LES PHÉNICIENS ET l'ODYSSÉE

LIVRE SECOND. — LA TÉLÉMAKHEIA.

CHAPITRE I. — ROUTES DE MER ET ROUTES DE TERRE.

 

 

Le nom de Télémakheia n'est, si l'on veut, qu'un terme commode pour désigner le premier épisode de l'Odyssée, le voyage de Télémaque dans le Péloponnèse. Cherchant des nouvelles de son père absent depuis vingt années. Télémaque s'enfuit d'Ithaque. Par mer, il se rend à Pylos, chez le vieux Nestor qui lui fournit des chevaux et un char. Par voie de terre alors, il se rend à Sparte, à la cour du roi Ménélas : en route, il fait étape chez Dioclès, roi de Phères. Il revient par les mêmes voies et les mêmes moyens, de Sparte à Pylos et de Pylos à Ithaque.

Ce récit de voyage occupe les quatre premiers chants de l'Odyssée et le début du quinzième. Il semble à la plupart des commentateurs difficile à localiser : on n'y voit d'ordinaire qu'un roman géographique. Des quatre localités mentionnées par le poète, Ithaque, Pylos, Phères et Sparte, deux nous sont bien connues et familières. L'île d'Ithaque a conservé son nom depuis l'antiquité jusqu'à nos jours : quoi qu'en puissent affirmer certains novateurs, l'Ithaque moderne est bien file d'Ulysse. Pareillement, le nom de Sparte a subsisté jusqu'à nous. Mais Pylos et Phères, qui jalonnent la route odysséenne, comment les retrouver dans le Péloponnèse actuel qui n'en possède plus ou dans le Péloponnèse antique, qui nous offrirait trois Pylos et trois Phères ? Déjà les Anciens se querellaient à ce sujet : Il y a Pylos, et Pylos, et Pylos, disait le proverbe grec :

στι Πλος πρ Πλοιο· Πλος γε μν στι κα λλος[1].

L'antiquité connut, en effet, trois Pylos, toutes trois sur la façade occidentale du Péloponnèse, sur la côte ou dans le voisinage de la mer Ionienne, toutes trois en face d'Ithaque, toutes trois en des défilés, en des portes (πύλος, πύλη ; cf. les noms de lieu Σάμος, Σάμη) maritimes ou continentales.

La première Pylos, la plus septentrionale et la plus voisine d'Ithaque, était en Élide, assez loin de la mer. A la sortie d'un couloir qui descend de la montagne vers la plaine maritime, elle ouvrait au confluent du Pénée et du Ladon la double vallée supérieure de ces deux rivières. Il n'en subsiste rien aujourd'hui, ni ruines de monuments, ni nom de lieu. Ses fondations doivent être cachées sous le village d'Agrapidokhori[2]. Mais cette Pylos éléenne eut jadis un rôle assez important : cette Porte gardait le carrefour de deux routes conduisant de la mer vers l'intérieur.

L'une de ces routes, dirigée de l'Ouest à l'Est, part de la mer d'Élide et remonte la vallée du Pénée vers l'Arcadie : c'était une voie du commerce antique entre les ports éléens de Kyllène ou d'Élis et les marchés arcadiens de Lasion, Psophis ou Klitor. L'autre route part du golfe de Corinthe et se dirige du Nord au Sud, au flanc des collines côtières : en empruntant les vallées de Santameri, du Ladon et de l'ancien Kythéros, elle monte des plaines maritimes de l'Achaïe jusqu'à la plaine intérieure de l'Alphée. Ce fut une route religieuse des Hellènes entre les ports achéens, Dymè, Olénos ou Patras, et le sanctuaire d'Olympie. Et ce fut plus tard, lors de la conquête française de la Morée, la route militaire des chevaliers francs : débarqués à l'entrée du golfe de Corinthe, dans leur port de Kato-Akhaia, c'est par Ano-Akhaia et Saint-Orner (actuellement Santameri) que les Francs montent vers l'Alphée ; non loin de notre Pylos éléenne, dans le même défilé du Ladon, ils bâtissent leur château des Portes (village actuel de Portais) ; jusqu'à la fin de leur domination, les Portes restent une de leurs forteresses.

La seconde Pylos était triphylienne. Un peu au Sud de l'Alphée, c'était une porte maritime entre les montagnes côtières et le rivage. Elle tenait le défilé que font sur la baie de Kyparissia les monts de Triphylie. Dans ce golfe de Kyparissia, Hérodote connut les Kaukones Pyliens[3], et Strabon connut encore le nom de cette Pylos ; mais il ne put en voir même les ruines : de son temps déjà, la ville avait entièrement disparu. On en cherchait l'emplacement un peu au Nord de Kyparissia, sur le territoire des Lépréates, à trente stades environ de la côte, dit le géographe, au Sud-Est du promontoire Samikon.

La troisième Pylos, enfin, était messénienne. C'était aussi une porte maritime. Elle gardait l'entrée Nord de la rade de Navarin, en face de l'île Sphaktéria ; elle occupait, dit-on, le sommet du promontoire Koryphasion.

Dès l'antiquité, ces trois Pylos revendiquaient le souvenir de Nestor et chacune se disait la Porte Néléenne. Et de même trois Phères se disputaient la gloire d'avoir hébergé Télémaque dans le palais de leur roi Dioclès. Ce nom de Phère ou Phères, dont on n'aperçoit pas clairement la signification, était fort répandu en terres grecques, sous ces formes un peu différentes, mais appliquées tour à tour à la même ville, on rencontre des Phères dans toute la Hellade, en Laconie, en Messénie, en Achaïe, Thessalie, Crète, Étolie, Lapygie, etc. Passons en revue les Phères du Péloponnèse.

La première est laconienne. Elle s'appelle indifféremment Pharis ou Pharai, Φάρις, Φαραί. C'est une vieille ville achéenne, qui ne fut soumise qu'assez tard par les Doriens, et ses habitants s'exilèrent plutôt que de subir la loi spartiate[4]. II est vraisemblable qu'elle existait déjà aux temps homériques : elle est mentionnée au Catalogue des Vaisseaux. Le site laisse encore deviner le rôle qu'elle pouvait tenir. A une certaine distance de la côte, à une étape environ du port de Gythion, elle était située parmi les oliviers et les vignes, sur les collines qui étranglent le cours inférieur de l'Eurotas. Ces collines se dressent entre le golfe laconien et la plaine intérieure, l'ancien lac vidé, dont les bas-fonds ensemencés entourent Sparte la creuse. Entre les paysans de la plaine et les marins du golfe, Phères peut servir d'intermédiaire, en offrant aux uns et aux autres un emplacement de marchés. Il est bien regrettable que ce golfe de Laconie n'ait pas un port du nom de Pylos. Tout alors s'expliquerait dans le voyage de Télémaque. Sa barque, ayant contourné le Matapan, viendrait accoster à la Pylos laconienne. Une étape de trente ou quarante kilomètres conduirait nos gens à Phères. Une autre étape, moins longue, les mènerait à Sparte que cinquante ou soixante kilomètres en tout séparent du golfe.... Mais le golfe laconien n'a jamais eu de Pylos.

La seconde Phères est messénienne. A la corne orientale du golfe de Messénie, elle est quelque peu distante de la plage. On peut la considérer pourtant comme une ville maritime. Les explorateurs et archéologues[5] l'ont retrouvée dans la plaine côtière, sur l'emplacement actuel de Kalamata, disent les uns, sur les premiers contreforts du Taygète, au village de Zianitza, disent les autres avec plus de raison. Elle occuperait le sommet d'une colline qui, d'un côté, tient aux montagnes et qui, sur son autre face, domine presque à pic la vallée d'un torrent côtier. Peu s'en faut que les barques puissent remonter jusqu'en cet endroit. Cette Phères messénienne, à vue de carte, attire les regards des géographes de cabinet. Sur une carte, toute difficulté disparait. Nous savons que la Messénie possède un port de Pylos en sa rade de Navarin. et la Messénie est voisine de Sparte. Si l'on tire une ligne droite de Sparte à la Pylos messénienne, notre ville de Phères est juste au milieu du parcours. Voilà donc l'étape nécessaire entre la rade de Navarin et la plaine de l'Eurotas....

Il y a bien une troisième Phères en Achaïe, sur une route qui mène de la mer aux villes de l'intérieur. Cette Phères pourrait à la rigueur servir d'étape vers la Pylos d'Élide : si Télémaque débarquait à une échelle du golfe de Corinthe, il pourrait traverser d'abord la Phères achéenne, puis atteindre cette Pylos. Mais il suffit d'énoncer l'hypothèse pour en voir l'invraisemblance : dans l'Odyssée, Télémaque débarque à Pylos avant d'arriver à Phères. D'ailleurs, la Pylos d'Élide est à trente ou trente-cinq kilomètres de la côte, et la Pylos odysséenne doit être un port où les vaisseaux viennent aborder. Sûrement, la Phères d'Achaïe et la Pylos éléenne doivent être écartées de nos recherches.

En résumé, la seule Messénie, semble-t-il, peut nous offrir sur une route continue les trois étapes du voyage odysséen, Pylos au bord de la mer, Phères au milieu du trajet, Sparte à l'autre bout. A vue de carte, le problème est résolu. Cette Pylos messénienne est, en outre, la seule Pylos que, depuis les temps helléniques, la renommée ait jamais connue. Les guerres entre Spartiates et Athéniens tournèrent vers cet îlot de Sphaktérie tous les veux de la Grèce. A travers les siècles, nul désormais ne put ignorer le nom et l'emplacement de ce Waterloo spartiate. Le Péloponnèse eut une Pylos, comme l'Attique avait un Marathon, et la Béotie, une Platées. C'est vers la se le Pylos messénienne qu'Anciens et Modernes regardent dès que le nom est prononcé. C'est chez elle qu'au temps de Pausanias déjà, les touristes allaient visiter la grotte et les étables de Nestor[6]. C'est chez elle que Schliemann espéra trouver une autre Mvcènes[7]. L'échec complet de ses fouilles doit nous faire réfléchir. Parmi les Anciens, il est certain que le troupeau des touristes admirait en cet e droit les ruines de la Porte Neléenne. Mais les gens avisés, Strabon et les Plus Homériques, avaient d'autres idées. C'est à la Pylos triphylienne qu'ils reportaient le débarquement de Télémaque. C'est au Sud de l'Alphée, au pied du Samikon, près du sanctuaire de Poséidon Samien, qu'ils cherchaient la plage de sables fréquentée par les barques homériques, τ δ ερν το Σαμου Ποσειδνος κα κατ´ ατ ρμος, ες ν κατχθη Τηλμαχος[8]. A l'appui de cette opinion, le géographe me semble avoir donné quelques raisons de poids. Je renvoie le lecteur une fois pour toutes à ce chapitre du VIIIe livre de Strabon. Je ne ferai le plus souvent que reprendre et développer sa thèse ; je ne la corrigerai qu'en un point secondaire : Strabon cherchait les ruines de la Pylos triphylienne sur les collines continentales à trente stades de la mer, au Sud-Est du promontoire Samikon ; je les crois plus voisines de ce promontoire, à quelques mètres seulement de la plage.... Mais suivons la méthode des Plus Homériques : étudions mot par mot le récit de la Télémakheia, la traversée maritime d'abord. le voyage terrestre ensuite.

Donnez-moi, dit Télémaque aux prétendants, un vaisseau et vingt rameurs : je veux aller à Sparte et à la sablonneuse Pylos, pour m'informer d'Ulysse mon père. Les prétendants refusent. Mais, à leur insu, Athèna sous la figure de Mentor organise le voyage. Elle arme un croiseur, νήα θοήν, réunit un équipage de volontaires, fait tirer le vaisseau à flot et l'amène jusqu'à l'entrée du port. Puis elle revient au palais chercher les provisions de route que Télémaque a préparées. Les hommes prennent leur charge de farine et de vin. On redescend à la mer. Sur la plage, on contourne le port et l'on va, à pied, jusqu'au bord du goulet où le navire est ancré. On arrime les provisions. On embarque tout le monde. Mentor et Télémaque vont s'asseoir sur le château d'arrière, ΐκρια πρυμνής (nous reviendrons sur tous ces termes). L'équipage prend place sur les bancs de galère. Télémaque commande la manœuvre et fait hisser le mât. Athéna suscite alors un bon vent frais du N.-O., un zéphire sans risées contraires, άκραή ζέφυρον, qui tape en plein dans la voile. Le bateau file sur la peau de l'eau, comme disent les gens de Marseille. Tout étant bien arrimé, hissé ou largué à bord, on laisse le pilote et le vent mener le navire. On s'assied en rond et l'on se met à boire. Toute la nuit et même à l'aurore, on navigue ainsi.... Quand parait le soleil, ils atteignent Pylos, la ville bien bâtie de Nélée.

