RÉVOLUTION POLITIQUE QUI CHANGEA
§ I. — VOTE DES DIX-HUIT CENTURIES DES CHEVALIERS EQUO
PUBLICO DANS L'ASSEMBLÉE CENTURIATE, DEPUIS SERVIUS JUSQU'À Tite-Live décrivant la constitution de Servius, dit que dans l'assemblée centuriate les chevaliers étaient appelés les premiers à voter, puis ensuite les quatre-vingts centuries de la première classe[1]. Les dix-huit centuries équestres avaient donc le nom de prérogatives (prœrogativæ) que leur donnent Varron[2] et Asconius[3] ; et leur privilège dura jusqu'à l'époque des guerres punique Car nous trouvons encore les centuries prérogatives votant, en 296 av. J.-C., en tête de l'assemblée centuriate[4]. Il semble même que le nom de centuries prérogatives ait été plus particulièrement appliqué aux six suffrages sénatoriaux des chevaliers Rhames, Tities et Luceres, qui votaient avant les autres chevaliers equo publico quoiqu'appelés en même temps dans l'Ovile. Les douze dernières centuries de chevaliers quo publico étaient désignées par l'épithète de primo vocatæ, comme pour marquer qu'elles étaient les premières appelées de la plèbe, mais que, devant elles et à côté d'elles, les six centuries formaient un peuple plus noble encore (populus). Pour désigner les dix-huit centuries, on disait donc avant les guerres puniques : prœrogativæ et primo vocatæ centuriæ, de même qu'on dit après la réforme de l'an 240 av. J.-C., mais dans un ordre inverse : equitum centuriæ cum sex suffragiis : les douze centuries et les six. Toujours est-il que, jusqu'à cette réforme, les dix-huit centuries de chevaliers equo publico votaient à part, du reste de la première classe, et on annonçait séparément leur vote. Au contraire, dès les premières années de la seconde guerre punique, on ne trouve plus, dans chaque assemblée, qu'une seule centurie prérogative qui est tirée au sort[5]. C'est qu'entre les années 296 et 215 av. J.-C. se place, vers l'an 240, une révolution politique liée à la révolution économique et monétaire que nous avons décrite. C'est dans cette révolution que les dix-huit centuries durent perdre le droit de voter au premier rang, qui passa à celle des centuries des tribus rustiques que le sort désignait. Jusque-là, les chevaliers avaient dirigé les suffrages dans l'intérêt exclusif du patriciat urbain et des sénateurs chefs de la population tout urbaine des curies. Varron disait que l'institution des centuries prérogatives avait pour but de désigner les candidats aux Romains de la campagne qui ne les connaissaient pas. Verrius Flaccus croyait que c'était plutôt le mérite pie le nom des candidats qui était indiqué au peuple par les centuries prérogatives, et qu'après leur vote, on causait de la valeur ou de l'indignité des personnes proposées, afin de faire un choix plus éclairé[6]. Ces deux opinions ne sont pas contradictoires. Elles s'accordent même pour présenter le vote des prérogatives, comme une direction politique exercée sur les suffrages des plébéiens de la campagne. Les six centuries équestres des Rhamnes, des Tities et des Luceres, qui représentaient le peuple des curies de la ville primitive, devaient voter les premières, et entraîner par leur décision les suffrages des douze autres centuries équestres, appelées avec elles et remplies des plébéiens amis de la noblesse[7]. Les chefs des trente curies, les sénateur, dont les fils
remplissaient les six suffrages et qui, après l'an 400, y conservèrent
eux-mêmes une place en restant chevaliers equo
publico, se distinguaient encore très-fortement dans l'assemblée
centuriate de la plèbe des tribus rustiques. Ces patriciens qui avaient leur
domicile héréditaire dans l'enceinte sacrée du Pomœrium,
ces sénateurs qui, venus peut-être de Regilli ou de Tusculum, s'étaient faits
citadins de Rome, en y exerçant une magistrature curule, n'avaient admis la
plèbe des gens de la campagne[8] dans les
centuries, qu'a condition d'exercer sur les suffrages une influence dominante.
La distinction du peuple de la ville et du peuple des tribus rustiques était
si marquée, que, pour Asconius, le vote des dix-huit centuries équestres
formait, dans les comices consulaires, comme une élection à part qui
précédait et déterminait l'élection populaire : Ç'avait
été l'usage, dit-il, qu'afin d'établir plus
facilement l'accord du peuple dans les comices, on fît deux élections des
mêmes candidats. Les tribus (il
fallait dire centuries) appelées les premières étaient nommées prérogatives,
parce que c'était à elles qu'on demandait d'abord qui elles voulaient pour
consuls[9]. Les secondes se nommaient centuries ; appelées
légalement (jure
vocatæ), parce que le peuple s'y conformant,
comme il arriva souvent, à la volonté des centuries prérogatives, toutes les
formalités légales se trouvaient accomplies[10]. Ainsi les hommes de la campagne romaine étaient presque réduits dans l'assemblée centuriate à légaliser par des votes approbatifs les choix que faisaient, dans de premiers comices, les dix-huit centuries prérogatives, dirigées elles-mêmes par les six suffrages sénatoriaux[11] des chevaliers Rhamnes, Tities et Luceres. Les chefs des curies, ou leurs fils, rangés dans les centuries équestres, formaient encore dans l'assemblée du Champ-de-Mars un peuple au milieu du peuple, la cité du Pomœrium dans la cité plus vaste de tout le territoire. Le Sénat trouva un moyen plus commode encore de n'être pas contrarié dans ses vues politiques par les plébéiens de la campagne. C'était, au lieu de diriger leurs suffrages, de s'en passer, autant qu'il était possible. Les gens de la campagne ne venaient guère à la ville que tous les neuf jours, au marché des nundines[12]. Ils employaient les sept autres jours au travail des champs. Les pontifes de l'aristocratie romaine avaient déclaré les nundines jour férié et néfaste, sous prétexte qu'une assemblée du peuple tenue ce jour-là aurait interrompu le marché et détourné la plèbe rustique de ses affaires[13]. Mais on eût dérangé bien davantage le paysan en le convoquant un jour de travail, s'il eût dû venir à Rome tout exprès pour voter. On comptait sur son abstention, et c'était là le but politique de la loi religieuse qui déclarait fériés les jours de nundines. Grâce à cette loi, les trois ou quatre dernières classes, qui, dans les comices, ne pouvaient former la majorité légale, ne s'apercevaient pas qu'elles avaient une immense majorité réelle. Leurs membres n'étaient jamais réunis en assez grand nombre pour mesurer ou essayer leurs forces et prendre quelque influence. L'élection était décidée sans contradiction par les dix-huit centuries prérogatives[14]. L'aristocratie urbaine dominait donc l'assemblée du Champ-de-Mars, parce que les six suffrages composés de sénateurs et de fils de sénateurs, votaient en tête des dix-huit centuries de chevaliers, et qu'ils n'avaient jamais en face d'eux (les masses populaires compactes et confiantes en elles-mêmes. On se demande seulement où votaient les trois cents sénateurs avant l'an 400, lorsque les six centuries ne contenaient encore que la jeune noblesse. Ils se bornaient à voter dans les quatre-vingts centuries des fantassins de la première classe, laissant à leurs fils, chevaliers des six suffrages, le soin de diriger les votes. N'avaient-ils pas un moyen puissant d'en contrôler le résultat ; puisque, jusqu'aux lois de Publilius Philo (337 av. J.-C.) et de Mœnius (287), ils pouvaient annuler une loi ou une élection faite par les centuries, en refusant d'en proposer la confirmation à l'assemblée curiate[15] ? Enfin, depuis l'an 400 av. J.-C. les sénateurs n'eurent même plus besoin de confier à leurs fils ce rôle politique. Ils le remplirent à côté d'eux. Gardant le cheval que l'État leur donnait (equum publicum), ils restaient, après leurs dix ans de service, chevaliers des six suffrages[16]. Chefs des centuries prérogatives aussi bien que des curies, ils possédaient à la fois la direction et le contrôle des votes de l'assemblée centuriate. Une loi du dictateur Hortensius (286 av. J.-C.) vint ébranler cette domination que les sénateurs exerçaient au Champ-de-Mars. Macrobe nous dit qu'il rendit fastes les jours de nundines, de façon que les paysans, qui venaient au marché de la ville, pussent en même temps arranger leurs procès[17]. Ce qui a empêché Macrobe de saisir le sens politique de cette loi, c'est la distinction qu'il fait entre les jours fastes et les jours de comices[18]. Cette distinction ne fut établie qu'en 136 av. J.-C., par la loi Fufia ou Fusia[19], qui détermina les jours fastes où l'on ne pourrait pas proposer une loi. Les nundines furent mises au nombre de ces jours, comme le disait Jules César[20] dans son livre des auspices. Mais, avant la loi Fufia, l'action législative était permise tous les jours fastes aussi bien que l'action judiciaire ; et Hortensius, en effaçant les nundines du nombre des jours néfastes, avait aboli la loi aristocratique qui défendait aux plébéiens trop nombreux de former une réunion politique les jours où leurs affaires les appelaient à Rome. De 286 à 136 av. J.-C., la plèbe venue à Rome pour le marché des nundines, s'y occupait donc d'affaires politiques aussi bien que d'affaires civiles. Elle lisait sur des affiches, qui devaient être posées à trois jours de marché consécutifs, le texte des propositions de lois, sur lesquelles elle serait appelée à voter. Elle se faisait présenter, sur le tertre du comitium, les candidats qu'elle serait appelée à élire ; et ces deux usages, nous dit Macrobe, ne tombèrent en désuétude que lorsque la plèbe devint assez nombreuse pour qu'il y eût des plébéiens à Rome en grand nombre même dans l'intervalle des nundines [21], c'est-à-dire à l'époque où la loi Fufia fut volée pour servir de frein à la démagogie et au prolétariat (136 av. J.-C.). Les plébéiens réunis les jours de nundines pouvaient aussi, de 286 à 136 av. J.-C., procéder aux élections et aux votes des lois dans l'assemblée centuriate[22]. Ils se comptèrent au Champ-de-Mars. Ils mesurèrent la différence entre leur influence légale, qui était nulle, et leur force réelle, qui était considérable ; et ils conçurent l'espoir d'enlever aux dix-huit centuries le droit de prérogative. Venue après la loi Ogulnia (302) qui consacrait l'égalité politique des deux ordres, après les lois de Publilius Philo (337) et de Mænius (287) qui assurèrent aux votes de l'assemblée centuriate l'approbation préalable du Sénat et des curies[23], la loi Hortensia qui rendait fastes les jours de nundines rendit inévitable le triomphe de la plèbe. Elle prépara la révolution politique de l'an 240 av. J.-C. qui transporta le droit de prérogative des dix-huit centuries équestres à une centurie tirée au sort parmi les tribus rustiques[24]. § II. — 1° DU SENS LES MOTS POPULUS ET PLEBS, JUSQU'AUX
GUERRES PUNIQUES. 2° QUE LES CHEVALIERS EQUO PUBLICO DES SIX SUFFRAGES,
C'EST-À-DIRE DES SIX CENTURIES SÉNATORIALES, QUOIQUE INSCRITS PERSONNELLEMENT
COMME CONTRIBUABLES DANS L'UNE DES TRIBUS LOCALES, ÉTAIENT, PAR UNE LOI
POLITIQUE, EXCLUS DE L'ASSEMBLÉE DES TRIBUS, JUSQU'À Nous avons vu que, dans l'assemblée centuriate, les chefs des curies, formant l'aristocratie urbaine des Patres[25], eurent, jusqu'aux guerres puniques, un vote à part, celui des six suffrages auxquels se joignaient les douze autres centuries de chevaliers equo publico, pour former les dix-huit prérogatives. Les sénateurs et leurs fils composaient donc une cité dans la cité, et cette distinction du peuple de la ville (populus) et de la plèbe rustique nous fera comprendre pourquoi, jusqu'à la fin de la seconde guerre punique les nobles étaient exclus de l'assemblée des tribus du Forum, quoique personnellement chacun d'eux fût inscrit dans l'une des trente-cinq tribus t titre de contribuable. Il faut d'abord bien déterminer le sens primitif des mots populus et plebs, et, dans cette recherche, il est impossible de ne pas suivre la voie si largement ouverte par le génie de Niebuhr, et aujourd'hui trop délaissée par les savants de l'Allemagne. Nous essaierons de traduire ici une page de ce grand critique où la hardiesse et la profondeur des vues se joignent à un sentiment très-vif de la réalité historique[26]. Depuis le temps de Servius Tullius, la nation romaine se composait de deux états, le populus ou bourgeoisie de la ville, et la plebs[27] ou population inférieure : l'un et l'autre, selon les vues du législateur, également libres, mais inégalement honorés. Dans cette opposition, les patriciens, membres d'un corps politique beaucoup moins nombreux (le populus), figuraient, pris isolément, comme des frères aînés en face des plébéiens leurs cadets, qui avaient sur eux l'avantage du nombre, ou comme des hommes de race supérieure, cri face de familles moins nobles. Je n'essaierai pas de pénétrer d'un coup-d'œil les mystères de la métaphysique des anciens. Mais il est évident que les Romains se figuraient chaque partie de la nature, chaque force vivante et animée, comme partagée en deux sexes, en deux personnes : ainsi Tellus et Tellumo, Anima et Amimus. De même la nation était envisagée sous ses deux aspects connue populus et comme plebs, et portait un nom masculin et un nom féminin. La signification du premier mot populus pris dans le sens d'assemblée souveraine des centuries appartient aux temps postérieurs[28]. Pris pour la nation tout entière, le mot est encore d'une époque plus récente. A côté de ces deux significations nouvelles dura longtemps encore la signification primitive de populus (celle de bourgeoisie noble de la ville de Rome). Les formules les plus anciennes et les plus authentiques, qui seules[29] peuvent nous éclairer sur le sens primitif du mot populus, justifient pleinement toutes ces assertions de Niebuhr. Elles prouvent que le peuple Quiritaire ou des trente curies de la ville, celui que les trois cents Patres représentaient au Sénat, et les douze cents chevaliers Rhamnes, Tities et Luceres dans les six suffrages, s'appelait à l'origine populus Romanus Quiritium ; et que le nom de populus ne s'appliquait qu'aux Romains de Rome tandis que celui de plèbe convenait surtout aux Romains de la campagne. Festus définit ainsi le sens du mot populus[30] : Le populus, lorsqu'on fait les lois, partage avec la plèbe le droit de voter. Car les comices centuriates se composent des Patres et de la plèbe. On ne peut identifier plus clairement le populus avec l'aristocratie des familles sénatoriales. Nous avons vu qu'au Champ-de-Mars, les sénateurs ou chefs des curies, et leurs fils, votaient à part dans les dix-huit centuries équestres, et surtout dans les six suffrages sénatoriaux[31]. Ces dix-huit prérogatives, et spécialement les six suffrages, représentaient donc, dans l'assemblée centuriate, le populus, que Festus appelle aussi du nom de Patres. Le vote du populus ou des dix-huit centuries était annoncé à part, comme le fut plus tard celui de l'unique centurie prérogative[32]. La plèbe, composée de ceux qui n'appartenaient pas au populus noble ou n'y étaient pas rattachés par la qualité de chevaliers equo publico, votait ensuite et formait les centuries appelées légalement (jure vocatæ centuriæ). L'identité du sens primitif des mots populus et Patres ressort encore de plusieurs formules anciennes, où la plèbe n'est pas comprise dans le populus, comme le veut Aulu-Gelle[33], mais au contraire, opposée et ajoutée au populus, comme dans le passage de Festus que nous venons d'expliquer. Cicéron, au début du pro Murena rappelle l'invocation antique[34] que faisait le consul présidant les comices centuriates, en annonçant le résultat des élections : Quœ deprecatus a Diis immortalibus sum, judices, MORE INSTITUTOQUE illo die quo, auspicato comitiis centuriatis, L. Murœnam consulem renuntiavi ; ut ea res mihi magistratuique meo, POPULO PLEBIQUE ROMANÆ bene atque feliciter eveniret. Dans cette prière solennelle, où l'esprit religieux des Romains se fût fait un scrupule de changer une syllabe aux mots consacrés par l'usage de leurs ancêtres, le consul distinguait le populus et la plèbe qu'il venait de voir voter séparément, le populus, dans les dix-huit centuries prérogatives, la plèbe, dans les autres centuries appelées légalement. Nous retrouvons la même formule populo plebique, dans les oracles de Martius qui remontent à la seconde guerre punique. On y lit ces mots : Le préteur qui réglera la procédure pour le populus et pour la plèbe[35]. L'identité du populus primitif et des Patres est établie du reste directement par Tite-Live, comme par Festus. En parlant de la loi Valeria-Horatia de l'an 446 av. J.-C., Tite-Live s'exprime ainsi : Comme c'était un point douteux de droit politique, de savoir si les Patriciens (Patres)[36] étaient assujettis aux plébiscites, les consuls proposèrent une loi aux comices centuriates, afin que les décisions de la plèbe assemblée par tribus fussent obligatoires pour le POPULUS. Cette loi arma les propositions tribunitiennes d'une force redoutable[37]. Il est tout naturel qu'on ait réservé dans les premiers
siècles de Rome le nom de populus aux
patriciens, puisque, d'après Tite-Live, à l'origine, le patricial se
composait de tous les hommes libres et devait former tout le peuple des ingenni de la ville[38]. Le peuple patricien
conserva, meure sous Mais déjà dans les trente curies de la ville étaient entrés les clients émancipés qui, élevés au titre de citoyens, formaient la plèbe urbaine. Sans doute des liens de clientèle et de patronage, comme ceux qui unissaient les Marius aux Herennius, favorisèrent l'adjonction de tous les chevaliers equo publico à l'aristocratie sénatoriale de la ville dominante. Ainsi se forma le peuple romain des curies (populus Romanus Quiritium). Plus étendu que le populus noble, il comprenait : 1° L'aristocratie sénatoriale, 2° les chevaliers equo publico, 3° les clients de la plèbe urbaine. Nous allons montrer par les anciennes formules religieuses qui, comme des médailles d'or, ont conservé, mieux que tous les autres monuments, l'empreinte des temps antiques, que les Quirites étaient à l'origine les hommes des curies et qu'ils formaient la population urbaine. Les six demi-tribus primitives des Luceres, des Rhamnes,
des Tities, qui se partageaient en
