Henri IV présentant à Marie de Médicis sa maîtresse, madame de Verneuil, en 1601 ; madame de Verneuil va empoisonner la vie du ménage royal. — Portrait d'Henri IV d'après les contemporains qui l'ont approché. — Aspect physique ; tempérament ; santé. — Son intelligence aiguë et pénétrante. — Caractère charmant. — Sa familiarité avec tout le monde ; sa gaieté. — Fond de mélancolie et de tristesse. — Il est très roi et maintient chacun dans les limites du respect ; ses moments de grandeur royale. — Ses amours ; dispositions morbides. — Portrait d'Henriette d'Entraigues, marquise de Verneuil.— La passion affolante du roi. — Grossièretés de madame de Verneuil à l'égard de Marie de Médicis ; insouciance d'Henri IV. —Affection première de la reine pour le roi. — Son affliction profonde devant les propos et les menaces de la maîtresse. — Sa révolte. — Scènes du ménage royal ; apaisements momentanés ; récriminations ; violences ; voies de fait. — Henri IV veut chasser sa femme. — Réconciliations facilitées par l'humeur aimable du roi et le caractère faible de Marie. — Affection réelle et grandissante d'Henri IV à l'égard de la reine vers la fin de sa vie ; sa tendresse pour elle à la veille de sa mort. — Son assassinat. — Que Marie de Médicis n'a été pour rien dans cet assassinat. — Elle raconte elle-même comment elle a appris la catastrophe. — Sa douleur ; son deuil sincère.Dans les quelques heures que Marie de Médicis passa à
l'hôtel de Gondi, au moment de son arrivée à Paris, en 1601, Henri IV
présenta à la princesse les personnages de la cour. Toutes
les dames des principales maisons de France et des plus honorables de la
ville vinrent lui baiser les mains et faire la révérence. Tout à coup
apparut une grande et brillante jeune femme que conduisait la vieille
duchesse de Nemours : c'était mademoiselle Henriette d'Entraigues. Le roi fit
un pas en avant et dit à la reine d'un ton enjoué : Celle-ci
a été ma maîtresse ; elle veut être votre particulière servante. L'assistance
était un peu surprise ; Marie de Médicis resta très froide. Le cérémonial
voulait que la personne présentée s'inclinât et prît le bas de la robe de la
reine pour la baiser. Mademoiselle d'Entraigues fléchissant à peine le buste
se disposait à saisir seulement la jupe à la hauteur du genou lorsque, d'un
geste brusque, Henri IV lui prit la main et la porta vivement à l'endroit
voulu. La présentation s'acheva dans une gêne générale, et Celle-ci a été ma maîtresse ! Elle l'était toujours ; elle le sera longtemps encore. La passion du roi pour l'orgueilleuse et ardente Henriette d'Entraigues, marquise de Verneuil, allait empoisonner les dix années de vie commune du couple royal. Henri IV a été un des rares personnages de l'histoire dont la tradition ait exactement popularisé les traits, les qualités charmantes et les défauts. Petit — il avait besoin d'un montoir pour se mettre à cheval, — pas très gros, mais robuste, nerveux, agile, marchant vite, d'un pas léger et ayant le geste prompt, il garda longtemps, avec une barbe et des cheveux devenus blancs de bonne heure la peau du visage colorée et les lèvres vermeilles, c'est-à-dire le teint florissant témoignant une parfaite santé. A cinquante-sept ans, au moment de sa mort, l'âge l'avait atteint et il paraissait vieux ; néanmoins, écrit Priuli, il semblait encore di natura prosperosa e forte. Jusqu'à la fin de ses jours il demeura vigoureux[2]. Sa vie hygiénique était déréglée. Il n'avait d'heure ni pour dormir, ni pour manger : il veilloit et dormoit, dit Sully, quand et autant qu'il vouloit. Le jeu, l'amour, la guerre l'entraînant, il oubliait la table, puis à propos ou hors de propos, buvait et mangeait abondamment, avec excès. Il aimait l'exercice : le cheval, la chasse. Habitué dès sa jeunesse par les hasards d'une vie de lutte errante aux chevauchées prolongées, il ne faisait aucune attention à la fatigue. Des journées entières il demeurait en selle, sans trop se préoccuper si, autour de lui, le degré de résistance physique était semblable, dur pour lui-même moins par volonté que par négligence. Héroard raconte que parfois, lorsque le roi venait voir son fils, tout enfant, à Saint-Germain, l'épuisement finissait par avoir raison du corps surmené du prince : les yeux battaient, la tête s'inclinait ; Henri IV demandait au dauphin de le laisser se coucher sur son lit, et là il s'endormait profondément pour, peu après, repartir frais et dispos. Il avait conservé les habitudes du soldat en campagne, l'école de la plus grande partie de sa vie[3]. Ces habitudes de soldat, on les retrouvait dans
l'indifférence qu'il professait à l'égard de la tenue. Par goût personnel il
préférait les vêtements simples ; il avait même élevé ce sentiment à la
dignité d'une théorie et ne se cachait pas pour dire tout haut que ce qu'il
aimait le mieux, chez les gentilshommes, c'était de les voir bien montés et
modestement vêtus. En raison de sa vie d'aventures, il avait été cent fois
exposé à manquer de tout, à chevaucher nuit et jour sur les routes sans se
nettoyer et sans se changer : il s'y était fait. On l'accusait même de ne pas
se déplaire dans le laisser aller poussiéreux et les accoutrements défectueux
: Je l'ai vu assez mal habillé, dit quelqu'un
qui l'approcha souvent, et entre autres, une fois je
lui vis un pourpoint de toile blanche usée et étant toute sale de la cuirasse
et déchirée par la manche, et des chausses fort usées et rompues du côté du
porte-épée. On dit qu'il portoit ordinairement ses habits tout déchirés.
Maintes fois Le dérèglement de ses heures de repas et la façon excessive dont il mangeait souvent ne pouvaient pas finir, à la longue — quelque robuste qu'il fût — par ne pas altérer sa santé. Il souffrit de bonne heure de l'estomac, résultat, disaient les médecins, d'indigestions répétées : on le mit à la diète, au lait d'ânesse ; on lui ordonna des lavements ; on le traita avec de l'aloès et de l'absinthe. Nous avons vu qu'il avait adopté le système de boire des eaux de Fougues qu'on lui apportait ; tous les ans il allait à Montceaux, à dates fixes, passer douze ou quinze jours, afin de suivre son traitement. Cependant de 1600 à 1610 il n'a jamais été sérieusement malade, à part un bizarre accident de rétention d'urine qu'il eut en 1603 à Fontainebleau et qui causa une inquiétude vive dans son entourage, puis la goutte[5]. La goutte, il est vrai, le tortura beaucoup. La première attaque le prit à cinquante ans, en 1602 : elle fut bénigne, et il ne se plaignit pas ; on lui mettait aux pieds — c'est à l'orteil qu'elle le saisit — des bottines fourrées. Tous les hivers le froid ramenait le mal : la neige me remue des galenteries aux orteils, mandait-il encore gaiement à Henriette d'Entraigues. Du pied elle gagna le genou et les souffrances augmentèrent. Hier matin, écrivait-il à Rosny, de Saint-Germain, en 1605, je voulus aller courre un cerf, pensant que le plaisir que j'aurois à la chasse feroit passer ma douleur ; mais ayant été à demi-lieue d'ici, il fallut retourner tout soudain, quoique j'eusse fait couper ma botte par-dessus, à cause des cruelles douleurs que je sentois et telles que quand il iroit de la perte de la moitié de mon Estat, je ne serois capable de rien escouter ni même de prendre une bonne résolution. Avec le temps la souffrance devint intolérable. On remarqua qu'il étoit tellement travaillé et si péniblement qu'il en changeoit de visage et de naturel ; que contre ce naturel il étoit fort chagrin, colère et inaccessible. Pour se distraire il tâchait de jouer aux dés[6]. Intelligent, il l'a été à un degré tel qu'on peut le
considérer comme le plus remarquable des rois de France. Il était
admirablement doué de cette vivacité d'esprit aiguë qui fait saisir presque
instantanément les nuances les plus délicates des choses, voir avec précision
et pénétration les questions, et trouver les solutions immédiates. Son
jugement droit a surtout frappé la postérité ; les contemporains ont été
principalement émerveillés de la souplesse de son esprit. Je remarquois, écrit P. Matthieu, à propos d'une
scène à laquelle il assiste, la promptitude et la
vivacité de son esprit qui alloit bien plus vite que ses yeux et pénétroit
aux choses qu'il falloit deviner. Il jugeoit des pensées et des paroles sur
la mine et sur les yeux. Son esprit étoit partout et en nulle part qu'en
soi-même. Sully ne revenait pas de cet esprit
vif, prompt, actif, et de facile intelligence et compréhension[7]. On sait la façon
élégante dont Henri IV décidait les affaires, le matin, en se promenant au
jardin du Louvre sous les charmilles, les mains derrière le dos ; point de
dossiers à laborieusement étudier ; point de notes à prendre : il écoutait le
ministre qui expliquait ; interrogeait, s'informait, tournait et retournait
les problèmes pour que rien ne fût oublié, puis prenait prestement une
décision claire. Quand il pleuvait, le Prince se tenait dans son cabinet,
dans le cabinet des livres, dans la grande galerie du Louvre, où, toujours
allant d'un pas rapide, il fatiguait le ministre qui pouvait à peine le
suivre. Il n'avait pas besoin d'effort pour être tout au point débattu,
démêlant les difficultés d'une manière limpide et embrassant l'ensemble
aisément. Il n'y consacrait guère plus de deux heures le matin, avant d'aller
assister à la messe ; mais il voulait avoir tout vu, connu les détails,
décidé l'essentiel. Ce n'est qu'une intelligence sûre d'elle-même autant par
sa souplesse que par sa netteté qui peut se permettre de traiter ainsi les