J'ai insisté sur les détails de cette manœuvre. Il faudrait en commenter chaque mot pour en montrer l'exactitude matérielle : ceux qui parlent des imaginations homériques toucheraient alors du doigt la vérité du moindre détail. Télémaque s'embarque la nuit. C'est au coucher du soleil que Mentor est allé dans le fond du port reconnaitre son croiseur et son équipage. Pendant qu'il fait jour encore, on tire le croiseur du fouillis des barques halées sur la plage ou balancées à flot. A la nuit, on l'amène en ramant jusqu'au goulet et on l'ancre presque en haute mer, sous le dernier promontoire. Mais, là, on attend quelques heures. C'est longtemps après le coucher du soleil à la nuit pleine, à la nuit noire, que Télémaque vient à bord et qu'on hisse la voile. Dans la langue odysséenne, la périphrase le soleil était couché et toutes les rues s'emplissaient d'ombre désigne une heure aussi précise que, dans la langue postérieure, telle périphrase analogue : l'heure où l'agora bat son plein. C'est l'heure de la nuit noire. Au soleil couchant, une moitié des rues restent encore éclairées par les rayons obliques. Vient le crépuscule et toutes les rues s'emplissent de lumière diffuse où les ombres se noient. Puis, lentement, les ombres semblent sourdre et monter de la terre ; à mesure que s'avance la nuit, sous le ciel clair encore, elles envahissent et remplissent les rues basses, puis les rues hautes ; elles couvrent enfin toute la ville ; quand toutes les rues sont pleines d'ombre, c'est la nuit noire, deux ou trois heures après le coucher du soleil.

C'est l'heure favorable aux embarquements. C'est l'heure que choisit Télémaque. C'est l'heure que choisiront les prétendants quand ils iront guetter son retour dans le canal d'Ithaque : au coucher du soleil, ils mettent aussi leur navire à flot et l'amènent eu ramant sous le promontoire du goulet ; là, tout en préparant leur souper, ils attendent la nuit noire pour sortir ; quand la nuit est venue, ils s'embarquent et se lancent sur les sentiers humides[9]. C'est encore la même heure que choisiront les Phéaciens pour l'embarquement d'Ulysse[10]. Depuis l'aurore, ils ont fait les préparatifs du départ. Dès le matin, le vaisseau. tiré à la mer, est amené jusqu'à l'entrée du port. Le chargement, descendu de la ville haute, est arrimé sous les bancs des rameurs. Tous les cordages et tous les agrès sont mis en place ; le niât est dressé, les rames attachées. Quand le navire est tout prêt à mettre à la voile, on l'ancre près du goulet ; un poste demeure pour la garde à bord : le reste de l'équipage regagne le palais d'Alkinoos.

Tout le jour, on boit, on mange, on chante, on danse. C'est la dernière bordée avant l'embarquement. Mais souvent Ulysse tournait la tète vers le soleil encore haut ; il désirait le voir se coucher plus vite, tant il avait hâte de partir. Comme désire son souper l'homme qui tout le jour derrière ses bœufs a mené la lourde charrue ; c'est pour sa joie que le soleil couchant va ramener l'heure du repas.... Ainsi pour Ulysse ce fut une joie que le coucher du soleil. Après l'échange des derniers toasts officiels, les Phéaciens envoient le héros à bord. La nuit noire est venue. A peine installé sur le château d'arrière, Ulysse se couche et s'endort. Le vaisseau quitte la rade en pleine nuit.... Et c'est encore à la nuit noire, le soleil couché, et toutes les rues pleines d'ombre, que le corsaire phénicien quittera le port de Syria[11] :

δσετ τ ἠέλιος, σκιωντ τε πσαι γυια.

Cette formule, qui ne se rencontre pas dans l'Iliade, apparaît sept fois dans l'Odyssée et toujours pour marquer les étapes d'un voyage : ch. II, 388. embarquement de Télémaque ; ch. III, 487 et 497, arrivée à Phères et à Sparte ; ch. XI, 12, arrivée d'Ulysse chez les Morts ; ch. XV, 185, 296 et 471, retour de Télémaque à Phères puis au cap Pheia, et embarquement du corsaire phénicien. Le poète odysséen s'adresse à un auditoire de marins : il parle leur langue. Parmi les matelots ioniens, cette formule devait être courante et cette heure familière. Voici une page de nos Instructions nautiques[12] sur le régime des vents dans les eaux grecques ; elle va nous donner la raison de ces embarquements nocturnes :

VENTS. — Pendant l'été, sur la côte que bordent les îles Ioniennes, les vents du N.-O. (c'est le zéphire homérique) prédominent, et pendant l'hiver, ceux de S.-E. En été, lorsque le temps est établi et le baromètre haut, les brises de terre et les brises de nier se succèdent avec assez de régularité.

La BRISE DE TERRE souffle des montagnes à travers les vallées et se fait sentir à une distance plus ou moins grande de la côte, selon la saison, quelquefois, mais très rarement, jusqu'à 20 milles au large ; généralement son influence ne s'étend pas au delà de 10 milles. Cette brise est faible. Sur la côte d'Épire, elle souffle du Nord au N.-E. Elle se lève deux ou trois heures après le coucher du soleil et augmente d'intensité jusqu'après minuit ; elle fraîchit de nouveau à mesure que le soleil s'élève au-dessus de l'horizon, en infléchissant de quelques quarts vers l'Est, jusque vers 9 heures du matin ; après quoi elle tombe et la brise de mer lui succède.

L'IMBATTO ou BRISE DE MER commence à se faire sentir de l'E.-S.-O. au N.-O. généralement vers 10 heures du matin, quelquefois une heure ou deux plus tôt, mais rarement après midi. Elle augmente d'intensité pendant les deux ou trois premières heures pour atteindre sa plus grande force vers 3 heures de l'après-midi où elle souffle frais, puis décroît graduellement et meurt une heure ou deux après le coucher du soleil.

Le vent prédominant de l'été, qui souffle de l'O.-S.-O. au N.-O., appartient à la colonne d'air qui, entrant par le détroit de Gibraltar, traverse la Méditerranée dans toute sa longueur jusqu'à la Palestine. Ce vent, qui est général en juillet et août, est accompagné d'une atmosphère claire (sèche en Grèce) et varie en direction pendant la journée ; il s'écarte de sa direction normale et s'infléchit vers le Sud pendant la matinée et revient, par degrés, vers le Nord, où il reste fixe pendant la nuit.

Dans toutes les eaux grecques, il en est ainsi : En général, pendant l'été et par les beaux temps d'hiver, répètent les Instructions nautiques de l'Archipel, les brises alternatives de terre et de mer prédominent dans les différents golfes. La brise de mer commence à entrer dans ces golfes vers dix heures du matin et tombe vers le coucher du soleil ; la brise de terre se lève vers onze heures du soir[13]. On comprend pourquoi, destinés vers le Sud-Est, les vaisseaux d'Ulysse et de Télémaque partent des côtes insulaires à la nuit close, après onze heures du soir. Tout le jour, la brise de mer est « entrée dans les golfes ». bloquant les navires au port. Elle tombe au coucher du soleil et l'on a trois ou quatre heures de calme plat : c'est le moment propice pour mettre le navire à flot et l'amener en ramant au dernier promontoire. Mais là, il faut encore attendre plusieurs heures jusqu'au lever de la brise de terre, qui, soufflant des monts vers le large, va pousser le navire dans la haute mer. Avec cette brise, on partira vent arrière et voiles pleines,

πρησεν δ νεμος μσον στον[14].

Avec cette brise, on marchera vite et droit. Son influence se fait sentir à dix milles, parfois à vingt milles au large. Elle diminue d'intensité à mesure que l'on s'éloigne de la côte. Elle finit par disparaître quand on atteint la haute mer. Mais alors elle est remplacée par les vents du large et, dans ces régions, durant l'été, ce sont, disent les Instructions nautiques, les vents du Nord qui règnent pendant la nuit. Donc, en partant le soir vers onze heures des îles Ioniennes, les vaisseaux s'en vont droit au Sud vers le Péloponnèse avec l'assurance d'un vent continu, qui toute la nuit les portera dans la même direction. La brise de terre d'abord, puis les vents du large feront la besogne, sans qu'on ait à tirer des bordées ou seulement à changer la voilure. Une fois le mât dressé et les voiles établies, on laisse travailler le vent et le pilote. Jusqu'à l'aube, que tout le monde boive ou dorme !... Mais attention au lever du soleil, si l'on doit débarquer ! Il faut entrer en rade avant la chaleur du matin. A l'aube blanche. il est facile d'entrer : La brise de terre décroît alors et tourne au calme. Durant cette accalmie, il faut donc se hâter vers le port. Car, le soleil levé, la brise de terre va fraîchir à nouveau et, soufflant vers le large, elle rendra difficile l'accostage. Puis, durant la matinée, sa violence toujours croissante repoussera vers la haute mer les retardataires et les insouciants. Elle ne tombera ensuite qu'à neuf ou dix heures du matin. C'est donc à l'aube blanche qu'il faut atterrir pour aborder au lever du soleil.... Reprenez le voyage de Télémaque et dites si, de point en point, les recommandations de nos Instructions nautiques ne sont pas suivies par les marins de l'Odyssée.

Notez bien maintenant la durée de ce voyage maritime. Partis avec la brise de terre. deux ou trois heures après le coucher du soleil, arrivés à l'aube déjà pleine, nos gens n'ont passé que huit ou neuf heures sur l'eau. Aujourd'hui, pour aller d'Ithaque en Laconie avec nos vapeurs les plus rapides, nous mettrions le double ou le triple de ce temps. Il ne faut pas crier pourtant à l'invraisemblance du récit homérique : il est plus sage de considérer que ces navigations primitives différaient entièrement des nôtres. Elles ne suivaient pas les mêmes chemins. Aujourd'hui, nous irions d'Ithaque en Laconie par le Sud du Péloponnèse, en doublant Modon et le Matapan. Nous ferions sur mer une centaine de lieues. Et voilà qui n'est pas dans les habitudes des vieux navigateurs. Car si l'on étudie les navigations anciennes et surtout les navigations primitives, il semble qu'une loi générale s'en puisse dégager, qui toujours et partout les différenciera profondément des nôtres.

Nos grands vaisseaux confortables, spacieux, solides, et que nous dirigeons presque à notre guise, sont aptes aux longues traversées. Ils les rendent possibles et préférables. Notre commerce intercontinental emprunte toujours la voie de nier maxima pour la route de terre minima ; je veux dire qu'il n'hésite jamais à entreprendre une longue navigation pour éviter un charroi d'égale longueur ou même de longueur sensiblement moindre. C'est que la mer est pour nous la voie la plus directe et la moins coûteuse. Une fois embarqués. marchandises de fret et passagers du commun restent à bord jusqu'à l'escale la plus voisine de leur destination dernière. Seuls, quelques passagers de marque et quelques marchandises de luxe débarquent au premier port où vient s'offrir une route terrestre, à Lisbonne, à Brindisi, à l'extrémité des presqu'îles ou des continents, et, par de longues routes terrestres, gagnent en voitures rapides les marchés et les capitales. La mer est pour nous le grand chemin : Marseille et Gênes sont toujours les grands ports d'embarquement vers l'Asie la plus lointaine ; Brindisi n'attire que les privilégiés de la Malle des Indes.

