HISTOIRE DES CHEVALIERS ROMAINS

 

TOME I

LIVRE II. — HISTOIRE DES CHEVALIERS ROMAINS DE 400 À 133 AVANT JÉSUS-CHRIST.

CHAPITRE IV. — HISTOIRE POLITIQUE DES CHEVALIERS, DE L'AN 400 À L'ÉPOQUE DES GRACQUES. VOTES DES CHEVALIERS DANS LES ASSEMBLÉES DES CENTURIES, AUX DIVERSES ÉPOQUES.

RÉVOLUTION POLITIQUE QUI CHANGEA LA CONSTITUTION ATTRIBUÉE À SERVIUS, DANS L'INTERVALLE DES DEUX PREMIÈRES GUERRES PUNIQUES.

 

 

§ I. — VOTE DES DIX-HUIT CENTURIES DES CHEVALIERS EQUO PUBLICO DANS L'ASSEMBLÉE CENTURIATE, DEPUIS SERVIUS JUSQU'À LA RÉFORME DE LA CONSTITUTION, QUI EUT LIEU VERS L'AN 240 AV. J.-C. LES CENTURIES PRÉROGATIVES.

Tite-Live décrivant la constitution de Servius, dit que dans l'assemblée centuriate les chevaliers étaient appelés les premiers à voter, puis ensuite les quatre-vingts centuries de la première classe[1]. Les dix-huit centuries équestres avaient donc le nom de prérogatives (prœrogativæ) que leur donnent Varron[2] et Asconius[3] ; et leur privilège dura jusqu'à l'époque des guerres punique Car nous trouvons encore les centuries prérogatives votant, en 296 av. J.-C., en tête de l'assemblée centuriate[4].

Il semble même que le nom de centuries prérogatives ait été plus particulièrement appliqué aux six suffrages sénatoriaux des chevaliers Rhames, Tities et Luceres, qui votaient avant les autres chevaliers equo publico quoiqu'appelés en même temps dans l'Ovile. Les douze dernières centuries de chevaliers quo publico étaient désignées par l'épithète de primo vocatæ, comme pour marquer qu'elles étaient les premières appelées de la plèbe, mais que, devant elles et à côté d'elles, les six centuries formaient un peuple plus noble encore (populus). Pour désigner les dix-huit centuries, on disait donc avant les guerres puniques : prœrogativæ et primo vocatæ centuriæ, de même qu'on dit après la réforme de l'an 240 av. J.-C., mais dans un ordre inverse : equitum centuriæ cum sex suffragiis : les douze centuries et les six.

Toujours est-il que, jusqu'à cette réforme, les dix-huit centuries de chevaliers equo publico votaient à part, du reste de la première classe, et on annonçait séparément leur vote. Au contraire, dès les premières années de la seconde guerre punique, on ne trouve plus, dans chaque assemblée, qu'une seule centurie prérogative qui est tirée au sort[5]. C'est qu'entre les années 296 et 215 av. J.-C. se place, vers l'an 240, une révolution politique liée à la révolution économique et monétaire que nous avons décrite. C'est dans cette révolution que les dix-huit centuries durent perdre le droit de voter au premier rang, qui passa à celle des centuries des tribus rustiques que le sort désignait. Jusque-là, les chevaliers avaient dirigé les suffrages dans l'intérêt exclusif du patriciat urbain et des sénateurs chefs de la population tout urbaine des curies.

Varron disait que l'institution des centuries prérogatives avait pour but de désigner les candidats aux Romains de la campagne qui ne les connaissaient pas. Verrius Flaccus croyait que c'était plutôt le mérite pie le nom des candidats qui était indiqué au peuple par les centuries prérogatives, et qu'après leur vote, on causait de la valeur ou de l'indignité des personnes proposées, afin de faire un choix plus éclairé[6]. Ces deux opinions ne sont pas contradictoires. Elles s'accordent même pour présenter le vote des prérogatives, comme une direction politique exercée sur les suffrages des plébéiens de la campagne. Les six centuries équestres des Rhamnes, des Tities et des Luceres, qui représentaient le peuple des curies de la ville primitive, devaient voter les premières, et entraîner par leur décision les suffrages des douze autres centuries équestres, appelées avec elles et remplies des plébéiens amis de la noblesse[7].

Les chefs des trente curies, les sénateur, dont les fils remplissaient les six suffrages et qui, après l'an 400, y conservèrent eux-mêmes une place en restant chevaliers equo publico, se distinguaient encore très-fortement dans l'assemblée centuriate de la plèbe des tribus rustiques. Ces patriciens qui avaient leur domicile héréditaire dans l'enceinte sacrée du Pomœrium, ces sénateurs qui, venus peut-être de Regilli ou de Tusculum, s'étaient faits citadins de Rome, en y exerçant une magistrature curule, n'avaient admis la plèbe des gens de la campagne[8] dans les centuries, qu'a condition d'exercer sur les suffrages une influence dominante. La distinction du peuple de la ville et du peuple des tribus rustiques était si marquée, que, pour Asconius, le vote des dix-huit centuries équestres formait, dans les comices consulaires, comme une élection à part qui précédait et déterminait l'élection populaire : Ç'avait été l'usage, dit-il, qu'afin d'établir plus facilement l'accord du peuple dans les comices, on fît deux élections des mêmes candidats. Les tribus (il fallait dire centuries) appelées les premières étaient nommées prérogatives, parce que c'était à elles qu'on demandait d'abord qui elles voulaient pour consuls[9]. Les secondes se nommaient centuries ; appelées légalement (jure vocatæ), parce que le peuple s'y conformant, comme il arriva souvent, à la volonté des centuries prérogatives, toutes les formalités légales se trouvaient accomplies[10].

Ainsi les hommes de la campagne romaine étaient presque réduits dans l'assemblée centuriate à légaliser par des votes approbatifs les choix que faisaient, dans de premiers comices, les dix-huit centuries prérogatives, dirigées elles-mêmes par les six suffrages sénatoriaux[11] des chevaliers Rhamnes, Tities et Luceres. Les chefs des curies, ou leurs fils, rangés dans les centuries équestres, formaient encore dans l'assemblée du Champ-de-Mars un peuple au milieu du peuple, la cité du Pomœrium dans la cité plus vaste de tout le territoire.

Le Sénat trouva un moyen plus commode encore de n'être pas contrarié dans ses vues politiques par les plébéiens de la campagne. C'était, au lieu de diriger leurs suffrages, de s'en passer, autant qu'il était possible.

Les gens de la campagne ne venaient guère à la ville que tous les neuf jours, au marché des nundines[12]. Ils employaient les sept autres jours au travail des champs. Les pontifes de l'aristocratie romaine avaient déclaré les nundines jour férié et néfaste, sous prétexte qu'une assemblée du peuple tenue ce jour-là aurait interrompu le marché et détourné la plèbe rustique de ses affaires[13]. Mais on eût dérangé bien davantage le paysan en le convoquant un jour de travail, s'il eût dû venir à Rome tout exprès pour voter. On comptait sur son abstention, et c'était là le but politique de la loi religieuse qui déclarait fériés les jours de nundines. Grâce à cette loi, les trois ou quatre dernières classes, qui, dans les comices, ne pouvaient former la majorité légale, ne s'apercevaient pas qu'elles avaient une immense majorité réelle. Leurs membres n'étaient jamais réunis en assez grand nombre pour mesurer ou essayer leurs forces et prendre quelque influence. L'élection était décidée sans contradiction par les dix-huit centuries prérogatives[14].

L'aristocratie urbaine dominait donc l'assemblée du Champ-de-Mars, parce que les six suffrages composés de sénateurs et de fils de sénateurs, votaient en tête des dix-huit centuries de chevaliers, et qu'ils n'avaient jamais en face d'eux (les masses populaires compactes et confiantes en elles-mêmes.

On se demande seulement où votaient les trois cents sénateurs avant l'an 400, lorsque les six centuries ne contenaient encore que la jeune noblesse.

Ils se bornaient à voter dans les quatre-vingts centuries des fantassins de la première classe, laissant à leurs fils, chevaliers des six suffrages, le soin de diriger les votes. N'avaient-ils pas un moyen puissant d'en contrôler le résultat ; puisque, jusqu'aux lois de Publilius Philo (337 av. J.-C.) et de Mœnius (287), ils pouvaient annuler une loi ou une élection faite par les centuries, en refusant d'en proposer la confirmation à l'assemblée curiate[15] ? Enfin, depuis l'an 400 av. J.-C. les sénateurs n'eurent même plus besoin de confier à leurs fils ce rôle politique. Ils le remplirent à côté d'eux. Gardant le cheval que l'État leur donnait (equum publicum), ils restaient, après leurs dix ans de service, chevaliers des six suffrages[16]. Chefs des centuries prérogatives aussi bien que des curies, ils possédaient à la fois la direction et le contrôle des votes de l'assemblée centuriate.

Une loi du dictateur Hortensius (286 av. J.-C.) vint ébranler cette domination que les sénateurs exerçaient au Champ-de-Mars. Macrobe nous dit qu'il rendit fastes les jours de nundines, de façon que les paysans, qui venaient au marché de la ville, pussent en même temps arranger leurs procès[17]. Ce qui a empêché Macrobe de saisir le sens politique de cette loi, c'est la distinction qu'il fait entre les jours fastes et les jours de comices[18]. Cette distinction ne fut établie qu'en 136 av. J.-C., par la loi Fufia ou Fusia[19], qui détermina les jours fastes où l'on ne pourrait pas proposer une loi. Les nundines furent mises au nombre de ces jours, comme le disait Jules César[20] dans son livre des auspices. Mais, avant la loi Fufia, l'action législative était permise tous les jours fastes aussi bien que l'action judiciaire ; et Hortensius, en effaçant les nundines du nombre des jours néfastes, avait aboli la loi aristocratique qui défendait aux plébéiens trop nombreux de former une réunion politique les jours où leurs affaires les appelaient à Rome. De 286 à 136 av. J.-C., la plèbe venue à Rome pour le marché des nundines, s'y occupait donc d'affaires politiques aussi bien que d'affaires civiles. Elle lisait sur des affiches, qui devaient être posées à trois jours de marché consécutifs, le texte des propositions de lois, sur lesquelles elle serait appelée à voter. Elle se faisait présenter, sur le tertre du comitium, les candidats qu'elle serait appelée à élire ; et ces deux usages, nous dit Macrobe, ne tombèrent en désuétude que lorsque la plèbe devint assez nombreuse pour qu'il y eût des plébéiens à Rome en grand nombre même dans l'intervalle des nundines [21], c'est-à-dire à l'époque où la loi Fufia fut volée pour servir de frein à la démagogie et au prolétariat (136 av. J.-C.).

Les plébéiens réunis les jours de nundines pouvaient aussi, de 286 à 136 av. J.-C., procéder aux élections et aux votes des lois dans l'assemblée centuriate[22]. Ils se comptèrent au Champ-de-Mars. Ils mesurèrent la différence entre leur influence légale, qui était nulle, et leur force réelle, qui était considérable ; et ils conçurent l'espoir d'enlever aux dix-huit centuries le droit de prérogative. Venue après la loi Ogulnia (302) qui consacrait l'égalité politique des deux ordres, après les lois de Publilius Philo (337) et de Mænius (287) qui assurèrent aux votes de l'assemblée centuriate l'approbation préalable du Sénat et des curies[23], la loi Hortensia qui rendait fastes les jours de nundines rendit inévitable le triomphe de la plèbe. Elle prépara la révolution politique de l'an 240 av. J.-C. qui transporta le droit de prérogative des dix-huit centuries équestres à une centurie tirée au sort parmi les tribus rustiques[24].

 

§ II. — 1° DU SENS LES MOTS POPULUS ET PLEBS, JUSQU'AUX GUERRES PUNIQUES. 2° QUE LES CHEVALIERS EQUO PUBLICO DES SIX SUFFRAGES, C'EST-À-DIRE DES SIX CENTURIES SÉNATORIALES, QUOIQUE INSCRITS PERSONNELLEMENT COMME CONTRIBUABLES DANS L'UNE DES TRIBUS LOCALES, ÉTAIENT, PAR UNE LOI POLITIQUE, EXCLUS DE L'ASSEMBLÉE DES TRIBUS, JUSQU'À LA RÉVOLUTION QUI EUT LIEU VERS L'AN 240 AV. J.-C.

Nous avons vu que, dans l'assemblée centuriate, les chefs des curies, formant l'aristocratie urbaine des Patres[25], eurent, jusqu'aux guerres puniques, un vote à part, celui des six suffrages auxquels se joignaient les douze autres centuries de chevaliers equo publico, pour former les dix-huit prérogatives. Les sénateurs et leurs fils composaient donc une cité dans la cité, et cette distinction du peuple de la ville (populus) et de la plèbe rustique nous fera comprendre pourquoi, jusqu'à la fin de la seconde guerre punique les nobles étaient exclus de l'assemblée des tribus du Forum, quoique personnellement chacun d'eux fût inscrit dans l'une des trente-cinq tribus t titre de contribuable.

Il faut d'abord bien déterminer le sens primitif des mots populus et plebs, et, dans cette recherche, il est impossible de ne pas suivre la voie si largement ouverte par le génie de Niebuhr, et aujourd'hui trop délaissée par les savants de l'Allemagne. Nous essaierons de traduire ici une page de ce grand critique où la hardiesse et la profondeur des vues se joignent à un sentiment très-vif de la réalité historique[26].

Depuis le temps de Servius Tullius, la nation romaine se composait de deux états, le populus ou bourgeoisie de la ville, et la plebs[27] ou population inférieure : l'un et l'autre, selon les vues du législateur, également libres, mais inégalement honorés. Dans cette opposition, les patriciens, membres d'un corps politique beaucoup moins nombreux (le populus), figuraient, pris isolément, comme des frères aînés en face des plébéiens leurs cadets, qui avaient sur eux l'avantage du nombre, ou comme des hommes de race supérieure, cri face de familles moins nobles. Je n'essaierai pas de pénétrer d'un coup-d'œil les mystères de la métaphysique des anciens. Mais il est évident que les Romains se figuraient chaque partie de la nature, chaque force vivante et animée, comme partagée en deux sexes, en deux personnes : ainsi Tellus et Tellumo, Anima et Amimus. De même la nation était envisagée sous ses deux aspects connue populus et comme plebs, et portait un nom masculin et un nom féminin. La signification du premier mot populus pris dans le sens d'assemblée souveraine des centuries appartient aux temps postérieurs[28]. Pris pour la nation tout entière, le mot est encore d'une époque plus récente. A côté de ces deux significations nouvelles dura longtemps encore la signification primitive de populus (celle de bourgeoisie noble de la ville de Rome).

Les formules les plus anciennes et les plus authentiques, qui seules[29] peuvent nous éclairer sur le sens primitif du mot populus, justifient pleinement toutes ces assertions de Niebuhr. Elles prouvent que le peuple Quiritaire ou des trente curies de la ville, celui que les trois cents Patres représentaient au Sénat, et les douze cents chevaliers Rhamnes, Tities et Luceres dans les six suffrages, s'appelait à l'origine populus Romanus Quiritium ; et que le nom de populus ne s'appliquait qu'aux Romains de Rome tandis que celui de plèbe convenait surtout aux Romains de la campagne.

Festus définit ainsi le sens du mot populus[30] :

Le populus, lorsqu'on fait les lois, partage avec la plèbe le droit de voter. Car les comices centuriates se composent des Patres et de la plèbe. On ne peut identifier plus clairement le populus avec l'aristocratie des familles sénatoriales. Nous avons vu qu'au Champ-de-Mars, les sénateurs ou chefs des curies, et leurs fils, votaient à part dans les dix-huit centuries équestres, et surtout dans les six suffrages sénatoriaux[31]. Ces dix-huit prérogatives, et spécialement les six suffrages, représentaient donc, dans l'assemblée centuriate, le populus, que Festus appelle aussi du nom de Patres. Le vote du populus ou des dix-huit centuries était annoncé à part, comme le fut plus tard celui de l'unique centurie prérogative[32]. La plèbe, composée de ceux qui n'appartenaient pas au populus noble ou n'y étaient pas rattachés par la qualité de chevaliers equo publico, votait ensuite et formait les centuries appelées légalement (jure vocatæ centuriæ).

L'identité du sens primitif des mots populus et Patres ressort encore de plusieurs formules anciennes, où la plèbe n'est pas comprise dans le populus, comme le veut Aulu-Gelle[33], mais au contraire, opposée et ajoutée au populus, comme dans le passage de Festus que nous venons d'expliquer. Cicéron, au début du pro Murena rappelle l'invocation antique[34] que faisait le consul présidant les comices centuriates, en annonçant le résultat des élections : Quœ deprecatus a Diis immortalibus sum, judices, MORE INSTITUTOQUE illo die quo, auspicato comitiis centuriatis, L. Murœnam consulem renuntiavi ; ut ea res mihi magistratuique meo, POPULO PLEBIQUE ROMANÆ bene atque feliciter eveniret. Dans cette prière solennelle, où l'esprit religieux des Romains se fût fait un scrupule de changer une syllabe aux mots consacrés par l'usage de leurs ancêtres, le consul distinguait le populus et la plèbe qu'il venait de voir voter séparément, le populus, dans les dix-huit centuries prérogatives, la plèbe, dans les autres centuries appelées légalement.

Nous retrouvons la même formule populo plebique, dans les oracles de Martius qui remontent à la seconde guerre punique. On y lit ces mots : Le préteur qui réglera la procédure pour le populus et pour la plèbe[35].

L'identité du populus primitif et des Patres est établie du reste directement par Tite-Live, comme par Festus. En parlant de la loi Valeria-Horatia de l'an 446 av. J.-C., Tite-Live s'exprime ainsi : Comme c'était un point douteux de droit politique, de savoir si les Patriciens (Patres)[36] étaient assujettis aux plébiscites, les consuls proposèrent une loi aux comices centuriates, afin que les décisions de la plèbe assemblée par tribus fussent obligatoires pour le POPULUS. Cette loi arma les propositions tribunitiennes d'une force redoutable[37].

Il est tout naturel qu'on ait réservé dans les premiers siècles de Rome le nom de populus aux patriciens, puisque, d'après Tite-Live, à l'origine, le patricial se composait de tous les hommes libres et devait former tout le peuple des ingenni de la ville[38]. Le peuple patricien conserva, meure sous la République, ses assemblées particulières où aucun plébéien n'était admis. C'étaient les patriciens qui seuls nommaient l'interroi[39].

Mais déjà dans les trente curies de la ville étaient entrés les clients émancipés qui, élevés au titre de citoyens, formaient la plèbe urbaine. Sans doute des liens de clientèle et de patronage, comme ceux qui unissaient les Marius aux Herennius, favorisèrent l'adjonction de tous les chevaliers equo publico à l'aristocratie sénatoriale de la ville dominante. Ainsi se forma le peuple romain des curies (populus Romanus Quiritium). Plus étendu que le populus noble, il comprenait : 1° L'aristocratie sénatoriale, 2° les chevaliers equo publico, 3° les clients de la plèbe urbaine.

Nous allons montrer par les anciennes formules religieuses qui, comme des médailles d'or, ont conservé, mieux que tous les autres monuments, l'empreinte des temps antiques, que les Quirites étaient à l'origine les hommes des curies et qu'ils formaient la population urbaine.

Les six demi-tribus primitives des Luceres, des Rhamnes, des Tities, qui se partageaient en trente curies, étaient représentées au foyer public par les six vestales[40]. Or, la Vesta romaine, dont les prêtresses gardaient le feu sacré au nom des trente curies, est appelée[41] Vesta du peuple romain des Quirites. La formule par laquelle le grand-prêtre choisissait la vestale, portait qu'elle remplirait les fonctions religieuses qu'une vestale doit légalement accomplir pour le peuple romain des Quirites[42]. Les Quirites étaient donc les hommes des curies. et le nom de limon Quirite donné à la Junon des curies, est une nouvelle preuve que ce mot n'avait pas d'autre sens[43].

Lorsque, par l'admission des chevaliers equo publico, et des clierds de l'aristocratie urbaine, dans les tribus consacrées des Rhamnes, des Tities et des Luceres, le nombre des citoyens inscrits dans les trente curies se fut augmenté, on commença à distinguer dans les prières publiques, le peuple primitif ou la noblesse sénatoriale (populum), des autres hommes des curies (Quiritibus)[44]. Dans tous les sacrifices et toutes les invocations ; on implorait les dieux en faveur du populus et des Quirites (pro populo Romano Quiritibusque). Le Romain se figurait des dieux faits à son image, formalistes et chicaneurs, et il ajoutait à la formule ancienne pro populo Romano les mots Quiribusque, de peur qu'ils n'appliquassent le bénéfice de la prière exclusivement aux nobles qui formaient le populus proprement dit[45]. On trouve la même précaution de langage, dans le texte de la loi de Publilius Philo (337 av. J.-C.), et dans celle d'Hortensius (286), qui renouvellera la loi Valeria-Horatia de 446 av. J.-C., pour obliger les nobles à se soumettre aux décisions des tribus[46]. Les plébiscites, était-il dit dans les lois Publilia et Hortensia, obligeront tous les hommes des curies, omnes Quirites. Le législateur spécifiait tous les Quirites, de peur que le mot Quirites seul ne parût désigner comme dans les prières publiques les citoyens des curies qui ne faisaient pas partie du populus noble.

