Des deux côtés, les préparatifs se firent avec empressement. Le 2 novembre 1568, après les marches nécessaires pour la concentration et quelques escarmouches, les deux armées se joignirent près de Châtellerault. La monstre ou revue de l'armée royale accusa 7.000 chevaux, 6.000 Suisses, 2.000 Italiens et 12.000 fantassins français, au total 27.000 hommes. Le prince de Condé, maître des villes d'alentour, ce qui rendait sa position très-forte, disposait en tout de 28.000 hommes, dont, 4.000 cavaliers. Les forces étaient à peu près égales de part et d'autre, mais le généralissime dirigeait de vieux soldats, enrégimentés, disciplinés, soldés ; son adversaire commandait à des volontaires, se payant eux-mêmes et ne pouvant demeurer longtemps hors de chez eux. Dans les deux camps on désirait une bataille ; elle eût terminé la campagne en l'ouvrant, et au moins on eût été quitte de la glace, de la neige, des jours courts, qui entravaient les opérations à ce moment de l'année. Au lieu d'une bataille, on eut une escarmouche ; c'est assez l'image de la réalisation de nos désirs ici-bas. La Rochelle devenait évidemment l'objectif, les uns voulant le conserver, les autres aspirant à s'en emparer ; la direction des opérations résultait naturellement de ce but commun, et elles allaient se passer dans l'espace compris entre Châtellerault et la Rochelle. Le duc d'Anjou occupait les villages de Chasseneuil — ou Jaseneuil — et de Sansé, aux alentours de Poitiers ; le prince de Condé s'était logé à Colombière, ou plutôt Coulombiers, localité sise à 2 lieues de Lusignan, où il se trouvait favorablement situé. Le village de Pamprou s'élevait à égale distance des deux camps ; chaque chef d'armée projetait de s'en emparer, afin d'y placer son avant-garde et de pouvoir inquiéter l'ennemi. Dans ce but, Martigues s'y porte avec les catholiques, d'Andelot avec les protestants ; de là une escarmouche des plus sérieuses qui se prolonge plusieurs heures. Les catholiques cèdent et quittent le village ; ils sont même poursuivis. Le duc de Montpensier vient au secours de ces repoussés avec six cents lances. D'Andelot n'a plus dès lors que des forces inégales, mais une colline et le village de Pamprou s'étendent derrière lui ; il se place habilement à mi-pente de cette colline, son infanterie aux ailes, sa cavalerie au centre, sur un front étendu, et en même temps couvre à merveille ses diverses fractions de troupes, donne à croire que l'armée protestante est peut-être là cachée, refroidit l'ardeur de Montpensier et réussit à n'être pas attaqué. Le prince et l'amiral, ignorant sans doute cette situation, apparaissent avec toute l'armée protestante. A cette vue, les catholiques cessent peu à peu d'escarmoucher, se retirent vers un bois touffu, en couvrent la lisière et y dispersent leurs arquebusiers de façon à faire croire à un effectif plus grand que le leur. Cette feinte réussit comme avait réussi celle de d'Andelot. A ce moment, d'ailleurs, le jour disparaissait ; les protestants, contents d'occuper Pamprou, prirent leurs dispositions nocturnes et n'avancèrent plus. Cette quiétude de leur part explique le succès d'une seconde ruse des royalistes, qui, semant sur les arbres et les buisons des mèches allumées, au risque d'y mettre le feu, firent croire à l'occupation continuée du bois, lorsqu'au contraire ils s'éloignaient en silence et regagnaient le camp de Jaseneuil. Comment le duc d'Anjou ne fit-il pas soutenir le duc de Montpensier ? Est-ce par négligence, ou bien ne fut-il pas averti suffisamment à temps ? Il serait permis d'entrevoir là une trop grande confiance, si le maréchal de Tavannes ne nous en donnait l'explication en ces termes : M. de Montpensier manda qu'il estoit à la veue des ennemis, et que l'on allast à luy. Ainsi chacun pensoit, tant amis qu'ennemis, avoir toute l'armée devant soy ; mais il fut advisé qu'estant mon dict sieur chargé de l'artillerie, les gendarmes allés à leur logis, qu'il seroit impossible de marcher la nuit par un païs si fort que les ennemis ne les trouvassent en marchant, si forts d'arquebuzerie comme ils estoyent, à grand desadvantage, pour ne pouvoir la dicte gendarmerie jouer, ny les Suisses qu'il valoit mieux revoquer le dict sieur de Montpensier