trente curies, étaient représentées au foyer public par les six vestales[40]. Or, Lorsque, par l'admission des chevaliers equo publico, et des clierds de l'aristocratie urbaine, dans les tribus consacrées des Rhamnes, des Tities et des Luceres, le nombre des citoyens inscrits dans les trente curies se fut augmenté, on commença à distinguer dans les prières publiques, le peuple primitif ou la noblesse sénatoriale (populum), des autres hommes des curies (Quiritibus)[44]. Dans tous les sacrifices et toutes les invocations ; on implorait les dieux en faveur du populus et des Quirites (pro populo Romano Quiritibusque). Le Romain se figurait des dieux faits à son image, formalistes et chicaneurs, et il ajoutait à la formule ancienne pro populo Romano les mots Quiribusque, de peur qu'ils n'appliquassent le bénéfice de la prière exclusivement aux nobles qui formaient le populus proprement dit[45]. On trouve la même précaution de langage, dans le texte de la loi de Publilius Philo (337 av. J.-C.), et dans celle d'Hortensius (286), qui renouvellera la loi Valeria-Horatia de 446 av. J.-C., pour obliger les nobles à se soumettre aux décisions des tribus[46]. Les plébiscites, était-il dit dans les lois Publilia et Hortensia, obligeront tous les hommes des curies, omnes Quirites. Le législateur spécifiait tous les Quirites, de peur que le mot Quirites seul ne parût désigner comme dans les prières publiques les citoyens des curies qui ne faisaient pas partie du populus noble. Les mots populus Romanus Quiritium étaient l'équivalent de omnes Quirites ou de la formule religieuse populus Romanus Quiritesque. Le peuple romain des Quirites pris dans son ensemble ne contenait, primitivement que la population urbaine de la ville de Rome. On sait que Servius avait établi pour les habitants de la cité des fêtes appelées compitalia, tout à fait distinctes des l'ides des habitants de la campagne appelées paganalia. Or, le préteur annonçait la première de ces fêtes, qui n'était pas placée ' jour fixe dans le calendrier[47], par la formule suivante[48] : Le neuvième jour il y aura fête des compitalia pour le peuple romain des Quirites ; quand la fête sera commencée, les affaires vaqueront. Le peuple des Quirites était donc la population urbaine des trente curies, qui célébrait la fuie des compitalia ; et quelquefois on distinguait de l'ensemble de cette population le populus noble qui dirigeait l'assemblée curiate, par les votes du Sénat, et l'assemblée des centuries, par le vote des dix-huit prérogatives. On disait alors populus Romanus Quiritesque. Le sens que nous donnons ici au mot populus (peuple de la ville de Rome) est du reste conforme à l'emploi le plus fréquent du mot populus dans Tite-Live. L'historien désigne souvent par là le peuple d'une seule ville par opposition à une nation tout entière[49]. Il faut donc traduire les mots populus Romanus Quiritium par ceux-ci : le peuple de la ville de Rome inscrit dans les trente curies[50]. Le sens primitif du mot plèbe confirme ce que nous avons
dit de celui de populus. Le mot plebs désigna d'abord[51] la partie de la
nation qui ne contenait, pas les gentes patriciennes. Il s'opposait en ce
sens au mot populus pris comme
synonyme de Patres[52]. Bientôt les
chevaliers des douze centuries équestres equo
publico, qui, pour la plupart, avaient été les chefs de la plèbe (primores plebis).
furent en quelque sorte adoptés par les races patriciennes et rangés dans les
tribus des Rhamnes, des Tities et des Luceres.
Ils votèrent au Champ-de-Mars avec le populus
patricien des six suffrages, et lui donnèrent ordinairement leurs douze voix.
Le mot plèbe ne désigna plus alors que
les centuries de fantassins. Plus tard, le sens du mot plebs se restreignit encore ; mais parmi les
plébéiens des premiers siècles de La plèbe urbaine se composait des affranchis que Servius Tullius avait fait inscrire parmi les plébéiens des quatre tribus de la ville en leur donnant le droit de cité[53]. Restés dans la clientèle des grands dont ils avaient été les esclaves, ils mettaient à leur service leur vote à l'assemblée des curies[54] où ils figuraient dans la gens de leur patron, leurs bras[55] et leur voix pour troubler au Forum l'assemblée des tribus rustiques. Cette tourbe, méprisée de ceux même qui l'employaient, vivait dans les loisirs de la ville, de gratifications ou de prêts usuraires, qui en rejetaient une partie dans la servitude. Quelquefois on lui permettait de piller une ville qu'elle n'avait pas prise, comme celle de Véies[56] (395 av. J.-C.). Une partie des clients de la ville étaient employés i cultiver les jardins et les champs que les patriciens possédaient auprès de fonte. Pour les tenir dans leur dépendance, les grands les constituaient souvent leurs débiteurs, et pouvaient ainsi se venger de la moindre contradiction, en se les faisant adjuger comme insolvables. Manlius Capitolinus essaya de les délivrer de cette servitude mal déguisée où l'usure les replongeait. Comptez-vous du moins, leur disait-il, et comptez vos adversaires... Autant vous avez été de clients autour d'un patron, autant vous serez contre un seul ennemi[57]. Mais la lâcheté fut toujours le caractère de cette plèbe urbaine ; et, par là, on la distingue de la vaillante plèbe rustique. Elle se laissa enlever son défenseur et forma des attroupements nuit et jour devant la porte de sa prison, sans oser la rompre. Enfin elle assista silencieuse au supplice de Manlius, comme plus tard, à l'assassinat des Gracques. Il est même à remarquer que ce furent les tribuns. de la plèbe rustique, qui accusèrent et précipitèrent de la roche Tarpéienne, celui qui s'était dévoué aux intérêts de la plèbe de la ville. Tout autre était la grande plèbe rustique, qui, dès les
premières années de Les patriciens et les plébéiens se préparèrent avec ardeur à la lutte... Le troisième jour de marché étant venu, la foule des plébéiens arriva des campagnes plus nombreuse que jamais, et s'étant rassemblée dans la ville, elle occupa le Forum dès le matin. Les tribuns convoquèrent cette multitude à l'assemblée des tribus. Ils séparèrent avec des cordes tendues sur le Forum, les places où chaque tribu devait se réunir. Ce fut la première fois que les Romains formèrent l'assemblée où l'on vote par tête. En vain les patriciens s'opposèrent de toutes leurs forces à cette innovation. En vain ils demandèrent que le peuple fût convoqué var centuries. Si, à côté de ce passage, on relit ceux où Denys nous apprend[60] que les anciens Romains n'estimaient que deux métiers dignes d'un homme libre, l'agriculture et la guerre, et qu'une loi précise interdisait même à tout citoyen, le petit commerce et les professions ouvrières, on se persuadera que, pour cet historien, la plèbe ancienne se composait eu très-grande partie de laboureurs. D'ailleurs, il est certain que de 494 à 381 av. J.-C. la plèbe urbaine n'eut dans les tribus que quatre voix sur vingt ou vingt-et-une. La plèbe rustique, au temps eu elle prenait possession du Forum, avait déjà fait la loi aux patriciens. Par un traité où les Féciaux[61] étaient intervenus, comme entre deux peuples voisins et rivaux, les sénateurs, chefs des Romains de la ville, avaient accepté les conditions que mettaient à leur alliance les Romains de la campagne. Ceux-ci avaient obtenu d'être représentés dans Rome par des tribuns, véritables ambassadeurs de la plèbe rustique, accrédités auprès de l'aristocratie urbaine. Inviolables, parce qu'ils étaient couverts par une loi du droit des gens, les tribuns étaient chargés de veiller dans Rome à la sécurité de tous les plébéiens[62]. Ils les protégeaient contre les magistrats patriciens, contre les consuls. Aucun des candidats au tribunat de la plèbe ne pouvait être patricien[63], et primitivement rassemblée des trente curies de la ville choisissait entre ces candidats[64]. Elle leur donnait une homologation de leurs pouvoirs assez semblable à l'exequatur que les consuls des puissances étrangères reçoivent de notre gouvernement. Cette formalité du vieux droit politique fut supprimée par la loi de Publilius Volero qui transporta l'élection définitive des tribuns, de l'assemblée curiate à celle des tribus (470 av. J.-C.). Mais elle se conserva dans le souvenir des jurisconsultes[65]. Les tribuns, représentants de Toute l'histoire de la création du tribunat nous est arrivée mêlée de contradictions et d'erreurs. Nous la dégagerons de deux idées fausses qui la rendent incompréhensible, et nous suivrons le récit des anciens, en remettant les faits sous leur véritable jour. Tite-Live raconte, que les dix[69] légions de l'an 493 av. J.-C., levées par le dictateur Valerius, avaient prêté serment aux deux consuls[70] ; qu'après l'abdication de Valerius, le Sénat, de peur de faire renaître les troubles, résolut de ne point les congédier, et de profiter de ce qu'elles étaient retenues au drapeau par la religion du serment, pour les envoyer contre les Eques. Cette résolution aurait lité la révolte. Les soldats, pour se dégager du serment fait aux consuls, auraient d'abord projeté de les assassiner. Puis, instruits que ce crime ne les délivrerait pas de leur engagement religieux, ils auraient été, sur le conseil de Sicinius, et sans l'ordre[71] des consuls (injussu cousulum), occuper le Mont-Sacré à trois milles de Rome, au nord de l'Anio. Toute cette première partie du récit est fausse. Tite-Live nous apprend lui-même que ce fut seulement en l'an 216 av. J.-C. que pour la première fois les soldats prêtèrent serment à leurs chefs, et jurèrent de se réunir sur l'ordre des consuls et de ne pas se séparer sans leur ordre. Auparavant, les cavaliers de chaque décurie, les fantassins de chaque centurie s'engageaient seulement entre eux par une promesse sacrée, mais volontaire, à ne pas fuir, à ne pas quitter leurs rangs, si ce n'est pour aller chercher une arme, tuer un ennemi ou sauver un citoyen. Les tribuns militaires de l'an 216 av. J.-C. transformèrent cet engagement spontané d'homme à homme en un serment légal exigé par les chefs[72]. Ainsi toute l'histoire de la révolte de 493 av. J.-C., qui
suppose que le serment établi en 216 av. J.-C. existait déjà aux premières
années de Chez Denys[73], l'erreur s'accentue plus fortement. Les soldats qui abandonnent leurs chefs, restent fidèles à leurs enseignes. Ils les emportent au Mont-Sacré, et, en violant la religion du serment, ils conservent la religion du drapeau. Mais, comme les légionnaires de 493 av. J.-C. n'avaient point fait de serment aux consuls et n'étaient liés qu'entre eux par un engagement personnel de ne pas s'abandonner sur le champ de bataille, les compagnons de Sicinius Bellutus et de Junius Brutus n'avaient aucune raison de rester réunis après la fin d'une campagne victorieuse. S'ils voulaient faire une démonstration politique, on ne comprendrait pas qu'ils en eussent placé le théâtre sur une montagne isolée, à une lieue au nord de Rome. A quoi bon camper en hiver sur le Mont-Sacré ? Et pourquoi des soldats, qui violaient les lois pour faire une révolution, n'imposaient-ils pas leurs volontés aux patriciens dans Rome même ? D'ailleurs le séjour de presque toute la plèbe sur le Mont-Sacré présente des impossibilités de toute sorte. Tite-Live y fait aller les dix légions de 493 av. J.-C. et, comprenant l'invraisemblance de l'immobilité prolongée d'un camp de cinquante mille hommes, il ne fait durer cette retraite que quelques jours[74]. Mais, dans cette hypothèse, on ne comprend plus que la retraite de la plèbe, ayant été si courte, ait empêché les travaux de la campagne, et causé, comme il le dit, la disette qui vint deux ans après[75]. Denys, qui a moins de critique que Tite-Live, n'atténue aucune invraisemblance. Il ne met, il est vrai, que six légions, c'est-à-dire trente mille soldats, sur le Mont-Sacré. Mais les plébéiens de la ville viennent en foule se joindre à eux. C'est une véritable émigration qui laisse Rome presque déserte[76], comme si elle eût été prise d'assaut. Lus habitants de la campagne quittent aussi leurs demeures pour se rendre, les plus riches, auprès des patriciens de Rome, les plus pauvres, auprès des réfugiés du Mont-Sacré. La désertion des champs est telle que les paysans laissent périr leurs bestiaux[77] ; et cette division de la population accumulée dans deux camps opposés dure, selon Denys, depuis les jours qui suivirent l'équinoxe d'automne, jusqu'aux environs du solstice d'hiver. Cicéron dit même[78] que la création des tribuns n'eut lieu que dans l'année qui suivit la retraite de la plèbe au Mont-Sacré. Denys nous a donné, avec tous ses détails, le récit que Tite-Live a essayé de corriger en l'abrégeant. Mais ce récit n'est pas seulement invraisemblable. Il ne se compose que d'une suite de faits impossibles. Se figure-t-on des laboureurs quittant leurs travaux, négligeant à la fin de septembre de semer leur blé d'hiver, et laissant mourir leurs bœufs à l'étable, pour aller faire sur une montagne, avec des soldats révoltés, une démonstration politique qui dure jusqu'à la fin de décembre ? D'un autre côté, comment admettre que, pour conquérir même la plus importante des garanties, les plébéiens d'une grande ville aient émigré en masse et abandonné leurs maisons et leurs familles ; ou qu'ils aient entraîné dans un camp leurs femmes et leurs enfants à l'entrée de la mauvaise saison ? Comment cette multitude se fût-elle nourrie, chauffée, logée ? Le pillage des biens des nobles eût-il suffi à entretenir toute une population devenue oisive, où il y avait de trente à cinquante mille soldats ? Qu'eut-elle fait pendant trois mois sur le Mont-Sacré, où il était pour elle aussi impossible de vivre, qu'il était inutile et peu sensé d'y aller ? Les Sabins qui étaient en armes contre Rome eussent-ils négligé l'occasion de la prendre, pendant qu'elle était désertée par ses habitants et par ses défenseurs, si dix, ou même six légions, se fortifiant dans un camp retranché, s'y fussent enfermées avec la plèbe, dans une inaction incompréhensible[79] ? Le récit de Denys est donc rempli d'invraisemblances choquantes. L'idée qu'un serment fait aux consuls en 493 av. J.-C., eût retenti autour des drapeaux les soldats révoltés, est une inconséquence et un anachronisme. L'émigration en masse de la plèbe et son séjour prolongé sur une montagne étaient impossibles. Qu'est-ce donc que cette fameuse sécession de la plèbe qu'on a fort improprement appelée la retraite au Mont-Sacré ? L'apologue de Menenius Agrippa, qui est la partie du récit primitif la mieux conservée par Tite-Live, va nous en faire comprendre le sens[80]. Au temps où dans l'homme tous les membres n'obéissaient pas à une même pensée, et où chacun d'eux avait sa volonté et son langage, les différentes parties du corps s'indignèrent d'être au service du ventre, qui seul profitait de leurs soins et de leurs travaux. Le ventre, tranquille au milieu d'eux, n'était, disaient-ils, occupé qu'à jouir des plaisirs qu'ils lui donnaient. Ils conspirèrent donc, les mains, pour ne plus porter la nourriture à la bouche, la bouche, pour ne plus la recevoir, les dents, pour ne plus la broyer. Mais en voulant, dans leur colère, réduire le ventre par la famine, les membres eux-mêmes et le corps tout entier devinrent maigres et décharnés. Par là on s'aperçut que le ministère du ventre n'était pas inutile, qu'il avait moins pour fonction d'être nourri que de nourrir, puisqu'il rendait à toutes les parties du corps le sang enrichi par la digestion des aliments, et qu'il faisait ainsi couler dans toutes les veines la force et la vie. Sous cette allégorie transparente on aperçoit sans peine la réalité historique. La ville de Rome fut en effet affamée ; les bras de la campagne refusèrent de lui porter sa nourriture ordinaire. Les plébéiens des tribus rustiques, maltraités par des citadins orgueilleux, avaient transporté le marché des nundines du Forum romain sur le Mont-Sacré. Ils avaient exclu du marché les patriciens, et ils y admettaient la plèbe urbaine, qui s'était entendue avec eux pour compléter ce blocus du patriciat. Nous allons reprendre tout le récit des historiens anciens à ce point de vue qui en rend tous les détails intelligibles et clairs[81]. La mort de Tarquin-le-Superbe mit fin aux ménagements que
les patriciens de Rome avaient gardés pour la plèbe[82]. Jusque-là, la
crainte du retour des rois les avait disposés aux concessions, et ils avaient
accordé aux hommes de la campagne qui, depuis Servius, étaient enrôlés dans
les légions, le droit de voter au Champ-de-Mars et celui de former seize
tribus rustiques. Mais la sécurité leur rendit tout leur orgueil. Habitués à
faire rentrer dans l'esclavage les affranchis de la plèbe urbaine, qui ne
payaient pas les intérêts de leurs dettes, et à les enfermer dans leurs
ateliers de travail, ils prétendirent traiter de même les propriétaires de la
plèbe rustique. On vit un ancien centurion, un plébéien d'une grande maison[83], qui avait possédé
autrefois des champs et des troupeaux, s'échapper d'une prison de débiteurs
esclaves où son créancier l'avait plongé. Il montra au peuple des Quirites la
trace des coups que son maître lui avait fait donner. La plèbe de la ville,
résignée à souffrir ces cruautés, tant qu'elle seule était frappée, se
révolta dès qu'elle put espérer le secours des plébéiens de la campagne. Ni
la hauteur insultante du consul Appius, ni les demi-concessions et les
promesses de son collègue Servilius ne purent empêcher la coalition des deux
plèbes. La populace des clients, auparavant tremblante devant les tribunaux
des consuls et sous le fouet de l'usurier patricien, osa élever la voix et
réclamer la liberté, dès qu'elle vit arriver à elle la fière plèbe des tribus
rustiques, les laboureurs propriétaires, dont le travail nourrissait Rome, et
dont le sang payait ses victoires[84]. Servilius put
encore, en ordonnant de relâcher les prisonniers pour dettes, former une
armée contre les Sabins, les Volsques et les Auronces. Mais, lorsqu'après
trois victoires, les légionnaires virent qu'Appius recommençait à adjuger
comme esclaves les débiteurs aux créanciers, le soulèvement éclata plus
terrible. Sous le consulat de Virginius et de Vetusius, des conciliabules
nocturnes se tinrent au quartier des Esquilles et sur le mont Aventin.