affaires, souvent graves et compliquées, au pied levé[8]. Avec un esprit aussi délié et une intelligence plus puissante des faits généraux, le cardinal de Richelieu est loin d'avoir été aussi sympathique à ses contemporains. Henri IV avait en plus que le ministre de Louis XIII un caractère charmant. Il était affable, souriant, plein de gaieté ; on le trouvait toujours, dit son surintendant, aimable, doux, familier, di dolce natura, remarque un ambassadeur étranger ; débonnaire et bénin, quoiqu'il fût d'ailleurs très porté à la colère. Il était extrêmement poli. L'usage voulait que lorsqu'on le rencontrait on lui fit la révérence. Bien différent de son petit-fils Louis XIV, auquel on pouvait faire la cour, au dire de Saint-Simon, trois ans durant sans qu'il daignât vous remarquer, Henri IV répondait toujours en ôtant son chapeau et en ajoutant quelques mots gracieux : Serviteur, un tel, serviteur ! disait-il couramment, expression amicale qui eût bien choqué dans la bouche de ses descendants. Etant en carrosse il saluait de la main, appelant les gens par leur nom, ne disant presque jamais Monsieur, excepté quand il était fâché, et plus souvent Mon ami ! Il avait des nuances exquises de déférence envers les femmes et personne ne leur faisait la révérence comme lui[9]. A dire le vrai, il était même familier. Soyons bons compagnons ! répétait-il riant à ses gentilshommes en tapant sur l'épaule de l'un, sur la jambe de l'autre. Il voulait que son entourage ne fût rien moins que compassé : il y réussissait. C'était autour de lui une jovialité réciproque, vivante et hardie, dans laquelle gentilshommes de haut et de bas parage pouvaient interpeller leur roi, vivement, prestement, avec une liberté d'allure pleine de bonne humeur. Les ripostes étaient admises, même un peu crues. Le roi avait assez d'esprit pour les provoquer et surtout les subir. Il régnait au Louvre comme une manière de camaraderie franche donnant lieu à des scènes journalières du meilleur esprit français par la gaieté, la vivacité et le ton plaisant. Non content d'être tel dans son palais, Henri IV s'invitait à souper chez les gens, se mettait à table au milieu de tous et faisait la joie de chacun par son entrain primesautier, sa bonne humeur communicative. La réputation de son esprit qui a traversé les siècles n'a rien de légendaire[10]. Y avait-il excès dans cette familiarité quotidienne et les graves inconvénients qui en peuvent résulter pour qui détient l'autorité se produisaient-ils ? Scaliger impatienté écrivait : Henri IV ne saurait faire deux choses : tenir gravité et lire ! Il le jugeait pas très sérieux. Il faut voir l'autre côté de cette nature si complexe et si riche. Quoi qu'en dise Scaliger, Henri IV lisait. Sans être un savant, il avait une instruction supérieure à celle des gentilshommes de son temps ; il savait bien son histoire ; il parlait l'espagnol, l'italien ; il se plaisait aux livres nouveaux à la mode. Comme il n'avait pas bonne vue et portait des lunettes, son médecin du Laurens lui lisait, par exemple, Amadis, au moment de la publication du volume ; il est vrai que c'était le soir, au lit, pour l'endormir. Lorsqu'il avait la goutte, M. le Grand, Grammont, Bassompierre se relayaient pour lui lire l'Astrée. Nous ne dirons rien de son talent si franc, si clair à parler ou à écrire, de ses discours aux parlements ou autres, modèles de harangues précises ; de ses billets alertes et nerveux qui le font compter parmi les bons écrivains de la langue : c'étaient des dons naturels ; il ne les cultivait ni ne les négligeait[11]. Sous ses apparences gaies, Henri IV cachait en réalité un fond de réflexion mélancolique et même de tristesse. Son existence troublée de roi de Navarre, mêlée de hauts et de bas, traversée de plus de dangers, de risques et de ruines que de bonheurs, l'avait mûri avant l'heure et désenchanté. Certain jour, lorsqu'il se promenait avec ses intimes aux Tuileries, il leur exprimait des idées qui nous surprennent un peu. Il disait par exemple à MM. de Montigny et de Cicogne qu'il aimerait mieux être mort ; et comme ceux-ci s'étonnaient, lui faisant remarquer qu'il n'avait aucune raison d'éprouver de pareils sentiments, au contraire, il reprenait, hochant la tête : Vous êtes plus heureux que moi ! Il avouait qu'il aurait voulu pouvoir changer de condition, vantant la solitude, affirmant qu'on ne trouvait que là la vraie tranquillité d'esprit et il ajoutait : Mais cette sorte de vie n'est pas faite pour les princes qui ne sont pas nés pour eux, mais pour les Estats et les peuples sur lesquels ils sont constitués. Ils n'ont en ceste mer autre port que le tombeau et il faut qu'ils meurent en l'action ![12] Religieux, il l'était, ni plus ni moins que ses
contemporains. Sa religion était sincère. Il
confessa une fois à Marie de Médicis qu'au commencement qu'il fit profession
d'être catholique, il n'embrassa qu'en apparence la vérité de la religion
pour s'assurer en effet sa couronne, mais que depuis la conférence qu'eut à
Fontainebleau le cardinal du Perron avec du Plessis-Mornay, il détestait
autant par raison de conscience la créance des huguenots comme leur parti par
raison d'Estat. Sans doute il n'estoit point
bigot et ne faisoit pas estât des apparences extérieures. Il avait
ensuite des façons spéciales à lui d'accommoder les préceptes évangéliques
avec ses amours, moins convaincu qu'il était de violer les lois du décalogue
que de les concilier dans une large interprétation de la miséricorde divine.
Mais il assistait tous les jours à la messe, comme le voulait le cérémonial,
sans difficulté, lisait ses heures, priait : il n'était pas que jovial[13]. Et c'est parce que l'entourage le savait, c'est parce qu'on connaissait le point précis jusqu'où on pouvait aller en plaisantant avec lui, mais au delà duquel on l'eût trouvé plus sérieux qu'on n'eût voulu, que la familiarité des courtisans savait garder les limites nécessaires. Il n'y avoit discours si familier, ni caresse si privée, écrit un contemporain, lequel a pu personnellement en juger, qui empêchât qu'une heure après il ne fit cognoistre à ceux qu'il avoit favorisé qu'il étoit le maître. Avec ses allures faciles et accueillantes, Henri IV en effet était très roi. B. Legrain insiste sur la nécessité qu'il y avait pour tous les sujets à faire bien attention aux distances avec lui. Trop intelligent pour ne pas sentir à qui il avait affaire et qui s'émancipait ; doué de trop d'esprit pour n'avoir pas le mot de repartie décisif qui contient, tout en demeurant encore plaisant, le prince inspirait à son monde un respect profond et craintif. Chacun connaissait la façon, quand il était mécontent, dont il savait faire sentir sa colère : c'était plein de bon sens, mais impétueux et sans réplique. Les parlements l'avaient appris à leurs dépens et les harangues célèbres qu'ils subirent dans certaines circonstances font penser, en raison de leur ton bref et impérieux, au style caractéristique de Napoléon Ier. Il y eut même des cas où Henri IV crut bon d'affecter des manières qui rappellent à s'y méprendre le plus hautain Louis XIV. Chamier, ministre protestant, contre qui Henri IV avait de vifs griefs, en sut quelque chose lorsque ayant une fois demandé une audience au roi à Fontainebleau, il dut attendre douze jours, ajourné constamment sur des prétextes mortifiants, puis fut reçu dans des conditions humiliantes, à une porte, au moment où Sa Majesté sortait pour monter à cheval, et subit une mercuriale accablante sans presque pouvoir répondre. S'il n'avait pas l'impassibilité troublante de son petit-fils, Henri IV savait en avoir la hauteur et le ton royal[14]. Tallemant a écrit qu'Henri IV n'avait pas l'air majestueux : cela dépendait du moment. Lorsqu'il le voulait, nul n'eût pu l'égaler pour la dignité, la grandeur et la magnificence. Il eut à recevoir une fois le connétable de Castille, et comme ce personnage s'était permis sur les Français des propos déplacés, le roi, résolu à le prendre d'un peu haut avec lui, le fit longtemps se morfondre dans l'antichambre, puis lui donna audience d'un air si froid et si grand seigneur, que l'autre, quoique espagnol, en demeura interdit. Mais là où il déploya toutes les ressources d'une nature capable de s'entourer de l'appareil le plus majestueux, ce fut pour la réception, en 1602, des ambassadeurs des cantons helvétiques. Quand on voit ces quarante ambassadeurs solennellement amenés au Louvre par le duc d'Aiguillon, grand chambellan, entouré de soixante gentilshommes, les gardes françaises faisant la haie depuis l'hôtel de Longueville où ces envoyés sont descendus jusqu'au palais ; puis reçus à la porte du Louvre par le duc de Montpensier, prince du sang, escorté de chevaliers du Saint-Esprit ; ensuite, au bas du grand escalier, par le comte de Soissons, aussi prince du sang, grand maître de France, qu'accompagnent des gouverneurs de province et de vieux chevaliers ; quand on les suit montant les degrés de notre escalier Henri II entre deux haies de Cent-Suisses ; traversant la grande salle du premier, où les gardes du corps maintiennent une foule bruissante ; arrivant à la chambre royale dans laquelle Henri IV se tient sur un trône doré, richement vêtu, couvert de pierres précieuses, portant une aigrette de diamants à son chapeau, une belle écharpe blanche et noire, et magnifiquement environné d'un cercle brillant de princes du sang, d'officiers de là couronne, de gouverneurs de province, de chevaliers, on se persuade que le roi qui a su imaginer cette mise en scène, afin de frapper les esprits, s'entend aux cérémonies d'apparat. Enfin, quand on contemple le prince, impassible et digne, en même temps que simple et naturel, écoutant le discours que lui fait l'avoyer, en allemand — on le lui traduit au fur et à mesure, — et répondant sobrement, d'une façon vraiment royale, dit un témoin, on s'assure qu'Henri IV pouvait fort bien, lorsqu'il le voulait, faire figure de Majesté imposante. Il est vrai qu'à la fin de la réception, et tout souriant, il invitait les quarante ambassadeurs à défiler devant lui et serrait la main à chacun, moins par difficulté à garder jusqu'au bout son grand air que par volonté réfléchie d'ajouter à l'éclat de la fête la marque publique d'une attention particulière propre à impressionner ces modestes montagnards. Ainsi il n'était pas dupe des formes et des démonstrations extérieures conventionnelles, mais il savait s'y soumettre quand il le jugeait utile[15]. Ce sont ces qualités, ces aptitudes souples et variées qui expliquent la popularité d'Henri IV et comment, ainsi que dit L'Estoile, le pauvre peuple fut enivré de l'amour de son prince. Peut-être ses faiblesses, ses amours, ont-ils contribué autant à cette popularité. Sully explique qu'Henri IV ait été fort sujet aux femmes et débauché après elles et aux amourachements,
par récréation, galantise, et simple divertissement, ou toutes telles
badineries. Ce n'était pas précisément par récréation et simple
divertissement qu'Henri IV aima toute sa vie comme il le fit. Fontenay-Mareuil
est plus près de la vérité lorsqu'il parle de cette
furieuse passion qu'Henri IV avoit pour les femmes, laquelle ayant commencé à
l'obséder dès la jeunesse, continua toujours, depuis, de telle sorte, que ni
son second mariage ni rien n'y apportèrent aucun changement.
L'inflammabilité du prince a été telle en effet toute sa vie, qu'en vérité il
semble que le malheureux roi ait subi plutôt les fatals effets d'une nature
morbidement prédisposée aux passions que suivi par légèreté les fantaisies
d'une humeur capricieuse. Chaque nouvel amour s'accompagnait de troubles
profonds : altération de la santé, perte du sommeil, de l'appétit, de la
gaieté ; goût de la solitude, inusité chez un homme qui aimait la société.
