LA VIE INTIME D'UNE REINE DE FRANCE AU XVIIe SIÈCLE

 

CHAPITRE III. — LA MAISON DE LA REINE.

 

 

Nombreuses compétitions, en 1601, pour entrer dans la maison de la reine. — La maison est une administration fermée ; ses traditions. — Chiffre du personnel. — Le service d'honneur : la dame d'honneur, madame de Guercheville : la dame d'atour ; les demoiselles d'honneur. — Le service domestique ; les femmes de chambre. — Les hommes de la maison de la reine : la chapelle ; le grand aumônier ; nombreux ecclésiastiques. — Le chevalier d'honneur ; le premier maître d'hôtel et ses importantes fonctions ; les gentilshommes servants. — Domesticité proprement dite : huissiers, valets de chambre, médecins, rangés à celte place malgré leurs salaires élevés. — Cuisines : la cuisine bouche ; établissement des menus et transport cérémonieux de la viande de la reine ; la cuisine commun ; les quinze tables du personnel de la reine ; dépense journalière de nourriture. — Vivres et fournisseurs. — L'écurie de la reine ; chevaux et carrosses ; personnel. — Les pages. — La galère de Marie de Médicis. — Bureaux et administration de la maison ; le secrétaire des commandements ; le chancelier, le trésorier général ; le contrôleur général ; la caisse ; les gens du conseil.

 

Préparant avec le gouvernement d'Henri IV la venue de Marie de Médicis en France, la cour de Florence avait tâché de donner à la princesse une nombreuse suite d'Italiens destinés à être pourvus à Paris de places lucratives qu'on demanda. La question fit l'objet d'un échange de notes diplomatiques. M. de Sully, outré, notifia qu'il ne recommanderait ni un médecin, ni un cuisinier, et les gens en fonctions, protestant qu'on voulait leur enlever le pain de la bouche, firent déclarer qu'il y avoit en France des droits acquis. Tout au plus Marie de Médicis parvint-elle à caser quelques Florentins : son amie d'enfance, Léonora Galigaï, des gentilshommes servants, des femmes de chambre, de petits pages. Puis elle renvoya un à un ses compatriotes déçus et doucement découragea ceux qui, de longues années durant, continuèrent à solliciter de sa bienveillance des prébendes à la cour[1].

C'est qu'en principe la maison de la reine est un cercle fermé. La longue pratique et habitude avec les maîtres étant nécessaire, on conserve précieusement les vieux serviteurs, qu'on veut tous hommes de bien et sains de leur personne : braves huissiers ou fidèles valets de chambre vieillissent ainsi dans le Louvre sous les règnes successifs de trois ou quatre reines.

Pour régner bien chez vous, il faut que votre suite

Soit toute de vertu, d'honneur et de mérite.

Qui craigne l'Éternel et libre sous sa loi

Cherche tout son bonheur au bonheur de son roi[2].

Afin d'assurer la tradition du bon service, les rois ont admis l'usage que chaque serviteur casât les siens, fils et neveux. Ceux-ci entrent tout jeunes — à la cuisine, par exemple, galopins, — gravissent de degré en degré l'échelle de la hiérarchie : leurs pères ou leurs oncles les surveillent, les forment ; et ainsi de véritables dynasties se fondent parmi les domestiques. Les gages ne sont peut-être pas très enviables : ils n'ont pas changé en cent ans. Mais les gratifications compensent : on participe aux faveurs royales, on est nourri, on est exempt d'impôts : la veuve qui reçoit pension est exempte, elle aussi ; on jouit du privilège de committimus, qui permet de faire évoquer tous les procès devant certaine juridiction spéciale ; enfin, simple valet de chambre, on figure dans le protocole général de l'État, immédiatement après-les conseillers des bailliages, sénéchaussées et sièges présidiaux, avant les officiers des élections, greniers à sel et tous autres juges inférieurs, dignité appréciable ! Aussi tout le monde cherche à pénétrer dans la maison royale, et, comme il y a plus de fonctionnaires qu'il n'en faut, on a imaginé le système des quartiers : quatre titulaires, nantis du même emploi, servent, chacun leur tour, trois mois par an : leurs appointements varient, comme de juste, suivant qu'ils sont en quartier ou non[3].

Henri IV, pénétré d'esprit d'économie, réduisit rigoureusement la maison de la reine. La fonction de superintendante fut supprimée ; les gentilshommes d'honneur renvoyés ; les dames d'honneur — Louise de Lorraine, la femme d'Henri III, en avait eu soixante — congédiées. On ne revit plus ces troupes innombrables que Catherine de Médicis, la plus fastueuse des reines, avait eu autour d'elle : vingt-cinq demoiselles d'honneur, quarante-quatre femmes de chambre, quatre-vingts dames de compagnie. Pourtant, année moyenne — 1606, — la maison de Marie de Médicis comprend quatre cent soixante-quatre personnes, dont huit seulement non payées. Sur ces quatre cent soixante personnes, deux cent une fournissent un service quotidien régulier[4].

 

Immédiatement autour de la reine, se place le service personnel de Sa Majesté, service d'honneur et service de domesticité. C'est la dame d'honneur qui le commande, madame de Guercheville. Douce et silencieuse, si jolie jadis, lorsque à vingt ans, attachée à la maison de Catherine de Médicis, elle était aimée d'Henri de Navarre, madame la marquise de Guercheville a été la seule dame d'honneur de Marie de Médicis. Henri IV, plein d'estime et de respect pour celle qui avait su lui résister, l'a choisie afin de guider la reine étrangère lorsqu'elle arriva en France, l'instruire dans une vie nouvelle et la conseiller. Madame de Guercheville, qui a quarante ans en 1600 et dont le tranquille visage, un peu décoloré maintenant, décèle le calme bon sens, assure autour de Marie de Médicis le respect des formes traditionnelles et mène la maison avec tact. D'elle dépend tout ce qui concerne la personne et la chambre de la souveraine. Entre ses mains prêtent serment les dames et femmes de chambre. Elle ordonne seule, fixe les états, arrête les dépenses, contresigne ordonnances et cahiers, fournit des certificats. Sa maîtresse l'aime-t-elle ? Mystère. Elle la comble de cadeaux, en tout cas : 1.600 livres d'étrennes à chaque nouvel an (les gages de la dame d'honneur étant de 1.200 livres), 6.000 livres de pension annuelle, une belle croix d'or garnie de diamants ; elle la soutient quand elle a des procès ; elle fait décider que madame de Guercheville, qui a le privilège de porter la queue de la mante de la reine aux processions, passera avant les femmes des maréchaux de France ; elle lui donne un bel appartement au Louvre, au second, au-dessus du sien et de celui du roi, l'appartement qu'occupera plus tard M. le connétable de Luynes, Une fois elle décidera Henri IV à lui octroyer 100.000 écus[5].

La dame d'atour, elle, n'a autorité sur qui que ce soit : elle veille aux habillements et toilettes de la reine, les imagine, les fait faire, les présente : grave fonction, moins par l'office lui-même que par l'autorité que confère la faculté d'approcher à toute heure de Sa Majesté. Léonora Galigaï, qui remplit la charge, habite également au second un bel appartement de trois pièces, encombré de vingt coffres sculptés où s'entassent les bardes et habits de la souveraine[6].

Marie de Médicis a une dizaine de demoiselles d'honneur, — les filles et demoiselles ou les filles d'honneur, — plus généralement de six à huit, toutes du meilleur monde : Geneviève d'Urfé, Victoire de Cadaillac, Sabine de Coligny, Anne de Saint-Mars, Marie de Pontcourlay, Madeleine de la Meilleraye. Elles occupent au Louvre, ensemble, un appartement situé au rez-de-chaussée du vieil corps d'hôtel, au-dessous des appartements de la reine. La reine les nourrit, les habille, les surveille. Les jours de grande cérémonie ces jeunes filles portent une magnifique toilette de toile d'or et d'argent. On leur donne 200 livres de gages et, lorsqu'elles se marient, 12.000 livres en présent de robe de noces, de la part de la reine, 2.000 écus de la part du roi. Un personnel spécial est à leur service : pour les garder d'abord, la gouvernante, madame de Malissi, la sous-gouvernante, mademoiselle de Courtenay, puis un huissier de salle qui surveille la porte de l'appartement, l'honnête Girard Passetemps ; trois valets de chambre, deux femmes de service, trois valets de pied. Marie de Médicis, qu'un tempérament très froid garantit des passions, ne les tolère pas chez ses demoiselles d'honneur. Mal en prit au jeune baron de Termes d'être trouvé dans la chambre de mademoiselle de Sagonne, à une heure et dans une tenue qui ne laissaient aucun doute sur ses intentions : la reine alla demander à Henri IV de lui faire trancher la teste ! La Sagonne fut ignominieusement chassée et maltraitée ; la gouvernante fut renvoyée. Malgré ses instantes prières, le P. Cotton lui-même n'obtint pas grâce pour les coupables[7].

En revanche, Marie de Médicis s'attache à ses jeunes compagnes et sait les défendre, le cas échéant, avec âpreté. Elle a voulu marier une d'elles, amenée d'Italie et nommée Catherine de Médicis, — fille d'un Côme de Médicis, très lointain parent de la reine, et de Diane, comtesse de Bardi, — avec le baron de la Musse. Mais M. de la Musse, auquel on a conté des histoires, recule. La reine apprend que c'est madame de la Musse mère qui a inventé et colporté les bruits outrageants. La voilà hors d'elle. Ce projet de mariage, déclare-t-elle, est chose dont je ne me soucie aucunement, mais elle ne veut pas qu'on perde de réputation sa petite Catherine. Ou madame de la Musse dira de qui elle tient ces bruits, pour qu'on en châtie les auteurs, ou je lui ferai connoistre, à son dommage, combien je m'en trouve offensée ! La reine fit interroger la baronne par le lieutenant civil Miron ; elle voulait qu'on la mît en prison, qu'on lui intentât un procès. Finalement le lieutenant civil proposa que madame de la Musse présentât simplement des excuses. La petite Catherine devait épouser plus tard le maréchal de Marillac[8].

Lorsqu'un mariage est décidé, — et toutes ces jeunes filles n'ont en tête que des rêves de beaux mariages, — Marie de Médicis permet au jeune homme de venir faire sa cour : elle écrit à la gouvernante qu'elle donne au fiancé l'honneste accès auprès de la jeune fille qu'un serviteur doit désirer de sa maîtresse. Petite troupe élégante et fine, le groupe des filles et demoiselles vit retiré dans les appartements, ne paraissant qu'aux fêtes[9].

Le service domestique est fait par les femmes de chambre, huit à dix, sous le commandement d'une vieille et respectable dame, la bonne femme la Renouillière, une grand'mère édentée, bien au courant des usages ; que le petit dauphin appelle cette bête-là et qui maintient les traditions. Parmi les autres femmes de chambre, quelques-unes venues d'Italie, confidentes de la souveraine qu'elles servent depuis l'enfance, sont peu au courant des habitudes françaises et parfois difficiles à conduire. La plus influente des Italiennes est madame Salvagia Vincenze, que les Français appellent madame Selvage. Elle couche dans la chambre royale, comme la Renouillière, ainsi que Marie de Médicis appelle brièvement l'autre. La reine use d'elle pour des commissions de confiance, des remises d'argent. Les gages des femmes de chambre étant modiques — 120 livres par an, — madame Selvage reçoit des gratifications qui vont jusqu'à 9.000 livres ! Elle — ou sa fille — est encore auprès de la princesse à sa mort en 1642[10].

Trois autres femmes de chambre, Catherine Forzoni, particulièrement en faveur, fille de la nourrice de Maris de Médicis ; madame Sauvât, fille d'un valet de chambre de la reine Louise de Lorraine ; et madame Canche, femme d'un contrôleur général des finances de Poitiers, ne quittent pas l'appartement où elles se relayent pour veiller la nuit — ce qu'on appelle être de chevauchée. — Le reste des femmes de chambre se tient dans la garde-robe : l'une s'occupe du linge de table, l'autre des linceulx ou draps de lit ; une troisième empèse le linge de la reine. Les biens, meubles et immeubles, de quelque étranger décédé ou de quelque enfant naturel leur procurent d'assez bons bénéfices[11].

Autour d'elles gravite un menu personnel accessoire : des nains d'abord, un couple d'Italiens, Marguerite Zavizanca et son frère, Albert ; Merlin et Marin Noué, qui est le portemanteau ordinaire ; puis, une négresse, Madeleine, la more de la reine, que celle-ci finira par marier en lui donnant 600 écus, et aux noces de laquelle elle fait faire un festin digne d'une si belle beauté ; une folle, Mathurine, célèbre et très populaire en ce temps-là ; un bouffon, Pierre Navarre. Dans un ordre plus utile, Nicolas Guillois, le porte-chaise ordinaire, lequel apporte l'objet à la garde duquel il est préposé quand on le lui demande, dans n'importe quelle pièce de l'appartement, et généralement le tient dans la garde-robe ; la lavandière, Madeleine Maupart qui blanchit le linge de corps de Sa Majesté depuis son parlement de Florence ; enfin le petit Gaspard qui soigne les oiseaux des femmes de chambre[12].