avec ses troupes toute la nuit — celui-ci se replia en effet —, et cependant faire fortifier le camp de tranchées, afin que si les ennemis venoyent, l'on peust les soutenir, attendant que l'on eust peu faire les esplanades nécessaires à la gendarmerie. Le lendemain, les protestants reconnurent leur tort de ne pas avoir attaqué la veille au soir. Désireux de le réparer, ils marchèrent droit à Jaseneuil, comptant trouver les catholiques désavantageusement logés, groupés çà et là leurs gendarmes surtout séparés par les villages. Ils virent leurs adversaires rangés en bataille dans un lieu étroit, et ne songèrent à les assaillir ; dès que leurs arquebusiers furent dispersés, le sieur de Brissac vint à leur rencontre avec sept cents arquebusiers catholiques. Ces derniers, soutenus par des pièces d'artillerie qui tirèrent à coups redoublés, firent d'abord merveille ; mais bientôt trois mille arquebusiers protestants s'avancèrent, et Brissac dut demander de l'aide ; sinon il était perdu. Une charge de cavalerie lui porta secours ; une autre charge fut tentée sur un autre point du champ de bataille. Ces deux charges réussirent et terminèrent cette espèce de faux combat qui coûta près de deux cents arquebusiers aux réformés. Pendant la nuit, l'armée catholique demeura sur le qui-vive ; mais l'adversaire s'étant retiré, elle vint ensuite à Lusignan et s'y reposa deux jours. De là elle gagna Poitiers, afin de rejoindre ses traînards. Après un jour passé dans cette ville, le conseil du généralissime décida qu'on irait se loger de l'autre côté du Clain. Le temps était pluvieux, et déjà l'on craignait que les maladies ne vinssent réduire le chiffre de l'armée. Le mauvais temps rendait aussi plus difficile le passage des rivières, et les catholiques allaient être contraints d'effectuer plusieurs marches en raison de cette circonstance. Après un campement à Dissays, lequel dura une douzaine de jours, l'ennemi occupant Mirebeau et ses environs, mais sans oser, après un léger engagement, venir assaillir la position avantageuse prise par Tavannes, ils suivirent leurs adversaires quand ceux-ci se dirigèrent sur Saumur et semblèrent vouloir atteindre Niort ; puis, afin d'assurer leurs vivres, appuyèrent du côté de Chinon. Dans cette marche, les deux armées se côtoyèrent, et cependant on avait soin de ne pas trop prêter le flanc[1]. Le passage de la relation de Tavannes est caractéristique à ce sujet[2] : A quoi fut debattu, par le sieur de Sansac et autres capitaines, que ce seroit passer fort près d'eux, et monstrer le costé d'une armée en marchant, qui seroit chose dangereuse. Sur quoi fut debattu encores, par ledit sieur de Tavannes, que l'ordre des batailles se pouvoit faire en sorte qu'encore qu'on marchant en inonstrant le costé de l'armée, les premiers rangs se pourraient facilement treuver en leur rang, sans guère bouger de leurs places, faisant departir l'artillerie, une partie à l'avant-garde, l'autre partie à la bataille ; que le bagage pouvoit marcher à main droite, et estre couvert de l'armée, et que si l'on failloit à combattre les ennemis en ce lien-là que l'on estoit pour attendre longtemps. En laissant à main gauche le château de Barroque et en allant jusques à la Marsolle — de l'autre côté de Loudun —, Martigues et les chefs qui l'accompagnaient se virent pressés. Que devons-nous faire ? car l'ennemi stationne à 500 pas de nous, envoyèrent-ils demander au duc d'Anjou. Ce dernier assembla son conseil. Tavannes fut d'avis que dans le cas où les protestants passeraient tel chemin creux, bien reconnu d'ailleurs à l'avance, Martigues cheminât toujours et attendit un commandement exprès pour attaquer. Et comme plusieurs trouvaient étrange que le généralissime, qui se tenait tons les jours avec la bataille, pût ordonner au moment opportun à son avant-garde de charger, il leur fut expliqué secrètement que le prince allait effectuer un mouvement tournant, que ce mouvement devait être suffisamment avancé pour rendre l'attaque efficace et aussi pour éviter un trop grand éloignement entre l'avant-garde et la bataille, surtout pendant Faction. La marche continua de la sorte très-régulière, malgré un temps de verglas[3], et en imposa à l'adversaire, qui, le lendemain, sortit