Jusqu'à la veille de sa mort il éprouva des désordres physiques si accusés
que Marie de Médicis désolée, consciente de l'impuissance des forces humaines
à conjurer de pareils maux, n'avait plus recours qu'à la religion et faisait
prier pour lui. Richelieu remarque que l'esprit même du roi, clair, lumineux
d'ordinaire, s'obscurcissait et que l'excès de la
passion le rendoit tellement faible qu'encore qu'il eût bien témoigné en
toutes rencontres être prince d'esprit et de grand cœur, il paroissoit dénué
de jugement et de force en celle-là[16]. Henri IV en
était arrivé à ne plus démêler distinctement ce qui convenait et ce qui ne
convenait pas. Les théologiens consultés déclaraient qu'à la rigueur les fautes passagères de légèreté pouvaient être dignes de miséricorde, mais que ce qui était
inexcusable c'étaient : les sacrilèges, ruptures de
mariage, violations de sacrements ; il n'avait pas plus souci de
ceux-ci que de celles-là. Mon cher cœur,
écrivait-il à madame de Verneuil, ce ne sont point
les dévotions qui m'ont empêché de vous écrire, car je ne pense point faire
mal de vous aimer plus que chose au monde ; et dans une autre
circonstance : Demain je fais mes pâques, mais cela
ne m'empêchera pas de vous mander ensuite de mes nouvelles ! Son
insouciance était entière. Amoureux de madame de Verneuil, aimant tout de
même sa femme, il se laissait entraîner à des passades : mademoiselle de Mademoiselle Henriette d'Entraigues, marquise de Verneuil,
a été celle qui l'a troublé le plus profondément. Séduisante créature,
grande, mince, distinguée, surtout bien faite, avec une taille admirable, des
lignes élégantes, harmonieuses, Henriette d'Entraigues n'était pas
positivement très jolie. Tout en étant régulière, sa figure manquait de cette
douceur et de cette grâce qui avaient fait le charme de Gabrielle d'Estrées.
Les traits étaient un peu secs ; la bouche, mince et fermée, témoignage de
volonté tenace et plutôt de méchanceté
que de bonté ; le front dur, le regard froid et autoritaire ; l'ensemble
marquant un caractère arrêté, plus orgueilleux que sensuel, plus ambitieux et
positif que romanesque. Mais elle était charmante de manières, quand elle le
voulait. Très intelligente et spirituelle, supérieure certainement sous ce
rapport à Gabrielle, vive, gracieuse, gaie, pleine de reparties brillantes et
de malices imprévues, elle plaisait infiniment par une conversation enjouée
et rapide. Henri IV, qui appréciait à un haut degré l'humeur plaisante,
goûtait son esprit fin, ses pointes de satire imperceptibles contre les
jeunes gens et les beaux de la cour ; ses flatteries, habiles, discrètes,
mesurées. Supérieurement coquette, d'une hardiesse audacieuse, elle a conduit
Henri IV avec une témérité sans égale, ayant réussi à l'entraîner dans une
passion aveuglante par des moyens qui eussent pu vingt fois la mener à Son affection fut violente. Loin de vous, disait-il à
Henriette, la vie seroit du tout triste et
langoureuse ! Il lui répétait ce qu'il avait déjà dit à tant d'autres,
ce qu'il dira à d'autres encore, ces termes passionnés dans lesquels il
mettait tant de sincérité et de conviction sur le moment : Mes chères amours, le cœur à moi, je vous baise un million
de fois ! Aimez-moi bien !... Soyez assurée
que vous serez toujours la seule qui posséderez mon amour !... Je te jure que tout le reste du monde ne m'est rien auprès
de toi, que je baise et rebaise !... Il l'accablait de cadeaux, lui
donnait le château de Verneuil, la faisait marquise de l'endroit ;
multipliait à son égard les dons d'argent, surtout, qu'elle réclamait en son
nom et au nom des siens avec une insistance singulière. Non content de la
loger près du Louvre, à l'hôtel de L'aima-t-elle ? La réponse n'est pas douteuse. Selon les apparences, elle était flattée de la faveur royale ; mais trop sèche et trop ambitieuse pour éprouver un sentiment vrai, et d'ailleurs à l'égard d'un amoureux qui n'était plus jeune, elle considéra plutôt l'aventure comme une question d'intérêt que comme une affaire de cœur. A maintes reprises, lassée de la tendresse du prince, n'éprouvant même à son égard que des sentiments de répulsion, elle ne lui cacha pas ses sentiments antipathiques. Ce fut une liaison orageuse. Madame de Verneuil affectait la réserve et la froideur ; elle tenait le roi de court, refusait les entrevues autrement qu'en public, écrivait des lettres glacées, s'absentait, provoquait des jalousies. Les explications vives furent continuelles, la maîtresse hautaine, impertinente, le roi suppliant. Elle se croyait puissante parce qu'elle avait en main la promesse de mariage. Ce fut l'arme terrible ! Dans ses rêves elle se voyait reine de France ! n'avait-elle pas des enfants qui assuraient son avenir ? Lorsqu'on proposa à Henri IV le mariage avec Marie de Médicis en lui faisant valoir les raisons politiques, financières et de convenance nécessitant cette union — en réalité pour l'empêcher d'épouser madame de Verneuil, — le roi ne parut pas être arrêté par la considération de son amour, soit que le sentiment de ses devoirs envers l'Etat et de sa dignité royale passât par-dessus tout autre, soit qu'il se rendît compte du caractère fâcheux d'Henriette et renonçât à unir sa vie à la sienne[21]. La nouvelle, rendue publique, du mariage avec la princesse florentine provoqua chez la maîtresse déçue les désillusions et les colères qu'il est aisé de deviner. Mais roi et ministres étaient d'accord ; l'opinion unanime approuvait ; toute résistance était vaine. Mademoiselle d'Entraigues se tut et attendit : Henri IV, d'ailleurs, n'était-il pas plus amoureux que jamais ? Des juristes consultés expliquèrent à Henriette que la promesse de mariage, rédigée par le roi, étant formelle, l'acte annulait en droit l'union que celui-ci contractait : ou, à l'heure propice, madame de Verneuil ferait un procès de nullité en cour de Rome ; ou, Henri IV mort, elle revendiquerait ses droits et ceux de son fils ; ou Marie de Médicis venant par hasard à disparaître, elle prendrait sa place. La question était même si troublante que Marie de Médicis, préoccupée, fera plus tard demander leur avis aux canonistes romains et ceux-ci, hésitants, répondront que dans le cas où en effet le second mariage du roi de France serait déclaré non valable, le dauphin, au moins, avait quelques chances d'être reconnu légitime[22]. Avec l'esprit mordant d'Henriette, sa causticité et les
sentiments qu'elle devait nourrir à l'égard de Marie de Médicis, on juge de
ce que purent être les conversations des deux amoureux lorsqu'il fut question
entre eux de la nouvelle reine. Les lettres d'Henri IV à la marquise dans
lesquelles il est fait des allusions discrètes et moqueuses à ces conversations
sont suffisamment explicites. Orgueilleuse, passionnée et âme commune,
Henriette poursuivit Marie de Médicis d'une haine implacable : un odio e una rabbia domestica, écrit l'envoyé
florentin Giovannini. Elle ne manqua aucune occasion de s'exprimer sur le
compte de la jeune souveraine en termes dépassant toute mesure : C'est une concubine, que votre Florentine,
s'écriait-elle ; je suis, moi, votre vraie femme
; le dauphin n'était qu'un enfant naturel ; son fils à elle était le dauphin
; et le jour où Henri IV lui proposait de faire élever ses enfants à
Saint-Germain avec le futur Louis XIII, elle répliquait furieuse : Que D'abord Henri IV rit de ces sottises. Lorsqu'on lui
parlait des écarts de langage de la marquise, écarts connus de l'entourage,
il cherchait à adoucir les choses et à excuser l'impétueuse jeune femme. Puis,
impatienté, il riposta. Quand viendra votre
banquière ? interrogeait Henriette. — Aussitôt
que j'aurai chassé de ma cour toutes les p..... répondait brusquement
le roi. A la longue, il finit par s'irriter. Des scènes se produisirent. Elle m'a parlé de la reine, mandait-il outré, à
Sully, et elle me l'a nommée d'un tel nom que je me
suis pensé échapper à lui donner sur la joue ! Henriette ne gardait
plus de ménagement même à l'égard du roi : A mesure
que vous vieillissez, disait-elle à Henri IV, vous
devenez si défiant et si soupçonneux qu'il n'y a plus moyen de vivre avec vous
! et elle l'accusait d'horreurs, lui reprochant d'être le père du
prince de Condé. Vous êtes une moqueuse,
ripostait le roi hors de lui ; vous voulez me mener
à la baguette ; vous me menacez de vous en aller : faites ce qu'il vous
plaira ! Cinq années m'ont, comme par force, imprimé la créance que vous ne
m'aimez pas. Votre ingratitude a accablé ma passion ! Elle alla
jusqu'à faire courir le bruit qu'elle avait eu des complaisances envers les
uns et envers les autres, M. de Bellegarde, le duc de Guise. Henri IV,
exaspéré, lui fit notifier par Sully la formule : aut
Cæsar, aut nihil[24]. Il fut question
de séparation. Elle réclama Les choses en vinrent à un tel point que, toujours pour
assurer la validité de ses prétendus droits et de ceux de son fils, Henriette
osa aller jusqu'à entrer dans ce qu'on a appelé la conspiration d'Entraigues,
où il n'était question rien de moins que de tuer Henri IV et le dauphin, pour
faire proclamer roi ensuite, avec le concours de l'Angleterre et de
l'Espagne, le fils de madame de Verneuil. Le roi d'Angleterre, indigné, mit
au courant le roi de France. Il fallut faire arrêter la famille d'Henriette,
ainsi que le comte d'Auvergne, mêlé à l'histoire. Le chancelier de Bellièvre
était d'avis de trancher la tête à tout ce
monde. Henri IV fut très faible. Placée sous la surveillance du chevalier du
