LA VIE INTIME D'UNE REINE DE FRANCE AU XVIIe SIÈCLE

 

CHAPITRE V. — FAMILLE ROYALE ET PARENTS D'ITALIE.

 

 

Tendresse médiocre de Marie de Médicis à l'égard de ses enfants remarquée par Henri IV. — Comment elle s'occupe d'eux ; les questions de maladie ; les corrections ; les cadeaux. — La gouvernante à qui elle s'en remet, madame de Monglat. — Le dauphin ; sa nature volontaire et opiniâtre ; peu d'action de la mère sur lui ; emploi du fouet ; froideur réciproque. — Le second fils, un duc d'Orléans mort de bonne heure ; pourquoi, d'après Richelieu, Marie éprouva du chagrin de sa perte. — Le troisième, le duc d'Orléans ; préférence marquée de la reine. — Les trois petites filles, plus effacées ; leur douceur, leur gentillesse ; bienveillance de Marie de Médicis. — Avec les enfants sont élevés les bâtards du roi. — Caractère insupportable des petits Vendôme ; natures charmantes des enfants de madame de Verneuil. — Les jeux en commun du troupeau royal, ballets, comédies. — La tante à héritage, la reine Marguerite de Valois, vieille, laide, mal famée, mais très bonne pour les enfants, très prévenante pour Marie de Médicis, maîtresse de maison accomplie ; ses fêtes brillantes. — Autre tante, la duchesse de Bar. — Abondance des parents de Marie de Médicis en Italie ; quémandeurs, obsédants. — Caractère bourgeois des lettres échangées avec eux, commissions, affaires. — La venue à Paris de Jean de Médicis ; froissements ; scènes. — Les cousins Sforza de Rome ; leurs exigences.

 

Le cri poussé par Marie de Médicis le 14 mai 1610, lorsque l'annonce d'un malheur encore inconnu lui faisait brusquement supposer qu'un accident était arrivé au dauphin : Mon fils ! semblerait attester de la part de la souveraine une vive sollicitude maternelle. Plus d'un courtisan eût pensé qu'il s'agissait moins pour elle d'être préoccupée de la vie de son enfant, que d'être inquiète de l'existence du futur roi mineur dont elle allait avoir, dans un temps peu prolongé, selon toute apparence, à gouverner l'héritage.

En effet Marie de Médicis n'a jamais manifesté à l'égard de ses enfants qu'une affection assez médiocre. Henri IV, qui avait au contraire pour eux une grande tendresse, en était frappé. Béthune racontait que devant lui le prince trouvant un jour l'indifférence de la reine étrange, l'accusoit de peu de sentiment envers ses enfants[1].

A peine, au début, Marie de Médicis fut-elle touchée de leur grâce et de leur gentillesse enfantine. Elle écrivait à la duchesse de Mantoue en 1603 : Vous avez par deçà un neveu et une nièce (le dauphin et sa sœur Elisabeth) qui sont tous deux si jolis pour leur âge qu'il n'est pas possible de plus. J'espère que quelque jour vous aurez avec nous le contentement de les voir. Et c'est à peu près tout ce qu'on trouve dans sa correspondance de plus affectueux. En revanche part-elle en voyage, s'absente-t-elle un mois, six semaines, ce qu'elle fait en 1603 pour aller en Normandie, elle n'écrit pas. La gouvernante des enfants, madame de Monglat, lui envoie des nouvelles ; elle ne répond pas, donnant un prétexte quelconque : Je ne fais point de réponse, à l'occasion de l'incommodité des lieux ; ou elle envoie de rares billets, secs, laconiques, purement de forme. Pendant tout son voyage de Metz, en 1603, qui dura plus d'un mois, elle n'adressa qu'une lettre courte et insignifiante[2].

Elle vient de temps en temps voir les petits princes au château de Saint-Germain. On a l'impression, en feuilletant le journal d'Héroard, d'une ombre qui passe, froide, un peu hautaine. Autant les enfants ont de joie à retrouver leur père, qu'ils appellent papa, à recevoir ses caresses pleines d'effusion tendre, à écouter ses propos enjoués ; autant ils sont glacés par l'apparition de leur mère. Celle-ci commande, punit ; elle ne fait rien pour se les attacher. Tallemant va même jusqu'à dire qu'elle n'embrassait jamais son fils et l'affirmation paraîtrait suspecte en raison de son exagération même, si Balzac n'écrivait : Durant les quatre années de sa régence elle ne baisa pas une seule fois le roi son fils. Je l'ai appris d'un vieux courtisan de ce temps-là qui se donna la liberté de le lui dire. C'était donc au moins ce qu'on disait et ce qu'on croyait[3].

Elle s'occupait d'eux, cependant : il le fallait bien puisque les enfants étaient entre les mains des femmes et que celles-ci ne pouvaient avoir recours qu'à elle, non au roi, pour tout ce qui concernait les questions de santé et de discipline ; les autres, les questions matérielles de dépenses, ne comptant pas et étant réglées par le personnel. Un enfant se trouvait-il souffrant, on l'informait : c'était à elle à prendre des décisions. Elle tranchait les problèmes du sevrage. Madame de Monglat, sur l'avis delà sage-femme, proposait-elle de retarder le sevrage d'Elisabeth, la reine consultait Héroard, les grands médecins MM. de la Rivière, du Laurens, et décidait effectivement d'ajourner ce sevrage. La nourrice de la petite Chrétienne n'ayant plus de lait elle ordonnait de sevrer, mais cependant après les froids, si cela peut se faire sans inconvénient.

Elle ne se tourmentait pas d'ailleurs outre mesure des indispositions qu'on lui annonçait. Elle les mettait sur le compte des dents : Ce que ma fille éprouve ne procède sans doute que de la douleur de ses dents qui sont prêtes à percer : cela se passera incontinent. Ou bien elle répondait philosophiquement que les petits enfants sont sujets aux maladies et qu'il n'est que de les soigner : L'on ne peut toujours éviter les maladies quand elles ont à venir, principalement aux enfants de l'âge de ma fille ; il faut prendre le soin de la guérison autant que l'on pourra[4]. C'était surtout dans les cas d'épidémies qu'elle était appelée à intervenir, les épidémies étant fréquentes alors, en raison de l'insalubrité des conditions d'habitation des gens et le bourg- de Saint-Germain, avec ses petites maisons entassées dans des rues étroites et sales, paraissant y être aussi sujet que les quartiers les plus grouillants de Paris. Sitôt qu'une contagion était signalée à Paris, Marie de Médicis prévenait la gouvernante : Je vous prie d'avoir l'œil à ce que cette maladie ne se loge point à Saint-Germain, et si elle s'y logeait je ne veux plus que personne venant du dehors habite dans le bourg, ni que qui que ce soit voie mes enfants : envoyez les enfants des nourrices et autres loger dans Saint-Germain, ailleurs, où bon leur semblera, vous tenant avec le moins de train que vous pourrez pendant que cette maladie durera. Et encore : Il couve force maladies de petite vérole, rougeole et contagion à Paris et aux bourgs et villages des environs de Saint-Germain, qu'on fasse attention ! Elle a un remède, qui est de changer d'air. Il est vrai que les déplacements ne sont pas considérables ; ils consistent à aller du vieux château de Saint-Germain au bâtiment neuf sur le haut de la colline. Elle redoute Paris et le Louvre — à cause des fossés malsains. — Pour éviter d'y mettre les enfants lorsqu'elle les fait venir en ville, elle les envoie dans un endroit élevé, un faubourg sain, entouré d'arbres, de champs et elle loue pour eux à M. de Luxembourg son hôtel, situé au haut de la rue de Tournon, hôtel qu'elle achètera ensuite et sur l'emplacement duquel elle créera la résidence que l'on sait[5].

Comme discipline, ses moyens sont simples : le fouet et les cadeaux. Quand un enfant a été bien sage et obéissant il reçoit : un petit coffret, par exemple, avec de petites besognes qui sont dedans ; et la reine annonce qu'elle garde encore quelque chose de plus beau. L'enfant a-t-il été opiniâtre, la mère écrit quelque billet sévère ; le plus souvent elle recommande à la gouvernante d'être inexorable.

D'une façon générale, Marie de Médicis s'occupe peu de l'éducation de ses enfants. Jamais elle ne se mêle de ce qu'il faut leur apprendre ou leur interdire. Les mœurs du temps et celles d'Henri IV autorisent dans leur entourage une crudité de langage, une liberté de propos et de gestes déconcertants : elle ne fait jamais d'observation. C'est chez elle insouciance, difficulté peut-être à contredire le roi, indifférence surtout de ce qui touche la petite troupe de Saint-Germain, comme elle dit. Puis, surtout, elle s'en remet entièrement à quelqu'un qu'elle estime infiniment, la gouvernante, madame de Monglat[6].

Grande, sèche, horriblement maigre, madame de Monglat, femme du premier maître d'hôtel du roi, le baron de Monglat, un homme désagréable et violent, passait pour être autoritaire et fâcheuse, qualités nécessaires, sans doute, aux fonctions qu'elle remplissait et condition peut-être de la confiance que lui témoignaient le roi et la reine. Cette confiance est à toute épreuve. Elle résiste aux insinuations que des courtisans malintentionnés cherchent à suggérer aux princes : Je n'escouteroi point les mauvais offices que l’on vous voudroit rendre, je me repose entièrement sur vous, lui mande Marie de Médicis une fois ; et, dans une autre circonstance, sur le point de partir en voyage : Je sais que vous êtes si soigneuse des enfants qu'il n'est besoin que je vous les recommande davantage pendant notre éloignement ; envoyez des nouvelles à toute occasion. La famille entière la connaît : oncles, tantes, princes d'Italie ou de Lorraine ; chacun lui écrit : le dossier des lettres reçues par elle de hauts personnages et conservées forme un brillant recueil d'autographes royaux. Elle est même presque un peu de la famille par les sentiments qu'on professe à son égard ; les enfants l'appellent mamanga, abréviation de maman Monglat, et lui écriront plus tard, longtemps, jusqu'à sa mort, continuant, devenus rois, reines, cette appellation familière et enfantine. Henri IV la traite en amie, échange avec elle des recettes contre la peste et contre la goutte. Dans des circonstances particulières, telles que la mort de M. de Monglat, il sait lui adresser une missive extrêmement affectueuse, émue et qui fait honneur à l'un comme à l'autre, tandis que Marie de Médicis, plus pratique, écrit : Vous avez en votre garde et gouvernement ce qui nous est le plus cher en ce monde qui sont nos enfants, et parce qu'il est nécessaire de les entretenir en humeur gaie et ne leur donner aucun sujet de s'attrister, nous ne trouvons nullement à propos que vous fassiez votre quarantaine (deuil de veuve) et vous prions aussi de vous abstenir de pleurer et doléancer en leur présence. Vous avez assez de vertu et de constance pour en user ainsi et supporter cette affliction avec la modération et résolution convenables[7].

Le sentiment des enfants à l'égard de madame de Monglat est fait d'affection sincère, sans doute, mais une affection due surtout à l'estime, à l'habitude, à la conscience obscure qu'ils ont d'un dévouement réel de la part de celle qui en somme remplit le rôle de mère près d'eux. Madame de Monglat sait-elle bien les prendre, les uns et les autres ? Possède-t-elle un tact pédagogique suffisamment sûr ? A lire Héroard, la chose est douteuse. Elle affecte de brusquer le dauphin, qui a un caractère un peu entier, et de le contredire, de l'exciter, sans doute pour mater ce qu'on appelle son opiniâtreté. Le procédé ne réussit pas. L'enfant se regimbe contre la gouvernante, lui dit des injures, lève la main sur elle, et la scène finit généralement par une correction. Le petit dauphin manque de tendresse à l'égard de celle qui le traite si rudement, mais il la respecte ; lui aussi continuera plus tard à lui écrire, l'appelant également mamanga, roi, homme fait ; il l'estime ; il se rend compte qu'elle a rempli ses devoirs avec application consciencieuse et un dévouement qui mérite reconnaissance. Natures plus douces, les filles, gentilles enfants, bonnes et gracieuses, ont moins à pâtir des sévérités de la gouvernante et ont conçu pour elle un attachement plus affectueux que tempère seule ensuite la dignité obligatoire d'une princesse royale à l'égard d'une personne domestique de la maison[8].

Madame de Monglat est amplement entourée de tout le personnel nécessaire à la surveillance et à l'entretien des enfants. Chaque fille a une sous-gouvernante. Les maisons des princes ont été constituées avec l'abondance de fonctions propre aux dynasties royales. Elles se composent surtout de domestiques proprement dits, valets de chambre, femmes de chambre, nourrices, remueuses, qui ont chacun leur office. Il faut faire une place à part au médecin, le brave Jean Héroard, si dévoué, si simple et affectueux, que tout le monde aime et qui nous a laissé, dans son journal minutieux, la vie quotidienne de cette petite cour de Saint-Germain modeste, paisible et monotone[9].

 

Est-ce l'effet de sa nature un peu opiniâtre, c'est-à-dire volontaire, impérieuse et personnelle ? Le petit dauphin paraît être celui qui inspire à sa mère le moins de passion. Dieu sait, cependant, si sa naissance — la France n'avait pas vu de dauphin depuis plus d'un demi-siècle ! — avait provoqué dans le royaume entier une allégresse sans égale ! A Fontainebleau, après l'heureux accouchement de la reine, Henri IV, exultant, embrassait tout le monde. La joie, à Paris, avait été universelle : lorsque le lendemain, à deux heures du soir, les cloches du palais carillonnant et à deux heures et demie celles de Notre-Dame entrant en branle, annonçaient le Te Deum chanté à la cathédrale devant les cours souveraines en robe rouge, pendant que le canon résonnait à l'Arsenal, à l'hôtel de ville et que les feux de joie flambaient en Grève ; lorsque le surlendemain, jour de la Saint-Michel, une procession générale du clergé de toutes les paroisses, accompagné des cours souveraines, faisait le tour de la cité en passant par le palais, au milieu d'une affluence énorme de curieux ; les acclamations enthousiastes de la foule et la gaieté épanouie sur les visages attestaient le contentement profond de tous. Les étrangers avaient participé à ce bonheur et témoigné de leur sympathie par des présents : la grande-duchesse de Toscane envoyant un magnifique berceau avec pavillon de damas blanc, garni d'argent, formant baldaquin, le petit lit garni de même, le tout d'une façon riche et exquise, fait à Florence ; le pape, qui devait être parrain, donnant la layette, bandes, couvertures, chapeau et autres meubles de cette première enfance, bénite par Sa Sainteté[10]. — L'enfant avait crû sans donner d'inquiétude sur sa santé, réputée robuste et bonne. Sa mère écrivait deux ans après : Nous avons trouvé nos enfants en très bon état et spécialement notre fils le dauphin qui se fortifie de jour en jour et se rend si agréable pour son âge que nous avons toute occasion d'espérer qu'il donnera toujours du contentement. Elle s'était intéressée à son développement : Pour mon fils, informait-elle la grande-duchesse, il n'est pas croyable combien il est grand, gros et fort et je m'assure que si vous l'aviez vu vous l'admireriez. Il reconnaît déjà très bien Monseigneur, moi et tous ceux qui ont accoutumé de l'approcher, entend fort bien ce qu'on lui dit et se fait aussi entendre de tout ce qu'il désire, tellement que l'on reconnait déjà en lui un jugement extraordinaire pour son âge. Elle avait suivi les détails de sa croissance : J'ai été bien aise d'apprendre que la dernière dent de mon fils soit percée : cela le rendra encore plus gai. Je vous envoie deux morceaux de licorne, pour vous en servir : quelque talisman, sans doute. Les ambassadeurs italiens notaient les conditions excellentes dans lesquelles l'enfant grandissait ; il était de bel aspect, bien proportionné, ayant des mouvements gracieux ; sa petite personne était sympathique ; son esprit prompt était apte à comprendre et à apprendre. Très prudent pour son âge, il faisait des réponses pleines de jugement et de vivacité. Peut-être n'avait-il pas grand zèle à l'étude des lettres, quelque aptitude seulement aux langues et aux mathématiques ; mais il avait un goût ardent pour les exercices physiques et ce qui était militaire. Le public disait couramment que l'enfant avait le corps de sa mère et l'âme de son père[11].

