HISTOIRE DES CHEVALIERS ROMAINS

 

TOME I

LIVRE PREMIER. — LES CHEVALIERS ROMAINS JUSQU'À L'AN 400 AVANT JÉSUS-CHRIST.

CHAPITRE III. — HISTOIRE MILITAIRE COMMUNE AUX DIX-HUIT CENTURIES ÉQUESTRES JUSQU'À L'AN 400 AVANT JÉSUS-CHRIST.

 

 

§ I. — LES DOUZE CENTURIES ÉQUESTRES ÉTAIENT ESSENTIELLEMENT MILITAIRES. MAIS LES SIX CENTURIES N'ÉTAIENT PAS INUTILES À LA GUERRE.

Tite-Live[1] dit que Servius Tullius, après avoir équipé et distribué par centuries l'armée de pied, leva parmi les premiers citoyens douze centuries de cavaliers. L'organisation générale des centuries par ce législateur étant présentée par l'historien latin comme essentiellement militaire, celle des douze centuries équestres, qui y correspond, devait être une institution de même nature. Ces douze cents cavaliers formaient donc la cavalerie des quatre légions qu'on mettait annuellement en campagne sous les derniers rois[2] et sous les consuls[3].

Le caractère purement militaire des douze dernières centuries équestres ressort aussi de cette circonstance , que leur création ne fut accompagnée d'aucune des cérémonies religieuses qui avaient inauguré celle des six premières. Toutefois, il ne faudrait pas en conclure que les chevaliers des six centuries ne fissent point de service dans les légions.

Jusqu'au temps de Tarquin l'Ancien Rome n'avait pas eu d'autre cavalerie, et c'est dans une guerre contre les Sabins, et pour renforcer une arme reconnue trop faible, que Tarquin avait doublé les six centuries[4]. D'ailleurs, Denys[5] et Tite-Live[6] mentionnent avant l'année 400 av. J.-C. , c'est-à-dire avant l'établissement des cavaliers equo privato, des levées de dix légions qui supposent la mise en campagne de plus de douze cents cavaliers, quand même ces légions n'auraient été que du cadre le plus restreint, ou de quatre mille fantassins et de deux cents cavaliers[7]. Dans ces levées extraordinaires, les six centuries équestres devaient donc fournir les ailes au moins de quatre légions.

A l'origine, les trente curies avaient choisi pour cavaliers trois cents jeunes gens[8]. C'est seulement après l'an 400 av. J.-C., que l'on trouve, dans les six centuries équestres, des sénateurs qui conservent, jusqu'à rage de la vieillesse, le cheval[9] que l'État leur a fourni (equum publicum).

Jusqu'à la fin du premier siècle de la République, les chevaliers des six premières centuries étaient de jeunes nobles. Ils étaient souvent appelés à un service actif dans les légions. Mais la cavalerie régulière des quatre légions de levée annuelle se composait des douze cents cavaliers des douze dernières centuries.

 

§ II. — EQUI PUBLICI. ÆS EQUESTRE. ÆS HORDEARIUM.

Tite-Live, après avoir mentionné l'enrôlement de douze centuries nouvelles de chevaliers par Servius, et le dédoublement des trois anciennes centuries en six, qui gardèrent leurs noms consacrés, ajoute[10] :

Pour acheter les chevaux, Servius fit donner par le trésor dix mille as à chaque chevalier ; et, pour nourrir les chevaux, il leur fit attribuer l'impôt des veuves qui devaient payer à chacun deux mille as par an.

Ces paroles de Tite-Live s'appliquent sans distinction aux douze centuries nouvelles, comme aux six centuries consacrées[11] ; et Cicéron[12], qui attribue à Tarquin l'Ancien l'organisation définitive des chevaliers et l'établissement de la double subvention qu'ils recevaient, supprime même toute différence entre les deux corps qui formaient les dix-huit centuries. Pour lui, les cieux mille quatre cents chevaliers sont deux moitiés d'un même corps deux fois doublé par Tarquin. Tous recevaient donc de l'État de quoi acheter un cheval, et de quoi le nourrir. Gaius, dans ses Institutes[13], nous apprend que la somme donnée par l'État pour l'achat du cheval s'appelait æs equestre, et celle qui était destinée à payer l'orge pour la nourriture du cheval, æs hordearium.

Au temps de Caton le censeur, il y avait encore deux mille quatre cents chevaliers equo publico. Car, ce nombre étant réduit à deux mille, sans doute par suite des grandes guerres d'Orient[14], il demandait au Sénat que le nombre des subventions destinées à l'achat d'un cheval (œrum equestrium) ne fût jamais au-dessous de deux mille deux cents[15]. Cette explication s'accorde avec cette pensée de Cicéron, que la chevalerie resta, jusqu'au temps de Scipion Émilien, telle que Tarquin l'avait constituée, c'est-à-dire composée de deux initie quatre cents chevaliers equo publico[16].

ÆS EQUESTRE.

L'æs equestre, c'est-à-dire la somme donnée par le Trésor pour acheter un cheval, n'était à l'origine que de mille as d'une livre (mille assariorum)[17]. L'archaïsme de la forme assariorum, dont Varron croit devoir expliquer la latinité, montre que le prix du cheval, qu'il rappelle incidemment, était en usage dans les temps anciens. Mille as d'une livre romaine, ou 327 kilogrammes 180 grammes de cuivre[18], devaient, en effet, être le prix d'un bon cheval de guerre. Aujourd'hui (août 1865), le cuivre fui avant la valeur de 245 francs les 100 kilogrammes, la quantité de métal qui composait primitivement l'æs equestre, se vendrait 800 francs, prix actuel d'un cheval de cavalerie[19].

L'æs equestre de dix mille as qui est indiqué dans Tite-Live[20], ne peut se composer d'as d'Une livre romaine (lit raies). Car, à ce compte, un cheval aurait valu 3.271 kilogrammes 800 grammes de cuivre, qui se vendraient, en 1865, plus de 8.000 francs ; et la subvention payée par l'État, pour l'achat de 2.400 equi publici, eût été de 7.852.320 kilogrammes de cuivre, qui coûteraient aujourd'hui 19.238.184 fr. Un tel prix serait exorbitant, et la richesse d'un État qui, sous Servius, ne comptait que 80.000 hommes en état de porter les armes, ne permettait pas de si fortes dépenses.

Il est évident que l'æs equestre de dix mille as, est l'équivalent de mille drachmes ou deniers[21] d'argent, de l'époque de la seconde guerre punique. Tite-Live, en écrivant les chapitres XLIII et XLIV de son livre premier, avait sous les yeux les Annales de Fabius Pictor. Ce vieil historien, contemporain et ami de Fabius le temporiseur, avait employé la langue grecque[22] ; et il devait, selon l'usage de son temps, exprimer en drachmes, les valeurs monétaires. Or, Pline nous apprend[23] que, lorsqu'en 218 av. J.-C., le Sénat fit faire des as d'une once de cuivre, il ordonna que, dans le commerce, la drachme, ou denier d'argent. fût donnée pour seize as nouveaux, mais que l'on continuât à payer la solde en as anciens de deux onces (sextantarii), en donnant un denier pour dix as.