Les mots populus Romanus Quiritium étaient l'équivalent de omnes Quirites ou de la formule religieuse populus Romanus Quiritesque.

Le peuple romain des Quirites pris dans son ensemble ne contenait, primitivement que la population urbaine de la ville de Rome. On sait que Servius avait établi pour les habitants de la cité des fêtes appelées compitalia, tout à fait distinctes des l'ides des habitants de la campagne appelées paganalia. Or, le préteur annonçait la première de ces fêtes, qui n'était pas placée ' jour fixe dans le calendrier[47], par la formule suivante[48] : Le neuvième jour il y aura fête des compitalia pour le peuple romain des Quirites ; quand la fête sera commencée, les affaires vaqueront.

Le peuple des Quirites était donc la population urbaine des trente curies, qui célébrait la fuie des compitalia ; et quelquefois on distinguait de l'ensemble de cette population le populus noble qui dirigeait l'assemblée curiate, par les votes du Sénat, et l'assemblée des centuries, par le vote des dix-huit prérogatives. On disait alors populus Romanus Quiritesque.

Le sens que nous donnons ici au mot populus (peuple de la ville de Rome) est du reste conforme à l'emploi le plus fréquent du mot populus dans Tite-Live. L'historien désigne souvent par là le peuple d'une seule ville par opposition à une nation tout entière[49].

Il faut donc traduire les mots populus Romanus Quiritium par ceux-ci : le peuple de la ville de Rome inscrit dans les trente curies[50].

Le sens primitif du mot plèbe confirme ce que nous avons dit de celui de populus. Le mot plebs désigna d'abord[51] la partie de la nation qui ne contenait, pas les gentes patriciennes. Il s'opposait en ce sens au mot populus pris comme synonyme de Patres[52]. Bientôt les chevaliers des douze centuries équestres equo publico, qui, pour la plupart, avaient été les chefs de la plèbe (primores plebis). furent en quelque sorte adoptés par les races patriciennes et rangés dans les tribus des Rhamnes, des Tities et des Luceres. Ils votèrent au Champ-de-Mars avec le populus patricien des six suffrages, et lui donnèrent ordinairement leurs douze voix. Le mot plèbe ne désigna plus alors que les centuries de fantassins. Plus tard, le sens du mot plebs se restreignit encore ; mais parmi les plébéiens des premiers siècles de la République, il faut distinguer deux plèbes qu'on a toujours confondues, la plèbe urbaine, et la plèbe rustique.

La plèbe urbaine se composait des affranchis que Servius Tullius avait fait inscrire parmi les plébéiens des quatre tribus de la ville en leur donnant le droit de cité[53]. Restés dans la clientèle des grands dont ils avaient été les esclaves, ils mettaient à leur service leur vote à l'assemblée des curies[54] où ils figuraient dans la gens de leur patron, leurs bras[55] et leur voix pour troubler au Forum l'assemblée des tribus rustiques. Cette tourbe, méprisée de ceux même qui l'employaient, vivait dans les loisirs de la ville, de gratifications ou de prêts usuraires, qui en rejetaient une partie dans la servitude. Quelquefois on lui permettait de piller une ville qu'elle n'avait pas prise, comme celle de Véies[56] (395 av. J.-C.).

Une partie des clients de la ville étaient employés i cultiver les jardins et les champs que les patriciens possédaient auprès de fonte. Pour les tenir dans leur dépendance, les grands les constituaient souvent leurs débiteurs, et pouvaient ainsi se venger de la moindre contradiction, en se les faisant adjuger comme insolvables. Manlius Capitolinus essaya de les délivrer de cette servitude mal déguisée où l'usure les replongeait. Comptez-vous du moins, leur disait-il, et comptez vos adversaires... Autant vous avez été de clients autour d'un patron, autant vous serez contre un seul ennemi[57]. Mais la lâcheté fut toujours le caractère de cette plèbe urbaine ; et, par là, on la distingue de la vaillante plèbe rustique. Elle se laissa enlever son défenseur et forma des attroupements nuit et jour devant la porte de sa prison, sans oser la rompre. Enfin elle assista silencieuse au supplice de Manlius, comme plus tard, à l'assassinat des Gracques. Il est même à remarquer que ce furent les tribuns. de la plèbe rustique, qui accusèrent et précipitèrent de la roche Tarpéienne, celui qui s'était dévoué aux intérêts de la plèbe de la ville.

Tout autre était la grande plèbe rustique, qui, dès les premières années de la République, forma seize tribus sur vingt[58]. Elle se composait de petits propriétaires de campagne qui remplissaient les centuries des classes moyennes et, les rangs des légions. Investie, depuis le renversement des Tannins, du droit assez illusoire de voter au Champ-de-Mars après les quatre-vingt-dix-huit centuries de la première classe, elle ne tarda pas à former l'assemblée des tribus où seule elle dominait. Voici comment Denys en décrit la première réunion à propos du procès de Coriolan (490 av. J.-C.)[59] :

Les patriciens et les plébéiens se préparèrent avec ardeur à la lutte... Le troisième jour de marché étant venu, la foule des plébéiens arriva des campagnes plus nombreuse que jamais, et s'étant rassemblée dans la ville, elle occupa le Forum dès le matin. Les tribuns convoquèrent cette multitude à l'assemblée des tribus. Ils séparèrent avec des cordes tendues sur le Forum, les places où chaque tribu devait se réunir. Ce fut la première fois que les Romains formèrent l'assemblée où l'on vote par tête. En vain les patriciens s'opposèrent de toutes leurs forces à cette innovation. En vain ils demandèrent que le peuple fût convoqué var centuries.

Si, à côté de ce passage, on relit ceux où Denys nous apprend[60] que les anciens Romains n'estimaient que deux métiers dignes d'un homme libre, l'agriculture et la guerre, et qu'une loi précise interdisait même à tout citoyen, le petit commerce et les professions ouvrières, on se persuadera que, pour cet historien, la plèbe ancienne se composait eu très-grande partie de laboureurs. D'ailleurs, il est certain que de 494 à 381 av. J.-C. la plèbe urbaine n'eut dans les tribus que quatre voix sur vingt ou vingt-et-une.

La plèbe rustique, au temps eu elle prenait possession du Forum, avait déjà fait la loi aux patriciens. Par un traité où les Féciaux[61] étaient intervenus, comme entre deux peuples voisins et rivaux, les sénateurs, chefs des Romains de la ville, avaient accepté les conditions que mettaient à leur alliance les Romains de la campagne. Ceux-ci avaient obtenu d'être représentés dans Rome par des tribuns, véritables ambassadeurs de la plèbe rustique, accrédités auprès de l'aristocratie urbaine. Inviolables, parce qu'ils étaient couverts par une loi du droit des gens, les tribuns étaient chargés de veiller dans Rome à la sécurité de tous les plébéiens[62]. Ils les protégeaient contre les magistrats patriciens, contre les consuls.

Aucun des candidats au tribunat de la plèbe ne pouvait être patricien[63], et primitivement rassemblée des trente curies de la ville choisissait entre ces candidats[64]. Elle leur donnait une homologation de leurs pouvoirs assez semblable à l'exequatur que les consuls des puissances étrangères reçoivent de notre gouvernement. Cette formalité du vieux droit politique fut supprimée par la loi de Publilius Volero qui transporta l'élection définitive des tribuns, de l'assemblée curiate à celle des tribus (470 av. J.-C.). Mais elle se conserva dans le souvenir des jurisconsultes[65].

Les tribuns, représentants de la Rome extérieure, n'entraient point au Sénat où les trois cents Patres représentaient les trente curies de la ville. Ils restaient, comme étrangers au populus, dans le vestibule de la curie[66]. Leurs sièges étaient placés devant les portes du temple ; mais ils ajoutaient aux sénatus-consultes par leur visa la ratification de la plèbe. Ils ne devinrent sénateurs que par le plébiscite d'Aternius[67], postérieur sans doute à la révolution de l'an 240 av. J.-C., qui fondit en un seul corps de nation la plèbe et le populus. Jusque-là, s'était réalisée la crainte qui, selon Denys[68], avait été exprimée par Menenius sur le Mont-Sacré, lorsque Brutus demanda la création des tribuns : Il y avait deux cités en une, celle qu'entourait le Pomœrium et celle des tribus rustiques, le populus et la plèbe.

Toute l'histoire de la création du tribunat nous est arrivée mêlée de contradictions et d'erreurs. Nous la dégagerons de deux idées fausses qui la rendent incompréhensible, et nous suivrons le récit des anciens, en remettant les faits sous leur véritable jour.

Tite-Live raconte, que les dix[69] légions de l'an 493 av. J.-C., levées par le dictateur Valerius, avaient prêté serment aux deux consuls[70] ; qu'après l'abdication de Valerius, le Sénat, de peur de faire renaître les troubles, résolut de ne point les congédier, et de profiter de ce qu'elles étaient retenues au drapeau par la religion du serment, pour les envoyer contre les Eques. Cette résolution aurait lité la révolte. Les soldats, pour se dégager du serment fait aux consuls, auraient d'abord projeté de les assassiner. Puis, instruits que ce crime ne les délivrerait pas de leur engagement religieux, ils auraient été, sur le conseil de Sicinius, et sans l'ordre[71] des consuls (injussu cousulum), occuper le Mont-Sacré à trois milles de Rome, au nord de l'Anio.

Toute cette première partie du récit est fausse. Tite-Live nous apprend lui-même que ce fut seulement en l'an 216 av. J.-C. que pour la première fois les soldats prêtèrent serment à leurs chefs, et jurèrent de se réunir sur l'ordre des consuls et de ne pas se séparer sans leur ordre. Auparavant, les cavaliers de chaque décurie, les fantassins de chaque centurie s'engageaient seulement entre eux par une promesse sacrée, mais volontaire, à ne pas fuir, à ne pas quitter leurs rangs, si ce n'est pour aller chercher une arme, tuer un ennemi ou sauver un citoyen. Les tribuns militaires de l'an 216 av. J.-C. transformèrent cet engagement spontané d'homme à homme en un serment légal exigé par les chefs[72].

Ainsi toute l'histoire de la révolte de 493 av. J.-C., qui suppose que le serment établi en 216 av. J.-C. existait déjà aux premières années de la République, et qui prête au Sénat d'alors des combinaisons, aux soldats, des projets et des scrupules fondés sur ce serment, est un récit plein d'anachronismes et de faits imaginaires.

Chez Denys[73], l'erreur s'accentue plus fortement. Les soldats qui abandonnent leurs chefs, restent fidèles à leurs enseignes. Ils les emportent au Mont-Sacré, et, en violant la religion du serment, ils conservent la religion du drapeau. Mais, comme les légionnaires de 493 av. J.-C. n'avaient point fait de serment aux consuls et n'étaient liés qu'entre eux par un engagement personnel de ne pas s'abandonner sur le champ de bataille, les compagnons de Sicinius Bellutus et de Junius Brutus n'avaient aucune raison de rester réunis après la fin d'une campagne victorieuse.

S'ils voulaient faire une démonstration politique, on ne comprendrait pas qu'ils en eussent placé le théâtre sur une montagne isolée, à une lieue au nord de Rome. A quoi bon camper en hiver sur le Mont-Sacré ? Et pourquoi des soldats, qui violaient les lois pour faire une révolution, n'imposaient-ils pas leurs volontés aux patriciens dans Rome même ?

D'ailleurs le séjour de presque toute la plèbe sur le Mont-Sacré présente des impossibilités de toute sorte. Tite-Live y fait aller les dix légions de 493 av. J.-C. et, comprenant l'invraisemblance de l'immobilité prolongée d'un camp de cinquante mille hommes, il ne fait durer cette retraite que quelques jours[74]. Mais, dans cette hypothèse, on ne comprend plus que la retraite de la plèbe, ayant été si courte, ait empêché les travaux de la campagne, et causé, comme il le dit, la disette qui vint deux ans après[75].

Denys, qui a moins de critique que Tite-Live, n'atténue aucune invraisemblance. Il ne met, il est vrai, que six légions, c'est-à-dire trente mille soldats, sur le Mont-Sacré. Mais les plébéiens de la ville viennent en foule se joindre à eux. C'est une véritable émigration qui laisse Rome presque déserte[76], comme si elle eût été prise d'assaut. Lus habitants de la campagne quittent aussi leurs demeures pour se rendre, les plus riches, auprès des patriciens de Rome, les plus pauvres, auprès des réfugiés du Mont-Sacré. La désertion des champs est telle que les paysans laissent périr leurs bestiaux[77] ; et cette division de la population accumulée dans deux camps opposés dure, selon Denys, depuis les jours qui suivirent l'équinoxe d'automne, jusqu'aux environs du solstice d'hiver. Cicéron dit même[78] que la création des tribuns n'eut lieu que dans l'année qui suivit la retraite de la plèbe au Mont-Sacré. Denys nous a donné, avec tous ses détails, le récit que Tite-Live a essayé de corriger en l'abrégeant. Mais ce récit n'est pas seulement invraisemblable. Il ne se compose que d'une suite de faits impossibles.

Se figure-t-on des laboureurs quittant leurs travaux, négligeant à la fin de septembre de semer leur blé d'hiver, et laissant mourir leurs bœufs à l'étable, pour aller faire sur une montagne, avec des soldats révoltés, une démonstration politique qui dure jusqu'à la fin de décembre ? D'un autre côté, comment admettre que, pour conquérir même la plus importante des garanties, les plébéiens d'une grande ville aient émigré en masse et abandonné leurs maisons et leurs familles ; ou qu'ils aient entraîné dans un camp leurs femmes et leurs enfants à l'entrée de la mauvaise saison ? Comment cette multitude se fût-elle nourrie, chauffée, logée ? Le pillage des biens des nobles eût-il suffi à entretenir toute une population devenue oisive, où il y avait de trente à cinquante mille soldats ? Qu'eut-elle fait pendant trois mois sur le Mont-Sacré, où il était pour elle aussi impossible de vivre, qu'il était inutile et peu sensé d'y aller ? Les Sabins qui étaient en armes contre Rome eussent-ils négligé l'occasion de la prendre, pendant qu'elle était désertée par ses habitants et par ses défenseurs, si dix, ou même six légions, se fortifiant dans un camp retranché, s'y fussent enfermées avec la plèbe, dans une inaction incompréhensible[79] ?

Le récit de Denys est donc rempli d'invraisemblances choquantes. L'idée qu'un serment fait aux consuls en 493 av. J.-C., eût retenti autour des drapeaux les soldats révoltés, est une inconséquence et un anachronisme. L'émigration en masse de la plèbe et son séjour prolongé sur une montagne étaient impossibles. Qu'est-ce donc que cette fameuse sécession de la plèbe qu'on a fort improprement appelée la retraite au Mont-Sacré ?

L'apologue de Menenius Agrippa, qui est la partie du récit primitif la mieux conservée par Tite-Live, va nous en faire comprendre le sens[80].

Au temps où dans l'homme tous les membres n'obéissaient pas à une même pensée, et où chacun d'eux avait sa volonté et son langage, les différentes parties du corps s'indignèrent d'être au service du ventre, qui seul profitait de leurs soins et de leurs travaux. Le ventre, tranquille au milieu d'eux, n'était, disaient-ils, occupé qu'à jouir des plaisirs qu'ils lui donnaient. Ils conspirèrent donc, les mains, pour ne plus porter la nourriture à la bouche, la bouche, pour ne plus la recevoir, les dents, pour ne plus la broyer. Mais en voulant, dans leur colère, réduire le ventre par la famine, les membres eux-mêmes et le corps tout entier devinrent maigres et décharnés. Par là on s'aperçut que le ministère du ventre n'était pas inutile, qu'il avait moins pour fonction d'être nourri que de nourrir, puisqu'il rendait à toutes les parties du corps le sang enrichi par la digestion des aliments, et qu'il faisait ainsi couler dans toutes les veines la force et la vie.

Sous cette allégorie transparente on aperçoit sans peine la réalité historique. La ville de Rome fut en effet affamée ; les bras de la campagne refusèrent de lui porter sa nourriture ordinaire. Les plébéiens des tribus rustiques, maltraités par des citadins orgueilleux, avaient transporté le marché des nundines du Forum romain sur le Mont-Sacré. Ils avaient exclu du marché les patriciens, et ils y admettaient la plèbe urbaine, qui s'était entendue avec eux pour compléter ce blocus du patriciat.

Nous allons reprendre tout le récit des historiens anciens à ce point de vue qui en rend tous les détails intelligibles et clairs[81].

La mort de Tarquin-le-Superbe mit fin aux ménagements que les patriciens de Rome avaient gardés pour la plèbe[82]. Jusque-là, la crainte du retour des rois les avait disposés aux concessions, et ils avaient accordé aux hommes de la campagne qui, depuis Servius, étaient enrôlés dans les légions, le droit de voter au Champ-de-Mars et celui de former seize tribus rustiques. Mais la sécurité leur rendit tout leur orgueil. Habitués à faire rentrer dans l'esclavage les affranchis de la plèbe urbaine, qui ne payaient pas les intérêts de leurs dettes, et à les enfermer dans leurs ateliers de travail, ils prétendirent traiter de même les propriétaires de la plèbe rustique. On vit un ancien centurion, un plébéien d'une grande maison[83], qui avait possédé autrefois des champs et des troupeaux, s'échapper d'une prison de débiteurs esclaves où son créancier l'avait plongé. Il montra au peuple des Quirites la trace des coups que son maître lui avait fait donner. La plèbe de la ville, résignée à souffrir ces cruautés, tant qu'elle seule était frappée, se révolta dès qu'elle put espérer le secours des plébéiens de la campagne. Ni la hauteur insultante du consul Appius, ni les demi-concessions et les promesses de son collègue Servilius ne purent empêcher la coalition des deux plèbes. La populace des clients, auparavant tremblante devant les tribunaux des consuls et sous le fouet de l'usurier patricien, osa élever la voix et réclamer la liberté, dès qu'elle vit arriver à elle la fière plèbe des tribus rustiques, les laboureurs propriétaires, dont le travail nourrissait Rome, et dont le sang payait ses victoires[84]. Servilius put encore, en ordonnant de relâcher les prisonniers pour dettes, former une armée contre les Sabins, les Volsques et les Auronces. Mais, lorsqu'après trois victoires, les légionnaires virent qu'Appius recommençait à adjuger comme esclaves les débiteurs aux créanciers, le soulèvement éclata plus terrible. Sous le consulat de Virginius et de Vetusius, des conciliabules nocturnes se tinrent au quartier des Esquilles et sur le mont Aventin. L'Esquilin avait été autrefois habité par Servius, le libérateur de la plèbe urbaine, qui l'avait peuplé d'affranchis. L'Aventin, placé en dehors du Pomœrium, était le poste avancé de la plèbe rustique[85]. Opprimés de la ville et de la campagne se rapprochèrent, et concertèrent pour venir à bout des patriciens un terrible projet : Les clients et les fermiers des nobles de Rome refuseraient de cultiver les terres de leurs maîtres, et les plébéiens de la campagne les approvisionneraient en leur apportant le blé, non plus au Forum, mais sur la 'montagne située à la rive droite de l'Anio, au pied de laquelle se croisent les roules qui font communiquer le Latium, l'Etrurie et la Sabine. Le patriciat serait réduit par la famine à capituler, ou Rome cesserait d'être le marché du Latium et perdrait bientôt par là, son rang de ville dominante. Un dictateur aimé du peuple parvint à arrêter encore quelque temps l'explosion de toutes les colères. Pour mettre fin à toutes les guerres extérieures qui fournissaient aux patriciens un prétexte de différer l'exécution de leurs promesses, dix légions s'armèrent sous la conduite de Valerius, et tous les ennemis de Rome furent abattus en peu de jours. Cette victoire fut suivie pour la plèbe d'une nouvelle déception. Valerius, dont les promesses aux débiteurs étaient désavouées par le Sénat, abdiqua la dictature.

Alors les deux plèbes, ne comptant plus sur la bonne foi du Sénat, mirent à exécution le dessein des conjurés des Esquilies et de l'Aventin. Dix légions, selon Tite-Live, six, selon Denys, se rendirent autour de la montagne de la rive droite de l'Anio, non pour y camper, ni pour y faire un séjour impossible, mais pour y marquer la place du nouveau marché. Elles y consacrèrent aussi à Jupiter[86] l'enceinte où devaient se réunir, aux jours de délibération, les plébéiens membres de la nouvelle cité. Sans doute, en se retirant, les légions laissèrent une garde pour veiller sur cette montagne sainte, désignée pour devenir le centre d'une ville future, rivale de la Rome patricienne.

Dans l'Italie ancienne, on rencontrait un grand nombre de ces places marquées du nom de fora ou de conciliabula[87], qui, avant de se transformer en villes, furent à l'origine les rendez-vous[88] où se réunissaient à des jours fixes les habitants de plusieurs villes on villages pour traiter d'affaires commerciales ou politiques. Tel devait être le nouveau mont de Jupiter opposé à celui du Capitole, le Mont-Sacré.