L'Esquilin avait été autrefois habité par Servius, le libérateur de la plèbe
urbaine, qui l'avait peuplé d'affranchis. L'Aventin, placé en dehors du Pomœrium, était le poste avancé de la plèbe
rustique[85].
Opprimés de la ville et de la campagne se rapprochèrent, et concertèrent pour
venir à bout des patriciens un terrible projet : Les clients et les fermiers
des nobles de Rome refuseraient de cultiver les terres de leurs maîtres, et
les plébéiens de la campagne les approvisionneraient en leur apportant le
blé, non plus au Forum, mais sur la 'montagne située à la rive droite de
l'Anio, au pied de laquelle se croisent les roules qui font communiquer le
Latium, l'Etrurie et Alors les deux plèbes, ne comptant plus sur la bonne foi
du Sénat, mirent à exécution le dessein des conjurés des Esquilies et de l'Aventin.
Dix légions, selon Tite-Live, six, selon Denys, se rendirent autour de la montagne
de la rive droite de l'Anio, non pour y camper, ni pour y faire un séjour
impossible, mais pour y marquer la place du nouveau marché. Elles y
consacrèrent aussi à Jupiter[86] l'enceinte où
devaient se réunir, aux jours de délibération, les plébéiens membres de la
nouvelle cité. Sans doute, en se retirant, les légions laissèrent une garde
pour veiller sur cette montagne sainte, désignée pour devenir le centre d'une
ville future, rivale de Dans l'Italie ancienne, on rencontrait un grand nombre de ces places marquées du nom de fora ou de conciliabula[87], qui, avant de se transformer en villes, furent à l'origine les rendez-vous[88] où se réunissaient à des jours fixes les habitants de plusieurs villes on villages pour traiter d'affaires commerciales ou politiques. Tel devait être le nouveau mont de Jupiter opposé à celui du Capitole, le Mont-Sacré. En male temps les plébéiens de la ville refusaient de cultiver autour de Rome les jardins et les champs des patriciens, et de faire les semailles d'octobre ; et, pour se mettre en garde contre la famine qu'ils prévoyaient, ils enlevèrent les blés des champs voisins dont ils étaient les fermiers[89]. La famine se déclara dans Les portes de Rome furent ouvertes de force, et les
plébéiens de la ville furent admis au marché d'où le patriciat était exclu.
Sans doute la partie la plus pauvre et la plus misérable[92] de cette plèbe,
effrayée de la rigueur des usuriers romains, resta dans quelques cabanes bâties
sur le nouveau mont de Jupiter, comme les fugitifs qui autrefois avaient
cherché asile auprès de la ville naissante de Romulus. Échappés des prisons
patriciennes, ils formèrent, sous la protection de la garde du Mont-Sacré, et
des deux tribuns que la plèbe rustique s'était choisis dès le 10 décembre, le
noyau de la population de la ville nouvelle. Mais, si faible que fût cette
émigration, elle ne tarda pas à manquer de tout sur cette colline isolée ; et
il fallut que les habitants des campagnes vinssent lui distribuer du pain. La
légende avait personnifié la charitable plèbe rustique qui la nourrit sous la
figure d'Anna Perenna, vieille femme ou fée bienfaisante du village de
Bovillæ, qu'elle représentait, apportant tous les matins des galettes de campagne
aux réfugiés du Mont-Sacré[93]. Mais les
distributions de Perenna devinrent bientôt insuffisantes, et Menenius Agrippa
fit comprendre à ces malheureux émigrés qu'en s'associant à un projet pour
affamer Ruine, ils s'affamaient eux-mêmes. Les plébéiens de la campagne
s'aperçurent de leur côté que le Mont-Sacré, trop éloigné du Tibre et de la
nier, remplacerait difficilement Rome comme centre commercial de L'occupation du Mont-Aventin qui suivit celle du Mont-Sacré ne fut pas davantage un campement des légions ni une émigration de toute la plèbe. S'il était impossible que dix ou même six légions vécussent pendant trois mois d'hiver sur le Mont-Sacré, on ne peut admettre qu'elles en soient revenues vers le 22 décembre pour camper sur l'Aventin. Quant à un séjour de toute la plèbe dans ce faubourg déjà habité depuis Ancus Marcius, il était matériellement impossible, si court qu'on l'imagine, et il n'aurait eu aucune raison politique appréciable. Cicéron, dans le pro Murœna, nous fait comprendre le vrai sens de l'occupation de l'Aventin[99] : Si vous preniez pour principe, dit-il à Sulpicius, que personne n'est de bonne naissance, à moins d'être patricien, vous nous feriez croire qu'il faut encore convoquer la plèbe séparément sur l'Aventin. La plèbe n'avait donc pris cette montagne que comme rendez-vous pour les jours de marché et de délibération politique. Mais elle n'y séjournait pas toute la semaine. Elle y laissait sans doute une garde pour empêcher que le Forum de l'Aventin ne fût, en son absence, envahi par les patriciens. Elle y venait en armes pour protéger ses réunions. La réconciliation définitive de la plèbe rustique et du patricial de Rome n'eut lieu qu'après l'entrée en charge des nouveaux consuls[100]. Cicéron la remet jusqu'à l'année qui suivit le soulèvement de 493[101], et comme l'année commençait le premier mars[102], il n'est guère probable que les Romains de la campagne aient rapporté leur blé au marché du Forum avant ce mois de printemps où, depuis, on inaugurait l'année par des sacrifices à la déesse charitable Anna Perenna[103]. Les plébéiens de la campagne se préparaient à empêcher qu'on ne cultivât au printemps les champs des patriciens qui entouraient la ville[104], et cette menace obligea le Sénat vaincu pat la famine à capituler[105]. Un traité, conclu par les féciaux, ramena enfin dans Rome, les plébéiens des tribus rustiques. Ils descendirent en armes de l'Aventin, et montèrent au Capitole pour reconnaître de nouveau le Jupiter Capitolin, auquel ils avaient voulu opposer le Jupiter du Mont-Sacré. Le marché des nundines fut reporté au Forum. Mais le Sénat dut approuver et faire approuver par les curies l'élection de Junius Brutus et de Sicinius Bellutus. Pendant plus de vingt ans, jusqu'à la loi de Publilius Volero (470 av. J.-C.), il n'y eut que deux tribuns de la plèbe[106]. Les tribus désignaient les candidats au tribunat parmi lesquels les curies choisissaient[107]. Mais si la coalition des deux plèbes anima pendant quelques années les tribus et les curies d'un même esprit d'opposition au patriciat, les clients de la ville retombèrent bientôt sous l'influence de leurs patrons. Les hommes des tribus rustiques ne voulurent plus partager le choix de leurs tribuns avec ces Quirites, qui mettaient la magistrature plébéienne à la discrétion du patriciat[108]. La loi que firent passer en 470 av. J.-C., Publilius Volero et Letorius, réservait aux tribus seules le droit de choisir les tribuns de la plèbe. En même temps le nombre de ces magistrats était porté de deux à cinq[109], et chacun d'eux devenait le représentant d'une des cinq premières classes[110]. La sixième classe, celle qui devait contenir presque tous les clients et les affranchis de la ville, demeurait sans représentation et tombait pour ainsi dire au-dessous de la protection tribunitienne. L'alliance de la plèbe rustique et de la plèbe urbaine était rompue, et les Romains de la campagne devenaient plus étrangers que jamais au peuple de la ville[111]. Mais vingt ans auparavant, les deux tribuns chargés de
défendre les plébéiens contre les consuls et le Sénat[112], étendaient
leur protection sur la plèbe de la ville qui, dans les trente curies, avait
décidé leur nomination. Les patriciens s'indignaient que ces fondés de
pouvoirs de Pondant que Rome était bloquée du côté de la campagne, les consuls avaient expédié des vaisseaux d'Ostie vers les côtes d'Étrurie et de Campanie, et même jusqu'à Cumes et jusqu'en Sicile, pour acheter du blé[113]. Afin de diminuer la disette qui tourmentait la ville[114], ils avaient aussi envoyé une partie de la plèbe urbaine coloniser Norba et Vélitres. Lorsque le blé de Sicile arriva, Mucius Coriolan conseilla au Sénat de ne le livrer à prix réduit aux pauvres de la ville, que s'ils abandonnaient tout recours à l'intervention tribunitienne. Mais ni les tribuns, ni les tribus rustiques n'abandonnèrent leurs alliés de la plèbe urbaine. Ils accoururent des champs en plus grand nombre que jamais[115] ; ils s'emparèrent du Forum, et la première assemblée des tribus tenue à Rome exila Coriolan. Cette assemblée (concilium plebis) se réunissait sur le marché romain (forum), et les patriciens en étaient exclus, comme l'affirment expressément avec Lælius Félix[116], Denys d'Halicarnasse et Tite-Live. Denys fait dire à Junius Brutus, un des deux premiers tribuns de la plèbe[117] : Ne vous souvenez-vous pas, consuls, que lors du traité qui mit fin à la sédition, vous avez fait avec nous cette convention : que, lorsque les tribuns rassemblent la plèbe, quel que soit l'objet de la réunion, les patriciens n'y assistent pas, et ne doivent pas la troubler ? Nous nous en souvenons, répond le consul Geganius. Lorsqu'en 470 av. J.-C. le tribun Letorius propose à l'assemblée des tribus de voter la loi Publilia sur l'élection des tribuns, il ordonne à son viateur d'écarter du Forum tous ceux qui ne doivent pas voter. Les jeunes nobles, dit
Tite-Live[118],
se tenaient immobiles sans se retirer devant le
viateur. C'étaient donc les nobles qui étaient exclus de l'assemblée
des tribus, et Tite-Live le répète plus explicitement encore quelques
chapitres plus loin[119]. Le fait le plus remarquable de cette année, ce furent les
comices par tribus. Mais, ajoute-t-il avec une sorte de dépit
aristocratique, on rabaissa plutôt la dignité des
comices, en écartant les patriciens de l'assemblée de la plèbe, qu'on n'augmenta
la puissance des plébéiens ou qu'on ne diminua celle des patriciens. Ce n'est pas que les patriciens aient jamais été privés du droit d'être inscrits dans l'une des tribus. Chaque citoyen romain, plébéien ou patricien, avait la sienne. Après la prise de Véies, lorsqu'un nouveau Sicinius proposa, en 392 av. J.-C., de transporter le marché et l'assemblée de la plèbe dans la ville conquise[120], pour empêcher cette sécession, tout à fait semblable à celle du Mont-Sacré[121], les patriciens se répandirent parmi la plèbe réunie au Forum. Chacun d'eux, nous dit Tite-Live[122], suppliait les hommes de sa tribu. On voit aussi Camille réunir chez lui les hommes de sa tribu et de sa clientèle qui formaient une grande partie de la plèbe[123]. Enfin, dès l'année 432 av. J.-C., l'ancien dictateur patricien Mamercus Æde sa tribu par les censeurs[124]. milius est chasséNiebuhr[125] a cru que les
patriciens et leurs clients n'avaient été inscrits dans les tribus, que par
les Décemvirs, peu d'années avant cette dégradation politique infligée à
Duilius. Mais il ne donne aucune preuve à l'appui de cette hypothèse, et il
est impossible de l'admettre, quand on réfléchit que les patriciens et leurs
clients étaient la population primitive de la ville que Servius partagea en
quatre tribus urbaines ; et que les plus anciennes tribus rustiques, établies
avant l'époque des Décemvirs, portaient les noms des plus anciennes races
patriciennes, comme la tribu Cornelia,
Ainsi les patriciens ont toujours été inscrits dans une tribu urbaine ou rustique[126] en qualité de citoyens obligés à payer le tribut et à faire le service militaire. Mais cette inscription, qui était aux yeux des Romains la condition et le signe du droit de cité[127], n'empêchait pas les patriciens d'être exclus de l'assemblée des tribus, par la lui politique spéciale que mentionnent Æmilius Félix, Tite-Live et Denys d'Halicarnasse. On peut déterminer la raison qui fit établir cette loi d'exclusion, et en préciser la durée. L'aristocratie sénatoriale, en se réservant les six
premiers suffrages de la chevalerie, avait voulu, dans les comices du
Champ-de Mars, former avec les douze autres centuries de chevaliers equo publico, un peuple à part (populus),
votant séparément et en tête des classes de l'assemblée centuriate. Par là,
elle s'était attribué, dans l'élection des consuls et dans la plupart des
décisions législatives, une influence dominante qui, en ralliant à elle tous
les votes de la première classe, annulait le droit de voter des classes
moyennes, composées en grande partie des propriétaires de la campagne[128]. Traités en
étrangers par l'aristocratie urbaine[129] dans
l'assemblée centuriate, les plébéiens des tribus rustiques ne furent point
dupes des fausses apparences démocratiques de la constitution attribuée à
Servius[130].