La solde, en effet, à la fin des guerres puniques, s'appréciait en as, mais se payait en deniers d'argent ou drachmes[24]. Il devait en être de même de l'æs equestre. Tite-Live a trouvé dans Fabius Pictor, le chiffre de mille drachmes pour l'æs equestre, et il l'a traduit par dix mille as, comme eût fait un questeur militaire.

Mille drachmes, dont chacune[25] pesait 3 grammes 88 centigrammes d'argent fin, vaudraient aujourd'hui 852 francs 22 centimes, et c'est un prix un peu plus élevé de l'equus publicus, que celui où nous sommes arrivés pour l'époque antérieure aux guerres puniques. Mais il n'a rien d'exagéré ni d'invraisemblable.

Ainsi, par suite des changements qui eurent lieu dans le poids des monnaies, au milieu du IIIe siècle av. J.-C., la valeur nominale de l'equus publicus fut décuplée. Avant les guerres puniques, l'æs equestre était de mille as d'une livre de cuivre. Depuis l'époque d'Annibal, il fut de dix mille as de deux onces (sextantarii), représentés par mille drachmes d'argent. Mais la valeur effective de cette subvention publique ne fut pas décuplée, et l'on peut calculer l'augmentation réelle du prix de l'equus publicus. On l'achetait d'abord mille as d'une livre, ou 327 kilogrammes de cuivre, qui, entre les deux premières guerres puniques, valaient  327/140 = 2 kilogrammes 335 grammes d'argent, ou 519 francs[26]. A partir de 218 av. J.-C., l'æs equestre fut de mille drachmes ou de 3 kilogrammes 880 grammes d'argent, qui valent 862 francs 22 centimes. L'augmentation réelle du prix de l'equus publicus fut donc dans la proportion de 51 à 86 ou de 3 à 5. On arrive directement au même résultat en remarquant qu'a la fin de la première guerre punique[27], le Sénat fit couper les as d'une livre eu six as de deux onces (sextantarii). L'æs equestre de mille asses librales aurait dû être désormais de six mille asses sextantarii, mais il fut porté à dix mille asses sextantarii ou à mille drachmes. La valeur réelle de l'equus publicus s'éleva donc seulement dans la proportion de 6 à 10 ou de 3 à 5, tandis que la valeur nominale était décuplée et avait pour expression dix mille as au lieu de mille[28].

L'élévation de la valeur réelle venait de la quantité d'argent versée dans le commerce de l'Italie par les conquêtes romaines qui suivirent la guerre de Pyrrhus. L'élévation de la valeur nominale de l'equus publicus, produite par cette même cause combinée, avec la diminution du poids de l'as, tient à une révolution économique, dont sons trouverons plus loin d'autres preuves. Toutes les valeurs nominales[29], tous les chiffres du cens furent décuplés au siècle des guerres puniques, et ces changements correspondent à une révolution politique, dans l'organisation des classes et des centuries.

ÆS HORDEARIUM.

Tite-Live dit que pour nourrir les chevaux[30] donnés par l'État, on attribua aux chevaliers l'impôt des veuves, et Cicéron[31] y ajoute le tribut des orphelins (orborum) ; il comprend même peut-être sous ce nom les vieillards sans enfants. C'était une règle que tous ceux qui pouvaient être appelés au service militaire payassent le tribut destiné à la solde des légions. Mais les veuves, les orphelins, les vieillards sans enfants, étant incapables de servir, et pouvant être propriétaires, leurs noms étaient inscrits à part sur les registres du cens[32]. Ils étaient exempts du tribut ordinaire[33] ; mais, en revanche, leurs biens fournissaient à l'entretien de la chevalerie equo publico.

Lydus[34], contemporain de Justinien, dit que c'est à partir du siège de Véies que le trésor public fournit à la dépense des fantassins. Il ajoute : Ce qu'on appelle les capita fournit à la dépense des cavaliers. L'auteur byzantin confond la solde des cavaliers equo privato, instituée pendant le siège de Véies, avec l'æs hordearium, qui était payé depuis le temps des rois aux chevaliers equo publico.

La solde des cavaliers, comme celle des fantassins, était fournie par le trésor public. Quant à l'æs hordearium, il est possible, quoiqu'un mot de Lydus ne suffise pas pour établir cette hypothèse, qu'il ait été levé d'après le même principe qu'on appliqua plus tard à l'impôt territorial. Les capita dont parle Lydus étaient, depuis l'époque de Constantin[35], des blocs de terre d'inégale étendue, mais de valeur à peu près égale, et payant le même impôt. On peut croire que les biens des veuves, des orphelins et des vieillards sans enfants furent partagés en 2.400 parts à peu près équivalentes, et que le tribut de chacune d'elles fut affecté à la nourriture d'un cheval donné par l'État. Cette supposition s'accorderait bien avec l'expression de Tite-Live, viduæ attributæ, qui semble indiquer une assignation spéciale faite à chacun des chevaliers sur les revenus des veuves.

L'æs hordearium attribué à chacun des chevaliers equo publico était, selon Tite-Live[36], de deux mille as par an. Cette expression, d'après ce que nous avons dit de l'æs equestre, doit représenter deux cents deniers d'argent de l'époque de la seconde guerre punique, ou 776 grammes d'argent, qui valent 172 francs 44 centimes.

L'État, qui faisait donner cette somme à chacun des cavaliers equo publico pour acheter à son cheval la provision annuelle d'orge, fournissait en nature à chaque cavalier equo privato sept médimnes[37] d'orge par mois, ou par an 84 médimnes qui avaient une capacité de 372 décalitres[38].

Ces 372 décalitres d'orge devaient donc valoir, au temps des guerres puniques, 172 francs 44 centimes. Aujourd'hui (août 1865), le décalitre d'orge étant à 1 fr. 40 c., la même quantité se paierait 520 fr. 80 c. Ainsi, le pouvoir actuel de l'argent par rapport aux céréales étant pris pour unité, le pouvoir de l'argent à Rome au temps des guerres puniques serait exprimé par 520,80/172,44 = 3,02 ; c'est-à-dire que la valeur relative de l'argent a dû, si nos calculs sont justes, être en Italie, à l'époque d'Annibal, triple de ce qu'elle est de nos jours.