En tête des hommes qui figurent dans les états de la maison d'une reine de France viennent d'abord les aumôniers. Marie de Médicis a considérablement augmenté la liste des siens. La reine qui l'a précédée, Louise de Lorraine, n'avait qu'un grand aumônier, une vingtaine d'aumôniers honoraires et quatre chapelains. Grand aumônier, premier aumônier, aumônier ordinaire, quatre aumôniers servant par quartiers, trente aumôniers sans gages, confesseur ordinaire, confesseur du personnel, prédicateur, chapelain ordinaire, dix chapelains : plus de cinquante ecclésiastiques attestent le souci qu'a la femme d'Henri IV de paraître bonne catholique.

Depuis Anne de Bretagne, la tradition est que le grand aumônier de la reine soit un évêque. Celui de Marie de Médicis est l'évêque de Béziers, Jean-Baptiste Bonsi, un Florentin, sénateur de Florence et n'allant jamais dans son évêché, que son oncle, Thomas Bonsi, administre. Mal payé, comme tout le monde, — 300 livres de gages annuels, mais 4500 livres de gratification, — Jean-Baptiste Bonsi remplit l'office, peu absorbant, de distribuer les aumônes de la reine, qui sont régulières, et d'être le secrétaire de Sa Majesté dans les affaires religieuses. Les honneurs et profits sont nombreux : dispenses des impôts ecclésiastiques, bénéfices, dignités, etc. ; le prélat n'attend pas la mort de l'archevêque de Rouen, le cardinal de Joyeuse, pour demander une part des abbayes du moribond ; il case neveux et nièces, mariant richement celles-ci, faisant arriver l'un de ceux-là, Dominique Bonsi, à la charge de premier aumônier, lui faisant avoir le prieuré de Solesmes ; enfin, premier cardinal créé par Louis XTII, il obtient la pourpre en 1611. Il fut congédié quatre ans plus tard, en 1615, Plus heureux ou plus adroit que lui, un de ses successeurs, honoré comme lui du chapeau rouge, ne quittera la place, en 1624, que pour devenir premier ministre : c'est l'évêque de Luçon, Jean-Armand du Plessis-Richelieu[13].

Tous les ecclésiastiques, quel que soit leur titre, attachés à la maison de Marie de Médicis : premier aumônier, aumônier ordinaire, aumôniers par quartier ou chapelains, n'ont en définitive que deux fonctions définies : dire la messe, le matin, les vêpres le soir, et bénir les tables aux repas. La messe de la reine doit être prête dès neuf heures du matin. Les dimanche, vendredi et samedi, on chante une grand'messe à laquelle sont tenus d'assister, en rochet, les évêques et archevêques présents à la Cour. Les mêmes jours, on chante les vêpres à quatre heures.

Si Sa Majesté ne fait rien dire, on attend sa venue pour commencer l'office : le matin jusqu'à midi, le soir jusqu'à six heures. Quand la reine désire entendre la messe ailleurs qu'au Louvre, vite, le sommier de la chapelle charge sur une haquenée le drap de pied de Sa Majesté, avec ses carreaux, tapis et dais et va installer le tout à l'endroit désigné[14].

Un prédicateur attaché à la maison royale, Frère Jacques Buchon, de l'abbaye de Saint-Victor, moyennant l'humble somme de dix livres par an, prêche tous les dimanches et jours de fêtes, le matin après l'offrande de la grand'messe et durant le Carême ou l'Avent à peu près chaque jour. En principe, une messe quotidienne est célébrée pour le personnel de la maison ; il est douteux que laquais, valets de chambre, cochers ou cuisiniers y assistent, mais benedicite et grâces sont régulièrement dits à leurs tables comme à celle de la souveraine par l'aumônier en quartier[15].

 

Après la chapelle, le chevalier d'honneur est l'homme le plus important de la maison de la reine, personnage grave, très digne, qui accompagne la princesse partout et lui sert de chaperon. Il faut, afin de remplir cette place, Marie de Médicis le dit elle-même, un cordon bleu et une barbe grise. Il n'a pas grand'chose à faire et ne commande à personne. Au Louvre et dehors, il prend la main de Sa Majesté, lorsque celle-ci a besoin qu'on la conduise, se tient à sa droite dans toutes les grandes cérémonies, mais pour monter ou descendre de cheval, la fonction passe au premier écuyer quitte à ce que dès que la princesse a posé le pied à terre, le chevalier reprenne ses droits. Il a sa chambre au palais royal, privilège insigne accordé à peu d'hommes. Dans les cas graves, et si la place est occupée par quelqu'un en qui Marie de Médicis ait pleine confiance, le chevalier d'honneur rédige les lettres importantes, celles qu'il faut particulièrement mesurer et pourpenser[16].

L'autorité sur le personnel de la reine appartient en fait au premier maître d'hôtel, cheville ouvrière de la maison, comme il l'est de toute maison de riche particulier : c'est lui qui a les règlements à appliquer, les papiers à tenir à jour, les punitions à infliger : il est le dirigeant suprême de ce qu'on appelle les Sept offices. Il doit être noble parce qu'il a sous lui des écuyers qui le sont ; il doit être actif, intelligent, volontaire, doué d'une parfaite mémoire pour connaître jusqu'au dernier des enfants de cuisine. Le premier au Louvre, dès l'aurore, — les grandes lanternes de toile posées dans les escaliers du logis royal une fois éteintes, — il veille à ce qu'on balaie et ôte les ordures qui sont à la cour, sur les degrés et aux salles hautes et basses, afin qu'il ne demeure aucune saleté ou puanteur. Il va partout s'assurer que chacun est à son poste à l'heure, — tout le personnel logeant en ville. — Dès le réveil de la reine, il vient dans la chambre royale prendre les ordres qu'il transmet aux cuisines, puis va constater que chaque chose est faite au contentement de la souveraine, que les viandes sont bonnes, et que le vin n'est pas piqué.

Tous les trois mois, il dresse la liste des gens devant servir dans le quartier et la présente à la reine qui signe : pièce importante pour la comptabilité, car ceux-là seuls seront payés qui figureront sur cette pancarte. Il rassemble le personnel nouveau le 4 du premier mois du quartier, lit à haute voix les règlements, rappelle à chacun qu'il doit se conduire avec toute fidélité, intégrité, soin et diligence ; recommande rigoureusement d'être présent chaque jour avec défense de se faire remplacer sans une autorisation particulière, qui sera d'ailleurs inscrite sur un registre spécial, ou sans une bonne et due certification de médecin ; puis, rompant le cercle, il va d'office en office apprendre à connaître les nouvelles figures, et renouer connaissance avec les anciennes. C'est lui qui propose les avancements, fixe les attributions, décide les suspensions ou mises à pied. Du haut en bas, hommes et choses doivent lui être familiers. Le soir, à la nuit, il s'occupe de l'éclairage, fait allumer des flambeaux par toutes les salles et passages du logis de Sa Majesté, des falots aux quatre coins de la cour, aux degrés, afin que l'on puisse connaître et voir ceux qui y viendront[17].

Le premier maître d'hôtel a près de lui un maître d'hôtel ordinaire, qui n'a qu'un rôle effacé, et le maître d'hôtel en quartier qui est son vrai collaborateur. Le troisième jour du premier mois de chaque quartier, le premier maître d'hôtel, le maître d'hôtel sortant et le maître d'hôtel entrant se réunissent dans le bureau du maître d'hôtel, tiennent conseil en compagnie d'autres fonctionnaires : le maître de la chambre aux deniers, le contrôleur général et les clercs d'office. On examine ce qui a été fait dans le précédent quartier ; on décide ce qui se fera dans le suivant, puis les registres étant étalés : marchés de vivres et de fournitures, menus, état des batteries de cuisine, des ustensiles, du linge, le tout est revu, signé, paraphé ; car le maître d'hôtel entrant rendra compte du matériel dont on lui transmet la garde. Alors le maître de quartier prend le bâton, marque distinctive de sa fonction, et fait le tour des offices pour connaître, lui aussi, son monde. A défaut de son chef, il va attendre la reine le matin au sortir des appartements et lui demander ses instructions pour le dîner. Après quoi il revient à la cuisine surveiller. Au moment du repas, il informe Sa Majesté que la table est servie, ou plutôt la viande portée. La reine se mettant à table, il lui présente la serviette mouillée avec laquelle Sa Majesté s'essuie les mains. Il préside le service. Il doit être constamment là : défense de prendre le moindre repas hors du Louvre ; défense d'avoir une autre occupation rétribuée hors du palais. Il fait son rapport, à la fin de chaque mois, à la reine, au sujet des fautes du personnel, propose les punitions graves et réunit souvent en conseil les personnages que nous avons indiqués tout à l'heure afin de prendre leur avis et de maintenir les traditions[18].

La reine étant à table et le maître d'hôtel ayant tendu la serviette, ce n'est pas lui qui sert Sa Majesté, ce n'est pas non plus un domestique quelconque : il faut des gens nés ; la fonction revient aux gentilshommes servants. Les trois gentilshommes servants portent les noms antiques de pannetier, d'échanson et de tranchant. L'un donne le pain, l'autre sert à boire, le troisième coupe la viande. Dès que l'heure est arrivée de préparer la table, les trois personnages se rendent processionnellement au gobelet — le gobelet est l'endroit le plus relevé des cuisines, le premier des sept offices, là où se prépare ce qui concerne le couvert de Sa Majesté ; — un huissier les précède ; des officiers les suivent. Au gobelet, ils prennent : le pannetier, la nef royale, vase de cristal en forme de nef de navire, monté sur garniture de métal ciselé et qui contient la serviette ; l'échanson, la coupe ; le tranchant, les couteaux. Ils retournent processionnellement, viennent dans la salle et regardent dresser le couvert. Une fois la reine à table, eux seuls s'occupent d'elle, lui donnent son pain, lui tendent son verre sur un plateau, après avoir essayé vin et eau devant elle pour l'assurer qu'on ne l'empoisonne pas ; lui passent sa viande, apportée par les officiers de la cuisine, et tout ce qu'elle mange : Sa Majesté ne prend rien que de leur main.

En principe, leur office devrait s'arrêter là. En réalité, Marie de Médicis n'ayant pas de gentilshommes d'honneur pour son service d'apparat, ils en remplissent la fonction. Ils doivent donc venir au Louvre le matin, vers sept ou huit heures, se rendre dans l'antichambre et attendre que la souveraine sorte pour l'accompagner. Ils sont tenus d'entretenir deux chevaux chacun. S'ils n'escortent pas la reine, celle-ci les envoie faire vingt courses ; porter des condoléances ici, une lettre là-bas. Les promenades sont parfois longues, tel va en Berry, tel en Touraine. Bien qu'ils n'habitent pas au Louvre, ils ne peuvent, comme les maîtres d'hôtel, ni dîner ni souper dehors. Ils touchent à peine 400 livres par an, et il faut, pour faire figure à la Cour, avoir de beaux et dispendieux habits, les renouveler souvent, dépenser des 2.500 écus de préparatifs au moment de carême-prenant, au besoin faire sa partie dans des brelans dangereux, participer à des ballets coûteux, etc. C'est cette raison, ici, plus encore que le grand nombre des candidats, qui a nécessité le roulement des quatre quartiers annuels. On se ruine pendant les trois mois de service et le reste du temps, comme le dit un contemporain : la vie simple et privée dans les châteaux n'exigeant ni grands frais, ni riches habillements, ni chevaux de grand prix, ni banquets, ni les autres magnificences requises de ceux qui sont à la Cour ; on peut se restreindre et compenser par de sages économies les dépenses auxquelles oblige le service[19].

La domesticité proprement dite se recrute dans la roture ; d'abord les huissiers, auxquels on dit : Monsieur l'huissier ; il y en a un pour chaque pièce. En permanence à l'entrée de la salle dont ils ont la garde, les huissiers tiennent une verge à la main, souvenir des temps pas très lointains où ils fouettaient ceux qu'ils avaient à reprendre, et ils font le service d'ordre criant : Sortez ! Poussez-vous, sous peine de la baguette ! Le matin, les huissiers arrivent dès les cinq heures, assistent au nettoyage, ne laissent entrer chacun qu'à l'heure désignée pour lui.

L'huissier de l'antichambre est celui dont la charge est la plus lourde, parce que la salle qu'il surveille est la pièce où les courtisans et le personnel accourent en plus grand nombre. Le cérémonial interdit qu'on s'asseye sur les coffres garnissant les murs et qu'on approche du buffet ; la première prescription par décence, la seconde par précaution : l'huissier alors barde le buffet, se tient devant. Au moment où l'on va mettre la table de Sa Majesté — si la souveraine prend son repas dans l'antichambre, — l'huissier fait évacuer la pièce. L'huissier du Cabinet, lui, doit connaître son monde, ne pas laisser se faufiler dans ce qui est le Salon de Sa Majesté des inconnus ou des suspects, mais, en même temps, il doit veiller à ne pas irriter quelque grand seigneur ombrageux ou offenser un obscur gentilhomme. La tâche devint particulièrement difficile lorsqu'il a affaire à quelque couple de bavards seigneurs gascons, amis de Henri IV, se disputant, échangeant des gifles : offense criminelle à la dignité de la demeure royale, qui oblige l'huissier à jeter tout ce monde dehors[20].