À leur tour, ils voulurent former un peuple à part. Pour être seuls maitres
du Forum, ils en écartèrent les membres des familles sénatoriales, les
chevaliers des six suffrages, et ils contrebalancèrent le droit de
prérogative que ces chevaliers nobles exerçaient au Champ-de-Mars, en leur
interdisant de prendre part à l'assemblée des tribus. Sur le marché, où le
Romain de la campagne venait vendre ses grains et ses bestiaux, les tribuns
et les édiles de la plèbe régnaient sans contradiction[131]. Dans cette
sorte d'enclave de En vain les jeunes nobles essayaient de méconnaître cette autorité venue du dehors et qui s'était implantée dans Rome par une sorte de conquête ; et, lorsque le viateur du tribun les priait de s'écarter du Forum, ils feignaient de ne pas entendre, et restaient immobiles[138]. En vain, sommés de se retirer, ils disaient aux tribuns avec Appius : Vous n'avez aucun droit sur nous ; vous n'ôtes pas des magistrats du peuple (populi) ; mais de la plèbe ; nous ne vous nommons pas, nous ne vous connaissons pas, nous ne vous obéirons pas. Le tribun n'avait, il est vrai, ni tribunal ni licteur. Il n'était pas magistrat de la ville de Rome ; mais il avait le droit de résister par la face à qui s'interposait entre lui et la plèbe. A la moindre atteinte portée à son inviolabilité, il pouvait répondre par un ordre d'arrestation[139]. Etranger à la ville, il opposait une voie de fait à quiconque se mettait en guerre contre la plèbe rustique. La rude main du paysan s'abaissait sur le noble qui osait, comme Cæson, fils de Cincinnatus, faire obstacle à l'action des tribuns et les troubler sur le Forum, devenu leur domaine[140]. Le patricien perturbateur, fût-il même un consul, dès
qu'il avait enfreint la loi sacrée, qui était le seul lien entre En l'an 365 av. le dictateur Camille essaya d'intervenir entre plusieurs tribuns de la plèbe, dont les uns gagnés par le patriciat opposaient leur veto aux propositions de leurs collègues[143] : Je ne mêlerai point, disait le dictateur, un magistrat patricien à l'assemblée de la plèbe, si C. Licinius et L. Sextius cèdent à l'opposition de leurs collègues. Mais, si malgré cette opposition, ils veulent imposer des lois à Rome comme à une ville conquise, je ne souffrirai pas que des tribuns brisent l'arme du tribunat. Comme Licinius et Sextius continuaient à ne pas tenir compte du veto des autres tribuns, Camille envoya ses licteurs pour chasser la plèbe du lieu de l'assemblée. La guerre était déclarée. Un patricien avait attenté à la majesté de la plèbe souveraine au Forum, et violé par une invasion hostile le territoire légal des tribus dont aucun patricien ne devait franchir la limite pendant l'assemblée. La plèbe vota un plébiscite ordonnant que, si M. Furius faisait le moindre acte dictatorial, il serait soumis à l'amende de cinq cent mille as[144]. C'était celle qu'on infligeait à l'ennemi public[145] après le jugement de perduellion. Camille, s'il voulait rester dictateur, n'avait plus qu'à payer cette somme énorme pour l'époque[146], ou, s'il ne pouvait fournir caution pour le paiement[147], il lui fallait se condamner à l'exil on se préparer à la mort : Camille abdiqua. Les faisceaux du dictateur s'abaissèrent devant la majesté de la plèbe, et les lois de Licinius Stolon furent votées (366 av. J.-C.). Combien de temps dura cette loi d'exclusion qui interdisait, même à un dictateur patricien, même au vainqueur des Sénons, toute ingérence dans l'assemblée plébéienne des tribus On peut être assuré que les patriciens ne votèrent pas dans les tribus tout le temps qu'ils refusèrent obéissance aux plébiscites. Quel eût été leur prétexte pour se soustraire à ces lois de la plèbe, s'ils avaient fait partie de l'assemblée où elles étaient discutées et votées ? Mais, privés du droit de suffrage au Forum, ils avaient une juste raison pour ne pas reconnaître l'autorité des résolutions qu'on y prenait, ni des magistrats qu'on y nommait sans leur concours. Tribuns et plébiscistes leur étaient réellement étrangers, et n'étaient faits que par les plébéiens et pour les plébéiens. Lælius Félix disait que les tribuns de la plèbe
n'appelaient pas les patriciens à l'assemblée, et ne pouvaient leur, faire
aucune proposition ; que, pour cette raison, les plébiscites votés sur
l'initiative des tribuns, n'étaient pas des lois proprement dites, et qu'ils n'étaient
pas obligatoires pour les patriciens avant la loi du dictateur. Hortensius (286 av. J.-C.)[148]. La raison des
patriciens pour ne pas obéir aux plébiscites était, selon Gains, qu'ils
n'étaient pas votés sur leur initiative[149]. En effet, même
au temps de Cicéron, une proposition de loi ne pouvait être faite à
l'assemblée curiate ou à l'assemblée centuriate, que par un patricien[150]. Au contraire,
dans l'assemblée des tribus, l'auteur de la proposition qui devait être
transformée en plébiscite (auctor ou princeps
rogationis), était toujours plébéien aux premiers siècles
de Or, nous trouvons dans l'histoire romaine une loi toujours renouvelée et toujours vaine, pour soumettre les patriciens aux plébiscites. Son renouvellement même est une preuve de la protestation persévérante du patriciat. Car on a remarqué que, parmi les ordonnances, celles qui sont reproduites le plus souvent, sont celles qu'on applique le moins. Quand le législateur se répète, c'est qu'il n'est pas obéi. Dès l'année 446 av. J.-C., les consuls Valerius et Horatius, pour décider la question de savoir si les plébiscites étaient obligatoires pour les patriciens, firent déclarer par les comices centuriates que les décisions de la plèbe assemblée par tribus, seraient des lois pour le populus[151] (peuple noble). Un peu plus d'un siècle après, Publilius Philo refit la loi Valeria-Horatia, en lui donnant cette forme nouvelle : Les plébiscites obligeront tous les hommes des curies[152] (337 av. J.-C.). Enfin, en 286 av. J.-C., la plèbe tourmentée par les créanciers, après de longues et terribles révoltes, finit par se retirer sur le Janicule[153], c'est-à-dire par y transporter son marché et ses réunions politiques, comme autrefois au Mont-Sacré ou sur l'Aventin. Le dictateur Hortensius prit le rôle de Menenius Agrippa. Il alla trouver la plèbe réunie sur le Janicule un jour de nundines, et, dans le bois de chênes qui couronnait la montagne, il fit voter plusieurs lois, dont l'une renouvelait, dans les mêmes termes, celle de Publilius Philo, et soumettait tous les hommes des curies aux plébiscites[154]. Or, Lælius Félix[155] dit que, jusqu'à cette dictature d'Hortensius, les plébiscites n'obligeaient pas le patriciat. Il est donc certain qu'au moins jusqu'à l'an 286 av. J.-C., les patriciens ne votaient pas dans les tribus assemblées au Forum. Il est même fort probable que les patriciens, après 286 comme après 446 et après 337 av. J.-C., continuèrent de protester contre une mesure politique illogique et injuste, qui leur imposait des obligations ne correspondant à aucun droit. D'après Salluste[156], les discordes et la lutte entre les patriciens et les plébéiens ne cessèrent qu'au temps de la seconde guerre punique. C'est donc entre 286 et 218 av. J.-C. qu'il faut placer l'admission des citoyens de famille sénatoriale[157] au vote dans l'assemblée des tribus. Mais, précisément entre ces deux dates, se place la révolution qui, vers l'an 240 av. J.-C., changea toute la constitution romaine. Cette révolution de 240 av. J.-C. opéra la fusion des deux peuples distincts, qui, jusque-là, avaient lutté dans la cité romaine[158]. Le populus noble de la ville s'unit intimement à la plèbe rustique, pour former un seul corps de nation. Tandis que les membres de l'aristocratie urbaine acquéraient le droit de voter dans leurs tribus, à l'assemblée du Forum, les plébéiens de la campagne, les hommes des classes moyennes se faisaient inscrire comme quirites, dans les trente curies de la ville. L'antagonisme du peuple de la ville et du peuple de la campagne diminua sans disparaître. Désormais toute sécession, c'est-à-dire toute tentative pour transporter le marché des plébéiens de la campagne et l'assemblée des tribus autre part qu'à Rome, devint impossible ; et, de leur côté, les patriciens n'essayèrent plus de se soustraire ni aux plébiscites ni à l'autorité tribunitienne. Jusqu'à cette fusion du populus et de la plèbe, les chevaliers des six centuries sénatoriales qui votaient au Champ-de-Mars en tête des dix-huit prérogatives, restèrent, par compensation, privés du droit de suffrage dans l'assemblée des tribus. La révolution politique qui eut lieu vers l'an 240 av. J.-C. les fit rentrer dans le droit commun, en faisant cesser à la fois et leur exclusion de l'assemblée du Forum et leur privilège dans l'assemblée centuriate. Elle coïncide avec la révolution économique et monétaire que nous avons décrite. Mais, si les changements dans le poids des monnaies et dans la fortune publique et privée en furent l'occasion, elle fut amenée par des causes politiques puissantes[159]. Nous allons décrire les changements qui la préparèrent et qui, de 386 à 240 av. J.-C., firent passer la prépondérance du peuple de la ville au peuple de la campagne. § III. — CAUSES POLITIQUES QUI ONT PRÉPARÉ La chevalerie romaine, considérée dans son ensemble, ayant formé depuis l'an 400 av. J.-C. toute la première classe de citoyens, il est impossible de séparer son histoire politique de celle de la constitution de Servius. D'un autre côté, les six premières centuries de chevaliers, ayant voté longtemps en tête de l'assemblée centuriate, tandis que leurs membres étaient exclus de l'assemblée des tribus, leur influence politique dépendait de l'issue de la lutte séculaire engagée entre la noblesse et la plèbe. Il est donc nécessaire, pour suivre les vicissitudes par lesquelles a passé la chevalerie considérée comme corps politique, d'esquisser un tableau des révolutions romaines, et surtout de remonter à la cause principale qui les a produites. Cette cause, c'est celle que Niebuhr a indiquée, mais sans déduire toutes les conséquences qu'elle renfermait : c'est la dualité primitive du peuple Romain, l'antagonisme du patriciat de la ville et de la plèbe rustique ; plus tard, de la noblesse urbaine, et de l'aristocratie municipale des chevalier Cicéron opposait encore dans le pro Sulla[160] le patricien, l'homme dont la famille était originaire de Rome, au citoyen d'origine municipale qui, pour le Romain de la ville, était un étranger à cause de ce défaut de naissance. Les municipes les plus rapprochés de la ville, comme Tusculum, devinrent presque des faubourgs de Rome. Leur noblesse confondit ses intérêts, ses sentiments avec ceux du patriciat. Mais les municipes, les colonies, les préfectures plus éloignées continuèrent la lutte de la campagne contre la ville. Leurs chefs, c'étaient ces hommes nouveaux que la vieille aristocratie écartait des honneurs avec un soin jaloux[161]. Cicéron résumait toute l'histoire politique de Rome en trois mots, lorsque comparant Mina, à l'orgueilleuse Tusculum, qui déjà ne comptait plus ses consulaires, il disait : Atina, préfecture moins ancienne, moins voisine de Rome, et moins illustre que Tusculum par les magistrats qu'elle a produits[162]. Nous avons montré que la plèbe rustique et le patriciat formaient, en 493 av. J -C., deux peuples rivaux, mais unis par le besoin d'une défense commune et par le traité qui avait consacré l'institution du tribunat. Bientôt la plèbe urbaine, un instant unie à la plèbe rustique pour obtenir cette importante garantie, s'en détache, et retombe sous le joug des patriciens. Dès 470 av. J.-C., les plébéiens ne veulent plus que les curies décident l'élection des tribuns de la plèbe, parce que les clients des nobles forment la majorité dans l'assemblée curiate[163]. C'est à la même époque que, selon Pison, on nomme cinq tribuns de la plèbe au lieu de deux. Chacun représente une des cinq premières classes[164]. La sixième classe, celle qui devait contenir la plupart des affranchis de la ville, se trouve ainsi séparée de la plèbe rustique, et privée de la protection tribunitienne. Cent soixante ans plus tard, les chefs des grandes maisons de Rome s'appuient encore sur la plèbe urbaine presque toute composée de leurs clients[165] et de leurs mercenaires. C'est un homme de la plus orgueilleuse famille patricienne, qui, en 311 av. J.-C., systématise cette alliance du patriciat avec la populace de la ville. Le censeur Appius Claudius répartit la foule des petites gens dans toutes les tribus, pour altérer l'indépendance des votes, soit au Forum, soit au Champ-de-Mars[166]. Il fait nommer par les tribus réunies au Champ-de-Mars un de ses scribes, M. Flavius, comme édile curule, et il introduit dans le Sénat des fils d'affranchis[167], afin de renforcer dans cette assemblée le parti des hommes de la ville[168]. Depuis ce temps, dit Tite-Live, la cité se trouva divisée en deux partis ; celui du grand et vrai peuple romain (integer populus) soutenait et respectait les hommes de bien ; l'autre était la faction du Forum. Les deux censeurs de l'an 302 av. J.-C., l'un patricien populaire, Q. Fabius, l'autre plébéien, P. Decius, refoulèrent dans les quatre tribus urbaines cette tourbe d'affranchis qui composait la faction du Forum et se mettait à la disposition de l'aristocratie. Mais la clientèle des patriciens se renouvelait de siècle en siècle par les affranchissements et, de 302 à 220 av. J.-C., les affranchis se répandirent de nouveau dans les tribus rustiques[169]. Les censeurs de l'an 220 les renfermèrent encore une fois dans les tribus Esquiline, Palatine, Suburane et Colline. Le père des Gracques, Sempronius, voulut même rayer du nombre des citoyens, en 169 av. J.-C.[170], les hommes de cette populace urbaine qui, quarante ans plus tard, assista indifférente ou même prêta la main à l'assassinat de ses fils. Il fallut qu'un Appius, fidèle à la tradition de sa famille, prit la défense des affranchis, pour qu'ils fussent maintenus au rang de citoyens de la tribu Esquiline. C'est sur les laboureurs et les moissonneurs des tribus de la campagne que les Gracques[171] et Marius[172] s'appuyaient. Au contraire, le patricien exclusif, pour qui la patrie romaine était limitée à l'enceinte du Pomœrium, Sylla, répandit parmi les tribus dix mille affranchis surnommés les Cornéliens. Personne n'a mieux dépeint ce parti mêlé de chefs patriciens et de bandits recrutés à prix d'argent dans les carrefours de Rome, que le grand orateur, l'homme nouveau d'Arpinum qui toute sa vie l'a combattu, qu'il fût conduit par un chef avoué comme Sylla, ou par des chefs hypocrites couverts du masque de la démagogie comme Catilina ou Clodius. Penses-tu, dit-il à
Clodius[173],
que le peuple Romain soit le peuple composé de ces
gens qui se vendent à tant la journée ? que l'on pousse à faire violence aux
magistrats ? à mettre le siége autour du Sénat ? à demander chaque jour le
meurtre, l'incendie, le pillage ? Ce peuple que tu ne pouvais rassembler en
nombre suffisant qu'en faisant fermer les boutiques[174] ? Ce peuple, à qui tu avais donné pour chefs les
Lentidius, les Lollius, les Plaguleius, les
Sergius[175] ? Quel peuple romain digne d'inspirer le respect et la
terreur aux rois, aux étrangers, aux nations les plus lointaines ! Une
multitude ramassée à parmi les esclaves, les gens à gages, les bandits, les
misérables ! Mais le peuple Romain, tu l'as vu au Champ-de-Mars dans sa grandeur
et sa beauté imposante, lorsque toi-même tu as eu le droit d'essayer contre
l'autorité du Sénat, et contre les sympathies de l'Italie entière, l'effet de
ta parole. Voila le peuple vainqueur et dominateur de toutes les nations, tu
l'as vu, misérable, dans cette brillante journée, où tous les chefs de la
cité, ceux de tous les ordres, de tous les âges, croyaient voter non sur le