Or, ce résultat se trouve d'accord avec ceux où est arrivé M. Letronne. Il a démontré[39] que le prix du blé à Athènes, en 410 av. J.-C., était le tiers de ce qu'il était en France en 1817[40], et, qu'au temps de Cicéron, le pouvoir de l'argent, au lieu d'être à son pouvoir actuel dans le rapport de trois à un, comme au temps de Socrate, n'était plus que dans le rapport de 2,553 millièmes à l'unité[41]. Comme l'argent a dû s'avilir à Rome depuis le siècle d'Annibal jusqu'à celui de Cicéron, on aurait pu induire des calculs de M. Letronne, que la valeur relative de ce métal étant de 2 ½ à Rome 70 ans av. J.-C., elle a pu être de 3 en l'année 218, c'est-à-dire égale à ce qu'elle fut à Athènes en 410 av. J.-C.

Ainsi l'æs hordearium, qui fut fixé après la première guerre punique à 2.000 as, était une somme de 200 drachmes on deniers d'argent, et valait 172 francs 44 centimes.

Cette somme est trois fois moins forte que celle qu'il faudrait aujourd'hui pour acheter les 372 décalitres d'orge qui étaient donnés chaque année pour nourrir le cheval du cavalier equo prirato.

Mais, comme l'argent avait alors trois fois plus de pouvoir qu'aujourd'hui par rapport aux céréales, l'æs hordearium de 200 drachmes et la subvention en nature de 84 médimnes d'orge avaient, au IIIe siècle av. J -C., des valeurs égales[42].

Quelle était la valeur de l'æs hordearium sous Servius Tullius ? Rien ne peut nous l'indiquer directement. Mais l'analogie de l'æs hordearium et de l'æs equestre doit faire supposer que la première de ces subventions avait une valeur nominale dix fois moins forte au temps de Servius qu'au temps d'Annibal, et qu'elle était de 200 asses librales, puisqu'elle fut plus tard de 2.000 asses sextantorii.

 

§ III. — RAPPORTS GÉNÉRAUX DE LA CHEVALERIE AVEC L'INFANTERIE LÉGIONNAIRE, DE LA TURMA AVEC LA COHORTE.

Bien que l'organisation de la chevalerie ait été beaucoup plus stable que celle de la légion[43], comme les Romains n'ont eu, jusqu'à l'an 400 av. J.-C.[44], d'autre cavalerie que les 2.400 chevaliers equo publico divisés en deux groupes de 1.200 hommes, un coup-d'œil jeté sur l'ensemble de l'histoire militaire de Rome nous fera voir si nous ne nous sommes pas égaré dans cette recherche, et éclairera la route qui nous reste à parcourir.

La légion de Romulus se composait de 3.000 hommes de lourde infanterie, et chacune des trois tribus des Rhamnes, des Tities et des Luceres y envoyait 1.000 guerriers commandés par un tribun[45]. Ces 3.000 hommes, qu'on ne voit manœuvrer dans aucune bataille connue, formaient des rangs serrés semblables à ceux de la phalange macédonienne[46], et ce fut assez tard qu'on les divisa en manipules. Ovide[47], qui en qualité de poète se dispense parfois d'être exact, confond les trois rangs de la phalange de Romulus avec les trois rangs des hastats, des princes et des pilani ou triaires. Il veut que le fondateur de Rome ait partagé chacun de ces rangs en dix corps (ordines ou manipuli). Mais nous ne trouvons cette division établie qu'aux temps de la République.

Ce qui a donné lieu à cette erreur, c'est que la légion républicaine décrite par Polybe[48], est composée de 4.200 fantassins, et contient 3.000 hommes de lourde infanterie, comme la phalange du temps des premiers rois. Seulement on y a ajouté 1.200 hommes d'infanterie légère (pilani). Toutefois, chez un poète ancien qui nous parle d'une époque où la chronologie est si incertaine, on n'a guère le droit de relever un anachronisme. Les vers d'Ovide renferment même une observation très-juste et féconde en conséquences : c'est que[49] les trois cents chevaliers de Romulus, dont il fait des chevaliers equo publico, étaient partagés en dix corps comme chaque partie de l'infanterie. Eu effet, pendant toute l'histoire romaine, l'escadron de 30 hommes ou turma, dixième partie de la cavalerie légionnaire, correspondait à la cohorte composée du dixième des fantassins de la légion[50]. A la bataille de Bæcula (Baylen) livrée en 206 av. J.-C., et racontée par Polybe et par Tite-Live[51], nous voyons trois escadrons (turmas) marcher sous un mime chef avec trois cohortes[52]. Tacite[53], pour dire que le rebelle Tacfarinas (17 ap. J.-C.) sut faire observer à ses troupes la discipline romaine, emploie l'expression per vexilla et turmas componere. Or, le vexillum est le drapeau de la cohorte[54].

Pour comprendre à lien qui unit la cohorte à la turma, il suffit de regarder un instant le camp romain décrit avec tant de précision par Polybe[55]. Si l'on met ensemble les trois manipules de hastats, de princes et de triaires et l'escadron, turma, portant le même numéro d'ordre[56] dans leurs corps respectifs, et campés sur une même ligne parallèle à celle des tentes des tribuns militaires, on arrive à compose une cohorte avec sa cavalerie de 30 hommes.

Cette corrélation tient du reste à une autre cause plus profonde et plus ancienne : c'est qu'en changeant les bases du recrutement. Servius et les autres réformateurs de la milice, ne portèrent aucune atteinte à la constitution intime de la légion. C'était un principe de l'organisation militaire léguée par les rois à la République, que chaque partie de l'Etat fût également représentée dans chaque corps de l'armée[57]. Ainsi, quand furent levées les trois premières centuries de chevaliers fournies par les trois tribus anciennes, chacun des dix escadrons de 30 hommes fut composé de 10 cavaliers Rhamnes, de 10 Titius et de 10 Luceres. Varron et Festus[58] font même dériver pour cela le nom de turma d'un vieux mot, latin qui signifie triple. De même, au temps de Polybe, quand les vingt-quatre tribuns militaires procédaient au recrutement, ils faisaient paraître devant eux, quatre par quatre, les jeunes gens des trente-cinq tribus, et, ils les répartissaient également dans les quatre légions di' la levée nouvelle[59].

De ces observations on peut tirer les conclusions suivantes :

La chevalerie romaine avec ses centuries en nombre multiple de trois ; ses escadrons de 30 hommes commandés chacun par trois décurions, était organisée sur le modèle de la triple cité de Romulus. Au contraire, l'ancienne infanterie, avec ses quatre classes de phalangites[60], ses quatre légions de levée annuelle, ses quatre légions de jeunes gens de la réserve appelées légions urbaines[61], rappelait les quatre tribus de la ville de Servius.

