HISTOIRE DES CHEVALIERS ROMAINS

 

TOME I

INTRODUCTION.

 

 

SECONDE ÉPOQUE DES ROIS. — LES TARQUINS ET SERVIUS TULLIUS.

 

Des chefs de cavaliers mercenaires, qui vinrent de l'Etrurie se mettre au service des rois de Rome, méritèrent par leurs exploits de leur succéder. Ce furent les deux Tarquins et Servius Tullius que l'histoire Etrusque appelait Mastarna. Les Tarquins semblent originaires de la vieille ville pélasgique ou grecque de Cortone[1]. Là s'était réfugiée et maintenue la race des Pélasges-Tyrrhènes lorsqu'ils durent céder les plaines de l'Arno et de l'Ombrone aux conquérants Rhasènes, descendus des montagnes de la Rhétie. L'ancien nom pélasgique de Cortone, Corythus, a fait imaginer plus tard à quelque Grec érudit l'histoire d'un Demarate de Corinthe, qui aurait quitté sa patrie au temps de l'exil des Bacchiades pour venir s'établir à Tarquinies. Mais on peut suivre cette famille des Tarquins descendant de la citadelle pélasgique de Corythe ou de Cortone, située au nord du lac de Pérouse, pour venir habiter les cités presque helléniques situées entre le Tibre et la Marta ; Tarquinies, près de laquelle on a découvert la nécropole de Voici pleine des monuments d'un art tout athénien, et Cage, qui avait son trésor au temple de Delphes et où l'on a retrouvé le tombeau des Tarquins. L'Etrurie orientale et méridionale, dont la barbarie Rhasène avait à peine terni la brillante civilisation, a envoyé à Rome Ses rois grands bâtisseurs.

1° Agrandissement de la cille ri organisation de la population urbaine.

Sous les règnes des Tarquins et de Servius, la ville du Septimontium fut agrandie. Les marais du Vélabre et de la vallée Murtia furent desséchés, et leurs eaux conduites au Tibre par le grand égout (cloaca maxima). Le cirque fut tracé entre le Palatin et l'Aventin, et chacune des trente curies y eut sa place marquée, où les sénateurs et les chevaliers de cette curie établirent leurs tribunes. Au nord du Septimontium et du faubourg de Subure, Servius Tullius annexa à la ville le Quirinal et le Viminal qui formèrent la tribu Colline. Pour défendre Rome du côté de la Sabine, où le sommet de ces montagnes eût été de niveau avec le plateau extérieur, il creusa un fossé profond de trente pieds et large de cent. La terre du fossé rejetée à l'intérieur formait un escarpement (agger), dont une partie existe encore, et qui entourait le Quirinal le Viminal et l'Esquilin. Au dessus de l'agger s'élevait une muraille garnie de tours qui se prolongeait au sud le long des pentes du Cœlius jusqu'à la forteresse de l'Aventin, et à l'ouest jusqu'à l'escarpement septentrional du nouveau Capitole. Deux murs rejoignaient l'ensemble de cette fortification au Tibre près du pont Sublicius. Ni l'Aventin, ni le nouveau Capitole, quoique enveloppés par l'enceinte, ne faisaient encore partie de la ville proprement dite. Car Varron les met en dehors des quatre tribus urbaines de, Servius. L'Aventin, avant-poste de Rome (lu côté du Latium, comme le Janicule l'était du côté de l'Etrurie, fut entouré de murs énormes qui ont été récemment découverts, ils ressemblent par la forme des blocs quadrangulaires irréguliers qui les composent, aux murs pélasgiques d'Alatri, et par les couches de pierres alternativement horizontales et verticales, aux murs de Volterra. Le nouveau Capitole ne fut construit que sous le second des Tarquins. Le rempart de Servius rendait inutile la citadelle de l'ancien Capitole placée au sommet sud-ouest du Quirinal. Le point faible de la nouvelle enceinte était reporté au sud du Champ de Mars et des prés Flaminiens, entre le Capitole nouveau et la rive gauche du Tibre. C'est là que Tarquin-le-Superbe bâtit la seconde citadelle au-dessus de la roche Carmentale que les Gaulois essayèrent d'escalader, en 390 avant Jésus-Christ. Le temple du nouveau Jupiter Capitolin s'éleva sur la même montagne appelée Saturnia, mais au sommet septentrional, au nord de la roche Tarpéienne. La ville de Servius et des Tarquins était à peu près double de l'ancienne cité du Septimontium. Elle était grande comme Athènes et avait deux lieues et demie de tour.