guet dans un hôtel du faubourg Saint-Germain pendant que son père était à Près de neuf ans, de 1599 à 1608, cette passion l'étreignit. Puis peu à peu les brouilles et les disputes renouvelées en eurent raison, surtout l'amour violent et soudain qu'excita en lui la petite Charlotte de Montmorency. A la fin, il voyait encore la marquise, mais ses sentiments étaient dédaigneux ; il la traitait, de cette dame jaune et maigre ! il écrivait aimablement à Marie de Médicis, en parlant d'elle : Ce n'est plus marchandise pour ma boutique, car je ne me fournis que de blanc et de gras ! Le lendemain de la mort d'Henri IV, madame de Verneuil, un peu terrifiée, devait venir se jeter aux pieds de Marie de Médicis. Louis XIII, ému de pitié, lui accorda une pension viagère de dix mille livres ; et elle vieillit doucement, devenant grosse, monstrueuse, ne pensant qu'à la mangeaille, mais ayant toujours cet esprit mordant et endiablé qui avait fait une partie de son succès[27] ! Arrivant en France toute fière d'être reine, Marie de Médicis savait suffisamment ce qu'était madame de Verneuil pour n'avoir pas pris son parti d'avance de beaucoup de choses et ne s'être pas résolue à faire preuve d'une patience stoïque. Elle chercha à plaire au roi. Elle l'aima. Dès que celui-ci s'absentait, elle lui écrivait des lettres attristées : Je n'ai point de regret, lui disait-elle, des larmes que j'ai répandues ; je suis à toute heure prête d'en répandre encore autant quand je me représente votre éloignement. Le roi se blessait-il en tombant de cheval, elle envoyait des exprès pour avoir de ses nouvelles. Elle lui adressait des lettres humbles et touchantes : Monseigneur, je vous baise humblement les mains, vous suppliant me conserver en vos bonnes grâces ![28] A l'égard d'Henriette d'Entraigues, tout en étant froide,
elle n'avait d'abord manifesté aucune animosité particulière. Les propos de
la marquise sur son compte — aussitôt rapportés, — la façon insouciante
surtout dont Henri IV les prenait furent les premiers nuages qui vinrent
assombrir l'horizon. Peu à peu l'humiliation et la douleur meurtrirent son
âme ulcérée. Elle s'enferma dans ses appartements, ne voulant voir personne, pleurant,
refusant de manger, décidée à mourir,
disait-elle. Henri IV était très ennuyé. Il proposa des palliatifs, par exemple
que mademoiselle d'Entraigues ne parût pas au Louvre. Le lendemain il ne
pensait plus à ce qu'il avait dit. Les sentiments de moins en moins
dissimulés d'Henriette à l'égard de A partir de ce moment, la vie du ménage royal ne fut plus qu'une suite ininterrompue de récriminations, de colères et de scènes. Incapable de défendre sa passion par des motifs acceptables, Henri IV se fit agressif : c'était, après tout, la faute de Marie de Médicis, ce qui se passait, déclara-t-il ; elle était trop froide, trop sèche, sans gaieté ; il juroit à ses familiers et confidens serviteurs que si la reine l'eût recherché, caressé et entretenu de discours agréables témoignant une grande amour, il n'eût jamais vu d'autres femmes ! Il crut devoir, moitié sincère, moitié exagération voulue, reprocher à la princesse des préférences dont il parla à mots couverts : le duc de Bellegarde, Gondi, Concini — insinuations fausses. — Il était plus exact en faisant grief à la reine de n'écouter que quelques personnes de sa suite qui avaient toute sa confiance, une confiance aveugle, et d'être soumise inintelligemment à leurs fantaisies : la dame d'atour, Léonora Galigaï, la femme de chambre, Catherine Salvagia. De son côté Marie de Médicis tentait d'émouvoir le roi par la considération de sa santé, qu'il ruinoit, par celle de sa réputation, par celle enfin de sa conscience, lui représentant qu'elle soufîriroit volontiers ce qui le contentoit, s'il ne désagréoit à Dieu. Mais toutes ces raisons, si puissantes qu'il n'y en a point au monde qui le puissent être davantage, étoient trop faibles pour retirer ce prince ! Alors, emportée par l'irritation, elle disait qu'elle finirait par infliger un public affront à l'indigne maîtresse, et, s'exaltant, qu'elle lui oteroit la vie ! Elle écrivit au roi des lettres d'une vivacité extrême. Mon ami, mandait Henri IV à Sully, j'ai reçu une lettre de ma femme la plus impertinente qu'il soit possible mais je ne m'en offense pas tant contre elle que contre celui qui l'a dictée[30]. Il y eut un éclat public en 1604 lorsque Henri IV
manifesta l'intention de réunir ses enfants légitimes et naturels pour les
faire élever ensemble. Il chargea son ministre de provoquer une explication décisive. Causant avec Marie, Sully devrait, comme si l'initiative venait de lui, dire à la reine les griefs que le roi avait contre elle : Le roi ne pouvait souffrir que sa femme lui grognât et rechignât quasi toujours lorsque, revenant de la ville, il la vouloit baiser, caresser, rire et s'esjouir avec elle. Elle avait ensuite un caractère difficile au point que si elle venait à se piquer elle prenait sa quinte et tout suivait de travers. Henri IV était excédé encore qu'elle témoignât d'extrêmes animosités contre ses enfants naturels, quelques-uns nés longtemps avant qu'il eût ouï parlé d'elle. Il s'élevait contre l'excessive faveur de ce Concini et de sa femme, la façon dont la reine leur donnait tout son argent au point qu'elle était toujours près de ses pièces, la manière dont elle écoutait leurs propos méprisants sur le compte du roi qu'ils faisaient espionner : des gens de rien, des menteurs capables de brouiller le ménage, des garnements qu'il eût dû renvoyer en leur pays dès leur arrivée en France ! Quant à Henriette d'Entraigues, elle étoit d'agréable compagnie, de plaisante rencontre et avoit toujours quelque bon mot pour le faire rire, ce qu'il ne trouvoit pas chez lui, ne recevant de sa femme ni compagnie, ni réjouissance, ni consolation ; et elle ne pouvant ou ne voulant se rendre complaisante et de douce conversation, ni s'accommoder en aucune façon à ses humeurs et complexions ; faisant une mine si froide et si dédaigneuse, lorsqu'il venoit pour la baiser, caresser et rire avec elle, qu'il étoit contraint de la quitter de dépit et de s'en aller chercher quelque récréation ailleurs ![32] Sully profita d'une demande de fonds que venait lui faire la reine pour s'acquitter de la peu agréable commission dont il était chargé. Certainement, insinua-t-il à la princesse, Votre Majesté a des déplaisirs, mais je ne désespère pas que vous ne reçussiez quelque assaisonnement à ces déplaisirs, si vous saviez bien considérer quelle est l'humeur du roi et ce qu'il est besoin que vous fassiez pour vous y accommoder. Pourquoi le recevait-elle toujours avec une mine froide comme si c'étoit un ambassadeur, au lieu de venir au devant de lui, le baiser, l'embrasser, le louer et l'entretenir gaiement ! Marie riposta vivement. La faute de tout, s'écria-t-elle, était les amourettes du roy. Elle ne se sentait, elle, ni assez de courage, ni assez d'esprit pour supporter davantage madame de Verneuil et toutes ses insolences. Y avait-il femme au monde qui pût admettre que cette poutane (car ainsi l'appeloit-elle) parlât de ses enfants comme elle en parlait ? Sully chercha à calmer la princesse, lui donnant quelques espérances, tâchant de lui faire accepter surtout l'inévitable. Que faire contre l'impossible ? Il est nécessaire, disait-il, que le plus faible et le plus obligé ne forge pas des offenses de gaieté de cœur ; et il parlait des infirmités dont le roi, qui a été nommé le plus sage des hommes, ne pouvait se guérir : il s'étendait sur la bonté du roi qui, au fond, aimait la reine, sur la nécessité de revenir aux conseils de patience qui avaient dû lui être prodigués avant sa venue en France. Il promettait de dire au prince tout ce qu'il pourrait afin de lui faire amender ses habitudes, et la reine, fondant en larmes, consentait à céder[33]. Un temps les apparences furent meilleures. Marie voulut bien même recevoir madame de Verneuil. Un soir que celle-ci causait avec la souveraine, elle se hasarda à lui avouer que si Sa Majesté n'avait pas paru si mal disposée à son égard, elle fût venue lui dire qu'il y avait longtemps qu'elle n'avait pas vu le roi, qu'avec l'aide de Dieu elle entendait ne plus le voir et que par là elle espérait rentrer en grâce auprès de la reine. Marie émue répondait : Si vous le faites, je vous aimerai comme ma propre sœur ! A quelque temps de là, Henriette ayant écrit à la princesse pour la féliciter au sujet d'un accident grave dans lequel les jours de celle-ci s'étaient trouvés en danger, Marie de Médicis lui disait : Vous m'avez voulu faire connaître par votre lettre quelle est votre affection en mon endroit dont encore que je fusse assez assurée, néanmoins j'ai eu plaisir d'en recevoir ce témoignage. Dieu me fera la grâce de recognoistre ceux qui, comme vous, n'aiment et désirent ma prospérité ! La duplicité de madame de Verneuil, son esprit mordant, moqueur, haineux, et la passion d'Henri IV eurent tôt fait de faire cesser ces bonnes dispositions et de brouiller à nouveau le ménage[34]. Dans sa douleur Marie de Médicis s'en prit alors à tout le monde. Elle accusa les ministres, et particulièrement Sully, de fausseté. Ils sont dissimulateurs, disait-elle au représentant du grand-duc de Florence à Paris, Giovannini, et vendus au roi ; il faut que je sois avec eux réservée et muette. De colère, elle écrivit au grand-duc que tous les Français n'étaient que des traîtres et le grand-duc indigné lui répondait qu'elle manquait de mesure, qu'elle ne savait pas se conduire ; qu'au lieu de s'attacher la nation dont elle était souveraine, elle l'insultoit. Il s'était efforcé, dans tous les différends d'Henri IV et de Marie, de calmer celle-ci, multipliant les conseils et les remontrances ; il trouvait maintenant que la reine n'avoit pas de jugement[35]. Vingt fois Sully remit la paix dans le ménage, recommandant la douceur et la patience, allant au Louvre d'une chambre à l'autre, tandis que la reine reprenait ses plaintes contre madame de Verneuil et qu'Henri IV répliquait par ses récriminations contre les Concini, ajoutant au nombre des amis de la reine dont il jugeait à propos de se plaindre, et les ducs de Florence et de Mantoue, et le cousin Virgilio Ursino, et Trainel, et Vinta, et Giovannini ! Tricoteries et fadèses ! répondait le ministre. Ayez au moins de la générosité ! Que ces affaires n'aillent pas plus loin que l'huis de votre chambre ! Henri IV reprenait que cela ne dépendait pas de lui, mais des opiniâtretés de la reine. D'ailleurs que résoudre ? Sully conseillait, si on voulait en finir, de faire passer la mer à quatre ou cinq personnes et les monts à quatre ou cinq autres, chasser les d'Entraigues et les Concini. Le roi ne demandait pas mieux, mais le moyen ? Ces Italiens étaient si solidement ancrés dans l'intimité de la reine qu'Henri IV lui-même ne se sentait pas de force à exiger ou à obtenir leur renvoi. Quant à madame de Verneuil, que deviendrait-il sans elle[36] ? Loin de s'atténuer, les disputes entre époux devinrent de plus en plus âpres, de plus en plus violentes. Le duc de Sully m'a dit plusieurs fois, écrivait plus tard Richelieu, qu'il ne les avait jamais vus huit