Malheureusement son caractère se manifestait avec une personnalité singulière. Héroard a consigné dans son Journal les témoignages journaliers de cette nature impérieuse. Quoiqu'il aimât son père d'une tendresse ardente, le craignît beaucoup et lui obéît mieux qu'à nul autre, l'enfant faisait sentir à Henri IV lui-même ses prédispositions autoritaires. Richelieu raconte avoir entendu dire quelle fureur prit le roi, un jour où, à Fontainebleau, Henri IV voulant faire sauter un ruisseau à son petit garçon, celui-ci, à la vue delà cour, opposa une résistance si révoltée que le roi furieux allait, si on ne l'avait arrêté, tremper le dauphin dans l'eau. Une autre fois où il était nécessaire que l'enfant prît un clystère, six personnes s'employèrent sans résultat à le faire céder[12].

Quelle prise pouvait avoir sur une nature aussi volontaire, une mère n'ayant pour elle ni l'empire que donne une affection dévouée, ni l'ascendant d'une intelligence précise ? Henri IV était trop clairvoyant pour ne pas prévoir qu'il y aurait fatalement défaut d'entente entre la mère et le fils ; il le disait ; il annonçait leur mésintelligence future !

Fouet et cadeaux, le système fut appliqué au dauphin avec prédominance du premier. Les cadeaux, eux, revenaient à dates obligatoires, sans l'attrait de l'imprévu, ni la grâce de l'attention : montres d'horloge, petits couteaux, soldats d'argent pour les étrennes du jour de l'an. L'enfant s'amusait à faire en retour des présents à sa mère, à lui envoyer, par exemple de Saint-Germain, un petit panier de cerises, au moment de la saison, et la reine lui répondait de ce ton un peu haut, banal, dépourvu de toute caresse et de la moindre nuance de sensibilité : Mon fils, je vous remercie des cerises que vous m'avez envoyées ; elles m'ont été bien agréables, venant de votre part ; je vous aime bien parce que l'on m'a dit que vous êtes toujours bien sage ![13] Le fouet fut donné régulièrement. A chaque lettre de madame de Monglat signalant des résistances, des opiniâtretés, la réponse revenait invariable : Qu'on donne le fouet ! Jean Héroard finit par s'interposer, prétextant des raisons de santé. L'enfant était pris de rages telles qu'il tombait en syncope. La reine adoucit les ordres : Qu'on donne le fouet avec tant de circonspection, corrigeait-elle, que la colère qu'il pourrait prendre ne lui engendre aucune maladie. Tenant à la vie de son fils pour beaucoup de raisons diverses, elle recommandait de consulter le médecin. Elle se mit dans l'idée que les chaleurs rendaient les corrections dangereuses et, en été, le petit prince bénéficiait de ce préjugé. Faites tout avant d'en venir à l'extrémité du fouet en cette saison chaude, en laquelle il se pourroit esmouvoir. Pauvre dauphin ! Comme son cœur se serrait d'angoisse chaque matin lorsque après le lever et la toilette l'heure arrivait de régler les comptes de la veille, — car on punissait à heure fixe, le lendemain, les fautes du jour, — et que la sévère gouvernante s'approchant de lui avec des verges prononçait d'une voix sèche la formule redoutée : Ça, troussons ce c... ![14]

Comment s'étonner que l'enfant n'éprouvât pour sa mère que des sentiments peu tendres ? Comment être surpris qu'il l'accueillît toujours assez mal à Saint-Germain et qu'on fût obligé de le menacer pour lui faire embrasser Marie de Médicis ?

L'âge avançant n'y fit rien. Il n'y eut d'un côté et de l'autre ni plus de dévouement, ni plus d'affection. 1609 fut l'année fixée d'avance pendant laquelle l'on retira le dauphin des mains des femmes, afin de confier son éducation à des hommes ; un gouverneur et des précepteurs furent chargés de lui donner une nourriture conforme à sa haute naissance et à ce qu'il devoit estre un jour. On prit pour gouverneur un vieux chevalier, ancien ami d'Henri III et d'Henri IV, vénérable gentilhomme qui avait vécu toute sa vie à la Cour, en connaissait à fond les us et coutumes, pour avoir été successivement : chambellan du duc d'Alençon, gentilhomme de la Chambre, maître de la Chambre, maître de la garde-robe de Charles IX et d'Henri III, et, devenu maréchal de France ainsi que chevalier du Saint-Esprit, jouissait de la familiarité plaisante d'Henri IV, lequel l'appelait la Gode et le tutoyait : M. Gilles de Souvré. La correspondance du couple royal avec le nouveau mentor du petit prince fut aussi active que naguère avec madame de Monglat. Pour précepteur, le roi donna à son fils le poète des Yveteaux, singulier personnage, de doctrines suspectes, de mœurs douteuses. Tout le monde s'était récrié ; la reine en avoit pleuré ; mais le roi, on ne sait pourquoi, s'étoit bandé et avait tenu bon. Les propos inconsidérés de ce précepteur devant son royal élève ne devaient pas tarder à le faire remercier. Devenu petit jeune homme, le dauphin fut convié à des études d'un genre plus relevé que celles qui l'avaient occupé jusque-là : apprendre, le latin, tirer des armes, danser. Plus tard, au moment où il gravira un degré de plus, on dira qu'il est au vin et hors du latin. Il était déjà presque homme fait[15].

Pour Marie de Médicis il continuait à être un enfant. Comme elle avait prescrit à madame de Monglat de fouetter, elle recommandait à M. de Souvré de donner le fouet : J'ai été bien aise, monsieur de Souvré, lui écrivait-elle, d'apprendre des nouvelles de la santé de mon fils ; mais je vous prie de le tenir toujours en son devoir, lui faisant faire ses exercices ordinaires ; et s'il se vouloit émanciper, vous savez le remède qu'il faut apporter pour le ramener à la raison ; vous le lui ferez ressentir, s'il vous en donne l'occasion ; je vous le recommande ! Rien n'était modifié dans son attitude : c'était toujours cette même froideur cérémonieuse et glacée : J'ai été bien aise, mon fils, lui mandait-elle, de voir que vous vous portez bien et de savoir que vous êtes toujours bien sage et que vous étudiez et faites bien vos exercices. Continuez toujours et obéissez à ce que vous dira M. de Souvré afin qu'il ait occasion de me confirmer toujours en ceste bonne opinion. Après la mort d'Henri IV et l'avènement de l'enfant au trône, un matin que, sur l'ordre formel de la reine, M. de Souvré avait, bien malgré lui, fouetté le petit roi, celui-ci entra dans la pièce où se trouvait sa mère. L'usage voulait que chaque fois que le roi régnant entrait quelque part, tout le monde, même celle-ci, se levât et s'inclinât. Marie de Médicis se leva et fit la révérence. Sur quoi Louis XIII dit brusquement : J'aimerais mieux qu'on ne me fît point tant de révérences et qu'on ne me fît point fouetter ! L'assistance se mit à rire et la reine un peu gênée sourit. Derrière le petit garçon qu'on corrigeait, il y avait Sa Majesté le roi. Marie de Médicis n'avait pas trop paru s'en apercevoir. Elle allait de jour en jour en faire l'expérience[16].

Elle pouvait bien se douter cependant que cet enfant n'était pas comme tous les autres. Lorsque à Saint-Germain le lieutenant général de Fontenay-le-Comte, vieillard octogénaire, admis devant le berceau du dauphin, âgé de six mois, s'agenouillait, pleurait, puis s'en allait disant en levant les bras au ciel : Dieu m'appelle quand il lui plaira, j'ai vu le salut du monde ! ; lorsque pour la fête de la Saint-Louis, le 23 août, on montrait le prince à la foule du haut d'un balcon de Saint-Germain et que cette foule aussitôt se mettait à genoux, la plupart ayant les yeux pleins de larmes, comme en une adoration attendrie et religieuse, il pouvait apparaître que cet enfant avait en lui une vertu obscure d'une portée singulière. Les moindres manifestations publiques confirmaient ce mystérieux prestige. Recevant une députation du Dauphiné, étant encore au lait de la nourrice, le dauphin était placé sous un grand pavillon de drap d'or, en son berceau, sur un petit lit ; les députés mettaient genou en terre et l'archevêque de Vienne débitait respectueusement un discours plein d'éloges et de témoignages de dévouement, auquel, évidemment, le petit ne pouvait rien entendre. Si, par hasard, il venait à Paris, l'enfant royal, porté dans une somptueuse litière, était attendu devant la porte, ornée d'armoiries et de festons, par le prévôt des marchands, les échevins, qui lui faisaient une harangue et il devait aller lentement, les tendelets de la litière ouverts, afin que tout le monde le vît et dévoré des yeux par une foule passionnée poussant des vivats, rendant à Dieu des actions de grâce et s'échauffant de dévotion. C'est qu'il était le dépositaire inconscient, fragile encore, de la tradition royale et constituait, dans un temps où le roi est l'aboutissant et la clef de voûte de l'édifice social, qu'est le royaume, la garantie future de la sécurité ou du bonheur de tout un peuple[17].

Il fallut bien, pour Marie de Médicis, s'en rendre compte quand l'assassinat d'Henri IV mit la couronne royale sur le front de l'enfant. Elle eut peur. Des avis lui venaient de tous côtés que les meurtriers en voulaient à la vie du fils comme à celle du père. Etait-ce manifestation inattendue d'un sentiment jusque-là peu expansif ? n'était-ce pas plutôt, comme l'insinuèrent les courtisans, souci de conserver une existence précieuse qui était la raison d'être de sa toute-puissance de régente ? Elle prit des précautions maternelles. Devenu roi, le dauphin eût dû occuper l'appartement du souverain, dont la chambre, d'ailleurs, était contiguë au petit cabinet de la reine.

Marie de Médicis voulut que désormais l'enfant couchât dans sa propre chambre sur un petit lit qu'on dressait exprès le soir : elle augmenta le nombre des femmes de chambre qui passaient la nuit près d'elle et qui fut porté à trois : elle ne quitta plus son fils. A l'heure voulue l'enfant se déshabillait cérémonieusement dans la chambre royale de parade, comme le voulaient les usages traditionnels, les plus grands seigneurs l'assistant : le prince de Condé le desguilletant, lui tirant ses chausses ; puis le petit roi prenoit sa robe, ses bottines et s'en alloit coucher dans la chambre de la reine. Longtemps elle le couva, par appréhension. Les conseils, autour d'elle, confirmaient ses inquiétudes. Que fut devenu le royaume si un malheur était arrivé à un roi dépourvu d'héritier ? ou quelles complications n'étaient pas à redouter dans la transmission du pouvoir d'un aîné à un cadet ? Mais au fond c'était politique plus que tendresse[18]. Le premier jour qu'elle le quitta, — en 1613, la cour était à Fontainebleau et la reine allait voir à Paris un de ses autres enfants, le duc d'Anjou, malade, — pas plus émue de laisser le roi que d'être auprès du prince sérieusement atteint, elle écrivait joyeusement à M. de Souvré lui contant les péripéties de son voyage, lui disant qu'elle était arrivée à onze heures du soir après une journée de carrosse dans laquelle la princesse de Conti avait trouvé le coussinet bien dur parce qu'on lui avait mis quatre flambeaux dessous sans qu'elle s'en fût aperçu, et donnant avec sollicitude des nouvelles d'une petite chienne qu'elle avait emmenée avec elle. Dans une autre circonstance, Louis XIII étant pris de petite vérole — et on redoutait assez cette maladie en ce temps, — elle se contentait d'écrire froidement à la duchesse de Lorraine : Le roi, monseigneur mon fils, se trouva un peu indisposé de la petite vérole ; mais il en est si doucement traité qu'il y a espérance qu'avec l'assistance divine il en sera bientôt remis. Il devait effectivement s'en tirer et en rester très peu marqué[19].

Cette froideur et cette indifférence à l'égard de son fils, elle les gardera de plus en plus réels jusqu'au jour où le prince devenu subitement roi effectif, la chassera du pouvoir, en 1617, à sa grande surprise et à sa profonde indignation !

 

Le second fils, le premier duc d'Orléans, tient moins de place encore dans la vie de Marie de Médicis, pauvre enfant, venu après une année de disputes violentes et de chagrins répétés, malingre, chétif, dépourvu de santé et sans grande espérance de vie ! On l'avait appelé duc d'Orléans parce que c'était la coutume de donner ce titre au second fils du roi depuis que les aînés portaient le nom de dauphin. Sa naissance avait été accompagnée de quelques prodiges trompeurs. En réalité, doué d'une tête énorme sur un corps de squelette, il avait souffert dès ses premiers jours. Le roi ne faisoit pas estât qu'il dut vivre, écrivait la reine peu de jours après sa mort, cognoissant bien qu'il n'estoit de la forte et robuste complexion dont est, g'râce à Dieu, le roi. Monsieur mon fils. Il avait traîné, constamment souffrant.