En même temps la population quiritaire, c'est-à-dire celle des trente curies de la ville, avait doublé ainsi que le nombre des gentes. C'est pourquoi Tarquin doubla le nombre des sénateurs et le porta, selon Cicéron, de cent cinquante à trois cents. Le Sénat ne dépassa jamais ce dernier chiffre jusqu'au dernier siècle de la République. Les nouveaux sénateurs furent appelés pères des secondes gentes (Patres minorum gentium) ou pères ajoutés à la liste (Patres conscripti)[2].

Les anciens sénateurs étaient les pères des premières gentes (majorum gentium), il y eut désormais dix sénateurs par curie.

Chaque curie nommant aussi un certain nombre de jeunes chevaliers, les trois centuries des Rhamnes, des Tities et des Luceres furent doublées comme le Sénat, et chaque centurie, au lieu de deux cents chevaliers, en contint désormais quatre cents. Les chevaliers de nouvelle création (posteriores) étaient les fils des familles dont les chefs principaux étaient les sénateurs des secondes gentes (minorum gentium), et les chevaliers d'ancienne création (princes) correspondaient aux sénateurs des premières maisons (majorum gentium). Ce doublement des ordres supérieurs de l'État provenait du doublement de la cité tout entière. Car nous voyons sous Servius les trois tribus anciennes des Rhamnes, des Tities et des Luceres, se décomposer en six demi-tribus dont trois distinguées par l'épithète de priores, trois par celle de posteriores. Ces six parties du peuple romain sont désormais représentées au foyer public par six vestales. Un dédoublement analogue se produit dans le corps des chevaliers qui portaient les noms des tribus, et, au lieu de trois centuries de quatre cents chevaliers, on y compte depuis Servius, six centuries de deux cents hommes chacune.

Servius fit encore un autre changement dans l'organisation de la population urbaine. Les affranchis convertis en clients héréditaires des grandes maisons furent admis pour la première fois à voter dans la curie de leur patron, à côté des pères de famille d'origine libre (ingenui). Ce changement n'était pas fait pour diminuer l'influence des grandes maisons dans l'assemblée curiate. Mais il est juste de dire que Servius, pour ne pas rendre illusoires les droits politiques de la plèbe urbaine, paya les dettes des clients. Il habita lui-même le quartier de l'Esquilin qu'il avait agrandi et peuplé d'affranchis. Mais les clients ne tardèrent pas à retomber dans la dépendance des riches qui étaient à la fois leurs patrons et leurs créanciers, et les hommes de famille libre, dont l'orgueil aristocratique avait fait une sorte de gentry toute prête à se confondre avec le patriciat, rougirent de se trouver rapprochés des citoyens qui descendaient des esclaves de leurs pères. De là cette distinction dédaigneuse qui est marquée dans les formules anciennes : Le peuple romain et les Quirites (Populus romanos, Quiritesque), ce qui signifie les Romains de bonne maison, le peuple proprement dit, et les petites gens des curies. Mais comme les curies contenaient légalement les uns et les autres, quand on voulait éviter la distinction, on disait : Populus romanus Quiritium, le peuple romain des Quirites, ou, omises Quirites, tous les hommes des curies. Plus tard nous trouvons les pauvres Quirites des clientèles, désignés sous le nom de Curites ou Cœcites[3]. Ce furent les citoyens de la sixième classe de l'assemblée centuriate. Mis hors des centuries sous la République, exclus de bonne heure du vote au Champ-de-Mars, les Cœrites n'en restèrent pas moins inscrits dans les curies et dans les tribus.