jours sans querelle. Après les scènes, la malheureuse reine s'enfermait dans son cabinet, pour y pleurer et, le roi venant, elle refusait d'ouvrir. L'exaspération finit par faire perdre à Marie toute mesure. Un jour que, en présence de Sully, le ménage échangeait les récriminations ordinaires du ton de la dernière violence, la reine affolée se précipita sur Henri IV le poing levé. Sully n'eut que le temps de se jeter entre eux et de lui rabattre le bras avec une rudesse si brutale qu'elle put croire un instant avoir été frappée : Etes-vous folle ? Madame, lui criait-il en jurant ; il peut vous faire trancher la tête en une demi-heure ! Avez-vous perdu le sens en ne considérant pas ce que peut le roi ? Henri IV, tremblant de colère, sortit. Marie de Médicis, la figure baignée de larmes, convulsée, se tenait le bras, répétant au ministre qu'il avait porté la main sur elle[37]. Cette fois le roi en avait assez ; son parti était pris ; il fallait que Marie de Médicis s'en allât. Un instant il songea à l'envoyer vivre dans quelque château éloigné, en province, seule. Puis l'irritation l'emportant, il se résolut à la faire simplement reconduire en Italie avec tout ce qu'elle avoit emmené de Florence. Il manda Sully et lui communiqua sa décision : Il ne voulait plus souffrir cette femme ; il voulait la chasser et la renvoyer dans son pays ! Sully, très ému, tâcha de le raisonner : Cela seroit bon, expliquait-il, si elle n'avoit pas d'enfants ; mais puisque Dieu lui en avoit donné, il se falloit bien garder de commettre une telle faute ! C'était à lui à être le plus sage ; il devoit préférer son État à son intérêt particulier, dissimuler ses sentiments, et puisqu'il estoit bien venu à bout de tant d'ennemis par sa valeur, il pourroit bien, avec le temps, avoir raison de sa femme testue et acariâtre ! Longtemps il tourna et retourna les mêmes arguments. Henri IV se calmait. La question des enfants l'avait frappé. Plus tard il avouait que c'était le motif qui l'avait arrêté. Avec peine, une fois de plus, la paix fut rétablie tellement quellement[38]. Au milieu de cette existence de colères et de douleurs le caractère de Marie de Médicis s'aigrissait. Elle devenait difficile. L'entourage remarquait que son esprit d'obstination s'accentuait chaque jour et qu'un rien la mettait hors d'elle : La natura sua e non poco ombrosa e collerica, mandait l'envoyé du duc de Florence, Guidi, à son maître. Elle ne manifestait plus, à l'égard du roi, sinon publiquement, encore, au moins devant ses familiers, ni obéissance, ni crainte, effet de la connoissance qu'elle avoit acquise de la faiblesse de ce prince dans sa vie privée, et de l'habitude des chagrins et des contrariétés. Henriette d'Entraigues, causant avec Henri IV, l'entretenait, non sans quelque appréhension du sang florentin et vindicatif de Marie. La reine faisait espionner la maîtresse. Lorsque madame de Verneuil avait reçu la permission d'aller à Saint-Germain voir ses enfants, Marie de Médicis interdisait expressément qu'on lui laissât voir le dauphin et les autres enfants légitimes. Henriette devait éviter de rencontrer la souveraine à la cour si elle ne voulait pas s'exposer à quelque affront public[39]. Même à l'égard d'Henri IV l'attitude de la reine devenait provocante. Semblant envisager l'éventualité d'une disparition possible et prochaine du roi, elle parlait ouvertement avec les dames de son entourage, notamment la vieille comtesse de Sault, des régences des reines mères. Elle fît demander une fois à M. du Tillet, maître des requêtes, les registres de son grand-père, ancien greffier du Parlement, pour voir comment on en avoit usé du temps de Catherine de Médicis et des autres reines précédentes[40]. Heureusement que le couple royal s'arrangeait de manière à ce que le bruit de ses disputes intimes ne se répandît pas trop au dehors. A certaines heures, Marie de Médicis outrée pouvait, devant quelques amies, tenir des propos imprudents, ou laisser deviner des préoccupations inattendues ; revenue à elle et calmée, elle s'appliquait, même en ce qui concernait des membres de la famille royale, à nier toute mésintelligence. Une princesse lui ayant un jour écrit, faisant allusion dans sa lettre à ces querelles de ménage, elle protestait vivement : Cela est du tout faux ; de tels racontars ne pouvaient venir que de ceux qui estant jaloux de l'amitié particulière et bonne intelligence qui est entre nous, voudroient bien y semer quelque division ; et elle ajoutait bravement : Il n'y a point eu de mauvais ménage entre le roi, mondit seigneur, et moi, comme ils disent[41]. C'est qu'en réalité, quoique Florentine et vindicative, Marie ne se sentait pas capable de haïr profondément Henri IV. Comme chez toutes les personnes de tempérament sanguin et nerveux, les haines invétérées ou implacables, propres principalement aux bilieux, n'étaient, point dans sa nature. A bien considérer les choses, d'autre part, il lui était impossible d'en vouloir indéfiniment à un royal époux, qui, la tourmente passée, quelque colère qu'il y eût manifestée, ou quelque sujet d'irritation qu'il en gardât, oubliait et redevenait charmant pour sa femme. Nos petits dépits, répétait Henri IV à Sully, ne doivent jamais passer les vingt-quatre heures ! et sans se rebuter, il multipliait les avances. L'orage n'étoit pas plutôt cessé, écrira Richelieu, que le roi, jouissant du beau temps, vivoit avec tant de douceur avec la reine, que je l'ai vue souvent [Marie de Médicis], depuis la mort de ce grand prince, se louer du temps qu'elle a passé avec lui et relever la bonté dont il usoit en son endroit, autant qu'il lui étoit possible. Maître, comme il savait l'être, en l'art de plaire, avec d'autant plus d'efficacité qu'il était roi volontaire, Henri IV ne pouvait guère avoir de peine à vaincre l'hostilité de cette nature mobile qu'était Marie de Médicis[42]. Très sincèrement, Henri IV, au fond, aima sa femme. Il
éprouva pour elle un sentiment affectueux fait d'attachement, de devoir et
d'attrait d'habitude : elle était la reine, l'épouse légitime, la mère du
dauphin. Pourquoi, lorsqu'il entrait dans le cabinet de la princesse, la
présence seule de Marie avoit-elle le pouvoir
d'adoucir ses ennuis et de dissiper les nuées de son cœur ? et
pourquoi comme s'il n'eût plus ressenti de
tristesse, éprouvoit-il un suprême contentement d'esprit près d'elle ?
Priuli avait bien observé que le roi était réellement attaché con istraordinario affetto à la reine, au point que
celle-ci devait se dire la piu felice donna del
mondo ! Marie de Médicis étant belle femme, ses qualités extérieures,
disait-on, n'étaient pas étrangères à l'attrait qu'elle finissait par exercer
sur son mari ; et des confidents avaient surpris sur les lèvres d'Henri IV l'aveu
bizarre que Marie était tellement à son gré que si
elle n'avoit point été sa femme, il auroit donné tout son bien afin de
l'avoir pour maîtresse[43] ! L'appréhension de l'avenir, une vague confiance en elle résultant de ce que, à tort ou à raison, il la croyait capable de garder des secrets ; la considération longuement mûrie qu'étant beaucoup plus jeune que lui, elle lui survivrait à un moment où le dauphin, n'étant pas en âge de gouverner, elle devrait conduire les affaires ; et la perspective de l'avoir pratiquement pour successeur, avaient plus que tout le reste déterminé son penchant pour elle. Lorsqu'il éprouvait quelque contrariété provenant des affaires, quelque affliction, il venait les lui confier quoiqu'il ne trouvât pas près d'elle toute la consolation qu'il eût pu recevoir d'un esprit qui eût eu de la complaisance et de l'expérience ! Il cherchait souvent à l'initier aux questions d'Etat, à la mettre au courant ; elle ne s'y prêtait pas, soit paresse, soit qu'elle ne prévît pas qu'Henri IV pût mourir et qu'elle fût exposée à prendre brusquement la responsabilité du gouvernement du royaume[44]. Sully raconte qu'Henri IV étant tombé malade à
Fontainebleau de cette rétention d'urine à laquelle nous avons fait allusion,
et qui effraya tellement Les marques de cet attachement du roi percent à chaque pas dans sa correspondance : Je ne saurois dormir, mande-t-il à Marie, un soir, avant de se coucher, que je ne vous aie écrit. Si je vous tenois entre mes bras, je vous chérirois de bon cœur. Puis s'abandonnant aux familiarités qu'il ne se permettait que dans la plus stricte intimité, comme contraires à la dignité royale, il ajoutait vivement : Je te donne le bonsoir et mille baisers ! Ces formules reviennent fréquemment : Bonjour, mon cœur, disait-il dans une autre circonstance, je te baise cent mille fois[45]. Il semble qu'à mesure l'affection pour sa femme ait été
grandissant. La passion à l'égard de madame de Verneuil s'atténuant de plus
en plus, vers la fin du règne du prince, les querelles s'étaient faites rares
ou disparaissaient. Henri IV se montrait tendre et attentif. L'entourage
remarquait que le roi venait davantage dans l'appartement de la reine et
demeurait de longues heures près d'elle. Il ne sortait plus maintenant du
palais sans aller embrasser Marie. La maréchale de Ces pressentiments, bien qu'il affectât de n'y pas croire, le préoccupaient à mesure davantage. Cinq fois on avait déjà cherché à le tuer. Il y avait comme une obscure certitude planant dans l'esprit de tous qu'il mourrait de mort violente. Lorsque assis sur une chaise basse Henri IV demeurait longuement pensif, battant des doigts l'étui de ses lunettes, puis frappait de ses deux mains sur les genoux, se relevait brusquement et s'écriait : Par Dieu ! je mourrai dans cette ville et n'en sortirai jamais ! Ils me tueront !... il trahissait suffisamment les inquiétudes de sa pensée. Tantôt il restait à demi accablé, silencieux ; tantôt, reprenant le dessus, il se résignoit à la volonté de Dieu, croyant que tout ce que Dieu avoit ordonné estoit inévitable, que l'homme devoit suivre gaiement sa destinée sans se faire traîner ! Ces préoccupations avaient fini par affecter son entourage. Pas assez douée de sensibilité affective pour être touchée profondément, Marie de Médicis était cependant émue d'une vague appréhension[47]. Le jour où il fut assassiné, après avoir passé
l'après-midi avec la reine, au moment de partir, vers quatre heures, pour
aller voir Sully à l'Arsenal, Henri IV semblait ne pas pouvoir se décider.
