LES PHÉNICIENS ET l'ODYSSÉE

LIVRE QUATRIÈME. — LES NAVIGATIONS PHÉNICIENNES.

CHAPITRE PREMIER. — L'ÎLE SYRIA.

 

 

Poèmes odysséens et navigations phéniciennes semblent unis par des liens étroits. La topologie et la toponymie de l'Odysseia ou de la Télémakheia mènent à l'hypothèse qu'une thalassocratie phénicienne a précédé les marines homériques. Les noms de lieux, les sites et les légendes de la Grèce primitive nous conduisent à la même hypothèse. Pour expliquer la tradition de Pylos et de Mégare, comme pour expliquer la légende de Kirkè et de Kalypso, il faut qu'avant l'époque odysséenne les marines de Tyr ou de Sidon aient fréquenté, dans le golfe Saronique, l'Île de la Paix, Salamis, le Mouillage de la Halte, Minoa, la Ville de la Caverne, Karia Mégara, les Sources de l'Amitié, de la Dispute et de Melkart, Ino-Mélikertou, Alopè, Sithnides ; il faut que les Phéniciens aient remonté le Fleuve des Bœufs, Alpheios, et la Rivière de la Purification, Néda, débarqué sur les sables de la Haute-Ville, Samos, et achalandé les bazars d'Aliphéra et de Phigalie. Et de même il faut qu'à l'extrémité du monde, ils aient connu le Pilier du Ciel, Atlas, et la Cachette, Kalypso, sa fille.

Il y a vingt ou trente ans, avant le déchaînement de l'histoire archéologique, ces conséquences eussent été acceptées sans peine : elles sont conformes à ce que nous enseignent Hérodote, Thucydide et Strabon. Mais aujourd'hui la mode est aux historiens d'une autre sorte. Aux auteurs les plus critiques, aux textes les plus formels de l'antiquité, on préfère le témoignage et les documents douteux de l'archéologie, et, l'archéologie n'ayant pas encore fourni ou reconnu les traces de l'occupation phénicienne en Grèce, ou nie résolument cette occupation :

Thucydide et Hérodote, dit M. J. Beloch, ne méritent aucune créance en ce qui concerne les origines de la civilisation grecque. L'influence primordiale et décisive qu'ils attribuent au commerce phénicien n'a jamais existé. La fréquentation de l'Archipel primitif par les Phéniciens est une légende : on en chercherait vainement une preuve palpable et authentique. M. J. Beloch a résumé cette opinion dans les premiers chapitres de son Histoire grecque. Il l'a imposée à une grande partie du public par la légitime popularité de cette histoire. Mais il l'a défendue plus vivement encore dans un article du Rheinisches Museum : Die Phœniker am Aegaeischen Meer[1]. Hérodote, dit-il, se trompe, au début de ses Histoires, quand il recule jusqu'aux siècles lointains de la légende argienne la description d'un marché phénicien sur les plages de l'Argolide. La présence des Phéniciens dans l'Égée primitive ne nous est prouvée par rien, ni par les poèmes homériques, ni par l'histoire du commerce, ni même par celle de l'alphabet, pas davantage par l'archéologie, la toponymie, la linguistique ou la philologie. Nous n'avons à retenir ici que la première de ces assertions. Pour la contrôler. prenons les passages des poèmes homériques où apparait le nom des Phéniciens. Si l'on dresse le tableau de ces passages, on a :

Sidoniens Ζ 290 ; Ψ 743 ; δ 84, 618 ; ο 118.

Phéniciens Ψ 744 ; ν 272 ; ξ 288 ; ο 415, 417, 419, 475.

Sidon et Sidonie Ζ 291 ; ν 285 ; ο 425.

Phénicie δ 83 ; ξ 281.

au total dix-sept citations, dont quatre dans l'Iliade et treize dans l'Odyssée. En réalité, ces dix-sept citations se réduisent à deux passages de l'Iliade et à quatre passages de l'Odyssée. Les voici :

— Au chant VI de l'Iliade (v. 290-292), Hécube descend vers la chambre où, dans les aromates, sont conservés les péplums brodés, œuvres de femmes sidoniennes qu'Alexandros lui-même, le héros divin, avait ramenées de Sidonie à travers la vaste mer.

— Au chant XXIII de l'Iliade (v. 740-745), lors des funérailles de Patrocle, Achille, comme prix de la course, offre un cratère d'argent bien travaillé, contenant six mesures et dépassant tout en beauté, puisque c'étaient d'habiles Sidoniens qui l'avaient soigneusement façonné ; des hommes phéniciens l'avaient apporté sur la mer nébuleuse ; ils l'avaient exposé dans les ports, puis donné en cadeau au roi Thoas.

Voilà pour l'Iliade.

— Au chant IV de l'Odyssée (v. 83-84, v. 618). Ménélas parle de ses voyages à Chypre, en Phénicie, chez les Égyptiens, les Éthiopiens, les Sidoniens et les Érembes, et il donne à Télémaque un cratère travaillé, tout d'argent fondu, aux lèvres cloisonnées d'or : ce cratère lui vient du roi des Sidoniens, Phaidimos, son hôte.

— Au chant XIII de l'Odyssée (v. 272-285), Ulysse invente le mensonge d'une navigation, qu'il aurait faite en compagnie des Phéniciens illustres. De Crète, ils devaient le passer à Pylos ou en Élide ; mais la tempête les jeta sur la côte d'Ithaque où ils le débarquèrent ; puis ils retournèrent vers leur Sidonie aux belles maisons.

— Au chant XIV de l'Odyssée (v. 288-310), Ulysse invente une autre histoire de naufrage en compagnie des mêmes Phéniciens. D'Égypte, ils l'avaient emmené chez eux, puis le ramenaient à travers la mer de Crète ; mais Zeus leur envoya une terrible tempête qui les jeta à la côte des Thesprotes.

— Enfin, au chant XV de l'Odyssée (v. 405 et suiv.), Eumée raconte son enfance dans l'île Syria, son éducation par une nurse phénicienne et son enlèvement par des Phéniciens, qui ont séduit sa bonne et sont venus le vendre à la côte d'Ithaque. Ce dernier passage est de beaucoup le plus long, le plus circonstancié et, je crois, le plus important. Tous les autres d'ailleurs s'y rattachent facilement. Nous le prendrons pour centre de notre étude. Les philologues ont cru y remarquer un certain air de modernité. Kirchhoff le rapporterait volontiers au travail de recension et de réfection du ville ou même du vue siècle. Kirchhoff ne donne aucun bon argument à l'appui de cette opinion. Je crois qu'à l'étude ce passage nous apparaîtra, ou du moins les faits qu'il relate nous apparaîtront comme exactement contemporains de la civilisation, de la vie sociale, des habitudes nautiques et commerciales, bref de toutes les mœurs décrites pal' les chants de l'Ulysséide proprement dite. Mais il faut étudier ce passage à la façon des Plus Homériques, vers par vers, mot par mot.

 

Eumée commence son histoire :

Tu connais probablement une île nommée Syria, située au delà et au-dessus d'Ortygie, du côté où tourne le soleil. Elle n'est pas très peuplée, mais c'est une bonne île : des bœufs, des moutons, beaucoup de vin, beaucoup de grains.

Dans cette de Syria, les Anciens reconnaissaient l'une des Cyclades, Syros. l'île actuelle de Syra ; Ortygie, l'Île aux Cailles, était alors un autre nom de Délos ou de Rhèneia. Telle est du moins l'opinion de Strabon et des scholiastes[2], et c'est aussi l'opinion de la plupart des critiques contemporains[3]. Quelques-uns pourtant des uns et des autres ont pensé à l'Ortygie sicilienne, à la petite île côtière qui contenait la fontaine d'Aréthuse et qui, en bas de la ville haute de Syracuse, formait le quartier de l'Île, Nasos[4]. Mais cette opinion semble peu défendable. L'Odyssée, en effet, nous parle de deux Îles voisines, l'une Syrie, l'autre Ortygie. Sur la côte sicilienne, nous ne trouvons qu'une seule île, qui s'appelle indifféremment Nasos ou Ortygie. C'est vainement que l'on a voulu découvrir une différence entre ces deux vocables. et distinguer d'une part le quartier d'Ortygie et d'autre part le quartier de Nasos : ce dernier porterait aussi le nom de Syrie. Cette hypothèse, qu'aucun texte ne légitime, est contradictoire aux textes les plus formels[5]. Ouvrons une carte de la mer Égée : les positions respectives de Syra et de Délos conviennent exactement à la description homérique. Ces deux îles se trouvent par la même latitude (environ 37° 25') : mais l'une, Syra, est par 22° 33' de longitude Est ; l'autre, Délos, est par 22°57'. Quant à la différence entre les deux noms Syrie et Syros, Συρίη et Σύρος. Eustathe l'expliquait déjà en rappelant que telle autre île, voisine de Chios, s'appelle, suivant les auteurs, Psyria ou Psyros, Ψυρία ou Ψύρος : les modernes en ont fait Psyra ou Psara, comme de Syros ils ont fait Syra[6]. Au reste Korinthos et Korinthie, Κόρινθος et Κορινθία, Naxos et Naxie, Νάξος et Ναξία, Rhodos et Rhodie, 'Ρόδος et 'Ροδία, et, dans Homère, Sidon et Sidonie, Σίδων et Σιδονίη, nous montrent assez comment l'onomastique grecque forme d'un nom de pays, Naxos, Νάξος, un nom de ville, Naxie, Ναξία, ou, inversement d'un nom de ville, Korinthe, Κόρινθος, un nom de pays, Korinthie, Κορινθία, ou Sidon, Sidonie : Syrie est le nom du pays ou de l'île, νήσος Συρία, dont Syros est la ville.

Pourtant, l'attribution d'Ortygie à la Sicile pourrait se défendre par une interprétation particulière des mots du côté où tourne le soleil. Cette expression ne semble pas claire à certains commentateurs. Les Anciens en avaient imaginé déjà plusieurs explications. Pour les uns, l'endroit où tourne le soleil désignait la direction Est-Ouest que le soleil prend chaque jour dans son tour quotidien. D'autres savaient qu'à Délos, sur la pente du Cynthe, une caverne était consacrée au Soleil : cette caverne, disaient-ils, avait été jadis une sorte de cadran solaire naturel, sur les parois duquel tournaient l'ombre et la lumière de l'astre[7]. Parmi les modernes[8], quelques-uns ont pensé à la marche annuelle du soleil vers le Nord et à son retour vers le Sud : le poète aurait voulu dire qu'Ortygia était sous le tropique. Fausse pour l'Ortygie de l'Archipel, cette position ne le serait pas beaucoup moins, un peu moins cependant, pour l'Ortygie sicilienne : la Sicile est encore à quelque quinze cents kilomètres du tropique : l'écart est un peu grand. L'explication la plus vraisemblable et la plus généralement adoptée est celle que donnaient déjà les commentateurs de l'antiquité. La situation vers les tournants du soleil, πρός τροπάς ήλίου dit Eustathe, signifie πρός τά δυτικά μέρη, vers le couchant. Dans l'Iliade et l'Odyssée, comme dans les cosmographies levantines, le soleil s'élève de terre, pénètre et monte dans le ciel, atteint le plafond de fer, sur lequel il marche ou navigue, et retourne du ciel vers la terre, pour se coucher dans l'Océan[9]. C'est ce mouvement de retour que désigne le tournant du soleil : les mots, on le voit, sont les mêmes de part et d'autre. Le contexte, d'ailleurs, est en faveur de cette interprétation. Syros, dit le poète, est au delà d'Ortygie. Cet ionien parle en habitant de l'Asie Mineure. Il emploie les termes des navigateurs ses compatriotes, qui, dans leurs traversées vers la Grèce. rencontrent d'abord Ortygie, puis, au delà, vers l'Ouest, Syros : Nous n'oubliâmes pas avant notre départ de Syra, dit Tournefort, d'y faire des observations de géographie : la grande Délos est entre l'Est et le Sud-Est : c'est l'exacte traduction de Όρτυγίας καθύπερθεν, όθι τροπαί ήελίοιο, qui nous est ainsi donnée par le voyageur français[10]. Syra est au delà de Délos pour les marins ioniens, de même que l'Eubée est, pour eux, la dernière, la plus lointaine des îles, au dire de ceux qui l'ont vue[11].

Une autre explication, cependant. se présentera dans la suite de notre étude ; je crois celle-ci plus vraisemblable.

Mais cette île Syria, disent certains, n'a jamais existé. W. Helbig lui-même, malgré sa connaissance du réalisme homérique, la croit quelque peu mythique[12]. Le mot a fait fortune. Les archéologues parlent couramment de l'île mythique de Syros[13]. Il m'est difficile de suivre Helbig en ceci. Une longue et minutieuse étude de la géographie odysséenne nous a montré déjà et par la suite nous montrera mieux encore que cette géographie contient en somme fort peu de légendes. Ses descriptions correspondent toujours à quelque tangible réalité. Si donc la description de Syria semble, à première lecture, mythique, il faut prendre garde. En discutant tous les mots du texte. le fond de réalité ne tarde pas à reparaître. Il suffit de reprendre le récit d'Eumée :

v. 405-411. Elle n'est pas très peuplée, mais c'est une bonne île : des bœufs, des moutons, beaucoup de vin et beaucoup de froment. Jamais la disette ne s'y fait sentir au peuple ; aucune autre maladie n'y accable les pauvres mortels ; mais quand, à l'intérieur de la ville, les tribus des hommes ont atteint la vieillesse, Apollon à l'arc d'argent vient avec Artémis les frapper de ses traits sans violence.

 

Eustathe rapprochait déjà ces vers homériques des vers où le poète des Œuvres et des Jours dépeint l'âge d'or[14]. Il concluait à une légende de part et d'autre. Le rapprochement peut frapper un littérateur. Mais il n'est que superficiellement juste. De tout temps, en effet, les navigateurs ont fait deux parts des îles de l'Archipel : ils ont toujours distingué entre les îles du Sud et les îles du Nord. Les îles volcaniques du Sud, Milo, Santorin, etc., avec leurs émanations sulfureuses, leurs sources chaudes qui s'épandent en marais et leur manque d'eau potable, sont fiévreuses, malsaines, d'un séjour intenable : L'air de Milo, dit Tournefort[15], est malsain ; la ville est d'une saleté insupportable ; les ordures, jointes aux vapeurs des marais salants qui sont sur le bord de la mer, aux exhalaisons des minéraux dont l'île est infectée, à la disette des bonnes eaux, empoisonnent l'air de Milo et y causent des maladies dangereuses.... Et Choiseul-Gouffier ajoute : « Des cinq mille habitants que Tournefort a trouvés dans la seule ville de Milo, à peine en reste-t-il aujourd'hui deux cents, menacés d'être bientôt victimes de l'insalubrité du climat. Ces malheureux sont jaunes et bouffis ; leur ventre énorme et leurs jambes horriblement enflées leur permettent à peine de se traîner dans les décombres de leur ville.... L'origine de cette influence. pestilentielle me parait remonter précisément à l'époque du nouveau volcan, qui s'ouvrit en face de Santorin[16]....

Les îles granitiques ou calcaires du Nord sont, au contraire, éventées par le mistral et rafraîchies par le courant des Dardanelles : elles sont renommées pour leur salubrité. Entre ces deux groupes d'îles, comme la traversée est de quelques heures à peine, le contraste n'en est que plus frappant. Aussi fut-il soigneusement noté par tous les voyageurs : L'île de Siphanto, — l'ancienne Siphnos où l'on arrive en quittant Milo, — continue Tournefort[17], est sous un beau ciel ; on le trouve encore plus charmant quand on arrive de Milo où l'air est infecté de vapeurs sulfureuses. On voit à Siphanto des vieillards de cent vingt ans ; l'air, les eaux, les fruits, le gibier, la volaille, tout y est excellent ; les raisins y sont merveilleux. Quoique l'île soit couverte de marbre et de granit, elle est pourtant des plus fertiles et des mieux cultivées de l'Archipel ; elle fournit assez de grains pour les habitants du pays, qui sont aujourd'hui de très bonnes gens. Il est bien évident que Tournefort n'avait, ni sous les veux, ni dans la mémoire, notre passage de l'Odyssée : il rapporte simplement ce qu'il a vu. A la similitude des termes et des détails, cependant, on pourrait croire qu'il n'a fait que paraphraser la description homérique. Les autres voyageurs parlent comme lui : Le climat de Siphanto, dit Choiseul-Gouffier, inspire le regret d'en sortir : le ciel y est toujours pur et serein, et l'heureuse fécondité de la terre permettrait aux habitants de se passer des îles voisines, si le désir de quelques superfluités ne les engageait à y avoir recours[18]. — Nous allons trouver ces mêmes superfluités dans le texte homérique. C'est pour des superfluités, colliers d'ambre, broderies, bijoux, bibelots, ustensiles de cuivre et d'argent, que les cultivateurs de Sylla trafiquent avec l'étranger.

Depuis le XVIIIe siècle jusqu'à nos jours, les navigateurs se sont transmis les renseignements de Tournefort et de Choiseul-Gouffier. Nos Instructions nautiques signalent encore aujourd'hui que Siphnos est renommée pour sa salubrité et la fertilité de son sol... ; le pays est bien cultivé, extrêmement fertile et abonde en sources d'excellente eau[19]. Syra mérite les mêmes louanges : Elle est aussi, dit Tournefort[20], des mieux cultivées et produit d'excellent froment, quoique en petite quantité, beaucoup d'orge, beaucoup de vin et de figues, assez de coton et des olives.... Elle est plus fraiche que la plupart des îles de l'archipel. Tournefort a visité Syra ; il en parle en témoin oculaire. Avant lui, Thévenot, qui n'était pas venu dans l'île, en avait emprunté une description à un mémoire de navigateurs, nous dit-il : L'île de Syra, qui en grec vulgaire veut dire signora ou maîtresse, est ainsi appelée parce qu'elle commande par sa hauteur toutes les autres îles. Son terroir a peu d'arbres et est sec. Toutefois il abonde en toutes choses, y ayant de quoy vivre, — c'est le βίοτος homérique, — tant en viande de venaison qu'en poisson. L'eau se prend à une source un peu escartée de la ville : mais aussi elle est très bonne. Ils n'ont point de villages dans la campagne par ci par là. Ils sont presque tous Latins et il y a plusieurs églises dont la cathédrale est au sommet de la ville, dédiée à saint Georges et desservie par plusieurs prêtres qui ont pour supérieur un évesque latin[21]. Nos Instructions nautiques semblent recopier le mémoire de Thévenot : L'île est bien cultivée et produit de l'orge, des figues, des olives. du blé, du vin, etc. On expédie à Athènes et à Constantinople une grande quantité de légumes. La population est de 34.000 habitants.... Sa position centrale en fait le marché de l'Archipel et son port est un port de chargement pour les bâtiments, surtout pour les vapeurs de presque toutes les nations. Le climat est remarquablement sain ; les froids extrêmes et la gelée y sont inconnus ; en été on ressent quelquefois une chaleur étouffante ; cependant les vents prédominants soufflent du Nord et maintiennent la température fraiche[22].

Syra est aujourd'hui la capitale de l'Archipel grec. Centre de ravitaillement. de chargement et de déchargement pour toutes les marines étrangères. c'est comme le ponton où les indigènes des îles et des terres voisines viennent trafiquer avec les matelots du dehors, russes, égyptiens, français, italiens, allemands et anglais. C'est ce commerce étranger, ce commerce de transit, qui fait la prospérité de Syra[23]. Cette prospérité est d'ailleurs toute récente et déjà elle est en train de disparaître. Il y a deux siècles, au temps de Tournefort, Syra n'avait aucun rôle. Elle resta sans grande importance jusqu'à la Révolution grecque. Mais alors elle devint une sorte de port neutre, grâce à la religion de ses habitants : C'est, disait Tournefort, l'île la plus catholique de tout l'Archipel ; pour sept ou huit familles du rite grec, on y compte plus de six mille âmes du rite latin. Ces Latins descendaient des conquérants génois ou vénitiens, ou c'étaient des métis de corsaires francs et de femmes indigènes : les Provençaux avaient fréquemment alors un ménage dans l'Archipel, sans compter leurs liaisons passagères avec les esclaves enlevées aux Turcs, les chrétiennes délivrées des harems. etc. Les corsaires chrétiens, qui venaient autrefois infester l'Archipel, passaient leurs quartiers d'hiver à l'Argentière. Ils y mangeaient l'argent de leurs prises et y laissaient des richesses qu'ils faisaient à la vérité payer bien cher aux habitants par toutes leurs vexations. Ils y avaient établi un usage, dont profitent encore nos navigateurs à Madagascar, celui de se marier solennellement pour le temps de leur relâche, en sorte qu'on attendait avec impatience le départ d'un capitaine pour épouser sa femme aussitôt qu'il aurait mis à la voile[24].... Les Latins de Syra s'étaient groupés autour de l'église des Capucins, sous la croix catholique et sous la protection française. lis ne prirent aucune part à l'insurrection grecque. Leur port fut, de 1820 à 1850. le seul endroit où étrangers et belligérants pouvaient faire relâche et trafiquer en toute sécurité. Les guerres finies, l'habitude était prise : Syra, au cours de ce siècle, demeura ce que sa voisine Mykonos avait été aux siècles précédents. ce que son autre voisine Délos fut au temps de Rome et de l'Ionie, la grande escale et le grand entrepôt des étrangers dans l'Archipel.