Malgré cette différence de plan et d'origine, l'analogie entre la chevalerie et l'infanterie provenait d'un principe commun de composition : la centurie de fantassins se composa par quart des contingents des quatre tribus serviennes : et la décurie de chevaliers ; en se triplant, constitua la turma, qui représentait les trois tribus de Romulus. L'infanterie et la chevalerie purent se combiner dans le m'élue système militaire par une autre raison : c'est que les trois cents chevaliers de la légion étaient divisés en dix corps ; comme chaque rang de l'infanterie. Cette division analogue prépara l'association, qui se fit plus tard, de la turma et de la cohorte, pour former un corps dix fois plus petit que la légion, mais qui en contenait tous les éléments.

 

§ IV. — HISTOIRE DE LA LÉGION AUX PREMIERS SIÈCLES DE ROME, CONSIDÉRÉ DANS SES RAPPORTS AVEC LES DIX-HUIT CENTURIES DE CHEVALIERS.

Le nombre de quatre légions formait, dit Polybe, la division générale el primitive des armées romaines[62]. Tous les ans on mettait en campagne quatre légions nouvelles. Chaque consul en commandait ordinairement deux[63], et cet usage, dont nous trouverions des preuves à chaque page de l'histoire de Tite-Live[64], depuis l'époque d'Annibal. était déjà établi au premier siècle de la République.

En l'an 446 av. J.-C., le consul Valerius va combattre les Eques et les Volsques sur l'Algide[65] avec la moitié de l'armée nouvellement enrôlée. Son collègue Horatius mène le reste contre les Sabins, et il se trouve sous ses ordres six cents chevaliers, nombre ordinaire de la cavalerie de deux légions[66].

C'est à Servius Tullius qu'il faut faire remonter l'usage de mettre sur pied, chaque année, quatre légions de cinq mille fantassins et de trois cents cavaliers[67] ; de tenir en réserve dans les centuries civiles des juniores, un effectif suffisant pour en armer facilement quatre autres ; et de former des seniores les cadres de huit antres légions destinées à la défense de Rome et des places[68]. Cette distribution des forces militaires explique et la constitution des centuries de Servius, et l'emploi des 2.400 chevaliers auxquels ce législateur avait fait donner des chevaux par l'Etat.

Tant que le recrutement eut pour base les trois tribus des Rhamnes, des Tities et des Luceres, qui étaient trois races[69], il y eut trois rangs de mille hommes dans la phalange romaine, ou armée civile[70], la tête de laquelle étaient trois tribuns. Lorsque Servius eut substitué à la distinction des trois races la division en quatre tribus locales[71], la Suburane, la Colline, l'Esquiline et la Palatine, la phalange eut quatre rangs au lieu de trois[72], et les hommes de la cinquième classe formèrent une infanterie légère combattant hors des rangs. Ce furent plus tard les pilani. On peut croire que chacune des quatre tribus[73] fournissait 250 hommes à chaque rang de l'armée active divisé en dix centuries militaires. Dans la phalange et dans l'armée active les rangs étaient égaux, et pourtant ici les hommes du premier rang, c'est-à-dire la classe la plus riche, formaient quatre-vingts centuries politiques, quarante de jeunes gens et quarante d'anciens, tandis que la seconde, la troisième et la quatrième classes ne comptaient chacune que vingt centuries[74], et devaient pourtant remplir le second, le troisième et le quatrième rangs. Ne faut-il pas en conclure que chaque centurie politique des classes moyennes était quatre fois plus nombreuse qu'une centurie de la première classe ? Autrement, on ne pourrait constituer avec toutes les centuries politiques un certain nombre de légions complètes ; l'on serait forcé de supposer que, dans la Rome de Servius, les riches auraient formé à eux seuls plus de la moitié de l'armée, et que les grandes fortunes étaient plus nombreuses que les médiocres.

Denys nous explique la raison de l'inégalité des centuries politiques[75] : Tous croyaient participer également aux droits politiques, puisqu'on demandait à chacun son avis dans sa centurie. Mais ils se trompaient. Car chaque centurie n'avait qu'une voix collective, qu'elle renfermât un grand nombre de citoyens, ou qu'elle en renfermât peu.

Admettons donc la proportion de quatre citoyens dans chaque centurie politique des classes moyennes, pour un dans celles de la première. Nous compterons clans chaque centurie politique de la première classe deux cents[76] citoyens en état de porter les armes, et nous aurons, pour les 80 centuries de cette clisse, 16.000 hommes.

Les trois classes suivantes, contenant chacune vingt centuries de huit cents hommes[77], contiendront trois fois autant de citoyens, soit 48.000 hommes ; et si à ces 64.000 phalangites[78], nous ajoutons 16.000 hommes pour les trente centuries de la cinquième classe, qui combattait hors des rangs, nous arrivons au chiffre de 80.000 hommes en état de porter les armes.

C'est le nombre que Tite-Live mentionne, d'après Fabius Pictor, comme le résultat du cens de Servius Tullius[79].

Les 40.000 jeunes gens (juniores) pouvaient former huit légions de 5.000 hommes, dont quatre destinées à la levée annuelle, et quatre étaient la réserve capable de faire campagne. Les 40.000 hommes des centuries d'anciens (seniores) étaient distribués dans les cadres de huit légions chargées de la garde des murs. Telle est, du moins, la pensée des auteurs de l'antiquité. Denys[80] dit que, lorsque Servius avait besoin de dix mille ou de vingt mille hommes, c'est-à-dire de deux ou de quatre légions de 5.000 fantassins, il partageait entre les centuries politiques le nombre total, et demandait à chacune son contingent. Le même auteur[81] compte, dans la guerre de Véies, de l'an 479 av. J.-C., quatre légions recrutées à Rome, et quatre légions envoyées par les colonies et les villes soumises. Les quatre légions annuelles ordinairement fournies par les tribus rustiques, avaient été mises en campagne, avec les quatre légions urbaines de la réserve.

Nous avons déjà vu les quatre légions consulaires conduites par Horatius et Valerius dès 446 av. J.-C. Les quatre légions des jeunes gens de la réserve paraissent moins dans l'histoire, parce que le plus souvent leur service n'est pas nécessaire. Mais il reste toujours à Rome un consul, on. en l'absence des consuls, un préfet de la ville ; quelquefois un tribun militaire, pour les armer au besoin[82]. Un fait curieux, rapporté par Tite-Live[83], nous révèle encore plus directement leur existence que le cens de Servius.