Trois fois il dit adieu à Marie et l'embrassa ; trois fois il rentra,
troublé. La reine alarmée lui répétait : Vous ne
pouvez pas sortir d'ici de la sorte ; demeurez, je vous supplie, vous
parlerez demain à M. de Sully ! Mais il répondait que cela n'était pas
possible, qu'il ne dormiroit point en repos s'il ne
lui avoit parlé et ne s'étoit déchargé de tout plein de choses qu'il avoit
sur le cœur. Il partit : au coin de la rue de On a voulu laisser entendre que Marie de Médicis ne fut pas étrangère à la mort d'Henri IV. Cette insinuation, impossible à étayer sur un commencement de preuve, est contredite par les réalités et les vraisemblances. La reine a conté elle-même au Florentin Cioli la façon dont elle apprit le tragique événement et, Cioli ayant le soir même transmis au grand-duc de Florence le récit de la souveraine, nous avons ainsi le témoignage le plus précis et le plus immédiat du saisissement qui surprit Marie bouleversée et assurément non prévenue[49]. Vers quatre heures et demie, du carrosse, ramené précipitamment au Louvre, on avait monté le corps d'Henri IV assassiné dans sa petite chambre à coucher, au premier. Cette chambre communiquait par une double porte avec le petit cabinet de la reine, le cabinet entresolé où la souveraine aimait à se tenir. Souffrant de la migraine, Marie de Médicis s'était, ce jour-là, renfermée, défendant qu'on laissât entrer personne et ne s'étant ni habillée, ni coiffée, était demeurée dans cette pièce où, après le départ du roi, étendue sur un lit d'été, manière de chaise longue, elle causait avec son amie madame de Montpensier. Tout à coup un bruit insolite de pas pressés, nombreux, multipliés, se fit entendre dans la chambre du roi. Marie, surprise, pria madame de Montpensier d'aller voir ce que c'était. Madame de Montpensier entr'ouvrit les deux portes, et, devinant, les referma violemment, devenue pâle et tout interdite. La reine comprit qu'il y avait un malheur : Mon fils ! s'écria-t-elle d'une voix angoissée — s'imaginant qu'il s'agissait du dauphin, — et elle se précipita vers la porte que cherchait à lui barrer madame de Montpensier. Votre fils n'est pas mort ! répétait machinalement celle-ci en tâchant de la retenir. Mais déjà la reine la repoussant avait précipitamment ouvert. Devant elle dans l'encadrement, se tenait M. de Praslin, capitaine des gardes, l'air consterné qui lui disait : Madame, nous sommes perdus ! Elle l'écarta violemment et aperçut devant elle, là-bas, dans l'alcôve, couché sur le lit et éclairé directement par la fenêtre, Henri IV, dont le visage, d'un blanc de cire, déjà presque jaunissant, lui révélait l'étendue de la catastrophe. Elle chancela, s'appuya sur la muraille ; madame de Montpensier la prit entre ses bras à demi évanouie ; une femme de chambre, Catherine, qui entrait, accourut ; à elles deux elles transportèrent Marie de Médicis sur le petit lit. Le duc d'Epernon ayant vu la scène, pénétrait dans la pièce, et s'agenouillait auprès de la reine répétant que peut-être le roi n'était pas mort, qu'il ne fallait pas désespérer. Catherine alla chercher de l'aide dans la chambre du roi pleine de monde : Bassompierre, M. de Guise, M. le Grand suivirent. Nous nous mîmes tous trois à genoux, écrit le premier dans ses Mémoires, et lui baisâmes l'un après l'autre la main. Le chancelier et M. de Villeroy arrivaient. Lorsque Marie de Médicis revint à elle, elle éclata en sanglots convulsifs. Son cœur étoit percé de douleur, elle fondoit en larmes et rien ne la soulageoit et ne la pouvoit consoler ! On sait comment le chancelier, Villeroy et Jeannin parvinrent, ensuite, à lui faire comprendre, le premier moment donné à la douleur, que les plus graves intérêts étaient en jeu, qu'il fallait s'occuper sans retard de l'ordre public, parer aux nécessités urgentes et reprendre son sang-froid afin défaire face aux complications que la disparition du roi allait provoquer. Elle se surmonta assez elle-même pour décider, de concert avec eux, des dépêches à envoyer et des mesures à prendre[50]. Neuf jours consécutifs, elle ne put dormir, en proie à une émotion et à une peine indicibles. Lorsque le lendemain de la mort du roi elle eut à se rendre au Parlement pour les constatations et les décisions commandées par les circonstances, tout le monde remarqua son trouble à peine contenu, et la difficulté qu'elle eut à prononcer les quelques mots qu'elle avait à dire et que des sanglots entrecoupaient. Elle se soumit à toutes les obligations que la tradition imposait aux reines de France le lendemain de la mort de leur époux. Elle se condamna à demeurer quarante jours au Louvre, sans sortir, et sans voir autres personnes que celles que l'administration de l'État l'obligeait à recevoir quotidiennement. Elle ordonna deux années de grand deuil, pendant lesquelles il n'y aurait ni fêtes, ni réceptions, ni divertissements d'aucune sorte. Elle se couvrit de crêpes. Elle fit tendre son appartement de noir, lugubre usage en vertu duquel toutes les pièces, et dans chaque pièce, murs, plafonds, parquets étaient recouverts durant des mois et des mois d'étoffe noire lamée d'argent, avec, en guise d'ornements, des larmes et des crânes d'argent semés, parement de deuil, couvrant et traînant de tous côtés tant contre les murailles que sur les planchers et meubles. De longues semaines elle dut écrire partout, en France, à l'étranger, pour annoncer la mort du roi, renouvelant chaque jour son chagrin par l'expression qu'elle en formulait quotidiennement : Ma douleur et désolation sont telles, mandait-elle à la duchesse de Mantoue, que je ne puis encore recevoir aucune consolation ! et à la duchesse de Bouillon : Je me trouve tellement outrée de douleur qu'en cette extrême affliction j'ai tout besoin de la consolation de mes bons amis. Vous participerez avec moi à cette désolation ! En dehors des prières dites régulièrement dans le royaume entier et au moment des obsèques du prince, elle fît dire tous les ans, pour l'anniversaire de sa mort, des messes nombreuses des années durant et distribua des aumônes[51]. On l'a accusée de froideur. L'Estoile conte un récit tout à fait différent de celui que nous a laissé le Florentin Cioli. Saint-Simon va même plus loin et affirme que personne n'ignore avec quelle présence d'esprit, avec quel dégagement, avec quelle indécence la reine reçut une nouvelle si funeste et qui devait la surprendre et l'accabler. Après lui, Michelet, on ne sait d'après quelle source, a écrit que Marie apprit la mort d'Henri IV par un mot de Concini joyeusement jeté à travers la porte de la chambre de la reine : E ammazzato ! Il est assassiné ! Ces affirmations ne tiennent pas devant des témoignages plus sûrs. Henri IV avait exprimé le désir que son cœur fût envoyé à |
[1] Cet incident fut connu de tout Paris et les ambassadeurs étrangers en informèrent leurs gouvernements (Canestrini, V, 459 ; P. Matthieu, Hist. de France, règne de Henri IV, II, 35 ; Princesse de Conti, Hist. des amours de Henry IV, Leyde, 1664, p. 72 ; Galluzzi, V, 409). Sur l'usage devant la reine de se baisser fort bas et de baiser le bout de la robe, voir G. Colletet (le Roman satyrique, 1624, p. 184).
[2]
Il faut demander quel était le physique d'Henri IV à ceux qui l'ont vu souvent
et approché de près : Sully (Économies, éd. Petitot, IX, -209) : B.
Legrain (Décade, p. 42) ; Priuli (Relazione, dans N. Barozzi, Relazioni,
II, I, 207) ; R.
Dallington (The view of Fraunce, 1892, p. 59) ; P. Matthieu (
[3] On trouve dans Jean Collin (les Lauriers de la maison de Bourbon, Paris, J. Camusat, 1641, in-4°, p. 314) des détails sur la manière vigoureuse dont avait été élevé Henri IV : J'ai connu, écrit l'auteur, un vieil officier qui l'avoit hanté familièrement durant sa première jeunesse qui m'a dit, etc. Henri IV aimait encore à se baigner, mais il ne savait pas nager (Bassompierre, Remarques sur les vies des rois Henri IV et Louis XIII, Paris, 1655, p. 103).
[4]
Il paraît d'ailleurs que les vêtements déchirés et sales lui venoient bien (B. Legrain, Décade, p.
402). L'auteur de l'intéressant opuscule le Fidèle sujet à
[5]
Dès sa jeunesse, étant roi de Navarre, il était traité par les médecins pour
ses maux d'estomac (Arch. des Basses-Pyrénées, B. 2 398, archives de la
couronne de Navarre). Sur ses séjours à Montceaux afin d'y prendre les eaux de
Pougues, voir Epistres françoises des personnages illustres et doctes à M.
J.-J. de
[6] Henri IV appelait son mal une défluxion sur un pied (Lettres missives, VI, 400). Il gardait le lit des huit jours (Ibid., VI, 190) et souffrait extrêmement (Sully, Économies, II, 327 ; L'Estoile, Journal, VIII, 315 ; Bassompierre, Mém., I, 218). Il se faisait porter en chaise à la chasse par des Suisses (Malherbe, Lettres, III, 40). Les médecins d'ailleurs lui laissaient croire que la goutte était signe de longue vie (de Rommel, Correspondance inédite de Henri IV avec Maurice le Savant, p. 153).
[7] Sully, Économies royales, éd. Petitot, IX, 209 ; G. Dupeyrat, op. cit., p. 91.
Je tais ce vif esprit, actif et vigilant.
Ce corps infatigable et de soy nonchallant
(J. Bertaut, Stances au roi, dans Œuvres,
éd. A. Chenevière, Paris, 1891, p. 35). Notre roi a
été apennagé d'un esprit fort et grand qui le fait venir à bout de tout ce
qu'il veut. Il est si disert qu'encore qu'il n'ait point pensé à une affaire,
il en parle avec tant de jugement et de science que vous diriez qu'il y a deux
mois qu'il ne fait autre chose que d'y penser et s'y préparer (le
Fidèle sujet à
[8]
Fontenay-Mareuil (Mém., p. 18) et Priuli (Relazione di 1608 dans
N. Barozzi, II, i, 208) indiquent la façon dont Henri IV tenait conseil. Le
landgrave de Hesse nous a laissé la description de l'intérieur du cabinet
d'Henri IV (Relation du voyage du landgrave de Hesse à Paris en 1602,
dans de Rommel, Correspondance inédite de Henri IV avec Maurice le Savant,
p. 65) ; et l'auteur du Fidèle sujet à
[9]
Tous les contemporains sont unanimes à reconnaître la sympathique nature
d'Henri IV (Sully, éd. Petitot, IX, I ; Canestrini, V, 531 ; Priuli, dans N.
Barozzi, II, I, p. 208 ; Fontenay-Mareuil, p. 23 ; P. Matthieu,
[10]
B. Legrain (Décade, p. 431), Fontenay-Mareuil (Mém., p. 15), Sully
(Économies royales, édit. orig. II, 307). Henri IV voulait qu'on
l'abordât avec une libre franchise (Instruttione a V. S. Mons. Matteo
Barberino, ms. de
[11]
L'affirmation qu'Henri IV n'aimait pas lire est dans Scaligeriana
(Groningue, 1669, in-12°, p. 109). Le cardinal du Perron disait : Le roy sait force choses ; il n'entend rien ni en la
musique, ni en la poésie (Perroniana, Genève, 1669, p. 167). Les
courtisans prétendaient que l'Amadis était
[12] Cette belle parole est rapportée par P. Matthieu (Suite de l'histoire de France concernant la mort déplorable de Henri IV, Genève, 1620, p. 30). Le prince ajoutait : Quand je ne serai plus là, on verra ce que je vaux !
[13] Le mot du roi à Marie de Médicis sur sa conversion est donné par Richelieu (Mém., I, 10). Cf. S. Dupleix (Hist. de Henry le Grand, Paris, 1632, in-fol. p. 592). Le rapprocher de ce que le landgrave de Hesse prétend au contraire avoir recueilli de la bouche d'Henri IV en 1602 : Le roi m'assura qu'il était encore dévoué à la religion réformée et que même il avait le dessein d'en faire de nouveau, avant sa fin, une confession publique (de Rommel, Correspondance inédite de Henri IV avec Maurice le Savant, p. 79). Il est vrai que les deux interlocuteurs discutaient politique et que le roi avait besoin à ce moment des princes protestants allemands. La conférence de Fontainebleau ne produisit sans doute son effet qu'à la longue (Actes de la conférence tenue entre le sieur evesque d'Evreux et le sieur du Plessis en présence du roy, à Fontainebleau, le 4 de mai 1600. Évreux, A. Le Marié, 1602, in-8°, et du Perron, Diverses œuvres, Paris, A. Estienne, 1622, in-fol., p. 1 et suiv.). Sur la conversion d'Henri IV : Bibl. nat., ms. Dupuy 119. et P. Férel, Henri IV et l'Église, Paris, 1875, in-8°.