Servius Tullius partagea la ville en quatre quartiers ou tribus locales appelées : Palatine, Suburane, Esquiline et Colline. Chaque tribu était subdivisée en six ou sept districts religieux, et au centre de chacun était une des chapelles des Argées. Le nom de ces héros protecteurs des carrefours avait fait imaginer par les Grecs la légende d'Hercule, le héros Argien, enterrant plusieurs de ses compagnons sur les collines romaines au retour de son voyage d'Espagne. Varron compte en tout vingt-sept de ces sanctuaires ; il donne l'énumération, et indique l'emplacement de la plupart d'entre eux. Chaque district religieux de la ville s'appelait vicus. Le magister vici était chargé d'entretenir les édifices et le culte du carrefour (compitum) qui en était le centre. La fête mobile des compitalia qui était ordinairement placée en hiver après les saturnales, réunissait autour des chapelles des héros la population des trente curies de la ville, et Servius, l'ami des affranchis, avait même voulu que les autels des dieux protecteurs fussent desservis par des esclaves. Les quatre tribus entre lesquelles étaient répartis les vingt-sept vici ou districts religieux de Rome, avaient des chefs purement civils, appelés plus tard curatores tribuum. Ils étaient chargés de lever dans chaque quartier les soldats et les tributs, et ce fut un principe de la constitution romaine, que l'inscription du citoyen dans une tribu, l'obligation de payer l'impôt et celle de faire le service militaire fussent les trois marques principales du droit de cité.

La ville de Rouie et la population quiritaire, ayant été doublées par Tarquin et Servius, la levée de tous les jeunes gens de la ville (juniores) fournissait quatre légions de cinq mille hommes au lieu de deux qu'elle fournissait au temps de Tullus et d'Ancus. En 479 avant Jésus-Christ, un demi-siècle après Servius Tullius, Denys[4] nous dit que la ville seule pouvait encore armer quatre légions, qu'il distingue, et des quatre légions levées dans la campagne romaine, et des .contingents latins et berniques. C'est aux quatre légions urbaines qu'étaient attachés les douze cents chevaliers Rhamnes, Tities et Luceres, choisis dans les familles riches des trente curies de la ville.

2° Organisation du territoire et de la population rurale.

L'organisation du territoire et de la population rurale, qui dépendaient de Rome sous Servius, était tout à fait distincte de celle de la ville, quoiqu'elle y correspondit par des divisions symétriques. S'il y avait dans la ville vingt-sept districts religieux ou vici, il y avait dans la campagne vingt-six districts religieux appelés pagi. Au centre de chaque pagus, comme au centre de chaque vicus, il y avait un autel d'un héros protecteur que l'on fêtait le jour des paganales (Pagenalia). Le centre du pagus était en même temps une petite forteresse qui offrait, à côté de la chapelle du Dieu, un lieu de refuge aux paysans attaqués, une enceinte où ils venaient passer la nuit en temps de guerre. Une tradition fausse porte à vingt-six le nombre des tribus rustiques sous le règne de Servius. Mais Tite-Live, Aurelius Victor, Caton ne connaissent à cette époque que les quatre tribus urbaines, et le compte des trente tribus romaines de Servius est présenté comme faux dans à passage de Denys d'Halicarnasse[5] qu'on cite pour l'établir. C'est Denys qui nous apprend que Fabius Pictor, historien romain qui écrivait en grec, avait désigné du même nom de φυλαί les vingt-six pagi de la campagne et les quatre tribus de la ville, et formé ainsi le total de trente tribus. Fabius avait commis la faute d'arithmétique qui consiste à ajouter ensemble des choses de nature différente. Le pagus de la campagne avait pour analogues dans la ville, le vicus et le compitum, centre du vicus, et non pas la tribu. De menu que la tribu urbaine contenait six ou sept vici, il fallut aux premières années de la République les sept pagi de la rive droite du Tibre pour former la première des tribus rustiques, la Romilin. La loure des rois était entourée de pagi, et comme ils n'étaient pas encore groupés en tribus, chaque magister pagi était chargé à la fois de la surveillance du culte local, et de la levée des tributs et des soldats. Chaque pagus fournissait autant d'hommes que chaque vicus de la ville. Aux quatre légions urbaines furent ajoutées quatre légions rustiques, et les quarante mille hommes de ces huit légions étaient les quarante mille juniores du cens de Servius. Pour former les ailes des quatre légions de la campagne, il fallait douze cents cavaliers. Aussi voyons-nous que Servius enrôla douze centuries, c'est-à-dire douze centaines de nouveaux chevaliers. Attachés à l'armée plébéienne de la campagne, ces chevaliers ne représentaient point, comme ceux de la ville, les trente curies. Leurs centuries n'avaient point été consacrées par les augures, et ils n'étaient pas choisis parmi les fils des patriciens, quoique rien n'empêchât un jeune patricien de s'y faire incorporer. Ils recevaient seulement de l'État comme les chevaliers Rhamnes, Tities et Luceres, la somme nécessaire pour acheter un cheval, et la subvention annuelle destinée à le nourrir. Ils furent, comme ceux des six centuries sacrées, chevaliers equo publico.