salut d'un citoyen, mais sur celui de la cité entière, lorsqu'enfin le
Champ-de-Mars se remplit d'hommes qui avaient fermé, pour y venir, non des boutiques,
mais des municipes. Si, pendant toute l'histoire de Sous les rois, il n'y eut ni assemblées de tribus, ni assemblées politiques des centuries. La première élection faite dans l'assemblée centuriate, fut celle des deux premiers consuls[177] : et la première loi que les centuries votèrent, fut celle de Valerius Publicola sur l'appel au peuple (494. av. J.-C.)[178]. Avant l'expulsion des Turquins, c'est toujours l'assemblée des trente curies de la ville qui est appelée à choisir le nouveau roi[179], et même, lorsque les Tarquins sont chassés, la première pensée de Valerius et de Junius Brutus, est de convoquer les curies, pour qu'elles sanctionnent par leurs votes la révolution qui vient de s'accomplir[180]. Le peuple des curies (Quirites) était celui de la ville de Rome. Il se réunissait au Comitium[181], au nord-est du Forum, devant les marches de l'escalier par où l'on montait à la curie Hostilienne, et au pied de la plate-forme du Vulcanal, sur laquelle fut placé, depuis l'an 150 av. J.-C.[182], le tribunal du préteur. Tandis que les trois cents sénateurs, chefs des trente curies, délibéraient dans le temple que leur avait bâti le roi Tullus, les chevaliers[183] des six centuries, Rhamnes, Tities et Luceres, réunis au bas des degrés sur le Comitium avec le peuple quiritaire des six demi-tribus, attendaient le sénatus-consulte que le magistrat allait proposer à l'approbation des curies[184]. Servius Tullius fut le libérateur de la plèbe urbaine. C'est lui qui ordonna que les esclaves prissent part à la célébration des cérémonies religieuses de la fête des Compitalia[185]. C'est lui qui fit admettre les affranchis à voter dans l'assemblée curiate et les inscrivit au nombre des citoyens des quatre tribus urbaines[186]. Ces affranchis devinrent plus tard la clientèle héréditaire des grandes maisons de Rome. Assujettis à leurs patrons par l'usure, ils votaient au Comitium avec leur créancier patricien[187], qui leur eût fait payer cher toute velléité d'indépendance. La loi civile rendait illusoire la liberté politique des pauvres, et c'est pour cela que Servius, qui voulait leur donner une liberté réelle, commença par payer leurs dettes et par défendre que la personne du débiteur fût le gage du créancier[188]. Si la plèbe urbaine n'était libre que par la protection
royale, la plèbe rustique n'eut même sous le règne de Servius aucun droit
politique. Les centuries, où ce roi lui fit une place, ne formèrent jusqu'aux
premières années de Les conquêtes de Tarquin-le-Superbe, qui donna le droit de cité aux habitants de Gabies[191], augmentèrent le nombre total des citoyens et, depuis le règne de Servius Tullius jusqu'à l'expulsion des Tarquins, on le trouve porté de quatre-vingt à cent trente mille[192]. Mais la population urbaine s'accroissait comme celle des campagnes : si le territoire s'agrandissait et se peuplait, des familles nobles, comme les Valerius d'Eretum[193], les Appius de Regilli[194], venaient s'établir à Rome avec de nombreux serviteurs, et maintenaient la prépondérance de la ville. Riais, en 509 av. J.-C., l'aristocratie de Rome, pour chasser les Tarquins, dut payer de quelques concessions politiques le concours des plébéiens de la campagne. Les cadres des classes et des centuries qui, jusque-là, n'avaient servi qu'au recrutement et à la levée des impôts, devinrent ceux d'une assemblée politique, où les paysans paraissaient exercer les mêmes droits que les Quirites de la ville. Il y eut alors deux peuples en un : le premier, plus restreint, celui de la ville, qui, divisé par races et par clienteles[195], votait dans les comices curiates ; le second, plus complet, celui du territoire entier, Rome comprise, qui, divisé par classes, votait dans l'assemblée des centuries. La voix des trente licteurs appelait, comme autrefois, les Quirites de la ville à l'assemblée des curies. Le son du cor, qui était dans le camp le signal du mouvement des drapeaux, convoquait au Champ-de-Mars, en dehors de l'enceinte sacrée du Pomœrium, les classes de l'armée civile de Servius[196]. Le peuple des curies donnait seul l'imperium qui ne pouvait s'exercer qu'en dehors des limites de la ville. Le peuple des centuries désignait, il est vrai, ceux à qui devait être confié le commandement militaire ; mais il se composait de ceux qui devaient le subir. Un consul présidant l'assemblée centuriate au Champ-de-Mars, pouvait, s'il n'était pas encore rentré dans Rome, où finissait son droit de vie et de mort, menacer de ses haches un votant ou un candidat, comme s'il eût encore commandé au milieu d'un camp[197]. Le droit de vote des plébéiens de la campagne dans l'assemblée centuriate était à peu près illusoire. Dans cette institution où les historiens modernes ont cherché un progrès de la démocratie, les anciens n'ont vu qu'un stratagème politique destiné à tromper la plèbe et à lui cacher sa nullité réelle[198]. Mais ce n'est pas au bon roi Servius qu'il faut imputer l'invention de cette liberté mensongère. On y sent partout l'habileté persévérante des patriciens, qui, obligés à des concessions, travaillent à en détruire l'effet, et veulent retenir pour eux seuls l'autorité qu'ils ont l'air de partager. Le Sénat déclara fériés les jours de marché, pour que les assemblées se tinssent en l'absence de la plupart des plébéiens des campagnes. La première classe avait à elle seule quatre-vingt-dix-huit voix sur cent quatre-vingt-treize, et l'on ne peut douter que le patriciat n'y eût conservé une influence dominante[199]. Pour la rendre encore plus irrésistible, les patriciens réservèrent aux dix-huit centuries de chevaliers le droit de voter les premières et à part ; en tête des dix-huit centuries marchaient les six prérogatives proprement dites, celles des Rhamnes, des Tities et des Luceres, remplies des jeunes patriciens, fils de sénateurs. Leur vote, que la superstition romaine prenait pour une inspiration des Dieux, entraînait celui de tous les chevaliers, et la première classe suivait l'exemple de la chevalerie. L'accord de toutes les centuries de la première classe rendait superflu le vote de toutes les autres ; rarement la seconde était appelée pour compléter la majorité des quatre-vingt-dix-sept voix. Comme si ce n'eût pas été assez de tant de précautions contre l'opposition de la plèbe, jusqu'aux lois de Publilius Philo et de Mænius (337-286), aucune élection, aucune loi faite dans l'assemblée centuriate n'était valable, si le Sénat n'en proposait la ratification aux curies. Comment les plébéiens riches de la première classe eussent-ils songé à contrarier la pensée politique des sénateurs, exprimée par leurs fils dans le vote des six prérogatives, quand ils savaient qu'il dépendait du Sénat de faire annuler par les curies à décision de l'assemblée centuriate tout entière ? Cette constitution que l'aristocratie faisait remonter au roi populaire Servius Tullius n'a fait illusion à aucun de ceux qu'elle était destinée à tromper. Cicéron l'apprécie comme Denys d'Halicarnasse, lorsque dans le De legibus[200], répondant à son frère Quintus qui déplorait l'établissement du tribunat, il refuse de voir dans la constitution de l'an 509 aucune garantie effective de la liberté plébéienne : Ou bien il ne fallait pas chasser les rois, ou il fallait donner à la plèbe une liberté réelle, et non pas nominale. La constitution politique attribuée à Servius n'était donc que l'image trompeuse de la démocratie. Au fond elle était tout aristocratique[201], et les plébéiens n'eurent de sécurité et de force politique qu'à partir de l'établissement du tribunat et de l'assemblée des tribus. Jusqu'à l'an 494 av. J.-C., il n'y eut que quatre tribus urbaines. Mais dans les cantons ruraux ou pagi, et surtout dans ceux qui touchaient à la ville, les patriciens devaient avoir de nombreuses propriétés[202]. Car, lorsque les pagi de la campagne devenus plus nombreux eurent été transformés en seize tribus rustiques, le patriciat conserva encore de l'influence dans quelques-unes d'entre elles. Sur les vingt tribus qui votèrent dans le procès de Coriolan, neuf déclarèrent innocent cet ennemi de la plèbe. Il devait donc y en avoir au moins cinq de la campagne, qui avaient donné un vote favorable à l'accusé[203]. La transformation des pagi en tribus rustiques eut lieu en
494 av. J.-C. ; elle n'est marquée dans Tite-Live que par ces simples mots : Romæ tribus factæ[204]. Il y eut alors
seize tribus rustiques. Les plus rapprochées de Rome étaient : Nous avons vu qu'au temps de Servius, sur les quatre-vingt
mille citoyens en état de porter les armes, la moitié appartenait à la
population urbaine, et l'autre moitié à celle des vingt-six papi de la campagne. Pendant tout le premier
siècle de Tout changea au siècle des guerres contre les Gaulois et contre les Samnites. La puissance politique passa graduellement du patricial à la plèbe, par un déplacement de plus en plus sensible de la majorité. De 386 à 241 av. J.-C., quatorze tribus rustiques s'ajoutèrent aux vingt-et-une tribus déjà formées avant la prise de Rome par les Gaulois. A mesure que des tribus nouvelles se forment, on voit le nombre des plébéiens augmenter et les tribuns, qui les représentent, obtenir pour eux de nouveaux droits politiques. La conquête de l'égalité politique à Rome est une conséquence de l'accroissement du territoire rural. A la fin de la lutte des plébéiens et des patriciens, le patriciat est vaincu, parce que chaque victoire grossit le nombre de ses rivaux. La prépondérance passe de la ville à la campagne, parce que l'enceinte du Pomœrium reste immobile, tandis que les limites du territoire reculent. Une des preuves de ce changement de sens dans la majorité,
c'est qu'au premier siècle de Cette supériorité numérique des plébéiens est la vraie
cause qui leur fit obtenir de 366 à 300 av. J.-C. le droit d'aspirer à tous
les honneurs de Non contents de s'affranchir de la domination des patriciens et de leur clientèle, les paysans voulurent dominer à leur tour. Eux, qui auparavant n'étaient rien, ils eurent l'ambition d'être tout. Le dictateur Hortensius fit voter une loi qui rendait les plébiscites obligatoires pour la noblesse sénatoriale, quoiqu'elle fût exclue de l'assemblée des tribus. A la fin de la première guerre punique, la vieille constitution de Servius ne convenait plus à personne. Sur les 270.000 citoyens de Rome, un tiers à peine appartenait aux quatre tribus urbaines. Les tribus rustiques ne pouvaient plus permettre que les six centuries de la chevalerie urbaine eussent le privilège de voter les premières et de désigner aux suffrages les candidats préférés de l'aristocratie sénatoriale. La noblesse des municipes, composée des chevaliers equo privato répartis dans les quatre-vingts centuries de la première classe, subissait à regret l'influence de la riche bourgeoisie patricienne de Rome. Les hommes de condition moyenne, fort nombreux dans les cantons agricoles, souffraient de la loi qui ne laissait à chacune de leurs classes que vingt voix collectives, au lieu de quatre-vingts qu'elle donnait à la première classe. Les nobles, qui dans l'assemblée centuriate avaient voulu s'isoler et former avec les autres chevaliers equo publico, un peuple à part, se voyaient, par représailles, exclus de l'assemblée des tribus, et astreints à respecter des plébiscites qu'ils ne votaient pas. Une constitution qui blessait toutes les classes de la société romaine ne pouvait durer. Elle fut changée. § IV. — RÉVOLUTION POLITIQUE QUI EUT LIEU À ROME, DANS L'INTERVALLE DES DEUX PREMIERES GUERRES PUNIQUES. Tout appelait une reforme de la constitution de Servius, lorsque la révolution monétaire qui eut lieu entre les deux premières guerres puniques en fournit l'occasion. Les principes politiques furent modifiés en même temps que les bases du cens et l'évaluation des fortunes. Les historiens anciens ont indiqué l'époque et le caractère de cette révolution. Tite-Live[213] dit que le nombre des centuries fut mis eu rapport avec celui des tribus, c'est-à-dire que les tribus furent partagées en centuries, après que le nombre des trente-cinq tribus eût été complété. Or, les deux dernières tribus ont été formées en l'an 241 av. J.-C.[214]. D'après Salluste, les discordes de la plèbe et de l'aristocratie sénatoriale cessèrent au temps de la seconde guerre punique[215]. La fusion des cieux peuples ennemis qui enfin arrivèrent à former une seule nation politique dut, alitant que la crainte d'Annibal, contribuer à cette réconciliation. La révolution qui l'opéra eut donc lieu entre 241 et 218 av. J.-C. Le changement dans les chiffres du cens, qui accompagna cette révolution, était du reste accompli en 220 av. J.-C. Denys d'Halicarnasse, qui ne connaît l'histoire romaine que jusqu'à l'an 264 av. J.-C., ignore la date de cette révolution. Mais il eu marque bien le caractère. La constitution de Servius, dit-il, a été changée et a pris une forme plus démocratique[216]. Trois changements rendirent l'assemblée centuriate plus favorable aux intérêts plébéiens : 1° la formation de cinq centuries représentant les cinq classes dans chacun des deux âges de chaque tribu ; 2° l'attribution de la prérogative à une centurie tirée au sort parmi celles des tribus rustiques ; 3° l'ordre nouveau dans lequel les dix-huit centuries de chevaliers furent désormais appelées au vote. 1° QU'IL Y EUT, APRÈS
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[1]
Tite-Live, I, 43. EQUITES enim VOCATANTUR
PRIMI : octoginta INDE primæ
classis centuriæ. Denys, moins exact que Tite-Live, fait, entrer
dans l'enceinte, où votaient les centuries, les dix-huit centuries de
chevaliers avec les quatre-vingts centuries de la première classe, dès les
premiers siècles de
[2] Varron dans Festus, s. v. Prœrogativæ centuriæ.
[3] Asconius, In prœmonio actionis in Verrem, s. v. Dedit enim PRÆROGATIVÆ au ch. IX de cette Verrine. Asconius a tort de les appeler prœrogativæ tribus ; il devait dire, comme Varron et Tite-Live, prœrogativæ centuriæ.
[4] Tite-Live, X, 22. An 296. Fabium et PRÆROGATIVÆ et PRIMO VOCATÆ omnes centuriæ consulem cum L. Volumnio dicebant. Forcellini (s. v. Prœrogatirus) dit à tort qu'il faut changer ce texte excellent, et lire prœrogativa au lieu de prœrogativæ ; il ne faut rien changer.
[5] Tite-Live, XXIV, 7 et 9, an 215 av. J.-C. XXVI, 22, an 211, et XXVII, 6, an 210 av. J.-C. Comparez Cicéron, Pro Plancio, 20, et Philip., II, 33.
[6] Festus, éd. de M. Egger, p. 107. Prœrogativæ centuriæ dicuntur, ut docet Varro reruin hunutuarunt, lib. VI, QUÆ RUS (QUO RUSTICI, selon la conjecture d'Orsini) Romani, qui ignorarent petitores, facitius eos animadvertere possent. Verrius probabilius judicat esse, ut, cum essent designati a PRÆROGATIVIS, in sermonem res veniret populi de dignis indignisve, et fierent cœteri diligentiores ad suffragia de his ferenda.
[7] Tite-Live, IV, 60. Quum senatus summa cesse contulisset, PRIMORES PLEBIS, NOBILIUM AMICI, ex composito conferre inci piunt…. repente certamen conferendi est ortum. An 403 av. J.-C. Tite-Live fait un récit tout semblable de la contribution de l'an 210 (liv. XXVI, ch. 36). Hunc consensum senatus equester ordo est seculus ; equestris ordinis plebes. Comparez Tite-Live, I, 13. Ex primoribus civitatis DEODECIM scripsit CENTURIAS.
[8] Niebuhr, Histoire romaine, Ire partie, éd. Berlin, 1833, p. 616. Die alte Römische PLEBS bestand ausschiesslich aus Laadwirthen un ! Feldarbeitern. L'opposition entre le peuple primitif de la ville de Rome (populus) et la plèbe des tribus rustiques, est une des vues les plus profondes de ce grand esprit critique. Comparez Denys, II, 28, et IX, 25.