[14] Nous avons un roy en France, écrit un contemporain, qui est roy et parle en roy (l'Injustice terrassée aux pieds du roi, p. 238). On en voit la preuve entre autres dans les Mémoires de Beauvais-Nangis (éd. Monmerqué, p. 87 et 97). Ch. Read a conté l'histoire du ministre Chamier (Henri IV et le ministre Daniel Charnier, Paris, A. Durand, 1834, in-8°, p. 36-38). Sur les harangues du prince pleines de bonhomie apparente, de simplicité affectueuse, mais nettes, vives, claires, avec des phrases courtes et cinglantes, voir Lettres missives, par exemple (VI, 566), et le Mercure français (1611, p. 170).
[15] La réception des ambassadeurs suisses eut un très grand éclat et le récit nous en a été laissé circonstancié (Bibl. nal., mss fr. 10 717, 15 530, fol. 657-664 ; P. Matthieu, Hist. du règne de Henri IV, II, 401 ; L'Estoile, Journal, VIII, 47 : Palma-Cayet, Chronologie septennaire, p. 212). Henri IV, il y a lieu de le remarquer, s'était d'ailleurs inspiré des règlements anciens concernant ces sortes de réceptions (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 7 225, fol. 79 et 81. Voir aussi Discours sur l'ordre observé à l'arrivée de Don Pèdre de Tolède, lequel arriva au château de Fontainebleau le samedi 19 juillet 1608, Paris, 1608, in-12°). Ajoutons que rompant avec les traditions, le roi exigeait qu'on entrât dans sa chambre et son cabinet, même en son absence, tête nue (Malherbe, Lettres, III, 58). Il paraît que des seigneurs gascons se permettaient auparavant de venir dans ces pièces en galoches (L'Estoile, Journal, VII, 281).
[16] Richelieu, Mém., I, 9. Les écrits ne manquent pas sur les amours d'Henri IV : Bibl. nat., nouv. acq. fr. 100, fol. 30 et suiv. ; nouv. acq. fr. 1 563 ; ms. fr. 19 181 ; Histoire des amours de Henri IV, avec diverses lettres escrites à ses maîtresses et autres pièces curieuses, Leyde, J. Sambyx, 1663, in-12°. Cette publication, œuvre de la princesse de Conti, parut aussi en 1652 sous le titre de Histoire des amours du grand Alcandre, in-8°, puis d'Histoire des amours de Henri IV, Leyde, 1664. Consulter aussi de Lescure, les Amours de Henri IV, Paris, A. Faure, 1864, in-18°. Si on veut juger des troubles physiques que causaient chez le prince ses passions voir la lettre de Don Inigo de Cardenas au roi d'Espagne, du 14 mars 1610 (le duc d'Aumale, Hist. des princes de Condé, II, 362). Les prières demandées par Marie de Médicis à ce sujet sont indiquées dans une lettre de Pecquius à l'archiduc Albert (Ibid., II, 344).
[17] Richelieu, Mém., I, 9, 20 ; Lettres missives, VII, 510. Lorsque huit jours après la naissance du dauphin madame de Verneuil accoucha d'un fils d'Henri IV, celui-ci prit gaiement la chose : Il me naît un maître et un valet ! dit-il (Dépêche de Vinta au grand-duc de Florence, citée par B. Zeller, Henri IV et Marie de Médicis, p. 111). Madame la marquise de Verneuil accoucha d'un fils que le roi baisa et mignarda fort, l'appelant son fils et le disant plus beau que celui de la reine sa femme qu'il disoit ressembler aux Médicis, estant noir et gros comme lui : de quoi on dit que la reine estant avertie, pleura fort (L'Estoile, Journal, VII, 321). La conduite d'Henri IV provoquait, surtout chez les protestants, de vives critiques (Hostal de Roquebonne, l'Avant-victorieux, Orthez, A. Royer, 1610, in-8°, p. 112 et suiv.).
[18]
Il existe, à
Flambeaux étincelants, clairs astres d'ici-bas,
De qui les doux regards mettent les cœurs en cendre,
Beaux yeux qui contraindriez les plus fiers de se rendre.
Ravissant aux vainqueurs le prix de leurs combats...
(J. Bertaut, sonnet à mademoiselle d'Entraigues, dans Œuvres, éd. A. Chenevière, 1891, p. 294). — V. Siri a bien montré son caractère brillant, audacieux et impérieux (Siri, Memorie recondile, I, 293, 294). — Sur ses amours avec Henri IV, voir : Bibl. nat., ms. fr. 15 599, fol. 613 et suiv. ; nouv. acq. fr. 1 473 ; Copie de lettres de la main d'Henri IV à madame la marquise de Verneuil, Ibid., Rec. Fontanieu, t. 262, p. 1 et suiv. ; A.-J. Ballieu, Une maîtresse de Henri IV, Henriette de Balzac d'Entraigues (Paris, Dupret, 1887, in-12°) ; Albert zu Pappenheim, Heinrich der vierte und dessen geliebten herzogin von Beaufort und marquise de Verneuil (Augsburg, 1829, 2 vol in-12°).
[19]
Henriette d'Entraigues était fille de Marie Touchet, qui avait épousé François
de Balzac d'Entraigues après avoir eu de Charles IX le comte d'Auvergne. C'est
en octobre 1599 que commencèrent les amours d'Henriette avec Henri IV (Sully, Économies
royales, éd. orig., I, 429 ; Bassompierre, Mém., I, 77 ; Pardoe, The
Life of Marie de Médicis, Londres, 1852, in-8°, t. I, p. 61). Fort belle fille, dit en parlant de mademoiselle
d'Entraigues la princesse de Conti (Hist. des Amours de Henri IV, éd. de
1664, p. 62), pas si belle que Gabrielle, mais plus
jeune et beaucoup plus gaie. Nous résumons l'affaire du singulier
marchandage d'après la correspondance d'Henri IV (Lettres missives, V,
172 ; VIII, 745, 746). Le texte de la promesse de mariage nous a été conservé
par une copie authentique sur parchemin, signée des ministres, et aujourd'hui à
[20]
On pourrait multiplier les exemples d'expression de tendresse que prodiguait
Henri IV à Henriette. Il lui écrivait avec une familiarité très libre (Lettres
missives, VIII, 747, note). Les dons à mademoiselle d'Entraigues ont été
nombreux (Estat des dons et brevets du roy ; pièces concernant ceux que la
dame marquise de Verneuil rendra, publié par Champollion-Figeac, dans Documents
inédits, 1848, t. IV, p. 496-8 ; N. Valois, Inventaire des arrêts du
Conseil d'État, II, 261 ; Comptes des dépenses de Henri IV, dans Archives
curieuses de l'hist. de France, XV, 195). Henri IV mit au Louvre madame de
Verneuil (les Amours du grand Alcandre, Paris, 1780, I, 85) après
l'avoir logée d'abord à l'hôtel de Larchant (Bassompierre, Mém., I, 77),
puis à l'hôtel de
[21] On cacha soigneusement à madame de Verneuil les négociations du mariage. Il faut ici du secret, disait Sully à l'envoyé florentin Giovannini, afin que cette écervelée d'Entraigues ne pénètre rien, car elle en seroit furieuse et pourroit inspirer quelque dégoût à Sa Majesté (Galluzzi, Hist. du grand-duché de Toscane, V, 352). Henri IV avait déjà subi, à propos de Gabrielle d'Estrées, les vives remontrances de ceux qui ne voulaient pas lui voir épouser une maîtresse (Discours au roi pour le détourner d'épouser Gabrielle d'Estrées, Bibl. nat., ms. fr. 3 443, fol. 94 v°).
[22]
Que madame de Verneuil crût qu'elle avait tous les droits à être reine, c'est
ce que les contemporains répétaient. Giovannini l'écrivait (dépêche du 2 juillet
1612, dans Zeller, Henri IV et Marie de Médicis, p. 152 ; le duc de
[23]
Ces détails sont connus par les dépêches qu'envoient à Florence les
ambassadeurs du grand-duc (Canestrini, V, 476 ; Galluzzi, V, 44T). Cette femme,
ajoute Giovannini, est
d'une ambition et d'un esprit capable de toute tentative diabolique. Le mot de
[24] Nous résumons des péripéties nombreuses, renouvelées, dont on trouve les détails un peu confus dans les Lettres missives (VI, 227, 229, 232 ; YII, 376, 662, 666). Sully (Économies royales, éd. orig., II, 204, 219), Galluzzi (V, 448), L'Estoile (X, 85), Zeller (Henri IV et Marie de Médicis, 204). En ce qui concerne certaines expressions un peu vives employées par Henri IV, il faut remarquer qu'à cette époque elles ne paraissaient pas aussi fortes qu'elles le sont devenues depuis ; elles étaient alors d"un emploi plus courant (cf. Héroard, Journal, passim ; d'Hostal de Roquebonne, l'Avant-victorieux, p. 227).
[25] Sully, II, 274 ; Canestrini, V, 567. Une fois la marquise demanda trois choses : ou qu'on la reçût au Louvre, ou qu'on lui rendît ses enfants, ou qu'on lui promit Metz au moins pour après la mort du roi. Henri IV préféra la première solution. Le chancelier n'ayant pas voulu se charger de la faire accepter de la reine, ce fut Concini auquel on s'adressa, d'ailleurs sans résultat. On fit légitimer les enfants de madame de Verneuil par acte enregistré au Parlement, entre autres afin de désarmer la marquise et de l'empêcher de prétendre qu'ils étaient auparavant légitimes (Zeller, p. 214).
[26]
Ce procès d'Entraigues émotionna assez fortement l'opinion publique. Nous avons
conservé de nombreuses copies du dossier de l'affaire complète (Arch. nat.. U,
803 ; Bibl. nat., mss fr. 10 968, fol. 42 et suiv. : 16 550 ; 18 436 ; nouv.
acq. fr. 2 392, 7 162 ; mss Dupuy, 32 ; 63, fol. 185 ; 661, fol. 91 ; Arch. des
Aff. Étrang., France, 766). L'arrêt du Parlement se trouve dans le ms. Dupuy
90, fol. 230 de
[27] Henri IV vit madame de Verneuil jusqu'à sa mort, à cause des enfants (Malherbe, Lettres, III, 149). C'est Tallemant qui fait le tableau peu flatteur de mademoiselle d'Entraigues vieillissant (I, 10). En 1622 Louis XIII payait toujours sa pension à l'ancienne maîtresse de son père (S. Rémond, Sommaire traité du revenu et despence des finances, dans E. Fournier, Variétés hist. et litt., VI, 127). Malgré sa passion pour Henriette, Henri IV eut un certain nombre de passades. Il re, écrit Vinta, con gran sua gloria si afferma universalmente che quasi in uno stesso tempo habbia ingravidate quattro donne (Zeller, Henri IV et Marie de Médicis, p. 339). Il eut mademoiselle Jacqueline de Bueil (G. Lioret, Étude hist. sur Jacqueline de Bueil, comtesse de Moret, 1588-1651. Paris, Picard, 1896, in-8°) ; il mit dans ses meubles mademoiselle des Essarts (Malherbe, Lettres, III, 29). Les sources sont nombreuses pour l'affaire de Charlotte de Montmorency (Bibl. nat., ms. Dupuy 72, volumineux dossier ; cf. H. Gourdon de Genouillac, le Dernier amour de Henri IV, Paris, 1896, in-18° ; Paul Henrard, Henri IV et la princesse de Condé, Paris, 1885, in-8° ; surtout le duc d'Aumale, Hist. des princes de Condé, II, 543).