Le trafic de la mer Égée semble à travers les siècles régi par une loi constante. Toutes les fois qu'un commerce étranger est maitre de l'Archipel, c'est au centre de la mer, dans l'une des trois îles, Syra, Délos ou Mykonos, qu'il lui faut un reposoir, comme disent les marins du XVIIe siècle, un ponton et des docks, diraient les marins d'aujourd'hui. Quand au contraire ce sont les indigènes du continent, sur les côtes européennes ou asiatiques, qui détiennent le trafic. le rôle de ces lies centrales disparait. Elles en cèdent les bénéfices à des ports de la périphérie continentale, Corinthe, Athènes, Salonique. Smyrne, Éphèse ou Milet. Avec la renaissance du commerce grec et levantin, nous assistons aujourd'hui à la décadence de Syra et au réveil du Pirée et de Smyrne[25].... Un coup d'œil sur une carte de l'Archipel et la lecture des Instructions nautiques nous expliqueront facilement cette loi.

Il faut nous représenter l'Archipel comme un champ clos. Quatre parois le ferment, la Grèce à l'Ouest, la Thrace au Nord, l'Anatolie à l'Est, la Crète et les lies voisines au Sud. Ces parois continentales ou insulaires sont presque ininterrompues. Elles ne laissent à leurs angles que trois entrées ou sorties. A l'angle Nord-Est, une bouche conduit aux Dardanelles et vers la Marmara. A l'angle Sud-Est, une grande porte entre Rhodes et la Crète s'ouvre vers l'Extrême-Levant ; tuais cette porte sert beaucoup moins aux navigateurs que l'étroit défilé entre Rhodes et le continent asiatique. De même, à l'angle Sud-Ouest, au pied (lu continent européen, c'est le canal de Kythère, autant et plus que la grande porte entre Kythère et la Crète, qu'ont toujours fréquenté les bateaux venus de l'Occident.... A l'intérieur, le champ rectangulaire est divisé comme en deux chambres par la cloison presque continue que forme le chapelet des îles : l'Eubée, Andros, Tinos, Mykonos, Icaria et Samos se succèdent presque sans interruption de l'Ouest à l'Est ; quelques détroits resserrés ne laissent entre ces îles que des poternes de communication. Pour les marines à voile, cette cloison des îles eut de tout temps une grande importance, à cause du régime des vents : Les vents prédominants dans l'Archipel, disent les Instructions nautiques[26], sont les vents du Nord. De la fin de septembre à la fin de mai, ces vents du Nord alternent avec ceux de la partie Sud-Ouest, qui sont plus fréquents lorsque l'hiver est doux. Nous pouvons, dans nos études de géographie ancienne, ne pas tenir grand compte des vents du Sud-Ouest : ils soufflent pendant l'hivernage, à l'époque où toute navigation antique était presque interrompue. En réalité, les vents du Nord sont les vrais maîtres de notre champ clos.

Les vents étésiens, poursuivent les Instructions, qui sont appelés meltenus par les Turcs, sont les plus fréquents pendant la belle saison ; ils commencent presque invariablement vers la fin de mars et durent jusqu'il la fin d'août : ils soufflent du Nord au N.-E.... La navigation de l'Archipel, bien que facile, réclame une constante attention, et l'on doit toujours garder en vue un port d'abri, que l'on puisse, dans le cas d'un coup de vent menaçant, atteindre axant l'obscurité, car le temps peut devenir assez obscur, — ήεροειδής πόντος, la mer nébuleuse, dit l'Odyssée, — au milieu du labyrinthe des îles, pour qu'on ne puisse pas voir la terre assez tôt pour l'éviter.... Avec les vents de Nord, un navire doit toujours mouiller sous le vent d'une île, car bien que ces vents soufflent quelquefois avec une extrême violence, ils ne sautent jamais au Sud brusquement et l'on a toujours le temps de quitter le mouillage. Au contraire, avec les vents de Sud, un voilier ne devra jamais mouiller sur le côté Nord d'une île, car ces vents sautent brusquement, dans un grain, au Nord et au Nord-Est et ils soufflent avec une telle violence qu'un navire ne peut appareiller.

Ces considérations nous expliquent le premier rôle que joue pour les navigateurs la cloison des îles entre Samos et l'Eubée. Dans leurs traversées de l'Est à l'Ouest ou inversement. les voiliers de l'Archipel se tiendront toujours sous le vent des îles, c'est-à-dire au Sud : les îles leur serviront d'écrans contre la violence des vents du Nord. La flotte perse de Datis, qui vient attaquer la Grèce, ne fait pas le périple des côtes d'Asie et d'Europe, à cause de la terreur que ses marins avaient de l'Athos. Elle traverse l'Archipel à la hauteur de Samos, en longeant Ikaria, puis les îles[27]. De même, après la bataille de Salamine, quand les députés ioniens viennent demander le secours de la Grèce unie, les Grecs, mouillés à Égine, sont effrayés de cette entreprise lointaine ; ils ont encore si peu l'habitude de la mer, qu'ils se figurent Samos aussi éloignée d'eux que les Colonnes d'Hercule. Ils se décident pourtant à venir jusqu'à Délos[28].... Sur la grand'route maritime, entre les côtes asiatiques et les côtes européennes, nos trois îles de Mykonos, Délos et Syra se présentent tout juste à mi-chemin de la traversée et comme au milieu du pont insulaire : ce sont les gites d'étape presque forcés. Aussi, quand les Ioniens, maitres des deux côtes, voudront un lieu de foire, de réunion et de culte commun, c'est Délos qui verra les grandes panégyries de l'hymne homérique et les premières assemblées de l'empire athénien.

Second rôle. Cette cloison insulaire a un certain nombre de poternes, que doivent forcément emprunter les voiliers pour passer de l'une des chambres dans l'autre, de l'Archipel Nord dans l'Archipel Sud ou inversement. Ces poternes sont au nombre de six : entre l'Eubée et Andros, s'ouvre le canal Doro ; entre Andros et Tinos, la passe Steno ; puis les trois chenaux entre Tinos et Mykonos, entre Mykonos et Icaria, entre Icaria et Samos ; et enfin le détroit de Samos. Toutes ces poternes peuvent servir au passage ; mais elles sont plus ou moins commodes. Venus du canal de Rhodes et montant aux Dardanelles, les voiliers orientaux qui veulent gagner la Marmara emprunteront tout naturellement le détroit de Samos : grâce au jalonnement des Sporades. ce détroit est pour eux la continuation du canal de Rhodes. Mais, venus du canal de Kythère, les navigateurs occidentaux pourront hésiter. Au temps de Tournefort, la route ordinaire des Hollandais et des Anglais est entre Négrepont et Macronisi[29], c'est-à-dire entre l'Eubée et Andros, par le canal Doro ; les Français, au contraire, destinés pour Smyrne et pour Constantinople passent dans le canal de Tine à Mycone. Cette habitude des Anglais et des Hollandais peut sembler étrange ; la route des Français est beaucoup plus commode, à cause des courants de l'Archipel : Lorsque les vents sont d'entre Nord-Est et Est, disent les Instructions nautiques, le rapide courant du Bosphore sort des Dardanelles, passe aux deux extrémités de Pile de Lemnos et s'avance vers la partie Ouest de l'Archipel, en prenant une vitesse considérable dans le canal de Doro. Il court aussi avec une grande force dans la passe de Steno, ainsi que dans le large canal qui sépare Icaria de Mycono ; mais il est moins rapide dans le canal entre Mycono et Tinos.

Pour leurs navigations du Nord au Sud, d'Asie en Europe, de Troie en Grèce ou de Byzance à Corinthe, les Anciens utilisent ce courant et, sortis avec lui des Dardanelles, ils viennent emprunter avec lui le canal Doro. Ils usent ainsi de la passe entre l'Eubée et Andros ; le promontoire Geraistos, au Sud de l'Eubée, est une de leurs étapes ; le Sounion au Sud de l'Attique en est une autre. C'est la route que suit le commerce gréco-romain au temps de Strabon. Aussi le Geraistos a pour les marins un grand sanctuaire de Poséidon[30]. Dès les temps homériques, cette même route est déjà suivie : Nestor, au retour de Troie, longe la côte asiatique jusqu'à Lesbos. puis coupe à travers la haute mer vers l'Eubée. Grâce au vent arrière, il arrive de nuit à Geraistos ; il y fait un grand sacrifice et remercie Poséidon d'une si longue traversée[31], puis il salue au passage le Sounion et son temple et il rentre chez lui au long des côtes péloponnésiennes.

Mais quand inversement on va du Sud au Nord, d'Europe en Asie, le canal Doro avec le courant contraire n'est plus aussi praticable. Il peut même devenir dangereux avec les coups de vent du Nord.

La navigation dans le canal Doro, disent les Instructions nautiques. est une des plus difficiles du Levant pour les voiliers, il cause des forts vents du Nord qui dominent tellement pendant les mois d'été qu'on peut dire qu'ils soufflent presque sans interruption. Ce régime de vents dure de mai à fin août ou milieu de septembre, et, quand il cesse après l'équinoxe d'automne, les coups de vent de cette direction sont aussi fréquents que ceux d'un autre rumb. Il est impossible a un voilier de remonter le canal Doro lorsque le vent souffle frais du Nord et qu'il règne un violent courant. Sud ; il sera préférable dans ce cas d'employer le canal de Mycono où ce courant est moins fort[32].

Pour les petits voiliers, la passe de Mykonos, sans courant violent, est donc la route la plus sûre et la plus rapide : c'est la route des Français au temps de Tournefort. Sur cette route très fréquentée, avant de quitter l'Archipel du Sud et ses nombreux points de relâche, pour entrer clans le désert presque sans îles de l'Archipel du Nord, nos trois îles de Syra, de Délos et de Mykonos fourniront encore le gîte d'étape, le reposoir du milieu, juste à mi-chemin entre Kythère et les Dardanelles. — Et c'est encore ici que passent les routes traversières qui mènent du Sud-Est au Nord-Ouest, du canal de Rhodes au canal de l'Eubée ou aux ports de Thessalie et de Macédoine (Délos fut l'une des grandes escales du commerce alexandrin), et les routes directes qui vont du Sud au Nord, des ports de Crête aux ports de Thrace : bref, toutes les diagonales de l'Archipel se croisent en cet endroit.

Aussi, pendant la saison des vents du Nord, c'est-à-dire pendant la saison navigante, l'une ou l'autre de ces trois fies devient forcément le rendez-vous des bateaux étrangers. Aujourd'hui encore nos Instructions nautiques recommandent, s'il y a la moindre apparence d'un coup de vent du Nord, de ne pas hésiter un instant à chercher un abri temporaire dans le plus voisin mouillage, car il n'y a rien à gagner à tenir la mer[33]. Les Grecs ont toujours suivi cette prudente habitude. Aujourd'hui, comme au temps de Tournefort, il leur faut de courtes navigations et de fréquents reposoirs[34]. Les marins de l'Égée primitive sur leurs barques mal pontées ne devaient pas être plus audacieux : quelqu'une des trois îles Syra, Délos ou Mykonos fut certainement un de leurs reposoirs habituels[35]. Mais entre Syra, Délos et Mykonos, leur choix a pu, semble-t-il, hésiter. En fait, nous voyons à travers les siècles le trafic se déplacer de l'une à l'autre de ces trois îles, sans autre motif apparent que le caprice des navigateurs : Délos est préférée par les Ioniens et les Romains, Mykonos par les Francs du XVIIIe siècle et Syra par nos marines contemporaines. Si l'on regarde les choses de plus près, cependant, on s'aperçoit bientôt qu'en ces matières la part du hasard et du caprice humain est minime. Des nécessités naturelles, à travers les siècles et les humanités changeantes, ont étroitement déterminé le choix des marins.

De nos trois îles, Délos est la plus centrale : elle mène, disaient les Anciens, le chœur des Cyclades. Sur la route entre l'Est et l'Ouest, elle est juste à égale distance de Corinthe et de Milet. Sur la route entre le Sud et le Nord, elle est directement en face du chenal de Mykonos. Elle possède en outre une bonne aiguade, «une des plus belles sources de tout l'Archipel[36] : c'est une espèce de puits ; il y avait en octobre 24 pieds d'eau et plus de 30 en janvier et février.... Les armées turques et vénitiennes y viennent faire aiguade. Nous avons étudié déjà l'importance de cette aiguade insulaire. Voilà de bonnes raisons pour que les voiliers relâchent en ce port. Mais Délos est toute petite, sans cultures possibles, sans ressources. Situé sur le détroit qui la sépare de Rhèneia, son port est battu par les vents et les courants du Nord : il faudra le travail de l'homme aux temps hellénistiques et romains pour en faire un abri presque sûr, et, sitôt négligé, cet abri se comblera, deviendra intenable[37]. Délos ne pouvait donc pas servir à tous les navigateurs. Les vaisseaux venus de loin n'y trouvent ni bois pour leurs avaries, ni provisions pour leurs équipages, ni complète sécurité de mouillage pour une longue relâche. Délos ne put être d'abord qu'une aiguade semblable aux îles Strophades ou à l'îlot de Lampadouze. Les peuples de la mer y venaient remplir leurs outres, invoquer la divinité et interroger l'oracle de la source. Ils y laissaient leurs pieuses offrandes. Mais ils n'y séjournaient que quelques heures.

Les Ioniens, qui succédèrent aux étrangers, venaient de l'Archipel même : ils apportaient avec eux leurs provisions de bouche ; ils n'avaient besoin, eux encore, que d'eau potable ; ils ne restaient là d'ailleurs que quelques jours et retournaient ensuite à leur port d'attache. La Délos ionienne ne fut, elle aussi, qu'un port intermittent, un champ de foires annuelles. Rendez-vous à certains jours d'une foule nombreuse, File était déserte le restant de l'année. Aux temps hellénistiques et romains, si Délos devint un grand établissement et un entrepôt permanent des marines étrangères, ce fut à son temple et à ses privilèges religieux[38] qu'elle dut ce renouveau de prospérité, comme la moderne Syra aux temps de l'Indépendance dut sa sécurité et sa fortune à son église des Capucins. Et il fallut à Délos l'énorme travail des ingénieurs pour l'adapter à ce rôle auquel la nature ne l'avait pas préparée. Encore n'était-elle vraiment un grand marché qu'à certains jours. Les arrivages jetaient sur ses quais des dizaines de milliers d'esclaves, vendus en quelques heures : Débarque, négociant, expose ta marchandise, tout est vendu ! disait le proverbe rapporté par Strabon[39]. On y venait. On n'y séjournait pas. La ruine du temple fut aussi la ruine du commerce. Le paganisme tombé, Délos redevint aussitôt le désert que nous connaissons aujourd'hui.

Passons à Mykonos. Presque aussi centrale que Délos, Mykonos est placée. comme Délos, à l'entrée de la passe commode. Elle a sur Délos l'avantage de la grandeur, de quelques champs de blé, de quelques pâturages pour les moutons et d'une vaste rade bien abritée ; mais elle manque de sources : L'île de Mycono est fort aride... ; on y recueille assez d'orge pour les habitants, beaucoup de figues ; les eaux y sont assez rares en été ; un grand puits en fournit à tout le bourg[40]. Enfin Syros, un peu moins centrale et plus éloignée de la passe, a tous les avantages de Mykonos et elle n'a aucun de ses inconvénients. Assez grande et assez fertile, elle a un bon port et une bonne aiguade. La principale fontaine de l'île coule tout au fond d'une vallée, assez près de la ville ; les gens du pays croient, je ne sais par quelle tradition, qu'on venait autrefois s'y purifier avant que d'aller à Délos[41]. Sa rade est plus sûre encore que celle de Mykonos. à laquelle elle est symétriquement opposée. Située sur la côte orientale de l'île, la rade de Syros s'ouvre vers l'Orient ; la rade de Mykonos, au contraire, située sur la côte occidentale de l'île, a son entrée vers le Couchant. Cette différence d'orientation a déterminé l'histoire des deux îles.

Car il n'est pas besoin d'un grand effort pour constater, comme nous l'avons déjà fait, que, suivant la direction des courants commerciaux, les points de relâche sur une côte ou dans une mer se déplacent et se remplacent. Les marins francs, venus de l'Ouest, allèrent tout droit à la rade de Mykonos. qui leur tendait ses deux promontoires. C'est là que, d'habitude, ils vinrent se ravitailler, se fournir de pilotes et hiverner durant la mauvaise saison : Dans les mauvais temps, ils relâchent ordinairement à Mycone et y viennent prendre langue pendant la guerre ; il y vient souvent des barques françaises charger des grains, de la soie, du coton et d'autres marchandises des lies voisines... ; le séjour de Mycone est assez agréable pour les étrangers ; on y fait bonne chère ; les perdrix y sont en abondance et à bon marché, de mède que les cailles, les bécasses, les tourterelles, etc. ; on y mange d'excellents raisins et de fort bonnes figues ; le fromage mou qu'on y prépare est délicieux[42]. Tournefort revient de Tinos à Mykonos pour passer les quatre mois d'hiver, de décembre 1700 à mars 1701.

Inversement, la rade de Syros, ouverte vers l'Orient, s'offre d'elle-même aux marines orientales. C'est un mouillage tout semblable aux vieux ports que nous avons étudiés dans les îles de Rhodes, Kos, Salamine, Théra, etc., un mouillage ouvert au Sud-Est, tendu, comme dit Strabon, vers la Syrie et vers l'Égypte et fermé aux arrivages de Grèce. Car Syros tourne le dos à l'Occident, à la Grèce. Ses côtes occidentales, en face des terres helléniques, n'ont pas un abri, pas un débarcadère : Le seul port de l'île, disent les Instructions nautiques, se trouve sur son côté Est[43]. Aussi, pendant toute l'histoire grecque, Syros n'a aucun rôle, et le compte serait tôt fait des textes grecs ou latins qui nous en parlent. Les géographes anciens ne font que la signaler, en ajoutant que l'île a une ville du même nom[44]. Un scholiaste nous en raconte la colonisation par les Ioniens, sous un certain Hippomédon[45]. Un autre scholiaste, copiant mal, sans doute, un passage de Théopompe, nous en raconte la conquête par les Samiens[46] : un certain Killikon aurait vendu sa patrie aux étrangers. Le fait d'une conquête samienne en lui-même n'est pas invraisemblable : le port de Syros pouvait être d'une grande utilité aux navigateurs samiens, venus de l'Est. Ce fait est néanmoins plus que douteux : Killikon, dont la trahison était devenue légendaire. avait vendu, suivant d'autres, Milet ou Priène et non Syros[47].... Bref, la seule illustration de Syros lui vint de son philosophe Phérécyde qui fut compté parmi les Sept sages. Phérécyde, maitre de Pythagore, n'avait pas eu de maitre. Il s'était, dit-on, formé tout seul en lisant les écrits mystérieux des Phéniciens[48]. C'est aux théogonies phéniciennes qu'il avait emprunté tel et tel de ses mythes[49]. Aussi le père de Pythagore, qui connaissait la Phénicie, n'hésita pas à lui confier son fils[50]. Phérécyde avait écrit une cosmogonie et l'on montrait de lui, à Syros même, un cadran solaire[51]. Faut-il rapprocher cet héliotrope des tropes du soleil homériques ? Dans la renommée publique, la Syros odysséenne était-elle File du Cadran ? Est-ce, au contraire, le texte homérique, mal interprété, qui a donné naissance et célébrité à cette histoire du cadran solaire[52] ?... Sauf ces maigres détails, les auteurs ne nous disent rien de Syros.

Les inscriptions ne nous apprennent pas grand'chose de plus[53] : elles sont toutes de l'époque romaine. Sous l'Empire, elles ne font mention que de festins publics et de réjouissances, où les citoyens riches convient leurs compatriotes et leurs amis des îles voisines[54] : c'est toujours la bonne île de l'Odyssée. Syros avait connu pourtant de tristes jours un peu avant l'établissement de l'Empire. Une inscription. que Bœckh attribue au temps de Pompée[55], raconte les tentatives des pirates, — Ciliciens, Kariens, navigateurs orientaux — qui veulent prendre la ville pour la rançonner et qui font des rafles d'esclaves dans les villas de la côte.... Par contre, la prospérité de Syros semble avoir grandi après l'établissement officiel du christianisme, c'est-à-dire à l'époque où les grands ports de l'Extrême-Levant et les villes asiatiques, de Constantinople à Alexandrie et d'Éphèse à Antioche, redeviennent le siège du commerce méditerranéen. Les rochers de sa rade sont couverts d'inscriptions chrétiennes[56] : Seigneur, aide le navire de Philalithios ! Christ, secours ton serviteur Eulimenios ! Les noms sont grecs, authentiquement grecs. Mais ces navigateurs sont venus de toutes les parties du monde hellénique. Les gens des Cyclades, Andriens, Pariens, Naxiens, Théréens, y coudoient des Éphésiens, des Milésiens, des Égyptiens de Péluse, des Lyciens de Pinara, — des Orientaux de tout le Levant.

