

En vérité, dit M. John Stuart Mill, il n'y a rien, dans ce qui a été proposé au Luxembourg, qui explique la terreur folle qu'excite, des deux côtés de la Manche, tout ce qui porte ce nom sinistre de socialisme. Il semble parfaitement juste qu'on demande au gouvernement de faciliter, par des avances de fonds, et cela dans des limites raisonnables, l'établissement de communautés industrielles, basées sur des principes socialistes. Dût l'entreprise échouer, elle devrait être tentée, parce que les ouvriers ne la croiront jamais de nature à échouer, si on ne leur en fournit une preuve de fait ; parce qu'ils ne seront convaincus que lorsque tout ce qui est possible aura été essayé ; parce que, enfin, une expérience nationale de ce genre, par les hautes qualités morales que développerait l'effort et par l'instruction qui rejaillirait de l'insuccès même, vaudrait bien les millions qu'on dépense pour les divers objets qui rentrent dans ce qu'on appelle communément l'éducation populaire[6].

 

Voilà donc le plan qui a été l'objet de tant de commentaires venimeux, le point de mire de tant d'attaques injustes : il consistait simplement à jeter, au milieu du système social actuel, les fondements d'un autre système, le système coopératif, en donnant au dernier le caractère d'une grande expérience nationale faite avec l'aide et sous Je contrôle de l'Etat.

Ainsi, deux modes de relations industrielles auraient été mis en présence : l'un, partant du principe d'antagonisme ; l'autre, du principe de coopération ;

L'un, poussant chaque individu à poursuivre son but propre, éperdument, sans se préoccuper des autres, et même au risque de leur passer sur le corps ; l'autre, conduisant chacun à identifier son intérêt particulier avec l'intérêt commun ;

L'un, par essence, semant la discorde, l'envie, la haine : l'autre, donnant la concorde pour condition suprême au succès ;

L'un ressemblant à un duel, où le salut de celui-ci exige la mort de celui-là, et quelquefois amène la mort des deux ; l'autre, créant l'émulation véritable, celle qui aiguillonne l'intérêt personnel, sans le mettre en hostilité nécessaire avec la prospérité d'autrui ;

L'un, transformant la production en un terrible jeu de hasard ; l'autre, la réglant sur les besoins connus et les exigences de la consommation ;

L'un, faisant, du succès, le résultat d'une sagacité servie par la fortune, et bien souvent l'affaire d'un coup de dé ; l'autre assurant le succès à la science, à la sagesse et au travail.

En tout cas, l'expérience étant appelée à décider lequel des deux modes était le meilleur, celui en faveur duquel elle se serait prononcée aurait gagné du terrain peu à peu, sans violence, sans commotion, par la seule puissance de l'attrait, tandis que l'autre aurait tendu graduellement à disparaître comme conséquence naturelle de son infériorité, prouvée par le fait même, et, bientôt, généralement reconnue.

Il n'aura pas, sans doute, échappé au lecteur que des idées semblables ne faisaient briller qu'un espoir éloigné, aux yeux de la multitude ardente et victorieuse, à qui elles furent présentées au plus fort d'une tempête qui rendait cette multitude toute-puissante. Par quel héroïque effort de patience, par quel magnanime pouvoir sur elle-même, en vint-elle à ne point s'irriter des obstacles et à se plier volontairement au dur joug de la résignation ? C'est certainement là un spectacle unique dans l'histoire, et que jamais cœur digne de le comprendre ne contemplera sans admiration. Quel autre peuple, écrit un historien de nos jours[7], a-t-on vu oublier ses misères pour écouter des thèses philosophiques et tromper sa faim par une pâture intellectuelle ? Quel autre gouvernement aurait osé se livrer lui-même comme matière à discussion, affronter l'esprit d'examen et la subtilité des paradoxes ? Quel plus grand signe de sa force, de sa moralité ; quelle plus haute conscience de son droit, que cet appel à un concile populaire chargé d'élaborer les articles du dogme nouveau ? Quel autre temps a trouvé aux guerres civiles une pareille solution ? Ah ! ce sera l'éternelle gloire du peuple de Paris que semblable chose ait été possible. Mais l'heure du péril passée, combien peu on lui a tenu compte de sa modération, à ce grand peuple ! et quel sujet de tristesse ineffable qu'un tel souvenir !

 

 

 



[1] C'est sans doute ce fait qui a donné naissance à la ridicule histoire de ma présentation à la duchesse de Dino par M. Pozzo di Borgo. C'est là un conte inventé à plaisir. Je n'ai jamais eu avec la duchesse de Dino le moindre rapport. Je ne l'ai vue de ma vie.

[2] En voici une preuve curieuse. Le 22 mars 1848, je reçus ce qui suit :

Cabinet du procureur général.

Citoyen, membre du Gouvernement,

M. L..., manufacturier à M... et à C..., me prie d'appeler votre attention particulière sur deux articles ci-joints, qui parlent de l'ordre observé dans les établissements, et sur sa proposition d'aliéner au profit du gouvernement, et en recevant du 3 p. 100 en payement, ces deux intéressantes entreprises de C... et de M. L'expérimentation qui pourrait être ainsi dirigée par votre pensée supérieure donnerait des résultats pratiques d'une haute importance, et la France n'aurait qu'à gagner à ces travaux modèles, qui ouvriraient une nouvelle et plus sûre voie à l'organisation du travail.

Salut et fraternité

AUG. PORTALIS.

Paris, la 22 mars 1848.

[3] Voyez le Moniteur du 5 mars 1848.

[4] Séance du 13 septembre 1848.

[5] Voyez dans le n° 2 de l'Appendice, une lettre de moi à M. C...

[6] Westminster and Foreign Quarterly Review, April 1848.

[7] Histoire du Gouvernement provisoire, par M. Elias Regnault, p, 127.