Des trois tribuns militaires de 416 av. J.-C., L. Sergius Fidenas, M. Papirius, et C. Servilius, le dernier est désigné pour la préfecture de la ville (qui præesset urbi). Sergius Fidenas et Papirius se chargent de conduire les légions contre les Eques et les habitants de Lavicum. Le Sénat décide que le recrutement ne se fera pas dans le peuple tout entier. On tire au sort dix tribus, parmi lesquelles les deux tribuns choisissent les jeunes gens qu'ils mènent à la guerre. Sergius et Papirius, qui avaient pouvoir consulaire, ont dû, selon l'usage des consuls, mettre en campagne quatre légions ; et, comme il avait alors vingt ou vingt et une tribus[84], les jeunes gens des dix ou onze tribus, qui n'avaient pas été soumises au recrutement, ont dit former quatre légions de réserve. Servilius, tribun préposé au commandement de la ville, les arma, en effet, pour secourir ses collègues[85].

Enfin, au temps où Rome pouvait armer plus de huit légions de jeunes gens, l'usage se conserva de tenir, dans les grands dangers, derrière les quatre légions consulaires, quatre légions urbaines de réserve à la disposition du Sénat.

En 172 av. J.-C., les deux consuls, Licinius et Cassius[86], se partagent les légions de la levée nouvelle.

Licinius, avec la première et la troisième, passe en Macédoine pour combattre Persée ; Cassius, avec la seconde et la quatrième, reste en Italie, pour surveiller Carthage et la Grèce. Mais l'Orient tout entier s'agite. Trente mille Bastarnes remontent le Danube. L'Espagne, la Sardaigne, la Corse, la Cisalpine, l'Istrie, viennent à peine d'achever leur soumission, et les Ligures, contre lesquels on a été obligé d'envoyer deux consuls, dix ans auparavant, résistent encore dans leurs montagnes. Le Sénat comprend que la crise est décisive, et il ordonne au préteur C. Sulpicius Galba d'enrôler quatre légions urbaines, avant un effectif complet de fantassins et de cavaliers[87] Sur les vingt-quatre tribuns militaires, quatre devaient être choisis dans le Sénat, pour que chaque légion urbaine fût dirigée par un sénateur.

Il y eut donc, depuis Servius Tullius jusqu'à l'an 400 av. J.-C., huit légions de jeunes gens (juniorum), dont quatre étaient ordinairement appelées à faire campagne : quatre restaient en réserve, à la, disposition du Sénat, et étaient, au besoin, mises en mouvement par le préfet de la ville. A côté de ces huit légions, se rangent naturellement les 2.400 chevaliers equo publico, institués par Tarquin ou par Servius, seule cavalerie romaine jusqu'à l'an 400 av. J.-C. Chacune des huit légions comptait trois cents cavaliers[88].

Les 1.200 cavaliers des douze dernières centuries équestres, ces corps essentiellement militaires, créés sans consécration augurale[89], formèrent, jusqu'à l'an 400, la cavalerie permanente des quatre légions consulaires[90].

Les six centuries consacrées furent la cavalerie des légions de la réserve. Tirées de la population urbaine des curies[91], elles étaient naturellement adjointes aux légions urbaines recrutées parmi les clients et les affranchis de Rome[92].

Composées de lits de sénateurs et de patriciens, elles cessèrent, après l'an 400, de servir en corps dans les légions où les cavaliers equo privato les remplacèrent ; mais chaque légion urbaine de réserve devait encore, en 172 av. J.-C., avoir un sénateur parmi ses tribuns militaires. Les chefs des légions urbaines étaient donc choisis dans ces mêmes familles qui remplissaient les six centuries équestres.

Comme les quatre légions de réserve n'étaient pas toujours appelées il servir, et qu'après l'an 400 av. J.-C., les six centuries équestres furent dispensées de les accompagner, ces centuries mirent dans tous les temps à la disposition des chefs militaires une brillante élite de chevaliers nobles, où ils pouvaient choisir des lieutenants (legati), des préfets de la cavalerie, comme Servius Sulpicius[93], des préfets d'un ou de plusieurs escadrons, comme T. Manlius[94], fils du consul de l'an 337 av. J.-C. C'est sans doute des six centuries que sortait le tribun militaire Cornelius Cossus, lorsqu'il remporta, dans un combat à cheval, les secondes dépouilles opimes sur un roi étrusque[95]. Enfin, c'était dans les six centuries qu'on devait choisir ces chevaliers qui souvent accompagnaient un sénateur dans une ambassade[96].

Malgré l'éclat de ces emplois civils et militaires qui illustraient personnellement quelques-uns de leurs membres, les six centuries équestres, attachées à des légions de réserve, dont le commandement était méprisé[97], tombèrent dans une situation de véritable infériorité politique vis-à-vis des douze centuries, moins nobles par leur origine, mais toujours associées en corps[98] aux travaux et à la gloire des légions consulaires.

 

§ V. — ARMEMENT ET MANIÈRE DE COMBATTRE DES CHEVALIERS.

Denys[99] dit que les chevaliers institués par Romulus, étaient les premiers à l'attaque et les derniers à la retraite, qu'ils servaient à cheval dans les plaines ouvertes, à pied sur les terrains rudes et impraticables aux chevaux. Ils formèrent une cavalerie légère, depuis l'époque des rois, jusqu'aux guerres d'Annibal. Polybe dit que c'est aux Grecs qu'ils empruntèrent une lance plus forte et un bouclier plus solide[100].

Voici comment il décrit leur armement :

Aujourd'hui, les cavaliers romains s'arment à la façon des Grecs. Autrefois ils n'avaient point de cuirasse et combattaient avec un vêtement serré au corps ; aussi étaient-ils toujours prêts à descendre de leur cheval, ou à y remonter d'un saut. Mais, dans les rencontres, le manque d'armes défensives les exposait à bien des dangers. Leurs lances avaient deux défauts : comme elles étaient légères et fragiles, ils ne pouvaient guère viser le but qu'ils voulaient atteindre, et, avant que la pointe fût appuyée, le mouvement du cheval suffisait à les ployer et à les rompre. De plus, comme elles n'étaient pas munies par le bas d'un sabot de fer aiguisé, elles ne pouvaient servir qu'une fois pour frapper avec la pointe, et, brisées du premier coup, elles étaient hors d'usage. Quant à leurs boucliers longs[101], ils étaient de cuir de bœuf et de la forme des gâteaux bombés qu'on met sur la chair des victimes. Ils ne servaient guère à repousser les projectiles, à cause de leur peu de solidité, et, lorsque les pluies les avaient dépouillés ou détrempés, ils ne pouvaient plus être d'aucun service. C'est pourquoi les Romains empruntèrent aux Grecs leur armement  car ils ont plus qu'aucun autre peuple cette qualité de changer leurs habitudes pour imiter celles des étrangers, lorsqu'elles valent mieux.