Si jamais les Phéniciens ont exploité l'Archipel, Syros a donc pu, a dû être une de leurs relâches, je dirais même une de leurs principales relâches, tant le port de cette île parait conforme à tout ce que nous savons des établissements phéniciens. Nous connaissons leurs entrepôts, juchés sur un promontoire qui s'avance dans la mer, ou isolés dans une petite île qui fait face à la grande côte. Nous avons insisté sur ce rôle des îlots côtiers. La rade de Syros contient l'un de ces îlots, que les modernes appellent Gaidaro-Nisi, l'Île aux Ânes : Cette île a un demi-mille de longueur, un tiers de mille de largeur et environ 30 mètres de hauteur ; sa distance au rivage est d'environ un demi-mille ; l'espace intermédiaire offre un mouillage assez bon par des fonds de 22 à 23 mètres ; il est abrité des vents du Nord qui soufflent quelquefois avec violence... ; les navires, par coup de vent de Nord-Est, feront bien de mouiller sous le vent de Gaidaro[57]. Par ses dimensions, par son mouillage, par sa proximité de la grande île, cet flot semble aménagé tout spécialement pour devenir l'un de ces entrepôts, commodes à atteindre et commodes à quitter, faciles à surveiller et faciles à défendre contre les pirogues des indigènes. Nous arrivâmes, dit le Périple d'Hannon, dans une rade où nous découvrîmes une petite île de cinq stades de tour ; nous y établîmes un poste de colons et nous l'appelâmes Kerné[58]. A Syra, de même, nous raconte l'Odyssée, vinrent les hommes de Phénicie, habiles marins, mais filous[59], et ils y laissèrent, comme à Kerné, une trace de leur passage dans le nom qu'ils donnèrent à la grande île. Le nom de Syros ou Syra, qu'elle a conservé jusqu'à nos jours, me semble d'origine sémitique. Les Anciens avaient cherché pour ce nom de Σύρος une étymologie grecque et, quelques calembours aidant, à leur mode ordinaire, ils avaient trouvé une explication. Ils faisaient venir ce nom du verbe suro, tirer, arracher : Σύρος, Συρία, disent les lexicographes[60], parce qu'elle fut arrachée, sauvée du Déluge. Les modernes ont voulu remonter à une racine indo-germanique, suar ou sur, briller, être éclatant de blancheur : Syros serait l'île Blanche. Mais toutes les îles de l'Archipel, avec leurs calcaires dénudés, pourraient avoir ce nom[61]. Pape, dans son Dictionnaire des Noms propres, rapproche Syros d'appellations semblables, Hyria, Ύρία, ville de Béotie, d'Isaurie, d'Iapygie, etc. (le s initial étant tombé, comme il arrive fréquemment). Mais Bochart avait trouvé déjà une étymologie sémitique, en lisant le passage de l'Odyssée qu'il cite d'ailleurs : Syros est une île riche, heureuse, itaque per aphaeresim Phœnicibus familiarem, vel, שירה, sira, pro עשירה, asira, id est dives, vel שורה, sura, pro אשורה, asura, id est beata. C'est là certainement une des pires étymologies de Bochart, qui souvent en a de mauvaises[62]. Bochart avait raison pourtant de chercher une étymologie sémitique : Syros appartient à une classe de noms insulaires qui, fréquents dans l'Archipel, sont le plus souvent accompagnés de leurs doublets. L'Archipel en effet est peuplé de doublets gréco-sémitiques.

 

Les parages de Mégare nous ont rendu familiers ces doublets gréco-sémitiques. Les vocables de l'Archipel vont nous fournir une certitude plus grande encore. Car ils ne sont pas isolés ni cantonnés en un district, perdus au milieu des mers grecques. Nous pouvons être certains de leur provenance, parce que nous pouvons tracer la route qui les amena. D'île en île, de détroit en détroit, de cap en cap, nous remontons avec eux jusqu'à leurs lieux d'origine. Ils commencent aux côtes syriennes. Tout le long des côtes asiatiques, ils s'échelonnent vers les mers grecques, marquant les principales étapes du vieux commerce phénicien. Nous les prendrons à partir de Chypre. Nous laisserons de côté les rivages de Syrie, où pourtant ces doublets se retrouvent : le cap de la Face de Dieu gardait son double nom grec de Theou Prosopon et sémitique de Phanouel. Mais en Syrie on ne peut dater cette onomastique. Sa présence est expliquée par l'histoire hellénistique bien plutôt que par l'histoire primitive. En Chypre et en Cilicie, au contraire, ces doublets sont datés par les légendes ou les traditions grecques qui les accompagnent : ils remontent à la période préhellénique.

I. — Sur les côtes de Chypre, une ville portait le nom grec de Aipeia, l'Escarpée, l'Ardue, et le nom étranger de Soloi. Les Grecs racontèrent que le premier nom Aipeia était le plus ancien et qu'une colonisation de Solon l'Athénien avait implanté le nouveau nom Soloi. Nous savons ce que valent ces calembours. En réalité, Soloi, Σόλοι, veut dire la Ville des Monts ou des Roches[63]. Le mot sémitique Salo ou Solo aurait pour transcription exacte Σαλο ou Σολο, étant données les équivalences ס = σ, ל = λ, ע = ο : Solos, dit Hesychius, est le nom de la montagne. Le pluriel grec Soloi, Σόλοι, correspondrait à une forme du pluriel sémitique construit... סלעי, Soloi..., les Roches de... [suivi d'un déterminatif qui existait dans l'original sémitique et qui a disparu dans la transcription grecque]. Il suffit d'ouvrir les Instructions nautiques pour saisir la raison de cette onomastique[64].

Au Sud de l'Asie Mineure, la côte septentrionale de Chypre borde le premier détroit qui mène de l'Extrême-Levant à la Méditerranée hellénique. Cette côte chypriote présente deux aspects très divers aux navigateurs qui viennent de Syrie. Son extrémité orientale, depuis le haut cap de Saint-André jusqu'au haut cap Kormatiki (l'ancien Krommyon), est une chaîne de collines escarpées qui court parallèlement à la côte et tombe à pic dans la mer. Après le cap Kormatiki, qui en est la dernière pointe, la côte se creuse brusquement d'une grande et double baie, qui s'appelle aujourd'hui Baie de Morphou : durant l'antiquité, c'était la baie de Soloi. Les hautes collines côtières disparaissent : La côte est d'abord basse... ; c'est une plage basse de sable et de galets, allant au Sud jusqu'au fond de la baie ; il n'y a d'abord aucun mouillage sain : les vents d'Ouest et du large soulèvent une grosse mer et rendent tout débarquement impossible, sauf par des temps exceptionnels. Puis la côte devient rocheuse : on trouve, entre les pointes avancées de ses falaises, la petite baie de sable de Loutro (sous la petite île située devant le cap Limniti) et la baie de Pyrgos, où il y a plusieurs sources de bonne eau. Ces baies offrent de bons mouillages d'été, fond de sables et d'algues : on y charge du bois à brûler et parfois du blé provenant des plaines voisines.

A l'extrémité de cette baie, au point où les plages de sable et de galets font place aux falaises, sur les premières roches, Soloi s'était installée. Son port était utile au transit du détroit et nécessaire au commerce des indigènes. Elle surveillait pour les étrangers la grande porte de la mer Occidentale entre Chypre et l'Asie Mineure ; elle pouvait accueillir les vaisseaux jetés à la côte par le vent du Nord. Elle exportait les bois et les blés indigènes. Les bois lui venaient des forêts du mont Aous qui surgit derrière elle ; les blés lui arrivaient de la grande plaine qui occupe le centre de l'île. Chypre en effet est composée d'un long ruban de plaine entre les deux bandes rocheuses qui bordent les côtes du Nord et du Sud. Cette plaine perce l'île de part en part et vient finir sur les mers du Levant et du Couchant par deux rades, la baie des Roches, Soloi, à l'Ouest, et la rade de la Paix, Salamis, Σάλαμις, à l'Est. Toute marine étrangère qui exploita File dut forcément avoir des relâches en ces deux extrémités de la plaine isthmique, aux deux bouts de la route terrestre qui la coupe[65]. Les Grecs, qui succédèrent aux Phéniciens, traduisirent Les Roches, Soloi, Σόλοι, en Ardue, Αΐπεια. Mais ils gardèrent Salamis, Σάλαμις, qui, pour eux, grâce à leur Salamine du golfe Saronique, était devenu déjà un nom hellénique : on attribua la fondation de la Salamine chypriote à Teucer, roi de la Salamine grecque.... Soloi, forteresse des indigènes et port des étrangers, était une ville double. Elle avait son acropole et sa vieille ville sur la hauteur, son échelle et sa ville commerçante au bord de la mer[66]. Une légende de pure fantaisie attribua plus tard la fondation de Soloi à l'Athénien Solon. Une tradition plus digne de foi l'attribua aux deux Athéniens Phalèros et Akamas[67]. Άκάμας, l'Inflexible, est le nom d'un promontoire voisin. Φάληρος, l'Homme Blanc, l'Écumeux (φάλαρος, blanc, taché de blanc, couvert d'écume), est peut-être la traduction grecque du déterminatif qu'il faut supposer à notre Soloi phénicienne. Nous aurions ici des Roches Blanches ou Roches de l'Écume, comme nous avons sur la côte cilicienne, en face, des Pierres Noires, des Pierres Tigrées, Kara-tasch, Ποικίλη Πέτρα, comme nous avons dans l'Archipel une Île de l'Écume, Άχνη, ou sur les côtes Attiques un Port Blanc, Phalère. Le nom complet du site était les Roches Blanches : Αΐπεια Φαλήρου, Aipeia de Phaléros, traduisirent ici les Grecs, comme à Mégare ils disaient Skylla de Nisos ; c'est toujours le même procédé anthropomorphique.

II. — La côte cilicienne, qui borde au Nord le canal de Chypre, avait aussi une ville des Roches.... Cette autre ville de Soloi était bâtie en un site tout à fait comparable à la Soloi chypriote. Au long de cette côte cilicienne, en effet, les marins venus de Syrie peuvent observer aussi deux vues de côtes très différentes. Quand on sort du dernier golfe syrien d'Alexandrette, on rencontre d'abord un ancien îlot rocheux qui, noyé aujourd'hui dans les alluvions, forme le grand Cap de la Pierre Noire, Kara-tasch Bournou, disent les Turcs, table bordée de falaises basses et blanches que surmonte une forêt de chênes rabougris[68]. Puis, derrière ce cap, s'étend une longue, basse et monotone plage de sables, de lagunes et de boues, le rivage d'un ancien golfe que les rivières et torrents précipités du grand Taurus cilicien comblent, envasent et prolongent chaque jour encore : La plage s'étend en ligne droite pendant 24 milles. La plaine qui borde cette plage est un vrai désert ; inondée en plusieurs endroits, elle ne présente dans les autres que des collines de sables surmontées de quelques broussailles éparses. tin lac salé, d'une longueur de 12 milles environ, communique avec la mer. lies sables arides l'entourent de toutes parts et, sur ses rives, les cygnes. les pélicans et les cigognes, avec les poissons et les tortues, semblent en avoir la tranquille possession. C'est la Cilicie des Plaines, que les navigateurs doivent côtoyer d'un peu loin, en évitant les alluvions et l'échouage. Brusquement, au bout de cette plage, se dressent les hautes falaises de la Cilicie Rocheuse, Κιλικία τραχεΐα, que les Anciens ont toujours opposée à la Cilicie des Plaines, Κιλικία πεδιάς. Sur les premières roches, était bâtie la ville de Soloi. En ce point précis commençait la Cilicie Rocheuse pour les Sémites venus de l'Orient, de même que pour les Grecs venus de l'Occident commençait en cet endroit la Cilicie Plane[69].

Ce nom de Soloi ne se rencontre pas seulement dans les mers Levantines. On le retrouve partout où pénétrèrent les marines phéniciennes. Sur la côte occidentale d'Afrique, Hannon l'applique à un promontoire : Solo-eis, Σολόεις, transcrivent les Grecs. Dans le même site que nos Soloi de Chypre ou de Cilicie, ce Soloeis ardu se dresse brusquement au bout de longues plages de sables ou de galets. C'est notre cap Cantin. Les Instructions nautiques décrivent ainsi ces parages[70] :

En quittant Salé, la côte est formée tantôt par du sable, tantôt par des roches : deux plans de collines superposées courent parallèlement à la plage. Ces collines se terminent au Ouad-Orner-Biyeh. Au delà, la côte ne présente plus que des monticules élevés de 40 ou 50 mètres, qui continuent à s'abaisser lentement jusqu'au cap Cantin.... Le cap Cantin ou Ras el-Hadik (cap des palmiers) s'élève presque à pic à 60 mètres au-dessus de la mer. La côte est formée de falaises blanches, bordées à leur pied par une étroite plage de sable. Ces falaises ou rochers nus, surmontés de quelques collines d'illégale hauteur, s'élèvent graduellement jusqu'au cap Safé.

De même, le Solo-eis ou Solo-entum de Sicile est un promontoire de roches entre deux golfes et deux rivages bas, le golfe de Termini à l'Est, le golfe de Palerme à l'Ouest. Dans le golfe de Termini quelques roches gisent à petite distance de la plage et l'on voit quelques falaises élevées ; mais la côte est généralement unie et bordée par une plage de sable..., et [au pied de Solanto] se développe une longue plage de sable que longe le chemin de fer[71]. Le golf de Palerme borde la vallée de Conca d'Oro (la Coquille d'Or), qui se termine par une plage de sable de ¾ de mille de longueur[72]. Les deux golfes sont séparés par un large et long promontoire qui n'est, à vrai dire, qu'un archipel de petites montagnes soudées à la côte par une plainette. Entre ces montagnes et les collines de la grande terre, cette plainette va d'un golfe à l'autre et le chemin de fer qui la suit n'a pas de tunnel. Le promontoire presque rectangulaire présente trois larges faces à la mer et pointe vers le ciel ses monts d'Aspra (557 mètres) et Montalfano (574 mètres). Les caps Mongerbino et Zaffarano en sont vers l'Ouest et vers l'Est les avancées proéminentes ; ils sont bordés de roches :

Le cap Mongerbino est une saillie que fait la côte au pied du mont d'Aspra, dont le sommet haut de 557 mètres porte une tour. A ½ mille environ de son extrémité on voit un rocher de 5 mètres hors de l'eau et un autre plus petit en dedans du premier. Entre ce cap et le cap Zaffaralio, la côte, bordée de falaises, est saine et accore. Le cap Zaffarano est un haut massif de forme pyramidale et rocheux. Il est séparé du mont Montalfano (574 mètres) et, vu de loin, il présente l'aspect d'une ire. A peu de distance, git un lot accore, qui en est séparé par des fonds de 6 mètres. Le cap est d'approche saine. Au Sud du cap Zaffarano, la côte saine mais rocheuse forme deux petites baies ; à peu de distance, s'élèvent des hauteurs rocheuses de 500 mètres, au pied desquelles, le long de la saillie du rivage entre les deux baies, on aperçoit la pointe et le village de Porticello[73].

Dressé entre les plages des deux golfes et émergeant de la plaine, ce promontoire, rocheux et bordé de roches, mérite le nom de Soloi, Solo-eis ou Solo-enlunt, les Roches. Les Phéniciens établirent leur factorerie sur la face orientale, un peu au sud du cap Zaffarano. C'était le seul mouillage abrité des vents d'Ouest et des vents du Nord qui sont les plus fréquents sur cette côte[74]. Les deux baies de Porticello servaient d'échelles et les hauteurs voisines sur leurs roches de 300 mètres portaient l'Acropole : cette haute ville et son échelle nous rendent ici encore le site de Pylos et des Hautevilles homériques, ou le site de la Soloi chypriote. Ainsi placée, Solœis est sûrement une ville étrangère : redoutant les corsaires, la ville indigène, Bagheria, s'est installée à l'intérieur, dans la plaine, à mi-chemin des deux golfes. Solœis était, dit-on, une fondation d'Héraklès.

C'est qu'elle offrait aux peuples de la mer de grandes commodités, surtout pour l'exploitation du golfe de Termini. Dans le golfe de Palerme, une autre montagne semi-insulaire, le Monte-Pellegrino, Heirktè des Anciens, avait une station toute semblable à l'abri d'un pareil promontoire rocheux : Le mont Pellegrino, de 606 mètres de hauteur, s'élève sur la côte même ; il est remarquable par son isolement[75]. Au pied du Pellegrino, le mouillage de Palerme était bien abrité : une petite anse, nommée aujourd'hui Cala Felice, offre un port entièrement clos derrière une entrée resserrée. Aussi les Hellènes, maîtres du pays, établis comme colons dans la plaine et ne redoutant pas les coups de main des indigènes, préférèrent ce mouillage où par tous les vents on pouvait tenir : Πάν-ορμος, Panorme, Palerme, fut la ville hellénique. Mais nous savons pourquoi les premiers marins évitaient ces mouillages trop fermés et préféraient les libres promontoires, les Roches : si Palerme est le débarcadère grec, Soloentum est la station phénicienne. Le golfe de Termini, d'ailleurs, ne borde pas une plaine fertile, une Conque d'Or pareille à la coquille palermitaine. C'est un grand demi-cercle de collines nues et souvent abruptes, balayées de tous les vents Est, Nord et Ouest. Le golfe n'offre pas un abri, pas un refuge naturel aux navigateurs, qui pourtant doivent y trafiquer s'ils veulent pénétrer dans l'intérieur de l'île.

Car c'est ici que vient aboutir la route de terre, partie de la côte méridionale et traversant l'île du Sud au Nord. Nous avons étudié déjà cette route isthmique et son port méridional, Minoa ou Agrigente : Solœis en fut le port septentrional ; Soleis et Minoa datent de la même thalassocratie. En cette ville des Roches, les Phéniciens s'établirent solidement. Au temps de Thucydide, leur commerce, chassé du reste de la Sicile, se maintient sur cette côte Nord, à Solœis et à Panorme, et jusqu'au temps de Denys, Solœis reste fidèle à l'alliance carthaginoise[76].... Sur cette même côte sicilienne, on trouve aujourd'hui encore un autre Solanto, qui est l'extrémité rocheuse du grand golfe de Castellamare. A l'Est, ce golfe est bordé d'une côte basse et malsaine, plus généralement sablonneuse. A l'Ouest, au contraire, au-devant de la pointe San Vito, pointe basse, se dresse une ligne de promontoires escarpés, parmi lesquels la pointe Solanto[77]. Il est possible que ce Solanto soit aussi une Roche phénicienne, comme la Solanto qui s'est bâtie au pied de notre vieille Solœis.

III. — Pour la Soloi de Cilicie, nous n'avons ni le doublet gréco-sémitique. ni les traditions historiques et légendaires qui rendent l'étymologie certaine pour les Soloi chypriote, sicilienne et mauritanienne. Mais Kilix est frère de Phoinix, et, non loin de Soloi, au milieu de la grande plage que nous avons côtoyée. débouche un fleuve que les Grecs nomment Koiranos ou Saros, Κοίρανος, Σάρος. Le premier de ces noms est évidemment grec : koiranos est l'équivalent de tyrannos ; dans les poèmes homériques, koiranos est employé couramment pour signifier le chef, le roi, le maître[78].

C'est l'équivalent précis du mot sémitique sar, dont Saros, Σάρος, est la transcription grecque très exacte[79]. Nous pouvons donc poser le doublet gréco-sémitique Saros-Koiranos, Σάρος = Κοίρανος.

IV. — A l'Ouest de Soloi, la côte cilicienne, très rocheuse et très découpée. présente un grand nombre de promontoires jusqu'au delta du Kalykadnos. Entre deux hautes bornes de pierre, ce delta pousse vers la mer une petite plaine d'alluvions, toute semblable d'aspect, sinon de grandeur, à la plaine cilicienne. Séleukia, à l'intérieur du pays, occupait la tète du delta. Elle avait une double échelle, de chaque côté de la plaine, sur les roches de l'Ouest et de l'Est. Holmoi, "Olp.ot, à l'Occident, fut le port grec, le débarcadère des marines occidentales[80], je veux dire grecques et romaines. Inversement au temps des marines orientales, phéniciennes, l'échelle principale devait être sur les roches de l'Est. Là, en effet, sur la Pierre Tigrée, il existait un débarcadère et une route taillée vers l'intérieur. Strabon, qui nous parle de cette Pierre Tigrée, Ποικίλη Πέτρα, mentionne un cap voisin, Anemourion, Άνεμοόριον, que le Stadiasmus Maris Magni ne connaît pas[81]. Ποικίλη Πέτρα, la Pierre Tigrée, est un nom grec comparable à ce nom turc Kara-tasch, la Pierre Noire, que nous avons rencontré plus haut. Supposons un original sémitique à ce nom grec. La Pierre, Πέτρα, pourrait venir soit de quelque Skoula, semblable à la Skylla que nous avons découverte auprès de Mégare, soit de quelque Solo, comparable à nos Soloi chypriote et cilicienne : la capitale des Édomites, Sala ou Salo, est devenue la Petra des Grecs et des Romains. Quant à Tigrée, Ποικίλη, cette épithète serait exactement rendue par quelque dérivé de la racine namar, qui signifie en arabe tacheter, moucheter, et qui dans toutes les langues sémitiques a fourni le nom de la panthère. La Pierre Tigrée, Ποικίλη Πέτρα, serait donc As-Skoula An-namoura ou As-Soloim An-nemourim, les Rochers Tigrés, avec la forme participiale namour, précédée de l'article, d'où A-nemourion, Ά-νεμούριον : Ποικίλη Πέτρα-Άνεμούριον me semble encore un doublet gréco-sémitique.