Ensuite les valets de chambre. Ils sont quatre, en quartier, sous la direction du vieux Pierre Sopitre, le premier valet de chambre, chef d'une dynastie qui se passe la charge de père en fils — Henri III avait un Sopitre premier valet de chambre, Louis XIII en a encore un en 1633. — Les valets de chambre viennent au Louvre à cinq heures du matin, allument le feu, l'hiver, dans l'antichambre et le Cabinet, puis nettoient. Dès que la reine est éveillée, ils se rendent à la cuisine pour aller prendre son bouillon et, sitôt qu'elle est partie à la messe, s'emparent de sa chambre à coucher, font le lit, battent, rangent, époussettent. Le reste de la journée, ils se tiennent dans l'antichambre et, la nuit venue, allument chandelles, bougies et falots. La fruiterie leur a transmis le luminaire nécessaire dont ils ont délivré par poids et comptes une décharge en règle, comme ils donnent récépissé du bois à brûler et des serviettes pour le ménage. Ils mouchent les chandelles et surveillent les lanternes. Derrière eux, évoluent trois valets de garde-robe qui aident les femmes de chambre à transporter et ranger les effets de Sa Majesté dans les coffres[21].

A la suite, dans la domesticité, se placent les médecins, au nombre de cinq : premier médecin, médecin ordinaire, trois médecins en quartier, y compris le médecin du commun, aidés de deux apothicaires, de deux chirurgiens et d'un barbier à l'usage du commun. Ils se trouvent chaque matin à l'antichambre, au cas où l'on aurait besoin de leurs services, et ne manquent aucun repas, afin d'essayer les vins. Ils reçoivent des traitements hors de proportion avec leur place et surtout avec les gages du reste du personnel : par exemple, à côté du premier maître d'hôtel qui touche 800 livres par an, M. Delorme, le premier médecin, successeur de M. André du Laurens, lequel était un très savant homme, docteur et professeur de Montpellier, gagne 7 400 livres, plus 3700 livres de gratification, ce qui représente en tout 11.000 livres, et M. Petit, le médecin ordinaire, 9.000 livres ! Marie de Médicis a un faible pour les médecins étrangers ; elle en a eu de tous les pays, des Italiens, des Espagnols, des Juifs portugais qu'elle comble de biens ; Philotée Montalto, un prétendu docteur de la Palestine, de son vrai nom Pompilio Evangelisti, d'autres encore[22].

Tous ces médecins soignent aussi le personnel de-la maison. Une centaine de personnes, dont la liste est soigneusement dressée, ont droit aux soins médicaux ; des règlements minutieux prévoient les cas possibles, et définissent les conditions de ce droit de secours dans lequel sont compris les fournitures pharmaceutiques : on n'a pas le médecin pour une maladie contractée hors du service ; on ne l'a pas pour certaines maladies innommables. Il est fait expresse recommandation aux médecins de composer leurs ordonnances avec bonne foi et sévérité ; de n'y mettre aucune superfluité ou délicatesse et recherche, plutôt pour flatter les malades que pour les guérir, par exemple d'y introduire sucre, confiture, odeurs, embellissements qui pourroient être demandés de leur propre mouvement par les malades ; mais seulement ce qui sera nécessaire pour la restauration de leur santé : il faut empêcher, comme dit Robert Estienne, que les marchandises des apothicaires ne soient quasi que pour les friands qui sont en santé. L'apothicaire, qui fournit aussi le jour des Rois l'hypocras qu'on boit et en temps ordinaire le sucre et la cannelle, à la fin de chaque quartier, présente les ordonnances médicales datées, avec les noms des bénéficiaires et leurs qualités ; on contrôle[23].

Cuisines et communs s'étendent hors du Louvre, sur remplacement des pavillons actuels Daru et Denon et du jardin qui est aujourd'hui devant le pavillon de l'Horloge. C'est un amas de constructions basses, adossées aux maisons qui bordent la petite rue Froidmantel, Sa Majesté ne voulant pas qu'il se fasse cuisine dans son château, pour être chose trop déshonneste et indigne du respect que l'on lui doit porter. L'accès des communs est rigoureusement interdit au public — par peur du poison, — si rigoureusement que les maîtres d'hôtel risquent d'être chassés, au cas où l'on y surprendrait un intrus. Marie de Médicis a deux services de cuisines : le premier ne s'occupe que d'elle, et on l'appelle la cuisine de corps ou la cuisine bouche, par simplification, la bouche ; le second prépare les aliments destinés au personnel de la maison et se nomme cuisine commun[24].

La cuisine bouche compte quatorze personnes, hiérarchisées : l'écuyer ordinaire, qui a le haut commandement et demeure en fonction l'année entière ; l'écuyer en quartier, qui le supplée. Ces écuyers ne sont pas des nobles, mais des gens de cuisine ayant gravi tous les échelons : ils reçoivent la viande et répondent des plats. Puis, dans leur ordre administratif : le maître-queux qui prépare les entrées ; le potager qui dose les potages ; le hâteux qui cuit les rôts ; le pâtissier qui tourne les pâtisseries ; l'enfant de cuisine qui arrange les ficelles et les brochettes ; deux galopins, qui balaient et nettoient pour 45 sous par mois ; deux sommiers qui tournent les broches ; deux porteurs spécialement chargés d'apporter l'eau et le charbon ; enfin l'huissier qui garde la porte. Sauf les galopins, chacun de ces gens ne sert que trois mois par an. La reine de France n'a donc pas de cuisinier éminent, lui combinant des mets rares. Les maîtres-queux ont commencé par être galopins à 30 livres de gages annuels, puis ont été promus enfants de cuisine à 40, hâteux ou potagers à 120, et sont arrivés par ancienneté à leur grade— 140 livres, — comme ils passeront écuyers à 160 livres, s'il y a des vacances. La grasse et facile cuisine qu'on sert à la table de la reine ne nécessite pas précisément de savants praticiens. On arrive aisément à acquérir le tour de main voulu[25].

Si la reine est contente, elle octroie des gratifications qui viennent arrondir les maigres émoluments ; afin d'attirer ses bonnes grâces, certains ne craignent pas de lui offrir des surprises de leur métier, tel ce potager qui, au jour de l'an, fait cadeau à Marie de Médicis d'un ouvrage de beurre en rocher ; il eut pour la peine 60 livres, juste la moitié de son traitement.

Les menus de la table royale sont arrêtés au début de chaque quartier par le premier maître d'hôtel et le maître d'hôtel servant qui les portent à la souveraine, laquelle approuve et signe : Les officiers, édicte le règlement (est officier tout individu qui remplit un office), seront très soigneux de bien accoustrer la viande de la reine et qu'on ne lui serve rien qui ne soit fort bon et tendre. Le bouillon doit être bien cuit et bien consommé et non si plein de graisse et clair comme il est quelquefois. Il faut surtout faire attention au vin que, pour plus de sûreté, le premier médecin tastera afin de voir s'il est de son goût. Les cuisines ont à tenir prêt le repas de Sa Majesté, le matin, dès neuf heures et demie, le soir à cinq heures. Le transport de la viande jusqu'à l'antichambre est une cérémonie pleine de dignité. On forme un cortège : en tête marchent deux archers de la garde, en hoqueton ou casaque brodée, la hallebarde sur l'épaule ; derrière, vient un huissier, verge à la main ; puis le maître d'hôtel servant, tenant le bâton ; après quoi un gentilhomme servant, le pannetier ; enfin, la viande de Sa Majesté, portée par des pages ; l'écuyer de cuisine bouche, un garde-vaisselle et deux gardes du corps avec leurs hallebardes — quelquefois leurs arquebuses — veillent à ce qu'on n'approche pas du rôt royal. Quand le cortège est arrivé à l'antichambre de la reine, tous ceux qui le composent se découvrent ; l'huissier reste à la porte afin de prendre au passage les bonnets des pages, qu'il garde dans ses poches.

La cuisine commun a le même nombre de gens que la cuisine bouche, quatorze, avec les mêmes titres, les mêmes hiérarchies, les mêmes appointements. Tout autour, se groupent quelques services accessoires : la fruiterie, composée de deux chefs, de deux aides, d'un sommier, qui a charge des fruits et de la salade ; la fourrière (un chef, deux aides) qui apporte ou emmagasine le bois, le charbon, les fagots, la paille, les falots et autres matières similaires ; le serdeau, qui recueille les restes des tables, ceux de la table royale étant transmis par un gentilhomme servant[26].

Sur les deux cents personnes composant le service quotidien de Marie de Médicis, cent soixante-quinze sont nourries par la reine, et sont dites commensaux de la maison du roy, gens ayant bouche à cour, ou à pain et à pot chez la reine. On les distribue à l'heure des repas entre quinze tables, chaque table recevant un chiffre de convives variant de cinq à vingt-deux, et portant les désignations respectives de : table des gentilshommes servants, à laquelle prennent place l'aumônier et les chapelains ; table des demoiselles d'honneur, avec leur gouvernante et sous-gouvernante ; table du premier maître d'hôtel, la plus importante par la qualité de ceux qui y figurent ; tables des femmes de chambre, des valets de chambre, de la fourrière, de la cuisine bouche, etc. ; toutes tables occupées par des convives bruyants, parlant ensemble, faisant le long du dîner un vrai vacarme avec leurs cris, leurs huées et leurs risées. La vaisselle d'argent abonde ; ils en ont tous ; la fruiterie éclaire sa table avec des flambeaux d'argent vermeil doré ; la cuisine ne compte pas les poêlons, bassins, réchauds, culières, plats et écuelles d'argent qui s'alignent sur les fourneaux. Deux fois par semaine, un contrôleur vient vérifier s'il n'y a bien à chaque table que ceux qui ont le droit d'y prendre place.

La surveillance est sévère. Défense est faite de rien réclamer si l'on n'arrive pas à l'heure ; défense de se mettre à une autre table que celle qui vous est désignée ; défense d'emporter quoi que ce soit dans ses poches, principalement le reste du pain ; défense surtout aux chefs de modifier les menus fixés par la reine ou le nombre et les noms des convives. Les mets sont du même genre que ceux que l'on sert à la table de Marie de Médicis, lourds, abondants, sans attrait. Ils varient à chaque table. Les demoiselles d'honneur auront par exemple pour dîner le matin : trois entrées, trois potages ; des pièces bouillies, telles que morceau de bœuf, poule, poulets, morceau de mouton ; des pièces rôties, à savoir : épaule de mouton, chapon, poulets ; et le soir des rôtis différents ; plus, les dimanches et jeudis, un gibier. Mais les valets de chambre n'auront que deux entrées, trois plats bouillis, deux rôtis et jamais de bouilli le soir. En fait de vin, chaque convive dispose d'une pinte-chopine par jour, soit un litre et demi ; les chefs reçoivent une quarte — près de deux litres ; — on distribue des pains d'une demi-livre[27].

Tous les soirs est dressé un bordereau de ce que la maison de Sa Majesté a consommé : en moyenne, la consommation pour une journée s'élève à 46 livres de bœuf, cinq moutons, deux veaux et demi, douze chapons, huit poules, trente poulets, quatre gibiers, un quarteron d'œufs, quatre livres de graisse et trente-deux livres de lard. La quantité de vin livré est de 45 setiers, 3 quartes, soit 323 litres ; de pains distribués, 505. Malgré les règlements, on constate de-ci de-là quelques extras : poule dinde, ventre de porc, chevreau, tétine de vache, douze boudins ; le fait est rare. Très peu de sucre et d'épices que fournit l'apothicaire. Pendant le mois de janvier 1610, le total de la dépense de nourriture pour la reine et sa maison s'est élevé à 14182 livres, 4 sous, 6 deniers[28].

175 personnes seulement sur 200, avons-nous dit, prennent place aux tables de la maison de la reine. Un certain nombre d'autres, en réalité, sont encore nourries aux frais de Sa Majesté, mais d'une manière différente. Madame de Guercheville, Léonora Galigaï, le chevalier d'honneur, le premier maître d'hôtel, le trésorier général, les grands dignitaires, reçoivent d'abord de larges indemnités, ingénieuse compensation à l'insuffisance des traitements : 600 livres par mois pour la dame d'honneur, 300 pour la dame d'atour, 500 pour le chevalier d'honneur, 200 pour le maître d'hôtel, 155 pour le secrétaire des commandements, etc., sont des sommes suffisantes afin de fournir aux dépenses de la vie. Par surcroît, sous le nom de livrées, la maison de la reine délivre chaque jour à ces mêmes personnes une quantité de pain, vin et viande telle que les indemnités en question deviennent à peu près inutiles. Avec un setier ou sept litres et demi de vin, douze pains, deux chapons, deux pièces de veau, deux pièces de mouton, une livre et demie de lard, trois quarterons de chandelle, six bûches et six fagots, auxquels lui donne droit quotidiennement son brevet de livrée, le premier maître d'hôtel peut économiser les deux cents livres qui lui sont allouées pour sa nourriture[29].