En male temps les plébéiens de la ville refusaient de cultiver autour de Rome les jardins et les champs des patriciens, et de faire les semailles d'octobre ; et, pour se mettre en garde contre la famine qu'ils prévoyaient, ils enlevèrent les blés des champs voisins dont ils étaient les fermiers[89].

La famine se déclara dans la Rome patricienne comme dans une ville bloquée[90]. Une partie de la plèbe urbaine se jeta hors de la ville pour aller s'approvisionner aux nundines du Mont-Sacré. Les patriciens voulurent en vain la retenir pour contraindre les gens de campagne à revenir, faute d'acheteurs, apporter leur blé sur le Forum[91].

Les portes de Rome furent ouvertes de force, et les plébéiens de la ville furent admis au marché d'où le patriciat était exclu. Sans doute la partie la plus pauvre et la plus misérable[92] de cette plèbe, effrayée de la rigueur des usuriers romains, resta dans quelques cabanes bâties sur le nouveau mont de Jupiter, comme les fugitifs qui autrefois avaient cherché asile auprès de la ville naissante de Romulus. Échappés des prisons patriciennes, ils formèrent, sous la protection de la garde du Mont-Sacré, et des deux tribuns que la plèbe rustique s'était choisis dès le 10 décembre, le noyau de la population de la ville nouvelle. Mais, si faible que fût cette émigration, elle ne tarda pas à manquer de tout sur cette colline isolée ; et il fallut que les habitants des campagnes vinssent lui distribuer du pain. La légende avait personnifié la charitable plèbe rustique qui la nourrit sous la figure d'Anna Perenna, vieille femme ou fée bienfaisante du village de Bovillæ, qu'elle représentait, apportant tous les matins des galettes de campagne aux réfugiés du Mont-Sacré[93]. Mais les distributions de Perenna devinrent bientôt insuffisantes, et Menenius Agrippa fit comprendre à ces malheureux émigrés qu'en s'associant à un projet pour affamer Ruine, ils s'affamaient eux-mêmes. Les plébéiens de la campagne s'aperçurent de leur côté que le Mont-Sacré, trop éloigné du Tibre et de la nier, remplacerait difficilement Rome comme centre commercial de la Sabine, de l'Étrurie et du Latium. Les réfugiés de la plèbe urbaine, après un premier traité qui garantissait leur liberté (interposita fide)[94], quittèrent ce nouveau forum presque toujours désert dans l'intervalle des nundines, et ils rentrèrent armés dans Rome. Mais la plèbe rustique ne se prêta pas si vite à une réconciliation complète. Elle transporta le marché et le lieu de ses réunions sur la colline plébéienne de l'Aventin, aux portes de la Rome patricienne, mais en dehors du Pomœrium[95]. Ce premier rapprochement se fit eu même temps que le retour des réfugiés de la ville que Denys place vers le solstice d'hiver. Le retour de la plèbe rustique au Forum n'eut lieu que l'année suivante, lorsque le Sénat fit confirmer par l'assemblée des curies de la ville, la nomination des deux tribuns[96]. En attendant des concessions complètes du Sénat, les deux chefs de la plèbe de la campagne élus au Mont-Sacré[97] ; Junius Brutus et Sicinius Bellutus, allèrent s'établir à l'Aventin près du nouveau marché. La montagne de Remus[98] essaya une seconde fois de rivaliser avec la ville du Palatin.

L'occupation du Mont-Aventin qui suivit celle du Mont-Sacré ne fut pas davantage un campement des légions ni une émigration de toute la plèbe. S'il était impossible que dix ou même six légions vécussent pendant trois mois d'hiver sur le Mont-Sacré, on ne peut admettre qu'elles en soient revenues vers le 22 décembre pour camper sur l'Aventin. Quant à un séjour de toute la plèbe dans ce faubourg déjà habité depuis Ancus Marcius, il était matériellement impossible, si court qu'on l'imagine, et il n'aurait eu aucune raison politique appréciable. Cicéron, dans le pro Murœna, nous fait comprendre le vrai sens de l'occupation de l'Aventin[99] :

Si vous preniez pour principe, dit-il à Sulpicius, que personne n'est de bonne naissance, à moins d'être patricien, vous nous feriez croire qu'il faut encore convoquer la plèbe séparément sur l'Aventin.

La plèbe n'avait donc pris cette montagne que comme rendez-vous pour les jours de marché et de délibération politique. Mais elle n'y séjournait pas toute la semaine. Elle y laissait sans doute une garde pour empêcher que le Forum de l'Aventin ne fût, en son absence, envahi par les patriciens. Elle y venait en armes pour protéger ses réunions.

La réconciliation définitive de la plèbe rustique et du patricial de Rome n'eut lieu qu'après l'entrée en charge des nouveaux consuls[100]. Cicéron la remet jusqu'à l'année qui suivit le soulèvement de 493[101], et comme l'année commençait le premier mars[102], il n'est guère probable que les Romains de la campagne aient rapporté leur blé au marché du Forum avant ce mois de printemps où, depuis, on inaugurait l'année par des sacrifices à la déesse charitable Anna Perenna[103].

Les plébéiens de la campagne se préparaient à empêcher qu'on ne cultivât au printemps les champs des patriciens qui entouraient la ville[104], et cette menace obligea le Sénat vaincu pat la famine à capituler[105]. Un traité, conclu par les féciaux, ramena enfin dans Rome, les plébéiens des tribus rustiques. Ils descendirent en armes de l'Aventin, et montèrent au Capitole pour reconnaître de nouveau le Jupiter Capitolin, auquel ils avaient voulu opposer le Jupiter du Mont-Sacré. Le marché des nundines fut reporté au Forum. Mais le Sénat dut approuver et faire approuver par les curies l'élection de Junius Brutus et de Sicinius Bellutus. Pendant plus de vingt ans, jusqu'à la loi de Publilius Volero (470 av. J.-C.), il n'y eut que deux tribuns de la plèbe[106]. Les tribus désignaient les candidats au tribunat parmi lesquels les curies choisissaient[107]. Mais si la coalition des deux plèbes anima pendant quelques années les tribus et les curies d'un même esprit d'opposition au patriciat, les clients de la ville retombèrent bientôt sous l'influence de leurs patrons. Les hommes des tribus rustiques ne voulurent plus partager le choix de leurs tribuns avec ces Quirites, qui mettaient la magistrature plébéienne à la discrétion du patriciat[108]. La loi que firent passer en 470 av. J.-C., Publilius Volero et Letorius, réservait aux tribus seules le droit de choisir les tribuns de la plèbe. En même temps le nombre de ces magistrats était porté de deux à cinq[109], et chacun d'eux devenait le représentant d'une des cinq premières classes[110]. La sixième classe, celle qui devait contenir presque tous les clients et les affranchis de la ville, demeurait sans représentation et tombait pour ainsi dire au-dessous de la protection tribunitienne. L'alliance de la plèbe rustique et de la plèbe urbaine était rompue, et les Romains de la campagne devenaient plus étrangers que jamais au peuple de la ville[111].

Mais vingt ans auparavant, les deux tribuns chargés de défendre les plébéiens contre les consuls et le Sénat[112], étendaient leur protection sur la plèbe de la ville qui, dans les trente curies, avait décidé leur nomination. Les patriciens s'indignaient que ces fondés de pouvoirs de la Rome extérieure vinssent leur faire la loi jusqu'au cœur de la cité, qu'ils osassent s'interposer entre le patron et le client révolté, et rompre les liens qui tenaient jusque-là l'affranchi et ses enfants attachés à la race de leurs anciens maîtres. Aussi les premiers efforts des patriciens après la création du tribunat, eurent pour but d'obliger les plébéiens de la ville à renoncer à cette protection.

Pondant que Rome était bloquée du côté de la campagne, les consuls avaient expédié des vaisseaux d'Ostie vers les côtes d'Étrurie et de Campanie, et même jusqu'à Cumes et jusqu'en Sicile, pour acheter du blé[113]. Afin de diminuer la disette qui tourmentait la ville[114], ils avaient aussi envoyé une partie de la plèbe urbaine coloniser Norba et Vélitres. Lorsque le blé de Sicile arriva, Mucius Coriolan conseilla au Sénat de ne le livrer à prix réduit aux pauvres de la ville, que s'ils abandonnaient tout recours à l'intervention tribunitienne. Mais ni les tribuns, ni les tribus rustiques n'abandonnèrent leurs alliés de la plèbe urbaine. Ils accoururent des champs en plus grand nombre que jamais[115] ; ils s'emparèrent du Forum, et la première assemblée des tribus tenue à Rome exila Coriolan.

Cette assemblée (concilium plebis) se réunissait sur le marché romain (forum), et les patriciens en étaient exclus, comme l'affirment expressément avec Lælius Félix[116], Denys d'Halicarnasse et Tite-Live.

Denys fait dire à Junius Brutus, un des deux premiers tribuns de la plèbe[117] :

Ne vous souvenez-vous pas, consuls, que lors du traité qui mit fin à la sédition, vous avez fait avec nous cette convention : que, lorsque les tribuns rassemblent la plèbe, quel que soit l'objet de la réunion, les patriciens n'y assistent pas, et ne doivent pas la troubler ?

Nous nous en souvenons, répond le consul Geganius.

Lorsqu'en 470 av. J.-C. le tribun Letorius propose à l'assemblée des tribus de voter la loi Publilia sur l'élection des tribuns, il ordonne à son viateur d'écarter du Forum tous ceux qui ne doivent pas voter.

Les jeunes nobles, dit Tite-Live[118], se tenaient immobiles sans se retirer devant le viateur. C'étaient donc les nobles qui étaient exclus de l'assemblée des tribus, et Tite-Live le répète plus explicitement encore quelques chapitres plus loin[119]. Le fait le plus remarquable de cette année, ce furent les comices par tribus. Mais, ajoute-t-il avec une sorte de dépit aristocratique, on rabaissa plutôt la dignité des comices, en écartant les patriciens de l'assemblée de la plèbe, qu'on n'augmenta la puissance des plébéiens ou qu'on ne diminua celle des patriciens.

Ce n'est pas que les patriciens aient jamais été privés du droit d'être inscrits dans l'une des tribus. Chaque citoyen romain, plébéien ou patricien, avait la sienne. Après la prise de Véies, lorsqu'un nouveau Sicinius proposa, en 392 av. J.-C., de transporter le marché et l'assemblée de la plèbe dans la ville conquise[120], pour empêcher cette sécession, tout à fait semblable à celle du Mont-Sacré[121], les patriciens se répandirent parmi la plèbe réunie au Forum. Chacun d'eux, nous dit Tite-Live[122], suppliait les hommes de sa tribu. On voit aussi Camille réunir chez lui les hommes de sa tribu et de sa clientèle qui formaient une grande partie de la plèbe[123].

Enfin, dès l'année 432 av. J.-C., l'ancien dictateur patricien Mamercus Ænfin, dès l'année 43'fligée à /milius est chassé de sa tribu par les censeurs[124].

Niebuhr[125] a cru que les patriciens et leurs clients n'avaient été inscrits dans les tribus, que par les Décemvirs, peu d'années avant cette dégradation politique infligée à Duilius. Mais il ne donne aucune preuve à l'appui de cette hypothèse, et il est impossible de l'admettre, quand on réfléchit que les patriciens et leurs clients étaient la population primitive de la ville que Servius partagea en quatre tribus urbaines ; et que les plus anciennes tribus rustiques, établies avant l'époque des Décemvirs, portaient les noms des plus anciennes races patriciennes, comme la tribu Cornelia, la Fabia, la Sergia, la Papiria, l'Horatia.

Ainsi les patriciens ont toujours été inscrits dans une tribu urbaine ou rustique[126] en qualité de citoyens obligés à payer le tribut et à faire le service militaire. Mais cette inscription, qui était aux yeux des Romains la condition et le signe du droit de cité[127], n'empêchait pas les patriciens d'être exclus de l'assemblée des tribus, par la lui politique spéciale que mentionnent Æmilius Félix, Tite-Live et Denys d'Halicarnasse.

On peut déterminer la raison qui fit établir cette loi d'exclusion, et en préciser la durée.

L'aristocratie sénatoriale, en se réservant les six premiers suffrages de la chevalerie, avait voulu, dans les comices du Champ-de Mars, former avec les douze autres centuries de chevaliers equo publico, un peuple à part (populus), votant séparément et en tête des classes de l'assemblée centuriate. Par là, elle s'était attribué, dans l'élection des consuls et dans la plupart des décisions législatives, une influence dominante qui, en ralliant à elle tous les votes de la première classe, annulait le droit de voter des classes moyennes, composées en grande partie des propriétaires de la campagne[128]. Traités en étrangers par l'aristocratie urbaine[129] dans l'assemblée centuriate, les plébéiens des tribus rustiques ne furent point dupes des fausses apparences démocratiques de la constitution attribuée à Servius[130]. À leur tour, ils voulurent former un peuple à part. Pour être seuls maitres du Forum, ils en écartèrent les membres des familles sénatoriales, les chevaliers des six suffrages, et ils contrebalancèrent le droit de prérogative que ces chevaliers nobles exerçaient au Champ-de-Mars, en leur interdisant de prendre part à l'assemblée des tribus. Sur le marché, où le Romain de la campagne venait vendre ses grains et ses bestiaux, les tribuns et les édiles de la plèbe régnaient sans contradiction[131]. Dans cette sorte d'enclave de la Rome extérieure placée au centre de la ville du Pomœrium, quand venait l'assemblée de la plèbe, le patricien, l'homme de famille sénatoriale, n'avait plus, selon l'expression du grand tribun de 1789, ni voix, ni place, ni droit de parler. Non seulement le tribun était inviolable, et, si quelqu'un attentait à sa personne, la tête du coupable était dévouée au Jupiter infernal, ses biens consacrés à Cérès, ses esclaves vendus auprès du temple de Liber et de Libera, et l'on pouvait le tuer impunément[132] ; nais c'était un crime capital depuis la loi Icilia[133] de 490 av. J.-C., d'interrompre un tribun s'adressant à la plèbe. Le patricien qui avait osé élever la voix dans l'assemblée plébéienne, pendant que le tribun parlait, devait fournir caution de payer l'amende de cinq cent mille as d'une livre qui correspondait au crime de lèse-majesté ou de haute trahison[134]. Autrement il était mis hors la loi, déclaré ennemi public (perduellionis judicatas) et précipité par les tribuns de la roche Tarpéienne[135]. Plus tard, l'auteur de l'interruption sacrilège était seulement condamné à l'exil[136], parce que la peine de mort avait été supprimée pour les citoyens Romains par la loi Porcia[137].

En vain les jeunes nobles essayaient de méconnaître cette autorité venue du dehors et qui s'était implantée dans Rome par une sorte de conquête ; et, lorsque le viateur du tribun les priait de s'écarter du Forum, ils feignaient de ne pas entendre, et restaient immobiles[138]. En vain, sommés de se retirer, ils disaient aux tribuns avec Appius : Vous n'avez aucun droit sur nous ; vous n'ôtes pas des magistrats du peuple (populi) ; mais de la plèbe ; nous ne vous nommons pas, nous ne vous connaissons pas, nous ne vous obéirons pas. Le tribun n'avait, il est vrai, ni tribunal ni licteur. Il n'était pas magistrat de la ville de Rome ; mais il avait le droit de résister par la face à qui s'interposait entre lui et la plèbe. A la moindre atteinte portée à son inviolabilité, il pouvait répondre par un ordre d'arrestation[139]. Etranger à la ville, il opposait une voie de fait à quiconque se mettait en guerre contre la plèbe rustique. La rude main du paysan s'abaissait sur le noble qui osait, comme Cæson, fils de Cincinnatus, faire obstacle à l'action des tribuns et les troubler sur le Forum, devenu leur domaine[140].

Le patricien perturbateur, fût-il même un consul, dès qu'il avait enfreint la loi sacrée, qui était le seul lien entre la Rome plébéienne et la Rome aristocratique, n'était plus aux yeux du tribun qu'un étranger, ennemi[141] du peuple des campagnes dont le tribunat était la sauvegarde. Il était saisi, chargé de chaînes, et jeté en prison jusqu'au jugement de perduellion[142].

En l'an 365 av. le dictateur Camille essaya d'intervenir entre plusieurs tribuns de la plèbe, dont les uns gagnés par le patriciat opposaient leur veto aux propositions de leurs collègues[143] : Je ne mêlerai point, disait le dictateur, un magistrat patricien à l'assemblée de la plèbe, si C. Licinius et L. Sextius cèdent à l'opposition de leurs collègues. Mais, si malgré cette opposition, ils veulent imposer des lois à Rome comme à une ville conquise, je ne souffrirai pas que des tribuns brisent l'arme du tribunat.

Comme Licinius et Sextius continuaient à ne pas tenir compte du veto des autres tribuns, Camille envoya ses licteurs pour chasser la plèbe du lieu de l'assemblée.

La guerre était déclarée. Un patricien avait attenté à la majesté de la plèbe souveraine au Forum, et violé par une invasion hostile le territoire légal des tribus dont aucun patricien ne devait franchir la limite pendant l'assemblée. La plèbe vota un plébiscite ordonnant que, si M. Furius faisait le moindre acte dictatorial, il serait soumis à l'amende de cinq cent mille as[144]. C'était celle qu'on infligeait à l'ennemi public[145] après le jugement de perduellion. Camille, s'il voulait rester dictateur, n'avait plus qu'à payer cette somme énorme pour l'époque[146], ou, s'il ne pouvait fournir caution pour le paiement[147], il lui fallait se condamner à l'exil on se préparer à la mort : Camille abdiqua. Les faisceaux du dictateur s'abaissèrent devant la majesté de la plèbe, et les lois de Licinius Stolon furent votées (366 av. J.-C.).

Combien de temps dura cette loi d'exclusion qui interdisait, même à un dictateur patricien, même au vainqueur des Sénons, toute ingérence dans l'assemblée plébéienne des tribus

On peut être assuré que les patriciens ne votèrent pas dans les tribus tout le temps qu'ils refusèrent obéissance aux plébiscites. Quel eût été leur prétexte pour se soustraire à ces lois de la plèbe, s'ils avaient fait partie de l'assemblée où elles étaient discutées et votées ? Mais, privés du droit de suffrage au Forum, ils avaient une juste raison pour ne pas reconnaître l'autorité des résolutions qu'on y prenait, ni des magistrats qu'on y nommait sans leur concours. Tribuns et plébiscistes leur étaient réellement étrangers, et n'étaient faits que par les plébéiens et pour les plébéiens.

Lælius Félix disait que les tribuns de la plèbe n'appelaient pas les patriciens à l'assemblée, et ne pouvaient leur, faire aucune proposition ; que, pour cette raison, les plébiscites votés sur l'initiative des tribuns, n'étaient pas des lois proprement dites, et qu'ils n'étaient pas obligatoires pour les patriciens avant la loi du dictateur. Hortensius (286 av. J.-C.)[148]. La raison des patriciens pour ne pas obéir aux plébiscites était, selon Gains, qu'ils n'étaient pas votés sur leur initiative[149]. En effet, même au temps de Cicéron, une proposition de loi ne pouvait être faite à l'assemblée curiate ou à l'assemblée centuriate, que par un patricien[150]. Au contraire, dans l'assemblée des tribus, l'auteur de la proposition qui devait être transformée en plébiscite (auctor ou princeps rogationis), était toujours plébéien aux premiers siècles de la République, puisque les patriciens n'y étaient pas convoqués par les tribuns. Lælius Félix et Gaius sont donc d'accord pour expliquer le refus que faisaient les patriciens, d'obéir aux plébiscites par la loi qui leur interdisait de les voter.

Or, nous trouvons dans l'histoire romaine une loi toujours renouvelée et toujours vaine, pour soumettre les patriciens aux plébiscites. Son renouvellement même est une preuve de la protestation persévérante du patriciat. Car on a remarqué que, parmi les ordonnances, celles qui sont reproduites le plus souvent, sont celles qu'on applique le moins. Quand le législateur se répète, c'est qu'il n'est pas obéi. Dès l'année 446 av. J.-C., les consuls Valerius et Horatius, pour décider la question de savoir si les plébiscites étaient obligatoires pour les patriciens, firent déclarer par les comices centuriates que les décisions de la plèbe assemblée par tribus, seraient des lois pour le populus[151] (peuple noble).

Un peu plus d'un siècle après, Publilius Philo refit la loi Valeria-Horatia, en lui donnant cette forme nouvelle : Les plébiscites obligeront tous les hommes des curies[152] (337 av. J.-C.). Enfin, en 286 av. J.-C., la plèbe tourmentée par les créanciers, après de longues et terribles révoltes, finit par se retirer sur le Janicule[153], c'est-à-dire par y transporter son marché et ses réunions politiques, comme autrefois au Mont-Sacré ou sur l'Aventin.

Le dictateur Hortensius prit le rôle de Menenius Agrippa. Il alla trouver la plèbe réunie sur le Janicule un jour de nundines, et, dans le bois de chênes qui couronnait la montagne, il fit voter plusieurs lois, dont l'une renouvelait, dans les mêmes termes, celle de Publilius Philo, et soumettait tous les hommes des curies aux plébiscites[154]. Or, Lælius Félix[155] dit que, jusqu'à cette dictature d'Hortensius, les plébiscites n'obligeaient pas le patriciat. Il est donc certain qu'au moins jusqu'à l'an 286 av. J.-C., les patriciens ne votaient pas dans les tribus assemblées au Forum.