[28] Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 8(5, fol. 1 r°, 11 v°, 316 r°. Ses premières pensées n'avaient autre but que de lui plaire ; elle se faisait force pour se rendre patiente (Richelieu, Mém., I, 8).
[29] Mon cher cœur, écrit Henri IV à madame de Verneuil, je montrois hier soir votre lettre à ma femme ; je la regardois au visage, si je verrois de l'émotion quand elle lisoit votre lettre, comme d'autres fois j'avois vu quand l'on parloit de vous ; elle me répondit sans aucune altération que j'estois le maistre, que je pouvois ce que je voulois. Il y a longtemps qu'elle ne vous avoit nommée sans rougir (Lettres missives, VII, 604). Le détail des souffrances de Marie de Médicis est donné par elle à l'envoyé florentin qui le transmet au grand-duc, ou écrit par la souveraine elle-même à son oncle (Galluzzi, V, 490 ; Zeller, p. 259). C'est par Concini que l'avis vint au roi que la reine menaçait madame de Verneuil (Richelieu, Mém., I, 8) ; et Concini conseillait pendant ce temps à Marie d'exciter la jalousie du prince au moyen de coquetteries avec d'autres ! (Ibid., p. 9.)
[30]
Sully (Économies royales, éd. Petitot, IX, 327). Le piquant est que
Marie de Marie de Médicis écrivit sur le conseil de Sully et que le brouillon
de la lettre qui excitait la colère du roi était, précisément, du ministre
lui-même ! La liste des personnes dont Henri IV est jaloux nous est fournie par
M. de Rambure (Mémoires manuscrits, cités par miss Pardoe, the Life
of Marie de Médicis, t. I, p. 166), et l'auteur de l'exposé contenu dans le
ms. fr. 3 445, fol. 41 v° de
[31] Ces scènes nous sont connues par les dépêches expédiées à Florence afin de tenir le grand-duc au courant (Canestrini, Négociations, V, 531 et suiv.).Tout de même, faisant ses observations à Henri IV, Sully parlait entre ses dents : il avait un peu peur (Économies, loc. cit.).
[32] C'est Sully qui nous met au courant de la mission dont le charge son maître (Économies royales, II, 231). Henri IV avait fini par prendre en horreur les Concini. Lorsque don Jean de Médicis vint en France le roi lui demanda comment il pourrait bien faire pour se débarrasser d'eux et l'autre simplement lui proposa de les faire assassiner ; malheureusement, parait-il, les deux hommes chargés de l'affaire auraient eu peur au dernier moment. Le roi répétait souvent à Sully qu'il feroit assommer les Concini ! (Bibl. nat., ms. fr. 3 345, fol. 41 r°). Au fond il les redoutait. Me jeter sur les bras, avouait-il à son ministre, cinq esprits italiens d'ordinaire tous vindicatifs, ce seroit me tourmenter de soupçons et de défiances de ma vie pires que la mort même (Sully, Économies, II, 233).
[33]
Sully confirma et répéta par lettre toutes ses raisons à la reine. Nous avons
cette lettre (Sully, Économies, II, 286). Henri IV ne laissait pas que
d'être très affecté de la désunion de son ménage. Le roi est devenu fort chagrin, écrit le duc de
[34]
La conversation entre Marie et Henriette est donnée par une déposition faite au
procès de celle-ci (Arch. nat., U, 803, fol. 19) ; et la lettre de la reine,
datée de 1606, se trouve dans le ms. Cinq-Cents Colbert 87, fol. 46 r° de
[35] Canestrini, V, 467, 521 ; Galluzzi, V, 450. En disant que la reine n'avoit pas de jugement le grand-duc assurait qu'il ne faisait qu'exprimer le sentiment des ministres français et de tout le monde. Il reprochait très vivement à Marie l'influence sur elle de Léonora Galigaï.
[36] C'est Sully surtout qui nous donne tous ces détails (Économies royales, II, 43, 44, 230, 233).
[37]
La scène violente que nous venons de dire est donnée par le manuscrit fr. 3 445,
de
[38] En réalité Henri IV eut plusieurs fois l'idée de renvoyer sa femme. Le comte de Grammont racontait à Richelieu qu'il avait été chargé par le roi de dire à la reine qu'il exécuterait sa menace si elle ne changeait pas de manières (Richelieu, Mém., I, 9). Richelieu ne croit pas au sérieux de la menace. La colère fait si souvent dire, juge-t-il, ce que pour rien au monde on ne voudroit faire ! Bien que j'ai su de ceux qui avoient en ce temps grande part au maniement des affaires, ajoute-t-il, que le roi leur a dit plusieurs fois qu'il se résoudroit enfin de la prier d'aller vivre ailleurs (Ibid.).
[39] Henri IV était de la même opinion que madame de Verneuil sur le sangue fiorentino e vendicativo de la princesse (Canestrini, V, 529). L'espionnage organisé par Marie de Médicis se révèle bien dans la lettre suivante à madame de Monglat (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 80, fol. 309 r°, et 87, fol. 33 v°) : Madame de Montglat, puisque le roi, mon seigneur, a trouvé bon que l'on menai à Passy les enfants de la marquise de Verneuil pour demeurer auprès d'elle deux ou trois jours, je désirerois que vous les fissiez accompagner de quelqu'un bien confident qui prit garde de près aux actions de ladite marquise avec lesdits enfants et qui put rapporter fidèlement ce qu'il y aura vu et reconnu : mais il faudroit que ce fut en sorte que personne autre que vous et lui en sut rien !
[40] Bibl. nat. ms. fr. 3 445, fol. 43 r° ; Cf. les Principaux sujets de la mauvaise intelligence d'entre le feu roy Henri IV et la royne mère du roi, dans d'Arconville, Vie de Marie de Médicis, I, 522. — M. du Tillet, l'ancien greffier, dans les registres duquel Marie chargeait le petit-fils de rechercher ce qui se faisait en temps de régence, avait eu la spécialité de son vivant d'établir les précédents (Lettres de Henri II à Jean du Tillet, greffier civil du Parlement, pour lui ordonner de rechercher dans les registres de la cour les rangs et ordre tenus dans toutes les cérémonies, 27 déc. 154S. Bibl. nat., ms. Dupuy 542. fol. 121).
[41]
Le public en effet ne savait rien. Ce mariage,
écrit un contemporain, a esté si agréable à Dieu qu'il
est affranchi de toutes les épines, les croix et les malheurs des autres
conjonctions ! (Panégyrique sur le couronnement de la reine,
Paris, P. Mettayer, 1610, in-12°, p. 21). C'est à peine si les gens qui
approchaient de très près le roi devinaient quelque chose ; ils ne le
confiaient alors que sous le sceau du secret. Je vous
dirai à vous, puisque cette lettre est sûre, écrit M. de
[42] Sully, Économies royales, II, 308 ; Richelieu, Mém., I, 9.
[43]
C'est Richelieu (Mém., ibid.) qui nous rapporte ce singulier
propos. Voir P. Matthieu,
[44] Richelieu a bien analysé ces sentiments (Mém., I, 11).
[45] Lettres missives, VI, 551 ; VIII, 892. Le roi appelle sa femme m'amie ; Marie de Médicis dit à Henri IV monsieur (Sully, II, 190), expression protocolaire que les reines conserveront à l'égard du roi de France jusqu'à la fin de l'ancien régime. Quand le prince entre dans la pièce où la reine se trouve, celle-ci se lève pour lui faire la révérence (L'Estoile, Journal, X, 262. Cf. le président Fleury, Mémoire sur la manière dont les rois de France en ont usé avec les reines leurs femmes, Bibl. nat., ms. fr. 10 830).
[46]
Bassompierre déclarait Henri IV le meilleur mari du
monde (Mém., I, 272) ; ceci malgré la passion pour Charlotte de
Montmorency, ou à cause d'elle, peut-être, puisque la jeune femme ayant été
emmenée à l'étranger par son mari pour être soustraite à Henri IV, celui-ci qui
souffrait, venait chercher consolation auprès de sa femme sans avouer l'objet
de sa peine. (P Matthieu,
[47] Henri IV avait été l'objet de tentatives d'assassinat de la part de Michau, en 1584, Rougemont, en 1589, Barrière en 1593, Chatel en 1594, Davennes en 1597 (Richelieu, Mém., I, 22). Les contemporains répètent à l'envi les innombrables pronostics et pressentiments que, partout, à ce moment, tout le monde eut. Deux ou trois mois avant l'assassinat Marie de Médicis rêva que le roi était tué de deux coups de couteau ; elle s'éveilla en sursaut, pleurant et criant. Henri IV se contenta de lui dire qu'il ne fallait pas croire aux songes (Nic. Pasquier, Lettres, Paris, 1623. in-8°, p. 15). Il ne manquoit rien à ce grand prince sinon qu'il fut plus déliant (R. Gros de Saint-Joyre, Hiéroglyphe royal d'Henry le Grand, Lyon, J. Roussin, 1610, in-12°, p. 22).
[48]
Le détail minutieux de la dernière journée d'Henri IV et l’emploi de son temps
ont été soigneusement reconstitués par Scipion Dupleix d'après les témoins
oculaires (S. Dupleix, Hist. de Henry le Grand. Paris, 1632, in-fol., p.
588). Voir aussi Richelieu (Mém., I, -23), L'Estoile (Journal, X,
402). Au Louvre chez la reine, Henri IV répétait : Je
ne sais ce que j'ai, mais je ne puis sortir d'ici ; la roine fit tout ce qu'elle put pour le retenir (Mém.
du duc de
[49]
Michelet a surtout insisté sur l'insinuation dont nous parlons. On accusa
madame de Verneuil, d'Épernon et autres, de complicité. Le public ne prit pas
au sérieux ces inventions, œuvres d'une femme sans autorité,
[50]
Canestrini, Négociations, V, 633. Le récit de Cioli concorde avec les
détails que donnent ceux qui étaient le mieux placés pour savoir ce qui a pu se
passer : Bassompierre, par exemple (Mém., I, 276). Il était dans la chambre
du roi, pleurant, lorsque Catherine, femme de chambre
de la reine, vint appeler M. de Guise, M. le Grand et moi. Nous la trouvasmes
(la reine) sur un lit d'été, etc. Voir aussi
Richelieu (Mém., I, 18), Fontenay-Mareuil (Mém., p. 17), P.
Matthieu (
[51]
Les neuf jours d'insomnie de Marie de Médicis après l'assassinat d'Henri IV
sont confirmés par P. Matthieu (
[52]
Saint-Simon, Parallèle des trois premiers Bourbons, p. 8. — Michelet (Henri
IV et Richelieu, Paris, 1861, p. 197) invoque une
tradition qui veut que... etc. On crut remarquer aussi que le jour où le
corps d'Henri IV quitta le Louvre pour aller à Saint-Denis, Marie de Médicis
regardant par une fenêtre défiler le convoi funèbre, n'aurait manifesté au
passage du cercueil que peu de douleur ! (Bibl.
nat., ms. fr. 3 445, fol. 46 V). — Les cœurs d'Henri IV et de Marie de Médicis
sont toujours à