Henri II a toujours tenu la guerre éloignée de la France ;
c'est un premier résultat à noter. Il n'épargne pour
cela, écrit Jean Capello dans sa Relazione (1554), ni soin, ni
dépense ; car il juge que toute perte chez soi est très-considérable, tout
grand dommage au loin faible. On l'a vu par expérience : le roi éprouva plus
de chagrin pour les cinq cents hommes qui, l'année passée, furent tués à
Namur, que pour la défaite de Strozzi en Italie. Tout dommage,
disait-il, qui peut se compenser avec de l'argent n'est pas grand ; or, le
malheur de la déroute d'Italie n'était qu'une affaire d'argent. Aussi le
roi ne cesse d'envoyer dans ce pays-là sans rien épargner, ses armes et ses
troupes, afin d'éloigner de la France les forces impériales. Henri II, par ses guerres, a continué à entretenir dans nos troupes un noyau de vétérans propres à défendre la France contre ses divers ennemis : nous avions alors, il faut le reconnaître, une certaine expérience de la guerre ; la nation était aguerrie, les chefs formés, le soldat éveillé, intelligent. La prise de Calais, la défense de Metz, venaient de ranimer notre esprit militaire et patriotique. Par les guerres extérieures, Henri II a écarté les guerres
civiles. Plus d'une comparaison l'indique ; il suffira de nous en tenir à celle
de Blaise de Vigenère[1] : Et de faict les guerres et esmotions civiles, tant de nous
que des Pays-Bas, ne commencèrent-elles pas incontinent après la paix
generalle faicte avec le roy d'Espagne, l'an 1558. Tellement qu'il eust mieux
vallu aux uns et aux autres de laisser tousjours quelque petit levain de
guerre, que pensant l'esteindre du tout, en susciter de plus fascheuses,
causes de tant de desolations et ruines. N'oublions pas que ce fut
également plus tard l'opinion de Coligny voulant entrainer Charles IX dans
une guerre contre les Pays-Bas afin d'éviter la guerre civile. Jean Bodin a
de son côté opiné en ces termes : La guerre de
l'estranger que nous avons eu depuis six ou sept vingt ans, n'estoit qu'une
purgation de mauvaises humeurs nécessaire à tout le corps de la république[2]. Tels sont les résultats politiques produits par les guerres extérieures ; voyons ceux qui ressortent du traité de Cateau-Cambrésis. Ce traité a été blâmé, parce qu'il nous fit rendre un nombre considérable de places en Italie[3], et que cette cession multiple a été regardée comme la rançon des deux plénipotentiaires, le connétable de Montmorency et le maréchal de Saint-André ; néanmoins il offre des avantages. Il consolide les frontières au nord et à l'ouest de la
France par l'acquisition de Metz, Toul et Verdun, villes appartenant à
l'Empire, mais non de langue germanique,
nous rapprochant ainsi des Pays-Bas, qui se donneront solennellement à Henri
II, vingt-six ans plus tard, après la mort du duc d'Anjou, sans que ce
monarque ose, à cause de la Ligue, profiter de cette offre spontanée pour
dépouiller Philippe II de cette portion de son héritage[4], où se parle
aussi la langue française. N'oublions pas à ce propos que Henri II est l'un
des rois de France qui ont le plus songé à prolonger notre frontière jusqu'au
Rhin, disant qu'il voulait reprendre le royaume d'Austrasie, et parlant en
plein conseil de la joie qu'il aurait de voir nos huit mille gentilshommes
volontaires abreuver leurs chevaux en ceste tant
renommée rivière du Rhin, dût-il pour cela perdre la vie dans une
bataille rangée contre le roi d'Espagne ou son fils. Le pays répondit
noblement à cet appel. Et ne fault point demander de
quelle allaigresse et affection ung chacun s'excita à se préparer à la
guerre. En quoy tout l'hyver se passa ; et n'y avoit bonne ville où les
tambours ne se fissent ouyr pour faire levées de gens de pied, où toute la
jeunesse des villes se desroboit de pere et mere pour se faire enroller ; et
la plupart des boutiques demeurerent vuides de tous artisans, tant estoit
grande l'ardeur, en toutes qualités de gens, de faire ce voyage et de veoir
la rivière du Rhin[5]. Quant aux résultats financiers, ils ne sont pas satisfaisants. Tandis que François Ier empruntait à huit pour cent, son successeur ne trouvait argent qu'à dix, à seize et même à vingt pour cent. |
[1] L'Art militaire d'Onosander, mis en langue française et illustré d'annotations, par Blaise DE VIGENÈRE, Bourbonnois, Paris, chez Langellier, petit in-4°, 1605, folio 175 au recto. — Dans le nom de Vigenère on retrouve celui de Genièvre ou Genèvre, d'où Colletet conjecture que la maîtresse chantée sous ce nom par Ronsard serait la femme dudit traducteur, d'autant plus que ce poète eut avec Blaise de Vigenère une rencontre et presque un duel sur le quai de la Tournelle.
[2] Discours sur le rehaussement et diminution des monnayes, 1578, folio 27 au recto.
[3] On rendit cent quatre-vingt-dix-huit bonnes places fournies de fortes garnisons. Donnant le Roy en un quart d'heure et par un seul trajet de plume, ce qui lui avoit et à ses prédécesseurs plus cousté de temps, d'hommes, d'argent et autres commoditez de son royaume, qu'on n'eust sceu croire. A cause de quoy, l'un des mareschaux de France, M. de Montluc, l'appelle en ses escrits l'infortunée et malheureuse paix. Histoire de la conqueste des pays de Bresse et de Savoye, par le sieur DE LA POPELLINIÈRE, 1601, feuillets 40 et 41.
[4] En 1834, une partie des Pays-Bas s'offrit encore à la France, avant de devenir le royaume de Belgique.
[5] Mémoires sur la vie du maréchal de Vieilleville, livre IV, chap. X et XIII.