Pour les navigateurs de l'Odyssée, la mer n'est que le sentier, ΰγρα κέλευθα. Leurs petits bateaux, à voiles ou à raines, sont légers, prompts à chavirer, peu spacieux, peu capaces, mal pontés, ni sûrs ni confortables. Ils n'ont pas de boussole et se dirigent surtout par les vues de côtes. C'est chose terrible pour eux que la haute mer et les longues traversées : Ô dieux, tu médites ma perte, toi qui veux que sur un radeau j'affronte le gouffre terrible, le grand abîme de la mer, que les vaisseaux eux-mêmes, poussés par le vent des dieux, ne peuvent pas franchir ![15] De plein gré, même avec un vent favorable, jamais on ne s'aventure sur cet abîme redouté. On reste le plus longtemps possible sur le solide plancher terrestre. On contourne par terre les golfes et les rades au lieu de les traverser. On enfile les presqu'îles jusqu'au bout, mène quand elles sont très longues. On coupe les isthmes de part en part, même quand ils sont très larges. On fait plusieurs journées de route pour éviter quelques heures de haute mer. S'il faut malgré tout se résigner à l'aventure périlleuse, encore s'efforce-t-on de la réduire au strict minimum : on ne quitte la rive qu'au promontoire extrême ; on se hâte d'atterrir au cap le plus avancé.

Nous aurons par la suite vingt exemples de ces navigations minima pour une route de terre maximum. Nous verrons que le sentier humide n'est jamais que le complément du grand chemin solide. Durant toute l'antiquité, il en est ainsi : même aux temps gréco-romains, il est impossible de rien comprendre aux voies de commerce les plus fréquentées. si l'on ne veut pas recourir à cette loi que, pour la commodité du langage, nous appellerons la « loi des isthmes traversés ». Cette loi régit plus strictement encore les navigations primitives : si l'on n'en tient pas compte, l'établissement du phénicien Kadmos à Thèbes peut sembler à bon droit légendaire. Nous invoquerons souvent cette loi ; il faut donc une fois pour toutes la bien établir sur des exemples typiques. Ces exemples bien expliqués montreront ensuite dans le voyage terrestre de Télémaque, non plus le roman géographique que certains imaginent, mais un itinéraire réel, familier aux marchands de ces temps anciens : la route terrestre de la Télémakheia est d'une description aussi matériellement exacte que la traversée maritime.

Voici d'abord un texte de Thucydide. Durant la guerre du Péloponnèse. les Spartiates occupent Dékélie : tout aussitôt l'approvisionnement d'Athènes devient difficile, parce que les Athéniens tirent leurs vivres de l'Eubée[16]. Prenez une carte de l'Attique et relisez ce texte. Dékélie est une forteresse de l'intérieur, en terre ferme, loin de la côte, à égale distance de toutes les mers athéniennes. Quelle influence peut donc avoir sur le commerce maritime la prise de cette forteresse continentale ? Athènes est encore maîtresse de la mer : elle a dans le Pirée un port bien défendu et une flotte nombreuse qui assure à ses convois ou aux convois étrangers le libre usage des détroits menant vers l'Eubée. Les marchés eubéens qui ravitaillent Athènes sont des ports insulaires à l'abri de toute insulte spartiate. Quelle influence peut donc avoir la prise de Dékélie sur les arrivages de l'Eubée ? les bateaux, qui viennent de Chalkis ou d'Érétrie, en descendant l'Euripe, en contournant l'Attique et le Sounion, arriveront-ils moins sûrement au Pirée ? En sens inverse, les bateaux qui remontent du Pirée seront-ils arrêtés dans leur traversée vers Marathon et l'Euripe ? Les conceptions et habitudes de notre commerce nous rendraient incompréhensible le texte de Thucydide : tant que la mer reste libre, les marchés athéniens, croyons-nous, peuvent regorger de provisions eubéennes. Mais le texte même de Thucydide nous révèle des habitudes toutes différentes, car l'auteur ajoute que c'est par voie de terre que les blés d'Eubée arrivaient alors aux Athéniens.

Chargés à Chalkis ou à Érétrie sur des barques, les blés franchissaient le détroit aux points les plus resserrés. Par les voies de mer les plus courtes, ils venaient débarquer en face, sur la côte de Béotie ou d'Attique, à Aulis, Délion ou Oropos : Oropos surtout était le grand marché des subsistances eubéennes. Ils prenaient alors la route de terre. A dos d'ânes ou de mulets, par le col de Dékélie, ils franchissaient le Parnès et descendaient vers la plaine d'Athènes. Dékélie, qui tient le col, disposait donc de cette route terrestre. Occupée par les maraudeurs spartiates, Dékélie gène ou interrompt le trafic des caravanes et le ravitaillement. Les arrivages d'Eubée doivent prendre la route maritime, faire le tour du Sounion et s'en aller par mer jusqu'au Pirée. Or cette route, dit Thucydide, est bien moins rapide et bien plus coûteuse, τε τν πιτηδεων παρακομιδ κ τς Εβοας, πρτερον κ το ρωπο κατ γν δι τς Δεκελεας θσσων οσα, περ Σονιον κατ θλασσαν πολυτελς γγνετο. Il est impossible d'exprimer en moins de mots le contraire de toutes nos conceptions. Jusqu'au milieu du XIXe siècle, jusqu'à l'installation des grandes marines à voiles ou à vapeur, c'est pourtant la conception des Anciens qui subsiste : la voie de mer reste la plus coûteuse et la plus longue.

En conservant, en effet, l'exemple d'Athènes et de ses relations avec l'Eubée, on peut voir qu'aux XVIIe et XVIIIe siècles encore, la route de Dékélie est le chemin ordinaire. De Négrepont, Paul Lucas veut aller visiter Athènes : une barque lui fait passer le détroit en face d'Egripo (Chalkis) ; puis, à cheval, il longe la côte béotienne et franchit le Parnès au long de chemins raboteux qui lui donnent bien de la peine[17]. Il suit donc la route du commerce ancien : le vieux Dicéarque, dans sa Description de la Grèce, se plaignait déjà de ces mêmes chemins raboteux entre Oropos et Athènes, προσάντη πάντα[18]. Mais, au temps de P. Lucas, cette route n'est suivie que par les convois militaires et les courriers turcs. Au temps de Dicéarque, c'était une route de caravanes, bien pourvue de cabarets et de bonnes auberges. Athènes, ville continentale, assise entre les deux mers, avait en réalité deux ports, deux échelles, le Pirée sur la mer du Sud, Oropos sur la mer du Nord. De l'échelle d'Oropos vers le marché d'Athènes, la route de Dékélie offrait alors le même spectacle que la route du Pirée vers Athènes aujourd'hui : à chaque arbre donnant un peu d'ombre, auprès de chaque puits, un khani ou un petit café s'ouvrait aux passants, avec des buveurs attablés, des files de petits ânes et des embarras de charrettes. Comme le Pirée aujourd'hui, l'ancienne Oropos, au bout de cette route. était un repaire de gabelous et de filous, — que le diable les emporte !

πάντες τελώναι, πάντες είσίν άρπαγες

κάκον τέλος γένοιτο τοΐς Ώρωπίοις[19].

Il suffit de lire en note le texte de Dicœarque pour voir que je n'ai rien ajouté à sa peinture. Si l'on veut bien maintenant déduire les conséquences probables d'un tel état de choses, je crois que l'on découvrira sans peine la raison de quelques particularités. Oropos est en terre béotienne et pourtant les gens d'Oropos, ajoute Dicéarque, renient leur béotisme ; ils veulent être des Athéniens en Béotie. Sans méjuger ces cœurs helléniques, on peut croire que les bénéfices de la caravane inclinaient surtout vers Athènes les cœurs des Oropiens. Inversement, il semble que ce trafic ait popularisé parmi les Athéniens un culte venu de Béotie. A la première fontaine au sortir d'Oropos, on rencontrait le sanctuaire d'Amphiaraos. C'était un héros local que les indigènes divinisèrent et dont ils inculquèrent la dévotion aux gens d'Athènes et, par eux, à tous les Grecs[20]. La fortune de ce pauvre petit dieu serait surprenante, n'était le voisinage de la grand'route. Car ce n'était qu'un petit dieu, mais fort utile au peuple des charretiers, trafiquants, accapareurs et brasseurs d'affaires. Il était devin. Il expliquait les songes. H donnait d'utiles conseils pour les spéculations à la grosse et les entreprises de terre ou de mer. H annonçait peut-être les futurs arrivages ou les naufrages de navires attendus. Comme saint Antoine de Padoue, dont le regain de popularité prit naissance dans une boutique toulonnaise, Amphiaraos retrouvait sans doute les objets perdus. Aussi sur place une grande clientèle et de beaux profits : il put relever son temple, l'agrandir, le décorer de marbres et de statues. Au dehors, il lit une pareille fortune dans l'estime des Athéniens et de tous les Hellènes. Les inscriptions, trouvées sous les ruines du sanctuaire, nous montrent que l'oracle ne fonctionnait pas toute l'année. L'hiver, supprimant la navigation, interrompait aussi la caravane : l'oracle, faute de clients, chômait et pouvait fermer. Mais dès les derniers jours de l'hiver, dit le règlement du temple. le prêtre doit être à son poste ; durant toute la belle saison, il doit rester dans le sanctuaire, à la disposition des fidèles, au moins dix jours par mois, et ne jamais s'absenter quatre jours de suite[21].

J'ai pris comme premier exemple le petit isthme de l'Attique. Mais on n'hésitait pas devant la traversée d'isthmes beaucoup plus larges : ici encore les voyageurs récents nous font comprendre telles traditions invraisemblables de l'antiquité. Voici M. de Marcellus qui, vers 1820, veut se rendre de Smyrne à Constantinople. Il fait d'abord ce que nous ferions aujourd'hui : il attend un bateau et un vent favorable. Mais, pendant trois jours, je ne vis rien venir qu'un vent de Nord direct, lequel fermait à toute navigation le détroit des Dardanelles et la mer de Marmara. Je me déterminai alors à prendre la voie de terre et à gagner à travers l'Asie Mineure l'échelle de Moudania sur la Propontide, d'où le trajet maritime jusqu'au Bosphore était possible à peu près en tout temps[22]. Entre le golfe de Smyrne et le golfe de Moudania, entre l'Archipel et la mer de Marmara, une route de caravanes a toujours été fréquentée par les voyageurs qui ne veulent pas s'aventurer dans les Dardanelles capricieuses : pour les Turcs. Brousse marquait la grande étape du commerce entre Smyrne et Constantinople.

Aux débuts de l'histoire écrite, ce sont les Milésiens qui, les premiers des Hellènes, entreprennent l'exploitation commerciale du Pont-Euxin. Ils ont à tous les mouillages, depuis Milet jusqu'à Trébizonde, des comptoirs ou des colonies. Mais les Anciens leur attribuent aussi la fondation de certaines villes continentales : Skepsis au milieu de l'Ida est d'origine milésienne. Cette tradition semble indigne de foi. Suivez pourtant la route terrestre qui unirait le golfe d'Adramyttion sur l'Archipel au golfe de Kyzique sur la Marmara : au long de cette route qui serait exactement parallèle à notre route Smyrne-Moudania, vous verrez que Skepsis est justement l'étape médiane, à égale distance des deux mers. Comme M. de Marcellus, les Milésiens avaient à compter avec les vents du Nord qui ferment le détroit. Comme M. de Marcellus, ils se lassaient d'attendre une accalmie ou une saute favorable ; car ces vents du Nord ou du Nord-est sont les vents dominants de l'été ; ils règnent pendant presque toute la saison navigante. Comme M. de Marcellus, les Milésiens coupaient l'isthme, d'une nier à l'autre. Mais peu sûrs de l'amitié des indigènes, ils avaient choisi le trajet le plus court : quittant le dernier golfe de l'Archipel. ils allaient retrouver le premier golfe de la Marmara.