V. — Ce nom de Άνεμούριον se retrouve plus loin sur cette même côte de Cilicie. Un peu plus au Sud-Ouest, les bateaux syriens doublent à l'extrémité du canal de Chypre le cap Anamour[82] élevé de 150 mètres. C'est la pointe la plus Sud de l'Asie Mineure. Elle offre sur son côté Est un bon mouillage aux caboteurs pendant les fortes brises de l'Ouest. Les plaines voisines contiennent plusieurs villages, d'où l'on peut faire venir du bétail, et l'on peut facilement faire de l'eau dans l'embouchure de la rivière Direk-Ondessi[83]. Par son mouillage et par son aiguade, ce point a déjà quelque valeur. Mais les marins et surtout les corsaires y peuvent trouver d'autres avantages : les caps Anamour et Kizliman, la pointe Cavalière ainsi que les îles Papadoula offriraient par beau temps des mouillages commodes pour les croiseurs. On pourrait accéder facilement aux parties les plus élevées des falaises, pour dominer le canal de Chypre et signaler l'approche de tout navire[84]. Les corsaires provençaux, qui jadis écumaient ce détroit, laissèrent à l'un des îlots côtiers le nom d'île Provençale : ils en avaient fait une de leurs guettes et de leurs refuges. Il semble que pareillement les Sémites aient eu jadis un poste de surveillance tout près du dernier cap Anamour, au mouillage que Skylax nous décrit ainsi : Nagidos, ville et île[85]. Ce nom de Nagidos ne veut rien dire en grec. Il venait, suivant Hécatée, d'un pilote nommé Nagis[86]. En hébreu nagid, signifie le chef, le meneur, le directeur, ήγούμενος, άρχων, traduisent les Septante, κυβερνήτης, dirons-nous en langue maritime : c'est de cette racine nagada, que les Arabes tirent leur verbe tanaggada, être patron d'une barque, capitaine d'un vaisseau[87]. Νάγιδος est donc bien la Ville du Pilote, et Movers signalait déjà ce doublet gréco-sémitique[88]. Il est possible qu'en cet endroit les Phéniciens embarquassent des pilotes avant d'entrer dans la mer de l'Occident qui s'ouvrait devant eux. Toutes les thalassocraties eurent leurs îles des Pilotes : depuis le temps des corsaires jusqu'à nos jours, Milo reste pour les marins occidentaux l'île où nos vaisseaux de guerre vont, à leur entrée dans l'Archipel, embaucher un pilote[89]. Il est possible aussi que nous ayons un nom de lieu sans plus de signification historique que tel promontoire du Gouvernail. Πηδάλιον, sur les côtes de Chypre, de Karie ou de la Chersonèse.

VI. — Jusqu'à l'Archipel, les côtes asiatiques sont bordées de noms étrangers. venus de la mer. Aujourd'hui les noms italiens ou francs, occidentaux, alternent avec les noms turcs ou anciens. Durant l'antiquité, les noms grecs ou romains alternaient de même avec des noms indigènes ou levantins. Les Sémites avaient sûrement leur part dans ces noms levantins. Les doublets ne sont pas toujours là pour nous fournir des preuves irréfutables ; il n'en reste pas moins certaines traces : Des villes gardent des noms d'apparence sémitique, jusqu'à l'époque romaine, Kibyra, Masoura, Rouskopous, Syléon, Mygdale, Sidyma. Aucun témoignage direct n'attribue la fondation de ces villes aux Phéniciens. Mais l'origine sémitique du nom est sûre pour la plupart d'entre elles[90]. Il est impossible, en effet, de ne pas rapprocher Rous-Kopous, des Rous-Addir, Rous-Gounion, Rous-ibis, etc., des Têtes ou Caps, rous, phéniciens qui jalonnent la mer mauritanienne. Un port de Pamphylie, Sidè, nous ramène pareillement à toute une série de noms, Sidon, Sida, etc., qui sont les transcriptions grecques Sidon ou Sida, Pêcheries, phéniciennes.

Je voudrais attirer l'attention sur l'un de ces noms, tout au moins, que deux montagnes côtières conservent durant l'antiquité, l'une en Cilicie, l'autre en Lycie : c'est Kragos, Κράγος. Comme Anemourion, ce double nom côtier nie semble d'origine maritime : nous ne comprendrions pas autrement sa double présence chez les Lyciens et chez les Ciliciens qui ne parlaient pas la même langue. La côte des deux Kragos se ressemble. En Lycie, ce sont nos Sept-Caps : Les Sept-Caps forment les extrémités de plusieurs hautes montagnes bordant la côte, disent les Instructions ; Strabon disait : Le Kragos a huit pointes. (Je corrigerais huit en sept, Π en Ζ.) En Cilicie, c'est la côte entre Alaya et le cap Anamour : Les falaises sont élevées de 178 mètres. Jusqu'au cap Anamour, la côte est généralement haute et accore, disent les Instructions ; Strabon disait : Le Kragos est une falaise escarpée de toutes parts. La meilleure traduction de falaise, pierre coupée, escarpée, etc. nous serait fournie par la racine hébraïque k. r. g., couper, trancher, détacher : le pluriel Kragim désigne les pans de robe déchirée en signe de deuil ; Kragos serait le pan de falaises taillées à pic[91].

Nous atteignons ainsi le golfe d'Adalia et les monts Solymes, Σολύμα όρη. Cette haute chaîne se dresse à pic tout le long de la côte occidentale du golfe. Quand on vient de l'Est, cette muraille abrupte limite l'horizon et ferme la mer jusqu'au lointain Promontoire Sacré, que prolonge encore le petit archipel des Hirondelles. Il faut bien prendre garde à l'importance de ce Promontoire Sacré pour les premiers navigateurs levantins. Les navigateurs modernes venus de l'Ouest ne remarquent pas ce promontoire. Rien ne le distingue à leurs yeux des mille caps proéminents que, durant des semaines, ces Occidentaux viennent de doubler ou d'apercevoir au long des côtes européennes et asiatiques : l'archipel des Hirondelles n'est pour eux que le dernier groupe insulaire de l'Archipel hellénique. D'ailleurs les navires occidentaux fréquentent peu ces parages. Usant des vents de Nord pour leurs traversées vers l'Égypte ou la Syrie, ils ne suivent pas jusqu'ici les côtes de l'Asie Mineure. Depuis Rhodes. ils coupent droit, à travers la haute mer, vers Chypre ou vers Alexandrie. Les moins audacieux cabotent un peu plus loin que Rhodes, jusqu'aux ports de la côte lycienne, Patara, Aperles, Myra, ou jusqu'à cette petite île lycienne qui garde aujourd'hui son nom italien de Château Roux. Castellorizo (Castello-Rosso) : Ce port est un point fréquenté par les navires allant en Syrie et à Chypre ou revenant de ces localités. On peut donc trouver là des pilotes pour tout le littoral Est de la Méditerranée[92] : sur ce bord occidental du golfe d'Adalia, les Occidentaux ont leur île des Pilotes, comme les vieux navigateurs orientaux avaient leur île et ville du Pilote, Nagidos, sur la côte orientale de ce même golfe. Entre Castel-Iorizo et la côte, les marchands et pirates occidentaux de Venise, de Gênes ou de Pise ont toujours eu quelque station ou quelque croisière barrant les chenaux : quand Philippe Auguste rentre de Palestine, il vient relâcher au Port-Pisan à l'embouchure de la Phineka, à l'Est de Myra en Lycie[93].

Mais de Rhodes ou de Castellorizo, les Occidentaux coupent tout droit vers Chypre ou vers le Nil. Ils laissent au loin sur leur gauche le Promontoire Sacré auquel bientôt ils tournent le dos, et qui ne leur est même pas utile comme point de repère, tant sa pointe effilée et sa faible hauteur disparaissent à leurs veux sur l'écran des montagnes lyciennes. Actuellement encore, ce promontoire a si peu d'importance pour nos marines occidentales. qu'il ne porte ni phare, ni tour de signal, ni marque quelconque de reconnaissance. Consultez la carte de nos phares : sur les points extrêmes de Crète, de Rhodes et de Chypre, les feux de Sidero, de Prasonisi et de Paphos éclairent les grandes portes du commerce international ; à l'entrée des ports et des rades fréquentés par le cabotage côtier, les feux de Marmaris, de Rhodes, d'Adalia, d'Alaya, etc., éclairent le va-et-vient des bateaux indigènes. Mais ni le mouillage des îles des Hirondelles ni la borne du Promontoire Sacré n'ont semblé dignes d'un éclairage.

Si quelque jour une marine indigène renaît dans les ports syriens pour le service des contrées de l'Euphrate, il est probable que le Promontoire Sacré retrouvera sa gloire : les navigateurs orientaux, venus au long des côtes asiatiques ou par le milieu du canal de Chypre, gouvernent de loin sur le Promontoire Sacré, gigantesque signal dont ils aperçoivent, en face, la haute silhouette. Ce promontoire devient l'un des repères de leurs navigations, et il est aussi une borne de leur monde. Car, derrière cette muraille, ils vont brusquement trouver une mer nouvelle et des terres différentes des leurs. Jusqu'ici, la côte qu'ils suivaient était vraiment asiatique, je veux dire massive, peu découpée, mal moins de danger. [Et cette tradition se traduit dans une coutume signalée par un troisième : ] Ce golfe est fort dangereux à cause des vents impétueux, qui y soufflent des hautes montagnes qui sont situées sur la côte de Pamphylie. Il y a un courant qui règne aux environs, par la rapidité duquel les vaisseaux sont entraînés d'Orient en Occident. Les mariniers, et surtout les Grecs, commencent en cet endroit à jeter des morceaux de biscuit dans la mer. Quand on leur demande pourquoi ils le font, ils répondent que c'est par une coutume établie depuis longtemps parmi les matelots, qui apparemment commencèrent à la pratiquer par superstition, comme s'ils eussent voulu apaiser la mer, qui est fort dangereuse en cet endroit[94].

De tout temps les marins ont dû posséder au long de cette côte pamphylienne des relâches. Adalia, l'Άττάλεια des Grecs, est aujourd'hui le port le plus fréquenté. Dans l'antiquité reculée, avant la fondation de cette ville grecque, c'était Phasélis. Avec ses trois ports et son îlot rocheux emmanché d'un isthme de sable, Phasélis était le grand reposoir entre la Phénicie et la Grèce[95]. Il est inutile d'insister, je crois, sur le site et l'orientation de ce vieux port. Un regard sur la carte pourrait suffire. A demi-insulaire, tournée vers le Levant, conforme à toutes les nécessités du commerce primitif et du trafic venu de Syrie, Phasélis n'est sûrement pas une station indigène. Du côté de la terre, elle n'a aucun débouché et elle ne peut avoir aucun domaine. La montagne des Solymes, qui fait le tour du golfe, la surplombe : nous allons étudier le même site dans la Parga vénitienne et dans la Ville d'Alkinoos. Cette montagne, pendant une centaine de kilomètres, est continue. Deux défilés, la Rose et la Pipe, comme disent les Turcs. Gullik-Boghaz et Tchibouk-Boghaz, percent la barrière vers l'Ouest et vers le Nord et peuvent mener de la côte vers l'intérieur, en Pisidie ou en Lycie. Phasélis n'est pas à l'entrée de ces cols : elle est à l'écart de l'un et de l'autre. Et elle n'est pas entre les deux cols, à mi-chemin de l'un et de l'autre, au point où leurs deux routes conflueraient sur la plage : elle leur tourne le dos. Nous verrons pareillement d'autres ports étrangers, la Parga des Vénitiens et la Ville d'Alkinoos, tourner le dos aux défilés qui peuvent amener les agressions indigènes. Nous avons étudié déjà sur les côtes de France le site de Monaco, postée à l'écart de la descente des Ligures, un peu distante de la trouée du Var. C'est ici, entre l'Adalia des Hellènes et la Phasélis des premiers thalassocrates, la même différence qu'entre Nice et Monaco. Les Hellènes, plus tard, s'établiront à Adalia, où confluent les deux routes de l'intérieur : Adalia est le port indigène ou colonial pour le service des routes terrestres. Phasélis ne peut être qu'une station maritime, une relâche étrangère et, étant donnée la disposition de sa rade tournée vers l'Orient, elle ne peut être qu'une relâche des Levantins.

Or ce pays de Phasélis présente des noms et des légendes où le souvenir des marines sémitiques parait subsister. Le nom Solyma, Σόλυμα, a été souvent rapporté au soulam ou soulama, l'Escalier, des Hébreux[96]. La chaîne côtière longe de près le rivage abrupt, en ne laissant que de courtes et rares plages, quand les hauts promontoires ne plongent pas dans la mer. La route côtière — c'est par cette route qu'Alexandre a passé — n'est qu'une suite de défilés et d'échelles, de portes resserrées entre la montagne et la mer, et d'escaliers taillés dans la roche des promontoires. Strabon décrit admirablement l'aspect des lieux : Vient Phasélis avec ses trois ports.... Le mont Solyma la surplombe.... Autour de Phasélis, sont les Défilés sur la mer, par où passa l'armée d'Alexandre...., et il y a le Mont de l'Échelle, l'Escalier, ne laissant qu'une passe étroite au-dessus de la rive[97]. La traduction exacte de Κλίμαξ, l'Échelle, serait en hébreu et en arabe Soulama ou Soulam : l'Échelle des Tyriens, le Κλίμαξ Τυρίων, de Strabon est le Soulama Sor du Talmud. Au long de la côte syrienne, en effet, ces Échelles des Tyriens présentent la même route étroite, surplombant la mer ici, là descendant au fond des anses, s'enfonçant dans les sables ou grimpant au flanc des promontoires : il a même fallu tailler des escaliers dans certaines roches trop abruptes[98]. Nos Monts Solymæ sont donc les Monts de l'Échelle, et ce sont aussi les Monts des Portes ou des Défilés, Στενά, disait Strabon : car ils portent un autre nom Masikylos, que Bochart rapprochait avec raison des masoukot (pluriel de masouka) hébraïques, les Défilés, angustiæ ; Μασίκυτος, Μασσάκυτος, Massicytes, les diverses transcriptions grecques ou latines rendent compte de toutes les lettres de l'original[99].

Dans cette chaîne des Solymes, non loin de la mer, une bouche volcanique. en perpétuelle activité, crache de hautes flammes et brêle silencieusement au milieu de la forêt[100].... C'est la Chimère lycienne, Χιμαίρα, qui donna naissance à de si belles fables. L'étymologie sémitique, généralement admise[101] nous rendrait bien compte de ce nom de lieu. Ce monstre expirant le feu, comme dit l'Iliade[102], est la Bouillonnante, Khiméra, de la racine kh.m.r, bouillonner, bouillir, et d'une forme khimera (cf. khebera, khezegua, khelipha, etc.). Un doublet gréco-sémitique va nous donner par la suite la certitude de cette étymologie : ce nom de lieu se retrouve dans les mers Occidentales sous les formes Imera ou Himera, Ίμέρα ; nous avons déjà donné les exemples de ces doubles transcriptions grecques du ח sémitique, tantôt rendu par un χ ou un esprit rude, et tantôt supprimé : Χάβωρας et Άβόρρας, Χάβερ et Άβαρ, etc.

VII. — Après le Promontoire sacré, la Lycie contournée mène les marines orientales à la véritable entrée de l'Archipel, au canal de Rhodes. Ici encore. la toponymie et la légende semblent peuplées de souvenirs phéniciens. Dans cette île de Rhodes, Kadmos a installé le culte de Poséidon ; il a dédié un chaudron archaïque avec une inscription phénicienne ; il a laissé une colonie dont les descendants mêlés aux gens de Ialysos conservent toujours la prêtrise du dieu[103]. Aux temps historiques, quand le roi Amasis veut étendre sa thalassocratie et ses relations commerciales sur toute la Méditerranée de l'Extrême-Levant, il conquiert Chypre, puis il cherche à gagner par des présents les gens de Cyrène. qui tiennent les routes du Couchant, et les gens de Rhodes et de Samos, qui tiennent les routes du Nord : à Lindos, il consacre dans le temple d'Athèna deux statues de pierre et une cuirasse de lin[104]. Le nom même de Ialysos, qui s'appelle aussi l'Heureuse, Makaria, ou la Sonnante. Akhaia, nous reportera par ces doublets à une étymologie sémitique : faute d'explications préliminaires, nous ne pouvons encore l'apercevoir ; mais la suite de l'Odyssée nous conduira à la vérification du doublet Ialysos-Makaria. La mythologie rhodienne connaît sept enfants, six fils et une fille, de Poséidon, qu'elle nomme les Génies du Levant, Προσηώους Δαίμονας. Ces sept génies sont bien de la famille de Kadem, l'Homme du Levant. Ils sont les enfants d'une nymphe Halia qui se jette à la mer, comme Ino, fille du Kadmos béotien, et qui devient, comme Ino, une Déesse Blanche, Λευκοθέα[105]. La mythologie rhodienne connaît aussi les sept fils du Soleil. Au centre de l'île se dresse son point culminant[106]. C'est, à 1241 mètres au-dessus de la mer, le haut observatoire du mont Ataburion, Άταβύριον, d'où l'on peut surveiller les deux détroits du Nord et du Sud, et la mer Libyque, et toutes les îles environnantes[107]. Il semble que nous ayons ici un de ces nombrils de la mer, όμφαλος θαλάσσης, comme dit l'Odyssée, At-tabour, auraient dit les navigateurs phéniciens. Il nous a paru de même que les villes antérieures à la capitale grecque Rhodes étaient, toponymiquement comme topologiquement, des fondations de marins orientaux. Nous savons déjà comment le vieux port de Lindos tourne le dos à la Grèce et regarde. dit Strabon, vers le Sud-Est et vers Alexandrie. Les noms de Lindos, Kamiros et Ialysos seraient, comme celui de Patara, sur l'autre face du détroit, susceptibles d'étymologies sémitiques. Mais, ces noms isolés ne rentrant pas, pour le moment du moins, dans la catégorie de nos doublets, il faut poursuivre notre route. Nous arrivons à l'Archipel.

 

Quand on dresse le tableau onomastique de l'Archipel, on constate que chacune des îles, dans l'antiquité grecque, eut plusieurs noms et que ces différents noms peuvent se ranger en deux classes. Les uns, évidemment grecs, présentent à première rencontre un sens très clair pour une oreille grecque : telles l'île aux Cailles, Ortygia, l'île Hurlante, Keladoussa, l'île des Bois, Hylèessa, Belle-Île, Kallistè, etc. Les autres n'offrent en grec aucun sens et, dès l'antiquité, les scholiastes et déchiffreurs de logogryphes ne les peuvent expliquer qu'à grand renfort de calembours, tels les noms de Délos, Paros, Samos, Naxos, Thèra, etc.

Délos, Δήλος s'appelle aussi Άστερία, Πελασγία, Χλαμυδία, Όρτυγία, c'est-à-dire l'île de l'Astre, des Pélasges, du Manteau ou des Cailles. Le nom de Δήλος reste obscur : les Anciens disaient que l'île apparut, δηλοΐ, pour recevoir Latone en son enfantement.

Rhèneia, 'Ρήνεια, s'appelle Κελάδουσσα et aussi Όρτυγία, l'île des Hurlements ou des Cailles.

Tinos, Τήνος, s'appelle Ύδρουσσα, Όφίουσσα, l'île de l'Aiguade ou de l'Hydre, et des Serpents.

L'Eubée, Εϋβοια, l'île des Bœufs, est aussi Μακρίς, Δολίχη, la Longue, mais aussi Βώμω, nom incompréhensible.

Kéos, Κέως, est encore une île de l'Aiguade ou de l'Hydre, Ύδρουσσα.

Kythnos, Κύθνος, est l'île des Serpents, Όφίουσσα.

Milo, Μήλος, est l'île du Zéphyre, Ζεφυρία, mais elle a aussi d'autres noms incompréhensibles, Βύβλις, Μίμαλλις, Σίφις, etc.

Sikinos, Σίκινος, est l'île du Vin, Οίνόη.

Kythère, Κύθηρα, est l'île de la Pourpre, Πορφύρουσσα.

Thèra, Θήρα, est la Très-Belle, Καλλίαρος.

Anaphè, Άνάφη, est aussi Βλίαρος ou Μεμβλίαρος.

Ios, Ίος, est l'île des Phéniciens ou l'île Rouge, Φοινική.

Oliaros, Ώλίαρος (Anti-Paros), ou sa voisine Πάρος, est l'île des Bois, Ύλήεσσα.

Paros, Πάρος, est l'île Plate, Πλάτεια, ou de Déméter, Δημητρίας, mais aussi Μινώα et Ζάκυνθος.

Naxos, Νάξος, est l'île Ronde, Στρογγύλη, ou de Zeus, Δία.

Amorgos, Άμοργος, est la Toute-Belle, Παγκάλη, ou l'île du Souffle, Ψυχία.

Lemnos, Λήμνος, est Αίθάλη et Σιντηίς, ou, l'île de Héphaistos, Ήφαιστία.

Thasos, Θάσος, est l'île d'Or, Χρυσή, ou de l'Air, Άερία.

Lesbos, Λέσβος, est Ίσσα, Ίμέρτη, et la Touffue, Λασία, l'Heureuse, Μακαρία.