Vivres et approvisionnements arrivent aux cuisines de Marie de Médicis par adjudication. On a fait annoncer à son de trompe dans les places et carrefours que marchés dévoient être faits à jour dit, en plein bureau et donnés au rabais, à l'extinction de la chandelle. Les sons de trompes se font entendre non seulement à Paris, mais dans les villes circonvoisines comme de la rivière de Loire. Il vient du monde, car la qualité de fournisseur de la Cour est un honneur apprécié qui procure double profit, les fournisseurs étant privilégiés, francs, quittes et exempts de tous ponts, ports, péages, passages, entrées, issues, gabelles et autres droits et impôts quelconques[30].

Quatre boulangers se sont associés pour soumissionner la fourniture du pain : Martin Gallet, de la rue Saint-Honoré, Crespin Grillet, de Châtillon-sur-Loing, André Moreau, de Poissy, et Jean Bardin, de la rue Coquillière. Un traité a été passé entre eux et la souveraine, représentée dans la circonstance par le chevalier d'honneur, le premier maître d'hôtel, le maître d'hôtel servant et le trésorier général de la maison. Les boulangers s'engagent à fournir pendant deux ans le pain de Sa Majesté et de son personnel, un pain bien cuit et rassis, du poids de neuf à dix onces, moyennant le prix fixe de douze sols par douzaine de pains, l'un portant l'autre, payé à la fin de chaque mois. Ils apportent leur pain à la panneterie dans des sacs de cuir et des couvertures aux armes et couleurs de Marie de Médicis. S'ils ne fournissent ni le poids ni la quantité demandée, on achètera le surplus ailleurs et la dépense sera défalquée de leur note. Quand la reine voyage, ils sont tenus d'expédier leurs fournitures à la suite de la souveraine ; on les indemnise de leurs frais de transport. Lors de la fête des Rois, ils confectionnent les gâteaux traditionnels pour la maison entière, ce qui coûte 44 livres 10 sous[31].

Le roi de France n'a pas de provision de vin ; il fait tout venir au jour le jour de chez le marchand. L'adjudicataire du vin de Marie de Médicis est M. Vincent Voiture, bourgeois de Paris, demeurant rue Saint-Denis, en la paroisse Saint-Eustache, qui s'est engagé, par son traité, à fournir du vin blanc ou du vin clairet pour la reine, au prix de 80 livres le muid — le muid de jauge de Paris tenant 36 setiers, soit environ 270 litres, —et du vin ordinaire pour les gens, au prix de 40 livres. Le vin royal doit être tout vin vieil, depuis le premier jour de janvier jusques au jour de Pasques, et depuis le dit jour de Pasques jusques au dernier jour de décembre tout vin nouveau, du meilleur qui se pourra trouver ; quant au vin du commun, il suffit qu'il soit bon, loyal et marchand. M. Vincent Voiture a des caves et des celliers dans lesquels sont alignées les barriques qu'il destine à la maison royale. Chaque matin, les sommeliers des échansonneries viennent tirer aux robinets la provision quotidienne. Le marchand a bien spécifié qu'on devrait vider d'abord les muids qu'ils auront percés, auparavant que d'en percer d'autres. Des contrôleurs vérifient les quantités enlevées et on paie le débitant à la fin du mois[32].

Viandes, — viande de bœuf venant du marché de Poissy, vachine de Florence, mouton de Madrid, vitelle de Rome, — poisson, qu'on apporte le vendredi matin, graisses, bois, charbon, chandelle, les autres provisions sont fournies par les fournisseurs Robert Allard, Augias, Begny, Gilles Fournier, Claude Pommier, qui sont liés par des engagements analogues. Comme chauffage, l'ensemble du personnel reçoit, par jour d'hiver, 186 bûches et 193 fagots, c'est réglementé. Le luminaire n'est pas moins fixé : 21 livres de chandelle l'hiver aux domestiques, 12 l'été ; la dame d'honneur, la dame d'atour, le chevalier d'honneur, le premier maître d'hôtel ont droit chacun à deux livres de bougie blanche par jour ; les autres, à de la bougie jaune[33].

 

Hors du Louvre, tout près de Saint-Germain-l'Auxerrois, dans la petite rue des Poulies qui va du quai à la rue Saint-Honoré, sont les écuries de la reine. Marie de Médicis a loué là, en 1605, l'hôtel Combault ; elle a fait aménager la maison par le sieur Salomon Brosse, architecte de nos bâtiments, lequel a disposé quelques appentis pour mettre mes carrosses à couvert ; en sorte, écrit la reine, que ledit logis se trouve si commode, que je suis en quelque opinion de le faire acheter ; mais on attendra que l'on ait trouvé les fonds pour le payement d'icelui. On ne les a jamais trouvés[34]

Trente chevaux de carrosse, dix chevaux de selle, vingt mulets, composent l'écurie spéciale affectée au service de Marie de Médicis : des entrepreneurs, avec qui marché a été fait, fournissent par jour à chaque bête cinq mesures d'avoine, deux bottes de foin de vingt livres et demie, une botte de paille. Suivant marché conclu, le maréchal ferrant ferre cette cavalerie moyennant 600 livres par an et pour 300 livres panse les chevaux lorsqu'ils sont blessés ou malades. Ces bêtes proviennent soit du haras qu'Henri IV entretient à Mehun, soit d'achats aux marchands, lesquels, en vertu de lettres patentes royales, ne peuvent mettre en vente un cheval à Paris sans l'avoir montré préalablement aux écuyers royaux, qui ont droit de préemption. On attelle les vieux chevaux tranquilles aux voitures de la reine, les jeunes aux carrosses de la suite. Les mulets de bât portent la litière ; la haquenée, cheval de taille moyenne, facile au montoir, allant ordinairement l'amble, est destinée à transporter, dans une valise, du pain, des confitures, des fruits, le couvert de la reine, afin de permettre à Sa Majesté, en voyage ou en partie de campagne, de trouver un léger repas sans retard, de crainte que les sommiers et charrois, ordonnés pour cet effet, n'arrivent à temps. Quatre palefreniers, nantis pour les jours de gala d'un beau costume aux couleurs de la reine, bleu et blanc, — pourpoint de futaine, chausses de drap à bandes de velours, manteaux de drap, bas blancs, jarretières et aiguillettes d'or, — secondés de six aides, remuent la paille, pansent les bêtes et attellent. Les mulets sont remis aux soins d'un capitaine des muletiers et de ses deux aides[35].

Sous les hangars, remises et appentis, voici rangés les lourds et pesants carrosses. Le carrosse ordinaire d'abord, monté sur une soupente à courroies doubles, de traverse simple, garni à l'intérieur de velours rouge ; il peut être attelé de huit chevaux ; — le carrosse riche, ensuite, exécuté en 1604, toujours en velours rouge et rehaussé d'or ; — puis, la voiture de gala qu'Henri IV a donnée à Marie à son arrivée en France, en 4600, voiture toute couverte de velours tanné avec clinquant d'argent ; le dedans de velours incarnat en broderie d'or et d'argent, les rideaux de damas incarnat ; on y attelle quatre chevaux gris pommelés ; — enfin les quatre voitures de la suite de Sa Majesté, carrosse des femmes, carrosse des filles, etc., traînés par six chevaux chacun ; on remplace chaque année le plus vieux carrosse pour la somme fixe de mille livres, de même que le charron renouvelle tous les ans les trains, parties délicates des véhicules, pour 110 livres par train, et qu'il graisse les roues pour la somme fixe d'une livre dix sols par mois. Huit cochers, dont deux spécialement affectés aux carrosses de la reine et dits cochers du corps, conduisent ces voitures.

Ils ont un superbe costume, toujours bleu et blanc, en velours, couvert de broderies d'or, avec aiguillettes et ceinture d'or, bas blancs et un grand chapeau. Cinq postillons mènent les bêtes de volée. Enfin, deux valets de pieds par voiture, grands laquais du corps et grands valets de pied, costumés de mantilles et chausses de velours bleu, avec pourpoint de chamois, aiguillettes et ceintures d'or, montent derrière les voitures[36].

Il est fait expresse défense aux gens de l'écurie de prêter à qui que ce soit, chevaux, carrosses, mulets ou chariots de la reine. Marie de Médicis consent à admettre au milieu de ses bêtes les montures de ses serviteurs immédiats, et elle les nourrit : chevaux de charroi de madame de Guercheville ou chevaux de selle des écuyers.

Le chef de l'écurie est M. le premier écuyer. M. le premier vient tous les jours faire son inspection et écouter le rapport ; l'écuyer servant qui sert en quartier se rend chaque matin dans l'antichambre de la reine afin de prendre les ordres et sort à cheval avec le carrosse de la souveraine. Cochers, palefreniers, muletiers, laquais, garçons, tout le monde de l'écurie célèbre sa fête patronale à la Saint-Éloi, et Marie de Médicis lui octroie à cette occasion 120 livres de gratification pour faire bombance[37].

A l'écurie, il faut joindre les pages, petite bande de douze jeunes garçons de bonne famille confiés à la reine, avec un aumônier précepteur qui les instruit et les dirige, un écuyer cavalcadour qui leur apprend à monter à cheval ; un baladin qui leur enseigne à danser. Aux jours de grande cérémonie, les pages portent un bel uniforme en toile d'or imprimée avec force passements d'argent large de deux doigts, et montent sur des chevaux richement harnachés ; les jours ordinaires, ils ont une jupe, chausses et capot de velours, un pourpoint de satin, des bas de soie blanche, des aiguillettes et l'épée. Leur trousseau comporte huit chemises et autant de coiffes, de mouchoirs, de rabats, de paires de manchettes, de chossons ; vingt-quatre paires de souliers de maroquin et quatre paires de bottes. Trois domestiques les servent, un barbier leur fait les cheveux et les panse, un lavandier blanchit leur linge.

Les pages et les laquais jouissent à la Cour de la plus détestable réputation. En même temps que Dieu faisait les anges, le diable faisait les pages et les laquais. En compagnie des pages du roi, pages de l'écurie, pages de la chambre, ils passent leur temps à polissonner dans les cours, les escaliers, les salles, jouant au brelan, se battant, organisant des tumultes aux cris de tue ! tue ! blasphémant, se gaussant des gens, volant des bonnets pour faire des farces et débitant des sottises aux femmes. On a multiplié les règlements afin de les mettre à la raison. La consigne a été donnée aux capitaines des gardes de placer des Suisses partout sur les degrés et aux endroits et avenues, pour empêcher qu'ils ne commettent désordres, jurements, ni ne s'appliquent à jeux, voleries de capes, injures aux femmes et autres violences et débordements, chose exécrable ! Quand on saisit sur le fait quelqu'un de ces garnements, on doit le prendre par le fond de la culotte, le porter aux cuisines et le fouetter[38].

Il ne faut pas oublier le bateau de plaisance de Sa Majesté, sa galère, fantaisie de jeune femme et de Florentine, coûteuse et inutile. C'est au moment de sa venue en France que la jeune princesse a supplié Henri IV de lui faire construire un petit bâtiment à Marseille ; puis, trouvant le travail trop long, elle a préféré en acheter un qui s'achevait. M. de Sully avait commencé par refuser l'argent. Marie dut emprunter au banquier Zamet de quoi payer, équiper le bateau, et donner 400 livres de traitement au capitaine, M. Jean-Baptiste Vassal. Il fallut ensuite trouver cinquante ou soixante rameurs. On les demanda au grand-duc de Toscane qui, de temps à autre, entreprenait des expéditions en Barbarie et faisait des rafles de musulmans. Le grand-duc se fit tirer l'oreille ; finalement il consentit à expédier les cinquante forçats turcs requis ; mais il les envoya un par un, et dans le nombre expédia deux juifs que la reine se crut tenue, par conscience, de ne pas accepter. Pour compléter la chiourme, on obtint enfin du général des galères de France le personnel qui manquait[39].