Faut-il montrer encore, par d'autres exemples, que cette traversée des isthmes, larges ou resserrés, est une conséquence forcée de la petite navigation à voiles ? Voici la rade de Smyrne profondément enclose entre le promontoire de Phocée au Nord et la presqu'île de Clazomène au Sud. De Smyrne au Kara-Bouroun cette presqu'île s'allonge, se contourne et se bifurque très loin et très avant dans la haute mer. C'est une masse rocheuse qui parfois dépasse mille mètres de hauteur et cinquante kilomètres de large. Elle a soixante-dix kilomètres de long. Le contour par mer dépasserait trois cents kilomètres, c'est-à-dire trois ou quatre jours de navigation pour les voiliers anciens, et, sur tout le pourtour, le régime des vents est fort instable. Les seuls navires qui viennent du Nord entrent sans difficulté jusqu'au fond de la baie smyrniote. Pour les navires qui viennent du Sud ou de l'Ouest, la presqu'île est un obstacle. qui peut causer de grands, dangers, qui cause toujours de longs retards. Mais cette masse rocheuse est disposée de telle sorte que plusieurs, vallées la coupent du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest. Dans ces vallées propices, vont se créer des routes terrestres qui amèneront les caravanes jusqu'aux avant-ports d'Érythrées, Téos, Lébédos et Notion sur la mer libre, — d'où l'importance et la fortune de ces mouillages extérieurs. Au temps de Tournefort, Smyrne est la capitale du trafic levantin. Dans son bazar, aboutit le commerce de l'Asie Mineure, de l'Arménie, de la Syrie et même de la Perse. Son échelle est fréquentée par toutes les marines occidentales. Mais un grand nombre de bateaux ne vont pas jusqu'à Smyrne : On débarque aujourd'hui à Séagi pour venir par terre à Smyrne, sans entrer dans la baie, afin d'éviter le grand et dangereux tour de Kara-Bouroun[23]. Le Séagi de Tournefort, le Sighadjik des Turcs, est l'ancienne échelle de Téos, située en un golfe profond, sur la façade méridionale de la presqu'île. Nos Instructions nautiques connaissent encore ce mouillage, bien abrité des vents du Nord par la masse de la presqu'île et couvert au Sud par de petits promontoires ou par des îlots :

Mouillage par 15 à 15 mètres d'eau. Fond de bonne tenue. La ville de Sighadjik a une certaine importance commerciale. On peut s'y procurer facilement du bœuf, de la volaille, des fruits et de l'eau. Elle est environ à vingt milles de Smyrne avec laquelle elle entretient de fréquentes relations. Les navires à voiles, se rendant à Smyrne et qu'un gros vent du Nord empêche de passer dans le Nord de Chios ou de louvoyer dans le détroit, mouillent fréquemment dans le port de Sighadjik et expédient leur cargaison à Smyrne par terre[24].

Sur la façade occidentale de la presqu'île, l'échelle de Tchesmé jouait alors le même rôle : tous les voyageurs francs signalent cet avant-port de Smyrne. Dans l'antiquité, Érythrées remplaçait Tchesmé comme Téos remplaçait Sighadjik. Les mêmes routes terrestres dispensaient déjà les vaisseaux grecs et romains de contourner le Kara-Bouroun : à travers les isthmes franchis, les caravanes venaient chercher les flottes au bout des promontoires.

Et ce ne sont pas seulement des isthmes ou des péninsules que coupent les caravanes pour permettre aux marins une moins longue traversée : ce sont parfois des continents tout entiers. Au Moyen Age, les Arabes et les Syriens font un grand commerce entre les ports de l'Extrême-Levant, Alexandrie. Saint-Jean-d'Acre, Saïda ou Tripoli, et les ports de la Crimée ou du Caucase, qui les conduisent aux marchés tartares, bulgares et finnois. Mais c'est par terre que s'exécute la moitié du trajet : embarqués aux ports de Syrie ou d'Égypte, ces marins ne contournent pas l'Asie Mineure ; ils viennent débarquer dans les ports de la mer de Chypre, Adalia, Alava ou Mersina, et leurs caravanes traversent le continent du Sud au Nord, pour rejoindre les ports de la mer Noire, Samsoun, Sinope ou Trébizonde, puis gagner en flottilles les ports de la Crimée et de la mer d'Azoff. Soudak, Kertch, Caffa, etc.[25]

Parfois la route terrestre est trop longue, trop dangereuse ou barrée par le brigandage et l'hostilité des habitants ; les marins ne peuvent s'y risquer en personne : ils cherchent alors parmi les indigènes des clients et des associés auxquels ils confient leurs marchandises et qu'ils dressent à la caravane. Quand au Moyen Age les Vénitiens détiennent le commerce du Levant, ou de nos jours quand les armateurs de Trieste reprennent le chemin des marchés turcs. les uns et les autres subissent des pertes et des retards dans la longue descente de la mer Adriatique et dans l'interminable périple de la péninsule turco-grecque. Une route terrestre, à travers les défilés de la Bosnie ou du Pinde, conduirait plus rapidement leurs marchandises aux bazars de Salonique et de Constantinople. Mais la traversée du pays albanais ou bosniaque n'offre aucune sécurité à l'étranger, surtout au giaour. Les Vénitiens font alliance avec les Slaves de Raguse ; les gens de Trieste donnent leurs marchandises aux Valaques du Pinde. Slaves ou Valaques, ce sont des indigènes qui font, pour les marins, la traversée du continent ; le va-et-vient des muletiers valaques, au service des marines adriatiques, se poursuit encore aujourd'hui entre Avlona ou Durazzo et Salonique.

Notre loi des isthmes est, je pense, suffisamment établie. J'ai dit qu'elle dominait vraiment toute l'histoire préhellénique. La topologie homérique ne se comprend que par elle. Nous avons déjà l'exemple de Mycènes. Gardant le défilé terrestre entre la mer du Levant et la mer du Couchant, Mycènes est la ville de l'or, son maitre est le Roi des rois, parce qu'elle prélève une douane sur les ballots ou les personnes qui sont forcés de franchir cet isthme. La tradition voulait que Mycènes dût son existence à un héros venu de la mer. Persée. A coup sûr elle dut sa richesse au commerce de la mer prolongé par la route terrestre. Ce ne sont pas ses collines caillouteuses dominant une plaine aride, ni ses monts dénudés lâchant leurs éboulis de rocs et leurs torrents, qui lui donnèrent la puissance et l'or : il fallut qu'un grand commerce étranger convoyât ou fit convoyer par là ses marchandises débarquées au port de Nauplie. De même, nous rencontrerons l'exemple de Thèbes fondée par Kadmos le navigateur, en pleine Béotie, au centre du pays le plus continental, semble-t-il, de toute la Grèce. Consultant nos cartes et nos habitudes actuelles, les archéologues s'écrient que voilà une jolie fable : une ville de l'intérieur, fondée par des marins, à une grande journée de toutes les côtes ! Thèbes est en effet, à une journée pour le moins de quatre ou cinq rivages : golfe de Krisa, golfe d'Antikyra, golfe de Pagæ, golfe de Mégare, golfe de Délion, golfe d'Anthédon, elle a au bout de ses routes terrestres tout un collier de mouillages qui regardent les quatre points de l'horizon. Et c'est, précisément, — nous le verrons plus loin, — parce que les routes terrestres, unissant les mers du Levant, du Nord, du Sud et du Couchant, viennent se couper en cet endroit, que Thèbes fut une fondation du commerce étranger.... Mais voici un autre cas plus homérique, si l'on peut ainsi dire. Étudiez le site d'Ilion.

Après les fouilles de Schliemann, il est difficile de nier que, plusieurs siècles durant, ce site ait possédé, sinon quelque grande ville, du moins quelque puissante demeure de rois et de riches hommes. La richesse d'Ilion, célèbre dans tout le inonde contemporain, attira sur la ville les convoitises et les assauts des pillards achéens et de bien d'autres pirates peut-être. Mais d'où vint cette richesse ? Il est vraisemblable que le voisinage des Dardanelles en fut le facteur principal. Car, ici encore, ce fut la situation, et non pas la nature des lieux, qui produisit cette capitale asiatique. Comparés aux plaines du Méandre, de l'Hermos ou du Caystre, que sont les pauvres marécages du Skamandre ? Voyez les vallées du Kaïkos et du Granique, et, en regard, le couloir étroit du Simoïs. Le domaine d'Ilion est sans étendue et sans grande richesse. Sardes, Laodicée, Pergame ou Aïdin sont les fruits prévus du sol qui les porta. Ilion dans ce pauvre recoin semble un paradoxe géographique : depuis les temps historiques, jamais une grande ville n'a reparu en cet endroit ; c'est ailleurs que se sont fondées les capitales de cette façade asiatique, Milet, Éphèse, Smyrne, Kydonie ou Brousse....

Mais reconstituez par l'esprit les navigations contemporaines : Ilion apparait aussitôt comme la Byzance de cette période préhellénique. Elle n'est pas, comme Byzance, assise au bord même du détroit, sur la mer qui la nourrit — et pourtant que de baies et de mouillages au long de ces Dardanelles où vingt villes plus tard vont se coudoyer ! — : à cette époque de piraterie, Ilion ne pouvait habiter la plage même ; elle devait être, à la mode du temps, une ville haute, juchée sur la colline avec une échelle à ses pieds. Mais pourquoi Ilion est-elle si loin du détroit ? ni l'entrée ni les deux rives des Dardanelles ne manquent de hautes guettes riveraines où les Hellènes installeront plus tard leurs acropoles de Sigeion, d'Ophrynion la Sourcilleuse, d'Abydos, de Sestos, etc. Comment se fait-il qu'Ilion soit allée choisir, en plein continent, une butte médiocre, séparée de la plage par une ou deux heures de chemin ? C'est là à vue de carte une singulière fantaisie.

Prenez une carte détaillée[26] et souvenez-vous de notre loi des isthmes. La petite plaine maritime du Skamandre est un isthme en réalité : elle s'allonge du Sud au Nord entre deux mers. connue pour rejoindre à la baie de Besika. qui est le dernier mouillage de l'Archipel, la baie de Koum-Kaleh (Port des Achéens) qui est le premier mouillage des Dardanelles. Cet isthme plat a douze ou quinze kilomètres de long ; tuais il est très resserré dans sa largeur : à gauche et à droite, des collines abruptes, qui le bordent de près, en font un couloir ; à droite. vers l'Est, les terrasses continentales portent Ilion ; à gauche, vers l'Ouest, ce sont les bosses rocheuses d'un massif autrefois insulaire que les alluvions ont ensuite soudé à la côte et qui porta l'antique Sigeion. Entre ces deux murs de collines, d'une baie à l'autre, l'isthme n'est qu'un couloir de marais. de lits fluviaux, d'étangs, de vases, de rivières courantes ou desséchées. Indifféremment, vers le Sud ou vers le Nord, vers l'Archipel ou vers les Dardanelles, sans rencontrer d'obstacles, le Skamandre se pourrait jeter dans la baie de Koum-Kaleh ou dans la baie de Besika. Actuellement, le courant principal pousse vers Koum-Kaleh ; mais des bras secondaires se détournent vers Besika et vers les étangs voisins. Aujourd'hui encore, cette vallée n'est qu'un détroit mal comblé. Il fut un temps où la mer s'étendait là. Le massif du Sigée fut une île côtière. Le courant des Dardanelles entourait cette île de toutes parts. Le détroit avait déjà sa grande porte actuelle au Nord de Sigée ; mais il avait aussi une autre poterne qui. dans le Sud, aboutissait à la baie de Besika. Coupé en deux par le massif insulaire, le courant se divisait pour enfiler cette double passe.... Mais, ici comme sur toute la façade occidentale de l'Asie Mineure, les fleuves et rivières de boue firent leur besogne. Ces descentes d'alluvions, qui déjà frappaient d'étonnement les Anciens et qui successivement comblèrent les ports de Milet et d'Éphèse. vinrent boucher l'une des passes de notre double détroit. Entre file de Sigée et les collines d'Ilion, les alluvions construisirent un cordon d'abord. puis une jetée plus large, puis une vallée qu'elles ne cessent encore aujourd'hui d'étirer vers le Sud et vers le Nord.