3° Constitution commune aux deux populations urbaine et rurale au temps de Servius.

La constitution des centuries n'eut pas sous Servius Tullius l'importance qu'on lui suppose. Lorsqu'aux premières années de la République, les patriciens firent pour la première fois de la réunion des centuries une assemblée politique, ils n'accordèrent aux plébéiens de la campagne convoqués avec eux au Champ-de-Mars, que des droits illusoires. Afin de déguiser la nullité des concessions faites à la plèbe, ils voulurent mettre leur constitution tout aristocratique de 509 avant Jésus-Christ, sous le patronage d'un nom populaire, celui du roi Servius. C'est dans les prétendus mémoires de ce rai qu'ils feignirent d'en avoir trouvé le plan. Ils allèrent meule jusqu'à imaginer que ce roi, ami des petites gens, avait eu l'intention d'établir le gouvernement républicain, c'est-à-dire d'abdiquer en faveur de l'aristocratie. Les historiens transformèrent peu à peu en un fait l'intention prêtée par les patriciens à Servius, de donner à Rome une constitution prétendue démocratique, et ce mensonge politique eut plus de succès que le Sénat lui-même ne l'avait espéré. Car on le répète encore aujourd'hui, quoique depuis deux mille ans il ait cessé d'être utile. La réforme de 240 avant Jésus-Christ, en modifiant profondément la constitution de 509, aurait pu dispenser même les Romains de le perpétuer dans leur histoire.

En réalité, la première loi portée devant rassemblée centuriate fut, comme Cicéron nous l'apprend, la loi de Valerius Publicola sur l'appel au peuple, votée en 494 avant Jésus-Christ, et les centuries n'eurent à élire aucun magistrat avant les premiers consuls. Quel aurait été sous les rois le rôle politique d'une assemblée qui n'eût fait ni lois ni élections ? Ceux qui prêtent aux centuries de Servius un caractère politique, sont réduits à supposer que la tyrannie de Tarquin-le-Superbe suspendit le jeu de cette belle constitution. Mais il se trouve qu'elle n'a pas plus fonctionné sous Servius lui-même, qu'au temps de son successeur. Ne serait-il pas étrange qu'un roi, qui se serait donné la peine de l'imaginer, n'eût pas eu au moins la curiosité d'en faire l'essai ? Les curies étaient si bien la seule assemblée du peuple au temps des rois, qu'aussitôt après l'expulsion de Tarquin-le-Superbe, Brutus ne songea nullement aux centuries. Sa première pensée fut de convoquer l'assemblée curiate pour lui faire légaliser, par un vote, la révolution qui venait de s'accomplir. La constitution de l'assemblée centuriate, attribuée à Servius, est donc un testament politique apocryphe, antidaté, et rédigé de la main de ces chefs de l'aristocratie qui, en 509, s'instituèrent eux-mêmes héritiers de la puissance des rois.