Cette galère, la Régine, grande et d'une forme élégante, est ancrée dans le port de Marseille. Les cinquante-deux malheureux forçats qui rament, habillés d'une chemise, de chausses de toile et d'une camisole de drap rouge, sont alignés sur leurs vingt-six bancs garnis de cuir, où ils dorment et vivent tout le jour. Cinq canons figurent l'artillerie du bord : un canon de course, deux poivrières, deux moyennes pièces. Dans les cales, s'entassent les armements d'une troupe qu'on pourrait embarquer : 43 mousquets, 86 arquebuses, 13 pertuisanes, 42 hallebardes, 69 piques, 24 rondaches, 16 bourguignotes de fer-blanc, 6 cottes d'armes et 2 tambours ; des approvisionnements, 189 barils d'eau potable, 4 barils de vin, 10 tonneaux de victuailles, 2 tonneaux de chair salée et la caisse à tenir chandelles. A la poupe, se trouve le petit appartement qu'eût occupé la reine si jamais elle avait eu l'occasion de monter à bord ; avec un salon garni d'un petit tendelet de damas rouge, d'un fauteuil de velours rouge et de douze petites chaises, recouvertes également de velours ; sans compter les petites tables, les coussins de velours, les lampions pour éclairer la nuit. Cet appartement sert au capitaine et à l'écrivain de la galère, c'est-à-dire au comptable, M. Mathurin Daniau. Misères royales ! Outre que ce navire ne sert pas à grand'chose, presque toujours immobile dans le port, se détériorant à mesure, ce qui exige des réparations infinies quand on veut qu'il sorte, c'est le capitaine qui est obligé d'avancer les fonds pour payer tous les frais, Marie de Médicis n'ayant pas d'argent. Il gémit perpétuellement, réclame à Paris, tempête ; puis, désespéré, finit en 16M par se retirer, laissant la place à un autre, M. Dori, et réclamant les 22.000 livres qu'on lui doit et qu'il finit par faire hypothéquer sur le bateau. Cette galère a simplement servi à transporter, en 1608, à Civita-Vecchia le duc de Nevers et un père capucin. L'expérience est suffisante. Lorsqu'en 1614 les maires, échevins et habitants de Nantes se cotiseront pour offrir à la reine, lors de son entrée solennelle dans leur ville, une galère, montée de son équipage, Marie de Médicis fera cadeau du tout, séance tenante, à M. de Launay, enseigne des gardes du corps[40].

 

Restent les bureaux, c'est-à-dire l'administration de la maison de la reine, où l'on paie et où l'on paperasse : contentieux, caisse publique, dont le personnel porte le titre général de gens de conseil.

L'homme le plus influent ici est le secrétaire des commandements, M. Phélippeaux, seigneur de Villesavin, personnage très intelligent, actif, autoritaire, qui a l'oreille de la souveraine et lui écrit le plus grand nombre de ses lettres qu'il contresigne. Ses recommandations sont les plus efficaces quand on veut obtenir de l'avancement ou des gratifications. Il fréquente peu les antichambres ou les assemblées de Cour, agit plus sûrement dans ses audiences au Cabinet, et le reste du temps travaille à sa table, discrètement, en compagnie de ses deux commis, MM. Samuel Lechalas et Laurent Deshaye. Il a bien au-dessus de lui un chef attitré, le surintendant ou intendant général de la maison et finances de la reine. Mais tant que la fonction de surintendant a été remplie par l'honnête M. Sébastien Zamet, qui avait bien autre chose à faire, ou par M. d'Attichy qui n'était pas combatif, M. Phélippeaux est resté le maître. En 1614, arrivera à la surintendance M. Claude Barbin, moins maniable, qui commencera à saper la puissance du secrétaire des commandements, et quand, en 1619, Richelieu deviendra surintendant, il fera chasser M. Phélippeaux[41].

Il y a un chancelier de la reine, c'est le vieux M. Potier de Blancmesnil, président à mortier au Parlement de Paris, dont la fonction, honorifique surtout, peu absorbante, consiste principalement à présider, à peu près chaque mois, un conseil de juristes composé de quatre ou cinq personnes : MM. Florent d'Argouges, Bullion, d'Ocquerre, Marescot, où l'on donne des avis aux divers agents des domaines de la reine sur les poursuites à exercer ou les procès à soutenir. Marie de Médicis ne s'est jamais séparée de son digne chancelier à la barbe vénérable[42].

Le trésorier général de la maison a une charge autrement active, d'autres responsabilités. M. Florent d'Argouges, qui l'occupe — le fils succède au père en 1615, le petit-fils sera surintendant de la maison d'Anne d'Autriche, — dirige la comptabilité et signe les ordonnances de paiement. Chaque trois mois, le trésorier de l'épargne (manière de caissier central du trésor de l'Etat) lui transmet le montant des crédits alloués au personnel de la reine et c'est lui qui paie ce personnel. Il arrive souvent que le trésorier de l'épargne soit en retard : alors le malheureux personnel vient gémir à la porte du trésorier général de la maison de la reine, crie, profère des insolences. C'est du moins ce dont se plaint M. Florent d'Argouges, un peu humilié des réclamations dont il est assiégé. Nous verrons, en parlant du budget et des finances de Marie de Médicis, les inextricables embarras dans lesquels l'humeur capricieusement dépensière de la princesse jette M. Florent d'Argouges[43].

Les difficultés de ce genre amenant une multitude de procès, ainsi que les affaires innombrables des domaines dont dispose Marie de Médicis pour son douaire, tout un monde de praticiens est attaché à sa maison afin de vaquer à la poursuite de ces procès. Ces praticiens ont de beaux titres, analogues à ceux des dignitaires du Parlement : voici par exemple le procureur général de la reine, M. Louis Dolé, un avocat vigoureux, éloquent, un peu intrigant, si bien en cour à certaines heures qu'il joue un rôle politique, que de grands seigneurs usent de ses bons offices, et qu'il sera même question de lui pour le contrôle général des finances, pour la charge du chancelier de France ; puis le solliciteur général des affaires, M. Pierre Baudouin ; l'avocat général, M. Guillaume Marescot ; l'avocat ordinaire, M. Adam Thévenot ; ensuite près la Chambre des comptes, en raison des perpétuelles observations que présente la difficile cour souveraine lorsqu'elle vérifie les dépenses de la maison de Marie de Médicis, un solliciteur et un rapporteur[44].

Le trésorier général, avons-nous vu, est une façon de directeur des finances ; à côté de lui est le chef de service qui tient la comptabilité : le contrôleur général, M. du Buisson. Vers la fin de chaque année, M. du Buisson dresse, par le menu, l'état général par estimation des dépenses de la maison pour l'année suivante : c'est notre projet de budget ; l'état est soumis à l'approbation du roi ; il faudra qu'il soit rigoureusement exécuté dans les limites des crédits, comme nous dirions. Le contrôleur général veille à ce que chaque article soit appliqué tel qu'il est porté. Le trésorier général se chargeant de régler les traitements du personnel, le contrôleur s'occupe, lui, des dépenses matières. Chaque soir, il se fait donner par le maître d'hôtel les bordereaux signés et paraphés de ce qui a été dépensé dans la journée, les totalise, les enregistre, inscrit au compte de chaque fournisseur et ce qu'il a donné et ce qui lui est dû, en comparant avec les marchés passés dont il garde les minutes. Lorsque, à la fin du mois, lesdits fournisseurs viennent se faire payer, il relève l'extrait des parties qui sont employées es escrous sous leurs noms et leur délivre une ordonnance de paiement que ceux-ci iront présenter à la caisse, la chambre aux deniers. Le contrôleur a des commis, — les contrôleurs clercs d'offices, — qui copient les registres, dressent les duplicata, transcrivent les bordereaux, vont surveiller les cuisines, assistent à la recette du poisson et de la chair et examinent discrètement si les bordereaux que fournissent les maîtres d'hôtel correspondent bien à la réalité[45].

La caisse, la chambre aux deniers, n'a exactement qu'à payer ce qu'on lui demande contre la présentation des ordonnances. Son chef, le maître de la chambre aux deniers, avait tendance au début à faire des objections et des observations à propos de tout : les règlements un peu secs lui ont rappelé qu'il n'était qu'un comptable recevant de l'argent du trésor et le débitant à son guichet. Tout au plus l'autorise-t-on à représenter la reine dans les traités passés avec les fournisseurs, aux côtés des autres dignitaires, à se rendre au bureau des maîtres d'hôtel, afin d'examiner les papiers des officiers et à donner aux nouveaux officiers de la maison lecture du brevet qui les nomme. Car nul, fût-il simple galopin de cuisine, n'est nommé sans recevoir un brevet, ou lettre de retenue, signé de la main de Marie de Médicis ; il va au bureau de la Chambre aux deniers, entend la lecture de cette pièce, prête serment entre les mains du premier maître d'hôtel, puis regarde enregistrer ledit brevet sur les contrôles de la chambre, et se trouve ainsi installé. La caisse est ouverte à la fin de chaque mois. Les exercices clos, le maître envoie ses dossiers en ordre à la Chambre des comptes qui les épluche, les scrute et réclame quand il y a lieu[46].

Marie de Médicis a nombre de gens auxquels elle peut demander un conseil ou une aide juridique, magistrats, procureurs, avocats, hommes de loi, à Paris, en province, particulièrement dans les pays de ses domaines particuliers ; elle leur donne un titre — maître des requêtes de la reine, secrétaire ordinaire de la reine, — de petits émoluments variables : dix à cinquante livres ; les appelle parfois auprès d'elle pour un service plus régulier pendant un mois ou deux, ce qui leur vaut une gratification raisonnable. Ainsi s'est-elle constituée une clientèle de serviteurs qu'elle récompense de quelque service, ou qu'elle se ménage en vue d'affaires à venir. En 1601, les maîtres des requêtes de la reine étaient dix-sept et les secrétaires ordinaires vingt-six ; en 1630, les premiers sont soixante-six et les seconds soixante-huit : on trouve, au milieu d'eux et parmi des noms inconnus, un Edouard Colbert de Villacerf, un M. Bénigne Bossuet, avocat au Parlement, conseiller aux Etats de Bourgogne. Ces noms évoquent la pensée d'une époque prochaine autrement fastueuse où les sept mille personnes entourant Louis XIV à Versailles laisseront loin derrière elles la petite cour décente des deux cents commensaux de Marie de Médicis[47] !

 

 

 



[1] B. Zeller a détaillé les discussions auxquelles donna lieu l'organisation de la maison de la reine, et qui commencèrent dès que la nouvelle du mariage de Marie de Médicis fut annoncée, tout le monde réclamant une place, surtout d'Italie (B. Zeller, Henri IV et Marie de Médicis, p. 76 et suiv.). Pour cette organisation on s'inspira de l'état de la maison de la reine en 1590 (États de la maison de Marguerite de Valois, Bibl. nat., nouv. acq. fr. 7 858, fol. 493 et suiv. ; Arch. nat., KK, 158-181). — D'Italie, les négociations furent infinies, les recommandations venant de toutes parts (Cardinal d'Ossat, Lettres, éd. Amelot de la Houssaie, Paris, 1698,in-4°, II, 362 ; Rolo di chi andare a servire e ad accompagnare la regina di Francia : Bibl. nat., nouv. acq. fr. 15 597, fol. 224 et suiv.). Les Italiens venus autrefois avec Catherine de Médicis avaient laissé très mauvaise réputation (Discours de la fuite des imposteurs italiens et des regrets qu'ils font de quitter la France et de leur route vers les pays de Barbarie, Paris, J. Grégoire, 1589, in-8°). On leur reprochait, entre autre, d'avoir exercé une détestable influence sur la langue française (Henri Estienne, Deux dialogues du nouveau langage français italianisé, Paris, 1885. in-8°, 2 vol.). Henri IV signifia qu'il voulait le moins possible d'Italiens (Eug. Halphen, Lettres inédites d'Henri IV, Paris, 1866, in-8°, p. 52).

[2] J. de la Fons, le Dauphin, Paris, 1609, in-12°, p. 77. Nous allons citer au fur et à mesure en note les règlements royaux concernant la maison de la reine. Voir surtout : Recueil de plusieurs règlements faits en divers temps et par divers rois pour establir un bon ordre en leur maison, Arch. des Aff. étrangères, France, 31 et 35 ; — un règlement de 1585, dans Arch. cur. de l'hist. de France, 1re série, p. 303 et suiv. ; — Réglemens antiens de l'hôtel de la royne, Bibl. nat., nouv. acq. fr. 7 224 ; — cf. Viard, dans Bibliothèque de l'École des Charles, t. LV, p. 465 et 592.

[3] Les règlements royaux recommandent expressément le recrutement du personnel de la maison de la reine dans les familles des anciens domestiques (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 1 225, fol. 39 v°) et les princes tiennent aux vieux serviteurs (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 88, fol. 37 r°). Les privilèges de ce personnel sont souvent confirmés (Bibl. nat., ms. Dupuy 489, fol. 16 ; Déclaration du roi sur le rang et ordre que doivent tenir es assemblées, les valets de sa chambre et garde-robe, portemanteaux, huissiers.... 28 fév. 1605, Paris, F. Morel, 1605, in-8° ; Déclaration du roi portant confirmation des privilèges et exemptions accordés aux officiers domestiques et commensaux de Sa Majesté, Paris, 1610, in-8° ; N. Valois, Inventaire des arrêts du Conseil d'État, II, 452). Les rois n'ont jamais voulu que les charges de la maison de la reine fussent vénales (Isambert, Recueil, XVI, 87) ; Cf. J. Leschassier, la Maladie de la Finance, 1602, Paris, P. Durand, 1618, in-12°, p. 8.