Les descriptions de l'Iliade prouvent qu'aux temps homériques, des champs boueux unissaient déjà les collines d'Ilion aux collines de Sigée. Le couloir offrait déjà une route terrestre entre les baies de Besika et de Koum-Kaleh. Il est vraisemblable que ces baies, beaucoup moins comblées, étaient beaucoup plus creuses, par conséquent beaucoup plus rapprochées l'une de l'autre : les alluvions n'ont fait durant trente siècles que les éloigner en augmentant la largeur de l'isthme. Mais, aux temps homériques, la vallée et sa route terrestre existaient déjà, et c'est au bord de cette route isthmique, juste à mi-chemin des deux baies, qu'Ilion choisit une butte pour installer son acropole. Cette route isthmique était fort courte : dix kilomètres tout au plus. Mais elle était très importante. Elle devait être très fréquentée. Les Instructions nautiques vont nous expliquer pourquoi[27]. Les voiliers, qui de l'Archipel veulent passer dans la Marmara. rencontrent à la bouche du détroit deux obstacles souvent insurmontables, un courant contraire et un vent contraire :

Le courant général dans les Dardanelles porte de la mer de Marmara vers la Méditerranée, c'est-à-dire qu'il a la direction du S.-O. La force du courant est variable et dépend beaucoup de la force du vent ou de sa direction, comme aussi, ce qui est facile à comprendre, de l'abondance des pluies ou de la fonte des neiges venant gonfler les fleuves qui se jettent dans la mer Noire. Lorsque le vent souffle du Nord, la force du courant augmente, surtout dans les passages étroits, et l'on a constaté qu'elle atteignait parfois cinq milles à l'heure entre les Vieux-Châteaux. Avec les vents forts du S.-O., le courant renverse quelquefois. Mais ce phénomène est rare et comme les vents du N.-E. prédominent pendant neuf mois de l'année, on peut considérer le courant S.M. comme presque permanent. De Gallipoli à on peut prendre comme moyenne du courant sur toute la distance la vitesse de 1 mille ½ à l'heure.... Les vents du N. et ceux du N.-E., ou vents Étésiens (appelés mellems par les Turcs), prédominent en moyenne neuf mois de l'année : les vents irréguliers de la partie Ouest durent à peine trois mois. En hiver les vents du N.-E. sont accompagnés de brouillard et de neige : la navigation est impossible pour un navire à voiles. En été, ils sont plus constants. lis se lèvent généralement le matin et tombent au coucher du soleil. Il n'est pas rare de voir dans le canal de Ténédos ou dans les autres mouillages, deux ou trois cents navires attendant une brise favorable. Avec chaque brise légère du Sud, ils appareillent, niais seulement pour aller d'un mouillage à un autre', et ils n'atteignent la mer de Marmara qu'après avoir parcouru par petites étapes la distance qui les en séparait[28].

Vent et courant contraires durant tout l'été, nos grands voiliers éprouvent quelque difficulté à franchir les Dardanelles. L'entrée surtout est hasardeuse. A la bouche du détroit, le vent et le courant règnent en maîtres. Plus haut, les pointes saillantes de la côte changent la direction du courant et donnent naissance à des contre-courants qui peuvent, dans quelques parties du détroit et spécialement dans les baies, aider un navire à gagner vers l'Est avec des vents faibles : sur la côte d'Asie, on trouvera des contre-courants favorables[29]. Une fois entrés, les navires trouvent aussi des brises de terre qui contrarient un peu l'effet du violent N.-E. et l'on peut espérer des vents du Sud avant le lever du soleil ou après son coucher. La navigation dans l'intérieur des Dardanelles est donc relativement commode. Mais il faut entrer : avant de franchir la porte, il faut souvent faim provision de patience. Il faut s'en aller mouiller plusieurs jours, plusieurs semaines, parfois toute une lunaison, sous Ténédos ou dans quelque autre mouillage à portée du détroit. Il faut être à portée : on devra tirer profit de tous les avantages, car les vents favorables ne sont jamais de longue durée et même se font rarement sentir pendant vingt-quatre heures de suite.

Si nos grands voiliers en usent ainsi, à plus forte raison les barques primitives devaient-elles longuement séjourner en ces mouillages d'attente. Parmi ces mouillages, le plus voisin des Dardanelles et le plus fréquenté, aujourd'hui encore, est notre baie de Besika. On y peut mouiller par 13 à 20 mètres d'eau ; le fond y est de vase, de sables et d'herbes ; on choisira ce refuge de préférence. La baie est favorable au canotage à la voile, car, bien que le vent y soit souvent frais, il n'y a en général pas trop de houle ni de courant. La haie est considérée comme un mouillage d'été sûr. Cet abri offrait plus de sécurité encore aux barques primitives, que l'on tirait sur les plages basses du pourtour. Mais une fois les barques halées, à quoi bon perdre de longs jours pour attendre un vent favorable qui ne vient pas, et pour risquer ensuite l'entrée périlleuse du détroit ? La route terrestre s'offrait : à travers l'isthme, on arrivait en deux heures de marche sur l'autre mer. Débarquant et déchargeant à Besika. il suffisait de porter les marchandises dans la haie de Koum-Kaleh.... Les gens d'Ilion gagnèrent leurs richesses à ce portage. Leur ville devint l'entrepositaire du commerce entre la mystérieuse et tempétueuse mer du Nord et les eaux plus calmes de la mer Intérieure. Les mitres d'Ilion se firent les commissionnaires de tous les peuples de l'Asie occidentale, qui, tous, devinrent leurs clients et leurs amis : le catalogue des alliés troyens, tel que nous le fournissent les poèmes homériques, est peut-être d'une rigoureuse exactitude.

Que l'on transporte maintenant ces habitudes des navigations primitives dans notre itinéraire de Télémaque. Sûrement, les marins de l'Odyssée, embarqués à Ithaque, n'allaient pas d'une traite débarquer en Laconie. Les pointes extrêmes du Péloponnèse, Matée ou Matapan. ont toujours eu parmi les matelots une fâcheuse renommée. Gare au Matée ! disait un proverbe. En doublant le Matée, disait un autre, oublie les gens et les choses de chez toi[30].

Autour de ces pointes, les vents soufflent en rafales et brusquement sautent du calme à la tempête. Ulysse nous contera comment il a manqué le détroit de Kythère : le courant et le terrible vent du Nord l'ont chassé des mers grecques et jeté vers le Sud jusqu'aux rivages africains,

λλ με κμα ῥόος τε περιγνμπτοντα Μλειαν

κα Βορης πωσε, παρπλαγξεν δ Κυθρων[31].

Durant la guerre du Péloponnèse, les Athéniens, malgré leurs flottes nombreuses, ne peuvent suffire à ravitailler leurs troupes campées sous la Pylos messénienne : On craignait que l'hiver n'en rendit la garde impossible ; les transports de vivres et d'armements ne pourraient plus contourner le Péloponnèse ; en été déjà, ils ne pouvaient suffire à la tâche[32]. Strabon, ayant décrit les dangers du Matée, ajoute : C'est pourquoi les commerçants entre l'Italie et l'Asie évitaient le périple du Péloponnèse : ils préféraient la voie de Corinthe et, débarquant d'un côté de l'isthme, ils se rembarquaient de l'autre côté.

Télémaque ne s'en ira donc pas faire le tour du Matapan. Il préférera, lui aussi. la traversée d'un isthme. Débarquant en face d'Ithaque sur la côte péloponnésienne, au premier point d'où part une route terrestre, il quittera son bateau pour la voiture. L'Odyssée donne le nom de Pylos à ce point de débarquement. Par la disposition des routes à travers le Péloponnèse, par la longueur des voyages maritime et terrestre de Télémaque, est-il impossible de déterminer exactement la situation de cette Pylos ?

A travers le Péloponnèse, deux grandes routes terrestres conduisent à Sparte. L'une, partant du golfe de Corinthe ou du golfe d'Argos, traverse le Péloponnèse oriental. Des rivages orientaux ou septentrionaux de la péninsule, elle monte brusquement aux passes des monts arcadiens. Puis, du Nord au Sud, elle emprunte la ligne des dépressions lacustres qui occupent la moitié orientale du plateau d'Arcadie. : Phénée ou Stymphale, Orchomène, Mantinée et Tégée sont ses principales étapes. Elle redescend brusquement à travers les défilés tégéates vers Sparte la creuse.... Cette route est la plus fréquentée aujourd'hui ; elle fut toujours la plus importante dans le Péloponnèse hellénique, c'est-à-dire dans un Péloponnèse orienté vers les terres et les mers vraiment helléniques de l'Est et du Nord : elle servit dans l'antiquité pour toutes les expéditions militaires et pour toutes les relations commerciales des Spartiates. Elle est pourtant âpre. coupée de défilés et de plaines marécageuses, impraticable durant l'hiver à cause de la neige et des eaux débordées, malsaine et fiévreuse durant l'été. Elle correspond d'ailleurs à un certain état de commerce, qui met Sparte dans la clientèle des ports argiens, athéniens ou corinthiens, et cet état n'existe qu'aux temps de thalassocraties grecques.

L'autre route, même avant le travail de l'homme, était d'un tracé moins heurté. Elle traverse le Péloponnèse du Sud-ouest. Elle part du golfe d'Élide et va au golfe de Laconie, en empruntant les deux vallées fluviales qui coupent d'un véritable chenal les massifs méridionaux de la péninsule. Commençant aux bouches de l'Alphée, elle remonte ce fleuve jusqu'à la haute plaine de Mégalopolis : puis des pentes sans raideur et la vallée de l'Eurotas la conduisent doucement à Sparte. Elle traverse ainsi, du golfe de l'Alphée au golfe de l'Eurotas, un isthme véritable. D'une mer à l'autre, son canal de vallées est continu, avec un seul passage difficile, le défilé du Lycée, où l'Alphée, en brusques cascades, quitte la plaine supérieure de Mégalopolis pour sauter dans la gorge d'Héraia. Mais en se tenant aux flancs des monts, la route peut sans grands efforts franchir cette passe. Partout ailleurs, la nature avait fait le premier tracé.... Cette voie ne correspond pas aux besoins des marines grecques de l'Archipel. Mais si jamais une marine étrangère dut pour ses échanges fréquenter à la fois les ports de l'Élide et les ports laconiens la mer crétoise et les mers italiennes, on peut prédire que les caravanes étrangères empruntaient sûrement cette route isthmique au long de l'Alphée et de l'Eurotas.... C'est près des bouches de l'Alphée, que Strabon et les Plus Homériques plaçaient la Pylos triphylienne et le débarcadère de Télémaque.

Le Péloponnèse n'a pas d'autre route intérieure pour desservir le marché spartiate. Les touristes, qui aiment les chemins impraticables, connaissent pourtant un troisième chemin vers Sparte. C'est un sentier de chèvres et de brigands, qui de Messénie peut conduire en Laconie par-dessus le Taygète : de la plaine de Kalamata, la Langada mène par-dessus les monts à la plaine de l'Eurotas. Ce sentier a joui d'une assez grande renommée durant les derniers siècles : il fut, au temps des Turcs, suivi par les ânes et les bêtes de somme des indigènes. C'est que les Maniotes vivaient alors au flanc des monts, dans une complète indépendance. Mais le bas pays était aux mains du Turc. Les montagnards ne pouvaient, sans risques, descendre de leurs repaires. Il leur fallait pourtant trafiquer avec les villes du voisinage et avec les peuples de la mer. Les routes de la plaine leur étant fermées. ils durent, pour les échanges entre les deux façades de leurs monts, chercher un passage intérieur et se contenter de cette périlleuse Langada. Mais quand on suit cette gorge, on admire vraiment les géographes de cabinet, qui font circuler le char de Télémaque à travers ces roches éboulées, ces pierres pendues, ces échelles de cailloux roulants et ces étroits paliers vertigineux. Les seules botes de somme, avec une charge légère, peuvent la franchir au pas, à la queue leu-leu. Les cavaliers doivent mettre pied à terre pour la moitié du parcours. Nos ingénieurs cherchent encore le moyen d'ouvrir une route dans cette passe. Aujourd'hui comme autrefois, entre la Messénie et Sparte, le seul chemin carrossable ne franchit pas le Taygète, mais le contourne par le Nord : la large porte de Léondari, qui s'ouvre entre la plaine messénienne et le pays de Mégalopolis, permet aux charrois n'esséniens de rejoindre la vallée supérieure de l'Alphée et d'emprunter la grande route des fleuves décrite plus haut.

Il semble donc que la topographie nous donne une présomption en faveur de la Pylos triphylienne. La seule route terrestre, qu'ait pu vraisemblablement suivre Télémaque, côtoie l'Alphée et l'Eurotas. C'est vraisemblablement aux bouches de l'Alphée que Télémaque a laissé son bateau pour la voiture. Nous avons un moyen rapide de vérifier ou d'infirmer aussitôt cette présomption par un calcul assez précis. L'Odyssée nous fournit des distances et des étapes que nous allons appliquer à cet itinéraire.