Les médecins faisaient ce qu'ils pouvaient, se relayant, appelant des confrères étrangers à la maison du roi, M. Aimedieu, M. Hautin, qui allaient à Saint-Germain mettre des bandages, placer des cautères, discuter avec M. du Laurens et M. Lemaitre s'il était à propos de faire prendre les matins au malade, comme première nourriture, et auparavant les bains, qui lui ont été ordonnés, du lait de chèvre pour le rafraîchir. Lorsque l'état s'aggravait, les autres enfants quittaient Saint-Germain afin de lui laisser la place et qu'il fût tranquille. Il ne bougea guère du château les quatre années de sa pitoyable existence[20]. En novembre 1611 il fut pris de convulsions qui durèrent huit ou dix jours : le 14, Louis XIII, son frère, vint le voir : le malade était dans son lit, prostré, en proie à un endormissement profond, ce qui faisait croire à une fièvre léthargique ; le grand frère le contempla en pleurant : c'était la dernière fois qu'il le voyait : dans la nuit du 16 au 17 novembre, à minuit, le duc d'Orléans mourait au milieu de quelques convulsions : Comme je voyois qu'il avoit duré jusque-là, écrivait le lendemain Marie de Médicis au duc d'Épernon, je commençois à espérer qu'il eschapperoit avec le temps, qui me sembloit le fortifler. Néanmoins le mal est tout à coup survenu si grand qu'il n'a pas eu la force d'y résister ! On lui ouvrit le crâne, il avoit le cerveau rempli de catarrhes et tout gâté, plein d'eau noire et le cervelet s'esmioit aux doigts en le maniant. Marie de Médicis éprouva quelque chagrin. Elle était demeurée au chevet du mourant : Il a esté très bien secouru, écrivait-elle, car outre le soin qu'ont eu ceux qui estoient près de lui à Saint-Germain, je m'y suis trouvé moi-mesme et l'ai assisté tant que la douleur me le permit. Le maréchal d'Estrées observait qu'elle avait paru sentir un grand déplaisir et Richelieu parlait de sa grande affliction ; mais lui qui la connaissait si bien et avait recueilli les témoignages les plus sûrs sur ses sentiments réels, constatant qu'elle semblait auparavant assez indifférente au sort de cet enfant, ajoutait : Qui distinguera les temps connaîtra la cause de cette différence qui consista, à mon avis, en ce qu'elle avoit lors plus d'intérêt à la conservation de son fils que durant la vie du feu roi, pendant laquelle elle en pouvoit avoir d'autres. Elle fut plusieurs nuits agitée, puis, plus résignée, elle répondait à ceux qui lui adressaient des lettres de condoléances : Je m'en veux consoler avec Dieu et en cet accident me conformer à ses volontés ![21]

Celui que l'histoire connaît sous le nom de duc d'Orléans et qui a rempli le règne de Louis XIII des complications dues à sa nature brouillonne, était né un an après le premier duc d'Orléans, en 1608, et avait reçu le titre de duc d'Anjou. On l'appela Gaston, prénom assez inusité dans la famille royale, parce qu'Henri IV avoit désiré qu'il portast le nom d'un des plus valeureux de ses ancêtres de la maison de Navarre, Gaston de Foix. Dieu sait si, lui, devait être plus tard le préféré de Marie de Médicis ! Longtemps on répétera que la reine a le noir dessein de détrôner Louis XIII, pas assez maniable, pour mettre à sa place son frère, plus soumis et, après l’avènement de Richelieu, dans les luttes perpétuelles de la mère déçue contre le fils qui aimait mieux écarter l'ancienne régente au caractère trop difficile, Marie de Médicis et Gaston tiendront constamment parties liées ensemble. Il semble que dès la première enfance cette préférence instinctive se trahisse. Avec quel soin la reine s'occupe-t-elle des détails qui intéressent Gaston, le choix d'une nourrice, par exemple : M. Florent d'Argouges en a proposé une ; qu'on interroge cette femme consciencieusement ; qu'on sache si son lait est toujours bon, si elle en a en quantité ; si elle aime le vin ; la qualité et condition de ses parents ; s'il ne se trouve rien à redire en elle. Et si elle est telle qu'on s'y doive arrêter, faites-la habiller incontinent afin qu'elle soit nette et propre et toute prête quand je l'enverrai quérir[22]. Lorsqu'il faudra trouver un gouverneur au petit prince, il ne sera assez grand personnage pour cette fonction ; la reine choisira l'ambassadeur du roi à Rome, M. de Brèves. Elle constituera à l'enfant une maison fastueuse avec surintendant, compagnie d'hommes d'armes, gentilshommes de la Chambre, pages ; lui donnera comme sous-gouverneur M. de Mansan, capitaine aux gardes françaises, qui a le commandement des troupes faisant le service d'honneur des enfants royaux à Saint-Germain, et M. de Puylaurens, nommé sur la recommandation de Concini, tous deux d'ailleurs cousins de M. de Brèves ; elle consacrera plus de 200.000 livres aux frais annuels de cette maison. Préoccupation inévitable d'une mère attentive à l'égard d'un fils choyé, elle fera son plan de bonne heure pour lui trouver et lui réserver une riche héritière, la plus riche du royaume, mademoiselle de Bourbon, duchesse de Montpensier. En attendant elle suit cet enfant avec sollicitude. Est-il pris de la petite vérole, la voilà toute troublée. Sans doute, écrit-elle de Fontainebleau à madame de Monglat, il faut que cette maladie suive son cours et j'ai espérance que l'enfant sera bientôt guéri : mais, néanmoins, apportez-y, je vous prie, tout le soin et l'assistance qui s'y pourra. Sur son ordre on installe le malade à Saint-Germain, dans la grande chambre à coucher du roi. Si elle apprend que Gaston va mieux, que les pustules se dessèchent, vite qu'on améliore les conditions dans lesquelles il se trouve et qu'on assainisse la chambre : Ouvrez les fenêtres afin de l'éventer, faites faire bon feu et brûlez du bois de genièvre, afin que la pièce demeure sans soupçon de mauvais air. Quand il est bien portant, le jeune prince se promène beaucoup et il n'est pas désagréable à la reine qu'on le conduise à Paris pour le montrer au public. J'approuve bien que vous le meniez promener par aucune des grandes rues de Paris, afin de donner ce contentement au peuple de le voir sain et gaillard ; puis les inquiétudes reprenant le dessus : Mais aussi désiré-je qu'il ne s'y arreste point à cause du mauvais air et des maladies qui y courent. Pour être juste, disons cependant que Gaston reçoit le fouet aussi bien que son frère aîné[23].

Quant aux trois filles, Elisabeth, Christine, Henriette, elles s'effacent un peu au second plan. Les deux dernières sont trop petites, avant 1617, pour que leur personnalité s'accuse. L'aînée, Elisabeth, d'un an moins âgée que le dauphin, la seconde des enfants et qui paraît davantage, est une bonne nature, douce, aimable. Madame de la Boissière, sa gouvernante, n'a pas beaucoup de peine à l'élever, étant donné son caractère facile et affectueux. Sans passion déterminée pour elle, Marie de Médicis, cependant, est plutôt bienveillante. L'enfant lui écrit souvent ; elle écrit facilement et beaucoup de petites lettres, simples et gentilles. Salante, la grande-duchesse, lui ayant envoyé une belle poupée, elle lui répond : J'ai reçu la poupée qu'il vous a plu m'envoyer, dont je vous remercie très affectueusement et vous prie de croire que je la garderai chèrement tant pour ce qu'elle est très belle que pour ce qu'elle me représentera toujours votre affection en mon endroit. Marie de Médicis a la pensée, une année, de faire venir de Mantoue une nièce, Eléonore, à peu près du même âge qu'Elisabeth, afin d'élever les deux cousines ensemble et de procurer à sa fille une camarade. Mais les circonstances, la mort entre autres de la duchesse de Mantoue, empêcheront la réalisation de ce projet. Elle aime à donner des cadeaux à sa fille, notre très chère fille, comme elle écrit, au lieu qu'elle dit du dauphin : Monsieur mon fils : des nœuds d'or garnis de diamants, un réveille-matin fait à six pans pour tenir sur la table. Elle la mariera magnifiquement avec le futur roi d'Espagne, mariage politique d'ailleurs, combiné avec le mariage de Louis XIII, objet de discussions interminables et de crises dangereuses ; puis l'enverra au delà des Pyrénées toute jeune, à quatorze ans, ne l'ayant pas en somme gardée bien longtemps[24].

Christine, la seconde, est plus pâle. Elle grandit doucement sous la direction de sa gouvernante, mademoiselle Passart, à qui succède, en 1610, madame de Saint-Georges, la fille de madame de Monglat. La dernière, Henriette, la future reine d'Angleterre, est plus effacée encore, toute petite qu'elle est, et d'un caractère indécis. Il n'est question d'elles, autour de Marie de Médicis, que lorsqu'elles sont malades ; car tous ces marmots, comme dit Henri IV, garçons et filles, ont souvent quelque chose, la petite vérole, principalement. Sitôt que Tune est prise, on l’isole, première mesure que sache ordonner la reine, en faisant quitter Saint-Germain au reste du petit monde. Les médecins les plus écoutés sont MM. Delorme, Hautin et Lemaitre, attachés à la maison royale. On nourrit Christine de lait d'ânesse, pour la fortifier ; Christine sera un jour duchesse de Savoie[25].

 

Est-ce là toute la petite troupe des enfants royaux ? Hélas ! Marie de Médicis a dû subir que les enfants naturels d'Henri IV fussent indistinctement élevés avec eux ! On a eu beau expliquer à la reine que la coutume est admise en France, où le moindre gentilhomme campagnard, riche en progéniture de sortes variées, héberge tout son monde sous le même toit ; on a eu beau lui dire que du temps de Catherine de Médicis il y avait à la cour une fille naturelle de Henri II ayant rang de princesse, maison constituée,  place au soleil avec sa qualité de Madame la bâtardeles gens de Madame la bâtarde ; — elle s'est révoltée, puis a obéi ! Que faire ? Les enfants naturels du roi sont marchandises de sa boutique, dit plaisamment Giovannini, mercanzia della sua bottega ! Henri IV les tient pour bel et bien ses fils. Il n'a pas voulu que ceux-ci l'appelassent Monsieur, comme il était d'usage que les enfants naturels appelassent le roi leur père, à la cour de Catherine de Médicis, mais papa. Il les adore. Complètement oublieux de la déclaration signée un jour par lui dans laquelle il prescrivait que les bâtards de gentilshommes ne pourraient jouir des privilèges de noblesse, il les a légitimés, les a créés ducs, princes, leur a fait un sort brillant et les impose[26].

Voici d'abord les trois enfants de Gabrielle d'Estrées César, duc de Vendôme, qu'on appelait, avant qu'il fût duc, César-Monsieur ; Alexandre de Vendôme, qui sera fait grand prieur de France ; Catherine-Henriette, plus tard duchesse d'Elbeuf. Par un contraste qui n'est pas rare, fils d'une douce et aimable créature, les Vendôme sont d'un caractère insupportable, lorsque au contraire les deux enfants de l'orgueilleuse madame de Verneuil sont faciles à vivre. César, légitimé bien avant le mariage de Marie de Médicis, en 1595, gratifié dans l'Etat du rang qui suit immédiatement celui des princes du sang, est le plus désagréable de tous. Henri IV s'illusionne sur son compte. Il le croit d'un bon naturel ; et toutefois dès ses premières années sa mauvaise éducation était visible à tout le monde et sa malice si connue que peu de gens en évitoient la piqûre. Le roi le comble de grâces, de distinctions : au Louvre, le jeune duc habite un appartement situé à l'entresol, sous la chambre même du roi, faveur plus qu'insigne. C'est un mauvais drôle, violent, moqueur, brutal. On manqua l'arrêter une fois sur le Pont-Neuf parce qu'un jour d'hiver, s'amusant à jeter des boules de neige, il s'avisa de mettre une pierre dans l'une d'elles et blessa grièvement un gentilhomme au visage. Cet odieux enfant, Henri IV a voulu que Marie de Médicis le considérât comme sien. Par un abus d'autorité excessif, il a exigé qu'elle l'appelât mon fils et que quand elle lui écrivit elle signât : votre bonne mère ! Marie s'exécute. Le lendemain de la mort d'Henri IV, modifiant les formules, elle dira : Mon neveu de Vendôme, mes nièces de Verneuil. Les relations apparentes de la reine et de ce jeune César sont froides et correctes. Le petit écrit à Sa Majesté des lettres dignes et polies ; il fait même quelques légers cadeaux et la reine lui répond en l'assurant de son amitié et bienveillance. Il faudra bien, en 1609, accepter son mariage, préparé par Henri IV depuis dix ans, avec une opulente héritière, Françoise de Lorraine, fille unique du duc de Mercœur. Qui eût dit, le jour de cette brillante fête, à laquelle la cour entière assistait, que cinq ans après Marie de Médicis ferait arrêter M. de Vendôme ! Louis XIII, dauphin, déteste ce demi-frère ; et il n'est humiliation qu'il ne lui fasse subir[27] !

Alexandre, le second, qui est fait chevalier de Malte en 1604, au cours d'une grande et fastueuse cérémonie et que le dauphin appelle féfé chevalier, n'est pas mieux traité par lui. Le dauphin le bouscule, le rudoie. L'autre, qui n'est pas d'humeur accommodante, provoque souvent les irritations. Encore plus indifférente à l'égard de celui-ci qu'à l'égard de son frère, la reine le confiera à un mentor nommé M. Prudent, et, sous prétexte de lui faire aller voir le grand maître de Malte à la religion duquel il appartient, puis de lui former l'esprit par les voyages, en réalité pour se débarrasser de sa personne, lui fera entreprendre un grand voyage en Italie et à Malte, dont elle paie tous les frais.

Mademoiselle de Vendôme jouit d'un sort plus favorable. On est plus bienveillant envers elle ; les princesses jouent volontiers en sa compagnie et la reine, moins mal disposée, lui accorde de légères faveurs, telle que celle d'ordonner à M. Donon, contrôleur des bâtiments du roi, d'établir une communication au Louvre entre le petit appartement de la future duchesse d'Elbeuf et l'appartement des filles de Marie de Médicis, afin que les enfants puissent se joindre facilement[28].