[4] Nous avons la liste détaillée des maisons des rois et des reines de France du XVIIe siècle et siècles antérieurs dans plusieurs précieux manuscrits (Bibl. nat., mss fr. 7 854, 6 393, nouv. acq. fr. 9 175) et en plus, pour Marie de Médicis, dans le ms. 1 073 de la collection Moreau, Bibl. nat., et aux Arch. nat., KK, 187-191. Il est facile de comparer sa maison avec les maisons royales, qui ont précédé ou suivi la sienne. Celle de Catherine de Médicis en 1583, comptait 600 personnes (Bibl. nat., ms. fr. 7 854, fol. 43-35) ; celle d'Anne d'Autriche en 1640, 512 (Ibid., fol. 301-329). Ajoutons que la maison d'Henri III en 1589 comprenait 1.725 personnes (Ibid., fol. 143-172) ; celle d'Henri IV en 1601, 1.041 (Ibid., fol. 183-206) ; celle de Louis XIII, en 1630, 1.132 (Ibid., fol. 271-299).

[5] Il existe au Cabinet des Estampes un joli dessin aux quatre crayons, attribué à Fr. Quesnel et représentant madame de Guercheville. Sur elle, voir la notice de E. Thoison (Madame de Guercheville, esquisse historique. Fontainebleau, 1S9I, in-8°). Elle avait été demoiselle d'honneur de Catherine de Médicis (Bibl. nat., ms. fr. 1 854, fol. 18 r°) et de Louise de Lorraine, femme d'Henri III (Ibid., fol. 175 v°) ; son père lui-même avait été gentilhomme de la chambre d'Henri II (Ibid., fol. 4 r°). L. de Choisy a écrit une notice sur elle (Bibl. de l'Arsenal, ms. 3 186, fol. 165-168). Son histoire avec Henri IV est connue (Princesse de Conti, Hist. des amours de Henri IV, Leyde, 1664, p. 6 ; Tallemant, I, 280 ; Eug. Halphen, Lettres inédites d'Henri IV, p. 65). Le roi l'appréciait (Lettres missives, V, 313), et lui écrivait volontiers (Bibl. nat., ms. Dupuy 569, fol. 34). C'était madame de Guercheville qui avait reçu Marie de Médicis à Marseille en 1600 (Ph. Hurault, Mém., éd. Michaud, X, 604). Un passage de Bassompierre (Mém., I, 172) nous suggère la réserve que nous faisons sur les rapports de la reine avec sa dame d'honneur. Quant aux attributions et privilèges de la dame d'honneur, voir les règlements de la charge (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 7 859, fol. 160 et suiv. ; 9 738, pièce 50 ; 7 225, fol. 351 r°). Guercheville était un important marquisat (Bibl. nat., ms. fr. 32 379-80). La dame d'honneur eut des procès compliqués (Bibl. nat., ms. Dupuy 857, fol. 125). Sur sa chambre au Louvre, voir Héroard (Journal, II, 118) et consulter G. Hanotaux (Hist. de Richelieu, II, 249).

[6] Nous reviendrons plus loin sur Léonora Galigaï. Aux grandes cérémonies, la dame d'honneur et la dame d'atour paraissent avec une robe de toile d'argent et d"or frisé, à double queue traînante sur haquenées blanches (P. Matthieu, la Mort déplorable de Henri IV, Genève, 1620, p. 38).

[7] L'histoire de mademoiselle de Sagonne est contée par L'Estoile (Journal, VIII, 123 et Tallemant (I, 73). C'est Anne de Bretagne qui aurait étendu l'institution des demoiselles d'honneur (Bibl. nat., nouv, acq. fr. 1 859, fol. 130 r°). Il en existait au XVe siècle (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 347 v°). Malherbe (Lettres, III, 347) et Tallemant (I, 73) ne s'accordent pas sur la place de leur appartement. Elles portent toujours une toilette uniforme (Mercure français, 1612, p. 473).

[8] L'aventure de la petite Catherine nous est révélée par une série de lettres de Marie de Médicis (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 122 r°, 132 r°, 135 r°). Il est question de cette jeune personne à propos de son mariage avec Marillac, dans les Lettres missives (VII, 303, VIII, 933) et Tallemant (II, 118). Marie de Médicis s'entremit pour le mariage avec Marillac et réussit mieux cette fois (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 141 v° et 158 r°).

[9] Sur les rêves que caressent les filles d'honneur de faire de brillants mariages, voir Balzac (les Entretiens, Paris, 1658, in-12°, p. 129), Héroard (I, 31 ; II, 53).

[10] Françoise Frugelet, demoiselle de la Renouillière, a été nommée femme de chambre en 1601 (Louise Bourgeois, les Six couches de Marie de Médicis, Paris, 18"o, p. N8). Elle mourut en 1611. Louis XIII qui ne l'aimait pas croyait voir revenir son esprit (Héroard, Journal, II, 66). Quand, pendant la nuit, la reine avait à réveiller quelqu'un elle appelait la Renouillière (P. Matthieu, op. cit., p. 35). Madame Salvagia fut arrêtée à Blois en 1618 après la fuite de Marie de Médicis (Bentivoglio, Lettere, Florence, 1865, II, 544). Elle fut la cause de discussions entre la reine et Henri IV (Sully, Économies royales, II, 44). Marie de Médicis donna, en mourant, à sa femme de chambre Selvage, un reliquaire d'or et une montre comme souvenirs (Déclaration du confesseur de Marie de Médicis au sujet d'objets précieux donnés par cette reine à ses femmes de chambre au moment de sa mort, dans Documents hist. inédits, Paris, F. Didot, 1847, in-4°, t. III, p. 637).

[11] Catherine Forzoni, la plus favorisée, reçut la charge de capitaine châtelain du château de Belleperche en Bourbonnois (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 91, fol. 108 r°). Ce fut elle qui accompagnait Marie de Médicis dans sa fuite de Blois (Relation de la sortie de la reine mère de Blois, dans Aubery, Mém. pour l'hist. du card. de Richelieu, Paris, 1660, in-fol., I, 142). Catherine estoit une brutale, dit Tallemant (III, 238). Il y avait un certain nombre d'autres femmes de chambre (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 91, fol. 141 v° ; 93, fol. 171 r°, etc.)

[12] L'usage d'avoir des nains près de soi était très répandu chez les seigneurs du moyen âge (note très documentée de B. Prost, dans Inventaires mobiliers et extraits des comptes des ducs de Bourgogne, Paris, 1904, I, 519). Les reines se passaient les leurs de règne à règne (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 407 r°). Catherine de Médicis avait parmi ses femmes de chambre des négresses, des Grecques, des Turques et des Polonaises (Bibl. nat., ms. fr. 7 854, fol. 19 r°). Mathurine était très connue du public (Bassompierre, Mém., II, 112). On empruntait son nom pour des libelles (les Essais de Mathurine (s. l. n. d.), in-8° ; la Cholère de Mathurine contre les difformez réformateurs de la France, Lyon, 1616, in-8° ; le Feu de joye de madame Mathurine, Paris, 1609, in-8° ; la Sagesse approuvée de madame Mathurine, Paris, 1608, in-8°). — En 1622 elle vivait encore et le roi lui faisait 1.200 livres de pension (N. Rémond, Sommaire traité des revenus et despences des finances de France, dans E. Fournier, Variétés hist. et litt., VI, 129). — En ce qui concerne la chaise, l'usage était couramment d'aller la trouver dans la garde-robe (G. Colletet, le Roman satyrique, 1624, p. 970). Lorsque Guillois la portait quelque part, il était admis que le roi ou la reine continuassent à recevoir et à causer tout en s'en servant (Bassompierre, Remarques sur les vies des rois Henri IV et Louis XIII, 1655, p. 103).

[13] Le premier grand aumônier de la reine évêque, celui d'Anne de Bretagne, a été Guill. Briçonnet (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 358 r°). Thomas Bonsi avait été évêque de Béziers avant son neveu et aumônier d'Henri III, ainsi que d'Henri IV (Bibl. nat., ms. fr. 7 854, fol. 145 V et 185 r°). Il appartenait à une famille de gentilshommes toscans (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 10 v°). Sur les prélats italiens évêques en France, voir le cardinal d'Ossat, Lettres (éd. Amelot de la Houssaie, 1698, II, 95). Bonsi était l'intermédiaire entre la reine et la Sorbonne (Richelieu, Mém., I, 59). Obtenir le chapeau de cardinal pour lui fut une des premières choses que, devenue régente, Marie de .Médicis entreprit (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 88, fol. 65 v°). Ph. Hurault, évêque de Chartres, lui succéda comme grand aumônier le 29 mars 1615 (Ibid., 91, fol. 84 v°).

[14] Voir l'Ordre que le roi veut estre tenu par son grand aumosnier, le maistre de son oratoire et le maistre de sa chapelle, dans Ordre et règlement qui doit estre tenu et observé en la maison du roy, Paris, M. Leché, 1657, in-12°, p. 23 ; et Bibl. nat., nouv. acq. fr. 7 225, fol. 37 et 87.

[15] Les princes du XVIe siècle avaient à cœur de prendre parmi leurs aumôniers des personnages tels que Pierre Ronsard (Bibl. nat., ms. fr. 7 854, fol. 115 r°, 143 v°, 146 r°, de 1564 à 1586), Philibert Delorme (Ibid., fol. 2 et 101 V), Pierre Lescot (Ibid., fol. 115 v° et 144 v°). Jacques du Cerceau (Ibid., fol. 25 r°). A part Jean Bertaut et plus tard, en 1622. l'abbé de Saint-Cyran, on ne rencontre guère de gens connus dans la chapelle de Marie de Médicis. Elle gratifiait tous ses chapelains même italiens d'évêchés et d'abbayes (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 92, fol. 89 r° ; 87, fol. 8 v° ; 86, fol. 34 r°, 153 r°, 191 r° ; 88, fol. 2 r°.)

[16] Non seulement une barbe grise (Malherbe, Lettres, III, 421), mais una barba canuta (Canestrini, V, 566) est nécessaire pour cette fonction comme pour celle d'écuyer. Ses attributions sont indiquées dans un mémoire de l'abbé de Dangeau (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 738, n° 49). Les chevaliers d'honneur de Marie de Médicis ont été : Jeronimo Gondi jusqu'en 1604, M. de Chateauvieux jusqu'en 1614, M. Brulart, commandeur de Sillery ensuite (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 416 v°). M. de Sillery était commandeur de Malte ; Marie de Médicis demandera longtemps au grand maître de l'ordre une grand croix honoraire pour lui (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 89, fol. 130 r°, 145 r°, 177, r°). Sur les logements au Louvre, extrêmement restreints, voir Bibl. nat., ms. fr. 3 445, fol. 30.

[17] La situation de maître d'hôtel et ses fonctions dans la maison de la reine, identiques à ce qu'elles sont dans une maison de seigneur du temps (Audiger, la Maison réglée, Amsterdam, 1700, in-8°, liv. I, chap. 13), sont fixés par les règlements royaux (Bibl. nat., nouv, acq. fr. 9 175, fol. 519 v° ; 7 225, fol. 88 v°, 95 v°, 191 r° ; Ordre et règlement qui doit estre tenu et observé en la maison du Roi, p. 13, 33). Concini a été premier maître d'hôtel de la reine de 1605 à 1608 (Bibl. nat., ms. fr. 9 173, fol. 416 v°) ; le plus important a été le vicomte de Charmel (Ibid.), gentilhomme issu de bon lieu, bien allié, et de condition très honorable, que Marie de Médicis fit marier par le président Bourgtheroulde de Rouen, avec la nièce de M. Rombault, conseiller du Parlement de Normandie (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 89, fol. 211 v°).

[18] Toutes ces indications sont fournies par les manuscrits suivants : Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175 (fol. 365 r° et suiv.) ; nouv. acq. fr. 7 225 (fol. 39 r% 89 r° et suiv. 189 r°) ; nouv. acq. fr. 7 859 (fol. 102 r°, 103) ; nouv. acq. fr. 9 738 (fol. 125) ; Cinq-Cents Colbert 94 (fol. 202). En fait de noms connus nous ne relevons que des Brulart parmi les maîtres d'hôtel de Marie de Médicis (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 416 v°). Le dauphin fils de François Ier avait eu comme maître d'hôtel Loys de Ronsard, seigneur de la Poissonière de 1521 à 1524 (Ibid., fol. 489 r°) et de 1526 à 1539 (Ibid., 497 r°, 503 r°) ; et Louise de Savoie, Merlin de Saint-Gelais (Ibid., fol. 687 r°, 693 r°).

[19] Les gentilshommes servants avec Marie de Médicis sont peu de chose à côté de ce qu'ils étaient sous Catherine de Médicis (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 385 r°). L'ambassadeur vénitien Suriano explique pourquoi on est obligé de les faire servir par quartier, en raison des frais excessifs que représente pour eux leur service à la Cour (voir Tommaseo, Relation des ambassadeurs vénitiens en France, dans Documents inédits, I, 489). Le carême-prenant étant ruineux (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 20 021, fol. 13-14), la misère des gentilshommes sans grande fortune était lamentable (Mém. de Beauvais-Nangis, éd. Monmerqué, 70, 121). Aussi tous les poètes et moralistes vantaient à ceux-ci les plaisirs de la vie des champs (lire la jolie page de Nic. Pasquier, Lettres, 1623, in-12°, p. 614 ; les vers de Nicolas Rapin, les Plaisirs du gentilhomme champêtre, Paris, 1583, in-12°, et sa manière de refrain, p. 13 :

Vivez donc aux champs, gentilshommes !...

puis du Faur de Pibrac, les Quatrains arec les plaisirs de la vie rustique, Paris, 1583, in-12° ; G. Binet, les Plaisirs de la vie rustique et solitaire, Paris, 1583, in-12° ; les Plaisirs de la vie rustique qui sont divers poèmes sur ce sujet, Paris, 1583, in-12°). De la situation du gentilhomme aux champs sous Henri IV, nous avons un curieux tableau que trace l'auteur du Païsan français au roi (s. l. n. d.), in-12°, p. 126. L'office des gentilshommes servants est fourni par les mêmes textes que ceux qui ont été cités plus haut.