On doit aussi bien préciser dans quel sens on peut dire que les centuries de Servius furent une organisation militaire. On a confondu souvent les centuries qu'on passait en revue au Champ-de-Mars, cette armée civile (urbanus exercitus) qui ne présentait que des cadres de recrutement, avec les centuries militaires organisées pour le combat. Qu'on réfléchisse à ce qu'eût été une armée rangée comme l'étaient les centuries du Champ-de-Mars. Dans chaque rang on eût trouvé des légionnaires grands et petits, jeunes et vieux, faibles et forts, mêlés ensemble uniquement parce qu'ils avaient même fortune. Mais est-il possible, pour composer un corps destiné à agir sur un champ de bataille, de ne pas considérer bien plutôt les aptitudes militaires que la fortune des soldats ? de faire combattre côte à côte le jeune homme de dix-huit ans, qui est propre à engager la bataille par une légère escarmouche, et le robuste vétéran qui en décidera le succès en soutenant le dernier choc ? Si l'on relit la description de la légion, telle que Tite-Live la donne pour l'époque de la première guerre latine, 337 avant Jésus-Christ, ou celle que nous fait Polybe de la légion de son temps, on verra que les Romains tenaient compte, pour la composition des corps aussi bien de rage, de la force et de l'expérience militaire des soldats, que de leur cens. D'ailleurs, la légion que suppose Denys d'Halicarnasse, formée de quatre rangs d'hoplites, dont chacun eût renfermé des citoyens d'une des quatre premières classes, eût été composée de corps aussi inégaux entre eux, que l'auraient été les soldats d'une même centurie. Car les centuries civiles de la première classe contenaient moins de citoyens que celles des classes moyennes ou pauvres. Une telle armée eût donc tout à fait manqué de la consistance propre aux corps homogènes, et de fait on ne la voit figurer dans aucune guerre[6] pas plus que la phalange romaine à huit rangs de M. Mommsen. De ces deux armées imaginaires, on ne peut pas plus citer un combat qu'on ne citera un vote de la prétendue assemblée centuriate du temps des rois. Du reste, il n'était pas nécessaire que les légionnaires du même rang eussent exactement la même armure. Au temps de Polybe, nous voyons encore dans le même rang des hastats, des légionnaires qui avaient pour arme défensive une plaque de cuivre sur la poitrine, et d'autres qui avaient une cotte de mailles complète.

Qu'était-ce donc que le cens de Servius ? et que signifiait sous son règne la réunion des centuries civiles au Champ-de-Mars ? Elle avait pour but une simple opération de statistique destinée à reconnaître le nombre et la richesse des défenseurs de Rome. Les tributs étaient répartis proportionnellement à la fortune estimée de chacun, et l'on savait au besoin quelle armure on pouvait exiger d'un légionnaire plus ou moins riche. Ainsi, la première classe avait un cens équivalent à cent mille as d'une livre, c'est-à-dire à trente-deux mille sept cents kilogrammes de cuivre. Ce cens eut pendant tout le premier siècle de la République, une valeur légale de cent chevaux de bataille, ou de mille bœufs, ou de dix mille brebis. Il s'appelait cens équestre, parce que les chevaliers equo publico étaient toujours choisis parmi les jeunes gens de la première classe.

La seconde classe avait un cens de 75.000 as.

La troisième classe avait un cens de 50.000 as.

La quatrième classe avait un cens de 25.000 as.

Les citoyens de ces quatre premières classes étaient distingués des autres par le nom de celui, parce que 25.000 as d'une livre formaient l'unité de fortune[7] appelée census. Le cens de chacune des classes supérieures était un multiple de 25.000 as.

La cinquième classe, où étaient inscrits ceux qui n'avaient qu'une demi-fortune (12.500 as), se composait des accensi, c'est-à-dire des citoyens adjoints aux censi. Ils ne servaient pas dans les rangs de l'infanterie pesamment armée ; ils formaient hors des Fanes nue sorte d'infanterie légère, et dans la légion de 337 avant Jésus-Christ, nous trouvons les accensi placés après les rorarii, jeunes gens d'infanterie légère comme eux qui, après avoir engagé la bataille, rentraient dans les rangs pour s'abriter derrière les vétérans de la troisième ligne. La sixième classe ne servait pas dans l'armée.

Des quatre-vingt mille citoyens compris sur les listes du cens de Servius, quarante mille appartenaient à la plèbe, au peuple de la zone agricole située en dehors de la ville et de ses dépendances immédiates[8]. Ces plébéiens ne faisaient partie ni des tribus ni des curies urbaines. Ils habitaient les vingt-six pagi de la campagne, et jouissaient du droit de cité, mais sans suffrage, sans droits politiques. Seulement ils venaient dans la plaine du Champ-de-Mars, en dehors de la ville de Servius, se faire inscrire au nombre des défenseurs de Rome, à côté des citoyens du peuple quiritaire. Exposés les premiers à toute invasion dirigée contre cette ville, qui était le débouché de leur commerce, ils aidaient les Romains de leurs contributions, et leurs quatre légions rurales étaient les premières à entrer en campagne. Les quatre légions urbaines, et les chevaliers des six centuries des Rhamnes, des Tities et des Luceres formaient une réserve qui, au besoin, doublait la force défensive de l'État romain.