Bien plus aimables et sympathiques, avons-nous dit, sont les deux enfants d'Henriette d'Entraigues, petits êtres attristés, doux et craintifs : un fils, qui est appelé le marquis de Verneuil, et une fille à laquelle Henri IV a donné le nom de la maîtresse qui avait précédé la mère, Gabrielle ! Tout le monde les aime, même le dauphin et ses sœurs. Le dauphin a voulu être le parrain du garçon, surprenante distinction de la part d'un prince qui, en général, ne peut pas souffrir ses frères naturels, et il a décidé que sa sœur Elisabeth, Madame, serait la marraine de Gabrielle ! Ensemble, tous, — ni Henri IV, ni Marie de Médicis, ni madame de Verneuil ne devant être là, — ils ont organisé la cérémonie du baptême à Saint-Germain avec une élégance sobre — on baptise les enfants, en ce temps, lorsqu'ils ont six ou sept ans. — Un beau cortège a été formé : trompettes, fifres et tambours en tête ; gentilshommes dans leurs atours escortant ; la compagnie des gardes-françaises du château faisant la haie ; le personnel domestique suivant. M. de Verneuil et sa sœur, vêtue de satin blanc, sont conduits dans la vieille chapelle du château, bâtie par saint Louis, où l'évêque de Paris vient leur conférer le sacrement ; et le soir, un grand dîner, présidé par le dauphin, termine cette fête intime et enfantine[29]. Marie de Médicis a un faible pour féfé Verneuil : c'est certainement celui de ses neveux qu'elle préfère et auquel elle écrit le plus volontiers. Conscient ou non de sa position fausse, et cherchant à se la faire pardonner, le pauvre enfant multiplie les marques d'attachement et de respect. La reine revient-elle de voyage avec Louis XIII, il lui écrit pour lu dire la joie qu'il éprouve à apprendre son retour e lui demander la permission d'aller au-devant d'elle afin de la voir plus tôt. La reine touchée lui répond qu'elle consent volontiers à ce qu'il vienne jusqu'à Longjumeau. Il n'est attentions et égards qu'il n'ait. Louis XIII, pénétré des devoirs que la qualité de parrain lui impose, l'entoure de soins. De très bonne heure Henri IV a eu l'idée de faire de cet enfant un évêque ; il le fait nommer à Metz à peine baptisé. Louis XIII suivra le petit évêque de Metz, s'occupant affectueusement de lui, s'intéressant aux incidents de sa vie, et, bien que du même âge, lui donnant des conseils. L'intimité des deux enfants, l'un le maître, protecteur affectueux, l'autre, obéissant et tendre, est touchante. Mademoiselle Gabrielle de Verneuil épousera plus tard le marquis de la Valette, duc d'Epernon, un des plus grands seigneurs de France[30].

Les enfants de madame de Verneuil appellent leur mère : maman mignonne. Ils la voient de temps en temps, avec des précautions. Lorsque le roi sollicité a permis qu'Henriette d'Entraigues allât rendre visite à son fils et à sa fille, tantôt un gentilhomme est chargé d'aller prendre ceux-ci et de les conduire auprès de leur mère, soit à Paris, soit à Passy, soit ailleurs, pour huit ou dix jours, temps que, le cas échéant, on prolongera de deux ou trois jours ; tantôt madame de Verneuil vient elle-même à Saint-Germain. Si l'ordre n'a pas été donné de l'empêcher de voir le dauphin et ses sœurs, elle se hasarde à leur dire quelques mots. Elle caresse le dauphin, observe Héroard, mais, ce dit-on, avec peine. Toujours, en cas de maladie de l'un de ses enfants, on l'appelle : on lui donne une chambre dans le château ; on a quelques égards. Quand il s'agit de l'inévitable petite vérole dont est atteint soit le garçon, soit la petite fille, on isole madame de Verneuil, par précaution, la laissant au vieux château et envoyant le reste du monde princier au château neuf. D'une manière générale Henri IV, pas plus que Marie de Médicis, ne tient beaucoup à ce que madame de Verneuil fréquente ses enfants légitimes. Est-ce appréhension véritable ou pudeur ? Cette raison fait que la marquise ne peut venir à Saint-Germain que sur autorisation expresse de Sa Majesté, qui n'en abuse pas et que, le plus souvent, il ne lui est pas possible de rencontrer le futur roi, si ce n’est par occasion, mais non par dessein[31].

 

Cinq enfants légitimes, pour ne pas parler du premier duc d’Orléans, mort trop tôt, et cinq enfants naturels, tel est ce qu'un familier de la cour appelle irrévérencieusement le troupeau de Saint-Germain. Ils vivent tous ensemble, jouant aux mêmes jeux, suivant les mêmes exercices, prenant les mêmes repas : les rangs seuls différent, puisque le dauphin sait faire sentir aux autres qu'il est d'une race meilleure et comprendre à ses sœurs que leur qualité est supérieure : ils mènent la même existence. Avec des personnels divers, des gouverneurs ou précepteurs distincts, des appartements séparés, ils vivent assez confondus. Ils organisent en commun de petites fêtes et principalement des ballets, genre de divertissement royal très en faveur et dispendieux : celui qu'organise le duc de Vendôme en janvier 1608 revient à 1.500 livres ; un autre, du dauphin, en 1610, coûte 2.000 écus. Le roi, la reine y assistent et quelques intimes[32].

Avec les ballets, les comédies sont le grand sujet de divertissement : répétitions à renouveler, costumes à combiner, mise en scène à prévoir, ornementation de la salle, la grande salle de François Ier, à imaginer. Ce sont les filles, Elisabeth surtout, qui adorent ce genre de plaisir. En 1611, Elisabeth désirant monter le Bradamante de Garnier, demande la permission à sa mère, qui consent : Je veux bien volontiers accorder à ma fille aînée la permission qu'elle désire pour réciter sa comédie, mais elle doit bien apprendre les vers ; j'ai l'intention d'aller dans peu de jours à Saint-Germain pour voir si elle s'en acquittera bien et si elle les aura bien retenus ; vous l'en avertirez de ma part afin qu'elle se dispose à bien faire ; à une condition cependant, c'est qu'elle emploie bien le temps à servir Dieu et à faire ses exercices ordinaires afin qu'étant au delà je m'aperçoive qu'elle ail bien profité. Les rôles sont donnés ; il y a beaucoup d'acteurs. Elisabeth, Christine, — pas Henriette, trop petite, — Gaston, Vendôme, les Verneuil, le comte de Moret ; puis de petites amies, mesdemoiselles de Renel, de Vitry, de Frontenac, pour un rôle insignifiant de domestique, mademoiselle Sauvât, la fille de la femme de chambre de la reine ; quelques jeunes garçons, le baron de Palluau. La fête sera donnée l'après-midi, dans la salle de bal de Saint-Germain, et comme on veut qu'elle ait lieu aux chandelles, on requerra des tapisseries, afin de boucher les grandes fenêtres. Il en faut beaucoup. Estant encore besoin, écrit Marie de Médicis à M. Delafont, intendant des meubles du roi, de quelques pièces de tapisseries pour mettre devant toutes les fenêtres de la salle où se doit jouer la comédie, lesquelles se doivent boucher à cause des flambeaux qui s'allument en plein jour, je vous prie d'en envoyer d'autres, douze ou quinze pièces, des moyennes et des plus usées[33]. C'est la reine qui adressera les invitations en son nom et au nom de la troupe : De ma part et de celle de toute la compagnie des comédiantes, je vous prie de venir voir leur comédie ; elle sera demain récitée à une heure après dîner. Le plaisir que vous aurez à les entendre supassera la peine et l'incommodité que vous pourrez recevoir par les chemins. La salle étant vaste, nombre de gens sont invités, beaucoup d'autres veulent y venir : princes, princesses, seigneurs, courtisans, jusqu'au vénérable chancelier, au grave président Jeannin, au premier président du Parlement. Primitivement fixée au dimanche 31 juillet, puis retardée au mardi 2 août, la fête a lieu en présence d'une salle comble. Comme il convient devant si noble assemblée, la séance annoncée pour une heure ne commence qu'à trois. Au dire de Malherbe, qui était présent, Gaston débutait par un petit prologue de six vers : Il tenoit une pique qu'il branla vers la compagnie de si bonne grâce que cette action et un petit saut qu'il fit en achevant lui attira un monde de bénédictions. Malheureusement il était tellement empêtré dans des hauts-de-chausses auxquels il n'était pas habitué, qu'on dut les lui retirer pour lui rendre ses jupes. Elisabeth, qui joue Brada, vêtue en amazone, est charmante. Quant à la petite Christine, on lui a seulement donné un petit bout de rôle lui permettant de paraître un instant et de dire un mot afin qu'elle ne pleurât pas. La fête fut très réussie. Marie de Médicis écrivait le lendemain à Léonora Galigaï : Je vous dirai comme la comédie de ma fille fut bien récitée en bonne compagnie et fit si bien et si gentiment et toutes les autres aussi qui en estoient que j'en demeurai avec beaucoup de satisfaction et de contentement. Moins complaisant ou plus exact, Tallemant écrira plus tard qu'à part le comte de Moret les acteurs étaient pitoyables[34] !

 

Parmi les personnes qui assistaient à cette fête, une de celles qui suivaient avec le plus de bienveillance, d'un air enjoué et bon, était une dame très laide, grosse, richement habillée, fort entourée, la reine Marguerite de Valois, première femme d'Henri IV. Quoique n'étant à peu près rien maintenant dans la famille royale, la reine Marguerite y remplit un rôle important de manière de tante à héritage, très dévouée aux enfants de Marie de Médicis qu'elle appelle mes neveux. En réalité elle semble de la famille, et elle parait même le parent le plus rapproché.

Tant qu'elle avait été mariée avec Henri IV, qu'elle ne pouvait pas souffrir, elle avait vécu loin de son mari. Du jour où l'union des époux fut rompue, leurs relations devinrent courtoises. Henri IV appelle son ancienne femme ma sœur et il n'est prévenance qu'il ne lui prodigue. Ils s'assurent l'un l'autre qu'ils s'aiment. Marguerite, en tout cas, est dune correction parfaite à l'égard du roi. Leurs rapports sont tels qu'en 1605, l'ancienne reine de Navarre demande et obtient la permission de venir vivre à Paris : elle n'y était pas venue depuis vingt-cinq ans ! On la présenta à Marie de Médicis : ce fut une piquante scène que la rencontre au Louvre de ces deux princesses qui avaient occupé le même trône et épousé le même roi. Marguerite fut très calme et digne, Marie de Médicis pâle et émue[35]. Mais où était la brillante reine Margot de jadis qui avait fait la joie du temps des trois derniers Valois ? Il ne restait plus qu'une très forte femme, âgée de plus de cinquante ans, toute en chair, énorme, portant sur sa tête une perruque de cheveux blonds filasse, les joues pendantes, l'air repoussant[36]. Le public était prévenu contre elle. Un jour que M. de Souvré, accompagné de l'écuyer du dauphin, M. de Pluvinel, menait le petit prince chez Marguerite, celle-ci ravie s'écriait : Ah ! qu'il est beau ! ah ! qu'il est bien fait ! Que le Chiron est heureux qui élève cet Achille ! — elle se piquait de littérature, — et M. de Pluvinel qui n'était pas très fin observait en sortant : Ne vous disais-je pas bien que cette méchante femme nous dirait quelque injure ! Elle avait eu autrefois une existence gaie, agrémentée de beaucoup de bonnes fortunes : on assurait que, malgré son âge, sa perruque et ses bajoues, elle continuait. Lors de son arrivée à Paris elle s'était installée à l'hôtel de Sens, près de l'Ave-Maria, puis, un de ses trop bons amis y étant mort, elle avait déclaré qu'elle ne pouvait continuer à vivre dans une maison qui lui rappelait de si affreux souvenirs, et Henri IV, complaisamment, lui avait donné en face du Louvre, de l'autre côté de l'eau, l'emplacement sur lequel elle élevait sa maison de la rue de Seine, superbe, luxueuse, complétée par de vastes jardins. Elle manqua d'y perdre un nouvel ami, Bajaumont, et Henri IV, inquiet, fit prier à la ronde pour la guérison de Bajaumont afin de n'être pas obligé de fournir à Marguerite une troisième demeure. Il n'était histoire suspecte que le peuple ne mît sur le compte de cet hôtel. Des libelles très gaulois couraient racontant les excès de la maîtresse de maison qu'on appelait : la roine Vénus, vieille sainte plâtrée ! On la représentait se décolletant d'une façon si outrageante que la chose devenait proverbiale et que les prédicateurs y faisaient allusion en chaire. Elle passait pour battre ses amants[37].

Qu'y avait-il de vrai dans ces racontars ? Tous ceux qui ont approché Marguerite parlent d'elle en termes excellents. C'était une femme d'esprit, agréable, instruite, ayant beaucoup lu. Elle avait des goûts littéraires, lettere di umanita et philosophiques. Elle parlait extrêmement bien aussi bien que femme de son temps, et écrivoit plus élégamment que la condition ordinaire de son sexe ne portoit. Maîtresse de maison accomplie, elle recevait mieux que personne, vive, spirituelle, aimable, toute à tous. Elle aimait à donner des dîners dans lesquels elle s'entourait de préférence de littérateurs. Ses fêtes, soirées, concerts, bals, étaient les plus réussis de Paris et nombreux. Petit à petit elle était parvenue à constituer autour d'elle une cour intelligente d'écrivains et d'artistes au milieu desquels vivant à la royale, d'une façon magnifique, elle avait fini par faire appeler sa demeure le palais d'Alcine. En somme elle eut le premier salon en date du XVIIe siècle et elle représente la première des princesses intelligentes qui sut devenir le centre d'un monde distingué. Legrain, qui l'a beaucoup fréquenté, écrivait : elle estoit d'une conversation si douce et sérieuse qu'en toutes ses actions et jusqu'à sa table elle estoit extraordinairement environnée de gens fort accomplis en toutes sortes de sciences, des discours desquels, joints avec les siens, les assistants emportoient toujours quelque bonne instruction ; et Richelieu ajoutait : Elle étoit le refuge des hommes, aimoit à les entendre parler : sa table en étoit toujours environnée. Dans sa riche bibliothèque — comptant entre autres plus de mille manuscrits ; nous en avons le catalogue, — auteurs latins et grecs, chroniqueurs français, pères de l'Eglise, livres de philosophes et de moralistes, ouvrages de science, de médecine, de jurisprudence figuraient, témoignant de l'éclectisme de ses goûts. Tous les écrivains connus du XVIe siècle étaient représentés, Montaigne, La Boétie, surtout les poètes. Elle avait annoté de sa main nombre de livres d'humanité et possédait le manuscrit de Brantôme[38].