[20] Les huissiers avaient des chaînes d'or ; ceux de la chambre du roi, des masses (Discours sur l'ordre observé à l'arrivée de Don Pèdre de Tolède, p. 8). Leurs cris sont indiqués dans les Visions admirables du pèlerin du Parnasse, Paris, J. Gesselin, 1635, in-16, p. 82. Le règlement des huissiers, comme celui des valets de chambre, se trouve dans les mss. : nouv. acq. fr. 9 738, 1 225, fol. 39 et 109 ; 9 175, fol. 334 r°, 525 V, de la Bibl. nat. — Marie de Médicis a eu pour huissier un homme d'une rare fidélité, Jean Mauderon, dit Maudricart. Il était, tout jeune, huissier de cabinet de Louise de Lorraine, en 1589 (Bibl. nat., ms. fr. 9 175, fol. 410 r° et ms. fr. 7 854, fol. 180 v°). 11 devint huissier de chambre de Marie (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 94, fol. 116 r°). 11 devait après 1630 suivre la souveraine à l'étranger (Estat des officiers de la feue reine Marie de Médicis, ayeule du roy, qui l'ont servie dans les pays estrangers, dans Estat général des officiers domestiques et commansaux de la maison du roi, Paris, M. Léché, 1652, in-12°, p. 42).

[21] On éclaire l'antichambre de six flambeaux de cire jaune et la chambre de six flambeaux de cire blanche (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 269 r°). Avant Henri II les valets de chambre étaient nobles (Scaliqeriana, éd. de 1669, p. 246). Sur la dynastie des Sopitre, voir Bibl. nat., ms. fr. 7 854, fol. 229 r°. — Henri IV donna une abbaye à l'un d'eux (Lettres missives, VII, 816). Les quatre valets de chambre de la reine en 1614 s'appelaient Rouvre, Marcel, Berault, Dagron (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 209 r°). Un d'eux couchait toutes les nuits dans l'appartement (Ibid., nouv. acq. fr. 7 225, fol. 91 r°). Les valets de chambre de Marie de Médicis sont des inconnus. Catherine de Médicis avait eu dans cette fonction Balthasard Beaujoyeux (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 396 r°) ; Henri II, Léonard Limousin (Ibid., ms. fr. 7 854, fol. 9 V).

[22] Pour le règlement royal concernant les maladies des gens de la maison, voir Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 94, fol. 203 r°.

[23] Il y a eu trois du Laurens successivement médecins d'Henri IV : Michel, Richard et André (Bibl. nat., ms. fr. 7 854, fol. 201 r°). André, le premier médecin de Marie de Médicis, né en 1538 à Tarascon, professeur à Montpellier en 1583, fit nommer par la reine un de ses frères, Gaspard, archevêque d'Embrun (Lettres du cardinal d'Ossat, éd. Amelot de la Houssaie, II, 269 ; Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 143 r°). Il mourut en 1609 fort regretté (Lettres de Malherbe, III, 102). Sur le médecin Delorme qui vécut très vieux, voir Michel de Saint-Martin, Moyens faciles et éprouvés dont M. Delorme, premier médecin et ordinaire de trois de nos 7'ois, s'est servi pour vivre près de cent ans. Caen, 1683, in-8°. C'était un grand curieux d'estampes auquel son cabinet coûta 20.000 écus (Bonnaffé, Recherches sur les collections de Richelieu, Paris, Pion, 1883, in-8°, p. 2). On trouve une lettre de lui dans le ms. nouv. acq. fr. 6 343, fol. 6 de la Bibl. nat. (10 oct. 1612). Marie de Médicis avait amené de Florence un médecin, Guidi, qui la quitta en 1604 pour rentrer en Italie (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 207 v°). Nous reviendrons plus loin sur Montalto.

[24] La cour des cuisines, ou basse-cour, gardée par un concierge (N. Valois, Inventaire des arrêts du Conseil d'État, II, 511), était l'œuvre de François Ier (Ad. Berty, Topographie hist. du vieux Paris, 1, 204). Un règlement de 1585 explique pourquoi il faut que les cuisines soient hors du Louvre (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 7 225, fol. 99 r°). Sur leur accès interdit au public, voir J. Corbin (le Code Louis XIII, Paris, 1628, in-fol., p. 339). Personne n'y demeurait ; ainsi l'huissier de la cuisine, Martin Valet, habitait rue Saint-Honoré, au Bras d'or (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 221, fol. 143 r°).

[25] Cependant d'autres personnes que la reine se préoccupaient d'avoir de bons cuisiniers. J'ai découvert un fort bon cuisinier, écrit le duc de la Force à sa femme en 1605 (dans Mém. du duc de la Force, éd. La Grange, I, 390), mêmement pour les potages et lui baille vingt-quatre écus de gages. Sous Louis XIII des cuisiniers deviendront célèbres : Forger, écuyer de bouche d'Anne d'Autriche, pour les potages (il aurait inventé le potage à la reine) ; La Diablerie, pour les entrées ; Pallier, pour les ragoûts (Crespin, l'Œconomie ou le vrai advis pour se faire bien servir, Paris, 1641, in-8°) ; de la Varenne écrira en 1658 son Cuisinier français, enseignant la manière de bien apprêter et assaisonner toutes sortes de viandes grasses et maigres, légumes et pâtisseries (Amsterdam, 1658, in-12°). Henri IV avait signé en mars 1599 les Lettres patentes portant établissement de maîtres cuisiniers en communauté et leurs statuts, Paris, imp. de Le Breton, 1765, in-4° (Bibl. nat., Actes royaux, F. 13 268). Tout le personnel de la cuisine de la reine est énuméré dans le ms. Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 13-30.

[26] Tous ces détails sont fournis par les divers règlements manuscrits déjà cités. On fait maigre à la table royale, en dehors des jours ordinaires prescrits par l'Église, les veilles des six fêtes de Notre-Dame, la veille de la Sainte-Madeleine (22 juillet) et la veille de Saint-Roch (16 août) (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 7 225, fol. 221 v°). Avec la cuisine commun, existe une échansonnerie commun (six personnes), une panneterie commun (quatre personnes) (Bibl. nat., Cinq- Cents Colbert 93, fol. 209 v° et 210 r°). En ce qui concerne la fruiterie, Henri IV avait deux aides spéciaux pour aller quérir des fruits en Provence (Bibl. nat., ms. fr. 1 834, fol. 205 r°). Sur la fourrière : Voir Bibl. nat., nouv. acq. fr. 5 824 fol., 112, et 6 175, fol. 525 v°.

[27] Les sept offices sont les véritables officiers commensaux de la maison du roy ; lorsqu'ils sont en service, ils ont bouche à cour dans la maison de Sa Majesté (La Marinière, Estat des officiers domestiques et commensaux des maisons du roy, de la reine régente. Paris, 1649, in-12°, p. 19). La répartition des seize tables de la reine est fournie très détaillée par le ms. de la Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 253 et suiv. ; ainsi que les menus de chacune des tables (Cf. Ibid., 94, fol. 160 v°). Les fruits crus ou cuits et salades ne s'octroyent qu'à quelques privilégiés, maîtres d'hôtel, demoiselles d'honneur, femmes de chambre (Ibid., 93, fol. 266 v°). Voir le règlement du repas des gens de la maison de la reine : Ibid., 94, fol. 201 r°. Tous les gens à pain et à pot (B. Legrain, Décade contenant la vie de Henri le Grand, Paris, 1614, in-fol., p. 431) ont, chez les particuliers comme chez la reine, chacun un rang fixé à table (Grespin, l'Œconomie ou vrai advis pour se faire bien servir, p. 6). Partout leurs repas sont bruyants (les Hermaphrodites (s. l.), 1605, in-12°, p. 270).

[28] Nous avons conservé les rôles journaliers des comptes de bouche de la maison royale (1574-1608 : Bibl. nat., nouv. acq. fr. 5 906, pièces 122-207 ; pour 1608-1721, Ibid., 5 907, pièces 208-266). On trouvera un bordereau journalier de nourriture royale, longue feuille de parchemin, datée du 27 mai 1602, et signée de quatre noms dans le ms. nouv. acq. fr. 5 824, fol. 112, de la Bibl. nat. La consommation de la maison de Marie de Médicis détaillée pour des mois entiers s'établit facilement (voir par exemple, pour janvier 1610, Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 5 et suiv.). Comparer avec la façon dont on règle la dépense d'un particulier (Herbert de Cherbury, Mém., trad. de Bâillon, 1863, p. 138).

[29] Une douzaine de personnes en janvier 1610 reçoivent des livrées (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 6 r°). Nous avons conservé des modèles de brevets de livrée (Bibl. nat., ms. Dupuy 489, fol. 126 et 127, et nouv. acq fr. 7 225, fol. 183 r°). Les mots quartes, pintes et chopines sont les expressions courantes de mesure de vin, employées dans la maison de la reine comme dans les cabarets du temps (Lettre d'écorniflerie et déclaration de ceux qui n'en doivent jouir, Paris, P. Mesnier [s. d.], in-8°). Les projets de menu de la maison de la reine n'ont pas prévu les réceptions extraordinaires, festins d'ambassadeurs, soupers de gala. Pour ceux-ci il est tenu un registre spécial soumis à la reine tous les mois, et qui mentionne aussi le matériel emprunté, linge, tables, vaisselle, verres, bouteilles (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 7 v° et 8 v°).

[30] L'expression à l'extinction de la chandelle signifie qu'on allume une chandelle et qu'à l'extinction de celle-ci on adjuge au dernier enchérisseur (Ordre et règlement qui doit estre tenu et observé en la maison du roi, p. 18). Il arrivait qu'on rallumât d'ailleurs des chandelles (Héroard, Journal, II, 168). Toutes les maîtresses de maison importantes en ce temps passent des traités analogues avec leurs fournisseurs (voir un traité de ce genre signé en 1608 par la marquise de Rambouillet dans O. Teissier, Meubles et costumes, Paris, H. Champion, 1904, in-8°, p. 69). Sur les privilèges des fournisseurs de la Cour, consulter : Lettres de privilège d'un marchand privilégié suivant la Cour (dans : Extraits des privilèges et exemptions accordés par Sa Majesté aux officiers de la Prévosté de son hostel, s. l. n. d., in-12°, p. 3), et surtout G. Fagniez (l'Économie sociale de la France sous Henri IV, Paris, Hachette, 1897, in-8°, p. 219).

[31] Voir leur traité : Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 201 r°. Le pain de Paris est beau et bon, mais cher ; il vient en grande partie du dehors, apporté dans des charrettes par les paysans les mercredis et samedis, jours de marché (il y a huit places de marché dans la ville) ; les boulangers sont nombreux cependant dans la ville (G. d'Ierni, Paris en 1596, dans Bullet. de la Soc. de l'hist. de Paris, 1885, p. 168). Il y a en ce temps une dizaine de sortes de pains : pain de pâte levée, de pâte broyée, mollet, boursouflé, salé, plat, rond, long, à cornes, etc., tous très chapelés au point qu'il n'y reste qu'une petite croûte fort déliée (les Hermaphrodites, 1605, p. 130).

[32] Ce Vincent Voiture est le père du poète bel esprit connu (Tallemant, III, 43). Nous avons son traité (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 283-284) et un arrêt le concernant (N. Valois, Inventaire des arrêts du conseil d'État, II, 245). Il y avait une douzaine de marchands de vin fournisseurs en litre de la Cour (Edit du roy Henri le Grand (mars 1607) contenant création d'un office de marchand de vin ordinaire en gros et détail privilégié à la Cour et suite de Sa Majesté, outre le nombre de douze anciens, in-4°, Bibl. nat., Actes royaux, F. 23 610 [626]). Pour leurs privilèges, consulter le ms. fr. 21 666, fol. 62 et suiv. de la Bibl. nat. et le Recueil d'édits parlant création de privilèges aux marchands suivant la Cour (Paris, 1604, in-4°). De 320 en 1606, ces marchands seront 360 en 1640. 11 existait un maître des caves dans la maison d'Henri IV (Bibl. nat.,. ms. fr. 7 854, fol. 204 r°). Voir une satire plaisante sur les vins de la Cour (Ibid., ms. fr. 11 904, fol. 33 r°).