Symè,   Σύμη, est Αΐγλη, la Brillante.

Ikaros, Ίκαρος, est la Longue, Δολίχη.

Chios, Χίος, est Λίθαλία et l'île des Pins, Πιτύουσσα, et l'île Longue, Μάκρις.

Samos, Σάμος, est l'île de la Vierge, Παρθενία, l'île aux Chênes, Δρύουσσα, elle est aussi Ίμβρασος.

Kasos, Κάσος, est l'Écume ou la Paille, Άχνη.

Etc., etc.

Il est à remarquer que, sauf pour l'Eubée, Εΰβοια, l'Île aux Bœufs, ce sont toujours les noms incompréhensibles qui ont prévalu. Non seulement pendant la période grecque, mais jusqu'à nos jours, les marines successives se sont religieusement transmis cette onomastique, qu'elles ne comprenaient pas. Elles n'ont fait à travers les siècles que l'adapter légèrement à leurs gosiers romains. arabes, vénitiens, génois, turcs, francs, hollandais ou anglais. Les seuls Italiens de la Renaissance en ont usé avec une certaine liberté. Leurs traductions ou leurs adaptations fantaisistes ont parfois substitué aux noms anciens quelque beau calembour : aller vers l'Euripe, stonevripon, είς τόν Εΰριπον, nous a donné Negreponte, et l'Eubée est devenue Négrepont, et Chalkis est devenue Egripo. Au début de leur histoire écrite, les Hellènes eux-mêmes semblent avoir reçu ce dépôt de quelques prédécesseurs. Leurs idées à ce sujet étaient fort variables. Tantôt ils croyaient ces vocables antérieurs aux noms qu'ils comprenaient, et tantôt ils les croyaient postérieurs : Homère, dit Strabon, connaissait sûrement la Samos ionienne ; s'il ne nous parle que des deux Samos de Thrace et de Képhallénie, c'est que la Samos ionienne portait sans doute un autre nom : Samos en effet n'est pas le nom primitif, mais la Sombre-Ramure, Μελάμφυλλος, puis la Fleurie, Άνθεμις, et enfin la Virginale, Παρθενία, à cause du fleuve Virginal, Παρθένιος, qui lui-même reçut par la suite le nom de Imbrasos, Ίμβρασος[108]. Pour Strabon, donc, Santos est postérieure à la Fleurie ou à la Virginale : les noms grecs sont antérieurs aux noms étrangers. Il est vrai qu'en un autre passage notre auteur vacillera dans son opinion : Samos, dit-il, fut d'abord nommée la Virginale, Parthenia, au temps des établissements kariens, puis Anthémis, puis Mélamphyllos et enfin Samos[109]. Si le nom de Parthénia remonte aux Kariens, ce ne peut être qu'une traduction et non pas une invention grecque : un vocable étranger, karien, a dû précéder le nom grec.

Ces contradictions ou de pareilles se retrouvent chez tous les auteurs, et, plus encore, d'un auteur à l'autre. Cependant la plupart des Anciens s'accordent pour attribuer quelques-uns de ces noms aux navigateurs orientaux, aux Kariens et aux Phéniciens, Naxos, rapporte Diodore, s'appelait d'abord, τό μέν πρώτον, la Ronde, Στρογγύλη, et elle fut occupée d'abord, πρώτον, par des Thraces, car à cette époque les Cyclades se trouvaient, les unes complètement désertes, les autres très peu habitées. Des conquérants de Phthiodide soumirent ces Thraces et changèrent le nom de l'île, qui devint Dia, Δία. Après deux siècles et plus de domination, les Thraces disparurent ; des Kariens du Latmos colonisèrent l'île : le roi karien, Naxos, fils de Polémon, donna son nom à la colonie[110]. — Thèras, dit Hérodote, était un descendant de Kadmos fixé à Sparte ; allié aux familles royales, il fut tuteur des jeunes rois ; sa tutelle finie, ne voulant pas redevenir sujet après avoir été le maître, il résolut de quitter Sparte et de retourner dans les îles, chez ses congénères. Dans l'île de Thèra, jadis appelée Belle-Île, Καλλίστη, étaient établis les descendants d'un Phénicien, Membliaros, fils de Poikileus, que Kadmos avait laissé en cet endroit, avec une colonie phénicienne. Ces colons occupaient l'île de Kallistè depuis huit générations, lorsque Thèras survint[111]. Héraclide du Pont racontait, de même, dans son Traité des Îles, qu'Oliaros était une colonie sidonienne[112]. et ce sont des Phéniciens de Byblos, disent les lexicographes, qui avaient donné le nom de Byblis à l'île Zéphyria, devenue par la suite Mèlos[113]. On peut n'avoir pas une confiance absolue, ni même une grande confiance, en ces traditions. H est impossible pourtant de n'en pas -tenir compte, et l'étude de cette double onomastique nous révèle bientôt une série de doublets. Je ne pourrai pas étudier ici tous les doublets gréco-sémitiques de l'Archipel. Mais voici quelques-uns des plus certains et des plus faciles à reconnaître.

I. — Kasos, dit Pline, s'appelait jadis Akhnè[114], l'Écume, et elle s'appelait encore Astrabè, la Selle[115].

A l'Est de la Crète, Kasos est comme la première pile du pont insulaire qui, par Karpathos, Saros et Rhodes, s'en irait des derniers caps crétois aux promontoires avancés de l'Asie Mineure. Au long de ces îles, sous le vent de ces îles, une route de navigation commode, à couvert des vents du Nord, unit les côtes asiatique et crétoise : le mont rhodien Ataburon, le Nombril, est la guette en même temps que le sémaphore naturel, qui borde cette route, sur une butte élevée, d'où l'on peut voir la Crète[116]. Les détroits de Karpathos et de Kasos sont, en outre, les grands passages qui conduisent de la partie orientale de la Méditerranée dans l'Archipel. Le chenal de Kasos a environ 25 milles de largeur entre l'extrémité Sud-Ouest de l'île et le cap crétois de Sidero ; ce chenal est très profond et les seuls dangers qu'on y trouve sont des hauts fonds qui s'avancent au-devant du cap Sidero ; le courant porte généralement au Sud[117]. Cette phrase des Instructions nautiques montre bien dans quelles circonstances ce chenal sera suivi par les voiliers. Pour les navires qui, venant du Sud-Est, veulent entrer dans l'Archipel, le détroit entre Rhodes et l'Asie Mineure, abrité des vents du Nord, est préférable. Mais quand, venant du Nord, les voiliers veulent sortir de l'Archipel. c'est à la porte de Kasos que le vent du Nord et le courant les mènent : c'est la porte de Kasos qu'empruntent les voiliers levantins destinés pour la Syrie ou l'Égypte. Kasos elle-même est très montagneuse : ses rives consistent principalement en hautes falaises de roche avec de grands fonds à toucher ; mais, tout près, des îlots offrent un bon mouillage à l'abri des vents du Nord-Ouest[118].

Appliqué à une telle île, le nom d'Écume s'explique sans peine. Άχνη, dit l'Etymologicum Magnum, πάσα λεπτότης ύγροΰ τε καί ξηροΰ, le mot Akhné désigne toute particule ténue, tout duvet humide ou sec. Dans l'Iliade, une comparaison revient souvent entre les poussières d'hommes tourbillonnant sous le vent de la fuite et les poussières de l'aire, où l'on vanne le blé pour séparer le grain et la bourre[119]. Une autre comparaison non moins familière au poète de l'Odyssée nous montre le vaisseau piquant et bondissant sur la lame, tout couvert d'écume et de poussière d'eau. Les hautes falaises de Kasos, opposées, d'un côté, à la grande mer et aux houles du Sud, et, d'autre part, au courant et aux rafales du Nord. présentent souvent le spectacle décrit par les vers de l'Odyssée : C'étaient des côtes accores, rocheuses et pointues, où grondait la mer, et tout était couvert par l'akhnè du flot[120]. Pourtant ce substantif isolé, pris comme nom de lieu. déroute l'esprit : au lieu du substantif isolé, l'Écume, on attendrait plutôt un nom composé, comme l'Île de l'Écume, ou une épithète, comme l'Écumante, Άχνήεσσα ou Άχνουσσα, ainsi que nous verrons tout à l'heure la Boisée, Ύλήεσσα, et la Hurlante, Κελάδουσσα. Une telle appellation ne semble donc pas un mot original, populaire. Les Français ont donné longtemps au Pirée le nom de Port-Lion ou Port-Lyon[121] ; Port du Lion eût été bien plus conforme à leur onomastique ordinaire. C'est qu'ils ne faisaient que répéter, en le traduisant à peine, le nom italien Porto-Leone. On peut soupçonner quelque opération semblable chez les Grecs anciens au sujet de Akhnè.

Bochart avait déjà constaté que l'équivalent d'Akhnè serait, en hébreu, קש, kas[122]. On ne saurait trop insister sur cette équivalence. Homère compare les guerriers fuyants aux pailles que le vent balaie sur les aires sacrées[123].

et la même comparaison se retrouve dans la Bible : Comme le kas sous le vent du désert, je les ai dispersés, dit l'Éternel à Jérémie[124]. Kasos, Κάσος, serait en grec une excellente transcription du kas sémitique : nous avons vu que le ק initial est d'ordinaire rendu par un κ.

Kasos-Akhnè forment donc un doublet gréco-sémitique. De ces deux noms, lequel est l'original ? et lequel est la traduction ? nous ne pouvons rien en savoir encore. Notons cependant que Kasos serait plutôt, d'après certains indices, l'original et Akhnè, la traduction. Pour en revenir, en effet, à notre exemple de Porto-Leone et Port-Lion, on peut présumer que les Grecs copièrent et traduisirent tout à la fois le nom sémitique. — en l'écourtant sans doute : Kas devait être précédé d'un déterminatif, comme île ou roche, I-Kas, l'Île de l'Écume, ou Sor-Kas, la Roche de l'Écume.

II. — L'île la plus voisine de Délos, celle que les marins actuels appellent la Grande Délos, était pour les Anciens Rhèneia et Kéladoussa : 'Ρηναία quam Anticlides Celadussam vocat, item Artemin Hellanicus[125]. Strabon ajoute le nom d'Île aux Cailles, Όρτυγία, qu'il rapporte à une période antérieure[126]. Mais la plupart des auteurs réservent ce dernier nom à la Petite Délos.... Kelados, κέλαδος, dit l'Etymologicum Magnum, signifie le tumulte et le bruit. Homère emploie ce mot pour désigner le brouhaha de la bataille, le choc des armes et les hurlements des combattants. Il emploie l'épithète keladon pour les torrents mugissants et pour les vents qui gémissent sur la mer[127].

Kéladon, le Bruyant, est resté le nom d'un torrent d'Arcadie que la Télémakheia nous a fait connaître. Le nom de Bruyante ou Hurlante convient à la Grande Délos. Sa forme déchiquetée, les baies fissurées et profondes qui la coupent presque de part en part, ses roches saillantes, ses aiguilles surplombant la mer de 150 mètres[128], racontent la lutte des flots, qu'en tout temps les courants et les vents du Nord lancent contre ses flancs. Cette île dressée sans abri, en travers de la passe de Mykonos, fait face au mistral et au courant des Dardanelles. Les hurlements du flot donnèrent toujours naissance à de terribles histoires de vroucolacas, de revenants. Buondelmonte signale, au Nord de Syra, la Roche aux Chèvres où les esprits immondes se donnent rendez-vous : quand un navire vient à passer et à séjourner pour la nuit, c'est un tel sabbat et de tels rugissements que ciel et terre semblent vouloir crouler, et les esprits crient à pleine voix le nom des navigateurs[129]. Hannon le Carthaginois éprouva les mêmes terreurs dans une île du Couchant que ses devins lui conseillèrent d'abandonner à cause des tumultes et cris nocturnes[130]. Dans toutes les langues sémitiques, les racines ran'a et ranna existent avec leurs dérivés, pour désigner tous les bruits violents, toutes les clameurs, tous les murmures des êtres et des choses. froissements d'armes, vibrations de cordes, cris humains de joie ou de douleur : l'équivalent exact du grec κέλαδος est l'hébreu rin'a, dont Rheneia, serait la transcription grecque très fidèle. — Des trois consonnes de la racine sémitique, en effet, les deux premières se retrouvent sans peine ר = ρ, נ = ν, et la troisième est cette aspirée très douce ה, que les Indo-Européens semblent n'avoir jamais pu rendre et dont les Grecs dans leur alphabet firent la voyelle ε : ici, la diphtongue ει en tiendrait la place ; on trouve aussi l'orthographe 'Ρηναία qui conviendrait tout aussi bien, ה = ε ou αι —.

Au fond de l'Adriatique, les Grecs avaient un autre groupe d'îles Hurlantes, Κελάδουσσαι, et sur les côtes d'Espagne un fleuve Bruyant a gardé jusqu'à nos jours le nom de Celado[131]. De même, il est possible que les Phéniciens aient connu d'autres îles Hurlantes. Entre la Sicile et l'Afrique, la petite île actuelle de Pantellaria semble avoir porté le nom sémitique de Iranim, qu'on lit au revers de certaines monnaies puniques[132]. Ce vocable, ainsi que le reconnaissent les éditeurs du Corpus Inscriptionum Semiticarum, se rattache à la classe de noms insulaires qui (nous le savons déjà) se rencontrent dans la Méditerranée occidentale et qui sont composés du mot ai ou i, île (les Grecs ont transcrit αι, ε, ι, et les Latins e, i, ae), suivi d'un déterminatif : telle l'île des Éperviers sur la côte sarde Ai-nosim[133], telle aussi l'I-spania de Kalypso, et telle encore l'odysséenne Ai-aie, Αί-αιη. Le déterminatif dans I-ranim pourrait être dérivé de la même racine ranna ou ran'a. L'hébreu ran, hurlement, aurait son pluriel régulier ranim, que l'on trouve une fois dans la Bible sous la forme construite rane. Nous aurions donc l'île des Hurlements, I-ranim : l'onomastique palestinienne nous fournit un lieu dit les Sanglots, Bokim, — Κλαυθμώνες, traduisent les Septante, id est plorationes, ajoute la Vulgate[134], — et ce Bokim se rattache à la racine bak'a, exactement comme ranim se rattacherait à ran'a.

III. — Nous savons déjà que Ille de Samos est l'une des grandes étapes sur la route des détroits côtiers qui bordent l'Asie Mineure et qui, de Rhodes, conduisent jusqu'à Constantinople. Les Anciens se représentaient cette route comme parfaitement rectiligne, orientée tout droit du Sud au Nord[135], si bien que, du canal de Rhodes au Bosphore, c'était comme un tuyau dont la paroi de droite, formée par la côte asiatique, serait pleine, et dont la paroi de gauche, au contraire, formée par les îles, serait ajourée[136]. De tout temps cette route a été suivie par les voiliers et jalonnée d'escales nombreuses, à intervalles réguliers :

Le port de Scio (Chios), dit Tournefort, est le rendez-vous de tous les bâtiments qui montent ou qui descendent, c'est-à-dire qui vont à Constantinople ou qui en reviennent pour aller en Syrie et en Égypte... ; tous les bâtiments qui descendent de Constantinople en Syrie et en Égypte, s'étant reposés à Scio, sont obligés de passer par l'un des détroits de Samos (le grand détroit entre Icaria et Samos ou le petit détroit entre Samos et la côte asiatique). Il en est de même de ceux qui montent d'Égypte à Constantinople. Ils y trouvent de bons ports et leur route serait trop longue s'ils allaient passer vers Mycone et vers Naxie. Aussi les Boghaz (détroits) sont les véritables croisières des corsaires, comme on parle dans le Levant, c'est-à-dire que ce sont des lieux propres pour reconnaître les bâtiments qui passent[137].

Le petit détroit de Samos, à cause même de son peu de largeur, a toujours semblé un lieu d'excellente embuscade pour les pirates. Au cours de ce siècle encore (1821), les marins ne traversent point ce détroit sans être saisis de crainte, car c'est là que les corsaires attendent leur proie ; tous les rivages sont bordés de criques, de petites anses, de ports formés par des écueils ; les corsaires sortent de là pour tomber sur les navires marchands[138]. C'est dire que l'exploitation commerciale de l'Archipel est à peu près impossible, quand on n'est pas maitre de ce détroit et quand une forteresse ou une guette n'en garantissent pas le libre usage et la sécurité : les Génois installent au bord du passage leur colonie d'Anæa[139]. La face Sud-Est de Samos, qui borde le détroit, est une plaine ondulée, bien arrosée, verdoyante, qui semble plus verte encore, comparée aux îles voisines[140] : l'île s'appela Μελάμφυλλος, à la sombre ramure, à cause de cette qualité du sol[141]. Cette plaine fleurie — la Fleurie, Άνθεμοΰς, est un autre nom de Samos — est limitée au Nord par une haute montagne, dont les chênes, malgré les déboisements de plusieurs siècles, fournissaient encore des chargements de valonée aux contemporains de Tournefort[142] : la Chesnaie, Δρυοΰσσα, est un autre nom de Samos.

Samos, disent les Instructions nautiques, est montagneuse. Ses deux principales élévations sont les monts Kerki et Ampelos. Le mont Kerki s'élève à 1440 mètres : les pics dénudés de pierre blanche, qui le forment et où se réfléchissent les rayons du soleil, font croire que son sommet est couvert de neige. Il est presque complètement entouré de précipices d'aspect imposant et d'une approche excessivement difficile[143].

Ce pic de 1500 mètres. bien isolé à l'Ouest de l'Île, se détache net et haut sur la pleine mer. Il apparait de loin, quand on aborde l'île par le Sud-Est ou le Nord-Ouest :

Nous entrons, raconte le voyageur anglais E. Clarke, dans le détroit qui sépare l'île basse de Nicaria des hauteurs effrayantes de Samos. La passe est difficile : une houle continuelle y roule lourdement. Est-ce ma longue accoutumance des plaines russes d'où j'arrive ? Est-ce la seule réalité ? Il me semble que je n'ai jamais vu montagne aussi ardue et aussi menaçante que cette pointe de Samos, dont la tète se perd dans les nues alors que tout le reste de l'Archipel est sans nuage, sous le ciel serein. On nous dit que cette tête de Samos apparaît très rarement dégagée[144].

Samos mérite donc son nom ; car nous avons vu que Samos est l'équivalent du grec ύψος, hauteur : Strabon sait encore que dans la vieille langue grecque ces deux mots étaient synonymes, έπειδή σάμους έκάλουν τά ύψη[145]. Nous avons vu déjà que presque toutes les langues sémitiques ont les racines sam'a, samma, avec le sens de s'élever, être haut. L'arabe et l'araméen ont l'épithète sain, haut, élevé : Samos serait donc Sama, la haute. C'est à une forme féminine, sam'a, en effet, qu'il faut penser, à cause des variantes, Samia, Σαμία, et Samè, Σάμη, qui alternent avec le nom de Samos, Σάμος : Samia ou Samè serait la transcription rigoureuse exacte de sam'a.

Dans la mer Ionienne, les Grecs ont une autre île de Samè, qui faisait partie du royaume d'Ulysse. Rocheuse, παιπαλόεσσα, dit l'Odyssée, montagneuse, όρεινή, dit Strabon, avec une haute tête dressée à 1600 mètres au-dessus de la mer, elle reçut des Grecs le nom de Tête, Κεφαλληνία ou de Crâne, Κρανία. Dans la légende locale, les héros Samos et Kranios, sont fils du Têtier. C'est dire que Samos, la Hauteur, a bien le même sens que Kephalos, la Tête. L'île tout entière mérite ce nom : Le mont Nero, disent les Instructions nautiques, est la plus haute montagne de Képhalonie. Elle a 1590 mètres et la chaîne atteint des altitudes de 700 à 1000 mètres. Le mont Nero est visible de 80 milles : c'est ordinairement la première terre que l'on aperçoive en venant de l'Ouest[146]. C'est bien l'Île Haute de cette mer : les terres voisines, quoique rocheuses et montagneuses aussi, apparaissent au marin comme des îles basses, χθαμαλή. Au pied des 1600 mètres de Képhalonie[147], Ithaque et ses deux masses de 630 et 650 mètres font piètre figure : malgré les collines et les monts qui en couvrent toute la surface, et malgré son manque de plaines et de prairies[148].

Ithaque est une île basse[149]. Les géographes de terre ne comprennent pas bien cette épithète, que les Instructions nautiques expliquent clairement : Ithaque est basse pour le poète odysséen, parce que, cachée derrière la tête de Képhalonie, elle n'apparaît pas de loin aux navigateurs.... Dans cette île de Samè, une ville porta le même nom, comme il arrive souvent dans les îles grecques. C'était la vieille capitale, assise sur le détroit en face d'Ithaque, tournant le dos à la capitale actuelle, Argostoli. C'était une ville haute à la mode homérique : tout au bord de la mer, elle est juchée sur un pic isolé qui dépasse 250 mètres de haut[150] ; nous aurons à la décrire plus en détail.