Elle n'eût pas été complète si elle ne fût devenue très charitable et très dévote. Elle offrait le pain bénit à Saint-Étienne du Mont, suivait, sous un dais, les processions dans les rues, il est vrai portée à dos d'hommes ; entendait la messe chaque jour et communiait trois fois par semaine. Sa générosité était inépuisable : d'aucuns l'accusaient de donner sans discernement. Elle départoit si abondamment l'aumône à tous les nécessiteux, qu'il n'y avoit maison religieuse, dans Paris, qui ne s'en ressentît, ni pauvre qui eût recours à elle sans en tirer assistance. Aussi Dieu récompensa avec usure, par sa miséricorde, celle qu'elle exerçoit envers les siens, lui donnant la grâce de faire une fin si chrétienne que si elle eut sujet de porter envie à d'autres, durant sa vie, on en vient davantage de lui en porter à sa mort. Lorsqu'elle mourut, ce devait être un concert unanime de louanges. Celui qui écrivait les Complaintes et regrets des pauvres sur le tombeau de la reine Marguerite, duchesse de Valois, interprétait le sentiment public, car après tout, comme disait Pontchartrain, elle n'avoit fait mal qu'à elle-même[39].

Pour mener le genre de vie luxueuse qu'elle avait adopté, il lui fallait beaucoup d'argent. Elle était riche. Ses domaines étaient considérables. Héritière de Catherine de Médicis, sa mère, qui avait eu une grande fortune, elle possédait des biens en quantité. Avec ses revenus d'Auvergne, des pensions obtenues d'Henri IV, grâce aussi à des combinaisons et des échanges fructueux, elle était parvenue à s'assurer un revenu de 368 200 livres de rente, ce qui était un beau denier. Elle devait tout laisser au dauphin, par testament, mesure généreuse de nature à la faire bien voir de la famille royale[40].

Mais point n'était besoin de cette donation pour rendre cordiales ses relations avec Marie de Médicis. Les rapports des deux reines étaient excellents. Moitié humeur personnelle de Marguerite, facile et accommodante, moitié volonté arrêtée chez elle de rester bien avec la reine titulaire, ne fût-ce que pour ne pas être obligée de quitter Paris, en cas de brouille, la duchesse de Valois faisait tout ce qui dépendait d'elle afin de maintenir l'entente. Marie de Médicis, reconnaissante de ces bonnes dispositions, se prêtait de son mieux à conserver la bonne intelligence. Sitôt que quelque mouche de Cour colportant un propos suspect pouvait réussir à provoquer un nuage entre les deux femmes, Marie s'empressait d'écrire à sa chère sœur afin de dissiper le malentendu : elle prenait les devants ; visiblement elle tenait même à cette amitié. Marguerite, de son côté, était pleine de prudence et de précautions. Au lieu que les moindres femmes brûlent tellement d'envie et de haine contre celles qui tiennent le lieu qu'elles estiment leur appartenir qu'elles ne les peuvent voir, elle, au contraire, non seulement allait voir souvent la reine, mais lui rendit jusqu'à la fin de ses jours tous les honneurs et devoirs d'amitié qu'elle pouvoit attendre de la moindre princesse. Il n'était petites attentions qu'elles n'eussent à l'égard l'une de l'autre, Marie invitant Marguerite à venir la voir à Montceaux, Marguerite faisant des cadeaux ; toutes deux se protestant réciproquement de leur entière affection mutuelle. Au baptême de Gaston, en 4614, la duchesse de Valois consentit, avec empressement, à être marraine du prince. Si Marguerite avait quelque affaire, qu'un M. de Saint-Chamans se fût oublié à lui dire en son logis des insolences avec grande indiscrétion, puis fût allé répéter partout des paroles indiscrètes à son désavantage, elle venait se plaindre à Marie de Médicis et celle-ci, prenant à cœur les doléances de son amie, écrivait au chancelier de Sillery, au connétable, afin qu'on poursuivît le coupable et qu'on le châtiât. Sujet plus délicat, la duchesse de Valois avait-elle des embarras d'argent, — et il lui arrivait, en raison de sa profusion, de connaître les heures difficiles, — elle s'adressait à Marie de Médicis. Un jour que celle-ci, reine régente, était sollicitée de donner ainsi 20.000 livres, elle les accordait immédiatement avec une bonne grâce empressée, encore que les affaires du roi Monsieur mon fils et les miennes ne puissent permettre aucunes dépenses extraordinaires. Un autre jour qu'il fallait peser sur M. de Sully afin d'obtenir du farouche surintendant un règlement de compte quelconque : Mon cousin, écrivait Marie au ministre, en insistant, j'aurais un extrême déplaisir que ma sœur la reine Marguerite eût occasion de se plaindre de moi[41].

N'ayant pas pu donner d'héritier au roi et ayant accepté l'annulation de son mariage, afin de permettre à Henri IV d'avoir des enfants, Marguerite se trouva des trésors de tendresse envers les petits princes dont elle eût voulu être la mère ! Elle les comblait de cadeaux : elle les emmenait avec elle à la foire de Saint-Germain pour leur acheter tout ce qu'ils pouvaient désirer : elle les gâtait. A Issy, propriété où elle aimait à aller, elle invitait les enfants et leur mère à venir goûter. Marie de Médicis, enchantée de ce dévouement, voulut que le dauphin appelât celle qu'il nommait jusque-là ma tante, maman ! Le petit fut un peu interloqué. Tout ce qu'il put faire fut de dire maman ma fille, on ne sait pourquoi ma fille[42] !

Ce fut par acte notarié du 10 mars 1606 que la reine Marguerite fît donation entière de ses biens meubles et immeubles au futur Louis XIII. Elle venait de gagner un gros procès intenté, en revendication précisément de ces biens, à Charles de Valois, comte d'Angoulême, fils naturel de Charles IX — lequel comte d'Angoulême avait reçu d'Henri III de grands biens provenant de la succession de Catherine de Médicis. — Le testament de Catherine de Médicis en faveur de sa fille étant formel, Charles de Valois se trouvant en disgrâce à la Bastille et le roi appuyant Marguerite, les juges avaient découvert plus de raisons qu'il n'en fallait pour rendre un arrêt favorable aux prétentions de l'ex-reine de Navarre. La donation au dauphin suivit, donation entre vifs, à condition que les biens de la princesse seraient incorporés au domaine royal et ne pourraient être aliénés ; que l'usufruit lui en demeurerait, ou même qu'elle céderait tout moyennant une forte pension. Au fond, c'était une manière de placement en viager qu'elle faisait. Lorsqu'elle mourut, le 27 avril 1615 en son hôtel de la rue de Seine, au bord de l'eau, on reconnut qu'elle était couverte de dettes : sa chambre était si pleine de ses créanciers que l’on n'y pouvoit retourner. Elle devait plus de 260.000 écus. La succession, longue et compliquée, donna lieu à d'infinis procès ; tous ses biens furent vendus ; le beau domaine de la rue de Seine fut loti par les entrepreneurs Briois et Marsilly, et il ne resta plus rien de cette princesse brillante, pas même le souvenir qu'elle avait été bienfaisante, femme d'esprit, maîtresse de maison très moderne et tante affectionnée ou amie fidèle : il ne demeura que l'histoire des déportements de la reine Margot[43] ! De vraie tante, du côté d'Henri IV, les enfants n'en ont eu qu'une, la duchesse de Bar. Ni Marie de Médicis, ni surtout les enfants ne l'ont beaucoup connue. Elle a été mariée assez tard, âgée de quarante ans, en 1599, au prince de Lorraine, duc de Bar ; excellente créature qui adore son mari. Elle vint faire une apparition à Paris en 1603, apparition fugitive, puis mourut l'année suivante assez tristement d'une inflammation intérieure dans laquelle on avait cru d'abord reconnaître une grossesse. Marie de Médicis entendit surtout parler d'elle pour le règlement de ses dettes qui étaient nombreuses et difficiles[44].

 

Du côté de Marie de Médicis, en Italie, les parents affluent. Oncles, tantes, sœurs, beaux-frères, neveux, nièces, cousins, on en compte une vingtaine, à ne parler que des moins éloignés. Leurs lettres à la reine de France sont continuelles, accablantes. Ils jouent le rôle de modestes parents de province, fiers du succès d'un des leurs qui est arrivé et perpétuellement indiscrets à son égard.

Il faut faire une place à part au grand-duc et à la grande-duchesse de Toscane, l'oncle et la tante de la reine. Le grand-duc tâcha longtemps de servir un peu de père à Marie de Médicis, lui donnant des conseils, des avertissements, des leçons. Tenu au courant de ce qui se passait à Paris par ses envoyés, il s'efforçait de mettre la paix dans le ménage royal, prodiguant les consolations à sa nièce, multipliant les invites au calme, à la patience, à la résignation, parfois se fâchant et disant des vérités. Au fond Marie l'aimait. A la fin, elle s'impatienta de ce rôle de mentor que prenait son oncle. Elle déclara à Guidi, pour que celui-ci transmît son sentiment à Florence, qu'elle était excédée d'être ainsi traitée par sa famille comme une petite fille, une enfant ; qu'elle était reine de France, mère de cinq enfants et qu'elle refusait de se soumettre plus longtemps à cette discipline. Le grand-duc un peu surpris se le tint pour dit. D'ailleurs ses relations avec Henri IV n'étaient rien moins que cordiales. Fatigué des intrigues, des disputes, des ennuis dont les Italiens entourant la reine étaient le motif ou le prétexte, à tort ou à raison, le roi en attribuait la cause initiale au grand-duc. Il ne pouvait pas le souffrir. Tout ce que faisait celui-ci était pris en mauvaise part. Le grand-duc envoyait-il, par attention gracieuse, des fruits d'Italie, Henri IV relevait aigrement que le grand-duc n'expédiait à Paris que des oranges et des limons, tandis qu'il faisoit en Espagne des présents de trente et quarante mille écus. Il ne lui écrivait jamais autrement que pour les affaires et de ces lettres officielles impersonnelles rédigées par des secrétaires. Néanmoins les apparences demeuraient convenables. Les deux familles échangeaient des présents, Marie de Médicis donnant à son oncle six chevaux de carrosse, ou bien plusieurs petites besognes avec quelques bardes dans une malle ; de Florence le grand-duc expédiant soieries, bijoux, comestibles, graines de choux-fleurs. Lorsque l’oncle mourut en 1609, Marie de Médicis fut réellement affligée ; Henri IV dut prendre des précautions pour lui annoncer la nouvelle, et la cour se mit en grand deuil[45].

Avec la grande-duchesse de Florence, sa tante, les rapports de Marie de Médicis sont plus faciles. La grande-duchesse, qui est presque du même âge que la reine, ne s'avise pas de la morigéner. Bien qu'il y ait eu jadis entre elles quelque sujet de froissement, on a oublié de part et d'autre. En bonne tante, la grande-duchesse s'intéresse surtout aux enfants ; elle demande à madame de Monglat de lui envoyer des nouvelles : c'est la bourgeoise tranquille et affectionnée, aux petits soins avec ses neveux et nièces auxquels elle adresse force cadeaux. Aussi la reine finit-elle par la tenir en grande sympathie : Je n'ai point eu de consolation, lui écrit-elle au moment de la mort d'Henri IV, en la grande douleur que j'endure, qui m'ait apporté plus d'allégement que celle que je reçois de vous[46].

Bourgeoises paraissent les lettres de la grande-duchesse aux enfants ; encore plus bourgeoises semblent les relations de la reine avec sa sœur Eléonore de Médicis, épouse du duc Vincent de Mantoue. Ce sont entre les deux sœurs les mille détails ordinaires à des femmes qui échangent des recettes, se font réciproquement des commissions, s'entretiennent d'enfants, de questions de santé, de chiffons : Je vous envoie, écrit Marie de Médicis, ces trois pièces de toile que l'on appelle ici du quintin, qui est propre pour faire des rabats et colets, mais non pour des fraises. Elle m'a semblé être quasi semblable au fil d'Inde de Mantoue ; elle ne se met point à la lessive, mais on la lave avec du savon. Si vous la trouvez belle et que vous en désiriez davantage, faites-le-moi savoir et je vous en enverrai. De Mantoue on expédie à la reine des fromages, des saucissons, des fruits, sur deux mulets. La duchesse Eléonore est-elle malade d'une affection dont les médecins italiens ne viennent pas à bout, après force échanges d'observations, Marie de Médicis décide sa sœur à lui envoyer la description détaillée de son mal et elle soumet le cas au premier médecin du roi, M. du Laurens, au médecin de la reine, M. Martin, tous deux très excellents, pour que ceux-ci donnent une consultation. Le banquier de Marie de Médicis, chargé des affaires d'argent avec l'étranger, Jean André Lumagne, touche 300 livres qu'il est chargé de transmettre, de la part de la reine, à la duchesse de Mantoue, pour affaires concernant notre service, dit Marie de Médicis, et dont nous ne voulons être ci fait aucune mention ni déclaration : le paiement, sans doute, de quelques achats, de commissions ! Naturellement les deux princesses sont marraines respectivement des enfants de l'une et de l'autre. Trop grande dame pour passer les monts, la reine de France se fait remplacer à Mantoue par la duchesse de Ferrare. Mais la duchesse de Mantoue, sollicitée d'être la marraine du dauphin en 1606, est obligée de venir à Paris. Elle emmène avec elle un superbe carrosse ; n'étant pas très fortunée, son train est plus modeste : riche voiture, et piètre suite, remarque le public[47].