 

 

 



[1] Virgile (Énéide, 8, vers 506 et 603) nous montre Tarcho, chef des Tyrrhènes, venant chasser Mézence de Cære. Silius Italicus (VIII, vers 474) avait recueilli la même légende et fait venir Tarchon de Cortone. Cortona Superbi Tarchontis domus. Virgile donne pour compagnon à Tarchon Acton qu'il appelle un Grec. (Énéide, X, vers 719). Venerat antiquis Corythi de finibus Acron Graius homo. Dans plusieurs passages de l'Énéide (III, vers 166-171, VII, vers 207 et VIII, vers 130) le poète parle de Cortone ou de Corythe comme de la patrie de Dardanus, fondateur pélasgique de Troie, dont Enée ramène en Italie la postérité, et cette même ville de Cortone nous est représentée par Hérodote (I, 57) et par Denys d'Halicarnasse (I, 26-29) comme une des villes qui conservèrent le plus longtemps la population et la langue des Pélasges. L'histoire Etrusque faisait de Mastarna ou Servius Tullius un des compagnons du mercenaire Cœtes Vibenna. Or, on a retrouvé à Pérouse des tombes portant le nom de Fipin dans lequel Ott. Müller reconnaissait le nom de Vibennus, nom latin d'une famille de Volsinies. A Chiusi on a retrouvé le nom de Vipona. Tarquin l'Ancien et Servius Tullius nous sont présentés avant leur règne comme deux chefs de cavalerie. Qu'on suive sur une carte le chemin qui descend de Cortone ou Corythe par Pérouse ou par Chiusi à Vulsinies, et de là à Tarquinies et à Cære, et l'on verra le chemin par où les mercenaires pélasges de l'Etrurie arriveront à Rome.

[2] Le grammairien Sergius place sous Servius Tullius l'admission des Patres minorum gentium dans le Sénat. Tacite la retarde jusqu'au consulat de Brutus et de Valerius Publicola. Festus et Plutarque appellent conscripti les sénateurs nommés par ces consuls. Tite-Live répète le même fait sous les deux formes et aux deux époques. C'est un des nombreux exemples du déplacement arbitraire des faits de l'histoire de la Rome primitive. L'épithète de conscripti signifiant littéralement inscrits sur la même liste, s'appliqua bientôt à tous les membres du Sénat.

[3] Cærites est le même mot que Curites et Quirites comme mœrus le même que murus et Clœlius le même que Clodius. Cœrites ne vient pas plus du nom de la ville Etrusque de Cære que Curites ne vient de celui de la ville Sabine de Cures. Nous démontrerons la fausseté de ces étymologies.

[4] Denys, IX, 5 et 13.

[5] Nous avons rétabli et complété ce passage d'après les manuscrits cités dans les plus anciennes éditions de Denys d'Halicarnasse. Voir à la fin du volume la note 6, au livre premier.

[6] Tite-Live, II, 21 à l'an 493 avant Jésus-Christ, cite un centurion de primipile, et II, 41 à l'an 478 avant Jésus-Christ il parle des triaires. Les triaires supposent les princes et les hastats.

[7] Mommsen (Histoire Romaine, t. I, p. 129 et 251-252 de la traduction de M. Alexandre) cherche, à l'imitation de M. Bœckh, l'unité de fortune à nome dans une certaine étendue déterminée de terrain. Mais une même étendue de terre n'a pas partout même valeur, et dans un même endroit cette valeur varie selon la fertilité du sol et le mode de culture qu'on y applique. D'ailleurs, on ne voit pas pourquoi Rome qui avait, selon M. Mommsen (Ibid., p. 191), grandi comme ville de commerce, et qui, selon Polybe, passait des traités de commerce avec Carthage dès le temps des premiers consuls, n'aurait connu que la propriété foncière.

[8] Les dépendances immédiates de la ville allaient jusqu'à un mille de ses murs.