Les Grecs avaient une troisième Samos, la Samos de Thrace : Cette île de forme presque ovale, disent les Instructions nautiques, porte le mont Fengari (le mont de la Lanterne ou du Signal) près de son centre. Cette montagne s'élève à 1750 mètres au-dessus du niveau de la mer : c'est la plus haute montagne des îles de l'Archipel, si l'on excepte le mont Delphi d'Eubée et les Madara Vouna de Candie[151]. Ici encore, on comprend le nom de Samos, la Haute, Σάμος-ύψήλη, appliqué à cette île, et le nom moderne de Signal, donné à sa montagne. Le portulan de Michelot, — qui par un beau calembour nomme cette île Saint-Mandrache, — nous dit : Elle n'est pas grande, mais fort haute, tellement que quand on vient du cap Baba elle apparaît au-dessus de l'île Imbre[152]. Ce Signal guide le marin et annonce la tempête : Lorsque le sommet de Samotraki est couvert de nuages, on doit [quitter les côtes de Thrace et gagner le large] : cet avertissement est infaillible[153].

IV. — Au centre de la mer Égée se dresse un petit groupe d'îles, qui, séparées les unes des autres par d'étroits chenaux, forment autour de Paros, la plus grande d'entre elles, une sorte d'archipel au milieu de l'Archipel. Paros et sa tille, Antiparos, ont tout un cortège de suivantes, Strongilo, Despotiko, Pandro, Trio, etc. Cet archipel présente aux terres helléniques sa côte occidentale, façade malsaine, disent les marins, semée de roches et d'îlots, avec un port assez vaste, mais complètement ouvert aux vents d'Ouest : la capitale actuelle et ancienne de Paros fut installée par les Grecs en cet endroit ; aussi n'eut-elle jamais grand commerce ni grande importance. Les autres côtes de l'île, qui tournent le dos à la Grèce, ont, au contraire, de grandes rades bien abritées. Elles offrent aux marines étrangères des ports très sûrs et des aiguades abondantes. La côte Nord a dans la rade de Naoussa l'un des meilleurs ports des Cyclades, disent les Instructions nautiques, et l'un des plus grands : en 1770, la marine russe menaçant Constantinople vint s'établir là, juste en face des canaux insulaires qui mènent tout droit aux Dardanelles. Les ruines de l'établissement russe subsistent encore : on a dit parfois que le gouvernement russe continuait de secrètes négociations avec le gouvernement grec pour obtenir la concession à bail de ce mouillage et que les Russes tentaient de faire à Naxos ce que les Anglais font à Zéa, une station et un reposoir. Sur la côte Sud-Est de Paros, le port Trio est formé par deux îles qui sont devant et qui font trois entrées par lesquelles on peut entrer indifféremment, l'île Trio se trouve à six encablures du rivage : l'espace intermédiaire offre un bon mouillage d'été ; mais il est exposé aux vents du Sud-Ouest et du Sud, qui produisent une houle considérable et qui le rendent peu sûr en hiver ; l'aiguade peut alimenter une escadre[154] : c'est en ce port de Trio qu'au temps des Turcs le capitan-pacha venait chaque été mouiller son escadre. Semblablement, entre Despotiko et Antiparos, on a un bon mouillage d'été. Mais c'est au centre de notre archipel, sur la côte Sud de la grande île, que la passe entre Paros et Antiparos offre le mouillage le plus vaste, le plus sûr, le plus couvert, le plus conforme surtout aux nécessités du commerce levantin, grâce à son orientation vers le Sud-Est et vers Alexandrie, et du commerce primitif. grâce aux petites îles qui le ferment ou l'abritent : dans le milieu du canal, dit Tournefort, le fond est propre pour les plus gros vaisseaux[155].

En résumé, cet archipel, qui n'a aucun attrait pour les marines venues de l'Occident, offre au contraire d'excellents refuges aux marines venues de l'Est et du Sud. Paros, dans la tradition, passait pour le point d'appui de la thalassocratie crétoise. La tradition se souvenait aussi d'une colonie sidonienne qui vint s'installer à Antiparos appelée en ces temps anciens Oliaros, Ώλίαρος, Σιδονίων άποικία, dit Héraclide du Pont[156]. Le mot Oliaros, Ώλίαρος, ne veut rien dire en grec : il serait la transcription exacte du sémitique Ol-Iar, le Mont de la Forêt. L'Écriture nous offre des noms de lieux de cette espèce : Baal-Iarim, Kiriat-Iarim, le Lieu des Forêts, la Ville des Forêts. La Forestière, Ύλήεσσα, est un autre nom de Paros, dit Nicanor[157]. Je crois que cette Forestière est plutôt Oliaros-Antiparos. La confusion de Nicanor n'est pas surprenante. Paros, la plus grande île de cet archipel, était la seule que connussent la renommée populaire et la science des érudits. Paros accapara les vieux noms des petites îles voisines. L'exemple de Naxos doit nous instruire : Naxos, sous les Thraces, rapporte Diodore, s'appela la Ronde, Στρογγύλη ; la rade de Naxie, ouverte au Nord-Ouest, tournée vers la Thrace, est encore dominée par le mont Rond, Strongylo[158]. C'est le nom particulier du mouillage thrace que les auteurs ont ensuite appliqué à l'île tout entière. De même Paros accapara le nom du vieux mouillage primitif : c'est Oliaros qui est la Forestière. Dans les lexicographes, Paros a encore toute une collection de titres. Elle s'appelle Minoa, Μινώα : c'est un nom qui nous est familier. La côte Sud de Paros a dû voir en effet une Halte des marines orientales. Son îlot de Trio, au-devant de l'aiguade, ou quelque autre îlot côtier a pu être une Île Minoa, νήσος Μινώα, toute semblable à celles que nous avons étudiées : ici, Héraklès a sa place dans la légende des fils de Minos, parce qu'un autre îlot tout proche était l'île d'Héraklès, Ήράκλεια.... Paros s'appelle encore Δημητρίας, l'île de Déméter, et, comme ses prêtres de Déméter s'appellent Kabarnes, Κάβαρνοι, elle porte encore le nom de Kabarnis : ces deux mots Κάβαρνοι et Καβαρνίς sont inexplicables en grec.

Mais Paros a encore un autre nom : la Plate, Πλατεΐα. Ce nom grec doit nous arrêter. Nous ne pouvons examiner ici tous les doublets gréco-sémitiques de l'Archipel : voici peut-être un moyen facile et 'court d'expérimenter une fois pour toutes la valeur de notre procédé, car voici que nous pouvons en faire la contre-épreuve.

V. — Paros, dit Pline, s'appelle aussi la Plate, et c'est le nom le plus ancien, Paros, quam primo Plateam, postea Minoida vocarunt[159]. Πλατεΐα, la large, la plate, la Table, est une épithète étrange pour le cristal de marbre qu'est Paros. L'île a bien quelques plainettes sur les côtes Nord-Est et Sud-Ouest. Mais, avec le mont Saint-Élie, qui en occupe le centre et qui s'élève à près de 800 mètres, elle apparaît sur la mer comme un cône presque régulier : pour l'œil des marins, elle est tout juste le contraire d'une île plate. D'ailleurs, presque toutes les îles de l'Archipel et même toutes les grandes îles grecques présentent le même aspect. Une seule fait exception : L'île, disent les Inscriptions nautiques, a près de 5 milles ½ de longueur, un peu moins de deux milles de largeur et une hauteur maxima de 245 mètres ; ses rives, généralement élevées, sont formées de falaises blanches et à pic ; en général, l'île est plate et couverte d'une épaisse plantation d'oliviers[160]. Les Instructions ne font que répéter les portulans de Buondelmonte : Paxos, à son centre, du côté du soleil levant, est plate, ce qui permet d'y cultiver la vigne et les arbres fruitiers. Elle est pourvue d'un port très sûr[161]. Avec ses falaises à pic et sa plaine au sommet, voilà bien l'île du Plateau, l'île de la Table : cette île s'appelait et s'appelle encore Paxos, Πάξος. Or, dans la grande inscription phénicienne de Marseille[162], à la ligne 18, le mot פס, pax, est employé pour désigner l'inscription elle-même, la table de marbre sur laquelle est gravé le tarif religieux : les éditeurs du Corpus Inscriptionum Semiticarum[163] dérivent ce mot de la racine פסס, s'étendre : pax est donc l'étendue plate, le tableau, la table. Le mot revient avec le même sens à la ligne 20 de cette inscription et dans une inscription similaire trouvée à Carthage (l. 11)[164]. Pax est donc bien l'équivalent de Table, Πλατεΐα, et Paxos, Πάξος, en est une transcription exacte puisque le ס est cette lettre de l'alphabet phénicien, entre le n et le o, dont les Grecs ont fait leur ξ. Cela étant, on imagine, sans grand effort, comment une erreur de copiste ou de lecteur a fait entendre ou lire Paros, Πάρος, au lieu de Paxos, Πάξος, à Pline ou à l'auteur grec que Pline copiait. Paxos est l'Île de la Table, Τράπεζα, Τραπεζοΰς, Τραπεζών. Les falaises abruptes qui bordent et soutiennent sa plaine centrale correspondent à telle vue de côtes en forme de haute et abrupte table, décrites par Strabon[165].

Paxos est une île de la mer Ionienne, au Sud-Est de Korkyre, au Nord de Samè-Képhallénia, sur la côte des Thesprotes. Dans cette mer, les Phéniciens naviguent, et souvent, si l'on en croit l'Odyssée[166]. Nous avons déjà catalogué ces textes : J'étais allé trouver des Phéniciens illustres, raconte Ulysse ; je leur avais payé le passage sans marchander, et je les avais priés de me conduire et de me laisser soit à Pylos, soit dans l'Élide divine. Mais la navigation de cette mer ouverte n'est pas commode : rien n'abrite contre le sirocco du Sud-Est, qui souffle pendant plusieurs semaines, parfois durant toute une lunaison sans discontinuer. Ouvrons les Instructions nautiques : Le sirocco, soufflant de l'Afrique, prédomine en novembre et décembre et, après un mois d'intervalle, se fait de nouveau sentir en février et mars ; pendant la lunaison d'août et quelquefois aussi pendant celle de juillet, il se fait seul sentir ; il souffle partiellement pendant toute une lunaison et, après une courte période de calme, reprend de nouveau avec sa force ordinaire, pendant quatorze autres jours. Comme on le voit, juillet et août, c'est-à-dire les mois navigants, sont les mois du sirocco. Les Phéniciens, — dans le récit qui est une invention d'Ulysse, mais qui par cela même doit respecter d'autant plus les vraisemblances pour tromper l'auditoire, — les Phéniciens auraient bien voulu aller en Élide. Cette fois-là, par hasard, ils n'avaient pas l'intention de tricher. Mais, venus de Crète, le sirocco les chassa vers le Nord-Ouest et les jeta sur la côte d'Ithaque[167].

C'est une pareille navigation des Phéniciens qu'Ulysse invente encore au XIVe chant (v. 288-310). Ils allaient de Phénicie en Libye. Un bon vent, un traversier du Nord, les mena jusqu'à la hauteur de la Crète. Mais alors s'ouvrit la grande mer, sans île en vue : rien que le ciel et la mer. Il est si dangereux, dit le bon Tournefort, de passer de Candie aux îles de l'Archipel sur des bâtiments du pays.... Le trajet est de cent milles et ces bâtiments sont des bateaux de douze à quinze pieds de long, qu'un vent un peu violent renverse sans peine ; d'ailleurs, il n'y a point de reposoir en chemin, et c'est un grand malheur en fait de voyage de mer de ne savoir où relâcher quand on est menacé d'une tempête[168].

Quand nous eûmes quitté la Crète et que nulle terre n'était en vue, mais seulement le ciel et la mer, reprend Ulysse[169], Zeus fit monter au-dessus du vaisseau un nuage noir et toute la mer au-dessous s'assombrit : coups de tonnerre ; la foudre tombe ; le navire est chaviré. — En été, disent les Instructions nautiques de la mer Ionienne, on éprouve quelquefois des coups de vent, mais de courte durée, d'une couple d'heures peut-être ; ils sont très violents et dans les canaux intérieurs, entre les îles, ils sont annoncés par de gros nuages noirs, qui viennent sur ces bras de mer crever en grains dangereux, accompagnés de pluie ou de grêle si épaisse que toute vue de la terre avoisinante est cachée[170].

Donc le fils de Kronos fit monter une nuée bleu-sombre sur le vaisseau et la mer s'obscurcit en dessous, reprend Ulysse ; tous furent noyés ; mais Zeus me mit un mât entre les mains et sur cette épave, après dix jours, une grosse vague me roula à la côte des Thesprotes.

Ulysse invente ce naufrage et cette navigation en compagnie des Phéniciens. Mais tous les détails en sont empruntés à l'expérience journalière, vérifiable. La présence même des Phéniciens dans la mer Ionienne était donc alors un incident de la vie quotidienne. D'ailleurs, cette présence apparaîtra comme certaine à la première réflexion, et les archéologues, qui parlent avec un sourire du cliché de l'influence orientale, pourraient ouvrir quelquefois les yeux sur la réalité, sur les primordiales nécessités de la vie journalière. Ces coups de vent du Sud, ces rafales de sirocco, qui, de la mer Libyque jettent les barques vers le Nord, vers les côtes grecques ou épirotes, soufflaient alors comme ils soufflent aujourd'hui. Ils sévissaient en juillet, en août, durant des semaines, durant des mois. En pleine saison navigante, ils sont seuls, disent les Instructions nautiques, à se faire sentir. Les Phéniciens faisaient la navette dans cette mer Libyque, entre leurs métropoles de la côte syrienne et leurs colonies de la côte barbaresque. Il est impossible qu'ils aient navigué durant des siècles entre Tyr et Carthage, sans que plusieurs de leurs vaisseaux, chaque année, aient eu à essuyer, dans les parages de la Crète et de l'Afrique, quelque coup de sirocco qui les chassait au Nord, jusqu'au fond de la mer Ionienne. Aussi, quand M. Oberhümmer a voulu regarder de près la toponymie de cette mer, il a immédiatement retrouvé le souvenir de ces navigateurs phéniciens sur la côte d'Acarnanie[171]. Nos doublets, Paxos-la Table, Πάξος-Πλατεΐς, Samos-la Tête, Σάμος-Κεφαλληνία, datent de cette époque.

VI. — Voici un dernier doublet de l'Archipel, qui nous expliquera mieux aussi quelques passages de l'Odyssée. Entre les côtes d'Asie Mineure et les côtes de Grèce, le pont des Cyclades n'est interrompu que par le large canal qui sépare Icaria de Mykonos, Amorgos de Léros, Astypalée de Kos. Les autres chenaux insulaires sont sans largeur. Ce canal est, au contraire, un abîme de mer, aux yeux des marins prudents. En son milieu cependant, entre Amorgos et Léros, la traversée est rendue plus commode et moins longue par deux îlots rocheux qui le barrent et qui peuvent quelques instants servir d'abri, les deux îlots de Kinaros et Lébinthos. Aussi, pour atteindre les fies et les côtes helléniques, les marins orientaux choisissent de préférence cette traversée. Amorgos leur offre, après ce long trajet, un reposoir assuré avec de bons ports et des aiguades.

La côte Sud d'Amorgo est une succession de falaises énormes d'une grande hauteur, d'où les rafales tombent avec fureur pendant les coups de vent de Nord, balayant l'eau en écume. Les navires qui longent cette côte devront s'en tenir à grande distance ; on n'y trouve ni abri ni mouillage. Mais la côte N.-0. offre deux bons mouillages, Port Vathy et Kakokeraton. Port Vathy (le Port Profond) est un petit port sûr, bien que les coups de vent de N.-E. y soient violents. Mais la tenue est bonne et les navires y sont à l'ancre en sûreté. Il n'y a aucun écueil à redouter en entrant dans le port, car le rivage est accore tout autour. La baie Kakokeraton est entre la côte d'Amorgos et l'îlot Nikiterio, qui a 2 milles ½ de longueur et un peu plus de ½ mille comme largeur extrême ; il s'élève brusquement à une altitude de 348 mètres. Comme son gisement est un peu oblique à la côte d'Amorgos, il forme avec elle une baie dans laquelle un navire peut mouiller ; mais il est absolument nécessaire d'avoir un vent bien établi pour entrer, car on est exposé à des calmes, à des rafales et à des vents variables. — A l'extrémité N.-E. d'Amorgos, la baie de Santa-Anna a ¾ de mille de profondeur et près de ½ mille de largeur au fond, où il y a une plage de sable et quelques maisons isolées. Elle est ouverte à l'Ouest et a de grands fonds. Cependant un navire pourrait, en cas de nécessité, mouiller dans le N.-O. un ruisseau de bonne eau douce se jette dans la baie[172].

L'Amorgos des Anciens avait ses deux ports à Santa-Anna et à Port-Vathy. Sur la plage de sable de Santa-Anna, c'était Aigialè, la Plage, Αίγιάλη. Dans le cercle profond de Port-Vathy, c'était Minoa, Μινώα. L'île tout entière s'appelait aussi la Toute-Belle, Παγκάλη : Héraclide convient qu'Arnorgos étoit une île très fertile en vins, huile et autres sortes de denrées. C'est pour cela que Tibère ordonna que Vibius Serenus y seroit envoyé en exil : cet Empereur étoit d'avis que lorsqu'on donnoit la vie à quelqu'un, il falloit aussi lui en accorder les commodités. L'île est bien cultivée aujourd'hui. Elle produit assez d'huile pour ses habitants et plus de vins et de grains qu'ils n'en sauroient consommer. Cette fertilité y attire quelques tartanes de Provence[173], dit Tournefort ; et les Instructions nautiques ajoutent : L'île est passablement bien cultivée et l'on y rencontre des endroits d'aspect agréable dans les étroites vallées qui courent entre les collines[174]. L'île portait encore le nom de Psychia, ψυχία, l'Île du Souffle. Un texte d'Hérodote va nous donner la juste valeur de ce terme dans la langue des navigateurs : La flotte arrivée sur cette plage, on souffla et l'on hala les navires à sec[175]. La Plage, Aigialè, d'Amorgos offre un pareil rivage à l'échouement des navires. Venus du Sud-Est, les marins soufflent vraiment en ce refuge. Car il leur a fallu traverser le grand abîme, qui sépare d'Amorgos les îles asiatiques, puis doubler le coup de rame quand la côte Sud-Est de l'île leur est apparue. Cette côte terrible, d'où les rafales tombent avec fureur, balayant l'eau en écume, est toute semblable à telle côte odysséenne qui se dresse fumante d'embrun et fouettée de grosses vagues retentissantes[176].

Attention, dit Ulysse, que tout le monde écoute bien ! tenez ferme sur les bancs et pesez sur les rames : la côte est accore ; il ne faut pas craindre de taper fort dans l'eau ; il s'agit de ne pas rester là-dessous, mais, si Dieu le veut, de nous en tirer[177].

On double le coup de rame et l'on passe ; mais, de l'autre côté, on éprouve le besoin de souffler, et rien n'est bon alors comme une plage éventée où l'on peut tirer le vaisseau et manger ou dormir au frais : quand Ulysse a franchi les roches grondantes, il est forcé, par la révolte de son équipage. de relâcher dans le Port Creux, auprès d'une aiguade. Cette description odysséenne de la Skylla de Sicile peut s'appliquer tout entière aux roches d'Amorgos : Sur la côte Sud, dit Buondelmonte, de hautes montagnes rocheuses se dressent menaçantes et terribles pour les navigateurs. Car la mer, agitée par ta violence des vents. va se briser sur les rocs et ne diffère en rien de Charybde et Scylla. Aussi la fréquence des naufrages dans ces parages en éloigne autant que possible les marins et leur rappelle que des galères vénitiennes y furent jadis englouties[178].

Sur la côte Nord-Est d'Amorgos, une fois les falaises contournées, les marins orientaux trouvaient dans la baie de Santa-Anna une plage. une source el les souffles frais des vents du Nord. C'était bien la Plage du Souffle, où l'on séjournait un peu avant d'atteindre le Port de la halte, Minoa. Or les Septante traduisent par άνάψυξις, rafraichissoir ou souffloir, le mot hébraïque margoa ou morgoa, dans le passage de Jérémie que voici : Le Seigneur dit : Dressez-vous sur les routes et regardez, et voyez quelle est la bonne route et vous trouverez un reposoir pour vos âmes (ou pour votre souffle, car le mot naphes a le double sens du grec ψύχη et du latin anima)[179]. Ce reposoir pour le souffle ou pour l'âme, margoa, est bien l'équivalent du grec άνάψυξις (Hérodote employait le même mot άνέψυχον) et l'on comprend que A-margo ou Amorgos (les marins l'appellent Morgo ou Mourgo ; nous avons en tête soit un a prothétique, soit l'article sémitique ; nous connaissons déjà le Nombril, At-Labour, Άταβύρον), l'Île du Souffle ou du Frais, soit aussi l'Île de l'Âme ou du Souffle, Ψυχία.

Il semble donc que l'Île d'Amorgos, avec son port de Minoa, reçut les Phéniciens. Ils y implantèrent l'industrie de la pourpre : les étoffes teintes en pourpre d'Amorgos restèrent célèbres durant toute l'antiquité. Cette industrie un peu transformée se maintint jusqu'à nos jours : Une espèce de lichen, très commune sur les rochers de l'île et sur ceux de Nicouria, s'y vend encore dix écus le quintal pour la transporter à Alexandrie et en Angleterre, où l'on s'en sert pour teindre en rouge, comme nous nous servons de la parelle d'Auvergne[180].