Dans le courant de l'année 1608 arrivait également à Paris un seigneur italien d'une quarantaine d'années nommé Jean de Médicis : c'était l'oncle naturel de la reine, fils bâtard du grand-père de Marie de Médicis. Militaire de valeur, ingénieur éminent, homme d'esprit distingué qui a écrit des Aphorismes politiques, des Discours académiques, et s'occupait de littérature, d'architecture, de sciences occultes, Jean de Médicis avait brillamment servi les armées espagnoles en Flandre ; il venait d'Angleterre où il était allé voir la Cour. Doué d'un caractère peu consistant, il était charmant, spirituel, célibataire et dépensier. Il avait pris l'habitude, étant depuis longtemps à court d'argent, de s'adresser à sa nièce la reine de France, et Marie de Médicis, par esprit de famille, consentait à lui donner de quoi payer ses dettes. Mais les exigences étaient devenues intolérables. Envoyez-lui encore, disait-elle à d'Argouges, 6.000 écus, sous mon crédit, payables dans un an. Il me paiera l'intérêt. Je ne puis mieux faire ; mes affaires sont en trop mauvais état. Il faut que je réduise ma dépense, qu'il réduise la sienne ! Il plut à Henri IV auquel son humeur gaie et facile convenait. La pensée vint même au roi de se l'attacher en le fixant en France moyennant une pension annuelle de 36.000 livres. Si Marie devenait régente d'un roi mineur, elle aurait ainsi auprès d'elle un bon soldat, dévoué, susceptible de la défendre. Malheureusement le grand-duc Ferdinand, qui n'était pas bien avec ce frère naturel, voyant qu'il s'établissait à Paris où on lui payait sa grasse pension sur les 100.000 livres qui lui étaient dus, à lui Ferdinand, tous les ans, pour les dettes anciennes, le trouva fort mauvais et mit la main sur les revenus de don Jean en Italie. De plus, celui-ci était en très bons termes avec madame de Verneuil : leurs caractères caustiques et enjoués s'accordaient. Henri IV songea à utiliser cette entente pour faire suggérer par l'Italien à la reine quelques bons conseils au sujet de la maîtresse : Don Jean avait d'abord riposté qu'il n'était pas venu en France pour faire le ruffian. Néanmoins il avait tâché de dire quelques mots à Marie de Médicis. Celle-ci le reçut très mal. Elle fut choquée. L'autre, qui trouvait Henriette d'Entraigues délicieuse, attribua, à tort ou à raison, l'attitude de la princesse à la pernicieuse influence de Concini : il s'emporta contre le mari de Léonora Galigaï, le traita de haut en bas, l'appela valet, disant qu'il le poignarderoit s'il n'avoit honte de se souiller du sang d'un homme de basse extraction qui devoit son existence à la maison de Médicis. Concini, pour se venger, se répandit contre Jean en calomnies qui envenimèrent les choses au dernier point. Il fallut que Marie de Médicis écrivît à Florence afin de réclamer le rappel de son oncle : Je suis très mécontente de Don Jean et de ses intrigues avec la marquise de Verneuil ; il m'a fait plus de tort en flattant le roi que ne m'en ont fait tous mes ennemis ! Henri IV trouva aussi que Jean de Médicis n'avait pas été assez adroit. Sur quoi celui-ci déclara qu'il était avili, que sa dignité, celle de sa maison, ne lui permettaient pas de rester, qu'il s'en allait, et il quitta si brusquement Paris que le gouvernement dut se plaindre à Florence. Le public regretta ce départ qu'il attribua à la reine ; Henri IV offrit au prince une pension, qui fut refusée. Don Jean devait finir à cinquante ans par un très sot mariage avec la femme divorcée d'un cardeur de matelas devenue fille publique, Livie, ce qui le mit au ban de la société, le fit abandonner complètement de sa famille, laquelle, après sa mort, à Murano, en 1621, s'arrangea pour que le mariage fut déclaré nul, les enfants bâtards, et laissa Livie périr de misère sur un grabat[48] !

 

Ce ne fut pas le seul parent d'Italie qui causa des ennuis à la reine. Bien d'autres cherchèrent à l'exploiter. On trouve chez certains des exigences et des inconsciences déconcertantes. Marie de Médicis avait à Rome une cousine qui avait épousé le duc de Sforza : le ménage n'allait pas. La femme, prenant la reine pour confidente, lui contait ses malheurs, les brutalités du mari, ses désespoirs. Un jour, le mari s'avisa de demander à Paris une pension, à titre de parent, et après quelques impatiences Henri IV consentit à lui accorder 5.000 livres. Profitant de l'expédition du brevet de cette pension, Marie de Médicis crut devoir faire entendre quelques remontrances au mari fâcheux : Je vous dirai que je trouve bien étrange le mauvais traitement que vous faites à votre femme. Je ne puis croire qu'elle vous en donne aucun sujet. C'est pourquoi je vous prie de vous en abstenir désormais tant pour votre repos particulier et éviter le scandale qui en pourrait arriver à votre maison que pour l'égard que vous devez avoir à ceux à qui elle touche et à moi en particulier. Le scandale ne cessa pas. Comme la duchesse parlait constamment de sa cousine, la reine, et la compromettait, il fallut faire intervenir l'ambassadeur de France, M. d'Alincourt : Dites au mari, mandait Marie de Médicis à M. d'Alincourt, que leur mauvais ménage fait grand tort à leur maison ; qu'ayant quantité de beaux enfants ils leur nuisent ; qu'ils nuisent à leur propre réputation. Avertissez la femme d'apporter tout ce qui sera en son pouvoir pour donner contentement à son mari, se rendant humble, respectueuse et obéissante en son endroit, afin qu'il n'ait sujet de lui faire autre traitement que celui qu'un mari doit à sa femme. En guise de réponse le duc de Sforza sollicita de Marie de Médicis le cordon du Saint-Esprit, et la duchesse écrivit à la reine de France une longue lettre, pleine de bons conseils, dans laquelle elle lui indiquait comment elle devait se conduire, ce qu'il fallait quelle fît dans telle ou telle circonstance et la manière de s'y prendre pour être bonne reine. Marie de Médicis fut outrée. Ayant lu environ la moitié de votre lettre, lui écrivit-elle, je l'ai trouvée si pleine de brouilleries et de confusion que je n'ai voulu voir le reste et l'ai jetée au feu. Il n'est point besoin que l'on me donne du côté de delà aucune règle ni enseignement de la façon que je me dois gouverner en France. Alors, avec une candeur inattendue, les Sforza exprimèrent le désir de venir faire un voyage à Paris aux frais du roi et de la reine, bien entendu. Ceux-ci leur répliquèrent qu'ils ne voulaient pas les voir et qu'ils eussent à rester chez eux. Les Sforza, déçus, le prirent de très haut ; ils crièrent, déblatérèrent ; ils parlèrent de prendre des résolutions ; Marie de Médicis leur répondit que ces menaces la laissaient indifférente. Ils proposèrent qu'au moins leur fils vînt à Paris ; la reine refusa. A quelque temps de là ils réclamaient une augmentation de leur pension, qu'ils n'eurent pas, et le duc de Santo Gemini ayant obtenu du roi de France une annuité analogue à celle des Sforza, ceux-ci, piqués, adressèrent d'amers reproches à leur royale cousine. Henri IV a été froissé de votre missive, leur répliqua sèchement Marie : le roi est maître de gratifier qui bon lui semble et ces formes de procéder avec lui sont extrêmement déplaisantes et désagréables ! La reine ne put jamais se débarrasser d'eux. Combien d'autres encore multiplièrent sans se lasser les demandes, sollicitèrent de l'argent, réclamèrent des dignités ! Princes ou grands seigneurs beaucoup de ces parents d'outremont n'ont que des âmes bourgeoises de quémandeurs et de besogneux[49] !

 

 

 



[1] J'ai ouï dire au sieur de Béthune qu'en un autre temps elle fut si peu touchée d'une extrême maladie qu'eut le duc d'Orléans que le feu roi, qui vivoit lors, le trouva fort étrange (Richelieu, Mém., I, 45).

[2] Voici cette lettre : Madame de Monglat, j'ai été bien aise que vous m'ayez souvent mandé des nouvelles de mon fils et de ma fille, comme vous avez fait ; je vous prie de continuer toujours, attendant que j'ai ce contentement de les voir et vous aussi, comme j'espère faire dans douze ou quinze jours. (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 88 r°).

[3] L'assertion de Tallemant figure dans l'historiette du cardinal de Richelieu, d'ailleurs fort sujette à caution (II, 8). Mais Balzac est très affirmatif (Balzac, Entretiens, Paris, A. Courbe, 1658, in-12°, p. 374).

[4] Toutes ces indications sont extraites des lettres de Marie de Médicis (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 123 r°, 175 r°, 230 r° ; 87, fol. 171 v° ; ms. fr. 3 649, fol. 11 r°, 55 r°).

[5] On est assez préoccupé, en général, à cette époque, de la propreté hygiénique. La reine ordonne de temps en temps à madame de Monglat de faire partir les enfants du château de Saint-Germain pour permettre le nettoyage à fond de celui-ci (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 339 v°). A Paris, on faisait balayer soigneusement le Louvre, afin qu'il n'y demeurât aucune saleté ni puanteur, dès quatre heures du matin en été, et cinq heures en hiver (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 7 225, fol. 89 r°) ; on curait les fossés tous les ans et la famille royale avait la précaution de s'absenter toujours de Paris dans ces cas-là. Il est à remarquer que, plus soucieux, même que de nos jours, d'aérer les appartements, les architectes construisaient des châteaux dont les chambres avaient des fenêtres se faisant vis-à-vis. C'était la disposition des pièces au Louvre comme à Saint-Germain. La préoccupation hygiénique n'est pas douteuse. La santé, dit O. de Serres (le Théâtre d'agriculture, Paris, 1600, in-fol., p. 21), se rend meilleure dans le logis par le libre passage de l'air.

[6] Pour juger de la crudité du langage sous Henri IV, il n'est que de parcourir le Journal d'Héroard (éd. Soulié et Barthélemy, 2 vol. in-8°), en faisant toutefois celle réserve que les éditeurs ont intentionnellement recueilli tous les mots inconvenants, lesquels, dans les manuscrits, extraordinairement plus étendus, sont moins apparents. Les romans du temps sont très libres.

[7] Le dossier des lettres originales adressées à madame de Monglat par Henri IV, Marie de Médicis, les enfants et les parents étrangers est fort intéressant à feuilleter (Bibl. nat., mss. fr. 3 649 et 3798). Madame de Monglat était célèbre pour sa maigreur (les Contrevérités de la Cour, dans E. Fournier, Variétés hist. et litt., IV, 341), surtout pour son caractère insupportable (L'Estoile, Journal, VIII, 3 322), réputation que partageait son mari, M. Robert de Harlay, seigneur de Monglat, ancien gentilhomme de la chambre d'Henri III (Bibl. nat., ms. fr. 7 854, fol. loi v°), premier maître d'hôtel d'Henri IV depuis 1596 (Ibid., fol. 188 r°). La confiance de la reine dans la gouvernante était à toute épreuve : Je me repose entièrement sur vous, lui répète-t-elle (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 26 r°). A charge de revanche, elle la prévient qu'on cherche à convertir son fils Monglat au protestantisme (Ibid., fol. 151 v°) ; mais si celui-ci veut faire un voyage en Italie, elle lui donne des lettres de recommandation pour tout le monde (Ibid., 86, fol. 221 v°). Henri IV chargeait volontiers la reine de répondre aux billets de la gouvernante : Je laisse à ma femme à faire réponse à toutes vos lettres (Lettres missives, VI, 55). Le landgrave de Hesse étant venu à Paris en 1602, le roi pria M. et madame Monglat de l'héberger chez eux (L'Estoile, VIII, 46).

[8] Les lettres du recueil original que nous venons de citer (Bibl. nat., ms. fr. 3 798) vont jusque vers l'année 1625. Elles sont en général affectueuses et confiantes à l'égard de la gouvernante.

[9] Nous avons la liste de tout le personnel des maisons des enfants (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9175 ; ms. fr. 7 834, fol. 253 v° et 268 r°. Arch. du min. des Aff. Étrang., France, 764). La maison du dauphin comprend à elle seule 174 personnes. Il faut dire qu'en 1609-1610, elle a été considérablement augmentée. Elle est un peu copiée sur celles du roi et de la reine. Beaucoup de gens, comme les 5 gentilshommes, les 14 enfants d'honneur, les 16 gens de métiers (parmi lesquels les peintres Charles Martin et Dumoustier), évidemment n'ont aucune fonction active. Le service des cuisines, nombreux, contribue notablement à alourdir le chiffre. En fait, il n'y a qu'une vingtaine de personnes qui servent immédiatement le prince (cf. notre livre, Au temps de Louis XIII, Paris, C. Lévy, 1904, in-8°, p. 7). Jean Héroard a été nommé en 1589 un des quatre médecins, à 400 écus de gages, d'Henri III (Bibl. nat., ms. fr. 7 854, fol. 168 v°). Il n'aurait donc pas été médecin de Charles IX comme on l'a cru jusqu'ici (E. Hamy, Jean Héroard, Paris, 1896 in-8°, p. 1). Il figure jusqu'en 1610 parmi les 8 médecins par quartier d'Henri IV aux gages de 1200 livres (Bibl. nat., ms. fr. 7 854, fol. 201 r°), tout en étant médecin du dauphin (Bibl. nat., ms. fr. 9 175 fol. 523 v°). A l'avènement de Louis XIII, il fut promu premier médecin du roi, à 3.000 livres (Bibl. nat., ms. fr. 7 854, fol. 293 r°).

[10] On a peu d'idée de la joie extrême avec laquelle fut accueillie en France la nouvelle de la naissance du dauphin. C'était un gage de la paix publique si désirée et si peu assurée depuis cinquante ans (Lettre de J. Esprinchard à Scaliger, dans Epistres françaises des personnages illustres et doctes. Amsterdam, 1624, in-12°, p. 77). Les réjouissances faites à Paris furent magnifiques (Bibl. nat., ms. Dupuy 76, fol. 219 et suiv.). Dans toutes les villes et bourgs du royaume, on chanta des Te Deum. Sur le berceau du petit prince, voir ce que dit l'ambassadeur vénitien Cavalli (Bibl. nat., ms. italien 1 750, fol. 103 v°) et P. Matthieu (Hist. de France du règne de Henri IV, II, 106).

[11] Le pape, songeant dès 1602 à marier le dauphin avec l'infante d'Espagne, recevait l'assurance que l'enfant avait une santé robuste (V. Siri, Memorie recondite, I, 114). Marie de Médicis le constatait elle-même (Bibl. nal., Cinq-Cents Colbert S6, fol. 52 r°, 100 r°), et Héroard partageait son sentiment (J. Héroard, l'Institution du prince, Paris, 1609, in-8°, p. 14). Voir le portrait que tracent de l'enfant les ambassadeurs Gussoni, Nani (dans Barozzi, Relazione, II, I, 471) et Foscarini (Ibid., p. 339).

[12] Pour le caractère de Louis XIII enfant, nous renvoyons à notre livre Au temps de Louis XIII (chapitre premier). On trouve une lettre autographe du dauphin à son père dans le ms. Dupuy 569, fol. 36 de la Bibl. nat. Le public se racontait les traits d'énergie et de caractère du prince (La Frenade, les Triomphes du roi, Paris, G. Robinet, 1609, in-8°, p. 69 ; l'Injustice terrassée aux pieds du roi, p. 118 ; Richelieu, Mém., I, 11), que confirment les lettres de Marie de Médicis (Bibl. nat., ms. fr. 10 241, fol. 55 r°).

[13] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 346 r° ; l'enfant avait huit ans. Les 300 soldats d'argent donnés au prince en cadeau et œuvre de l'orfèvre Nicolas Roger ne furent pas payés. Plus tard, Louis XIII dut lui-même régler le compte (Ibid., 92, fol. 33 v°).