[33] Les visions admirables du pèlerin du Parnasse (Paris, J. Gesselin, 1635, in-16°, p. 218) énumèrent les viandes qu'on mange à Paris, et un document publié par O. Teissier, leur prix (Meubles et costumes, p. 72) ; ce même document, daté de 1605, fournit la liste des poissons ; il y en a une trentaine, dont entre autres la grenouille : le cent vaut 5 sous ; la baleine, 5 sous la livre (Ibid., p. 74). On mangeait toute espèce de poissons de mer et de rivière ; la vente en était réglementée (édit de 1602, dans Isambert, XV, 266) ; on apportait de bonne heure le poisson le vendredi matin au Louvre (Héroard, Journal, II, 161). Les vivres en général sont chers à cette époque (G. d'Ierni, op. cit., p. 168). Le charbon, utilisé seulement à la cuisine, venait du Languedoc, de Carmaux, de Graissessac, de la Grand-Combe, où il était exploité par des paysans dans des conditions assez défectueuses. Il valait 16 sous le quintal pris sur place (les Mines de charbon en Languedoc, dans Chroniques de Languedoc, Montpellier, 1876, gr. in-8°, II, 155). Henri IV en avait réglé l'exploitation (édit de 1601, dans Isambert, XV, 253).

[34] En 1664, en effet, cet hôtel appartient à M. du Buisson, auquel il est acheté 60.000 livres par le roi, puis abattu pour permettre l'achèvement du Louvre (Arch. nat., O1 1678a. Cf. Léon Mirot, Le Bernin en France, dans Mém. de la Soc. de l'hist. de Paris, XXXL, 1904, p. 162). Berty ne paraît rien savoir de cette maison (Topographie, I, 87). Voici les textes qui la concernent : Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 270 r° ; 92, fol. 193 v°, 203 r°.

[35] Sur l'écurie de Marie de Médicis. Voir Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, 94, fol. 206 v°. On peut comparer avec l'écurie d'Henri IV (Estat de la despense de l'escurie du roy, 1605. Bibl. nat., ms. Dupuy 853, fol. 253). Sully parle du haras de Mehun (Économies royales, II, 26). Les achats de bêtes sont réglementés par les Lettres patentes portant règlement pour les marchands de chevaux (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 738, pièce 82 ; cf. Ibid., Actes royaux, F. 5 001 [56]). L'archevêque d'Embrun fit cadeau de mules à Marie de Médicis (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 89, fol. 148 V).

[36] Pour la confection des carrosses, c'est le premier écuyer qui indique la façon et l'ornement (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 168 r°). Voir la description de la voiture de gala de la reine dans Palma-Cayet (Chronologie septennaire, éd. Michaud, XII, 120), P. Matthieu (l'Entrée de Marie de Médicis dans la ville de Lyon, p. 14). Les carrosses étaient recouverts de coutil ciré ou treillis-ciré, manière de tissu imperméable (Discours sur l'ordre observe à l'arrivée de Don Pèdre, p. 5). Sur les housses des chevaux attelés aux carrosses, consulter G.-B. de Lagrèze (Henri IV, vie privée, p. 57). Les habits des cochers, postillons, laquais, valets de pied, muletiers, palefreniers, sont donnés par les comptes des tailleurs (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 94, fol. 211 r° et suiv.). Il y a encore à l'écurie une quinzaine d'aides (Ibid., 93, fol. 145 v°) et des garçons préposés aux carrosses (Ibid., 92, fol. 141 r°).

[37] Marie de Médicis a eu pour premiers écuyers : M. de la Roche, Concini (de 1609 à 1611), le commandeur de Sillery, le marquis de Bressieux (voir Proposition de meurtre sur la reine Marie de Médicis, où il est question de M. de Bressieux, dans Revue rétrospective, 1re série, t. II, p. 296), le comte de Brenne, le marquis de Breauté, etc. (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 447 v°). Sur les écuyers ordinaires, voir Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 738. Il arriva une désagréable aventure à l'un d'eux en 1609, M. Simoni, un Italien (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 318 v°) qui fut fortement compromis dans le meurtre d'un laquais.

[38] La grande quantité de pages et de laquais dans une maison était signe d'opulence (le Fidèle sujet de la France, s. l., 1605, in-12°, p. 104). Marie de Médicis avait eu d'abord parmi ses pages bon nombre d'Italiens (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 86, fol. 39 r° ; 87, fol. 87 V ; 86, fol. 163 r° ; Héroard, Journal, I, 221 ; d'Ossat, Lettres, II, 460). Nous avons la description détaillée du trousseau des pages et de leur costume (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 94, fol. 210 r°). Pour leurs chevaux richement harnachés dans les parades, voir P. Matthieu (l'Entrée de Marie de Médicis à Lyon, p. 46). Lorsqu'ils quittaient la Cour on les confiait à des capitaines expérimentés afin qu'ils apprissent le métier des armes, à Metz (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 7 225, fol. 208 r°, et Cinq-Cents Colbert 89, fol. 177 r°), à Calais, auprès de M. de Vie, surtout (cf. L. Arnould, Racan, p. 64 et note ; Richelieu, Mém., I, 27). Leurs désordres et ceux des laquais étaient proverbiaux (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 1 225, fol. 23 v°, 72 r°, 209 v° ; de Fréville, Ambassade de Don Pèdre de Tolède en France, dans Bibl. de l'Éc. des Chartes, 2e série, I, 364 ; Perroniana, dans Héroard, I, 304, II, 162). Nous devons ajouter aux gens de l'écurie le maréchal des logis et ses trois fourriers qui, lors des voyages de la reine, vont préparer les logements de Sa Majesté, qu'ils marquent d'une croix blanche, les autres fourriers de la Cour ou de l'armée usant de craie jaune (voir les règlements de ce maréchal des logis : Bibl. nat., ms. Dupuy 218, fol. 160 ; Actes royaux F 46 915 [23] ; nouv. acq. fr. 7 225, fol. 263 V, 387 et suiv., 394 ; nouv. acq. fr. 7 859, fol. 278 et suiv.).

[39] L'histoire de la galère de la reine se trouve dans la correspondance de Marie de Médicis (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 80, fol. 288 r°, 292 r° ; 87, fol. 158 v°, 245 v° ; 88, fol. 18 r° ; 91, fol. 152 V). Voir aussi Hobier : De la construction d'une galère et de son équipage, Bibl. nat., Rec. Fontanieu, t. 199, p. 478, puis sur les frais d'un bateau et le prix de ravitaillement, entretenement d'un navire à cette époque, Bibl. nat., ms. Dupuy 233, fol. 74 ; les galères et les galériens, Bibl. nat., ms. fr. 18 592, fol. 287 et suiv. Les expéditions du grand-duc de Toscane contre les côtes barbaresques étaient des représailles (Mercure français, 1613, p. 81). On évaluait à 10.000 le nombre des Turcs enlevés en Afrique par les navires toscans de 1570 à 1619 et à 6.000 le chiffre des chrétiens esclaves délivrés par eux (Galluzzi, Hist. du grand-duché de Toscane, VI, 175). Le roi de France avait d'ailleurs des Turcs dans ses galères (Lettres missives, VII, 439 ; Trésorerie et recette générale de la marine de Ponant, 1610-1612, Bibl. nat., nouv. acq. fr. 999). Il en eut longtemps (J. Fournier, Un marché de Turcs pour les galères royales, 1685 [Extrait du Bullet. hist. et phil.], Paris, 1902, in-8°).

[40] Nous avons l'inventaire complet de la galère (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 93, fol. 64). Comparer avec un autre inventaire : Arch. des Aff. Étrang., France, 792). Henri IV parle de ce bateau à propos du voyage du P. Ange (Lettres missives, VII, 518). Voir aussi L'Estoile (Journal, IX, 414).

[41] Les Phélippeaux sont nombreux. C'est une famille qui a été attachée de bonne heure au service royal (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 389 r°) ; on sait sa fortune au XVIIe siècle. Celui-ci, Paul, rend de grands services à la reine (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 91, fol. 39 r°). On n'est nommé que sur sa présentation. Pour se rendre compte du travail qu'il a à faire lorsqu'il écrit les lettres de la souveraine, il suffit de dire que M. de Brèves, ambassadeur de France à Rome, partant pour l'Italie, emporte de Marie de Médicis, adressées à ses parentes, amies et autres de la péninsule, 41 lettres différentes ! (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 81, fol. 212 r° et suiv.). Sur sa disgrâce en 1619, consulter G. Hanotaux (Hist. de Richelieu, II, 316).

[42] Comme président au Parlement, M. de Blancmesnil rendit des services importants à la reine dans des circonstances difficiles (Canestrini, Négociations, V, 631 ; cf. Mercure français, 1614, p. 587). Il ne parait pas avoir eu beaucoup d'ordre dans ses affaires personnelles (L’Estoile, Journal, VIII, 3). La reine Marguerite de Valois avait eu pour chancelier Guy du Faur de Pibrac, le magistrat poète (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 7 858, fol. 497).

[43] Il était fils d'un contrôleur au grenier à sel de Vendôme. On trouve un d'Argouges, clerc d'office de Catherine de Médicis en 1564 (Bibl. nat., ms. fr. 7 854, fol. 28 r°). Le nôtre était un des 210 secrétaires d'Henri IV (Ibid., fol. 193 V). Le trésorier général d'Anne d'Autriche nommé probablement en 1616 demeura en fonction jusqu'en 1639 (Ibid., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 445 r°) et un autre d'Argouges prit la succession en 1644 (Ibid., fol. 430 r°). C'est M. d'Argouges qui rapporte les affaires au conseil de contentieux de Marie de Médicis dont il vient d'être question, conseil qui se réunit à peu près une fois par mois (voir le registre de ce conseil : Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 95).

[44] Il a été fixé très anciennement par des arrêts que la reine pouvait plaider par procureur général (Bibl. nat., ms. fr. 10 830, fol. 100 v° ; Arch. du min. des Aff. Étrang., France, 176). Dolé a été procureur général de la reine de 1601 à 1616 (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 418 v°). Il s'était fait connaître par de véhéments plaidoyers contre les Jésuites (Sully, Économies royales, I, 191). Nous avons conservé un discours de lui (Bibl. nat., ms. Dupuy 266, fol. 275). Pour son influence, son rôle, la confiance qu'a en lui Marie de Médicis, voir Richelieu (Mém., I, 48 et 55) ; la Relation de maître Jacques Gillot (dans Michaud, I, XI, p. 475) ; le maréchal d'Estrées (Mém., éd. Michaud, p. 399). Bien qu'il put plaider pour des particuliers, la reine savait lui interdire de défendre telle ou telle cause (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 87, fol. 211 v°). Le fait qu'il manqua d'être ministre nous est révélé par le Financier à Messieurs les États (Paris, 1614, in-8°, p. 38) et Richelieu (Mém., I, 63). Il mourut en 1616 (Mercure français, 1616, p. 32).

[45] Le contrôleur général est le bras droit du premier maître d'hôtel (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 7 225, fol. 192 v°). Ses fonctions sont minutieusement décrites par les règlements (Ordre et règlement qui doit estre tenu et observe en la maison du roy, p. 16 ; Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 91, fol. 54 v°). M. Simon Arnout, sieur du Buisson, succéda à Valerian Perocel (Ibid., 93, fol. 201 r°).

[46] L'expression Chambre aux deniers est conservée du moyen âge (Camera denariorum sous saint Louis, Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 738, fol. 264). Sur le travail de la comptabilité en ce temps. voir Ant. Arnauld d'Andilly (Mém., éd. Michaud, p. 426). Quand quelqu'un des personnages dont nous venons de parler avait à recevoir des reproches de Marie de Médicis, celle-ci le mandait dans son petit cabinet (maréchal d'Estrées, Mém., p. 389).

[47] Ces gens auxquels la reine accorde les titres de secrétaire ordinaire et de maître des requêtes sur des recommandations, principalement en province, ont des privilèges (Déclarations du roy pour les privilèges accordés aux maistres des requêtes et secrétaires de la royne sa mère. Paris, 1616, in-8°. Bibl. nat., Actes royaux, F. 46 927 [23]). Ils viennent faire un service auprès de la souveraine pendant quelques semaines ; la reine leur délivre certificat de ce service (Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 91, fol. 180 et suiv.). Edouard, ou plutôt Odoart Colbert, sieur de Villacerf parait en 1611 (Ibid., 92, fol. 19 v° ; 93, fol. 62 v°). C'était un marchand qu'on voit ailleurs intéressé dans l'établissement à Paris d'une manufacture d'habits de drap, de toiles d'or, d'argent et de soie (Isambert, Recueil, XV, 284). Bénigne Bossuet est mentionné comme maître des requêtes (Bibl. nat., nouv. acq. fr. 9 175, fol. 419 r°). Sur les Bossuet à cette époque, voir Jules Thomas (les Bossuet en Bourgogne, Dijon, 1903, in-8°). Il est à remarquer que Bossuet, l'évêque de Meaux, garda jusqu'à sa mort dans son appartement le portrait de Marie de Médicis, qui devait lui venir des siens (consulter l'inventaire de ses meubles publié par E. Lévesque, le Testament de Bossuet, imp. de Soye, 1901, in-8°, p. 28).