 

Pour le nom de Syros, l'antiquité ne nous a transmis aucun doublet de la forme Kasos-Akhnè, Rhèneia-Kéladoussa, Oliaros-Hyléessa, Paxos-Plateia, etc. Mais ce nom de Syros rentre dans la colonne des noms de l'Archipel qui sont inexplicables en grec. Si quelques-uns de ces noms préhelléniques ont gardé, grâce à leur doublet, leur marque d'origine, les autres présentent toujours une étymologie sémitique très valable. Puisque nous avons posé la règle stricte des doublets, déclarons dès l'abord que cette étymologie n'est pas complètement certaine. Je ne la crois pas moins complètement vraisemblable. Prenons l'exemple des deux noms insulaires Siphnos et Sériphos.

L'Odyssée et les navigateurs modernes nous ont parlé des îles granitiques ou calcaires de l'Archipel et de leur salubrité. Tournefort et Choiseul-Gouffier nous vantaient surtout le climat et l'air de Siphnos. Cette île, dans l'antiquité, portait aussi les noms de Merope ou Meropia, et de Akis, Siphnos ante Meropia et Acis appellata. Le nom grec Akis doit s'expliquer par la racine grecque άκέω, soigner (la langue commune emploie plutôt άκος, remède ; mais Galien désigne par άκις une sorte de bandage). Akis pourrait donc signifier la guérison, et, comme nom de lieu, le sanatorium : le texte de Tournefort nous dit assez que Siphnos, la saine et fraîche Siphanto, méritait ce nom. Or, de la racine sémitique rapa, guérir, se forment régulièrement les noms d'instrument et de lieu merapa et merop'a, dont μερόπη, μεροπία seraient une transcription exacte ou, du moins, une adaptation à peine hellénisée : une inscription phénicienne cite un dieu de la Santé, Baal Sanator, traduisent les éditeurs du Corpus Inscript. Semiticarum, Baal-Merape[181]. Ce doublet nous prouve donc que l'île Merape, ou l'un des mouillages de cette île, dut ce premier nom aux marines phéniciennes. Le nom même Siphnos, qui n'offre pas de doublet, me semble de même origine.

Les deux îles, Siphnos et Sériphos, sont toutes voisines. Elles ne sont pas indépendantes l'une de l'autre. Du moins, elles peuvent avoir d'étroites relations commerciales, dans un certain état de navigation. Pour les marines grecques. venues de l'Ouest, Sériphos n'avait, comme Paros et comme Naxos, aucune importance. Rocheuse et dénudée, la côte occidentale de Sériphos n'offre, en face des ports grecs, que des falaises abruptes, à peine interrompues par quelques rades ouvertes. L'île est inabordable de ce côté. Ses façades de l'Est et du Sud, au contraire, ont des ports excellents et des champs fertiles. Au Sud-Est surtout, s'ouvre le grand port de Livadi, qui s'enfonce dans les terres pendant environ trois quarts de mille, avec un tiers de mille environ de largeur : on y trouve un bon mouillage par tous les temps. La ville de Livadi, bâtie sur une colline conique au fond du port, contient presque toute la population de l'île : on peut se procurer un peu d'eau douce à des puits au fond du port[182]. Siphnos est orientée comme Sériphos, tournant aussi le dos à la Grèce et n'offrant sur sa côte occidentale que deux ou trois baies ouvertes et sans abri[183]. Les seuls mouillages fréquentables s'ouvrent dans la côte Sud-Est : les petits bâtiments peuvent mouiller en dedans de l'îlot Kitriani, tenue médiocre ; le port de Pharos, praticable seulement pour les caboteurs, a un fond de meilleure tenue ; on peut également mouiller dans la baie de Platiala par les vents du Nord. lorsqu'ils ne soufflent pas trop fort, car autrement les rafales qui tombent de la haute mer sont terribles et un navire sous voiles ne peut les supporter. Aux petits navires de la première antiquité, cet îlot de Kitriani offrait un mouillage de choix, en face d'une ville et d'une source Minoa dont parlent quelques lexicographes. Buondelmonte connaît encore, dans ce mouillage auprès de la source, des ruines antiques : Ad meridiem portus concluditur olim cum urbe diruta, quæ num Platialos (en face de Kitriani) et in conspectu scopulum Chitriani dictum videmus : in medio turris erigitur Exambeles dicta, a qua fons emanat usque mare in quo hortus omnium virescit pomorum[184]. Pour les Italiens venus du Sud-Ouest, ce mouillage est excellent. Pour les marines sud-orientales, il était plus commode encore : les pirates au temps de Pompée fréquentent cet îlot, dit une inscription[185].

Je crois inutile d'insister encore sur le rôle, aux temps primitifs, de ces flots parasitaires. Le nom de Minoa, Μινώα, que nous retrouvons ici nous est familier. Nous avons ici encore, dans cette île et ville Minoa, une vieille Halte phénicienne, et la source Minoa est semblable à ces Eaux de la Halte dont parlent les Psaumes, Me-Minoha[186].

Mais cette halte, pour l'exploitation de l'île, n'était que secondaire ; le vrai port devait être ailleurs. La richesse de l'île n'est pas sur cette côte. Siphnos est bien cultivée. Pourtant son antique fortune ne lui venait pas des champs, mais des mines d'or et d'argent, qui en avaient fait l'île la plus riche de l'Archipel[187]. Ces mines disparurent ensuite sous une invasion de la mer. Elles sont visibles encore sur la côte Nord-Est : leur entrée, située au pied d'une falaise, est étroite, basse et taillée dans le roc ; par le fait de l'empiétement de la mer, un grand nombre de creusets sont entièrement submergés[188]. Cette côte Nord-Est est un mur abrupt, continu, qui n'a ni port ni mouillages même temporaires. Les Instructions nautiques nous ont d'ailleurs prévenus que, dans l'Archipel, on ne peut jamais mouiller sur la côte Nord d'une île, même quand soufflent les vents du Sud. Ces mines côtières de Siphnos seraient donc inexploitables par mer. Mais juste en face des mines de Siphnos, la côte méridionale de Sériphos présente sa belle et profonde rade de Livadi, ou une marine venue du Sud-Est ira tout droit relâcher.

Je crois donc que Kiepert a raison de voir dans Sériphos la Fonderie, et dans Siphnos la Mine des Phéniciens[189]. La racine s. r. p., en effet, désigne tous les changements que l'on fait subir au métal, fonte ou épuration : sareph ou seriph'a, nous conduirait à la transcription Seriphos, Σέριφος. La racine s. p. n., nous est déjà connue par I-spania. Nous avons vu qu'elle signifie cacher, enfouir, creuser : le participe sapoun ou sapin signifie le (trésor) enfoui. Pour rendre compte de la transcription Siphnos, il faut supposer une forme, régulière d'ailleurs, siphn'a, qui nous donnerait Siphnia et Siphnos, Σιφνία et Σίφνος, comme Sarnia et Samos, Σαμία et Σάμος, sont venues de sam'a. A défaut d'un doublet, la topologie de ces deux îles nous explique sûrement, je crois, leur toponymie. Quand les mines de Siphnos sont exploitées par des gens de la mer, c'est au port de Sériphos, tout voisin, que ces navigateurs vont traiter les minerais. De la mine à la fonderie, et réciproquement, le voyage est commode, grâce à l'alternance des brises de terre et de mer qui soufflent matin et soir sur tous les bords des continents et des îles. Nous savons au reste que les Phéniciens furent les premiers exploitants de ces mines insulaires. Les mines d'or de Thasos, au dire d'Hérodote, avaient été découvertes et exploitées par eux : au temps d'Hérodote, on montrait encore leurs galeries, et le nom de l'île, disait-on, était venu d'un certain Thasos, compagnon de Kadmos[190] : auri metalla et conflaturam Cadmus Phœnix invenit ad Pangæum montem[191].

Comme Siphnos et comme Sériphos, je crois avec Kiepert que Syros est un nom sémitique, la transcription grecque du phénicien Sor ou Sour, la Roche. Cette transcription de עוך, Sour, en Suros est régulière : nous avons vu déjà que les Grecs rendent le ע tantôt par un σ et tantôt par un τ. Ce mot עוך, Sour, lui-même est le nom d'une ville phénicienne, qui, oubliée aujourd'hui sous les masures d'un pauvre village et sous le déguisement arabe de Sour, joua le rôle que l'on sait quand elle portait le nom de Tyr. Τύρος, Tyr, disait le peuple grec ; mais les érudits écrivaient Sor, Soor, Sour, Syr, etc., Σόρ, Σοόρ[192], Σούρ[193], Σΰρ[194]. En outre, ils savaient que Syr, Σΰρ, inusité chez leurs compatriotes, était un nom historique, le nom primitif du pays phénicien[195]. Homère appelait ce pays Sidonie : les Grecs postérieurs l'appelèrent Syrie. Entre ces deux noms il y a sans doute le même parallélisme qu'entre Tyr et Sidon. Tant que Sidon fut la ville principale et le grand entrepôt de cette côte, tout le pays pour les navigateurs étrangers était la Sidonie. Quand Tyr ou Syr devint le centre des affaires et la métropole des colonies nouvelles, les marins ne connurent que la Tyrie ou Syrie. Ce nom donné d'abord à la côte fut ensuite étendu aux montagnes et aux plaines de 'Intérieur : la Palestine, originairement le pays des Philistins maritimes, est devenue pour nous toute la région continentale que horde cette côte philistine.

Dans les terres grecques, nous avons vu déjà la formation des noms de pays tirés d'un nom de ville ou réciproquement. Ce n'est pas autrement que Syrie, pour le poète odysséen, est la terre, l'île de Syros. Car Syros, à proprement parler, est un nom de ville dont la traduction exacte serait La Roche : Il y a devant la ville de Sur (Tyr), en la mer, quatre ou cinq grosses roches et longues, dont les aucunes appèrent ung peu hors de l'eaue et les autres non, lesquelles font le port de Sur, dit le voyageur Ghillebert de Lannoy, et les Instructions nautiques ajoutent : Le mouillage de Sour (ancienne Tyr) est abrité par une suite d'îlots, de rochers et de hauts-fonds. Un certain nombre de rochers se projettent du côté Sud-Ouest ; à l'Est de ces rochers, se trouvait autrefois un port formé par des jetées construites dessus[196].Les Phéniciens avaient dans l'Archipel leur petite Tyr. Syros, comme les Grecs plus tard eurent dans le Nil leurs petites Chios, Samos, etc.[197]

Toutes les descriptions de Syra justifient ce nom : Le bourg, dit Tournefort, est à un mille du port, tout autour d'une colline assez escarpée, sur laquelle sont situées la maison de l'évêque et l'église épiscopale[198]. — Syra, reprend Choiseul-Gouffier, n'est aujourd'hui qu'une petite ville située sur la pointe d'une montagne ; tous les habitants de file y sont rassemblés au nombre de quatre mille, et l'on ne trouve dans l'intérieur du pays que les ruines des villages qu'ils ont abandonnés[199]. La rade de Syros est, en effet, cerclée de très hautes montagnes qui ne laissent entre elles et la mer qu'une petite demi-lune de plaine accidentée. Au centre de cette demi-lune, se dresse une haute colline effilée, de pente régulière, de base assez large, de sommet tout à fait pointu, un cône de rochers, qu'une gorge circulaire sépare des montagnes environnantes, tandis qu'une plage étroite le relie à la mer. C'est autour de ce cône, vers le sommet, depuis le milieu de la pente jusqu'à l'extrémité de la pointe, que la vieille ville catholique de Syra s'était étagée. Au sommet, la maison de l'évêque et l'église des Capucins étaient protégées par le drapeau du Roi. En bas, mais jusqu'à mi-côte seulement, le troupeau serré des cases blanches était suspendu, n'osant pas s'aventurer jusqu'à la mer.

Au XVIIIe siècle, au temps des corsaires, francs, turcs ou indigènes, la ville perchait ainsi sur sa colline, à un mille du port. Depuis dix siècles, peut-être, elle n'osait plus descendre, par crainte des coups de main. Aujourd'hui, Syros a deux villes : au pied de la vieille Syra, qui reste autour de sa colline, la ville neuve, la ville du commerce, Hermopolis, a peuplé de ses quais, de ses magasins et de ses bureaux le bord de la rade et la plainette intermédiaire. Les ruines antiques, qui jonchaient le sol d'Hermopolis, et les trouvailles, que journellement on y fait, montrent bien que durant l'antiquité une assez grande ville s'élevait déjà au bord de l'eau. Mais de quand datait cette ville maritime ? L'histoire moderne de Syra nous peut renseigner sur son histoire antique. Les villes ne descendent à la mer que durant la paix : l'ancienne ville côtière date de la paix hellénique et romaine. Aux temps primitifs, aux temps des pirateries kariennes, phéniciennes et crétoises, Syros devait se tenir sur sa roche pointue et se garder des corsaires : Les vieilles villes, dit Thucydide, dans les îles et sur les continents étaient plutôt fondées loin de la mer, à cause des pirates qui venaient enlever tout ce qui bordait la côte ; c'était le temps où la piraterie occupait les insulaires, pour la plupart Kariens et Phéniciens, car c'étaient ces gens-là qui habitaient la plupart des îles[200]. Dans l'Odyssée, pourtant, Syros a deux villes, qui se partagent tout le territoire de l'île ; mais sur elles règne un seul et même roi[201].

Ou aurait tort, je crois, de songer à la double ville d'aujourd'hui. Il ne faut pas imaginer, pour ces temps primitifs, une vieille ville sur la roche et une ville neuve au port : le texte même de l'Odyssée n'admet pas une pareille interprétation. Les deux villes, qui se partagent tout le territoire, doivent avoir chacune son domaine : elles sont éloignées l'une de l'autre. De plus, tout le récit qui va suivre aura deux théâtres, la ville haute avec son palais et ses ruelles, et la source avec son lavoir : Si vous me rencontrez soit dans les rues, soit à la source, dit la nurse[202]...

C'est dans la ville haute que le père d'Eumée a son palais ; c'est à la source que sont campés les Phéniciens, près du vaisseau qu'ils ont tiré à sec. C'est à la ville haute que montent les Phéniciens pour offrir leurs colliers et autres superfluités ; c'est à la source, pour laver, que descend la nurse d'Eumée. C'est là qu'un jour elle se laisse enjôler par l'un de ces Phéniciens : en plein air elle s'abandonne. Quelle que fût la liberté de ces mœurs primitives, il fallait encore que l'endroit fût désert, écarté de la ville ; il est vrai que la coque du navire les cachait un peu[203].

La Syra de Tournefort a, pareillement, la maison de l'évêque sur la pointe de sa colline et la principale fontaine de l'île coule tout au fond d'une vallée, assez près de la ville[204]. C'est donc la même disposition des lieux qu'aux temps homériques, la ville en haut, la source en bas. Au temps de Tournefort, un mille environ de terrains vagues s'étend entre la ville et la plage, et le même intervalle existe aussi dans la Syros homérique. Car, le soir de l'enlèvement. Eumée et sa nurse descendent par les ruelles obscures, puis, la ville quittée, ils s'en viennent en courant vers le port, où les Phéniciens ont amené leur navire remis à flot[205].

Il semble donc que le poète ancien ait eu de Syros la même vision que le voyageur moderne. Il ne devait connaître qu'une ville auprès de la rade, une ville haute, suivant la fréquente épithète homérique, et c'est peut-être cette épithète homérique même de Aipeia qui serait la meilleure traduction du sémitique Sour. Voici du moins à l'appui de cette traduction quelques-uns de ces doublets gréco-sémitiques, auxquels il faut toujours revenir.

En Chypre, nous avons expliqué déjà l'origine et le sens du doublet Aipeia-Soloi, la Ville Ardueles Roches ou les Pierres. Les poèmes homériques mentionnent une autre Aipeia en Messénie. C'est l'une des sept villes messéniennes, toutes voisines de la mer[206], qu'Agamemnon veut donner à Achille.

Quelques-unes de ces villes messéniennes se maintinrent dans la Grèce hellénique : Kardamylè, la Cressonnière, a duré jusqu'à nous. Mais, déjà au temps de Strabon, bien des noms homériques n'étaient plus exactement localisés. Comme Antheia, la Fleurie, comme Hiré, la Sainte, comme Enopè (qui semble n'avoir aucun sens en grec), comme Pédasos, la Ville du Bond (??), Αΐπεια, la Roche-Ardue, disparut aux temps historiques et, suivant l'opinion des géographes. le nom de Koronè, de Méthonè ou de Thouria l'avait remplacé. Strabon penche pour Thouria, parce que cette ville, dit-il, est bâtie sur une haute colline et mérite ainsi le nom d'Ardue[207]. Thouria était bâtie sur la rive gauche du Pamisos, à ta lisière de la plaine marécageuse, à quatre-vingt-huit stades de la mer, — dix-huit kilomètres : à peu près la distance d'Athènes au Pirée, — un peu au Nord du port actuel de Kalamata et sur les premiers contreforts du Taygète[208]. C'est le type des anciennes villes, écartées de la mer à cause des pirates, habitées tant que dure la piraterie, puis désertées quand les pirates ont disparu[209]. Les gens de Thouria, dit Pausanias, habitaient autrefois leur ville perchée sur la hauteur ; mais, par la suite, ils sont descendus vers la plaine et c'est là qu'ils habitent aujourd'hui. Pourtant ils n'ont pas entièrement abandonné la ville haute ; ils y gardent encore, parmi les ruines de leurs murailles, un sanctuaire qu'ils nomment le Temple de la Déesse Syrienne[210]. Ainsi — nous l'avons vu — font encore aujourd'hui les gens de Kalymnos. Au temps des corsaires francs et des pirates turcs ou chrétiens, ils habitaient loin de la mer, au sommet d'un morne, au centre de l'île. Aujourd'hui, descendus à l'Échelle, ils ont abandonné la vieille ville dont ils continuent pourtant à entretenir les églises : ils y remontent pour les fêtes de la Vierge et de leurs autres patrons.

Dans la vieille Thouria, le culte de la Déesse Syrienne semble avoir surpris Pausanias lui-même : Ils disent que c'est un temple de la Déesse Syrienne. Le culte de la Déesse Syrienne lui est pourtant familier : la Déesse Syrienne a conquis le monde gréco-romain. Mais, venue récemment de la mer, c'est dans les ports et dans les villes du temps, c'est-à-dire, par ce temps de paix romaine. dans les villes de la plaine et de la mer, que la déesse s'est installée. Ici, nous la trouvons dans une vieille ville. Faut-il penser que ce culte remonte aussi haut que celui des déesses levantines, Aphrodites et Isis, dans l'Aipeia-Soloi de Chypre[211] ?... En tout cas, le nom de Thouria semble de même époque que Soloi. טיך, thour, signifie en araméen, montagne, rocher, et en hébreu pierre debout, colonne. Le doublet Aipeia-Soloi aurait son équivalent dans Aipeia-Thouria : la Thouria de Pausanias serait bien l'Aipeia homérique. Un autre doublet nous en fournit la preuve complémentaire. On trouve en Béotie, sur la terre de Kadmos, une montagne que les Grecs appellent Όρθόπαγος, la Roche debout, mais qui porte aussi le nom de Thourion, Θούριον[212]. Cette roche était voisine de Chéronée et c'est Plutarque, natif de Chéronée, qui nous donne ce renseignement : il faut noter la minutieuse symétrie du doublet ThourionOrthopagos. — La transcription טיך, thour, en Θούριον ou Θουρία va de soi, bien que souvent le ט, surtout initial, soit rendu en par les Grecs et non en τ. comme ici. La terminaison ιον, ια, nous conduirait, je crois, à la forme pluriel thourim, ou thoure, si l'on suppose l'état construit, suivi d'un déterminatif qui a disparu —.

Ce mot thour des Araméens nous ramène à Syros, car ce mot araméen est l'équivalent exact du Sor ou Sour hébraïque. Notre Syros était une autre Aipeia. Il faut nous la représenter dans ces temps lointains comme toute semblable à la Thouria messénienne, c'est-à-dire toute semblable aussi à la Syra de Tournefort ou encore à la Pylos homérique[213]. Elle laisse sa plage de débarquement inhabitée : l'indigène n'y descend que pour les affaires commerciales et pour les cérémonies religieuses ; mais les étrangers y étalent leurs marchandises, comme dit l'Iliade en parlant du cratère phénicien d'Achille. Une ville haute s'étage sur les premières collines de l'intérieur. Mais, d'après le texte odysséen, l'île doit avoir une seconde ville. De tout temps, les îles de l'Archipel ont eu au bord de la mer leur ville principale que les insulaires appellent du nom générique de chora, χώρα. Mais, à l'intérieur ou sur d'autres rades, elles ont des villages, des dèmes, parfois plus importants que la chora même. Naxos aujourd'hui a deux villes. Naxie sur la côte, Tragéa à l'intérieur. Kéos, aux temps helléniques en avait eu quatre[214]. Les géographes classiques ne nous mentionnent qu'une cité dans l'île de Syros[215] ; mais les inscriptions nous fournissent la dénomination de naxien ou naxitais qui est appliquée certainement à des citoyens de Syros et qui ne peut être qu'un démotique[216]. Il y avait dans l'île. outre la ville de Syros, un dème de Naxos. Ce dème représenterait pour moi l'autre ville de l'Odyssée.