[14] La reine était obligée de prendre des précautions pour s'informer auprès d'Héroard au sujet des corrections à infliger à son fils, de peur de froisser madame de Monglat ; elle lui faisait écrire indirectement (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 275 v°) : Mon fils rentre en son opiniâtreté accoutumée et ne se soucie plus du maçon [individu laid et à l'air terrible dont on usait pour lui faire peur], ni de toutes les menaces qu'on lui peut faire.

[15] Fontenay-Mareuil, Mém., éd. Michaud, p. 5. Voir des Lettres sur l'enfance du dauphin (Arch. du min. des Aff. Étrang. France, 764). La nourriture et l'entretien du dauphin coûtaient 1.000 écus par mois (N. Valois, Inventaire des arrêts du Conseil d'État, II, 63). Nous avons un dossier fort intéressant de lettres originales adressées par Henri IV et Marie de Médicis à M. de Souvré (Bibl. nat., mss. fr. 10 241 et 10 242). Henri IV avait cherché à s'attacher M. de Souvré au moment de son avènement au trône et y avait réussi. L'expression de la Gode était une invention d'Henri III que son successeur avait conservée (Bibl. nat., ms. fr. 10 241. fol. 34 r°, 51 r° ; Lettres missives, V, 251). M. de Souvré avait son hôtel derrière le Louvre, rue Froidmantel, avec vue sur le petit jardin du Louvre et entrée particulière (J. Du Breul, Théâtre des antiquités de Paris, 1639, Supplém., p. 76). Nous renvoyons pour tous autres détails et sources au chapitre Louis XIII enfant de notre livre cité plus haut.

[16] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 293 v°, 343 r°. Notre nouveau roi fut fouetté ce jour par commandement exprès de la reine régente, sa mère, pour s'être opiniâtre à ne point vouloir prier Dieu. M. de Souvré, son gouverneur, auquel en avoit esté donnée la commission, n'y vouloit mettre la main, jusqu'à ce que estant comme forcé par la reine, il fut contraint de passer outre. Ce jeune prince se voyant pris et qu'il lui en falloit passer par là : Ne frappez guère fort, au moins, dit-il à M. de Souvré, etc. (L'Estoile, Journal, X, 262).

[17] Héroard, Journal, I, 25, 33 ; P. Matthieu, Hist. du règne de Henri IV, II, 123, 380 ; L'Estoile, Journal, VIII, 164 ; Malherbe, Lettres, III, 45. Ces traits sont des témoignages du sentiment monarchique du temps. Les idées monarchiques étaient d'ailleurs raisonnées ; des écrivains expliquaient dans quelles conditions d'esprit politique et religieux les sujets devaient aimer le roi et le dauphin (Remontrances au peuple de France sur l’amour et l'obéissance qu'il doit à Leurs Majestés et à Monseigneur le dauphin (s. l.), 1604, in-12°, p. 4 ; Louis d'Orléans, Remerciement au roi, Paris, R. Chaudière, 1604, in-12°, p. 2) ; d'autres dressaient des réquisitoires curieux contre l'idée de ce qu'ils appelaient la république démocratique (le Fidèle sujet à la France (s. l.), 1605, in-12°, p. 114) ; d'autres, en plus grand nombre, faisaient longuement la théorie de la constitution monarchique du temps (P. Poisson, Traité de la majesté royale en France, Paris, 1597, in-4° ; H. Du Boys, De l'origine et autorité des rois, Paris, 1604, in-12° ; André Duchesne, les Antiquités et recherches de la grandeur et majesté des rois de France, Paris, 1609, in-8° ; Charles du Moulin, De monarchia Francorum (s. l.), 1610, in-8° ; Jérôme Bignon, De l'excellence des rois et du royaume de France, Paris, 1610, in-8°).

[18] La Cour et la ville surent que le jeune Louis XIII ne couchait plus que dans la chambre de sa mère (Héroard, Journal, II, 34 : Canestrini, Négociations, V, 637 ; L'Estoile, Journal, X, 247 ; Bassompierre, Mém., I, 279). Avant la mort d'Henri IV, le dauphin, quand il venait au Louvre, couchait dans une petite pièce située sous le cabinet de la reine (Héroard, Journal, I, 178). Après l'assassinat de son père qu'il apprit près de Saint-Germain-l'Auxerrois, étant sorti en carrosse pour aller voir les préparatifs qui se faisaient en vue de l'entrée solennelle de Marie de Médicis dans Paris (Fontenay-Mareuil, Mém., p. 16), on craignit sérieusement pour sa vie, l'esprit d'imitation ayant réellement, parait-il, inspiré à quelques-uns la pensée de le tuer (Richelieu, Mém., I, 25).

[19] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 89, fol. 28 r°, 194 r°.

[20] Toutes les lettres de Marie de Médicis qui concernent l'enfant n'ont trait qu'à sa santé ; elle demande des nouvelles (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 88, fol. 246 v°, 247 v°) ; elle donne ses prescriptions sur des bandages à poser (Ibid., 87, fol. 369 V) : appelle des médecins pour des consultations et propose d'elle-même des cautères (Ibid., fol. 307 r°, 313 v°). Malgré les belles promesses qu'on avait cru tirer de l'horoscope de ce prince (P. Priuli, dans N. Barozzi, II, I, p. 210), il était né et avait paru toujours fort malsain (Pontchartrain, Mém., éd. Michaud, p. 317).

[21] Cette mort est longuement contée et avec détails par Marie de Médicis dans sa lettre au duc d'Épernon (Bibl. nat., ms. fr. 6 644, fol. 11 r°). Les médecins ne virent pas grand'chose à la maladie : un endormissement et des convulsions, dit Héroard (II, 88). Le médecin Lemaitre fut très attaqué sur la façon dont il avait traité l'enfant. Il dut se défendre vivement auprès de la reine (Mercure français, 1611, p. 158). On enterra le duc d'Orléans dix jours après sa mort à Saint-Denis, où il fut aussitôt transporté (Pontchartrain, Mém., p. 317). Le chagrin de Marie de Médicis à la suite de ce deuil est attesté par le maréchal d'Estrées (Mém., éd. Michaud, p. 392), Richelieu (Mém., I, 45) et le rédacteur officieux du Mercure français (loc. cil.). L'insinuation de Richelieu au sujet de la raison réelle de cette affliction est aussi dans ses Mémoires (loc. cit.). On ne saisit pas de douleur profonde dans les lettres que Marie de Médicis écrit à propos de cette mort (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 88, fol. 249 v°).

[22] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 185 V. La nourrice portait un chaperon. Gaston était né le 25 avril 1608 (Ibid., fol. 204 r°). Sa marraine fut la reine Marguerite de Valois, et son parrain le cardinal de Joyeuse (Mercure français, 1614, p. 440).

[23] Malherbe raconte comment Marie de Médicis la entretenu elle-même des corrections qu'elle faisait infliger au petit prince (Malherbe, Lettres, III, 340). Gaston, qui commença par porter le titre de duc d'Anjou, devint duc d'Orléans au moment de son mariage à Nantes avec mademoiselle de Bourbon, le duché d'Orléans lui ayant été donné à ce moment en apanage. Au sujet de la sollicitude de Marie de Médicis à la moindre indisposition de l'enfant, voir ses lettres (Bibl. nat. Cinq-Cents Colbert 89, fol. 191 v°, 197 r°). Écrivant à M. de Brèves, le 16 janvier 1611, pour lui annoncer qu'il était nommé gouverneur du prince, Marie de Médicis lui disait : Je vous ai accordé la place vous ayant choisi entre plusieurs qui me la demandoient (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 88, fol. 122 v°). M. de Brèves fut nommé par lettres patentes (Lettres patentes nommant M. de Brèves gouverneur de Gaston duc d'Anjou, Bibl. nat., ms. Dupuy 94, fol. 34). Sur ce personnage : voir Lanfranc de Panthou, Un ambassadeur du temps de Henri IV, François Savary de Brèves (Évreux, in-8°) ; et sur la maison du prince : Algay de Martignac, Mémoires de Gaston (éd. Michaud, p. 563).

[24] Elisabeth devait son nom à sa marraine, Élisabeth-Claire-Eugénie, infante d'Espagne, que représenta au baptême Diane d'Angoulême (de Thou, Hist. univ., La Haye, 1740, X, 121). Elle fut grandement malade en 1613, à Poitiers, de la petite vérole (Pontchartrain, Mém., éd. Michaud, p. 349). F.-T. Perrens a longuement raconté les péripéties nombreuses auxquelles donnèrent lieu les projets des mariages espagnols (F.-T. Perrens, les Mariages espagnols sous le règne de Henri IV et la régence de Marie de Médicis, Paris, Didier, s. d., in-8°).

[25] On donna des maisons constituées à ces deux princesses seulement en 1615 (Bibl. nat., ms. fr. 7 854, fol. 259 r° et V). Au moment d'une maladie de Christine on avait fait venir des médecins de Paris en consultation. L'aréopage ne put arriver à s'entendre ; ceux de la ville se montrant les plus opiniâtres et contraires aux opinions des autres. La dispute prit de telles proportions qu'il fallut congédier, au moins honnêtement, les praticiens de Paris (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert S9, fol. 205 r°). Sur le mariage de Christine avec le prince de Piémont, voir V. Siri (Memorie recondite, II, 647), et sur Henriette, reine d'Angleterre, le comte de Bâillon (Henriette-Marie de France, reine d'Angleterre, étude historique ; Paris, Didier, 1877, in-8°).

[26] La petite troupe de Saint-Germain est désignée par un contemporain sous la forme suivante : Dauphin, Orléans, Anjou et les adjoints (l'Injustice terrassée aux pieds du roi, p. 121). M. Pierre de Vaissière, dans son livre : les Gentilshommes campagnards de l'ancienne France (Paris, Perrin, 1903, in-8°, p. 152 et suiv.) a parlé de la place qu'occupaient les enfants naturels dans les familles du temps. Sous ce rapport les mœurs étaient très libres (le Païsan français au roi [s. l. n. d.], in-8° p. 12, et suiv.). Madame la bâtarde dont nous parlons avait, attachés à sa personne, un précepteur, un valet de chambre, un tailleur et un porteur (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 393 v°). La déclaration d'Henri IV que les bâtards de gentilshommes ne pourraient pas jouir des privilèges de noblesse est de mars 1600 (cf. le Cahier général du Tiers-État de 1614 [s. l. n. d.], in-4°, p. 52).

[27] Il existe plusieurs dossiers de papiers concernant les Vendôme : actes de légitimation, donations, contrats de mariages, lettres patentes, arrêts, mémoires (Bibl. nat., mss fr. 16 901, 18 956 ; nouv. acq. fr. 7 202 ; mss Dupuy, 2, 829). Richelieu s'élevait contre la fausse opinion que s'était faite Henri IV au sujet du duc de Vendôme et de la place qu'il lui avait donnée à la Cour (Richelieu, Mém., I, 17). On retrouve aisément l'appartement qu'occupait le personnage au Louvre (Bassompierre, Mém., I, 163 ; Malherbe, Lettres, III, 396), surtout d'après les détails donnés au moment de sa fuite, en 1614 (Fontenay-Mareuil, Mém., p. 74). Si on veut juger des différences de termes employés par Marie de Médicis à l'égard des enfants naturels d'Henri IV avant et après la mort de celui-ci, voir une lettre de 1608 adressée à Vendôme : Mon fils... (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 253 v°), et une autre écrite le 10 octobre 1610 au petit de Verneuil : Mon neveu, le marquis de Verneuil... (Ibid., 88, fol. 79 r°). Le mariage de Vendôme avec mademoiselle de Mercœur eut lieu en juillet 1609 (Fontenay-Mareuil, p. 5). La duchesse sa mère donna à la fiancée une toilette, des diamants et des perles qui représentaient une valeur de 270.000 livres (de Thou, Hist. univ., X, 265).

[28] Monsieur Donon, ma nièce de Vendôme (écrit en octobre 1613) m'a représenté la commodité qu'elle auroit de venir nous voir à couvert quand il fait mauvais temps, si elle pouvoit avoir un passage de son département du Louvre en celui que vous faites bâtir pour mes filles ; n'étant question que de laisser une porte au mur qui sépare lesdits départements, je serois bien aise que vous y donniez : ordre pendant que les ouvriers y travaillent (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 89, fol. 198 r°). Quant à Alexandre de Vendôme, son voyage en Italie et à Malte n'a rien d'extraordinaire, tous les jeunes gens de famille du temps allant ainsi faire un tour à l'étranger (Ibid., fol. 295 r°). Comme chevalier de Malte il ne pouvait pas se marier (P. Matthieu, Hist. du règne de Henri IV, II, 630).

[29] Il fut dit que la cérémonie avait eu lieu sans apparat (voir sa description : Bibl. nat., ms. Dupuy 76, fol. -239 r°). Il n'y a pas de doute que c'est en souvenir de Gabrielle d'Estrées que la petite de Verneuil fut appelée Gabrielle (Ibid.).

[30] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 89, fol. 284 v° ; Angelo Badoer, dans Barozzi (Relazioni, II, I, 108). Henri IV avait d'abord voulu marier Gabrielle de Verneuil avec le fils du connétable de Montmorency, mais celui-ci avait répondu un peu rudement qu'il avait assez de bâtards comme cela dans sa maison (Zeller, Henri IV et Marie de Médicis, p. 287). Le mariage avec le marquis de la Valette eut lieu brillamment en 1622 (Arch. du min. des Aff. Étrang., France, 777).

[31] La préoccupation de tenir madame de Verneuil très à l'écart de Saint-Germain a été constante (Bibl. nat., ms. fr. 3 649, fol. 12 r°, 16 r°, 31 r°, 37 r° ; Héroard, Journal, I, 30 ; Lettres missives, VII, 319, 328, 333, VIII, 930). Henri IV avait légitimé une fille qu'il avait eue de Charlotte des Essarts (Bibl. nat., ms. Dupuy 590, fol. 78 r°). Elle ne parait pas dans notre petite troupe de Saint-Germain, comme dit la reine (Bibl. nat., ms. fr. 3 649, fol. 44 r°).

[32] Le soir du premier jour de carême (1608), il y eut ballet à Saint-Germain. Les personnages du ballet estoient : Monsieur le dauphin, Madame, le chevalier de Vendôme, mademoiselle de Vendôme, monsieur et mademoiselle de Verneuil et quatre ou cinq petits garçons de leur âge (Malherbe, Lettres, III, 61 ; voir aussi Lettres missives, VII, 483 ; L'Estoile, Journal, X, 153 ; Héroard, Journal, I, 318).