[9] Comme il s'agit de l'élection des consuls, qui ont toujours été choisis dans l'assemblée centuriate, Asconius a évidemment mis tribus prérogatives pour centuries prérogatives. Ce qui lui a fait commettre cette inadvertance, c'est que, dans le passage de la première Verrine (ch. IX) qu'il commente, Cicéron accuse Verrès d'avoir acheté des tribus prérogatives, pour l'élection au consulat de son ami Q. Metellus. A cette époque, il n'y avait qu'une seule centurie prérogative, tirée an sort parmi les centuries des jeunes gens de la première classe des trente-et-une tribus rustiques. La tribu, à laquelle cette centurie appartenait, s'appelait elle-même prérogative. Mais Verrés, ne pouvant deviner quelle centurie le sort désignerait, avait acheté, dans plusieurs tribus, les suffrages de plusieurs prérogatives possibles ; de là le pluriel employé par Cicéron : pro prœrogativis.
[10] Asconius, In proœmio Act. in Verrem, ch. IX, s. v. Dedit enim prœrogativam. Mos enim fuerat, quo facilius in comitiis concordia populi firmaretur, bina omnia de iisdem candidatis comitia fieri : quorum tribus primæ PRÆROGATIVÆ dicebantur, quod primæ roqarentur, quos vellent consules fieri : secondæ, jure vocatæ, quod in his, sequente populo, ut sœpe contigit, PRÆROGATIVARUM VOLUNTATEM, jure omnia complerentur. La note d'Asconius, sur le ch. IX de la 1re Verrine, est tirée du liv. V, ch. 18 de Tite-Live : Haud invitis Patribus P. Licinium Calvum prœrogativa tribunum militum non petentem creant.... omnesque deinceps ex collegio ejusdem anni refici apparebat... qui priusquam renunciarentur jure vocatis tribubus, permisse interregis P. Licinius Calvus ita verba fecit. (Voir, à la fin du volume, la note 3 au livre II.)
[11] Voir plus haut, liv. Ier, Ch. II, § 3, fin.
[12] Varron, De re rustica, 2, Proœmium, Comparez Denys, VII, 58, fin. La semaine des Romains avait un jour de plus que la nôtre ; ils disaient les nundines parce que leur semaine avait huit jours, comme nous disons la huitaine parce que la nôtre en a sept.
[13] Pline, Hist. nat., XVIII, ch. 3, fin.
[14] Cicéron (Pro Plancio, XX) dit qu'au temps où il n'y avait qu'une centurie prérogative, jamais un candidat qu'elle avait nommé ne manqua d'être élu. Cette influence, qui tenait aux idées religieuses des Romains sur les omina, devait être bien plus forte encore avant les guerres puniques, lorsque les dix-huit centuries équestres étaient prérogatives et qu'on annonçait séparément leur vote, comme on annonça plus tard le vote de la prérogative unique (Philippique, II, 33). Aussi Asconius, au ch. IX de la première Verrine, dit : Sequente populo, ut sœpe contigit, PRÆROGATIVARUM VOLUNTATEM. Tite-Live (I, 43) dit que la première classe, qui avait la majorité des centuries, rendait presque toujours, par son accord, l'appel de la seconde classe inutile. Denys (IV, 20, fin) appelle les deux dernières classes superflues, et dit aussi que le vote était le plus souvent achevé par la première classe seule. En déclarant fériés les jours de nundines, l'aristocratie de Rome voulait faire entendre aux paysans des quatre dernières classes que, pour cd qu'ils avaient à faire dans l'assemblée centuriate, ce n'était pas pour eux la peine de se déranger.
[15] Voir plus haut, livre Ier, ch. II, § 3.
[16] Cicéron, De Republica, IV, 2.
[17] Macrobe, Saturnales, I, 16.
[18] Macrobe, Saturnales, I, 16.
[19] Cicéron, De provinciis consularibus, ch. 19. Cette loi de l'an 136 fut rendue nécessaire par l'admission des prolétaires dans les tribus, depuis 179 av. J.-C. (Tite-Live, XL, 51). Alors la plèbe affluait à Rome, non-seulement aux nundines, mais aux jours de la semaine (Macrobe, I, 16). Postquam internundino etiam (texte donné par Gronovius) ob multitudinem plebis frequentes adesse cœperant. Les tribuns démagogues auraient pu en abuser pour multiplier les convocations des tribus et imprimer à l'action législative de la plèbe un mouvement désordonné, comme le fit plus tard Clodius, en abolissant la loi Furia (Cicéron, Pro sextio, 15 et 51).
[20] Macrobe, Saturnales, I, 16.
[21] Macrobe, Saturnales, I, 16.
[22]
Denys (VII, 58, fin) qui ignore que les nundines aient été jours néfastes
jusqu'à la loi d'Hortensius, 486 av. J.-C., décrit fort bien ce qui se passait
à Rome les jours de nundines, entre 286 et 136 av. J.-C., mais en reportant,
par anachronisme, cette description aux premières années de
[23] Tite-Live, VIII, 12, et Cicéron, Brutus, ch. XIV. Comparez Tite-Live, I, 17. Tite-Live fait allusion, dans ce passage, à la loi de Mænius, mentionnée dans le Brutus.
[24] Les trois centuries prérogatives des années 215, 211 et 210 av. J.-C., appartiennent aux tribus rustiques Aniensis, Veturia, Galeria. Tite-Live, XXIV, 7 et 9, XXVI, 22, et XXVII, 6.
[25] On nous permettra d'employer cette expression latine qui n'a point d'équivalent en français. Les Patres furent, à l'origine, les trois cents sénateurs chefs des trois races des Rhamnes, des Tities et des Luceres, et des trente curies. Ce nom fut appliqué par extension aux patriciens, fils des trois cents sénateurs. Lorsqu'après le partage du consulat (366 av. J.-C.), la loi Ovinia permit aux plébéiens sortis des magistratures curules d'entrer au Sénat, le mot Patres s'appliqua à ces plébéiens nobles et à leurs fils. La traduction la plus exacte de Patres serait aristocratie sénatoriale. De même, nous emploierons le mot latin populus, parce que celui de peuple le traduit fort mal. Le populus, c'est, aux premiers siècles de Rome, l'assemblée de l'aristocratie sénatoriale, avec ou sans les clients qui formaient avec elle l'assemblée curiate.
[26] Niebuhr, Histoire romaine, 4e éd., 1re partie, Berlin, 1833, p. 442.
[27] Niebuhr (Histoire romaine, 4e éd., 1re partie, Berlin, 1833, p. 616) complète sa pensée en disant : La vieille plèbe romaine se composait exclusivement de fermiers et d'agriculteurs. Niebuhr ne méconnaît pas l'existence de la plèbe urbaine, mais il lui assigne pour métier la culture des jardins et des champs les plus rapprochés de la ville. Niebuhr dit encore (Hist. rom., 3e éd., 2me p., Berlin, 1836, p. 316) : Les deux états de la nation romaine sont aussi appelés deux peuples, et ils étaient distingués par une ligne de démarcation plus profonde que bien des peuples habitant des territoires éloignés les uns des autres. Nous traduisons l'allemand Stände par le mot d'états, pris dans le même sens où l'on prenait autrefois en France celui de tiers-état.
[28] Nous prouverons que ce sens de populus date de l'époque qui suivit la première guerre punique.
[29] Le langage de Tite-Live, qui mêle les locutions de son temps avec celles du temps dont il parle, ne serait propre ici qu'à nous tromper. En voici une preuve : au livre III, 64 et 63 (an 446 av. J.-C.), Tite-Live raconte que le sort désigna le tribun Duilius pour présider les comices où s'éliraient les nouveaux tribuns. Duilius déclare qu'il ne laissera pas réélire par les tribus les tribuns sortant de charge. Il s'avance pour parler à l'assemblée (in concionem) ; puis il présente les consuls au peuple (ad populum). Duilius tient les comices, où cinq tribuns sur dix sont nommés ; les cinq autres ne réunissent pas la majorité des tribus (tribus non exptent). Duilius renvoie l'assemblée (concilium) et ne la réunit plus (comitiorum causa) pour compléter les élections. Un autre tribun, Trebonius, pour empêcher qu'à l'avenir on se contente, comme Duilius, d'élections incomplètes, fait passer une loi ainsi conçue : Ut qui PLEBEM ROMANAM tribunos plebi rogaret, usque, eo rogaret, dum decem tribunos plebi faceret. Il est évident que les mots plebem Romanam, employés dans le texte de la loi Trebonia, conviennent seuls à l'assemblée des tribus de l'an 446, et que les mots ad populum, appliqués par Tite-Live à la même assemblée, sont une locution inexacte empruntée à la langue usuelle du temps de l'historien. Tite-Live (III, 63, III, 71, et VI, 21) emploie de même improprement le mot populus pour désigner l'assemblée des tribus. Il met consilium populi pour concilium plebis.
[30] Festus, s. v. Populi, éd. de M. Eger. p. 42. Festus (s. v. Scitum populi, éd. de M. Egger, p. 139), dit encore : Cette expression s'employait lorsque, sans le concours des plébéiens, l'ordre des patriciens avait porté par ses suffrages seuls un décret sur la proposition d'un patricien. Les résolutions prises sur la proposition de l'un des membres du sénat et avec les suffrages des plébéiens, étaient appelées lois écrites. Mais le plébiscite est toute résolution proposée au peuple par un tribun du peuple, sans le concours des patriciens (ou sur laquelle un tribun a consulté les plébéiens), et décrétée par l'assemblée populaire. Or, on appelle plebes tout le peuple à l'exception des sénateurs et des patriciens. Ces deux passages, qui se complètent l'un l'autre, ne sont pas explicables, a moins qu'on entende populus (excepté dans la dernière phrase) du peuple patricien et sénatorial de la ville primitive. Il est vrai que le mot populus ayant, après l'an 240 av. J.-C., pris un sens plus étendu, celui du peuple de l'assemblée centuriate, Festus semble lui donner ce second sens dans la dernière phrase. Festus distingue bien la loi curiate (populi scitum), la loi centuriate (Lex), le plébiscite (plebiscitum), et la loi faite dans l'assemblée mixte des tribus au Champ-de-Mars (Lex scribta). Voir, à la fin du volume, note 3, au livre II.
[31] Les six suffrages étaient réservés aux familles sénatoriales ; mais il pouvait y avoir aussi des patriciens ou des fils de sénateurs dans les douze dernières centuries équestres.
[32] Cicéron, Philippique II, 33.
[33] Aulu-Gelle, X, 24. Nous avons déjà prouvé qu'Aulu-Gelle n'est pas un guide sûr pour les historiens de l'ancienne Rome.
[34] Cicéron, Pro Murena, 1.
[35] Macrobe, Saturnales, I, 17.
[36] En 446 av. J.-C., il n'y avait encore de familles sénatoriales que les familles patriciennes.
[37]
Tite-Live, III,
[38] Tite-Live, X, 8.
[39] Tite-Live, IV, 7, an 412 av. J.-C. Patricii cum sine curuli magistratu res publica esset, coiere et interregem creavere. Denys (XI, 62), parlant du même fait, dit : Ή βουλὴ συνελθοῦσα μεσοβασιλεῖς ἀποδείκνυσι. C'est une traduction inexacte. Les trois cents sénateurs n'étaient que les chefs des curies et du patricial. Tite-Live dit encore (IV, 43, an 418 av. J.-C.) : Prohibentibus tribunis patricios coire ad prodendum interregem, et (VI, 41) : Sed nos quoque ipsi (Patricii) sine suffragio populi auspicato interregem prodamus. Tite-Live prend ici populus comme synonyme de plebs, selon son habitude.
[40] Festus, S. V. Sex Vestæ sacerdotis, édition de M. Egger, p. 152. Voir liv. Ier, ch. II, § I.
[41] Vesta P. R. Quiritium, Eckhel (De doctrinæ nunerorum veterum, t. VI, p. 317) cite deux médailles de Vitellius qui portent cette légende.
[42] Fabius Pictor, dans Aulu-Gelle, I, 12, n° 14.
[43]
Denys (II, 50) dit que Tatius dressa, dans toutes
les curies, des tables, qui subsistaient encore au temps d'Auguste,
en l'honneur de
[44] Festus, s. v. Dici. Tite-Live, VIII, 6. Cette expression a la même extension que celle que Decius emploie dans la formule de dévouement (VIII, 9) : Diis Manes.... vos precor uti POPULO ROMANO QUIRITIUM vim victotiamque prosperetis. Cette explication nous semble plus naturelle que la supposition qu’en a faite Niebuhr, d'une ville sabine imaginaire de QUIRIUM, dont les habitants se seraient appelés Quiritus, par opposition aux habitants du Palatin qui se seraient appelés Rhamnes ou Romains, tandis que le Cœlius aurait forme une troisième ville, celle de Lucerum, dont les habitants se seraient appelé Luceres. Lorsqu'on entre dans ce domaine indéfini de la fantaisie historique, on se joue parfois le génie de Niebuhr, il est difficile de s'arrêter. M. Ampère, dans son Histoire romaine à Rome (ch. IX, fin, t. Ier, p. 262), a tenté de retrouver neuf Romes avant Rome, et il donne les noms qu'elles ont pu porter, mais sans en répondre. Ce seraient : 1° Vaticanum, 2° Saturnia, 3° Esquilia, 4° Sikelia, 5° Tarquinium, 6° Roma, 7° Palatium, 8° Romuria, 9° Cœlium. Si nous y ajoutons le Quirium et le Lucerum de Niebuhr, nous aurons un total de onze cités ante-historiques dont l'histoire serait tort embarrassée.
[45] Comparer l'expression nuncupare vota avec le principe de la loi des Douze-Tables : Uti lingua nuncapassit, ita jus esto.
[46] Tite-Live, VIII, 12: Tres leges secundissimas plebei, adversas nobilitati tulit Q. Publilius Philo dictator ; unam, ut plebiscita omnes Quirites tenerent. La loi hortensia portait : Quod plebes jussisset omnes Quirites teneret. Pline, Histoire naturelle, liv. XVI, 15, n° 10.
[47] Feriæ non staticæ, non statæ. Voir Macrobe, Saturnales, I, 16, et Festus, s. v. Feria statæ.
[48] Aulu-Gelle, liv. X, ch. 24.
[49] Tite-Live, VI, 12.
[50] Après la première guerre punique, l'expression populus Romanos eut un sens plus étendu.
[51]
Aulu-Gelle, X, 20, d'après Ateius Capiton. Tite-Live, II, 56. Sallustii epist. ad Cæsarem, II, 5.
[52] Festus : Populi commune est in legibus ferendis cum plebe suffragium : nam comitia centuriata ex Patribus et plebe constant.
[53] Denys, IV, 22.
[54]
Denys, VI, 89. Comparez Cicéron, fagm. 1 du Pro C. Cornelius, Tite-Live II, 56, Denys, IX, 41.
[55] Denys, IX, 41.
[56] Tite-Live, V, 20.
[57] Tite-Live, VI, 18, et toute l'histoire de Manlius, du ch. 13 au ch. 20. Celle plèbe urbaine formait, dès l'an 303 av. J.-C., ce que Tite-Live appelle la faction du Forum. Elle se composait des affranchis et des plus pauvres citoyens que Quintus Fabius Maximus fit rentrer dans les quatre tribus urbaines d'où ils étaient sortis (Tite-Live, IX, 46, fin). Comparez Denys, IV, 23, fin. Servius dit aux patriciens qu'ils trouveront un grand avantage à donner lus droits politiques aux affranchis, parce qu'ils en feront des clients dévoués à eux et à leurs fils.
[58] M. Mommsen, dans son livre sur les tribus romaines (Altona, 1844), a montré par une étude très-précise des manuscrits de Tite-Live, que, dans le livre Ier, ch. 21, de cet auteur, où on lit : Roma, tribus una et viginti factæ, le chiffre vingt-et-un n'est pas authentique. Il se trouve pourtant admis Denys d'Halicarnasse. Mais le raisonnement que cet auteur prête à Coriolan, qui fut absous par neuf tribus (Denys, VII, ch. 64, fin), et qui dit avoir été condamné à une majorité de deux voix (VIII, 6), ne suppose que vingt tribus en 490 av J.-C. La révolution qui chassa les Tarquin eut pour conséquence de transformer l'organisation toute militaire des centuries de Servius en une organisation politique. Les plébéiens des campagnes qui, depuis Servius, combattaient dans les légions, furent admis à voter au Champ-de-Mars. La première lui centuriate fut celle de Publicola sur l'appel au peuple (Cicéron, De Republica, II, 31). La première élection centuriate fut celle des premiers consuls (Tite-Live, I, 60). En même temps, les plébéiens des campagnes formèrent seize tribus rustiques qui s'ajoutèrent, en 494 av. J.-C., aux quatre tribus urbaines (Tite-Live, I, 21) ; ce qui amena, en 492 av. J.-C., la création des tribuns de la plèbe.