Il est probable que ce changement qui rendit la cavalerie plus forte, mais moins agile, ne fut pas beaucoup antérieur à la création des velites, soldats d'infanterie légère, dont trente montaient en croupe derrière les trente cavaliers de la turma, et sautaient à bas des chevaux pour lancer des javelots à la cavalerie ennemie[102]. Jusqu'à la seconde guerre punique, le cavalier romain employait à lui seul les deux manières de combattre : ou bien, dans une charge à cheval, il frappait l'ennemi de sa lance, assez légère pour servir au besoin d'arme de jet ; ou bien, il sautait en bas de sa monture pour tirer l'épée[103].

Dans les premiers temps, le cavalier, au lieu du bouclier long, dont il était chargé au temps de Polybe, portait la parma qu'il transmit plus tard au velite. C'était un bouclier rond et assez léger, de trois pieds de diamètre[104], fait de bois, de cuir ou même d'osier[105]. Le velite fut donc comme le dédoublement du cavalier, quand celui-ci, muni d'armes plus pesantes, ne fut plus en état de combattre à pied.

Les combats des premiers chevaliers romains ressemblent souvent aux rencontres des chevaliers du moyen âge. Brutus et Aruns croisent leurs lances comme deux paladins[106] et se percent ions deux en même temps à travers leurs boucliers[107] rompus. Dans le duel de Titus Manlius et de Geminus Metius de Tusculum[108], rien ne manque à l'analogie, ni le défi, ni le champ clos entouré de chevaliers devenus spectateurs, ni les passes du tournoi que le Romain termine à son avantage par un coup que la loyauté des contemporains de Philippe-Auguste eût désapprouvé : Manlius frappe la tête du cheval de son adversaire.

Le combat change d'aspect lorsque les chevaliers quittent leurs montures pour se transformer en une infanterie d'élite, qui donne au moment décisif. C'est ainsi que les chevaliers gagnèrent la bataille du lac Régille (496 av. J.-C.)[109]. Cette victoire fut si glorieuse pour les chevaliers, que le dictateur Postumius voua un temple à Castor, le dompteur de chevaux[110]. Douze ans après, son fils en fit la dédicace, le 15 juillet 484[111], et l'anniversaire du 15 juillet fut célébré par une fête militaire et religieuse[112] à laquelle le censeur Q. Fabius ajouta, en 302 av. J.-C., le défilé solennel de la chevalerie[113]. Dans la bataille, les esclaves écuyers ramenèrent aux chevaliers leurs chevaux devant le front de bataille, afin qu'ils pussent, par une charge, achever la déroute des Latins[114]. Quelquefois, les chevaliers, après avoir rétabli la bataille au centre, en combattant à pied, se retiraient par les intervalles qui séparaient les manipules[115], pour remonter sur les chevaux que leurs esclaves tenaient tout prêts ; et ils se reportaient sur les ailes. Chaque cavalier menait avec lui en guerre, pour faciliter ces évolutions, au moins un esclave chargé de seller et de nourrir le cheval[116]. La triple ration de blé que recevait en campagne le cavalier romain[117] fait même penser qu'il nourrissait deux esclaves, un écuyer et un palefrenier.

Une manœuvre semblable à celle de la journée de Régille valut à Horatius. consul en 446, une victoire sur les Sabins[118]. Enfin, en l'année 420 av. J.-C., Sex. Tempanius, décurion de chevaliers, sauva le consul Sempronius d'une défaite, en faisant descendre de cheval les quatre cents chevaliers de deux légions[119]. Il en forma une cohorte[120] où A. Sullius, Sex. Antistus et Sp. Icilius prirent le rang des trois centurions en chef, et Tempanius, celui du vexillaire. La cohorte armée de la parma se fit jour à travers les Volsques.

On ne peut expliquer que par cette habitude de quitter les chevaux dans les occasions décisives, l'exploit qui fit donner aux chevaliers le nom de Trossuli[121]. Ils prirent à eux seuls, et sans le secours des fantassins, la ville étrusque de Trossulum, située à neuf milles en deçà de Vulsinies : et cette ville est probablement la même que celle de Troilium, emportée en 293 av. J.-C. par le consul Carvilius[122]. Il n'était pas rare de voir des chevaliers monter à l'assaut d'une place, puisque Pline rapporte que Manlius Capitolinus fut le premier chevalier romain qui remporta une couronne murale[123].

A la Trébie, en 218[124], les velites combattirent aux ailes, à côté des cavaliers romains. Déjà ils avaient paru au Tésin[125] ; mais ils n'étaient sans doute encore que les anciens jaculatores, puisque les chevaliers, dans ce combat, descendirent presque tous à pied pour soutenir les fantassins. Cette manœuvre au Tésin ne produisit que du désordre.

A Cannes (216 av. J.-C.), elle amena un désastre ; elle permit aux cavaliers numides d'envelopper l'armée romaine. Annibal, voyant le consul romain donner à ses cavaliers l'ordre de mettre pied à terre, s'était écrié : J'aimerais bien mieux qu'il me les livrât enchaînés. En effet, la plus grande partie resta sur le champ de bataille.

Ces cruelles expériences furent les motifs qui décidèrent les Romains à tenir toujours leurs cavaliers à cheval, à renforcer leur armure et à faire monter derrière eux les l'Ales, qui se portaient ainsi rapidement sur le front de l'armée. La chevalerie romaine fut donc, depuis le temps des rois jusqu'à la seconde guerre punique, une cavalerie légère qui, dans la même bataille, pouvait combattre à pied ou à cheval. Ce fut au temps d'Annibal que les cavaliers romains empruntèrent aux cavaliers grecs leurs armes pesantes, et perdirent en agilité ce qu'ils gagnaient en force ; ce changement leur fit adjoindre l'infanterie légère des velites[126] (212 av. J.-C.).

 

 

 



[1] Tite-Live, I, 43.

[2] Denys, IV, 19.

[3] Tite-Live. XLII, 31. Polybe, VI, 19.

[4] Tite-Live, I, 36.

[5] Denys, VI, 42, et XI, 23.

[6] Tite-Live, II, 30, et III, 41.

[7] Polybe, III, 107.

[8] Denys, II, 13.

[9] Tite-Live, XXIX, 37, et XXXIX, 44.

[10] Tite-Live, I, 43.

[11] Naudet, dans son livre de La noblesse chez les Romains (§ II, p. 29 et suiv.), dit que les chevaliers des six centuries recevaient seuls le cheval payé par l'État. Nous n'avons trouvé dans les auteurs anciens aucune preuve à l'appui de cette distinction.

[12] Cicéron, De Republica, II, 20.

[13] Institutes de Gaius, IV, 27, éd. Gœschen, Berlin, 1842.

[14] Charisius, I, 97 : Cato, ut pluva æra equestria fiant : de œribus equestribus de duobus millibus actum.

[15] Caton, Veterum oratorum fragmenta, par H. Meyer, réédition de M. Dübner, Paris, 1837. Fragm. 81, p. 190. Oportere institui, ne quo minus duobus millibus ducentis sit œrum equestrium. C'est l'ancienne leçon aimée par Gronovius, De pecunia veteri, p. 123. Voir à la fin du volume la note 3, au livre Ier.