[33] De cette grande salle de Saint-Germain qui existe encore, nous avons une description intéressante à propos du baptême d'un prince au XVIe siècle (Bibl. nat., ms. Dupuy 76, fol. 196 r°) ; Platter en parle (Description de Paris, dans Mém. de la Soc. de l'hist. de Paris, XXIII, 1896, p. 213). M. Delafont portait indistinctement le titre d'intendant des meubles du roi (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 88, fol. 207 v°) ou garde des meubles du roi (Ibid., 87, fol, 61 v°). La fonction était remplie en 1610 par un M. Maumier (L'Estoile, Journal, X, 210).

[34] Le public, qui fut très au courant de cette fête, l'appelait : La comédie de messieurs les enfants de France (L'Estoile, Journal, XI, 135). On a beaucoup de détails sur la réunion (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 8S, fol. 195 r°, 203 r°, 208 r° ; Héroard, Journal, II, 72 ; Tallemant, Historiettes, I, 157).

[35] Marie de Médicis, d'abord un peu défiante, avait voulu que la reine Marguerite fût reçue sans apparat (Réception de la royne Marguerite, ms. du Record Office cité par Ranke, Hist. de France, 1854, II, 307). Les historiens de la reine de Navarre (pour ne parler que de A. Mongez, Hist. de la reine Marguerite de Valois, Paris, Ruault, 1777, in-8° ; comte Léo de Saint-Poncy, Hist. de Marguerite de Valois, Paris, Gaume, 1887, 2 vol. in-12°, le plus important, qui a eu entre les mains les papiers de la princesse conservés dans un château de province, mais n'en a pas tiré le parti qu'on aurait pu attendre ; Ch. Merki, la Reine Margot et la fin des Valois, Paris, Plon, 1905, in-8°, le plus récent), sont loin d'avoir mis en œuvre tous les documents qui permettraient de bien éclairer cette figure curieuse autrement qu'en répétant les histoires de Brantôme. Nous allons simplement indiquer ici son attitude vis-à-vis de Marie de Médicis et l'impression qu'elle laisse pour celte dernière partie de sa vie.

[36] Sur le physique de Marguerite vieillissant, Gussoni, Nani (Relazione, dans Barozzi, II, I, 476), et Scaliger (Scaligeriana, éd. de 1669, p. 167) sont d'accord avec Tallemant (I, 147).

[37] M. de Saint-Poncy (op. cit., II, 490) cherche beaucoup à défendre Marguerite de Valois des insinuations articulées contre ses mœurs par les contemporains (le Divorce satyrique ou les amours de la reine Marguerite, réimpression de Bruxelles, Gay, 1878, in-12° ; Stances sur la mort de Dat, dit de Saint-Julien, tué d'un coup de pistolet par le jeune de Vernon, Bibl. nat., ms. fr. 18 020, fol. 307 v° ; L'Estoile, Journal, VIII, 30-2, IX, 201, 420, 392, X, 164 ; Lettres missives, VII, 548). Sur l'hôtel de la reine Marguerite, voir Mémoire touchant la seigneurie du Pré-aux-Clercs (dans E. Fournier, Variétés hist. et litt., IV, 132).

[38] L'éloge de la reine Marguerite fait par ceux qui l'ont vue de près est assez remarquable et d'ailleurs identique quant aux qualités reconnues (B. Legrain, Décade, p. 446 ; Richelieu, Mém., I, 93 ; lord Herbert de Cherbury, Mém., trad. de Baillon, Paris, 1863, p. 66). Pour la juger elle-même directement il n'est que de parcourir sa correspondance (en dehors des publications de Guessard, Tamizey de Larroque et Ph. Lauzun, cf. : Recueil de 134 lettres autographes de Marguerite de Navarre à Henri IV, à Antoine de Loménie et à divers autres personnages, 1593-1610 : Bibl. nat., ms. Dupuy 217 ; Correspondance de Marguerite de Navarre et de Gui du Faur de Pibrac, Ibid., 60 : Bibl. nat., nouv. acq. fr. T264). On a une idée de l'intérieur de sa maison grâce à l'inventaire de son mobilier qui fut dressé en 1614 par les notaires Pierre Guillard et Raoul Bontemps, conservé en double dans les papiers du secrétaire des finances de Marguerite, Jean de Boissieu, lesquels sont aujourd'hui entre les mains des descendants de M. de Boissieu (L. de Saint-Poncy, Hist. de Marguerite de Valois, II, 503). L'éclat des fêtes de la princesse était le sujet des conversations du public. On cultivait surtout la musique chez elle (J. Bonnet, Hist. de la musique, Paris, J. Cochary, 1715, in-12°, p. 322). Quant à sa bibliothèque, le catalogue se trouve dans les papiers de M. de Boissieu dont nous venons de parler (de Saint-Poncy, op. cit., II, 547).

[39] Pontchartrain, Mém., éd. Michaud, p. 342. Nous avons une dizaine d'écrits, exaltant, au moment de sa mort, ses vertus et ses charités : le Tombeau de la sérénissime reine Marguerite, duchesse de Valois, comtesse de Senlis (Paris, P. Buray, 1615, in-12°) ; Mathieu Morgues, Royale pyramide dressée à l'heureuse mémoire de feue la sérénissime royne Marguerite duchesse de Valois (Paris, P. Chevalier, 1615, in-12°) ; Jean d'Alary, la Mort immortelle pour les regrets funèbres de la royne Marguerite (Paris, 1615, in-12°) ; etc. Ces manifestations du sentiment public sont à rapprocher des jugements favorables indiqués plus haut provenant de ceux qui ont connu la reine.

[40] Par acte public du 29 décembre 1599, Henri IV lui avait confirme la possession de sa dot (Bibl. nat., ms. Dupuy 849, fol. 35) ; il l'avait comblée de dons gracieux (Dons faits à la royne Marguerite de Valois depuis l'année 1599, jusqu'en 1610, Ibid., 853, fol. 74) ; le domaine de Marguerite était considérable (Bibl. nat., ms. fr. 18 480, fol. 46). Le chiffre de ses revenus, que nous donnons, est fixé par M. de Saint-Poncy (op. cit., II, 502) d'après les papiers de Jean de Boissieu.

[41] Visiblement les deux princesses ont peur d'être mal ensemble, tellement leurs situations respectives prêtent à la mésintelligence. Leur empressement mutuel à être aimable est presque un peu forcé (voir les lettres de Marie de Médicis à Marguerite de Valois ; Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 33 v° ; 87, fol. 327 r°, 341 v° ; 88, fol. 205 r°, 244 r°). La reine de Navarre, d'ailleurs, tâche d'être discrète ; sa conduite est prudente et habile (cf. Richelieu, Mém., I, 93). Pour les affaires d'argent, Marguerite écrivait à Sully des lettres suppliantes, pitoyables d'humilité et de sollicitation : Vous êtes toujours mon recours, lui disait-elle, et, après Dieu, l'appui de qui je fais toujours le plus d'estat... etc. (Sully, Économies royales, II, 289).

[42] Héroard, Journal, I, 141, 178, II, 137 ; L'Estoile, Journal, IX, 218. Cette maison d'Issy, où allait la reine Marguerite, s'appelait l'Olympe ; elle comprenait des jardins, et un parc avec pièces d'eau et canaux. Le garde et concierge était un certain Etienne de Bray de la Haye, bourgeois de Paris (Bibl. nat.. Cinq-Cents Colbert 91, fol. 89 r°.

[43] L'analyse du procès intenté par Marguerite de Valois au comte d'Angoulême, est donnée par de Thou (Hist. univ., La Haye, 1740, X, 121) qui avait eu à en connaître comme magistrat. Le texte de la donation des biens de la reine au Dauphin se trouve à la Bibl. nat., ms. fr. 18S51, fol. 249, et ms. Dupuy 96, fol. 301. La mort de la princesse fit impression (Mercure français, 1615 p. 428 ; Fontenay-Mareuil, Mém., p. 83 ; Héroard, Journal, II, 175) ; on lui organisa de superbes funérailles (Bibl. nat., ms. Dupuy, 324, fol. 269), mais le public fut surpris de ses dettes (voir la 8e partie du Recueil général des Caquets de l'accouchée et les Grands Jours tenus à Paris par M. Muet, dans E. Fournier, Variétés hist. et litt., I, 207). Marie de Médicis déclara qu'elle paierait ce que la reine Marguerite devrait, estimant la somme à 400.000 livres (Malherbe, Lettres, III, 493). Elle était loin de compte (Dettes de Marguerite de Valois : Arch. nat., KK, 182-186). C'est Arnaud d'Andilly qui donne le total de 260.000 écus (Journal, éd. Halphen, p. 64) ; et, ajoute-t-il, il n'y avait pas plus de 30.000 écus de bijoux, et 6.000 écus de meubles ! Sur l'emplacement du jardin de la reine Marguerite on a tracé les rues de Verneuil, des Saints-Pères et le quai de la Reine-Marguerite devenu en 1669 le quai Malaquais.

[44] De Thou, op. cit., IX, 709. Sa mort fut lamentable (P. Matthieu, Hist. du règne de Henri IV, II, 641). Henri IV lui avait envoyé son médecin du Laurens (Palma-Cayet, Chronologie septennaire, éd. Michaud. p. 287-S). Sur ses dettes, voir Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 631 r° et suiv. et les Créanciers de feue madame la duchesse de Bar (Ibid., ms. fr. 16 674, fol. 117).

[45] Les lettres de Marie de Médicis au grand-duc de Toscane sont conservées aux archives de Florence dans un dossier spécial intitulé Lettere della regina Maria, dal 1600 al 1616-17 (Filza IV, Ind. II). Les cadeaux que la nièce et l'oncle échangeaient étaient apportés par le courrier ordinaire de France à Rome, Valère Charlini (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 91, fol. 154 v°). Le grand duc Ferdinand mourut le 7 février 1609 (Canestrini, V, 590 ; L'Estoile, Journal, IX, 419). Sur les grandes difficultés auxquelles donnèrent lieu, entre les deux cours, les intrigues perpétuelles des Italiens résidant en France, voir Galluzzi (Hist. du grand-duché de Toscane, V, 446, 455), Zeller (Henri IV et Marie de Médicis, 278). Il est assez aisé de dresser la liste des parents d'Italie avec lesquels Marie de Médicis est en relations suivies, grâce à la correspondance (par exemple Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 104 r° et suiv.)

[46] La grande-duchesse envoyait à Marie de Médicis des cadeaux plutôt utiles, tels que des graines de légumes (Canestrini, V, 464). Nous avons conservé ses lettres à madame de Monglat au sujet des enfants, ses petits-neveux (Bibl. nat., ms. fr. 3 649, fol. 54 r° et suiv.), et toute une correspondance avec Jean de Médicis (Bibl. nat. fonds italien 501).

[47] Née en 1566, mariée en 1581, Eléonore mourra en 1611. Au baptême du dauphin, qui se fit à Fontainebleau en raison d'une épidémie qui sévissait à Paris (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 63 v°, Lettres missives, VI, 644-5) et aussi parce que les frais seraient moindres, la duchesse de Mantoue, marraine, avait pour écuyer son fils Ferdinand, et madame de Guercheville portait sa traîne. Ce fut une somptueuse cérémonie qui eut lieu dans la cour ovale, sur un échafaud, la cuve baptismale étant, parait-il, une cuve du IXe siècle en cuivre rouge recouverte de plaques d'argent ciselé, qui ne servait qu'aux baptêmes des enfants de France et qu'on gardait dans la sainte chapelle du château de Vincennes (Procès-verbal de la cérémonie : Bibl. nat., ms. Dupuy 70, fol. 227 r°). Il y eut des difficultés pour loger la duchesse à sa venue à Paris. Elle devait descendre chez M. de Gondi, rue Neuve-Saint-Lambert. M. de Gondi n'ayant pas assez de meubles en réclama à M. Delafont, l'intendant des meubles du roi, par l'intermédiaire de Marie de Médicis (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 56 v°). Finalement on se décida a loger Éléonore au Louvre dans la salle du Conseil, que M. Donon dut faire arranger (ibid., fol. 61 v°). Mais le garde-meuble n'avait rien de suffisamment présentable. Marie de Médicis quêta auprès de ses amies un mobilier suffisant, un beau lit et dais (ibid., 61 r°). Pendant ce temps le personnel de la duchesse demeurait chez M. de Gondi, qui demandait tout de même des meubles, spécialement des matelas, linceuls et paillasses (Ibid., fol. 59 v°). On organisa des fêtes pour le duc et la duchesse de Mantoue (L'Estoile, Journal, IX, 130) et les courtisans, qui savaient le duc joueur, le firent fortement ponter (Bassompierre, Mém., I, 201).

[48] Don Jean de Médicis était déjà venu en France en 1597 (Discours de ce qui s'est passé avec le seigneur don Jean de Médicis depuis son arrivée, par G. du Vair, Bibl. nat., ms. Dupuy 64, fol. 97 et suiv.). Nous avons toute sa correspondance avec le grand-duc et Vinta pendant son séjour à Paris en 1608 (Bibl. nat., fonds italien, 501, 502). En refusant de payer ses dettes, Marie de Médicis ajoutait tristement : Tant s'en faut que je puisse payer les dettes d'autrui, je ne sais où prendre de quoi acquitter les miennes ! (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 161 r°). Galluzzi a bien résumé les intrigues que causa sa présence (V, 486 et suiv.). Il n'y a pas de doute que ce furent ses relations avec madame de Verneuil qui brouillèrent tout (Canestrini, V, 565). Le public n'attribua son départ qu'à Concini (L'Estoile, IX, 63).

[49] Tous ces détails nous sont exclusivement connus par la correspondance de Marie de Médicis (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 121 r°, 125 v°, 289 r°, 319 v°, 343 r°, 365 v° ; 88, fol. 192 v°). Alexandre Sforza était duc de Segni et comte de Santa Fiore ; il appartenait à la première noblesse de Rome et pouvait donc prétendre au cordon bleu (J.-A. de Thou, Hist. univ., X, 241). — Parmi les autres parents d'Italie figurent : dom Virginio Ursino avec lequel les rapports sont réservés pour les raisons que l'on sait ; dom Antonio de Médicis, mon frère, dit la reine qui reçoit de lui des plantes, arbrisseaux, fruits, senteurs (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert, 88, fol. 182 v°) ; dom Ferdinand et dom Vincent de Gonzague, des neveux ; la duchesse de Modène ; les princesses Léonora et Catherine de Médicis ; pour ne parler que des plus importants (Ibid., 87, fol. 104 et suiv.).