Il est même fort probable que les patriciens, après 286 comme après 446 et après 337 av. J.-C., continuèrent de protester contre une mesure politique illogique et injuste, qui leur imposait des obligations ne correspondant à aucun droit. D'après Salluste[156], les discordes et la lutte entre les patriciens et les plébéiens ne cessèrent qu'au temps de la seconde guerre punique. C'est donc entre 286 et 218 av. J.-C. qu'il faut placer l'admission des citoyens de famille sénatoriale[157] au vote dans l'assemblée des tribus. Mais, précisément entre ces deux dates, se place la révolution qui, vers l'an 240 av. J.-C., changea toute la constitution romaine.

Cette révolution de 240 av. J.-C. opéra la fusion des deux peuples distincts, qui, jusque-là, avaient lutté dans la cité romaine[158]. Le populus noble de la ville s'unit intimement à la plèbe rustique, pour former un seul corps de nation. Tandis que les membres de l'aristocratie urbaine acquéraient le droit de voter dans leurs tribus, à l'assemblée du Forum, les plébéiens de la campagne, les hommes des classes moyennes se faisaient inscrire comme quirites, dans les trente curies de la ville. L'antagonisme du peuple de la ville et du peuple de la campagne diminua sans disparaître. Désormais toute sécession, c'est-à-dire toute tentative pour transporter le marché des plébéiens de la campagne et l'assemblée des tribus autre part qu'à Rome, devint impossible ; et, de leur côté, les patriciens n'essayèrent plus de se soustraire ni aux plébiscites ni à l'autorité tribunitienne.

Jusqu'à cette fusion du populus et de la plèbe, les chevaliers des six centuries sénatoriales qui votaient au Champ-de-Mars en tête des dix-huit prérogatives, restèrent, par compensation, privés du droit de suffrage dans l'assemblée des tribus. La révolution politique qui eut lieu vers l'an 240 av. J.-C. les fit rentrer dans le droit commun, en faisant cesser à la fois et leur exclusion de l'assemblée du Forum et leur privilège dans l'assemblée centuriate. Elle coïncide avec la révolution économique et monétaire que nous avons décrite. Mais, si les changements dans le poids des monnaies et dans la fortune publique et privée en furent l'occasion, elle fut amenée par des causes politiques puissantes[159]. Nous allons décrire les changements qui la préparèrent et qui, de 386 à 240 av. J.-C., firent passer la prépondérance du peuple de la ville au peuple de la campagne.

 

§ III. — CAUSES POLITIQUES QUI ONT PRÉPARÉ LA RÉVOLUTION PAR LAQUELLE LA CONSTITUTION ROMAINE FUT CHANGÉE, VERS L'AN 240 AV. J.-C.

La chevalerie romaine, considérée dans son ensemble, ayant formé depuis l'an 400 av. J.-C. toute la première classe de citoyens, il est impossible de séparer son histoire politique de celle de la constitution de Servius. D'un autre côté, les six premières centuries de chevaliers, ayant voté longtemps en tête de l'assemblée centuriate, tandis que leurs membres étaient exclus de l'assemblée des tribus, leur influence politique dépendait de l'issue de la lutte séculaire engagée entre la noblesse et la plèbe.

Il est donc nécessaire, pour suivre les vicissitudes par lesquelles a passé la chevalerie considérée comme corps politique, d'esquisser un tableau des révolutions romaines, et surtout de remonter à la cause principale qui les a produites. Cette cause, c'est celle que Niebuhr a indiquée, mais sans déduire toutes les conséquences qu'elle renfermait : c'est la dualité primitive du peuple Romain, l'antagonisme du patriciat de la ville et de la plèbe rustique ; plus tard, de la noblesse urbaine, et de l'aristocratie municipale des chevalier

Cicéron opposait encore dans le pro Sulla[160] le patricien, l'homme dont la famille était originaire de Rome, au citoyen d'origine municipale qui, pour le Romain de la ville, était un étranger à cause de ce défaut de naissance. Les municipes les plus rapprochés de la ville, comme Tusculum, devinrent presque des faubourgs de Rome. Leur noblesse confondit ses intérêts, ses sentiments avec ceux du patriciat. Mais les municipes, les colonies, les préfectures plus éloignées continuèrent la lutte de la campagne contre la ville. Leurs chefs, c'étaient ces hommes nouveaux que la vieille aristocratie écartait des honneurs avec un soin jaloux[161]. Cicéron résumait toute l'histoire politique de Rome en trois mots, lorsque comparant Mina, à l'orgueilleuse Tusculum, qui déjà ne comptait plus ses consulaires, il disait : Atina, préfecture moins ancienne, moins voisine de Rome, et moins illustre que Tusculum par les magistrats qu'elle a produits[162].

Nous avons montré que la plèbe rustique et le patriciat formaient, en 493 av. J -C., deux peuples rivaux, mais unis par le besoin d'une défense commune et par le traité qui avait consacré l'institution du tribunat. Bientôt la plèbe urbaine, un instant unie à la plèbe rustique pour obtenir cette importante garantie, s'en détache, et retombe sous le joug des patriciens. Dès 470 av. J.-C., les plébéiens ne veulent plus que les curies décident l'élection des tribuns de la plèbe, parce que les clients des nobles forment la majorité dans l'assemblée curiate[163]. C'est à la même époque que, selon Pison, on nomme cinq tribuns de la plèbe au lieu de deux. Chacun représente une des cinq premières classes[164]. La sixième classe, celle qui devait contenir la plupart des affranchis de la ville, se trouve ainsi séparée de la plèbe rustique, et privée de la protection tribunitienne.

Cent soixante ans plus tard, les chefs des grandes maisons de Rome s'appuient encore sur la plèbe urbaine presque toute composée de leurs clients[165] et de leurs mercenaires. C'est un homme de la plus orgueilleuse famille patricienne, qui, en 311 av. J.-C., systématise cette alliance du patriciat avec la populace de la ville. Le censeur Appius Claudius répartit la foule des petites gens dans toutes les tribus, pour altérer l'indépendance des votes, soit au Forum, soit au Champ-de-Mars[166]. Il fait nommer par les tribus réunies au Champ-de-Mars un de ses scribes, M. Flavius, comme édile curule, et il introduit dans le Sénat des fils d'affranchis[167], afin de renforcer dans cette assemblée le parti des hommes de la ville[168]. Depuis ce temps, dit Tite-Live, la cité se trouva divisée en deux partis ; celui du grand et vrai peuple romain (integer populus) soutenait et respectait les hommes de bien ; l'autre était la faction du Forum.

Les deux censeurs de l'an 302 av. J.-C., l'un patricien populaire, Q. Fabius, l'autre plébéien, P. Decius, refoulèrent dans les quatre tribus urbaines cette tourbe d'affranchis qui composait la faction du Forum et se mettait à la disposition de l'aristocratie. Mais la clientèle des patriciens se renouvelait de siècle en siècle par les affranchissements et, de 302 à 220 av. J.-C., les affranchis se répandirent de nouveau dans les tribus rustiques[169]. Les censeurs de l'an 220 les renfermèrent encore une fois dans les tribus Esquiline, Palatine, Suburane et Colline. Le père des Gracques, Sempronius, voulut même rayer du nombre des citoyens, en 169 av. J.-C.[170], les hommes de cette populace urbaine qui, quarante ans plus tard, assista indifférente ou même prêta la main à l'assassinat de ses fils. Il fallut qu'un Appius, fidèle à la tradition de sa famille, prit la défense des affranchis, pour qu'ils fussent maintenus au rang de citoyens de la tribu Esquiline. C'est sur les laboureurs et les moissonneurs des tribus de la campagne que les Gracques[171] et Marius[172] s'appuyaient. Au contraire, le patricien exclusif, pour qui la patrie romaine était limitée à l'enceinte du Pomœrium, Sylla, répandit parmi les tribus dix mille affranchis surnommés les Cornéliens. Personne n'a mieux dépeint ce parti mêlé de chefs patriciens et de bandits recrutés à prix d'argent dans les carrefours de Rome, que le grand orateur, l'homme nouveau d'Arpinum qui toute sa vie l'a combattu, qu'il fût conduit par un chef avoué comme Sylla, ou par des chefs hypocrites couverts du masque de la démagogie comme Catilina ou Clodius.

Penses-tu, dit-il à Clodius[173], que le peuple Romain soit le peuple composé de ces gens qui se vendent à tant la journée ? que l'on pousse à faire violence aux magistrats ? à mettre le siége autour du Sénat ? à demander chaque jour le meurtre, l'incendie, le pillage ? Ce peuple que tu ne pouvais rassembler en nombre suffisant qu'en faisant fermer les boutiques[174] ? Ce peuple, à qui tu avais donné pour chefs les Lentidius, les Lollius, les Plaguleius, les Sergius[175] ? Quel peuple romain digne d'inspirer le respect et la terreur aux rois, aux étrangers, aux nations les plus lointaines ! Une multitude ramassée à parmi les esclaves, les gens à gages, les bandits, les misérables ! Mais le peuple Romain, tu l'as vu au Champ-de-Mars dans sa grandeur et sa beauté imposante, lorsque toi-même tu as eu le droit d'essayer contre l'autorité du Sénat, et contre les sympathies de l'Italie entière, l'effet de ta parole. Voila le peuple vainqueur et dominateur de toutes les nations, tu l'as vu, misérable, dans cette brillante journée, où tous les chefs de la cité, ceux de tous les ordres, de tous les âges, croyaient voter non sur le salut d'un citoyen, mais sur celui de la cité entière, lorsqu'enfin le Champ-de-Mars se remplit d'hommes qui avaient fermé, pour y venir, non des boutiques, mais des municipes.

Si, pendant toute l'histoire de la République, l'antagonisme des Romains de la ville et de ceux de la campagne est le fait dominant, si, même au temps de Cicéron, le citoyen d'un municipe avait deux patries et n'était qu'un fils adoptif de la cité romaine[176], c'est dans la prépondérance, ou de la population urbaine, ou de la population rustique, aux divers siècles de Rome, que nous devons trouver la cause des révolutions qu'elle a traversées.

Sous les rois, il n'y eut ni assemblées de tribus, ni assemblées politiques des centuries. La première élection faite dans l'assemblée centuriate, fut celle des deux premiers consuls[177] : et la première loi que les centuries votèrent, fut celle de Valerius Publicola sur l'appel au peuple (494. av. J.-C.)[178]. Avant l'expulsion des Turquins, c'est toujours l'assemblée des trente curies de la ville qui est appelée à choisir le nouveau roi[179], et même, lorsque les Tarquins sont chassés, la première pensée de Valerius et de Junius Brutus, est de convoquer les curies, pour qu'elles sanctionnent par leurs votes la révolution qui vient de s'accomplir[180].

Le peuple des curies (Quirites) était celui de la ville de Rome. Il se réunissait au Comitium[181], au nord-est du Forum, devant les marches de l'escalier par où l'on montait à la curie Hostilienne, et au pied de la plate-forme du Vulcanal, sur laquelle fut placé, depuis l'an 150 av. J.-C.[182], le tribunal du préteur. Tandis que les trois cents sénateurs, chefs des trente curies, délibéraient dans le temple que leur avait bâti le roi Tullus, les chevaliers[183] des six centuries, Rhamnes, Tities et Luceres, réunis au bas des degrés sur le Comitium avec le peuple quiritaire des six demi-tribus, attendaient le sénatus-consulte que le magistrat allait proposer à l'approbation des curies[184].

Servius Tullius fut le libérateur de la plèbe urbaine. C'est lui qui ordonna que les esclaves prissent part à la célébration des cérémonies religieuses de la fête des Compitalia[185]. C'est lui qui fit admettre les affranchis à voter dans l'assemblée curiate et les inscrivit au nombre des citoyens des quatre tribus urbaines[186]. Ces affranchis devinrent plus tard la clientèle héréditaire des grandes maisons de Rome. Assujettis à leurs patrons par l'usure, ils votaient au Comitium avec leur créancier patricien[187], qui leur eût fait payer cher toute velléité d'indépendance. La loi civile rendait illusoire la liberté politique des pauvres, et c'est pour cela que Servius, qui voulait leur donner une liberté réelle, commença par payer leurs dettes et par défendre que la personne du débiteur fût le gage du créancier[188].

Si la plèbe urbaine n'était libre que par la protection royale, la plèbe rustique n'eut même sous le règne de Servius aucun droit politique. Les centuries, où ce roi lui fit une place, ne formèrent jusqu'aux premières années de la République, ni une assemblée électorale, ni une assemblée législative. Elles n'étaient, dans l'esprit du législateur, qu'une organisation militaire et financière pour faciliter la levée des soldats et la répartition des tributs. La campagne était divisée en vingt-six districts religieux ou pagi, qui correspondaient aux vingt-six quartiers de la ville répartis entre les quatre tribus urbaines[189]. L'égalité du nombre des divisions de la ville et de la campagne, l'usage de compter, dans la levée en masse des jeunes gens, quatre légions urbaines et quatre légions rustiques[190], montrent que la population de la ville et la population rurale étaient ri peu prés en nombre égal. Mais la première exerçait seule les droits politiques. Les plébéiens de la campagne ne jouissaient que des droits civils et, en échange, ils devaient contribuer de leur sang et de leur argent à la défense commune de l'État. Jusqu'à l'an 509 av. J.-C., ils n'occupèrent pas, dans le royaume de Servius ou de Tarquin, un rang beaucoup plus élevé que celui qui fut assigné aux alliés Latins sous la République romaine.

Les conquêtes de Tarquin-le-Superbe, qui donna le droit de cité aux habitants de Gabies[191], augmentèrent le nombre total des citoyens et, depuis le règne de Servius Tullius jusqu'à l'expulsion des Tarquins, on le trouve porté de quatre-vingt à cent trente mille[192]. Mais la population urbaine s'accroissait comme celle des campagnes : si le territoire s'agrandissait et se peuplait, des familles nobles, comme les Valerius d'Eretum[193], les Appius de Regilli[194], venaient s'établir à Rome avec de nombreux serviteurs, et maintenaient la prépondérance de la ville.

Riais, en 509 av. J.-C., l'aristocratie de Rome, pour chasser les Tarquins, dut payer de quelques concessions politiques le concours des plébéiens de la campagne. Les cadres des classes et des centuries qui, jusque-là, n'avaient servi qu'au recrutement et à la levée des impôts, devinrent ceux d'une assemblée politique, où les paysans paraissaient exercer les mêmes droits que les Quirites de la ville. Il y eut alors deux peuples en un : le premier, plus restreint, celui de la ville, qui, divisé par races et par clienteles[195], votait dans les comices curiates ; le second, plus complet, celui du territoire entier, Rome comprise, qui, divisé par classes, votait dans l'assemblée des centuries. La voix des trente licteurs appelait, comme autrefois, les Quirites de la ville à l'assemblée des curies. Le son du cor, qui était dans le camp le signal du mouvement des drapeaux, convoquait au Champ-de-Mars, en dehors de l'enceinte sacrée du Pomœrium, les classes de l'armée civile de Servius[196]. Le peuple des curies donnait seul l'imperium qui ne pouvait s'exercer qu'en dehors des limites de la ville. Le peuple des centuries désignait, il est vrai, ceux à qui devait être confié le commandement militaire ; mais il se composait de ceux qui devaient le subir. Un consul présidant l'assemblée centuriate au Champ-de-Mars, pouvait, s'il n'était pas encore rentré dans Rome, où finissait son droit de vie et de mort, menacer de ses haches un votant ou un candidat, comme s'il eût encore commandé au milieu d'un camp[197].

Le droit de vote des plébéiens de la campagne dans l'assemblée centuriate était à peu près illusoire. Dans cette institution où les historiens modernes ont cherché un progrès de la démocratie, les anciens n'ont vu qu'un stratagème politique destiné à tromper la plèbe et à lui cacher sa nullité réelle[198]. Mais ce n'est pas au bon roi Servius qu'il faut imputer l'invention de cette liberté mensongère. On y sent partout l'habileté persévérante des patriciens, qui, obligés à des concessions, travaillent à en détruire l'effet, et veulent retenir pour eux seuls l'autorité qu'ils ont l'air de partager.

Le Sénat déclara fériés les jours de marché, pour que les assemblées se tinssent en l'absence de la plupart des plébéiens des campagnes. La première classe avait à elle seule quatre-vingt-dix-huit voix sur cent quatre-vingt-treize, et l'on ne peut douter que le patriciat n'y eût conservé une influence dominante[199]. Pour la rendre encore plus irrésistible, les patriciens réservèrent aux dix-huit centuries de chevaliers le droit de voter les premières et à part ; en tête des dix-huit centuries marchaient les six prérogatives proprement dites, celles des Rhamnes, des Tities et des Luceres, remplies des jeunes patriciens, fils de sénateurs. Leur vote, que la superstition romaine prenait pour une inspiration des Dieux, entraînait celui de tous les chevaliers, et la première classe suivait l'exemple de la chevalerie. L'accord de toutes les centuries de la première classe rendait superflu le vote de toutes les autres ; rarement la seconde était appelée pour compléter la majorité des quatre-vingt-dix-sept voix. Comme si ce n'eût pas été assez de tant de précautions contre l'opposition de la plèbe, jusqu'aux lois de Publilius Philo et de Mænius (337-286), aucune élection, aucune loi faite dans l'assemblée centuriate n'était valable, si le Sénat n'en proposait la ratification aux curies.

Comment les plébéiens riches de la première classe eussent-ils songé à contrarier la pensée politique des sénateurs, exprimée par leurs fils dans le vote des six prérogatives, quand ils savaient qu'il dépendait du Sénat de faire annuler par les curies à décision de l'assemblée centuriate tout entière ? Cette constitution que l'aristocratie faisait remonter au roi populaire Servius Tullius n'a fait illusion à aucun de ceux qu'elle était destinée à tromper. Cicéron l'apprécie comme Denys d'Halicarnasse, lorsque dans le De legibus[200], répondant à son frère Quintus qui déplorait l'établissement du tribunat, il refuse de voir dans la constitution de l'an 509 aucune garantie effective de la liberté plébéienne :

Ou bien il ne fallait pas chasser les rois, ou il fallait donner à la plèbe une liberté réelle, et non pas nominale.

La constitution politique attribuée à Servius n'était donc que l'image trompeuse de la démocratie. Au fond elle était tout aristocratique[201], et les plébéiens n'eurent de sécurité et de force politique qu'à partir de l'établissement du tribunat et de l'assemblée des tribus.

Jusqu'à l'an 494 av. J.-C., il n'y eut que quatre tribus urbaines. Mais dans les cantons ruraux ou pagi, et surtout dans ceux qui touchaient à la ville, les patriciens devaient avoir de nombreuses propriétés[202]. Car, lorsque les pagi de la campagne devenus plus nombreux eurent été transformés en seize tribus rustiques, le patriciat conserva encore de l'influence dans quelques-unes d'entre elles. Sur les vingt tribus qui votèrent dans le procès de Coriolan, neuf déclarèrent innocent cet ennemi de la plèbe. Il devait donc y en avoir au moins cinq de la campagne, qui avaient donné un vote favorable à l'accusé[203].

La transformation des pagi en tribus rustiques eut lieu en 494 av. J.-C. ; elle n'est marquée dans Tite-Live que par ces simples mots : Romæ tribus factæ[204]. Il y eut alors seize tribus rustiques. Les plus rapprochées de Rome étaient : la Romilia sur la rive droite du Tibre[205], la Claudia sur la rive droite de l'Anio[206], la Pupinia entre la rive gauche de l'Anio, Rome et Gabies[207], la Lemonia sur la voie Latine hors de la porte Capène[208]. La formation des seize tribus rustiques fut immédiatement suivie de la création du tribunat. La plèbe de la campagne eut dans Rome ses représentants accrédités, ses assemblées d'où les patriciens étaient exclus. Au veto par lequel les curies de la ville pouvaient infirmer les actes de l'assemblée centuriate, répond le veto tribunitien qui peut paralyser la volonté du Sénat et des consuls. Deux peuples se trouvent ainsi en présence. La loi des Douze-Tables elle-même, qui semble un essai de rapprochement sur le terrain du droit civil, consacre cette division de la plèbe et du patriciat, en interdisant les mariages mixtes comme entre deux nations voisines et ennemies.

Nous avons vu qu'au temps de Servius, sur les quatre-vingt mille citoyens en état de porter les armes, la moitié appartenait à la population urbaine, et l'autre moitié à celle des vingt-six papi de la campagne. Pendant tout le premier siècle de la République, cet équilibre entre les deux éléments du peuple Romain semble s'être maintenu, quoique le nombre total des citoyens s'élevât en moyenne à cent trente mille[209]. Car sur les huit légions de la levée, en temps de grands dangers, la ville en fournissait quatre[210]. Mais, malgré cette égalité de nombre, l'organisation des centuries, et surtout le privilège des dix-huit centuries équestres, assuraient à la population urbaine et au patriciat un triomphe certain dans les élections du Champ-de-Mars.