[16] Cicéron, De Republica, II, 20.

[17] Varron, De Lingua latina, VII, 38. Charisius, I, p. 58. Denys (IX, 27), parlant de l'amende imposée au consulaire Menenius, en 176 av. J.-C., dit qu'elle était de 2.000 as. (Voir, sur la valeur de l'assarius, la note 7, au livre 1er, à la fin du volume.)

[18] La livre romaine était, selon M. Letronne, Considérations générales sur l'évaluation des monnaies grecques et romaines, de 327 grammes 18 centigrammes ; selon M. Guérard, Proleg. au polyptique d'Irminon, de 326 grammes ; et, selon M. Mommsen, Histoire Romaine, de 327 grammes 46 centigrammes.

[19] La valeur relative du cuivre à l'argent est aujourd'hui de 1/100 ; elle était de 1/142 au temps des guerres puniques. 327 kilogrammes de cuivre auraient valu, au temps d'Annibal, seulement 519 francs.

[20] Tite-Live, I, 43.

[21] Pline, Hist. nat., liv. XXI, ch. 109, n° 34. Drachma Attica denarii argentei habet pondus. Comparez Celse, V, 17.

[22] Denys, I, 6.

[23] Pline, Hist. nat., XXXIII, 13.

[24] Polybe, I, 39, n° 12. La solde du fantassin était de 1.200 as, qui se payaient par 120 drachmes d'argent.

[25] Letronne, Considérations générales sur l'évaluation des monnaies grecques el romaines, 1817, Conclusions. La drachme ou le denier est évaluée à un peu plus de 73 grains ½ d'argent fin. Il y avait un peu plus de 85 drachmes dans la livre romaine de 327 grammes ou de 6,154 grains.

[26] M. Letronne (Considérations générales sur l'évaluation des monnaies grecques et romaines, page 17) fixe la valeur du cuivre relativement à celle de l'argent, dans l'intervalle des deux premières guerres puniques, à 1/140, Bœckh, dans ses Recherches métrologiques, fixe ce rapport à 1/139.

[27] Pline, Hist. nat., XXXIII, 13.

[28] M. Zumpt, dans son mémoire intitulé : Uber die Rœmischen Ritter und den Ritterstand in Rom, lu à l'Académie de Berlin en mai et juin 1839, a déjà donné cette démonstration. Nous l'avons seulement précisée par des chiffres tirés de la valeur des monnaies romaines.

[29] Une dénonciation importante était payée par le Sénat dix mille as d'une livre en 416 av. J.-C. (Tite-Live, IV, 45). Elle était payée cent mille as de deux onces en 186 av. J.-C. Tite-Live, XXXIX, 19.

[30] Tite-Live, I, 43.

[31] Cicéron, De Republica, II, 20.

[32] Tite-Live, III, 3.

[33] Plutarque, Vie de Publicola, XII.

[34] Lydus, De magistratibus romanis, I, 46.

[35] Baudi de Vesme, Mémoire sur les impôts de la Gaule.

[36] Tite-Live, I, 43.

[37] Polybe, VI, 39.

[38] M. Letronne (Considérations générales sur l'évaluation des monnaies grecques et romaines) fixe la capacité du médimne à 7/24 du setier de 151 litres 40, c'est-à-dire à 44 litres 16 centilitres.

[39] Letronne, Ibid., page 117. Voir à la fin du volume la note 5, au livre Ier.

[40] Le blé valait, en 1817, 16 francs 43 centimes l'hectolitre. C'est à peu près le même prix qu'en 1865.

[41] Letronne, Ibid., p. 119. Tableau des valeurs de l'or el de l'argent par rapport au blé.

[42] On pourrait s'étonner que l'æs equestre fût équivalent à cinq fois l'æs hordearium, c'est-à-dire qu'il fallut employer pour l'achat d'un cheval la somme nécessaire pour le nourrir pendant cinq ans. Cela prouve la rareté et la cherté des chenaux dans la vieille Italie. Les Romains n'attachaient que trois cents cavaliers à une légion de cinq mille hommes. Le cheval coûtait, au premier siècle de la République, mille as d'une livre, tandis que le bœuf, d'après les estimations de la loi Aternia de l'an 453 av. J.-C., ne valait que cent as, et la brebis dix as. Lege Aternia constituti sunt in oves singulas œris deni, in boves œris centeni. Aulu-Gelle, XI, 1. (Comparez Festus, s. v. Peculatus). Aujourd'hui un bon cheval ne vaudrait pas dix bœufs, il en vaudrait tout au plus quatre.

[43] Mommsen, Les tribus romaines (Altona, 1844, page 49, remarque 141).

[44] Tite-Live, V, 7.

[45] Varron, IV, 16, et V, 81.

[46] Tite-Live, VIII, 8.

[47] Ovide, Fastes, liv. III, vers 127 et suivants.

[48] Polybe, VI, 21.

[49] Ovide, Fastes, III, v. 127 et suivants : Legitimo quique merebat equo.

[50] Cincius, De re militari, dans Aulu-Gelle, XVI, 4.

[51] Polybe, XI, 23, et Tite-Live, XXVIII, 14. Schweighæuser a voulu corriger ici Tite-Live par Polybe. Mais les deux écrivains sont d'accord. Ils parlent tous deux de trois cohortes et non de trois manipules.

[52] Comparez Cicéron, Pro Marcello, ch. 2. Ex ista laude.... NIHIL COHORS, NIHIL TURMA decerpit.

[53] Tacite, Annales, II, 52.

[54] Tacite, Annales, I, 34 : Vexilla prœferri ut id saltem discerneret cohortes.

[55] Polybe, VI, 27.

[56] Il y a, dans la légion, dix turmœ de cavaliers, dix manipules de triaires, dix de princes, dix de hastats. On peut en former dix cohortes contenant chacune quatre corps, un de chaque arme. Chaque peuple allié d'une ville italienne fournissait, comme contingent, une cohorte et une turma. Tite-Live, X, 33, XXII, 42, XXV, 14, XLIV, 40, XXIII, 17, XXIII, 7, XXIII, 19.

[57] Nous empruntons cette remarque à M. Mommsen. Elle s'applique fort bien à la chevalerie.

[58] Varron, De lingua latina, IV, 16. Festus, s. verbo, Turmam.

[59] Polybe, VI, 20.

[60] Denys, IV, 18. La cinquième classe formait l'infanterie légère servant hors des rangs.

[61] Tite-Live, XLII, 32, 35 et 49. Denys, IX, 5.

[62] Polybe, VI, 19.

[63] Polybe, VI, 26.