Nous avons d'abord la durée du voyage maritime, et cette durée seule localise peut-être Pylos. De dix ou onze heures du soir jusqu'au lever du soleil, le vaisseau vogue à pleines voiles durant une courte nuit d'été : qui dit navigation primitive, en effet, dit aussi belle saison, du milieu du printemps au début de l'automne. Donc la traversée ne dure que huit ou neuf heures, au grand maximum. Elle se fait dans les conditions les plus favorables : Athèna a envoyé une forte brise arrière. Calculons un maximum de parcours, cinq à six nœuds à l'heure. Les poèmes homériques nous permettent d'établir ce calcul. Dans l'Iliade, Ulysse part du Camp des Grecs pour ramener Chryséis à son père. Il navigue vers le Sud. Il profite des vents de Nord qui sortent des Dardanelles avec le lever du soleil. Il part dès l'aurore. Apollon, que sert le père de Chryséis, envoie au bateau d'Ulysse la même forte brise arrière qu'Athèna à son cher Télémaque, et le vaisseau court ainsi tout le jour : Depuis le Camp des Grecs devant Troie jusqu'à Chrysè, il y a, dit Strabon, sept cents stades, c'est-à-dire la navigation d'un jour. C'est bien le trajet qu'a pu faire Ulysse d'après le récit de l'Iliade : parti dès l'aurore, il est arrivé le soir[33]. Pour les bateaux homériques, la navigation d'un jour est d'environ sept cents stades. Sept cents stades du lever au coucher du soleil, c'est au maximum, dans les conditions les plus favorables, cent vingt à cent trente kilomètres en quatorze ou quinze heures, soit au grand maximum (on verra tout à l'heure pourquoi je calcule toujours sur des maxima) neuf kilomètres à l'heure. Par l'étude des navires homériques, de leur construction et de leur gréement, et par le calcul approximatif de leur vitesse maximum, nous reviendrons au même chiffre dans la suite. Hérodote (IV, 86) nous dit que dans les longs jours, en de bonnes conditions, un navire peut faire 70.000 orgyies, et 60.000 par nuit, soit environ (70.000 * 1m,77) cent vingt-quatre kilomètres dans un long jour et cent six kilomètres dans une nuit. en tout deux cent trente kilomètres en vingt-quatre heures, c'est-à-dire neuf à dix kilomètres à l'heure.

Appliqué au voyage de Télémaque. ce chiffre nous donnerait, pour les huit ou neuf heures de cette nuit d'été, quatre-vingts à quatre-vingt-dix kilomètres. Prenons encore le grand maximum de cent kilomètres. C'est là, je le répète, un grand maximum que la petite navigation voilière n'atteint presque jamais. Dans ces parages, il est assez rare que la brise se maintienne huit ou neuf heures sans changer ni faiblir : au long de ces côtes découpées, à travers ces chenaux et ces pointes, le vent se masque ou se renverse. Comptons pourtant cent kilomètres. Des deux Pylos que nous connaissons sur la côte péloponnésienne. il en est une que ce calcul écarte aussitôt. Entre la dernière pointe d'Ithaque et la Pylos de Messénie, la distance en droite ligne, à vol d'oiseau, serait déjà de cent quatre-vingts kilomètres. Or la ville d'Ulysse n'était pas sur la dernière pointe d'Ithaque : nous la retrouverons au contraire à l'autre bout de File, presque à l'extrémité septentrionale du canal de Képhallénie, en face de l'îlot d'Astéris ; il faudrait donc ajouter encore ta longueur de ce canal, soit une vingtaine de kilomètres. En outre la distance à vol d'oiseau n'est pas la distance à vol de navire. Ces vieilles marines ne naviguent pas en droite ligne à travers la mer libre. Elles suivent les côtes et contournent caps et sinuosités. Elles n'abandonnent la terre qu'au dernier promontoire et vont atterrir au promontoire le plus voisin. Télémaque a d'abord doublé toutes les pointes du canal de Képhallénie. Puis il s'est dirigé sur le cap le plus occidental du Péloponnèse. Il a atterri tout au bout de la plaine éléenne vers le promontoire Chélonatas. Il a longé cette plaine. Le poète ne nous décrit pas minutieusement cette navigation dans le voyage d'aller. Mais, pour le retour, il nous montre le navire quittant Pylos, longeant les côtes de l'Élide et saluant au passage les petits fleuves et les caps :

δ Φες πβαλλεν πειγομνη Δις ορ

δ παρ λιδα δαν, θι κρατουσιν πειο[34].

Ce n'est plus alors deux cents, mais deux cent cinquante ou deux cent quatre-vingts kilomètres qu'il faut compter entre le port d'Ithaque et la rade de Navarin. Avec la brise la plus favorable, deux nuits ne suffiraient pas à Télémaque pour atteindre la Pylos messénienne, et cette difficulté sur l'ensemble du voyage se complique dans le détail. Le poète nous donne une étape de la traversée au cap Pheia, — et il nous donne la longueur approximative de cette étape. Le cap Pheia est situé au Nord-Ouest des bouches de l'Alphée, à quinze ou vingt kilomètres de ces bouches. Entre Pylos et le cap Pheia, la navigation de Télémaque ne doit durer que quelques heures. Étudiez, en effet, le voyage de retour. Télémaque, ayant quitté son ami Pisistrate sur la plage de Pylos. s'embarque et met à la voile. Il a encore pour lui le vent favorable que lui envoie Athèna. Le navire court sur la mer. Après le soleil couché, à l'heure où toutes les rues sont emplies d'ombres, il double le cap Pheia. Or Télémaque n'est parti qu'assez tard de la plage de Pylos. Il avait fait auparavant une longue route en voiture. Le matin, il avait quitté Phères, son gîte d'étape. Il avait voyagé sur le char de Pisistrate une partie du jour. Descendu de voiture, il avait encore perdu son temps à la plage : le vaisseau était tiré à sec ; il avait fallu le remettre à flot et l'armer. Retards encore pour accueillir un suppliant. pour sacrifier aux dieux et enfin pour la manœuvre de départ. On n'avait donc mis à la voile que longtemps après le milieu du jour. Au maximum, c'est une petite demi-journée de navigation qui sépare Pylos du cap Pheia : la Pylos messénienne en est à plus de cent vingt kilomètres.

Nouvelles difficultés encore, si l'on veut appliquer à la Pylos messénienne quelques particularités de la description homérique. En bas de Pylos, qui est une haute ville, l'Odyssée mentionne une plaine où paissent les troupeaux de bœufs, où s'élancent les chevaux et les chars, πεδίονδε, ές πεδίον. En bas de la Pylos messénienne, il n'y a qu'une lagune et la mer : le beau plan de l'Expédition de Morée, dont je donne une photogravure, nous montre bien que cette roche du Koryphasion n'est qu'un ancien flot échoué entre la lagune et la mer. Ajoutez que la Pylos homérique est un grand port, la capitale d'un peuple marin. Son mouillage doit être conforme aux nécessités et aux habitudes des marines contemporaines. Or nous verrons pourquoi ces marines primitives fuient les golfes profonds et les rades closes. La rade de Navarin, avec l'ilot de Sphagia (ancienne Sphaktérie) qui la ferme, peut nous sembler l'idéal d'un mouillage moderne : en travers du chenal Sikia et sur le promontoire de Paléo Avarino, la Pylos du Koryphasion commande la rade et la petite lagune Dagh-Liani. Mais les marines à voile ont toujours dédaigné cette rade. D'entrée et de sortie difficiles, ce mouillage ne peut servir que par certains vents, et l'histoire récente nous montre le danger que court une flotte bloquée dans ce cul-de-sac : le pacha d'Égypte y vit flamber ses vaisseaux sans pouvoir en sortir.... C'est une loi de ces marines primitives, — je demande un crédit provisoire pour cette affirmation, — que leurs ports et débarcadères ne sont jamais au fond d'une rade close, mais à portée de la mer libre : sur la mer libre, la roche du Koryphasion ne présente qu'une façade abrupte sans pente d'échouage.

J'ai mentionné déjà l'impossibilité pour un char de trouver sa route entre Navarin et Sparte. à travers les contreforts de l'Ithome d'abord, puis à travers la sierra du Taygète. Certains archéologues tiennent pourtant à cet itinéraire. Ils ont exploré les ruines de Phères sur les premiers contreforts du Taygète. Ils ont découvert, aux abords de la ville ancienne, une amorce de chaussée pavée. Ils en ont conclu que la chaussée continuait jadis à travers le massif. J'ai dit que les ingénieurs français et grecs, moins habiles, cherchaient encore un passage carrossable entre Sparte et Kalamata[35].... Le texte homérique, du moins, aurait dû mettre en garde ces archéologues. Les poèmes homériques connaissent plusieurs Phères, qu'il ne faut pas confondre. D'après l'Odyssée, la Phères où séjourne Télémaque est la propriété du roi Dioclès, fils d'Orsilochos, fils de l'Alphée. L'Iliade, d'autre part, mentionne la Phères messénienne avec les six villes voisines de Kardamylè, Enopè, Ira, Antheia, Aipeia et Pédalos. Ces villes messéniennes forment une heptapole maritime, qui est aux mains des Achéens et dans la dépendance d'Agamemnon. Le roi des rois promet de donner à Achille cette heptapole,

πτ δ ο δσω ε ναιμενα πτολεθρα

Καρδαμλην νπην τε κα ρν ποιεσσαν

Φηρς τε ζαθας δ νθειαν βαθλειμον

καλν τ Απειαν κα Πδασον μπελεσσαν[36].

La Phères messénienne appartient donc à Agamemnon et non pas à Dioclès. Ce n'est pas en Messénie qu'il faut chercher la demeure de Dioclès, petit-fils de l'Alphée. L'Alphée. qui n'est pas un fleuve messénien, traverse l'Arcadie et l'Élide. Il est donc vraisemblable que les descendants de l'Alphée possèdent quelque canton de ces pays. Un autre fils de l'Alphée, Phégeus, règne dans la Psophis arcadienne.... En bas de la Phères de Dioclès, l'Odyssée mentionne une plaine, où les chevaux de Télémaque, tournés vers Sparte. volent à travers les champs de blé, ές πεδίον πυρηφόρον : la Phères messénienne est déjà dans la montagne et c'est la montagne inculte et nue qu'il faudrait franchir pour atteindre la vallée de Sparte.

Voilà bien des difficultés ou des impossibilités, si l'on veut s'en tenir à la Pylos messénienne. L'usage, il est vrai, n'est pas d'étudier les détails du texte odysséen : il est si commode et si classique de toujours invoquer le fameux droit des poètes à inventer ce qui leur plait et à écrire ce qui leur chante !... Voyons pourtant si la Pylos de Triphylie ne légitimerait pas la théorie des Plus Homériques touchant la parfaite réalité de la géographie odysséenne.

Dans les poèmes homériques, le nom de Pylos, comme le nom d'Argos, désigne tout à la fois une ville et un territoire : πασαν τν χραν μχρι καλε Πλον μωνμως τ πλει[37]. Le territoire s'étend entre l'Alphée, qui traverse la terre des Pyliens, et l'heptapole messénienne qui est voisine de Pylos. Car les sept villes maritimes, dit le poète, touchent à Pylos,

πσαι δ γγς λς, ναται Πλου μαθεντος[38],

et Thryoessa, qui tient le gué de l'Alphée touche aussi à Pylos,

στι δ τις Θρυεσσα πλις απεα κολνη

τηλο π λφει, νετη Πλου μαθεντος[39].

Le territoire de Pylos est donc situé quelque part entre l'Alphée et la Messénie. La ville, à la mode du temps, est une ville haute, αίπύ πτολίεθρον : c'est la vieille capitale de Nélée et de Nestor. Pylos, comme ville et comme territoire, est un site bien caractérisé. Sur le pourtour de cette Grèce rocailleuse, où les falaises abruptes ne sont guère interrompues que par des deltas vaseux ou des estuaires dormants, Pylos est sablonneuse. Ήμαθόεις, la Sableuse, est son épithète constante. Dans les poèmes homériques, toujours cette épithète lui est appliquée. Et cette épithète lui est réservée. Le monde homérique n'a pas d'autres rivages de sables. C'est la Porte des Dunes. Sa plage est unie, sans roches. Les vaisseaux peuvent aborder sans précautions, perpendiculairement à la rive, puis s'échouer sans risque d'avaries :

ο δ θς κατγοντο δ στα νης ἐίσης

στελαν εραντες, τν δ ρμισαν, κ δ βαν ατο[40].