[59] Denys, VII, 59. Nous avons déjà remarqué que Denys ignore que les nundines furent des jours néfastes jusqu'à la loi d'Hortensius, en 286 av. J.-C. Mais sa description prouve deux choses : 1° que depuis la loi Hortensia, 236, jusqu'à la loi Fufia, 136 av. J.-C., c'est-à-dire dans la période où les nundines cessèrent d'être néfastes, les tribus étaient convoquées les jours de marché ; 2° que, pour Denys, les anciennes assemblées des tribus se composaient surtout de paysans.
[60] Denys, II, 28, et IX, 25.
[61] Denys, VI, 89.
[62] Aulu-Gelle, XII, 12, n° 9. Aulu-Gelle cite un passage de Varron qui porte que les tribuns de la plèbe, ayant chacun un viateur, avaient le droit d'arrestation (prensionem), mais non le droit de citation (vocationem), parce qu'ils n'avaient pas de licteur.
[63] Tite-Live, II, 33.
[64] Cicéron, Pro C. Cornelia, fragm. I. Comparez Denys, VI, 89, et IX, 41.
[65] Messala, dans Aulu-Gelle, XIII, 15, n° 4.
[66] Valère Maxime, II, 2, n° 7.
[67] Varron, dans Aulu-Gelle, XIV, 8, n° 2.
[68] Denys, VI, 88. Plutarque (Vie de Coriolan, XVI, fin) appelle le tribunat : Διάστασιν τῆς πόλεως, οὐκέτι μιᾶς ὡς πρότερον οὔσης, ἀλλὰ δεδεγμένης τομήν, μηδέποτε συμφῦναι ἡμᾶς ἐάσουσαν.
[69] Tite-Live, II, 30.
[70] Tite-Live, II, 32.
[71] Tite-Live (III, 20) donne ainsi la formule du serment : Quum omnes in verba juraverunt CONVENTUROS SE JUSSU CONSULIS, NEC INJUSSU ABITUROS. Dans ce passage, Tite-Live a aussi commis un anachronisme.
[72] Tite-Live, XXII, 38, an 216 av. J.-C. Du reste, la première partie de la formule du serment que les tribuns militaires exigeaient, au nom des consuls, est donnée par Cincius, dans Aulu-Gelle (liv. XVI, ch. 4) ; elle commence ainsi : In magistratu C. Lœtii C. filii consulis, L. Cornelii P. filii consulis in exercitu decemque millia passuum prope furtum non facies dolo malo solus atque cum pluribus PLURIS NUMMI ARGENTEI. Il n'y eut pas de monnaies d'argent frappées à Rome avant 209 av. J.-C. ; elles n'y étaient pas connues avant la guerre de Pyrrhus. La formule date donc des guerres puniques.
[73] Denys, VI, 45.
[74] Tite-Live, II, 32.
[75] Tite-Live, II, 34. Tite-Live dit, que la retraite eut lieu à la fin du consulat de Servilius et de Vetusius. Spurius Cassius et Postumus Cominius devinrent consuls pendant la retraite au Mont-Sacré. La disette commença avec le consulat de Geganius et de Minucius. Mais, de l'aveu de Tite-Live (II, 21), il n'y a pas grand fond à faire sur la chronologie de cette époque.
[76] Denys, VI, 46.
[77] Denys, VII, ch. Ier.
[78] Cicéron, Pro C. Cornelio, fragm. 1er.
[79] La preuve que la ville ne fut point abandonnée, c'est que Q. Cicéron, dans le De legibus, III, 8, parle ainsi de la naissance de la puissance tribunitienne : Cujus primum ortum si recordari volumus, inter arma civium et OCCUPATIS ET OBSESSIS URBIS LOCIS procreatum videmus.
[80] Tite-Live, II, 32.
[81] Nous n'essaierons pas de suivre un ordre minutieusement chronologique, qui serait d'ailleurs impossible. Tite-Live dit, en commençant le récit de ces événements (II, 21) : Tanti errores inplicant temporum rationem aliter apud alios ordinatis magistratibus, ut nec qui consules secundum quos, nec quid quoque anno actum sit, in tanta vetustate non rerum modo sed etiam auctorum digerere possis. Le vrai ordre est donc ici celui qui, au milieu de ces incertitudes, subordonne les détails à une idée d'ensemble qui les explique.
[82] Tite-Live, II. 21.
[83] Tite-Live, II, 23, dit : MAGNO NATU QUIDAM.
[84] Denys, VI, 27.
[85] Tite-Live désigne assez clairement les conciliabules des deux plèbes (II, 28). Les plébéiens des curies, réunis sur l'Esquilin, étaient ceux de la ville ; les plébéiens de l'assemblée du Forum (Concio), réunis sur l'Aventin, étaient ceux des campagnes.
[86] Festus, s. v. Sacer.
[87] Tite-Live, VII, 15, et XL, 37. Un grand nombre de villes italiennes gardèrent le nom de Forum : Forum Aurelium, Forum Livii, etc.
[88]
Tite-Live (I, 50 et 51) et Denys (IV, 45) nous montrent que, dans les temps
anciens, le bois sacré de la déesse Ferentina, aux environs d'une source du
même nom qui coulait au pied du mont Albain, était le rendez-vous des peuples
latins. De 316 à 337 (Tite-Live, VII, 23), les Latins firent une véritable
sécession, analogue à celle des plébéiens de
[89] Tite-Live, II, 34 (Discours de Coriolan).
[90] Tite-Live, II, 34.
[91] Denys, VI, 46.
[92] Denys (VI, 63, fin) fait dire à Appius que les listes du dernier cens comptent cent trente mille citoyens eu état de porter les armes, et que le nombre des réfugiés n'en est pas la septième partie. Ils auraient donc été de quinze à seize mille, d'après Denys, dont tout le récit est empreint d'exagération. Dans tous les cas, il n'y avait sur le Mont-Sacré, ni dix, ni six légions romaines, ni une masse considérable de plébéiens émigrés.
[93] Ovide, Fastes, liv. III, vers 664 et suiv.
[94] Cicéron, Pro C. Cornelia, fragm. 1er.
[95] Cicéron, De Republica, II, 33. Salluste, Historiarum, lib. I, frag. 3, édit. Gerlach, p. 213 (fragm. 9 ou 10 dans d'autres éditions). L'autorité de Cicéron et de Salluste nous semble ici préférable à celle de Tite-Live et de Denys, qui ne parlent pas de l'occupation de l'Aventin.
[96] Cicéron, Pro C. Cornelia, fragm. 1er. Le chiffre dix est erroné.
[97] Cicéron, De Republica, II, 34. Pro C. Cornelia, frag. 1er.
[98] Festus, s. v. Remurinus.
[99] Cicéron, Pro Murena, VII. Si tibi hoc sumis, nisi qui patricius sit, neminem bono esse genere natum, facis ut rursus plebes in Aventinum sevocanda esse videatur. Les mots latins secocare plebem signifient convoquer la plèbe hors du Pomœrium. En 354 av. J.-C., un des consuls ayant fait voter à son armée, réunie en assemblée par tribus (tributim), une loi qui établissait l'impôt du vingtième sur le prix des esclaves affranchis, les tribuns, pour empêcher les conséquences d'un précédent si dangereux pour la liberté, firent passer une loi que Tite-Live restitue ainsi (liv. VII 16) : Ne quis postea POPULUM SEVOCALET capite sanxerant. Tite-Live, selon son habitude (comparez liv. III, 63, 64, 65, 71, et liv. VI, 21), met ici populum pour plebem, en parlant de l'assemblée des tribus. Le consul de l'an 354 av. J.-C. avait convoqué ses soldats, divisés par tribus, au camp de Sutri (sevocaverat plebem).
[100] Tite-Live, II, 33.
[101] Cicéron, Pro C. Cornelio, frag. 1er. Postero anno.
[102] Les noms des mois : quintilis, sextilis, september, october, november, december, en sont la preuve ; janvier et février étaient les deux derniers mois de l'année (Voir l'Histoire romaine de M. Mommsen, ch. XIV, t. Ier, p. 282 de la trad. de M. Alexandre).
[103] Ovide, Fastes, III, vers 145. On demandait à Perenna la grâce de passer l'année tout entière sans manquer de rien. Macrobe, Saturnales, I, 12.
[104] Tite-Live, II, 34, discours de Coriolan, fin.
[105] Tite-Live, le partisan de l'aristocratie, exprime bien ici les colères partisanes (II, 34). Il fait dire à Coriolan : Cur Sicinium potentem video sub jugum missus ?
[106] Tite-Live, II, 58, an 470 av. J.-C.
[107] Messala, dans Aulu-Gelle, XIII. 15, n° 4. Denys, VI, 90. Comparez Denys, X, 4, et Niebuhr, Hist. romaine, Ire part., 6e éd., 1833, p. 648-649.
[108] Tite Live, II, 56 (Lex Publilia).
[109] Pison, dans Tite-Live, II, 58.
[110] Asconius, In Orat. Pro C. Cornelio, s. v. Tanta igitur in illis virtus. Tite-Live (III, 30, an 456 av. J.-C.) dit qu'on doubla le collège des tribuns.
[111] La loi des Douze-Tables, faite vingt deux ans après la loi Publilia, ôtait aux plébéiens le droit de s'allier par mariage arec les patriciens, droit qui s'accordait, dit Cicéron (De Republica, II, 31), même à des peuples étrangers. Canuleius, dans Tite-Live (IV, 4), caractérise ainsi cette loi : Lex qua dirimatis societatem civilem duasque ex una civitate faciatis.
[112] Cicéron, De Republica, II, 33 et 34.
[113] Tite-Live II, 34.
[114] Denys, VII, 13.
[115] Denys, VII, 59.
[116] Lælius Félix, dans Aulu-Gelle. XV, 27.
[117] Denys, VII, 16.
[118] Tite Live, II, 56. Comparez Denys, IX, 41 et 49.
[119] Tite-Live, II, 60.
[120] Tite-Live, V, 24.
[121]
Tite-Live, V, 24, 30, 50,
[122] Tite-Live, V, 30.
[123] Tite-Live, V, 52.
[124] Tite-Live, IV, 24.
[125] Niebuhr, Hist. romaine, 2e part.,
3e édit., Berlin, 1836, p. 355.
[126] L'histoire de la tribu Claudia nous montre comment les tribus rustiques elles-mêmes étaient sorties des clientèles des familles patriciennes. Atta Clausus de Regilli vint, à Rome en 503 av. J.-C. (Tite-Live, II, 16), et ses clients reçurent un territoire sur la rive droite de l'Anio, entre Fidènes et Picentia (Denys, V, 40). On appela plus tard les habitants de ce pays la vieille tribu Claudia. Quant aux Claudius, ils s'établirent clans Rome, et ils eurent leurs tombeaux de famille au pied du Capitole (Suétone, Vie de Tibère, 1). Les clients de la campagne acquirent bientôt l'indépendance que donne toujours la propriété ; ceux de la ville restèrent soumis à l'autorité des chefs de la race.
[127] Asconius, In prœm. Act. in
Verrem, ch. 8, s. v. Q. Verrem Romilia.
[128] Voir le paragraphe précédent.
[129] Le patricien Manlius Torquatus traitait encore Cicéron d'étranger parce qu'il était d'Arpinum (Pro Sulla, ch. VII et VIII).
[130] Denys (IV, 21, VIII, 82, et XI, 45, fin) dit que, par sa constitution, Servius Tullius trompa habilement le peuple en lui Grisant croire qu'il lui donnait l'égalité des droits électoraux, mais qu'en réalité les patriciens dominaient dans l'assemblée centuriate, malgré leur petit nombre.
[131] Denys, VII, 16. Sur les édiles, voir Denys, VI, 90.
[132] Denys, VI, 89. La même loi fut renouvelée par Horatius et Valerius, après le Décemvirat (Tite-Live, III, 55). C'est ce renouvellement des lois sacrées, en .146 av. J.-C., auquel Q. Cicéron fait allusion dans le De legibus (III, 8, fin), en pariant de la seconde naissance du Tribunal, cet enfant monstrueux de la discorde civile.
[133] Denys, VII, 17, fin.
[134] Denys, XVI, 18, fin. Nous avons remarqué que Denys traduit les sommes exprimées en as d'une livre par des sommes de drachmes, en prenant une drachme pour l'équivalent de dix as. Cette amende de cinq cent mille as devait dépasser la fortune de la plupart des riches patriciens au temps où cent mille as formaient le cens de la première classe.
[135] Tite Live, VI, 20. Manlius Capitolinus, déclaré ennemi public (perduellis), fut précipité, par les tribuns, de la roche Tarpéienne.
[136] Tite-Live, XLIII, 16. Le crime de Claudius était d'avoir fait ordonner le silence, par le héraut, dans une assemblée de la plèbe, où il était accusé par le tribun.
[137] La loi Porcia est de l'an 197 av. J.-C. Voir le procès de Claudius de 169 av. J.-C. Tite-Live, XLIII, 16, et X, 9. Salluste, Catilina, 22, 50, 52. Cicéron, Pro Rabirio, 3 et 4, et Verrines, Act. II, V, 63.
[138] Tite-Live, II, 56.
[139] Aulu-Gelle, XIII, 12. Le tribun avait le jus prehensionis.
[140] Tite-Live, III, 13. La prison publique était sur le Forum. Cæson y fut retenu (retentes in publico), et, quand il eut fourni caution, il fut relâché.
[141] Perduellis, c'était un ennemi. Le jugement de perduellion a le caractère d'une déclaration de guerre à l'agresseur de la plèbe.
[142] Le jugement de Coriolan, raconté eu détail par Plutarque (Vie de Coriolan, XVII, XVIII, XX), nous montre que, dans le jugement de perduellion, il y avait deux peuples en présence et en guerre déclarée l'un couve l'autre. Les tribuns et les édiles de la plèbe, ayant voulu arrêter Coriolan connue ennemi (perduellem), sont repoussés, et les édiles frappés par les patriciens (ch. XVII). Sicinius rassemble les tribus et déclare que les tribuns ont condamné Mucius à mort (ch. XVIII). Il ordonne aux édiles de la plèbe de se saisir de lui et de le précipiter de la roche Tarpéienne. Mais les patriciens couvrent Mucius de leurs corps, et les tribuns, voyant qu'il est impossible de tirer vengeance de lui, sans tuer beaucoup de patriciens, consentent à le faire juger par les tribus. Marcius (ch. XX) est condamné à l'exil. L'exil de l'ennemi de la plèbe était, comme la composition de cinq cent mille as, un moyen d'éviter la guerre entre le peuple de la ville et celui de la campagne. Comparez Denys. X, 31 (an 454 av. J.-C.) Le tribun Icilius veut précipiter de la roche Tarpéienne un licteur du consul, qui ai ait porté la main sur son viateur. Ce licteur s'était mis en guerre nec la plèbe. Aux yeux d'Icilius et des tribuns, il était un ennemi (perduellis).
[143] Tite-Live, VI, 38.
[144] Tite-Live, VI, 38.
[145] Denys (XVI, 18, fin) appelle cette amende : τίμημα τής είσαγγελίας. Il la porte à cinquante mille drachmes d'argent. Elle fut imposée à Postumius Megellus, vers la fin de la guerre du Samnium.
[146] Cinq cent mille as d'une livre de cuivre ; c'était le prix de cinq cents chevaux de bataille ou de cinq mille bœufs.
[147] Tite-Live, III, 13. Cincinnatus, pour obtenir la liberté provisoire de son fils Cæson, dans un procès politique semblable, n'avait pu se faire cautionner que pour trente mille as. Il vendit tous ses biens à perte pour rembourser ses garants, et ne garda que quatre jugères, ou un hectare de terre, au-delà du Tibre (Tite-Live, III, 26). Cincinnatus n'était pauvre que parce que le procès politique de son fils l'avait ruiné.