Les agglomérations urbaines varient beaucoup dans les îles de l'Archipel, suivant l'état de civilisation et surtout suivant le métier dont vivent les indigènes : Kéos, dit Strabon, avait autrefois quatre villes : il ne lui en reste plus que deux aujourd'hui, Karthaia et Ioulis, qui se sont annexé les habitants des deux autres[217]. Quand les insulaires vivent de leurs champs, de leurs vignes, de leurs oliviers, ils se disséminent sur toute la surface de l'île, et leurs villes se partagent tout le territoire : c'est l'état que l'Odyssée nous décrit pour la Syros de son temps. Quand les insulaires vivent du commerce et de la navigation, de la mer, ils affluent vers le rivage et se groupent au port principal : leurs petites villes paysannes viennent se fondre dans une capitale unique. La Syros primitive était dans le premier de ces états : les Phéniciens tiennent alors le commerce ; les indigènes cultivent ; Syros peut avoir deux petites villes. Plus tard, aux temps helléniques, ce sont les insulaires qui naviguent : Syros n'a plus qu'une thora et son autre ancien bourg des Naxitains tombe au rang de dème inconnu.

Les dernières découvertes archéologiques pourraient localiser ce dème de Naxos au lieu dit actuellement Chalandriani. A cet endroit, du moins, à ce seul endroit de l'île, en dehors de la ville actuelle, les fouilleurs ont découvert des tombeaux en grand nombre : certains archéologues rattachaient ces tombeaux à la période karienne[218] ; d'autres, au contraire, affirmaient qu'ils sont de l'époque romaine[219]. Les fouilles de Ch. Tsountas ont tranché la question : nous avons ici une station de l'époque dite mycénienne, préhellénique[220]. En ce lieudit, situé à l'extrémité septentrionale de l'île, est une sorte de butte conique, voisine de la mer et toute proche d'une fontaine. Les environs, dit Tsountas, sont fertiles et de bonne terre. Deux vallons aboutissent à la mer en des mouillages abordables. Une petite ville y aurait donc trouvé place et ressources : une enceinte de tours et de murailles écroulées la dessine encore ; les indigènes l'appellent le Château, Kastri. Le nom de Naxos conviendrait bien à cette butte qui commande le plateau découvert et qui de toutes parts domine la mer et surveille les passes du Nord. Ce nom de Naxos, Νάξος, en effet, que l'on retrouve dans une île voisine, et en Sicile, et sur la côte de l'Afrique carthaginoise, appartient comme Syros à la classe des noms insulaires, qui, inintelligibles en grec, ont une explication sémitique : nax, signifie en hébreu le signal, σημεΐον, traduisent les Septante, signal de guerre ou signal maritime, mais surtout signal de guerre, que l'on dresse au sommet des monts pour rassembler les guerriers. Diodore nous apprend que l'île de l'Archipel avait reçu le nom du héros carien Naxos, fils du Guerrier : c'est toujours le même procédé hellénique, tirant de nax, signal de guerre, le héros Naxos, fils du guerrier Polémon. La transcription de Nax, en Naxos, serait aussi régulière que celle de Pax, en Paxos. Et ici, encore, nous aurions pour certifier notre étymologie un doublet gréco-sémitique : l'île de Naxos, avec son échine de montagne à trois pointes, se présente au-dessus de la mer comme un gigantesque fronton dont la pointe porte aujourd'hui le nom de Phanarion, le mont Lanterne, le mont Signal.... Mais nous étudierons ce doublet à propos de la Naxos de Sicile, qui, elle, est indubitablement une fondation phénicienne. Située sur la côte occidentale du détroit sicilien, marquant l'entrée de ce détroit pour les marins de Sidon ou de Carthage, qui viennent de l'Afrique, cette Naxos de Sicile fut le même Signal, la même Colonne, que fut plus tard pour les marins de Home la Columna Rhegia dressée sur la rive italienne pour indiquer aux barques romaines le point de passage le plus commode. A l'entrée du détroit vers Rhèneia ou vers 'films, notre Naxos de Syra serait un pareil Signal.

 

 

 



[1] Rhein. Mus., 1894, p. 111 et suiv.

[2] Strabon, X, 5. 8 ; Eustathe, Comment., 1787, 15.

[3] Voir Schlegel, De Geogr. Hom., p. 62 : Buchholz, Hom. Real., I, p. 256.

[4] Görlitz, Der Himmel und die Himmelsersehein., p. 10.

[5] Thucydide, VI, 5 ; I, 59, etc.

[6] Eustathe, Comment., 1787, 15.

[7] Eustathe, Comment., 1787, 15.

[8] Voir Buchholz, Hom. Real., I, p. 30.

[9] Pour ceci, voir Buchholz, Homer. Real., I, p. 28 et suiv.

[10] Voyage du Levant, II, p. 7.

[11] Odyssée, VII, 321-322.

[12] W. Helbig, l'Épopée Homérique, trad. Trawinski., p. 24 ; la Question mycénienne, p. 55.

[13] Perrot et Chipiez, VII, p. 279.

[14] Cf. Oper. et Dies, v. 111 sqq.

[15] Voyage du Levant, I, p. 177.

[16] Choiseul-Gouffier, I, p. 15. William Turner, Journal of a Tour in the Levant, I, p. 51 : The sailors of Milo are reputed to be the best pilots in the Archipelago. Michili, our pilot, spoke very good english and held the post of English vice consul in the island.... — The population of the Island is now (1812) only 2.300, whereas before the town alone contained 10.000. The depopulation has been more systematically promoted by the badness of the water and the unwholesomeness of the air.

[17] Tournefort, I, p. 202-205.

[18] Choiseul-Gouffier, I, p. 25.

[19] Instructions nautiques, n° 691, p. 174.

[20] Tournefort, Voyage du Levant, II, p. 2-5.

[21] Thévenot, I, chap. 69.

[22] Instructions nautiques, n° 691. p. 182.

[23] Cf. Diplom. and Consulat. Reports, n° 2252, p. 4 : In the part years, the merchants of Syra placed all their reliance in the transit trade, which carned the prestige of Syra as a trading centre.

[24] Choiseul-Gouffier, I, p. 15.

[25] Cf. Diplom. and Consular. Reports, n° 2252 (mai 1899), p. 1 et suiv. : There are unmistakable indications that the near future of Syra will be anything but bright. This is borne out by the fact that the ever-increasing activity of the Piracus, which has long been gradually but surely encroaching on the general trade and commerce of most of the other grecian ports, is now telling very keenly on this island, while the industrial ressources have been much lessened by the steady enterprise and continual establishment of new mills at the Piracus, which caused that port to be the absolute centre of official movement during the late war. The steady development also of small ports on the mainland as well as in the Archipelago, which were held in little or no account when Syra was flourishing as a distributing centre of considerable importance, has contributed in creating the present commercial crisis here. — Cf. de même, n° 2599 (mai 1901), p. 9 : The port of Syra for many years past has been steadily declining, owing to the development of the Piracus. Syra is no longer the distributing depot of the Levant commerce.

[26] Instructions nautiques, n° 691, p. 105.

[27] Hérodote, VI, 95.

[28] Hérodote, VIII, 132 ; IX, 90.

[29] Voyage du Levant, I, p. 557. Les Anglais sont restés fidèles à cette route. Ils viennent d'installer sur la côte de Zéa qui commande l'entrée du canal Doro une station de charbon. Cf. Diplom. and Consular Reports, n° 2252, p. 11 : On the importance of the position of Zea, lying in the direct routes of all steamers passing to and from Constantinople and the Black Sea, and its intermediate position between these ports and Gibraltar, affording steamers the advantage of coaling without touching at Malta.

[30] Strabon, X, 417.

[31] Odyssée, III, 177-179.

[32] Instructions nautiques, n° 778, p. 14.

[33] Instructions nautiques, p. 106.

[34] Voyage du Levant, I, p. 169.

[35] L'histoire de ces dernières années nous montre un fonctionnement nouveau de cette nécessité. Les Anglais, fidèles, comme nous l'avons vu, à leur route du canal Doro, ont établi un reposoir qui pour leurs vapeurs doit remplacer Délos, Syra ou Mveono. Sur la côte N.-O. de Zéa, dans le port S. Nikolo qui s'ouvre aux arrivages des marines occidentales et qui commande l'entrée du Canal, ils fondent un dépôt de charbon où rapidement les vapeurs prennent l'habitude de relâcher. Ouvert en 1898, ce dépôt reçoit en 1900 près de 500 vapeurs. Cf. Diplom. and Consular Reports, IIa, 2599 (mai 1901), p. 18 : The total number of steamers which called at Port St Nikolo was 271, and 415 sailing craft. The Zea Coaling Company supplied 9055 tons, of which 1052 were delivered to various ships of the British Mediterranean Squadron. The steamship owners and captains are only just flow beginning to realise the many advantages the island of Zea offers, riz, that the port lies directly in the route taken by the steamers to and from the Black Sea, great facilities in bunkering dispatch and security against all weathers, rendering the station one of the coaling depôts in the Mediterranean.

[36] Tournefort, op. laud., I, p. 347.

[37] Cf. Ardaillon, Bull. Corr. Hellen., XX. p. 428, 445.

[38] Strabon, X, 485.

[39] Strabon, XIV, 688.

[40] Tournefort, I, p. 333.

[41] Tournefort, II, p. 4.

[42] Tournefort, I, p. 334.

[43] Instructions nautiques, n° 691, p. 184.

[44] Strabon, X, 485.

[45] Schol. Dion. Périégète, v. 525.

[46] Schol. Aristophane, Ad Pacem, 363.

[47] Cf. Müller, Fragm. Hist. Græc., II, 334 ; Suidas, s. v. Κιλλίκων.

[48] Eustathe, Comment., 1786, 49. Hesychius, Mil., Fragm. Hist. Græc., IV, p. 176, 69.

[49] Cf. Phil. Bybl., Fragm. Hist. Græc., III, p. 572.

[50] Jamblique, De vita Pyth., 9 et 11.

[51] Diogène Laërte, I, 11.

[52] Cf. Bochart, Chanaan, I, p. 411.

[53] Voir les inscriptions réunies par Kl. Stephanos, Άθηναΐον, III et IV. : le fascicule de Syros dans les Inscript. Græc. Insul. doit paraitre incessamment.

[54] Άθηναΐον, III, p. 537.

[55] C. I. G., 2347 c.

[56] Confer. Άθηναΐον, IV, p. 25 et suiv.

[57] Instructions nautiques, p. 181-185.

[58] Périple d'Hannon, § 8.

[59] Odyssée, XV, 415.

[60] Hesychius, Étym. Magn., s. v. Άσσυρία.

[61] Pour ces étymologies, cf. Kl. Stephanos, Άθηναΐον, III, p. 518.

[62] Bochart, Chanaan, I, p. 104.

[63] Cf. H. Lewy, Semit. Fremdw., p. 145.

[64] Instructions nautiques, n° 778, p. 597 et suiv.

[65] Cf. Val. Maxime, IV, 33 : necessaria totius navigationis diverticula erant.

[66] Plutarque, Solon, 21.

[67] Strabon, XIV, 683.

[68] Pour cette citation et les suivantes, cf. Instructions nautiques, n° 778, p. 591 et suiv.

[69] Strabon, XIV, 664-668.

[70] Instructions nautiques, n° 435, p. 58 et suiv.

[71] Instructions nautiques, n° 751. p. 215-215.

[72] Instructions nautiques, n° 731, p. 211.

[73] Instructions nautiques, n° 751, p. 214-215.

[74] Instructions nautiques, n° 731, p. 206.

[75] Instructions nautiques, n° 731, p. 211.

[76] Thucydide, VI, 2 ; Diodore, XIV, 48.

[77] Instructions nautiques, n° 731, p. 208-209.

[78] Iliade, II, 487 ; X, 465.

[79] Cf. Movers, II, p. 173.

[80] Cf. Skylax, 102.

[81] Strabon, XIV, 671 ; Stad. Mar. Mag., 175.

[82] Il ne faut pas s'étonner de ces répétitions de noms : la côte de l'Italie méridionale a deux promontoires Iapygiens à peu de distance l'un de l'autre ; sur cette même côte cilicienne, après le cap Anamour, les Turcs ont un second cap de la Pierre Noire, Kara-tasch Bournou.

[83] Instructions nautiques, n° 778, p. 595.

[84] Instructions nautiques, n° 778, p. 591.

[85] Skylax, 102.

[86] Fragm. Hist. Græc., I, p. 17, 252.

[87] Cf. Dict. de Kazimirski, s. v.

[88] Movers, II, p. 174.

[89] Cf. Instructions nautiques, n° 691, p. 172.

[90] G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 203 ; cf. Movers, II, p. 246-247.

[91] Cf. Instructions nautiques, n° 778, p. 578 et 500 ; Strabon, XVI, 665 et 670.

[92] Instructions nautiques, n° 778, p. 580. Cf. Geog. Græc. Min., I, p. 271.

[93] Cf. W. Heyd, Commerce du Levant, I, p. 235.

[94] P. Lucas, II, p. 175 ; Thévenot, I, chap. 74 ; Dapper, Descript. des îles, p. 169 ; cf. Michaud et Poujoulat, IV, p. 45, et surtout Fellows, Asia Minos, p. 212.

[95] Thucydide, II, 69.

[96] H. Lewy, p. 191.

[97] Strabon, XIV, 666.

[98] G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 158.

[99] Bochart, Chanaan, p. 362.

[100] Skylax, 100.

[101] H. Lewy, Semit. Fremdw., p. 191.

[102] Iliade, VI, 182.

[103] Diodore Sic., V, 58. Diodore nous dit qu'il a copié de vieilles sources rhodiennes.

[104] Hérodote, II, 182.

[105] Diodore Sic., V, 55.

[106] Strabon, XIV, 654.

[107] Apollodore, III, 2, 1.

[108] Strabon, X, 457.

[109] Strabon, XIV, 637.

[110] Diodore, V, 51.

[111] Hérodote, IV, 147.

[112] Fragm. Hist. Græc., II, p. 197.

[113] Steph. Byz., s. v. Μήλος.

[114] Pline, V, 36.

[115] Steph. Byz., s. v. Κάσος. Cf. Instructions nautiques, n° 691, p. 307 : la pointe de Samos a deux pics qui, vus du nord, ressemblent à une selle.

[116] Diodore Sic., V, 59, 2.

[117] Instructions nautiques, n° 691, p. 217.

[118] Instructions nautiques, n° 691, p. 216-217.

[119] Iliade, XV, 626.

[120] Odyssée, V, 400-405. Cf. Odyssée, XII, 258.

[121] Michelot, Portulan, p. 395, garde encore ce nom en son édition de 1824.

[122] Bochart, Chanaan, I, p. 372.

[123] Iliade, V, 501.

[124] Jérémie, XIII, 25.

[125] Pline, IV, 22.

[126] Strabon, X, 456.

[127] Odyssée, II, 421.

[128] Instructions nautiques, p. 186.

[129] Buondelm., Lib. Insul., p. 93 : est ad septentrionem Syri Capraria Scopulus, in quo, ut aiunt, spiritus pervagantur immundi, et, dum naves transeunt vel in nocte casu morantur, tantus strepitus et mugitus vocum erigitur, quod cœlum et terra ruere videtur.

[130] Hannon, Périple, 14.

[131] Cf. Pape Benseler, Wört. der Griech. Eigenn., s. v.

[132] Cf. C. I. S., I, p. 181.

[133] Cf. C. I. S., I, p. 182 et suiv.

[134] Juges, I, 2 et 5.

[135] Strabon, XIV, p. 655.

[136] Cf. Strabon, XIII, p. 584 ; XIV, p. 655.

[137] Tournefort, op. cit., II, p. 103. — Cf. Heyd, Commerce du Levant, I, p. 443.

[138] Michaud et Poujoulat, Corresp. d'Orient, III, p. 451. — Cf. E. D. Clarke, Travels, II, p. 184 : All the voyage from the Hellespont, between the Continent and the adjacent islands, was considered by our captain as mere sailing river ; but pirates lurk among the straits in greater number than in the more open sea.... P. 367 : We were becalmed off the point of Icaria in a state of great apprehension with regard to the pirates, who are always upon the watch for ships passing the bocas of Samos.

[139] W. Heyd, Commerce du Levant, I, p. 429.

[140] Tournefort, op. laud., II, p. 105.

[141] Jamblique, Vit. Pythag., III.

[142] Tournefort, op. laud., II, p. 107 : On charge dans cette île des velanides pour Venise et pour Ancône ; c'est cette espèce de gland que l'on réduit en poudre pour tanner les cuirs.

[143] Instructions nautiques, p. 304.

[144] E. D. Clarke, Travels, 192.

[145] Strabon, VIII, p. 516 ; XIV, p. 647.

[146] Instructions nautiques, n° 778, p. 17 et 64.

[147] Cf. H. Holland, Travels, p. 35 : Cephalonia is about a hundred miles in circonference. The most striking feature, in the general aspect of the island, is the great ridge called the Black Mountain, the height of which I should judge, from the distance at winch it is seen, to be little less than 4000 feet.... The precipitous point, which rises by a single majestic elevation from the base to the summit, is broken by numerous deep gullies, etc.

[148] Odyssée, IV, 605.

[149] Odyssée, IX, 25.

[150] Cf. Partsch, Kephallenia, p. 68 et suiv.

[151] Instructions nautiques, n° 778, p. 396.

[152] Michelot, Portulan, p. 518.

[153] Instructions nautiques, n° 778, p. 401.

[154] Michelot, p. 479 ; Instructions nautiques, p. 191.

[155] Tournefort, I, 225.

[156] Fragm. Hist. Græc., II, p. 197.

[157] Nicanor, ap. Steph. Byz., s. v. Πάρος.

[158] Cf. Instructions nautiques, n° 691, p. 193.

[159] Pline, IV, 22, 12.

[160] Instructions nautiques, p. 24.

[161] Buondelmonte, trad. Legrand, p. 162.

[162] C. I. S., n° 165.

[163] C. I. S., n° 235.

[164] C. I. S., n° 716.

[165] Strabon, XIV, 683.

[166] Odyssée, XIII, 272-300.

[167] Odyssée, XIII, 276-277.

[168] Tournefort, op. laud., I, p. 169.

[169] Odyssée, XIV, 301-302.

[170] Instructions nautiques, p. 2.

[171] E. Oberhümmer, die Phœnizier in Akarnanien, Munich, 1887.

[172] Instructions nautiques, n° 691, p. 197-199.

[173] Tournefort, I, p. 256.

[174] Instructions nautiques, n° 691, p. 197.

[175] Hérodote, VII, 59.

[176] Odyssée, XII, 59-60.

[177] Odyssée, XII, 213-215.

[178] Buondelmonte, trad. Legrand, p. 216.

[179] Jérémie, VI, 16.

[180] Tournefort, I, p. 235.

[181] C. I. S., I, n° 41.

[182] Instructions nautiques, n° 691, p. 176.

[183] Instructions nautiques, n° 691, p. 176.

[184] Lib. Insul., éd. Sinner, p. 82.

[185] C. I. G., 2347 c, l. 28.

[186] Psaumes, XXIII, 2.

[187] Hérodote, III, 57.

[188] Instructions nautiques, p. 175 ; cf. Pausanias, X, II, 2.

[189] Cf. H. Lewy, p. 146-147.

[190] Hérodote, VI, 47.

[191] Pline, VII, 37.

[192] Ap. Ézéchiel, XXVI, 2, 3 (trad. des LXX).

[193] Lob. parall., 77.

[194] Hérodien, I, p. 599 (éd. Lentz) : de même que les Grecs transcrivent Turos, les Égyptiens transcrivent Didouna pour Sidon, Daïra pour Tyr, Daraiputa pour Sarepta, cf. M. Müller, Asien und Europa, p. 184-186.

[195] Hérodien, I, p. 599.

[196] Ghillebert de Lannoy, Voy. et Amb., p. 147 ; Instructions nautiques, n° 778. p. 645.

[197] Fragm. Hist. Græc., I, p. 20.

[198] Tournefort, II, p. 3.

[199] Choiseul-Gouffier, I, p. 76.

[200] Thucydide, I, 7-8.

[201] Odyssée, XV, v. 412-413.

[202] Odyssée, XV, 441-442.

[203] Odyssée, XV, 420.

[204] Tournefort, II, p. 5.

[205] Odyssée, XV, 472.

[206] Iliade, IX, 149-153.

[207] Strabon, VIII, 561.

[208] Cf. Frazer, Pausanias, III, p. 424. Pausanias assimile Thouria à l'Antheia homérique : mais cette Antheia était s dans la prairie profonde s, c'est-à-dire dans la plaine marécageuse et non sur la hauteur.

[209] Thucydide, I, 6.

[210] Pausanias, IV, 31, 5.

[211] Strabon, XIV, 683.

[212] Plutarque, Sylla, 17, 18.

[213] Odyssée, III, 483.

[214] Strabon, X, 486.

[215] Ptolémée, III, 16, 30.

[216] Cf. Dümmler, Mitt. Athen., XI (1886), p. 115 et suiv. ; C. I. G., 2347 c.

[217] Strabon, X, 486.

[218] Voir Kl. Stephanos, Άθηναΐον, III, p. 205.

[219] M. Pappadopoulos, Revue arch., 1862, p. 224 ; Pandora, 1865, p. 121.

[220] Ephemer. Arch., 1899, p. 78.