[64] Tite-Live, XL, 1, et XLII, 31.

[65] Tite-Live, III, 60.

[66] Tite-Live, III, 62 : equites duarum legionum, sescenti fere.

[67] Tite-Live, VIII, 8 : scribebantur quattuor fere legiones quinis milibus peditum, equitibus in singulas legiones trecenis.

[68] Tite-Live, V, 10 : seniores coacti nomina dare ut urbis custodiam agerent.

[69] Denys, IV, 14.

[70] Il est clair que la phalange de Romulus à trois rangs de mille hommes et celle de Servius à quatre rangs, subdivisée en centuries très-inégales, et formée d'après le principe du cens, ne sont pas des armées propres à entrer en campagne. L'armée civile, URBANUS EXERCITUS, (Varron, VI, 93. Tite-Live, XXXIX, 15) ne présentait sine des cadres d'où l'on tirait une armée active tout autrement distribuée.

[71] Denys, IV. 14, Varron, V, 45.

[72] Denys, IV, 17, et IV, 22.

[73] M. Mommsen (Les tribus romaines, Altona, 1841, p. 4 et 5) prouve qu'il n'y avait que quatre tribus sous Servius. Voir, à la fin du volume, la note 6, au livre Ier, où la démonstration est complétée.

[74] Denys, IV, 16 et 17. Tite-Live, I, 43.

[75] Denys, IV, 21.

[76] Une centurie politique de 200 juniores pouvait fournir 25 hommes à chacune des quatre légions actives et des quatre légions de réserve, de façon que chaque centurie militaire fut composée par quart, des jeunes gens des quatre tribus.

[77] Sur les dix centuries politiques de 800 juniores dans une classe moyenne, deux centuries et demie, c'est-à-dire 2.000 hommes ; devaient appartenir à chaque tribu. Les cinq classes de juniores d'une tribu fournissaient 10.000 hommes, c'est-à-dire l'effectif de deux légions. Le nombre de quatre légions étant, selon Polybe, la division primitive et générale de l'armée, on voit pourquoi les tribus entrèrent dans la cité deux par deux, quatre par quatre, ou même seize à la fois, en 494  (selon M. Mommsen.)

[78] Denys, IV, 18.

[79] Tite-Live, I, 42. Denys (IV, 22) porte le nombre des citoyens à 84.760, d'après les tables des censeurs.

[80] Denys, IV, 19.

[81] Denys, IX, 5. Les quatre légions des colonies et des villes soumises sont bien celles des tribus rustiques. Car le contingent des Latins et des Herniques est compté à part des huit légions. Comparez Denys, IX, 13.

[82] Tite-Live, III, 5, 6 et 8.

[83] Tite-Live, IV, 36.

[84] Denys, VII, 64, VIII, 6. Tite-Live, II, 21, et V, 30. La vingt-et-unième tribu, la Crustumine, fut ajoutée avant 392 av. J.-C. Tite-Live précise les dates de l'admission des quatorze dernières tribus, qui eut lieu de 386 à 241 av. J.-C.

[85] Tite-Live, IV, 46.

[86] Tite-Live, XLII, 32, 35 et 49.

[87] A cette époque les cavaliers equo privato avaient remplacé les chevaliers equo publico dans les ailes des légions.

[88] Tite-Live, III, 62.

[89] Tite-Live, I, 43

[90] Voir plus haut, ch. III, § I, fin.

[91] Voir plus haut, ch. II, § II, n° 2.

[92] Tite-Live, XXVII, 7 et 8. XXII, 11. Denys, IX, 13. Aτν μν γρ τν κ τς πλεως ωμαων κρατστη τε κα πλεκτος κμ δισμυρων μλιστα πεζν γνετο, κα τν συντεταγμνων τος ττταρσι τγμασιν ππων μο τι χιλων κα διακοσων, ποκων δ κα συμμχων τρα τοσατη, an 479 av. J.-C.

[93] Tite-Live, III, 70.

[94] Tite-Live, VIII, 7.

[95] Tite-Live, IV, 19.

[96] Tite-Live, IV, 52.

[97] Tite-Live, IV, 45. C'est ainsi que l'arrière-ban devint ridicule en France, et le commandement de l'arrière-garde était dédaigné.

[98] Jusqu'à l'an 400 av. J.-C.

[99] Denys, II, 13.

[100] Polybe, VI, 25.

[101] Scuta.

[102] Tite-Live, XXVII, 4.

[103] Tite-Live, IX. 12, combat de Saticula.

[104] Polybe, VI, 22. Comparez Tite-Live, XXXVIII, 21.

[105] Fragment de Salluste dans Nonius, 18.

[106] Tite-Live, II, 6. Comparez le duel de Claudius Asellus et du chevalier campanien Jubellius Taurea (XXIII, 46 et 47), et celui de Crispinus et du campanien Badius (XXV, 18).

[107] Parmas.

[108] Tite-Live, VIII, 7. Comparez un combat de cavalerie dans l'Enéide, liv. XI, v. 596, etc.

[109] Tite-Live, II, 20.

[110] Les Dioscures étaient les patrons célestes de la chevalerie romaine. Tite-Live, II, 20.

[111] Tite-Live, II, 42.

[112] Denys, VII, 71 et 72.

[113] Tite-Live, IX, 46. Suétone, Vie d'Auguste, 38.

[114] Tite-Live, II, 20.

[115] Tite-Live, III, 63.

[116] Tite-Live, XXII, 42. Aulu-Gelle, liv. IV, ch. XX, n° 11.

[117] Polybe, VI, 39, 13 et 14. La ration du fantassin était des deux tiers d'un medimne de blé par mois. C'est un peu moins de trente litres de blé, pour lesquels on obtiendrait aujourd'hui de quarante-deux à quarante-cinq livres de pain. C'est la ration d'une livre et demie de pain par jour, qui est celle de nos soldats. Le cavalier latin avait one ratina de pain double ; le cavalier romain, une ration triple. L'un nourrissait un esclave, l'autre deux.

[118] Tite-Live, III, 62.

[119] Tite-Live, IV, 38, 39, 42.

[120] La cohorte était de 400 hommes. Tite-Live, VII, 7, et IV, 39. La légion comptait tantôt 300, tantôt 200 cavaliers. Polybe, III, 107.

[121] Pline, Hist. nat., XXXIII, ch. 9.

[122] Tile-Live, X, 46.

[123] Pline, Hist. nat., VII, 29.

[124] Tite-Live, XXI, 55.

[125] Tite-Live, XXI, 46.

[126] Varron, De lingua latina, V, 82. Magister equitum, quod summa potestas hujus IN EQUITES ET ACCENSOS. Les velites ou jucalutores étaient les anciens accensi, les hommes de la cinquième classe combattant hors des rangs. Tite-Live, I, 43.