[148] Lælius Felix, dans Aulu-Gelle, XV, 27.
[149] Gaius, I, 3. Auctoritas signifie initiative de la proposition d'une loi (Voir liv. Ier, ch. II, § 3). Tite-Live (XXII, 23, fin), parlant de la proposition, qu'on agitait dans l'assemblée des tribus, de confier à Minucius un pouvoir égal à celui du dictateur, dit que la faveur du peuple était acquise à la proposition. Il n'y manquait qu'un homme pour en prendre l'initiative. Ce fut Terentius Varron qui s'en chargea. Le plébiscite, qui condamnait Cicéron à l'exil, portait en tête le nom de Sidulius, mentionné faussement comme l'auteur de la proposition (Cicéron, Pro domo sua, XXX). Celui qui se faisait adopter devant l'assemblée curiate devait porter lui-même la proposition devant les trente curies ; on lui demandait : AUCTORNE ES ut (le nom du père adoptif) in te vitæ necisque potestatum habeat ut in filio. (Ibidem, ch. XXIX et XXX).
[150] Cicéron, Pro domo sua, XIV. Comparez Tite-Live, VI, 41. Appius raisonne, comme Cicéron, dans l'hypothèse de la ruine complète du patriciat. Cicéron (pro Plancio, XX) appelle aussi auctoritas l'influence de la centurie qui vote la première.
[151] Tite-Live, III, 55.
[152] Tite-Live, VIII, 12.
[153] Tite-Live, Épitomé du livre XI. Il est impossible ici de supposer que la plèbe ait quitté Rome et le territoire des vingt-neuf tribus rustiques qui existaient alors, pour aller se fixer à demeure sur le Janicule.
[154] Pline, Hist. nat., XVI, 13, n° 10.
[155] Lælius Félix, loc. cit.
[156] Salluste, fragm. 8 des Histoires, éd. Gerlach. p. 213.
[157] Patres désigne toute l'aristocratie sénatoriale, et comprend également les nobles plébéiens et les patriciens.
[158]
Niebuhr a placé cette fusion du populus
et de la plèbe à l'époque des Décemvirs ; mais elle n'eut lieu que deux siècles
plus tard, après la première guerre punique. Cet homme de génie a trouvé le
secret de l'histoire des premiers siècles de
[159] Denys (IV, 21), après avoir décrit la constitution de Servius, ajoute : Οὗτος ὁ κόσμος τοῦ πολιτεύματος..... μεταβέβληκεν εἰς τὸ δημοτικώτερον, ἀνάγκαις τισὶ βιασθεὶς ἰσχυραῖς.
[160] Pro Sulla, ch. VII et VIII. Cicéron dit à L. Manlius Torquatus : Illud quœro, cur me peregrinum esse dixeris ? — Hoc dito te esse ex municipio (Arpinatium). — Fateor.... non possunt omnes esse patricii.... Ac si, judices, ceteris patriciis, me et vos peregrinos videri oporteret, a Torquato tamen hoc vitium sileretur. Est enim ipso a materno genere municipalis. La même opposition se retrouve à toutes les pages du Pro Sextio (ch. XV, XXV, XXVII, XLV, L, LIII, LIX, LXII). Cicéron, au chapitre XLV de ce plaidoyer, appelle le grand parti qu'il représente municipales rusticique Romani, et, au chapitre L, rerum populum, par opposition à la populace urbaine soudoyée par le patriciat.
[161] Cicéron, Pro Murena, VIII.
[162] Pro Plancio, VIII. Voir aussi les chapitres VI et IX.
[163] Tite-Live, II, 53. Comparez Denys (IV, 23, fin), sur l'introduction des affranchis dans l'assemblée curiate, au temps de Servius.
[164] Asconius, In oratione pro C.
Cornelia, s. v.
[165] Tite-Live (V, 32) dit que les hommes de la tribu et de la clientèle de Camille formaient une grande partie de la plèbe.
[166]
Tite-Live, IX,
[167]
Tite-Live, IX, 29. Diodore de Sicile, XX,
[168] Tite-Live, IX, 46.
[169] Tite-Live, Épitomé XX.
[170] Tite-Live, XLV, 15.
[171] Appien, Guerres civiles, I, 13 et 14.
[172] Appien, Guerres civiles, I, 30, appelle les partisans de Marius άγροΐκος, et ses ennemis άστυκοί, πολιτικός, όχλος.
[173] Cicéron, Oratio pro domo sua,
XXXIII.
[174] Cicéron (Pro Sextio, LIII) dit que la tribu Palatine était celle où se recrutaient les bandits de la faction du Forum.
[175]
Cicéron, Pro Sextio, XV. Pour se rendre maître du Forum, en l'absence
des Romains de la campagne et des municipes, Clodius avait fait abolir la loi
Fuira qui déclarait que les comices na pourraient avoir lieu tous les jours
fastes, et la loi Ælia qui permettait à un magistrat d'arrêter les
suffrages, en annonçant qu'il observait le ciel. Cette loi de Clodius était,
dit Cicéron, la ruine de
[176] Cicéron, De legibus, II, 2.
[177] Tite–Live, I, 60, fin.
[178] Cicéron, De Republica, II, 31.
[179] Cicéron, De Republica, II, 13, 17-18, 20, Denys, IV, 12.
[180] Denys, IV, 71.
[181] Varron, De lingua latina, IV, 32.
[182] Ampère, Histoire romain à Rome, t. II, p. 317-324.
[183] Pseudo-Asconius, In Verrem Act. II, 1. De prætura urbana, ch. 22.
[184] Ampère, Histoire romaine à Rome, t. II, p. 324.
[185] Denys, IV, 14.
[186] Denys, IV, 22, fin.
[187] Denys, IV, 23, fin.
[188] Denys, IV, 9 et 10.
[189] Denys, IV, 14 et 15. Voir les preuves à la note 6 sur le livre Ier, à la fin du volume, et Varron, L. L., IV, 8 et 9.
[190] Voir plus haut, livre Ier, ch. III, § IV. Denys, IX, 13.
[191] Denys, IV, 58.
[192] Denys, V, 20.
[193] Valère Maxime, liv. II, ch. IV, n° 5.
[194] Suétone, Vie de Tibère, 1.
[195] Lælius Félix, dans Aulu-Gelle, XV, 27.
[196] Varron, De lingua latina, liv. V, fin.
[197] Tite-Live, XXIV, 9.
[198] Denys, IV, 21.
[199]
En France, après
[200] Cicéron, De Legibus, III, 10.
[201] Cicéron, De Republica, II, 22.
[202] Festus, s. v. Viatores.
[203] Denys, VII, 64, fin, et VIII, 6 et 24.
[204] Tite-Live, II, 21. Les textes imprimés portent : Romæ tribus una et viginti factæ ; mais M. Mommsen a montré que les mots una et viginti sont une interpolation qui n'est pas conforme aux plus anciens manuscrits. Voir la note 4 au livre II à la fin du volume.
[205] Festus, s. v. Romuliam.
[206] Denys, V, 10, et Tite-Live, II, 16.
[207] Tite-Live, XXVI, 9.
[208] Festus, s. v. Lemonia.
[209] Denys, IX, 36, fin, année 473 av. J.-C.
[210] Denys, IX, 5 et 13, année 479 av. J.-C.
[211] Les légions urbaines étaient recrutées parmi les habitants de la ville, surtout parmi les affranchis (Tite-Live, XXII, ch. XI, fin).
[212] En 217 av. J.-C., aux deux légions consulaires de Cn. Servilius, il en fut ajouté deux autres, après la défaite de Trasimène, et ces quatre légions consulaires furent confiées au prodictateur Fabius (Tite-Live, XXII, 11), qui les partagea bientôt avec Minucius. La première et la quatrième échurent au général de la cavalerie ; la deuxième et la troisième à Fabius (Tite-Live, XXII, 27, fin). A ces quatre légions, on en ajouta deux urbaines, destinées a former la garnison de Rome et les troupes de la flotte d'Ostie. Il s'y trouvait beaucoup d'affranchis, parce que les affranchis étaient inscrits dans les quatre tribus de la ville (Comparez Polybe, III, 88, n° 7). En 216, on leva quatre nouvelles légions consulaires (Tite-Live, XXII, 36) qui, ajoutées aux anciennes, formèrent les huit légions de Cannes (Polybe, III, 107). Les consuls Paul-Émile et Varron avaient aussi levé deux légions urbaines, qui, après la bataille de Cannes, furent employées par Junius Pera (Tite-Live, XXIII, 14). A chaque année de là seconde guerre punique on trouve une levée semblable. Après 213 av. J.-C., on lève toujours deux légions urbaines, et, de plus, vingt mille Romains de la campagne, qui sont employés à remplir les vides des légions anciennes.
[213] Tite- Live, I, 43.
[214] Tite-Live, I, 43, dit, en parlant des tribus de Servius : Neque hæ tribus ad centuriarum distributionem numerumque quidquam pertinuere.
[215] Salluste, fragm. 8 des Histoires, éd. Gerlach, p. 213.
[216] Denys, IV, 21.
[217] Cicéron, Pro Plancio, XX.
[218] Tite-Live, I, 43.
[219] Voir plus haut, liv. II, ch. III, § 1.
[220] Cicéron, De Republica, II, 22.
[221] Cicéron, De Legibus, III, 3.
[222] Les viateurs étaient chargés de la première partie de ces opérations, qui consistait à faire une sorte de statistique ou de cadastre. Les censeurs faisaient les classifications légales.
[223] Les mots partes populi désignaient les groupes de population qui habitaient les différentes parties du territoire ou les quartiers de la ville qu'on appelait tribus urbaines. Mais les censeurs avaient le droit de faite changer un citoyen de tribu, c'est-à-dire de l'inscrire dans une circonscription qui n'était pas réellement celle de son domicile. C'est pourquoi la classification géographique des citoyens (populi partes) ne correspondait pas exactement à leur distribution dans les cadres des tribus (in tribus) sur les registres des censeurs.
[224] Tite-Live, XXIX, 37. Voir plus haut, livre II, ch. I, § I.
[225] Cette explication, qui a été donnée en partie par Pantagathus, Savigny, Niebuhr et par M. Mommsen, nous semble seule admissible. Cependant elle soulève une objection : si chaque tribu contenait cinq classes au temps de la seconde guerre punique, confluent se fait-il que les centuries prérogatives de cette époque, citées par Tite-Live (XXIV, 7 et 8, XXVI, 22, et XXVII, 6), portent des noms de tribus ? Ne serait-ce pas, qu'au temps des guerres puniques, le système des classes aurait disparu et que l'assemblée centuriate se serait confondue avec celle des tribus par la division de chaque tribu seulement eu deux centuries, une de juniores, une de seniores. Dans cette hypothèse, qui est celle de M Duruy (Histoire romaine, t. Ier, ch. XIII, § 3, p. 394-399), il faut trouver, entre les années 210 et 169 av. J.-C., un nouveau changement qui fasse reparaître les classes ; car Tite-Live parle des classes à cette dernière date (liv. XLIII, ch. 16.). M. Duruy croit découvrir la trace de cette seconde révolution, à l'année 179 av. J.-C., dans ce passage de Tite-Live (XL, ch. 51). Censores M. Æmilius Lepidos et M. Fulcius mutarunt suffragia ; regionatimque gentribus homimam, causis et quastibus tribus descripserunt. Dans ce passage obscur, Tite-Live ne parle point des classes, et il semble plutôt indiquer que les hommes des petits métiers furent inscrits comme citoyens des tribus. C'est ce que ferait croire la réaction violente de 169 av. J.-C. (Tite-Live, XLV, 15) où Sempronius Gracchus refoula tous les affranchis dans la tribu Esquiline. D'ailleurs la fusion complète de l'assemblée des tribus et de celle des centuries n'a jamais pu s'opérer, puisque les ærarii étaient dans les tribus et non dans l'assemblée centuriate. La prérogative étant toujours une centurie des jeunes gens de la première classe, il suffisait, pour la déterminer, de tirer au sort la tribu qui la fournirait et lui donnerait son nom. Cette tribu s'appelait pour cela prérogative, même dans l'assemblée où l'on ne votait pas par tribus.
[226] Tite-Live, X, 22.
[227]
Les prérogatives nommées par Tite-Live sont : l'Aniensis
juniorum (XXIV, 7 et 8, an 215 av. J.-C.),
[228] La tribu Romilia, la première des tribus rustiques, était pour cela nommée la cinquième, quinta.
[229] Tite-Live, XXIX, 37.
[230]
Pline, Histoire naturelle, XVIII,
[231] Cicéron, Pro Plancio, XX.
[232] Lettre de Salluste à César, I, ch. VII.
[233] Cicéron, Philippique II, 33. Denys fait, par anachronisme, entrer les dix-huit centuries dans l'Ovile avec le reste de la première classe, dès 457 av. J.-C. (Denys, X, 17).
[234] Tite-Live, XLIII, 16. Huit des douze centuries condamnent, en 169 av. J.-C., le censeur Appius Claudius, ennemi des publicains.
[235] Cicéron, De Republica, II, 22 ; IV, 2. Tite-Live, I, 43.
[236] Römische Forschunen S.
437. Die Patricisch-Plobejischen Comitium, Berlin,
1864.
[237] Cicéron, De Republica, IV, 2 ; II, 22.
[238] Une des soixante-dix centuries de la première classe avait déjà voté comme prérogative.
[239] Cicéron, Philippique II, 33.
[240]
Cicéron, De lege agraria, II, 9.9.
[241] D'après Aulu-Gelle (X, 28), les juniores avaient de 17 à 46 ans ; les seniores de 46 à 60. Cette assertion d'Aulu-Gelle est probablement inexacte. Trente-cinq ans était l'âge sénatorial, et plusieurs passages, l'un de Tite-Live (XXII, ch. XI, fin), les autres de Suétone (Vie d'Auguste, ch. XXXII et XXXVIII), semblent faire croire que c'était aussi l'âge des seniores. Comment les seniores auraient-ils été en même nombre que les juniores, au temps de Servius, si l'un des deux âges eût compris tous les jeunes gens de 17 à 46 ans, et l'autre, seulement les hommes de 46 à 60 ans ?
[242] Varron, De re rustica, III, 2.
[243] Gaius, I, 3.
[244] Aulu-Gelle, X, 20.
[245]
Tite-Live, III,
[246] L'identité des Ærarii et des Cœrites est attestée par Asconius, In divinatione, III, s. v. Etiam censorium nomen.
[247] On disait, de même cœrator pour curator, mœnia pour mania, œnus pour anus, fossa Clœlia pour fossa Cluilia (Cicéron, De legibus, III, 3 et 4. Aulu-Gelle, IV, 2, et XV, 11).
[248] Aulu-Gelle, XVI, 13, n° 7.
[249] Tite-Live, V, 50.
[250] Mommsen, Rœmiche Forschungen, S. 331.
[251] Tite-Live, XLV, 15.
[252] Tite-Live, XXXVIII, 36.
[253] Tite-Live, II, 44, an 478 av. J.-C.
[254] Le territoire propre de la population urbaine semble avoir été limité au premier mille hors des murs de Rome. C'est là que s'arrêtaient l'inviolabilité et le droit d'intervention des tribuns qui, à l'intérieur de ce cercle, jouissaient de tous les privilèges d'ambassadeurs de la plèbe rustique (Tite-Live, III, 20).
[255] Aulu-Gelle, XIV, 8. Valère Maxime, II, 2, n° 7.
[256] Tite-Live, XLV, 15. An 168 av. J.-C. Tite-Live, Épitomé LIX, an 132 av. J.-C. De ces deux exemples, on a conclu que, jusqu'au temps des Gracques et d'Atinius Labéon, les tribuns de la plèbe n'étaient pas sénateurs de droit. Le raisonnement n'est pas juste. Si le tribunat n'eût pas ouvert de droit les portes du Sénat à ceux qui l'obtenaient, avant l'an 168 av. J.-C., pourquoi Tremellius et Atinius Labéon se seraient-ils irrités d'être omis sur la liste des sénateurs ? Les censeurs pouvaient user envers un tribun, comme envers un ancien édile ou préteur, de leur droit de prétérition (Festus, s. v. Prœteriti). Les tribuns de la plèbe étaient, depuis le plébiscite d'un autre Atinius, qui dut suivre de près la réforme de 240 av. J.-C., investis du même droit et soumis aux mêmes formalités d'inscription que ceux qui avaient géré les magistratures curules.