Derrière cette plage de sables, s'étend une riante contrée, la bonne Pylos, Πύλος ήγαθέη. Nestor, roi de la sablonneuse Pylos, règne aussi sur la charmante Arénè. Il a des prairies pour ses troupeaux de génisses et de taureaux, pour ses haras et ses chevaux. Il est le héros cavalier. Derrière la plage aussi, tout au bord de la plaine, se dressent de hautes et rocheuses collines, qui fournissent un emplacement et des matériaux pour les villes hautes, bien bâties. On est encore à l'époque où la mer infestée de pirates est d'un voisinage dangereux . Errez-vous sur la mer comme des pirates cherchant le mal du voisin ? est la première question de Nestor. Les villes doivent se réfugier sur les monts. La plage est déserte. Quand les marins étrangers n'y viennent pas installer un campement et un bazar temporaires, les indigènes n'y descendent que pour adorer les dieux de la mer. En bas de Pylos, parmi les sables marins, έπί ψαμάθοις άλίησιν, Télémaque trouve les Pyliens en train de sacrifier à Poséidon. Mais la ville haute n'est pas loin. Elle doit être toute proche même. Relisez l'arrivée de Télémaque. Près du Poseidion de la plage, le festin se prolonge jusqu'à la nuit. Pour regagner la ville haute où l'on dormira, on ne quitte la plage qu'après le soleil couché. Le lendemain, dès l'aube, on envoie chercher les compagnons de Télémaque qui ont dormi près du vaisseau. Ils arrivent aussitôt prendre part au nouveau sacrifice que l'on célèbre dans la ville haute.... De même, voyez Télémaque rentrant de Sparte. Il arrive dans la plaine qui s'étend aux pieds de la ville. Il est pressé de s'embarquer. Il demande à son cocher Pisistrate de ne pas le faire remonter là-haut. Il craint le long dîner des adieux et l'affectueux bavardage de Nestor. Il veut partir ce jour même : Alors Pisistrate tourna les chevaux vers le navire et vers la plage, et répondit : Hâte-toi de t'embarquer avant que, rentré à la maison, j'annonce la chose au vieillard. Car il ne te laisserait pas partir. Il viendra lui-même ici et tu peux être sûr qu'il ne rentrera pas seul. Puis il retourna les chevaux vers la ville des Pyliens et il arriva rapidement aux maisons[41]. Il faut que la ville haute soit toute voisine : je l'imagine dominant la plage même.

Donc une plage de sables, bordant une plaine, au pied d'une ville haute, et. sur cette plage, un sanctuaire de Poséidon : voilà le site. Et ce site ne doit pas être éloigné de l'Alphée qui traverse la terre des Pyliens. L'Alphée se jette à la mer dans la haie qui, dès l'antiquité, portait le nom de golfe de Kyparissia ou d'Arkadia, à cause de la ville de ce double nom. Ce golfe, entre la pointe rocheuse de Pheia au Nord et la côte rocheuse de Kyparissia au Sud, n'est qu'un demi-cercle de dunes : Sur presque tout son contour, disent les Instructions nautiques, le rivage est bas, sablonneux, bordé en arrière-plan par une terre montagneuse. C'est une plage de sable uniforme, à travers laquelle plusieurs cours d'eau se jettent à la mer[42]. Derrière cette plage, une bande de plaine bien arrosée est plantée de bois et de bosquets, qui de tout temps ont fait l'admiration des voyageurs. Pausanias et Strabon vantent, comme Beulé, Boutan et Frazer. la joliesse et la fertilité de ce pays. Cette terre est pleine de sanctuaires d'Artémis, d'Aphrodite et des Nymphes, au milieu de bosquets fleuris qu'alimentent les eaux abondantes ; les sanctuaires d'Hermès bordent les routes ; les sanctuaires de Poséidon jalonnent les promontoires[43]. Ces Poseidia antiques ont été remplacés aujourd'hui par les églises de saint Nicolas. Ce grand saint, qui sauva jadis les enfants dans la cuve, sauve encore les marins en péril de mer.... Et. longeant cette plaine, les montagnes aux longues pentes envoient jusqu'à quelques kilomètres — en un point, jusqu'à quelques mètres — de la rive leurs contreforts chargés de vignes et de villages. Toutes les habitations sont aujourd'hui encore sur la hauteur. La rive est déserte. Mais à chacun des bourgs élevés correspond, sur la plage ou près de la plage, une station complémentaire de huttes et d'abris pour l'été, de kalivia : la carte de l'État-Major français nous montre partout, en bas de Strovitzi, en bas de Mophtitza, en bas de Piskini, etc., les kalivia de Piskini, de Strovitzi et de Mophtitza. Plage sablonneuse, plaine fertile, villes hautes, sanctuaires de Poséidon, il semble que nous ayons ici toutes les conditions du site homérique. Mais, aujourd'hui, nous avons en ce golfe quelque chose de plus. Il faut ajouter au paysage un trait qui est d'origine récente. Ce sont des lagunes que ni Pausanias ni Strabon n'ont signalées.

Au temps de Pausanias, déjà, les rivières et les ruisseaux descendus de la haute terre éprouvaient quelques difficultés à pousser jusqu'à la mer. Leurs eaux s'arrêtaient dans les sables, quand elles avaient à lutter contre le vent. Car les vents d'Ouest sont violents sur cette façade du Péloponnèse. Les Anciens y avaient des cultes de Notre-Dame-du-Vent, Athéna Anémotis. Les Grecs modernes y ont des Bourgs du Vent, Anémochorion : Le fleuve Anigros se jette à la mer. Mais souvent le courant est rebroussé par le souffle des vents très violents qui, soulevant le sable de la mer, arrêtent l'écoulement des eaux, dit Pausanias. Strabon ajoute que la plaine voisine est en contrebas, souvent inondée. La plaine de l'Anigros, c'est-à-dire la rive du golfe qui s'étend au pied du mont Kaiffa ou Kaiapha, était donc un marais intermittent. De même, au Nord de l'Alphée, derrière le cap Pheia, près de Létrini, l'antiquité connaissait déjà une autre flaque, constante celle-là, un petit lac de trois stades environ[44]. Aujourd'hui, le golfe sur la moitié de son pourtour est bordé de longues et larges lagunes. Le petit lac de Létrini, qui mesurait trois stades au temps de Pausanias, est devenu la lagune de Mouria, longue de six kilomètres, large par endroits de deux. La plaine marécageuse de l'Anigros est devenue, sur trois ou quatre kilomètres de long, la lagune de Kaiapha. Entre ces deux lagunes, sont encore survenues les Pêcheries d'Agoulinitza qui forment une vraie petite mer intérieure, sur douze ou quinze kilomètres de long et deux, trois ou quatre kilomètres de large.

Cette dernière flaque d'eau salée est, tout entière, d'origine récente. Elle est coupée de la haute mer par un cordon littoral, dont les alluvions de l'Alphée et les sables du fond ont fourni les matériaux. Durant l'antiquité, tout porte à croire que cette petite mer n'existait pas. Nous voyons le vaisseau de Télémaque longer les Krounoi et le Chalkis au beau courant,

βν δ παρ Κρουνος κα Χαλκδα καλλιρεθρον.

Ce vers 295 du chant XV a été mis entre crochets par les philologues. Il passe, sans aucune raison connue, pour une interpolation. A coup sûr il existait déjà dans le texte odysséen que connut Strabon ; car Strabon le cite et le commente[45]. Cela seul importe à notre discussion. Au Sud de l'Alphée, au long de la montagne Makistia, Strabon retrouve le fleuve Chalkis et la source Krounoi. Il ne dit rien des Pêcheries. Cette montagne Makistia qui sépare la Triphylie de l'Élide est sûrement la ligne de hauteurs qui du mont Kaiapha s'allonge vers le Nord, en s'abaissant au dernier coude de l'Alphée. La source Krounoi est une fontaine, que signalent les voyageurs, sur la rive continentale des Pêcheries, un peu au Nord du Kaiapha, à l'entrée du vallon de Tavla. La rivière de Tavla serait le Chalkis aux belles eaux. Au temps de Strabon, la rivière se jetait en mer libre : Strabon admet que Télémaque a pu la voir. Un siècle plus tard. Pausanias traverse ce pays pour aller du Samikon à Olympie : c'est un pays de sables, planté de pins sauvages[46] : Pausanias n'a vu ni lac ni lagune. Tous les voyageurs modernes parlent longuement de ces Pêcheries et de ces marais salants qui font la richesse de la côte. Tous les gouvernements modernes les ont chèrement affermés aux paysans des alentours. Si la lagune eût existé déjà, le fisc romain n'aurait pas négligé une telle source de bénéfices et Pausanias ou Strabon nous l'aurait signalée, comme ils nous signalent la lagune de Létrini ou les pêcheries de telle côte espagnole[47].

Les Pêcheries ne semblent donc pas dater de l'antiquité classique. Représentent-elles une parcelle du golfe ancien, séparée de la mer par des cordons littoraux, et le rivage continental de la lagune dessine-t-il encore l'ancien rivage pélagique ? Est-ce au contraire un morceau de la plaine d'autrefois, qui fut inondée comme l'ancienne plaine de l'Anigros ? Je croirais plus volontiers qu'au milieu des Pêcheries, le chapelet d'ilots, qui s'allonge du Nord au Sud, nous fournit les témoins de l'ancien rivage maritime : il délimite à droite un morceau de plaine inondé, à gauche une parcelle de golfe barrée par le cordon littoral. Mais le mode de formation n'importe que peu. De toute façon, les fleuves, sources et ruisseaux de ce rivage aboutissaient autrefois à la mer. Aucun obstacle ne séparait de la mer les Krounoi et le Chalkis aux belles eaux. De la mer, les marins apercevaient la fontaine et le petit fleuve, que le cordon littoral masque complètement aujourd'hui. Ces changements de rivage sont conformes à ce que nous apprend l'histoire la plus récente de ce pays. A nous en tenir, en effet, aux documents les plus modernes, il est bien certain que, depuis un siècle à peine, 'cette côte a encore changé. Sans parler des embouchures mobiles de l'Alphée et des barres capricieuses, qui en sont la conséquence, la lagune de Kaiapha avait au temps de Leake une embouchure visible vers la mer : cette embouchure a complètement disparu[48].

Donc, aux temps homériques, les Pêcheries n'existaient pas, et voilà qui changeait du tout au tout les mouillages de ce golfe. Entre les bouches de l'Alphée et le mont Kaiapha, la côte se creusait alors en demi-cercle jusqu'au pied des collines. Le Kaiapha pointait vers la mer libre son promontoire dégagé. Le golfe n'avait pas encore sa courbe de sables continue depuis les roches de Pheia au Nord jusqu'aux roches de Kyparissia au Sud. Les roches du Kaiapha le divisaient en deux compartiments : deux plages demi-circulaires allaient de ces rochers vers Pheia et vers Kyparissia. Le Kaiapha, ainsi proéminent, se présentait aux navigateurs comme le port central du double golfe. Tout invitait vers ce mouillage. De la pleine mer, la haute borne du mont Alvéna l'indiquait et guidait la manœuvre. Cette colonne naturelle apparaît de loin, dominant de ses douze cents mètres le troupeau des collines qui ne dépassent pas huit cents mètres. La plage de sables offrait sa pente à l'échouage et sa plainette au campement. Dans les sables, sourd une fontaine que la carte française signale à quelques mètres de la rive. C'est ici que les indigènes avaient leur sanctuaire fédéral dans le temple du Dieu de la Mer, au Poseidion Samien. C'est ici qu'ils avaient leur échelle et leur plage d'embarquement, ό κατ' αύτό όρμος, dit Strabon[49]. Les marins trouvaient ici l'aiguade et la protection du temple. Ce sanctuaire isolé, sur la plage déserte, resta, durant l'antiquité classique, comme le souvenir d'un autre âge où ce site avait connu la prospérité. Pareillement aujourd'hui, sur la même plage de ce golfe, mais un peu au Sud du Kaiapha, on trouve une église grecque abandonnée, quoique à peu près intacte, qui peut passer pour un des plus charmants modèles de l'architecture byzantine. Cette église, maintenant isolée, prouverait, s'il était besoin de preuves, qu'au Moyen Age le pays était beaucoup plus peuplé qu'aujourd'hui, car elle ne ressemble en rien aux nombreuses chapelles que l'on rencontre partout dans les champs. Elle est d'une construction très soignée, qui indique qu'elle a été élevée par une population riche[50].