Tout changea au siècle des guerres contre les Gaulois et contre les Samnites. La puissance politique passa graduellement du patricial à la plèbe, par un déplacement de plus en plus sensible de la majorité. De 386 à 241 av. J.-C., quatorze tribus rustiques s'ajoutèrent aux vingt-et-une tribus déjà formées avant la prise de Rome par les Gaulois. A mesure que des tribus nouvelles se forment, on voit le nombre des plébéiens augmenter et les tribuns, qui les représentent, obtenir pour eux de nouveaux droits politiques. La conquête de l'égalité politique à Rome est une conséquence de l'accroissement du territoire rural.

A la fin de la lutte des plébéiens et des patriciens, le patriciat est vaincu, parce que chaque victoire grossit le nombre de ses rivaux. La prépondérance passe de la ville à la campagne, parce que l'enceinte du Pomœrium reste immobile, tandis que les limites du territoire reculent.

Une des preuves de ce changement de sens dans la majorité, c'est qu'au premier siècle de la République la ville fournissait autant de légionnaires que la campagne, tandis qu'au temps d'Annibal on levait chaque année six légions, dont deux urbaines[211] seulement. La population rurale, où l'on recrutait les quatre légions consulaires, formait donc en 218 avant J.-C. les deux tiers du peuple Romain tout entier[212].

Cette supériorité numérique des plébéiens est la vraie cause qui leur fit obtenir de 366 à 300 av. J.-C. le droit d'aspirer à tous les honneurs de la République. Par les lois Publilia de 338 av. J.-C. et Mœnia de 286 av. J.-C., les votes législatifs et les élections de l'assemblée centuriate cessèrent de dépendre de l'approbation des curies de la ville. Le Sénat proposait d'avance aux curies de sanctionner tout ce que les centuries auraient décidé. L'opposition à la volonté des chevaliers nobles des six centuries prérogatives avait dès lors quelques chances de succès, et, pour la faire réussir, le dictateur Hortensius, en 286 av. J.-C., fit déclarer jours fastes les jours de marché. L'assemblée du Champ-de-Mars put dès lors se tenir quand les plébéiens de la campagne se trouvaient réunis à Rome pour leurs affaires.

Non contents de s'affranchir de la domination des patriciens et de leur clientèle, les paysans voulurent dominer à leur tour. Eux, qui auparavant n'étaient rien, ils eurent l'ambition d'être tout. Le dictateur Hortensius fit voter une loi qui rendait les plébiscites obligatoires pour la noblesse sénatoriale, quoiqu'elle fût exclue de l'assemblée des tribus.

A la fin de la première guerre punique, la vieille constitution de Servius ne convenait plus à personne. Sur les 270.000 citoyens de Rome, un tiers à peine appartenait aux quatre tribus urbaines. Les tribus rustiques ne pouvaient plus permettre que les six centuries de la chevalerie urbaine eussent le privilège de voter les premières et de désigner aux suffrages les candidats préférés de l'aristocratie sénatoriale. La noblesse des municipes, composée des chevaliers equo privato répartis dans les quatre-vingts centuries de la première classe, subissait à regret l'influence de la riche bourgeoisie patricienne de Rome. Les hommes de condition moyenne, fort nombreux dans les cantons agricoles, souffraient de la loi qui ne laissait à chacune de leurs classes que vingt voix collectives, au lieu de quatre-vingts qu'elle donnait à la première classe. Les nobles, qui dans l'assemblée centuriate avaient voulu s'isoler et former avec les autres chevaliers equo publico, un peuple à part, se voyaient, par représailles, exclus de l'assemblée des tribus, et astreints à respecter des plébiscites qu'ils ne votaient pas.

Une constitution qui blessait toutes les classes de la société romaine ne pouvait durer. Elle fut changée.

 

§ IV. — RÉVOLUTION POLITIQUE QUI EUT LIEU À ROME, DANS L'INTERVALLE DES DEUX PREMIERES GUERRES PUNIQUES.

Tout appelait une reforme de la constitution de Servius, lorsque la révolution monétaire qui eut lieu entre les deux premières guerres puniques en fournit l'occasion. Les principes politiques furent modifiés en même temps que les bases du cens et l'évaluation des fortunes. Les historiens anciens ont indiqué l'époque et le caractère de cette révolution. Tite-Live[213] dit que le nombre des centuries fut mis eu rapport avec celui des tribus, c'est-à-dire que les tribus furent partagées en centuries, après que le nombre des trente-cinq tribus eût été complété. Or, les deux dernières tribus ont été formées en l'an 241 av. J.-C.[214]. D'après Salluste, les discordes de la plèbe et de l'aristocratie sénatoriale cessèrent au temps de la seconde guerre punique[215]. La fusion des cieux peuples ennemis qui enfin arrivèrent à former une seule nation politique dut, alitant que la crainte d'Annibal, contribuer à cette réconciliation. La révolution qui l'opéra eut donc lieu entre 241 et 218 av. J.-C. Le changement dans les chiffres du cens, qui accompagna cette révolution, était du reste accompli en 220 av. J.-C.

Denys d'Halicarnasse, qui ne connaît l'histoire romaine que jusqu'à l'an 264 av. J.-C., ignore la date de cette révolution. Mais il eu marque bien le caractère. La constitution de Servius, dit-il, a été changée et a pris une forme plus démocratique[216].

Trois changements rendirent l'assemblée centuriate plus favorable aux intérêts plébéiens : 1° la formation de cinq centuries représentant les cinq classes dans chacun des deux âges de chaque tribu ; 2° l'attribution de la prérogative à une centurie tirée au sort parmi celles des tribus rustiques ; 3° l'ordre nouveau dans lequel les dix-huit centuries de chevaliers furent désormais appelées au vote.

1° QU'IL Y EUT, APRÈS LA RÉFORME, DIX CENTURIES PAR TRIBU.

Cicéron appelle une centurie de son temps une partie d'une tribu[217]. Mais chaque tribu avait été doublée par la formation des centuries de seniores et de juniores[218]. Il y avait donc soixante-dix demi-tribus, trente-cinq pour chacun des deux figes. Chaque demi-tribu était elle-même subdivisée en cinq centuries représentant les cinq classes. Car Cicéron transportant par anachronisme[219] la constitution de son temps au règne de Servius compte dans la première classe quatre-vingt-neuf centuries : une de charpentiers, dix-huit de chevaliers equo publico, et soixante-dix de chevaliers equo privato[220]. Les chevaliers equo privato, qui composaient la première classe proprement dite, étaient donc répartis clans les soixante-dix demi-tribus et formaient la centurie de la première classe dans chacune d'elles. Les citoyens de chacune des classes suivantes devaient être répartis de même en soixante-dix centuries. On en trouve la preuve dans la description que fait Cicéron des opérations du cens[221] : Les censeurs doivent d'abord inscrire l'âge des citoyens, le nombre de leurs enfants et de leurs esclaves, et les chiffres de leurs fortunes[222]... puis distribuer les parties du peuple[223] entre les tribus ; ensuite séparer les fortunes et les âges, distinguer les ordres, et dresser la liste des fantassins et des cavaliers.

La distribution générale du peuple était donc la division en trente-cinq tribus, et, dans le cadre de chacune d'elles, se reproduisaient, comme des subdivisions, les distinctions d'ordres, d'âge et de fortune. Aussi trouvons-nous les chevaliers equo publico répartis entre les trente-cinq tribus dans la revue quinquennale que leur faisaient passer les censeurs[224]. Il y avait donc, dans chaque tribu, d'abord un certain nombre de chevaliers equo publico, et, parmi eux, des sénateurs. Ces chevaliers, dans l'assemblée centuriate, se réunissaient pour former dix-huit centuries. Au-dessous d'eux étaient inscrits les hommes des cinq classes formant dix centuries dans chaque tribu. Les deux centuries des seniores et des juniores de la première classe de chaque tribu étaient composées de chevaliers equo privato. Il y avait dans les trente-cinq tribus, trois cent cinquante centuries, sans compter les dix-huit de chevaliers equo publico, et quatre de musiciens et d'ouvriers. C'était en tout trois cent soixante-douze centuries. Cette forme de la constitution était, comme le dit exactement Denys, plus démocratique que celle qui s'était maintenue jusqu'aux guerres puniques. Car, sur trois cent soixante-douze voix, la première classe n'en comptait plus que quatre-vingt-neuf, tandis qu'avant la réforme, elle en avait quatre-vingt-dix-neuf sur cent quatre-vingt-treize[225].

2° QUE LA RÉFORME ENLEVA LE DROIT DE PRÉROGATIVE AUX CENTURIES DE CHEVALIERS EQUO PUBLICO, ET LE TRANSPORTA À UNE CENTULIE TIRÉE AU SORT, PARMI CELLES DES JEUNES CHEVALIERS EQUO PRIVATO DES TRIBUS RUSTIQUES.

Mais ce fut surtout le changement dans le droit de prérogative qui diminua l'influence de la noblesse sur l'assemblée centuriate. Jusqu'après 296 av. J.-C.[226], les dix-huit centuries de chevaliers equo publico étaient appelées les premières, et parmi elles, les six centuries sénatoriales étaient nommées plus particulièrement les prérogatives. Leur choix désignait les candidats aux Romains de la campagne qui ne les connaissaient pas, et décidait presque toujours le résultat de l'élection. La réforme, qui se fit vers l'an 240 av. J.-C., avait au contraire pour but de faire passer la prédominance aux plébéiens de la campagne. C'est parmi les centuries des trente-et-une tribus rustiques, dont les noms étaient déposés dans une urne (sitella ou cistella), que l'on tirait au sort la prérogative unique chargée désormais de la direction des suffrages[227]. Les tribus urbaines qui, dans les premiers siècles de la République étaient les plus considérées, puisque l'usage se conserva de les faire voter les premières[228], tombèrent alors dans le mépris pour deux causes : d'abord, on n'y prenait jamais la centurie prérogative, et l'on voit en 204 av. J.-C., un censeur patricien, C. Claudius, inscrit au nombre des citoyens de la dernière des tribus rustiques, l'Arniensis[229] ; en second lien, les tribus urbaines se remplissaient peu à peu d'affranchis et de gens sans aveu. Depuis l'an 302 av. J.-C., les censeurs avaient l'habitude d'y jeter en masse tout ce qu'il y avait de plus méprisé dans la population romaine. A la fin, les nobles, les riches et les honnêtes gens rougirent d'être, mêlés à cette populace, et ils se furent inscrire sur les listes des tribus rustiques, bien plus pour se distinguer de la plèbe urbaine, que pour honorer le travail des champs[230]. Le droit de voter en tête de l'assemblée centuriate était naturellement réservé à lune des centuries des tribus rustiques qui seules avaient assez d'autorité morale pour l'exercer. La prérogative semble aussi avoir toujours été une centurie de jeunes gens. Cette préférence donnée à la jeunesse sur l'âge mûr vient de l'idée qu'on se faisait alors de l'inspiration divine. Le premier vote était considéré comme l'expression de la volonté des dieux (omen) ; et la jeunesse, plus passionnée et moins réfléchie que l'âge mûr, semblait, par là même, plus rapprochée de cette nature primitive que l'instinct devine, et que la raison ne comprend pas. Aux yeux de tous les peuples de l'antiquité, les oiseaux, les enfants, les femmes, Sibylles de la Grèce ou prophétesses germaniques, tous les êtres en qui le raisonnement humain n'avait pas fait taire les voix naïves de l'instinct, paraissaient animés du souffle prophétique refusé à l'intelligence virile. Quoi d'étonnant que, pour un vote, qui devait être interprété comme un présage et auquel les Romains se soumettaient religieusement comme à un oracle[231], les jeunes gens fussent préférés aux vieillards ? N'était-il pas vraisemblable que l'age n'aurait pas éteint en eux toute étincelle de l'esprit divin, et qu'ils auraient encore quelque chose du don mystérieux de pressentir les secrets de l'avenir ?

Enfin, quoique rien ne le prouve directement, tout fait supposer que la centurie prérogative était toujours une de celles de la première classe.

Cette classe riche, qui fut toujours appelée la première à voter, n'eût pas souffert que le hasard pût attribuer à une centurie de la cinquième classe, l'immense autorité de la prérogative ; et ce fut C. Gracchus qui le premier demanda que les noms des centuries des cinq classes fussent mêlés et que le héraut les appelât dans l'ordre où le sort les désignerait[232]. La prérogative était donc toujours une centurie de la première classe, c'est-à-dire qu'elle était composée de chevaliers equo privato.

Lorsque l'on tirait au sort un des noms des trente-et-une tribus rustiques, si celui de la Veturia sortait de l'urne, la centurie des jeunes gens de la première classe de cette tribu était par la désignée pour voter avant les autres ; et on l'appelait Veturia juniorum.

3° NOUVELLE MANIÈRE DE VOTER DES DIX-HUIT CENTURIES DE CHEVALIERS EQUO PUBLICO.

Après la prérogative, étaient appelées les dix-huit centuries de chevaliers equo publico. Mais elles ne votaient plus à part, ni dans le même ordre qu'avant les guerres puniques. Avant la réforme, les dix-huit centuries formaient comme un peuple à part (populus), dont on annonçait le vote séparément. .Mais, après la réforme, la centurie prérogative unique garda seule ce privilège. Les dix-huit centuries, qui faisaient partie de la première classe, entraient désormais avec elle dans l'enceinte électorale du Champ-de-Mars[233]. Elles ne votaient pas non plus dans le même ordre qu'autrefois : les six suffrages, qui foret tient la chevalerie urbaine et sénatoriale, au lieu d'être les premiers, comme avant les guerres puniques, ne votaient plus qu'après les douze autres centuries qui étaient remplies des fils des publicains[234]. Cette interversion dans l'ordre des votes tenait aux causes générales qui, en déplaçant la majorité et l'influence politiques, l'avaient fait passer de la ville à la campagne, de l'aristocratie urbaine à l'aristocratie municipale. On en trouve la trace dans les énumérations où les auteurs anciens nous désignent les douze centuries équestres, les six centuries sénatoriales, enfin les centuries de la première classe. Elles sont nominées dans l'ordre où les Romains les voyaient paraître à l'assemblée du Champ-de-Mars, depuis l'époque d'Annibal[235]. Les douze centuries figurent toujours en tête.

Mais l'habitude de placer les six centuries après les douze autres ne remonte pas aux premiers temps de Rome, comme le croit M. Mommsen[236]. Elle date de la révolution politique qui eut lieu à Rome, de 240 à 218 av. J.-C.

4° DESCRIPTION GÉNÉRALE DU VOTE DE L'ASSEMBLÉE CENTURIATE APRÈS L'AN 240 AV. J.-C

Depuis celle révolution, voici comment votait l'assemblée centuriate :

1° On tirait d'abord au sort la centurie prérogative, en jetant dans l'urne les noms des trente-et-une tribus rustiques. La centurie des jeunes gens de la première classe de la tribu dont le nom sortait, était appelée à part la première, par le héraut, dans l'enceinte du Champ-de-Mars. Elle se composait de jeunes chevaliers equo privato. Le vote de celle prérogative était annoncé ;

2° Puis on appelait ensemble toute la première classe, où étaient inscrits les citoyens qui avaient un million d'as, c'est-à-dire quatre cent mille sesterces de cens. Cette classe était formée de tous les chevaliers equo publico et equo privato, qui votaient dans l'ordre suivant : D'abord les douze centuries de chevaliers equo publico, composées en grande partie des jeunes gens, fils des publicains ; puis les six centuries de chevaliers equo publico, appelés aussi les six suffrages du Sénat[237], où figuraient, avec les fils des sénateurs, les trois cents sénateurs eux-mêmes ; enfin soixante-neuf[238] centuries de chevaliers equo privato, auxquelles se joignait une centurie de charpentiers.

On annonçait le résultat des voles de la première classe ;

3° Les soixante-dix centuries de la seconde classe étaient appelées ; on annonçait leurs votes.

4° Puis on appelait les soixante-dix centuries de la troisième classe, et l'on continuait cet appel des classes, jusqu'à ce que la majorité de cent quatre-vingt-sept voix sur trois cent soixante-douze eût été formée. Comme la première classe n'avait que quatre-vingt-neuf centuries, et la seconde classe soixante-dix, il fallait, pour compléter cette majorité, recourir au vote de la troisième classe. C'est pourquoi Antoine, pour empêcher l'élection de Dolabella, arrêtait, en qualité d'augure, les opérations électorales, seulement après l'appel de la seconde classe[239]. Dans l'ancienne constitution cette opposition aurait pu arriver trop tard.

Après le vote de la prérogative et des dix-huit centuries equo publico, on suivait, dans chaque classe, pour l'appel des centuries, l'ordre légal des trente-cinq tribus, depuis la Suburane, qui était la première des tribus urbaines, jusqu'à l'Arniensis, qui était la dernière des tribus rustiques[240] ; et dans chaque tribu, par une raison religieuse, la centurie des juniores votait avant celle des seniores de la même classe[241]. De même dans la chevalerie equo publico, les douze centuries votaient avant les six suffrages, non-seulement parce qu'elles représentaient mieux les intérêts de la plèbe, mais parce que les six suffrages contenaient les sénateurs, c'est-à-dire les seniores de la chevalerie equo publico.

La révolution politique qui s'accomplit entre 240 et 218 av. J.-C., changea aussi la constitution de l'assemblée des tribus. Les six centuries sénatoriales de chevaliers ayant perdu le privilège de voter au Champ-de-Mars en tête de l'assemblée centuriate et de former avec les douze centuries equo publico un peuple et des comices à part, la plèbe n'avait plus aucune raison de s'isoler de son côté dans l'assemblée par tribus.

Les sénateurs et leurs fils commencèrent donc à voter dans l'assemblée plébéienne d'où une loi spéciale les avait jusque-là écartés. Chaque sénateur avait toujours été inscrit dans une tribu à titre de contribuable et de citoyen astreint au service militaire. Désormais il y fut avec ses fils inscrit comme votant[242], parce que les dix-huit centuries equo publico faisaient partie de la première classe, et qu'elles furent désormais, comme cette classe tout entière, distribuées par les censeurs entre les trente-cinq tribus.

Le sens du mot populus reçut une nouvelle extension. Il avait d'abord désigné exclusivement le peuple noble de la ville, l'aristocratie des Rhamnes, des Tities et des Luceres ; sons le règne de Servius, on comprit sous ce nom, outre l'aristocratie patricienne, les chevaliers des douze centuries nouvellement créées, et même les clients et les affranchis inscrits comme citoyens dans les trente curies. Seulement l'orgueil nobiliaire avait établi une distinction, dans le sein même des curies, entre le peuple noble et les humbles Quirites de la plèbe urbaine. Le prêtre patricien priait pour le peuple romain et pour les hommes des curies, pro populo Romano Quiritibusque.

La réforme qui eut lieu vers l'an 240 av. J-C., en consacrant le triomphe de la plèbe, en anoblissant eu quelque sorte les tribus, divisées chacune en cinq classes, étendit à toutes les classes de l'assemblée centuriate cette qualification jusque-là tout urbaine de populus. C'est peu près depuis la fin de la première guerre punique, que ce nom reçut le sens compréhensif que lui attribuent Gaius[243] et Aulu-Gelle[244].

En même temps les citoyens des classes moyennes, les plébéiens de la campagne, étaient inscrits dans les trente curies de la ville, et tous les Romains recevaient le nom commun de Quirites.

Mais l'assemblée centuriate, le populus proprement dit, ne comprenait que cinq classes[245]. Or, les curies contenaient, dès les premiers siècles de Rome, les pauvres clients de la plèbe urbaine, c'est-a-dire les Ærarii ou Cœrites[246], qui formaient la sixième classe. Le nom de Cœrites n'est autre chose qu'une forme ancienne de celui de Curites ou Quirites[247], et signifie hommes des curies qui ne font pas partie du populus proprement dit. Lorsqu'après la première guerre punique, le prêtre romain prononçait la formule pro populo Romano Quiritibusque ou Cœritibusque, il priait pour les citoyens des cinq classes de l'assemblée centuriate, et pour les hommes des curies ou Cœrites de la sixième classe.

Aulu-Gelle[248] a, selon son habitude, obscurci cette question par une explication fausse. Il prétend que les habitants de Cære furent les premiers qui, pour prix de l'hospitalité donnée aux vestales pendant l'invasion gauloise, reçurent le droit de cité sans suffrage ; et que, pour cette raison, on appela tables des &rites, celles où les censeurs inscrivaient ceux qu'ils privaient du droit de voter.

Tout est faux dans cette explication étymologique. Les habitants de Cære, qui s'appelaient Cœretes et non Cœrites, reçurent en 387 av. J.-C., non le titre de citoyens sans suffrage, mais celui d'hôtes du peuple Romain[249] qui était exclusif du droit de cité[250]. D'ailleurs les Cœrites ou Ærarii n'étaient point privés du droit de suffrage, ni mis en dehors des trente-cinq tribus. Un censeur n'aurait pas eu le droit de priver le moindre citoyen de cette garantie de sa liberté[251]. Ils étaient seulement mis en dehors des cinq classes de l'assemblée centuriate, on du populus proprement dit, pour être rangés dans la sixième classe, qui ne votait que dans l'assemblée (les tribus. Au contraire, les citoyens sans droit de suffrage ne votaient dans aucune assemblée, et n'étaient inscrits dans aucune tribu que lorsque le droit de suffrage leur était accordé[252]. Les Cœrites ne peuvent donc être confondus avec les citoyens sans droit, de suffrage, pas plus qu'ils ne portaient le nom des habitants de Cære. C'étaient les Quirites de la sixième classe qui, après la révolution monétaire du temps de la première, guerre punique, possédaient moins de cent vingt-cinq mille as, ou de cinquante mille sesterces de fortune.