Sans remonter bien haut ni même aller bien loin, la côte éléenne peut nous offrir encore la réplique du vieux mouillage pylien, dans cette plage de Glareniza, qui fut si longtemps célèbre parmi les marines occidentales :

Le cap Glarentza, disent les Instructions nautiques, est formé par une projection rocheuse de la côte au bout d'un rivage bas, de sable, boisé et cultivé dans l'intérieur. Sur le côté du cap, le rivage forme une baie ouverte au Nord. A l'extrémité Ouest de cette baie, on trouve le village de Glarentza avec une douane et un petit môle. Les produits des riches cultures du voisinage y sont embarqués, pour Zante principalement. Devant le village, il y a un excellent mouillage d'été. Les caboteurs mouillent près de terre. A partir du cap de Glarentza, la côte à falaises longe une haute terre avec une colline remarquable, élevée de 261 mètres, sur laquelle se trouve un château, Kastro-Tornèse. Au pied du château est bâti le petit village de Klemoutzi[51].

Changez les noms propres : vous aurez le mouillage ancien du Kaiapha ou, comme dit Strabon, du Samikon. Les Pêcheries étaient alors un golfe ouvert, avec une plage de sables recourbée vers le Nord, comme la plage de Glarentza. Le Kaiapha était un cap pointé vers le Nord-Ouest, comme le cap de Glarentza. Sous ce cap, le mouillage était tourné, nous dit Strabon, vers le Nord et vers l'Ouest. Cette phrase du Géographe me semble une nouvelle preuve que, de son temps, les Pêcheries n'avaient pas encore noyé le Kaiapha.... Tel est le mouillage où, suivant Strabon, Télémaque vient débarquer. Voici la plage où le navire s'échoue, le Poseidion où les Pyliens offrent un sacrifice, et les sables parmi lesquels on banquette en l'honneur du dieu. La haute ville de Pylos ne doit pas être loin. Au temps de Strabon, elle avait complètement disparu. Le Géographe la cherchait auprès de Lépréon, à trente stades environ du mouillage. Ici nous nous écarterons un peu de la théorie de Strabon, ou plutôt de son hypothèse. Car cette localisation était de sa part simple hypothèse. Entre l'époque homérique et son temps, le pays a continuellement changé de maîtres. Les peuples de l'intérieur, Éléens et Arcadiens, l'ont disputé aux indigènes. Les peuples de la mer, Minyens et Kaukones, l'ont convoité et soumis. Chacune de ces conquêtes amenait, avec un changement de vie, le déplacement des villes et le bouleversement de l'onomastique locale. Au temps de Strabon, sous la paix romaine. le pays est partagé entre deux communautés : les Makistiens, qui sont les chefs religieux de la Triphylie, tiennent les cantons voisins de l'Alphée ; les Lépréates tiennent les cantons méridionaux, voisins de la Néda. Deux siècles plus tôt. au temps de Polybe, la Triphylie, qui s'étend sur la côte entre les Éléens et les Messéniens, a neuf villes, Samikon, Lépréon, Hypana, Typaneis, Pyrgos, Aipion, Bolax, Stylaggion, Phrixa[52]. Au temps d'Hérodote, on se souvient que le pays a été conquis par des pirates. Les Minyens en ont soumis les indigènes. Ils ont fondé Lépréon, Makistos, Phrixa, Pyrgos, Épion, Noudon ; mais de mon temps, les Éléens ont saccagé la plupart de ces villes[53].

Dans les poèmes homériques, le royaume de Nestor comprend Pylos, Arénè. Thryon, Aipu, Kyparisseis, Amphigéneia, Ptéléon, Élos et Dorion, en tout neuf villes. C'est le même nombre qu'au temps de Polybe. Ce chiffre neuf n'est peut-être pas fortuit. Ces neuf villes ont équipé quatre-vingt-dix (9 x 10) vaisseaux. Quand Télémaque trouve les Pyliens en train de sacrifier à Poséidon. ils sont rangés suivant un ordre, qui est peut-être rituel : il y avait neuf bancs, cinquante hommes sur chacun, et chacun offrait neuf taureaux[54]. N'aurions-nous pas ici le sacrifice fédéral de l'amphictyonie pylienne ? Les Triphyliens gardèrent toujours en ce lieu leur sanctuaire fédéral et leurs sacrifices en l'honneur de Poséidon. Les gens de Makistos en avaient la garde et le soin. Ils annonçaient l'ouverture de la trêve sacrée. Ils avaient la présidence de la fête. Mais tous les Triphyliens concouraient à l'entretien du temple et participaient aux frais comme aux viandes du sacrifice[55]. Ce culte fédéral remonte peut-être jusqu'aux temps homériques.

Le sanctuaire était au pied du mont Kaiapha, sur l'une des deux bosses rocheuses qui émergent de la plage de sables. Dans la dune coupée de flaques, au pied de la montagne, deux petits îlots calcaires apparaissent encore, à demi submergés par le sable qu'ils dominent de quelques mètres à peine. Ces huttes ne laissent entre elles et le pied du mont qu'un étroit défilé de sables. Voilà, je crois, la Porte de la Dune, la Pylos des Sables, où les indigènes ont de tout temps surveillé le passage (nous allons revenir là-dessus). La ville homérique était perchée en haut de cette porte, sur un contrefort du mont Kaiapha. La montagne est fort haute (744 mètres) et fort abrupte. Mais elle projette vers la mer un contrefort pointu, un éperon qui n'a plus que 502 mètres. C'est encore une belle hauteur, juste au-dessus des sables marins, et c'est une excellente position pour une vieille ville haute. Car cet éperon conique est isolé de toutes parts. Vers la terre, un ravin profond lui sert de fossé et le sépare des hauteurs voisines. Vers la mer, la pente se creuse d'un double versant en éventail. L'éperon présente donc à la mer un grand amphithéâtre naturel. que couronnent à droite et à gauche deux esplanades. Voyez le plan qu'en ont donné les topographes de l'Expédition de Morée. La ressemblance de cette acropole avec Mycènes me parait frappante. C'est, de part et d'autre, la même esplanade sur une montagne abrupte, les mêmes ravins et les mêmes rochers encerclant le pourtour, la même source au pied. La seule façade maritime offre une pente accessible aux lacets d'une route et à l'enchevêtrement des ruelles. J'imagine sur l'esplanade du sommet le palais royal ou la forteresse, et sur la double pente du versant le troupeau des cases populaires.

Pausanias et Strabon signalaient déjà les ruines remarquables qui couvrent l'esplanade. Ces ruines subsistent encore. Les topographes de l'Expédition de Morée en ont dressé le plan et dessiné les vues. Ces ruines ont frappé tous les explorateurs par leur caractère de grandeur et de force : C'est peut-être le plus beau spécimen d'ancienne maçonnerie polygonale : elles remontent certainement à une haute antiquité[56]. Voilà donc une ville haute bien construite, à la mode homérique. Strabon et Pausanias n'en savaient plus le nom. Ils l'appellent Sa-nos ou Sarnia à cause du promontoire Samikon. Mais ils pensent aussi que peut-être c'est Arénè. Dans toute l'antiquité, le promontoire s'appela Samikon à cause de sa hauteur sans doute, dit Strabon ; car les anciens Grecs donnaient le nom de Sames à toutes les hauteurs[57]. Strabon ajoute que les périples ne mentionnent jamais la prétendue ville de Samos ou Sarnia ; ils l'ignorent, soit que depuis toujours elle soit à l'état de ruines, soit que d'en bas, de la mer, les rameurs n'aient jamais pu l'apercevoir. Les poèmes homériques ne mentionnent pas non plus cette Samos. C'est que cette ville haute est précisément la Pylos odysséenne. Du moins tout ce que les poèmes homériques nous disent de Pylos peut dans le moindre détail s'appliquer à notre site.

 

 

 



[1] Strabon, VIII, 339.

[2] Pausanias, VI, 22, 5 ; cf. Frazer, Pausanias, IV. p. 97 et suiv.

[3] Hérodote, I, 147.

[4] Cf. Pausanias, IV, 16, 8 ; III, 2, 6.

[5] Cf. Frazer, Pausanias, III, p. 421-422.

[6] Pausanias, IV, 36, 1 ; cf. Frazer, Pausanias, III, p. 456 et suiv.

[7] Cf. S. Reinach, Chron. d'Orient, I, p. 560.

[8] Strabon, VIII, 345. Une fois pour toutes aussi, je renvoie le lecteur au Mémoire sur la Triphylie de Boutait (Archives des Missions Scientifiques, 2e série, t. I, p. 193 et suiv.)

[9] Odyssée, IV, 780-785 ; 842.

[10] Odyssée, XIII, 5 et suiv.

[11] Odyssée, XV, 471.

[12] Instruct. naut., n° 691, p. 1-2.

[13] Instruct. naut., n° 691, p. 105.

[14] Odyssée, II, 427.

[15] Odyssée, V, 174-176.

[16] Thucydide, VII, 27-28. Sur tout ceci, cf. Frazer, Pausanias, II, p. 463 et suiv.

[17] Paul Lucas, I, p. 185.

[18] Geogr. Græc. Min., éd. Didot, I, p. 100.

[19] Geogr. Græci Min., I, p. 100.

[20] Pausanias, I, 34. Pour la route entre Érétrie, Oropos et Athènes, cf. Hérodote, VI, 101.

[21] Cf. Frazer, Pausanias, II, p. 470 ; C. I. G. G. S., n° 235.

[22] De Marcellus, Souvenirs d'Orient, II, 4811.

[23] Tournefort, Voyage, lettre XXII.

[24] Instructions nautiques, n° 691, p. 313.

[25] W. Heyd, Histoire du Comm. au Levant, I, p. 550. Je citerai toujours cet ouvrage d'après la traduction Reynaud.

[26] Cf. Atlas Vidal-Lablache, p. 11.

[27] Cf. Instruc. naut., n° 778, p. 466.

[28] Instruct. naut., n° 778, p. 468.

[29] Instruct. naut., n° 778, p. 466.

[30] Anthol., VII, 584 ; Strabon, VIII, 378.

[31] Odyssée, IX, 80-81.

[32] Thucydide, IV, 27.

[33] Strabon, XIII, 612 ; Iliade, I, 479 et suiv.

[34] Odyssée, XV, 297-298.

[35] Cf. Frazer, Pausanias, III, p. 421 et suiv.

[36] Iliade, IX, 149-152.

[37] Strabon, VIII, 337 ; cf. Ebeling, Lex. Hom., s. v.

[38] Iliade, IX, 153.

[39] Iliade, XI, 711-712.

[40] Odyssée, III, 10-11.

[41] Odyssée, III, 329-356. 451 ; XV, 190-217.

[42] Instruct. naut., n° 691, p. 88-89.

[43] Strabon, VIII, p. 343. Cf. Frazer, Pausanias, III, p. 472.

[44] Pausanias, V, 5, 8 : Strabon, VIII, 546 ; Pausanias, VI, 22, 11.

[45] Strabon, VIII, 545.

[46] Pausanias, V, 6, 4.

[47] Strabon, III, 158.

[48] Frazer, Pausanias, III, p. 478.

[49] Strabon, VIII, 545.

[50] Boutan, Mémoire, etc., p. 214.

[51] Instruct. naut., n° 691, p. 85-86.

[52] Polybe, IV, 77.

[53] Hérodote, IV, 148.

[54] Odyssée, III, 7.

[55] Strabon, VIII, 344.

[56] Frazer, Pausanias, III, p. 480.

[57] Strabon, VIII, 340.