On aperçoit les différences qui séparèrent toujours l'assemblée centuriate de celle des tribus, même lorsque les tribus furent divisées en centuries. 1° Dans la première, on appelait toujours les citoyens par classes, de sorte que les riches votaient toujours les premiers et les trois premières classes pouvaient former la majorité. Au contraire, dans l'assemblée des tribus, on ne tenait pas compte des différences de fortune, et le plus pauvre citoyen avait dans sa tribu une voix comme le plus riche. 2° De plus dans l'assemblée centuriate étaient admis seulement les hommes des cinq premières classes, appelés Classici, qui avaient au moins cent vingt cinq mille as de fortune, tandis que, dans les tribus, votaient aussi les Ærarii ou Cœrites qui pouvaient ne posséder que cinquante mille as. 3° Dans la première classe de l'assemblée centuriate, les chevaliers equo privato des tribus rustiques avaient pour eux : le vote de la centurie prérogative, la plupart des voix des douze centuries equo publico qui votaient après elle, enfin au moins soixante-une des soixante-neuf centuries qui restaient de la 'chevalerie equo privato. L'avantage devait demeurer, dans l'assemblée du Champ-de-Mars, à cette aristocratie municipale des chevaliers, qui forma le parti (le Caïus Gracchus, de Marius et de Cicéron. Au contraire, dans l'assemblée plébéienne du Forum, les quatre tribus urbaines étaient appelées les premières ; les dernières tribus rustiques n'avaient presque jamais à voter ; et, comme, en 179 av. J.-C., on inscrivit sur les listes des tribus les prolétaires, et enfin au temps de Marius, les Capite censi qui n'avaient même pas quatre mille as de cens, la domination du Forum passa bien vite à la populace de Rome, dont il était facile à des patriciens corrompus de s'emparer à prix d'argent. Les Romains de la campagne continuèrent donc à dominer dans les centuries ; mais les Romains de la ville finirent par l'emporter dans les tribus.

Mais, avant que cet antagonisme entre la ville et la campagne, entre la noblesse urbaine et les chevaliers des municipes, reparût sous une forme nouvelle, et qu'il éclatât avec une violence destructive, Rome, grâce à la constitution qu'elle s'était donnée vers l'an 240 av. J.-C., avait joui de plus d'un siècle de force calme et de grandeur sans trouble. Cette réforme avait fait cesser la division des Romains en deux peuples ayant chacun ses magistrats et ses lois[253]. La plèbe rustique et le peuple de la ville, jusque-là enclavés l'un dans l'autre, comme deux cercles de population[254] distincts, ayant pour centre commun le Forum et le Capitole, s'étaient fondus pour cent ans l'un avec l'autre. Les plébéiens de la campagne furent inscrits dans les trente curies de la ville et prirent le nom de Quirites. Les tribuns de la plèbe leurs représentants, qui jusqu'alors s'étaient tenus dans le vestibule de la curie, comme les envoyés du peuple extérieur chargés de contrôler les sénatus-consultes sans les discuter, devinrent à la même époque sénateurs, en vertu du plébiscite d'Atinius[255]. Dès l'an 168 av. J -C., un censeur qui, dressant la liste des sénateurs, omettait le nom d'un tribun de la plèbe, lui faisait une injure[256]. En même temps, les dix-huit centuries de chevaliers equo publico, au lieu de s'isoler comme avant les guerres puniques, rentrèrent, en perdant le droit de prérogative, dans le sein de la première classe à laquelle elles appartenaient. Le système aristocratique. des classes pénétra lui-même dans les cadres plus démocratiques des tribus.

C'est cette fusion de la plèbe et du populus, cette combinaison des principes jusque-là opposés de la noblesse urbaine et de la démocratie rurale, qui communiqua aux institutions Romaines assez de solidité pour résister aux assauts d'Annibal. Ce qui sauva Rome après la bataille de Cannes, ce ne fut pas seulement la force de ses légions ; ce fut aussi l'énergie que donnent toujours à un peuple, la conquête récente de ses droits, et le sentiment d'une liberté nouvelle.

 

FIN DU PREMIER TOME

 

 

 



[1] Tite-Live, I, 43. EQUITES enim VOCATANTUR PRIMI : octoginta INDE primæ classis centuriæ. Denys, moins exact que Tite-Live, fait, entrer dans l'enceinte, où votaient les centuries, les dix-huit centuries de chevaliers avec les quatre-vingts centuries de la première classe, dès les premiers siècles de la République (Denys, IV, 18, VII, 59, et X, 17). Elles ne furent appelées ensemble dans l'enceinte de l'Ovile qu'après la première guerre punique (Tite-Live, X, 15. An 297 av. J.-C.).

[2] Varron dans Festus, s. v. Prœrogativæ centuriæ.

[3] Asconius, In prœmonio actionis in Verrem, s. v. Dedit enim PRÆROGATIVÆ au ch. IX de cette Verrine. Asconius a tort de les appeler prœrogativæ tribus ; il devait dire, comme Varron et Tite-Live, prœrogativæ centuriæ.

[4] Tite-Live, X, 22. An 296. Fabium et PRÆROGATIVÆ et PRIMO VOCATÆ omnes centuriæ consulem cum L. Volumnio dicebant. Forcellini (s. v. Prœrogatirus) dit à tort qu'il faut changer ce texte excellent, et lire prœrogativa au lieu de prœrogativæ ; il ne faut rien changer.

[5] Tite-Live, XXIV, 7 et 9, an 215 av. J.-C. XXVI, 22, an 211, et XXVII, 6, an 210 av. J.-C. Comparez Cicéron, Pro Plancio, 20, et Philip., II, 33.

[6] Festus, éd. de M. Egger, p. 107. Prœrogativæ centuriæ dicuntur, ut docet Varro reruin hunutuarunt, lib. VI, QUÆ RUS (QUO RUSTICI, selon la conjecture d'Orsini) Romani, qui ignorarent petitores, facitius eos animadvertere possent. Verrius probabilius judicat esse, ut, cum essent designati a PRÆROGATIVIS, in sermonem res veniret populi de dignis indignisve, et fierent cœteri diligentiores ad suffragia de his ferenda.

[7] Tite-Live, IV, 60. Quum senatus summa cesse contulisset, PRIMORES PLEBIS, NOBILIUM AMICI, ex composito conferre inci piunt…. repente certamen conferendi est ortum. An 403 av. J.-C. Tite-Live fait un récit tout semblable de la contribution de l'an 210 (liv. XXVI, ch. 36). Hunc consensum senatus equester ordo est seculus ; equestris ordinis plebes. Comparez Tite-Live, I, 13. Ex primoribus civitatis DEODECIM scripsit CENTURIAS.

[8] Niebuhr, Histoire romaine, Ire partie, éd. Berlin, 1833, p. 616. Die alte Römische PLEBS bestand ausschiesslich aus Laadwirthen un !  Feldarbeitern. L'opposition entre le peuple primitif de la ville de Rome (populus) et la plèbe des tribus rustiques, est une des vues les plus profondes de ce grand esprit critique. Comparez Denys, II, 28, et IX, 25.

[9] Comme il s'agit de l'élection des consuls, qui ont toujours été choisis dans l'assemblée centuriate, Asconius a évidemment mis tribus prérogatives pour centuries prérogatives. Ce qui lui a fait commettre cette inadvertance, c'est que, dans le passage de la première Verrine (ch. IX) qu'il commente, Cicéron accuse Verrès d'avoir acheté des tribus prérogatives, pour l'élection au consulat de son ami Q. Metellus. A cette époque, il n'y avait qu'une seule centurie prérogative, tirée an sort parmi les centuries des jeunes gens de la première classe des trente-et-une tribus rustiques. La tribu, à laquelle cette centurie appartenait, s'appelait elle-même prérogative. Mais Verrés, ne pouvant deviner quelle centurie le sort désignerait, avait acheté, dans plusieurs tribus, les suffrages de plusieurs prérogatives possibles ; de là le pluriel employé par Cicéron : pro prœrogativis.

[10] Asconius, In proœmio Act. in Verrem, ch. IX, s. v. Dedit enim prœrogativam. Mos enim fuerat, quo facilius in comitiis concordia populi firmaretur, bina omnia de iisdem candidatis comitia fieri : quorum tribus primæ PRÆROGATIVÆ dicebantur, quod primæ roqarentur, quos vellent consules fieri : secondæ, jure vocatæ, quod in his, sequente populo, ut sœpe contigit, PRÆROGATIVARUM VOLUNTATEM, jure omnia complerentur. La note d'Asconius, sur le ch. IX de la 1re Verrine, est tirée du liv. V, ch. 18 de Tite-Live : Haud invitis Patribus P. Licinium Calvum prœrogativa tribunum militum non petentem creant.... omnesque deinceps ex collegio ejusdem anni refici apparebat... qui priusquam renunciarentur jure vocatis tribubus, permisse interregis P. Licinius Calvus ita verba fecit. (Voir, à la fin du volume, la note 3 au livre II.)

[11] Voir plus haut, liv. Ier, Ch. II, § 3, fin.

[12] Varron, De re rustica, 2, Proœmium, Comparez Denys, VII, 58, fin. La semaine des Romains avait un jour de plus que la nôtre ; ils disaient les nundines parce que leur semaine avait huit jours, comme nous disons la huitaine parce que la nôtre en a sept.

[13] Pline, Hist. nat., XVIII, ch. 3, fin.

[14] Cicéron (Pro Plancio, XX) dit qu'au temps où il n'y avait qu'une centurie prérogative, jamais un candidat qu'elle avait nommé ne manqua d'être élu. Cette influence, qui tenait aux idées religieuses des Romains sur les omina, devait être bien plus forte encore avant les guerres puniques, lorsque les dix-huit centuries équestres étaient prérogatives et qu'on annonçait séparément leur vote, comme on annonça plus tard le vote de la prérogative unique (Philippique, II, 33). Aussi Asconius, au ch. IX de la première Verrine, dit : Sequente populo, ut sœpe contigit, PRÆROGATIVARUM VOLUNTATEM. Tite-Live (I, 43) dit que la première classe, qui avait la majorité des centuries, rendait presque toujours, par son accord, l'appel de la seconde classe inutile. Denys (IV, 20, fin) appelle les deux dernières classes superflues, et dit aussi que le vote était le plus souvent achevé par la première classe seule. En déclarant fériés les jours de nundines, l'aristocratie de Rome voulait faire entendre aux paysans des quatre dernières classes que, pour cd qu'ils avaient à faire dans l'assemblée centuriate, ce n'était pas pour eux la peine de se déranger.

[15] Voir plus haut, livre Ier, ch. II, § 3.

[16] Cicéron, De Republica, IV, 2.

[17] Macrobe, Saturnales, I, 16.

[18] Macrobe, Saturnales, I, 16.

[19] Cicéron, De provinciis consularibus, ch. 19. Cette loi de l'an 136 fut rendue nécessaire par l'admission des prolétaires dans les tribus, depuis 179 av. J.-C. (Tite-Live, XL, 51). Alors la plèbe affluait à Rome, non-seulement aux nundines, mais aux jours de la semaine (Macrobe, I, 16). Postquam internundino etiam (texte donné par Gronovius) ob multitudinem plebis frequentes adesse cœperant. Les tribuns démagogues auraient pu en abuser pour multiplier les convocations des tribus et imprimer à l'action législative de la plèbe un mouvement désordonné, comme le fit plus tard Clodius, en abolissant la loi Furia (Cicéron, Pro sextio, 15 et 51).

[20] Macrobe, Saturnales, I, 16.

[21] Macrobe, Saturnales, I, 16.

[22] Denys (VII, 58, fin) qui ignore que les nundines aient été jours néfastes jusqu'à la loi d'Hortensius, 486 av. J.-C., décrit fort bien ce qui se passait à Rome les jours de nundines, entre 286 et 136 av. J.-C., mais en reportant, par anachronisme, cette description aux premières années de la République. Les marchés des Romains, dit-il, avaient lieu, comme aujourd'hui, tous les neuf jours. Les jours de marché, les plébéiens venaient des champs se réunir à la ville. Ils y faisaient leurs échanges, y terminaient leurs procès, et ratifiaient par leurs suffrages toutes les décisions où les lois les appelaient à intervenir, et toutes celles que le Sénat leur confiait. Dans l'intervalle des marchés, étant pour la plupart pauvres et obligés de travailler de leurs mains, ils s'occupaient aux champs. Denys, en ce passage, parle d'assemblées centuriates tenues les jours de nundines ; car c'est au chapitre suivant qu'il mentionne l'institution des assemblées par tribus. Mais les centuries n'ont pu être convoquées pour les nundines qu'entre les lois Hortensia et Fufia, de 286 à 136 av. J.-C.

[23] Tite-Live, VIII, 12, et Cicéron, Brutus, ch. XIV. Comparez Tite-Live, I, 17. Tite-Live fait allusion, dans ce passage, à la loi de Mænius, mentionnée dans le Brutus.

[24] Les trois centuries prérogatives des années 215, 211 et 210 av. J.-C., appartiennent aux tribus rustiques Aniensis, Veturia, Galeria. Tite-Live, XXIV, 7 et 9, XXVI, 22, et XXVII, 6.

[25] On nous permettra d'employer cette expression latine qui n'a point d'équivalent en français. Les Patres furent, à l'origine, les trois cents sénateurs chefs des trois races des Rhamnes, des Tities et des Luceres, et des trente curies. Ce nom fut appliqué par extension aux patriciens, fils des trois cents sénateurs. Lorsqu'après le partage du consulat (366 av. J.-C.), la loi Ovinia permit aux plébéiens sortis des magistratures curules d'entrer au Sénat, le mot Patres s'appliqua à ces plébéiens nobles et à leurs fils. La traduction la plus exacte de Patres serait aristocratie sénatoriale. De même, nous emploierons le mot latin populus, parce que celui de peuple le traduit fort mal. Le populus, c'est, aux premiers siècles de Rome, l'assemblée de l'aristocratie sénatoriale, avec ou sans les clients qui formaient avec elle l'assemblée curiate.

[26] Niebuhr, Histoire romaine, 4e éd., 1re partie, Berlin, 1833, p. 442.

[27] Niebuhr (Histoire romaine, 4e éd., 1re partie, Berlin, 1833, p. 616) complète sa pensée en disant : La vieille plèbe romaine se composait exclusivement de fermiers et d'agriculteurs. Niebuhr ne méconnaît pas l'existence de la plèbe urbaine, mais il lui assigne pour métier la culture des jardins et des champs les plus rapprochés de la ville. Niebuhr dit encore (Hist. rom., 3e éd., 2me p., Berlin, 1836, p. 316) : Les deux états de la nation romaine sont aussi appelés deux peuples, et ils étaient distingués par une ligne de démarcation plus profonde que bien des peuples habitant des territoires éloignés les uns des autres. Nous traduisons l'allemand Stände par le mot d'états, pris dans le même sens où l'on prenait autrefois en France celui de tiers-état.

[28] Nous prouverons que ce sens de populus date de l'époque qui suivit la première guerre punique.

[29] Le langage de Tite-Live, qui mêle les locutions de son temps avec celles du temps dont il parle, ne serait propre ici qu'à nous tromper. En voici une preuve : au livre III, 64 et 63 (an 446 av. J.-C.), Tite-Live raconte que le sort désigna le tribun Duilius pour présider les comices où s'éliraient les nouveaux tribuns. Duilius déclare qu'il ne laissera pas réélire par les tribus les tribuns sortant de charge. Il s'avance pour parler à l'assemblée (in concionem) ; puis il présente les consuls au peuple (ad populum). Duilius tient les comices, où cinq tribuns sur dix sont nommés ; les cinq autres ne réunissent pas la majorité des tribus (tribus non exptent). Duilius renvoie l'assemblée (concilium) et ne la réunit plus (comitiorum causa) pour compléter les élections. Un autre tribun, Trebonius, pour empêcher qu'à l'avenir on se contente, comme Duilius, d'élections incomplètes, fait passer une loi ainsi conçue : Ut qui PLEBEM ROMANAM tribunos plebi rogaret, usque, eo rogaret, dum decem tribunos plebi faceret. Il est évident que les mots plebem Romanam, employés dans le texte de la loi Trebonia, conviennent seuls à l'assemblée des tribus de l'an 446, et que les mots ad populum, appliqués par Tite-Live à la même assemblée, sont une locution inexacte empruntée à la langue usuelle du temps de l'historien. Tite-Live (III, 63, III, 71, et VI, 21) emploie de même improprement le mot populus pour désigner l'assemblée des tribus. Il met consilium populi pour concilium plebis.

[30] Festus, s. v. Populi, éd. de M. Eger. p. 42. Festus (s. v. Scitum populi, éd. de M. Egger, p. 139), dit encore : Cette expression s'employait lorsque, sans le concours des plébéiens, l'ordre des patriciens avait porté par ses suffrages seuls un décret sur la proposition d'un patricien. Les résolutions prises sur la proposition de l'un des membres du sénat et avec les suffrages des plébéiens, étaient appelées lois écrites. Mais le plébiscite est toute résolution proposée au peuple par un tribun du peuple, sans le concours des patriciens (ou sur laquelle un tribun a consulté les plébéiens), et décrétée par l'assemblée populaire. Or, on appelle plebes tout le peuple à l'exception des sénateurs et des patriciens. Ces deux passages, qui se complètent l'un l'autre, ne sont pas explicables, a moins qu'on entende populus (excepté dans la dernière phrase) du peuple patricien et sénatorial de la ville primitive. Il est vrai que le mot populus ayant, après l'an 240 av. J.-C., pris un sens plus étendu, celui du peuple de l'assemblée centuriate, Festus semble lui donner ce second sens dans la dernière phrase. Festus distingue bien la loi curiate (populi scitum), la loi centuriate (Lex), le plébiscite (plebiscitum), et la loi faite dans l'assemblée mixte des tribus au Champ-de-Mars (Lex scribta). Voir, à la fin du volume, note 3, au livre II.

[31] Les six suffrages étaient réservés aux familles sénatoriales ; mais il pouvait y avoir aussi des patriciens ou des fils de sénateurs dans les douze dernières centuries équestres.

[32] Cicéron, Philippique II, 33.

[33] Aulu-Gelle, X, 24. Nous avons déjà prouvé qu'Aulu-Gelle n'est pas un guide sûr pour les historiens de l'ancienne Rome.

[34] Cicéron, Pro Murena, 1.

[35] Macrobe, Saturnales, I, 17.

[36] En 446 av. J.-C., il n'y avait encore de familles sénatoriales que les familles patriciennes.

[37] Tite-Live, III, 53. M. Mommsen (Histoire romaine, t. II, trad. de M. Alexandre, appendice B, sect. I, § 3, p. 345-346) dit : C'est une erreur énorme, et pourtant généralement répandue, de croire que tels décisions des tribus fussent, avant l'an 312 av. J.-C., admises à titre de Plébiscites. Nous croyons que c'est M. Mommsen qui se trompe en distinguant les plébiscites des décisions des tribus. Tite-Live les identifie. Nous trouvons encore dans Tite-Live (VI, 38), un plébiscite rendu par les tribus formant le concilium plebis, en 365 av. J.-C.

[38] Tite-Live, X, 8.

[39] Tite-Live, IV, 7, an 412 av. J.-C. Patricii cum sine curuli magistratu res publica esset, coiere et interregem creavere. Denys (XI, 62), parlant du même fait, dit : Ή βουλ συνελθοσα μεσοβασιλες ποδεκνυσι. C'est une traduction inexacte. Les trois cents sénateurs n'étaient que les chefs des curies et du patricial. Tite-Live dit encore (IV, 43, an 418 av. J.-C.) : Prohibentibus tribunis patricios coire ad prodendum interregem, et (VI, 41) : Sed nos quoque ipsi (Patricii) sine suffragio populi auspicato interregem prodamus. Tite-Live prend ici populus comme synonyme de plebs, selon son habitude.

[40] Festus, S. V. Sex Vestæ sacerdotis, édition de M. Egger, p. 152. Voir liv. Ier, ch. II, § I.

[41] Vesta P. R. Quiritium, Eckhel (De doctrinæ nunerorum veterum, t. VI, p. 317) cite deux médailles de Vitellius qui portent cette légende.

[42] Fabius Pictor, dans Aulu-Gelle, I, 12, n° 14.

[43] Denys (II, 50) dit que Tatius dressa, dans toutes les curies, des tables, qui subsistaient encore au temps d'Auguste, en l'honneur de la Junon appelée Quirite. Or cette Junon des curies s'appelle en latin Curis ou Quiris (Voir Festus, Curis et Curiates mensæ). Le nom de Quiris accompagne celui de Junon dans plusieurs inscriptions, notamment dans celle que rapporte Grutter (368, 1) : Cincius Priscus pontifex sacrarius Junonus Quiritis. Quant aux étymologies qui font venir Quirites du nom de la ville de Cures, ou du mot sabin Quir ou Caris (lance), ce sont des hypothèses grammaticales des anciens qui sont plus que douteuses. Ne serait-il pas bizarre qu'on eût appelé tous les citoyens de Rome habitants de Cures parce qu'une partie d'entre eux seraient venus de cette ville sabine ? Il n'est pas plus naturel qu'on ait désigné, dans la langue politique, les citoyens romains par un terme qui, en sabin, aurait pu signifier lanciers. La lance propre aux Romains, et les citoyens de la cinquième classe de Servius ne la portaient pas. Ces étymologies n'ont pas plus de valeur que celles qui font dériver le mot Rhamnes de Romulus, celui de Titienses de Titus Tatius, et celui de Luceres de Lucamon ; et qui donnent pour éponymes aux curies trente Sabines de Cure. Sur des dissonances dans le radical des mois, les anciens ont fait des conjectures sur lesquelles les modernes ont bâti des systèmes. On n'a tiré jusqu’ici rien de certain des discussions sur les trois éléments latin, sabin, étrusque, qui seraient entrés dans la formation de la Rome primitive. Tite-Live ne place même pas de Sabins parmi les trois cents premiers sénateurs. Denys, aussi étranger que lui à la théorie des trois éléments, ne parle pas des cent sénateurs albains dont il faut, dons ce système, faire à tout prix des Étrusques.

[44] Festus, s. v. Dici. Tite-Live, VIII, 6. Cette expression a la même extension que celle que Decius emploie dans la formule de dévouement (VIII, 9) : Diis Manes.... vos precor uti POPULO ROMANO QUIRITIUM vim victotiamque prosperetis. Cette explication nous semble plus naturelle que la supposition qu’en a faite Niebuhr, d'une ville sabine imaginaire de QUIRIUM, dont les habitants se seraient appelés Quiritus, par opposition aux habitants du Palatin qui se seraient appelés Rhamnes ou Romains, tandis que le Cœlius aurait forme une troisième ville, celle de Lucerum, dont les habitants se seraient appelé Luceres. Lorsqu'on entre dans ce domaine indéfini de la fantaisie historique, on se joue parfois le génie de Niebuhr, il est difficile de s'arrêter. M. Ampère, dans son Histoire romaine à Rome (ch. IX, fin, t. Ier, p. 262), a tenté de retrouver neuf Romes avant Rome, et il donne les noms qu'elles ont pu porter, mais sans en répondre. Ce seraient : 1° Vaticanum, 2° Saturnia, 3° Esquilia, 4° Sikelia, 5° Tarquinium, 6° Roma, 7° Palatium, 8° Romuria, 9° Cœlium. Si nous y ajoutons le Quirium et le Lucerum de Niebuhr, nous aurons un total de onze cités ante-historiques dont l'histoire serait tort embarrassée.

[45] Comparer l'expression nuncupare vota avec le principe de la loi des Douze-Tables : Uti lingua nuncapassit, ita jus esto.

[46] Tite-Live, VIII, 12: Tres leges secundissimas plebei, adversas nobilitati tulit Q. Publilius Philo dictator ; unam, ut plebiscita omnes Quirites tenerent. La loi hortensia portait : Quod plebes jussisset omnes Quirites teneret. Pline, Histoire naturelle, liv. XVI, 15, n° 10.

[47] Feriæ non staticæ, non statæ. Voir Macrobe, Saturnales, I, 16, et Festus, s. v. Feria statæ.

[48] Aulu-Gelle, liv. X, ch. 24.

[49] Tite-Live, VI, 12.

[50] Après la première guerre punique, l'expression populus Romanos eut un sens plus étendu.

[51] Aulu-Gelle, X, 20, d'après Ateius Capiton. Tite-Live, II, 56. Sallustii epist. ad Cæsarem, II, 5.

[52] Festus : Populi commune est in legibus ferendis cum plebe suffragium : nam comitia centuriata ex Patribus et plebe constant.

[53] Denys, IV, 22.

[54] Denys, VI, 89. Comparez Cicéron, fagm. 1 du Pro C. Cornelius, Tite-Live II, 56, Denys, IX, 41.

[55] Denys, IX, 41.

[56] Tite-Live, V, 20.

[57] Tite-Live, VI, 18, et toute l'histoire de Manlius, du ch. 13 au ch. 20. Celle plèbe urbaine formait, dès l'an 303 av. J.-C., ce que Tite-Live appelle la faction du Forum. Elle se composait des affranchis et des plus pauvres citoyens que Quintus Fabius Maximus fit rentrer dans les quatre tribus urbaines d'où ils étaient sortis (Tite-Live, IX, 46, fin). Comparez Denys, IV, 23, fin. Servius dit aux patriciens qu'ils trouveront un grand avantage à donner lus droits politiques aux affranchis, parce qu'ils en feront des clients dévoués à eux et à leurs fils.

[58] M. Mommsen, dans son livre sur les tribus romaines (Altona, 1844), a montré par une étude très-précise des manuscrits de Tite-Live, que, dans le livre Ier, ch. 21, de cet auteur, où on lit : Roma, tribus una et viginti factæ, le chiffre vingt-et-un n'est pas authentique. Il se trouve pourtant admis Denys d'Halicarnasse. Mais le raisonnement que cet auteur prête à Coriolan, qui fut absous par neuf tribus (Denys, VII, ch. 64, fin), et qui dit avoir été condamné à une majorité de deux voix (VIII, 6), ne suppose que vingt tribus en 490 av J.-C. La révolution qui chassa les Tarquin eut pour conséquence de transformer l'organisation toute militaire des centuries de Servius en une organisation politique. Les plébéiens des campagnes qui, depuis Servius, combattaient dans les légions, furent admis à voter au Champ-de-Mars. La première lui centuriate fut celle de Publicola sur l'appel au peuple (Cicéron, De Republica, II, 31). La première élection centuriate fut celle des premiers consuls (Tite-Live, I, 60). En même temps, les plébéiens des campagnes formèrent seize tribus rustiques qui s'ajoutèrent, en 494 av. J.-C., aux quatre tribus urbaines (Tite-Live, I, 21) ; ce qui amena, en 492 av. J.-C., la création des tribuns de la plèbe.

[59] Denys, VII, 59. Nous avons déjà remarqué que Denys ignore que les nundines furent des jours néfastes jusqu'à la loi d'Hortensius, en 286 av. J.-C. Mais sa description prouve deux choses : 1° que depuis la loi Hortensia, 236, jusqu'à la loi Fufia, 136 av. J.-C., c'est-à-dire dans la période où les nundines cessèrent d'être néfastes, les tribus étaient convoquées les jours de marché ; 2° que, pour Denys, les anciennes assemblées des tribus se composaient surtout de paysans.

[60] Denys, II, 28, et IX, 25.

[61] Denys, VI, 89.

[62] Aulu-Gelle, XII, 12, n° 9. Aulu-Gelle cite un passage de Varron qui porte que les tribuns de la plèbe, ayant chacun un viateur, avaient le droit d'arrestation (prensionem), mais non le droit de citation (vocationem), parce qu'ils n'avaient pas de licteur.

[63] Tite-Live, II, 33.

[64] Cicéron, Pro C. Cornelia, fragm. I. Comparez Denys, VI, 89, et IX, 41.

[65] Messala, dans Aulu-Gelle, XIII, 15, n° 4.

[66] Valère Maxime, II, 2, n° 7.

[67] Varron, dans Aulu-Gelle, XIV, 8, n° 2.

[68] Denys, VI, 88. Plutarque (Vie de Coriolan, XVI, fin) appelle le tribunat : Διστασιν τς πλεως, οκτι μις ς πρτερον οσης, λλ δεδεγμνης τομν, μηδποτε συμφναι μς ἐάσουσαν.

[69] Tite-Live, II, 30.

[70] Tite-Live, II, 32.

[71] Tite-Live (III, 20) donne ainsi la formule du serment : Quum omnes in verba juraverunt CONVENTUROS SE JUSSU CONSULIS, NEC INJUSSU ABITUROS. Dans ce passage, Tite-Live a aussi commis un anachronisme.

[72] Tite-Live, XXII, 38, an 216 av. J.-C. Du reste, la première partie de la formule du serment que les tribuns militaires exigeaient, au nom des consuls, est donnée par Cincius, dans Aulu-Gelle (liv. XVI, ch. 4) ; elle commence ainsi : In magistratu C. Lœtii C. filii  consulis, L. Cornelii P. filii consulis in exercitu decemque millia passuum prope furtum non facies dolo malo solus atque cum pluribus PLURIS NUMMI ARGENTEI. Il n'y eut pas de monnaies d'argent frappées à Rome avant 209 av. J.-C. ; elles n'y étaient pas connues avant la guerre de Pyrrhus. La formule date donc des guerres puniques.

[73] Denys, VI, 45.

[74] Tite-Live, II, 32.

[75] Tite-Live, II, 34. Tite-Live dit, que la retraite eut lieu à la fin du consulat de Servilius et de Vetusius. Spurius Cassius et Postumus Cominius devinrent consuls pendant la retraite au Mont-Sacré. La disette commença avec le consulat de Geganius et de Minucius. Mais, de l'aveu de Tite-Live (II, 21), il n'y a pas grand fond à faire sur la chronologie de cette époque.

[76] Denys, VI, 46.

[77] Denys, VII, ch. Ier.

[78] Cicéron, Pro C. Cornelio, fragm. 1er.

[79] La preuve que la ville ne fut point abandonnée, c'est que Q. Cicéron, dans le De legibus, III, 8, parle ainsi de la naissance de la puissance tribunitienne : Cujus primum ortum si recordari volumus, inter arma civium et OCCUPATIS ET OBSESSIS URBIS LOCIS procreatum videmus.

[80] Tite-Live, II, 32.

[81] Nous n'essaierons pas de suivre un ordre minutieusement chronologique, qui serait d'ailleurs impossible. Tite-Live dit, en commençant le récit de ces événements (II, 21) : Tanti errores inplicant temporum rationem aliter apud alios ordinatis magistratibus, ut nec qui consules secundum quos, nec quid quoque anno actum sit, in tanta vetustate non rerum modo sed etiam auctorum digerere possis. Le vrai ordre est donc ici celui qui, au milieu de ces incertitudes, subordonne les détails à une idée d'ensemble qui les explique.

[82] Tite-Live, II. 21.

[83] Tite-Live, II, 23, dit : MAGNO NATU QUIDAM.

[84] Denys, VI, 27.

[85] Tite-Live désigne assez clairement les conciliabules des deux plèbes (II, 28). Les plébéiens des curies, réunis sur l'Esquilin, étaient ceux de la ville ; les plébéiens de l'assemblée du Forum (Concio), réunis sur l'Aventin, étaient ceux des campagnes.

[86] Festus, s. v. Sacer.

[87] Tite-Live, VII, 15, et XL, 37. Un grand nombre de villes italiennes gardèrent le nom de Forum : Forum Aurelium, Forum Livii, etc.

[88] Tite-Live (I, 50 et 51) et Denys (IV, 45) nous montrent que, dans les temps anciens, le bois sacré de la déesse Ferentina, aux environs d'une source du même nom qui coulait au pied du mont Albain, était le rendez-vous des peuples latins. De 316 à 337 (Tite-Live, VII, 23), les Latins firent une véritable sécession, analogue à celle des plébéiens de 493. L'assemblée de la plèbe au Forum s'appelait aussi Concilium.

[89] Tite-Live, II, 34 (Discours de Coriolan).

[90] Tite-Live, II, 34.

[91] Denys, VI, 46.

[92] Denys (VI, 63, fin) fait dire à Appius que les listes du dernier cens comptent cent trente mille citoyens eu état de porter les armes, et que le nombre des réfugiés n'en est pas la septième partie. Ils auraient donc été de quinze à seize mille, d'après Denys, dont tout le récit est empreint d'exagération. Dans tous les cas, il n'y avait sur le Mont-Sacré, ni dix, ni six légions romaines, ni une masse considérable de plébéiens émigrés.

[93] Ovide, Fastes, liv. III, vers 664 et suiv.

[94] Cicéron, Pro C. Cornelia, fragm. 1er.

[95] Cicéron, De Republica, II, 33. Salluste, Historiarum, lib. I, frag. 3, édit. Gerlach, p. 213 (fragm. 9 ou 10 dans d'autres éditions). L'autorité de Cicéron et de Salluste nous semble ici préférable à celle de Tite-Live et de Denys, qui ne parlent pas de l'occupation de l'Aventin.

[96] Cicéron, Pro C. Cornelia, fragm. 1er. Le chiffre dix est erroné.

[97] Cicéron, De Republica, II, 34. Pro C. Cornelia, frag. 1er.

[98] Festus, s. v. Remurinus.

[99] Cicéron, Pro Murena, VII. Si tibi hoc sumis, nisi qui patricius sit, neminem bono esse genere natum, facis ut rursus plebes in Aventinum sevocanda esse videatur. Les mots latins secocare plebem signifient convoquer la plèbe hors du Pomœrium. En 354 av. J.-C., un des consuls ayant fait voter à son armée, réunie en assemblée par tribus (tributim), une loi qui établissait l'impôt du vingtième sur le prix des esclaves affranchis, les tribuns, pour empêcher les conséquences d'un précédent si dangereux pour la liberté, firent passer une loi que Tite-Live restitue ainsi (liv. VII 16) : Ne quis postea POPULUM SEVOCALET capite sanxerant. Tite-Live, selon son habitude (comparez liv. III, 63, 64, 65, 71, et liv. VI, 21), met ici populum pour plebem, en parlant de l'assemblée des tribus. Le consul de l'an 354 av. J.-C. avait convoqué ses soldats, divisés par tribus, au camp de Sutri (sevocaverat plebem).

[100] Tite-Live, II, 33.

[101] Cicéron, Pro C. Cornelio, frag. 1er. Postero anno.

[102] Les noms des mois : quintilis, sextilis, september, october, november, december, en sont la preuve ; janvier et février étaient les deux derniers mois de l'année (Voir l'Histoire romaine de M. Mommsen, ch. XIV, t. Ier, p. 282 de la trad. de M. Alexandre).

[103] Ovide, Fastes, III, vers 145. On demandait à Perenna la grâce de passer l'année tout entière sans manquer de rien. Macrobe, Saturnales, I, 12.

[104] Tite-Live, II, 34, discours de Coriolan, fin.

[105] Tite-Live, le partisan de l'aristocratie, exprime bien ici les colères partisanes (II, 34). Il fait dire à Coriolan : Cur Sicinium potentem video sub jugum missus ?

[106] Tite-Live, II, 58, an 470 av. J.-C.

[107] Messala, dans Aulu-Gelle, XIII. 15, n° 4. Denys, VI, 90. Comparez Denys, X, 4, et Niebuhr, Hist. romaine, Ire part., 6e éd., 1833, p. 648-649.

[108] Tite Live, II, 56 (Lex Publilia).

[109] Pison, dans Tite-Live, II, 58.

[110] Asconius, In Orat. Pro C. Cornelio, s. v. Tanta igitur in illis virtus. Tite-Live (III, 30, an 456 av. J.-C.) dit qu'on doubla le collège des tribuns.

[111] La loi des Douze-Tables, faite vingt deux ans après la loi Publilia, ôtait aux plébéiens le droit de s'allier par mariage arec les patriciens, droit qui s'accordait, dit Cicéron (De Republica, II, 31), même à des peuples étrangers. Canuleius, dans Tite-Live (IV, 4), caractérise ainsi cette loi : Lex qua dirimatis societatem civilem duasque ex una civitate faciatis.

[112] Cicéron, De Republica, II, 33 et 34.

[113] Tite-Live II, 34.

[114] Denys, VII, 13.

[115] Denys, VII, 59.

[116] Lælius Félix, dans Aulu-Gelle. XV, 27.

[117] Denys, VII, 16.

[118] Tite Live, II, 56. Comparez Denys, IX, 41 et 49.

[119] Tite-Live, II, 60.

[120] Tite-Live, V, 24.

[121] Tite-Live, V, 24, 30, 50, 55. L'idée que les tribuns voulurent, avant comme après l'incendie de Rome par les Gaulois, transporter en masse tout le peuple romain d'une ville dans l'autre, ou même partager la plèbe urbaine et le Sénat entre Rome et Véies, est tout à fait inadmissible. La proposition ayant été faite en 392 avant J.-C., et reprise en 387, il faudrait supposer que cette grande ville de Véies serait restée, pendant cinq ans, entièrement vide d'habitants, tandis que les Romains délibéraient s'ils devaient occuper ou non cette magnifique solitude. Comment les pauvres de Rome eussent-ils laissé tant de logements sans les occuper, tant de propriétés sans les prendre ? Tite-Live (V, 24) a entrevu la vérité. Mais il ne s'agissait pas d'un partage impossible du Sénat et du peuple entre deux villes. On eût laissé à Rome sa population, et Véies fût devenue la métropole de la plèbe rustique. Quatre tribus furent formées, en 386 av. J.-C. sur le territoire étrusque, dont Véies était le centre naturel (Tite-Live, VI, 5, fin).

[122] Tite-Live, V, 30.

[123] Tite-Live, V, 52.

[124] Tite-Live, IV, 24.

[125] Niebuhr, Hist. romaine, 2e part., 3e édit., Berlin, 1836, p. 355.

[126] L'histoire de la tribu Claudia nous montre comment les tribus rustiques elles-mêmes étaient sorties des clientèles des familles patriciennes. Atta Clausus de Regilli vint, à Rome en 503 av. J.-C. (Tite-Live, II, 16), et ses clients reçurent un territoire sur la rive droite de l'Anio, entre Fidènes et Picentia (Denys, V, 40). On appela plus tard les habitants de ce pays la vieille tribu Claudia. Quant aux Claudius, ils s'établirent clans Rome, et ils eurent leurs tombeaux de famille au pied du Capitole (Suétone, Vie de Tibère, 1). Les clients de la campagne acquirent bientôt l'indépendance que donne toujours la propriété ; ceux de la ville restèrent soumis à l'autorité des chefs de la race.

[127] Asconius, In prœm. Act. in Verrem, ch. 8, s. v. Q. Verrem Romilia.

[128] Voir le paragraphe précédent.

[129] Le patricien Manlius Torquatus traitait encore Cicéron d'étranger parce qu'il était d'Arpinum (Pro Sulla, ch. VII et VIII).

[130] Denys (IV, 21, VIII, 82, et XI, 45, fin) dit que, par sa constitution, Servius Tullius trompa habilement le peuple en lui Grisant croire qu'il lui donnait l'égalité des droits électoraux, mais qu'en réalité les patriciens dominaient dans l'assemblée centuriate, malgré leur petit nombre.

[131] Denys, VII, 16. Sur les édiles, voir Denys, VI, 90.

[132] Denys, VI, 89. La même loi fut renouvelée par Horatius et Valerius, après le Décemvirat (Tite-Live, III, 55). C'est ce renouvellement des lois sacrées, en .146 av. J.-C., auquel Q. Cicéron fait allusion dans le De legibus (III, 8, fin), en pariant de la seconde naissance du Tribunal, cet enfant monstrueux de la discorde civile.

[133] Denys, VII, 17, fin.

[134] Denys, XVI, 18, fin. Nous avons remarqué que Denys traduit les sommes exprimées en as d'une livre par des sommes de drachmes, en prenant une drachme pour l'équivalent de dix as. Cette amende de cinq cent mille as devait dépasser la fortune de la plupart des riches patriciens au temps où cent mille as formaient le cens de la première classe.

[135] Tite Live, VI, 20. Manlius Capitolinus, déclaré ennemi public (perduellis), fut précipité, par les tribuns, de la roche Tarpéienne.

[136] Tite-Live, XLIII, 16. Le crime de Claudius était d'avoir fait ordonner le silence, par le héraut, dans une assemblée de la plèbe, où il était accusé par le tribun.

[137] La loi Porcia est de l'an 197 av. J.-C. Voir le procès de Claudius de 169 av. J.-C. Tite-Live, XLIII, 16, et X, 9. Salluste, Catilina, 22, 50, 52. Cicéron, Pro Rabirio, 3 et 4, et Verrines, Act. II, V, 63.

[138] Tite-Live, II, 56.

[139] Aulu-Gelle, XIII, 12. Le tribun avait le jus prehensionis.

[140] Tite-Live, III, 13. La prison publique était sur le Forum. Cæson y fut retenu (retentes in publico), et, quand il eut fourni caution, il fut relâché.

[141] Perduellis, c'était un ennemi. Le jugement de perduellion a le caractère d'une déclaration de guerre à l'agresseur de la plèbe.

[142] Le jugement de Coriolan, raconté eu détail par Plutarque (Vie de Coriolan, XVII, XVIII, XX), nous montre que, dans le jugement de perduellion, il y avait deux peuples en présence et en guerre déclarée l'un couve l'autre. Les tribuns et les édiles de la plèbe, ayant voulu arrêter Coriolan connue ennemi (perduellem), sont repoussés, et les édiles frappés par les patriciens (ch. XVII). Sicinius rassemble les tribus et déclare que les tribuns ont condamné Mucius à mort (ch. XVIII). Il ordonne aux édiles de la plèbe de se saisir de lui et de le précipiter de la roche Tarpéienne. Mais les patriciens couvrent Mucius de leurs corps, et les tribuns, voyant qu'il est impossible de tirer vengeance de lui, sans tuer beaucoup de patriciens, consentent à le faire juger par les tribus. Marcius (ch. XX) est condamné à l'exil. L'exil de l'ennemi de la plèbe était, comme la composition de cinq cent mille as, un moyen d'éviter la guerre entre le peuple de la ville et celui de la campagne. Comparez Denys. X, 31 (an 454 av. J.-C.) Le tribun Icilius veut précipiter de la roche Tarpéienne un licteur du consul, qui ai ait porté la main sur son viateur. Ce licteur s'était mis en guerre nec la plèbe. Aux yeux d'Icilius et des tribuns, il était un ennemi (perduellis).

[143] Tite-Live, VI, 38.

[144] Tite-Live, VI, 38.

[145] Denys (XVI, 18, fin) appelle cette amende : τίμημα τής είσαγγελίας. Il la porte à cinquante mille drachmes d'argent. Elle fut imposée à Postumius Megellus, vers la fin de la guerre du Samnium.

[146] Cinq cent mille as d'une livre de cuivre ; c'était le prix de cinq cents chevaux de bataille ou de cinq mille bœufs.

[147] Tite-Live, III, 13. Cincinnatus, pour obtenir la liberté provisoire de son fils Cæson, dans un procès politique semblable, n'avait pu se faire cautionner que pour trente mille as. Il vendit tous ses biens à perte pour rembourser ses garants, et ne garda que quatre jugères, ou un hectare de terre, au-delà du Tibre (Tite-Live, III, 26). Cincinnatus n'était pauvre que parce que le procès politique de son fils l'avait ruiné.

[148] Lælius Felix, dans Aulu-Gelle, XV, 27.

[149] Gaius, I, 3. Auctoritas signifie initiative de la proposition d'une loi (Voir liv. Ier, ch. II, § 3). Tite-Live (XXII, 23, fin), parlant de la proposition, qu'on agitait dans l'assemblée des tribus, de confier à Minucius un pouvoir égal à celui du dictateur, dit que la faveur du peuple était acquise à la proposition. Il n'y manquait qu'un homme pour en prendre l'initiative. Ce fut Terentius Varron qui s'en chargea. Le plébiscite, qui condamnait Cicéron à l'exil, portait en tête le nom de Sidulius, mentionné faussement comme l'auteur de la proposition (Cicéron, Pro domo sua, XXX). Celui qui se faisait adopter devant l'assemblée curiate devait porter lui-même la proposition devant les trente curies ; on lui demandait : AUCTORNE ES ut (le nom du père adoptif) in te vitæ necisque potestatum habeat ut in filio. (Ibidem, ch. XXIX et XXX).

[150] Cicéron, Pro domo sua, XIV. Comparez Tite-Live, VI, 41. Appius raisonne, comme Cicéron, dans l'hypothèse de la ruine complète du patriciat. Cicéron (pro Plancio, XX) appelle aussi auctoritas l'influence de la centurie qui vote la première.

[151] Tite-Live, III, 55.

[152] Tite-Live, VIII, 12.

[153] Tite-Live, Épitomé du livre XI. Il est impossible ici de supposer que la plèbe ait quitté Rome et le territoire des vingt-neuf tribus rustiques qui existaient alors, pour aller se fixer à demeure sur le Janicule.

[154] Pline, Hist. nat., XVI, 13, n° 10.

[155] Lælius Félix, loc. cit.

[156] Salluste, fragm. 8 des Histoires, éd. Gerlach. p. 213.

[157] Patres désigne toute l'aristocratie sénatoriale, et comprend également les nobles plébéiens et les patriciens.

[158] Niebuhr a placé cette fusion du populus et de la plèbe à l'époque des Décemvirs ; mais elle n'eut lieu que deux siècles plus tard, après la première guerre punique. Cet homme de génie a trouvé le secret de l'histoire des premiers siècles de la République romaine, qui est cette dualité du populus et de la plèbe rustique, formant en réalité deux nations en une, mêlées et non fondues. Si l'on pouvait faire un reproche à son système, ce ne serait pas de pécher par excès de hardiesse. Niebuhr a trouvé la route de la vérité ; mais il ne l'a pas suivie jusqu'au bout. Il a borné à l'an 450 av. J.-C. la portée de sa découverte historique, dont les conséquences s'étendent au moins jusqu'à l'an 240. Il n'a pas manqué de prudence, mais de logique.

[159] Denys (IV, 21), après avoir décrit la constitution de Servius, ajoute : Οτος κσμος το πολιτεματος..... μεταββληκεν ες τ δημοτικτερον, νγκαις τισ βιασθες σχυρας.

[160] Pro Sulla, ch. VII et VIII. Cicéron dit à L. Manlius Torquatus : Illud quœro, cur me peregrinum esse dixeris ? — Hoc dito te esse ex municipio (Arpinatium). — Fateor.... non possunt omnes esse patricii.... Ac si, judices, ceteris patriciis, me et vos peregrinos videri oporteret, a Torquato tamen hoc vitium sileretur. Est enim ipso a materno genere municipalis. La même opposition se retrouve à toutes les pages du Pro Sextio (ch. XV, XXV, XXVII, XLV, L, LIII, LIX, LXII). Cicéron, au chapitre XLV de ce plaidoyer, appelle le grand parti qu'il représente municipales rusticique Romani, et, au chapitre L, rerum populum, par opposition à la populace urbaine soudoyée par le patriciat.

[161] Cicéron, Pro Murena, VIII.

[162] Pro Plancio, VIII. Voir aussi les chapitres VI et IX.

[163] Tite-Live, II, 53. Comparez Denys (IV, 23, fin), sur l'introduction des affranchis dans l'assemblée curiate, au temps de Servius.

[164] Asconius, In oratione pro C. Cornelia, s. v. Tanta igitur virtus. Comparez Tite-Live, III, 30.

[165] Tite-Live (V, 32) dit que les hommes de la tribu et de la clientèle de Camille formaient une grande partie de la plèbe.

[166] Tite-Live, IX, 46. A une époque où les tribus n'étaient pas encore subdivisées en classes, la répartition des pauvres dans tolites les tribus ne pouvait influer sur les votes de l'assemblée centuriate. Mais l'assemblée des tribus se réunissait aussi au Champ-de-Mars pour l'élection des questeurs (Cicéron, Ad Familiares, VII, 30) et pour celle des édiles curules (Varron, De re rustica, III, 2). Ces comices par tribus étaient présidés par un consul qui prenait les auspices. Après le vote, on divisait, dans chaque tribu, les suffrages obtenus par chaque candidat (diribebantur suffragia) ; puis, pour décider entre deux candidats qui auraient le même nombre de voix, on tirait au sort les noms des trente-cinq tribus (De re rustica, III, 17), Set, en cas de partage égal, celui dont les voix étaient sorties les premières était nommé (Cicéron, Pro Plancio, XXII). C'est ce que Cicéron appelle sortitio æditicia. On annonçait le vote de chaque tribu en suivant l'ordre indiqué par le sort (Voir la note 3 au livre II à la fin du volume).

[167] Tite-Live, IX, 29. Diodore de Sicile, XX, 36. M. Mommsen, Hist. romaine, t. II, liv. II, ch. III, p. 86 de la trad. de M. Alexandre, reproduit la théorie qu'il avait déjà exposée dans son livre sur les Tribus romaines (Altona, 1844, p. 100-118), et d'après laquelle le censeur Appius aurait porté sur la liste des citoyens des individus non possesseurs fonciers. Il n'est question ici de propriété mobilière ou foncière ni dans Tite-Live ni dans Diodore. Festus dit : in æstimatione censoria œs infectum rudus appellatur. Voir Ampère, Histoire romaine à Rome, t. II, p. 329.

[168] Tite-Live, IX, 46.

[169] Tite-Live, Épitomé XX.

[170] Tite-Live, XLV, 15.

[171] Appien, Guerres civiles, I, 13 et 14.

[172] Appien, Guerres civiles, I, 30, appelle les partisans de Marius άγροΐκος, et ses ennemis άστυκοί, πολιτικός, όχλος.

[173] Cicéron, Oratio pro domo sua, XXXIII.

[174] Cicéron (Pro Sextio, LIII) dit que la tribu Palatine était celle où se recrutaient les bandits de la faction du Forum.

[175] Cicéron, Pro Sextio, XV. Pour se rendre maître du Forum, en l'absence des Romains de la campagne et des municipes, Clodius avait fait abolir la loi Fuira qui déclarait que les comices na pourraient avoir lieu tous les jours fastes, et la loi Ælia qui permettait à un magistrat d'arrêter les suffrages, en annonçant qu'il observait le ciel. Cette loi de Clodius était, dit Cicéron, la ruine de la République tout entière. En effet, l'assemblée des tribus devint une machine à voter qui, sous l'impulsion du tribun démagogue, se mit à fonctionner avec une activité effrénée. Il y eut des assemblées où chaque tribu rustique était à peine représentée par cinq personnes. Pro Sextio, LI. Cicéron (Pro domo, XXX) parle d'un certain Sedulius, dont le nom figurait sur le plébiscite par lequel il fut exilé, comme celui du citoyen qui avait voté le premier. Cicéron ne trouve pas étonnant que ce patriote fût le premier au Forum le jour de l'assemblée, puisque, faute d'abri, il y couchait.

[176] Cicéron, De legibus, II, 2.

[177] Tite–Live, I, 60, fin.

[178] Cicéron, De Republica, II, 31.

[179] Cicéron, De Republica, II, 13, 17-18, 20, Denys, IV, 12.

[180] Denys, IV, 71.

[181] Varron, De lingua latina, IV, 32.

[182] Ampère, Histoire romain à Rome, t. II, p. 317-324.

[183] Pseudo-Asconius, In Verrem Act. II, 1. De prætura urbana, ch. 22.

[184] Ampère, Histoire romaine à Rome, t. II, p. 324.

[185] Denys, IV, 14.

[186] Denys, IV, 22, fin.

[187] Denys, IV, 23, fin.

[188] Denys, IV, 9 et 10.

[189] Denys, IV, 14 et 15. Voir les preuves à la note 6 sur le livre Ier, à la fin du volume, et Varron, L. L., IV, 8 et 9.

[190] Voir plus haut, livre Ier, ch. III, § IV. Denys, IX, 13.

[191] Denys, IV, 58.

[192] Denys, V, 20.

[193] Valère Maxime, liv. II, ch. IV, n° 5.

[194] Suétone, Vie de Tibère, 1.

[195] Lælius Félix, dans Aulu-Gelle, XV, 27.

[196] Varron, De lingua latina, liv. V, fin.

[197] Tite-Live, XXIV, 9.

[198] Denys, IV, 21.

[199] En France, après la Révolution et l'Empire, la cause de l'aristocratie se confondait encore avec celle de la grande propriété.

[200] Cicéron, De Legibus, III, 10.

[201] Cicéron, De Republica, II, 22.

[202] Festus, s. v. Viatores.

[203] Denys, VII, 64, fin, et VIII, 6 et 24.

[204] Tite-Live, II, 21. Les textes imprimés portent : Romæ tribus una et viginti factæ ; mais M. Mommsen a montré que les mots una et viginti sont une interpolation qui n'est pas conforme aux plus anciens manuscrits. Voir la note 4 au livre II à la fin du volume.

[205] Festus, s. v. Romuliam.

[206] Denys, V, 10, et Tite-Live, II, 16.

[207] Tite-Live, XXVI, 9.

[208] Festus, s. v. Lemonia.

[209] Denys, IX, 36, fin, année 473 av. J.-C.

[210] Denys, IX, 5 et 13, année 479 av. J.-C.

[211] Les légions urbaines étaient recrutées parmi les habitants de la ville, surtout parmi les affranchis (Tite-Live, XXII, ch. XI, fin).

[212] En 217 av. J.-C., aux deux légions consulaires de Cn. Servilius, il en fut ajouté deux autres, après la défaite de Trasimène, et ces quatre légions consulaires furent confiées au prodictateur Fabius (Tite-Live, XXII, 11), qui les partagea bientôt avec Minucius. La première et la quatrième échurent au général de la cavalerie ; la deuxième et la troisième à Fabius (Tite-Live, XXII, 27, fin). A ces quatre légions, on en ajouta deux urbaines, destinées a former la garnison de Rome et les troupes de la flotte d'Ostie. Il s'y trouvait beaucoup d'affranchis, parce que les affranchis étaient inscrits dans les quatre tribus de la ville (Comparez Polybe, III, 88, n° 7). En 216, on leva quatre nouvelles légions consulaires (Tite-Live, XXII, 36) qui, ajoutées aux anciennes, formèrent les huit légions de Cannes (Polybe, III, 107). Les consuls Paul-Émile et Varron avaient aussi levé deux légions urbaines, qui, après la bataille de Cannes, furent employées par Junius Pera (Tite-Live, XXIII, 14). A chaque année de là seconde guerre punique on trouve une levée semblable. Après 213 av. J.-C., on lève toujours deux légions urbaines, et, de plus, vingt mille Romains de la campagne, qui sont employés à remplir les vides des légions anciennes.

[213] Tite- Live, I, 43.

[214] Tite-Live, I, 43, dit, en parlant des tribus de Servius : Neque hæ tribus ad centuriarum distributionem numerumque quidquam pertinuere.

[215] Salluste, fragm. 8 des Histoires, éd. Gerlach, p. 213.

[216] Denys, IV, 21.

[217] Cicéron, Pro Plancio, XX.

[218] Tite-Live, I, 43.

[219] Voir plus haut, liv. II, ch. III, § 1.

[220] Cicéron, De Republica, II, 22.

[221] Cicéron, De Legibus, III, 3.

[222] Les viateurs étaient chargés de la première partie de ces opérations, qui consistait à faire une sorte de statistique ou de cadastre. Les censeurs faisaient les classifications légales.

[223] Les mots partes populi désignaient les groupes de population qui habitaient les différentes parties du territoire ou les quartiers de la ville qu'on appelait tribus urbaines. Mais les censeurs avaient le droit de faite changer un citoyen de tribu, c'est-à-dire de l'inscrire dans une circonscription qui n'était pas réellement celle de son domicile. C'est pourquoi la classification géographique des citoyens (populi partes) ne correspondait pas exactement à leur distribution dans les cadres des tribus (in tribus) sur les registres des censeurs.

[224] Tite-Live, XXIX, 37. Voir plus haut, livre II, ch. I, § I.

[225] Cette explication, qui a été donnée en partie par Pantagathus, Savigny, Niebuhr et par M. Mommsen, nous semble seule admissible. Cependant elle soulève une objection : si chaque tribu contenait cinq classes au temps de la seconde guerre punique, confluent se fait-il que les centuries prérogatives de cette époque, citées par Tite-Live (XXIV, 7 et 8, XXVI, 22, et XXVII, 6), portent des noms de tribus ? Ne serait-ce pas, qu'au temps des guerres puniques, le système des classes aurait disparu et que l'assemblée centuriate se serait confondue avec celle des tribus par la division de chaque tribu seulement eu deux centuries, une de juniores, une de seniores. Dans cette hypothèse, qui est celle de M Duruy (Histoire romaine, t. Ier, ch. XIII, § 3, p. 394-399), il faut trouver, entre les années 210 et 169 av. J.-C., un nouveau changement qui fasse reparaître les classes ; car Tite-Live parle des classes à cette dernière date (liv. XLIII, ch. 16.). M. Duruy croit découvrir la trace de cette seconde révolution, à l'année 179 av. J.-C., dans ce passage de Tite-Live (XL, ch. 51). Censores M. Æmilius Lepidos et M. Fulcius mutarunt suffragia ; regionatimque gentribus homimam, causis et quastibus tribus descripserunt. Dans ce passage obscur, Tite-Live ne parle point des classes, et il semble plutôt indiquer que les hommes des petits métiers furent inscrits comme citoyens des tribus. C'est ce que ferait croire la réaction violente de 169 av. J.-C. (Tite-Live, XLV, 15) où Sempronius Gracchus refoula tous les affranchis dans la tribu Esquiline. D'ailleurs la fusion complète de l'assemblée des tribus et de celle des centuries n'a jamais pu s'opérer, puisque les ærarii étaient dans les tribus et non dans l'assemblée centuriate. La prérogative étant toujours une centurie des jeunes gens de la première classe, il suffisait, pour la déterminer, de tirer au sort la tribu qui la fournirait et lui donnerait son nom. Cette tribu s'appelait pour cela prérogative, même dans l'assemblée où l'on ne votait pas par tribus.

[226] Tite-Live, X, 22.

[227] Les prérogatives nommées par Tite-Live sont : l'Aniensis juniorum (XXIV, 7 et 8, an 215 av. J.-C.), la Veturia juniorum (XXVI, 22, an 211 av. J.-C.), et la Galeria juniorum (XXVII, 6, an 210).

[228] La tribu Romilia, la première des tribus rustiques, était pour cela nommée la cinquième, quinta.

[229] Tite-Live, XXIX, 37.

[230] Pline, Histoire naturelle, XVIII, 3. L'explication de Pline est plus édifiante que juste. Au temps où Cincinnatus labourait son champ au pied du Vatican, c'étaient les tribus urbaines qui étaient le plus considérées. La préférence donnée aux tribus rustiques ne date que du triomphe politique de la plèbe des campagnes.

[231] Cicéron, Pro Plancio, XX.

[232] Lettre de Salluste à César, I, ch. VII.

[233] Cicéron, Philippique II, 33. Denys fait, par anachronisme, entrer les dix-huit centuries dans l'Ovile avec le reste de la première classe, dès 457 av. J.-C. (Denys, X, 17).

[234] Tite-Live, XLIII, 16. Huit des douze centuries condamnent, en 169 av. J.-C., le censeur Appius Claudius, ennemi des publicains.

[235] Cicéron, De Republica, II, 22 ; IV, 2. Tite-Live, I, 43.

[236] Römische Forschunen S. 437. Die Patricisch-Plobejischen Comitium, Berlin, 1864.

[237] Cicéron, De Republica, IV, 2 ; II, 22.

[238] Une des soixante-dix centuries de la première classe avait déjà voté comme prérogative.

[239] Cicéron, Philippique II, 33.

[240] Cicéron, De lege agraria, II, 9.9. La Romilia, la première des tribus rustiques, était appelée la cinquième (quinta). Varron, L. L., IV, 9.

[241] D'après Aulu-Gelle (X, 28), les juniores avaient de 17 à 46 ans ; les seniores de 46 à 60. Cette assertion d'Aulu-Gelle est probablement inexacte. Trente-cinq ans était l'âge sénatorial, et plusieurs passages, l'un de Tite-Live (XXII, ch. XI, fin), les autres de Suétone (Vie d'Auguste, ch. XXXII et XXXVIII), semblent faire croire que c'était aussi l'âge des seniores. Comment les seniores auraient-ils été en même nombre que les juniores, au temps de Servius, si l'un des deux âges eût compris tous les jeunes gens de 17 à 46 ans, et l'autre, seulement les hommes de 46 à 60 ans ?

[242] Varron, De re rustica, III, 2.

[243] Gaius, I, 3.

[244] Aulu-Gelle, X, 20.

[245] Tite-Live, III, 30. C. Tubéron, dans Aulu-Gelle, X, 28.

[246] L'identité des Ærarii et des Cœrites est attestée par Asconius, In divinatione, III, s. v. Etiam censorium nomen.

[247] On disait, de même cœrator pour curator, mœnia pour mania, œnus pour anus, fossa Clœlia pour fossa Cluilia (Cicéron, De legibus, III, 3 et 4. Aulu-Gelle, IV, 2, et XV, 11).

[248] Aulu-Gelle, XVI, 13, n° 7.

[249] Tite-Live, V, 50.

[250] Mommsen, Rœmiche Forschungen, S. 331.

[251] Tite-Live, XLV, 15.

[252] Tite-Live, XXXVIII, 36.

[253] Tite-Live, II, 44, an 478 av. J.-C.

[254] Le territoire propre de la population urbaine semble avoir été limité au premier mille hors des murs de Rome. C'est là que s'arrêtaient l'inviolabilité et le droit d'intervention des tribuns qui, à l'intérieur de ce cercle, jouissaient de tous les privilèges d'ambassadeurs de la plèbe rustique (Tite-Live, III, 20).

[255] Aulu-Gelle, XIV, 8. Valère Maxime, II, 2, n° 7.

[256] Tite-Live, XLV, 15. An 168 av. J.-C. Tite-Live, Épitomé LIX, an 132 av. J.-C. De ces deux exemples, on a conclu que, jusqu'au temps des Gracques et d'Atinius Labéon, les tribuns de la plèbe n'étaient pas sénateurs de droit. Le raisonnement n'est pas juste. Si le tribunat n'eût pas ouvert de droit les portes du Sénat à ceux qui l'obtenaient, avant l'an 168 av. J.-C., pourquoi Tremellius et Atinius Labéon se seraient-ils irrités d'être omis sur la liste des sénateurs ? Les censeurs pouvaient user envers un tribun, comme envers un ancien édile ou préteur, de leur droit de prétérition (Festus, s. v. Prœteriti). Les tribuns de la plèbe étaient, depuis le plébiscite d'un autre Atinius, qui dut suivre de près la réforme de 240 av. J.-C., investis du même droit et soumis aux mêmes formalités d'inscription que ceux qui avaient géré les magistratures curules.