de Loudun avec quelque artillerie et des troupes. Une vallée et un ruisseau séparant les deux armées, il se produisit uniquement des escarmouches et des canonnades. On était réduit à ces marches et contre-marches par l'égalité des forces, le mauvais temps et le manque de vivres qui s'aggravait par la difficulté des transports. L'armée royale séjourna quatre jours à Mercey, afin de donner à ses fantassins, dispersés par la continuité des pluies, le temps de rejoindre. Mais bientôt les colonels vinrent dire que les combattants se dispersaient à nouveau, que les enseignes restaient seuls, qu'il fallait aviser. Le duc d'Anjou s'installa dans Chinon avec l'artillerie et les Suisses, mit Brissac à I'lsle-Bouchard avec ses bandes et le restant à Saumur. En même temps les royalistes gardèrent les rives de la Loire et de la Vienne, afin d'empêcher tout passage. L'ennemi, se sentant plus fort, car le prince d'Orange venait d'entrer en France, l'ennemi, disons-nous, avait surtout envie et espérance de traverser à Saumur ; pour cela il fallait que les catholiques rompissent leur armée. Comme ils n'en firent rien, les protestants marchèrent vers Niort et Saint-Maixent, afin de mieux répartir leurs malades et de se porter vers Limoges, puis vers la Loire supérieure[4], de façon à tenter le passage vers la Bourgogne, dans le but de donner la main au prince d'Orange. Le duc d'Anjou hâta son départ, gagna la Creuse à la Roche-Posay, et, descendant suivant le sens où coule la Vienne, atteignit Montmorillon. On semblait vouloir se séparer. Mais le lendemain le duc d'Anjou écouta différents chefs de son parti qui lui proposèrent de prolonger leur marche le long de la Vienne jusqu'à Confolens, et, malgré l'avis de Tavannes, adopta ce projet. C'était s'aventurer dans un pays ruiné et s'exposer à livrer bataille avant la réunion avec les reîtres que l'on attendait, et en effet, à peine parvenu en ce point désiré, il fallut passer en partie l'eau pour se procurer des vivres. On consulta de nouveau Tavannes ; ce dernier, sans trop se targuer d'avoir prévu ce qui arrivait, conseilla de faire cesser immédiatement le danger de pouvoir être acculé à la rivière après avoir été quérir des vivres, et pour cela de se diriger de la Vienne sur la Charente, à Verteuil on à Ruffec. On se rangea sans conteste à cet excellent conseil ; on s'achemina sans délai sur Champagne[5], au-delà du cours inférieur de la Charente, et de ce village sur Ruffec, dont le château fut pris. Sur ces entrefaites, les deux mille reîtres attendus s'annoncèrent : la certitude de ce renfort mit sans doute en haleine. On entreprit diverses courses ; un parti de douze cents chevaux obtint même du duc d'Anjou de tenter l'aventure à l'insu de Tavannes ; mais celui-ci, sentant les ennemis pillards, fit révoquer ce congé dès qu'il l'apprit. En effet, le gros des forces protestantes était revenu de ces côtés, et l'amiral, caché entre deux villages, attendait ses adversaires avec deux mille chevaux et trois mille arquebusiers. Ces dispositions décelaient l'imminence d'une bataille ; on tâtait en effet le terrain depuis trois mois, on hésitait, on cherchait à se ruiner mutuellement ; cela ne pouvait durer, ou, si cela durait, les soldats allaient échapper aux ordres transmis. Le capitaine la Rivière en donna promptement l'exemple : il imagina de se rendre, avec une soixantaine de chevaux, de Verteuil à Jarnac, pour y piller une maison ; c'était franchir seul au moins 7 lieues de pays et aller se placer au milieu des ennemis, dont le camp stationnait entre Angoulême et Cognac. Cette course s'expliquait encore par l'amour du butin, mais pourquoi rester deux jours dans la localité sans donner aucun avis de sa situation ? Au troisième jour, ce capitaine fut assiégé. On envoya le sieur de la Yauguyon à son secours, avec cinq cents chevaux, sans grand espoir de le sauver ; ce secours reconnut mal le terrain, revint sans avoir rien fait, et annonça que la Rivière était prisonnier, nouvelle prématurée, mais qui devint bientôt exacte. Tavannes engagea le duc d'Anjou dans l'accomplissement d'une opération depuis longtemps méditée, celle de tourner Angoulême, de prendre Châteauneuf, afin de s'assurer un pont de pierre sur la Charente, et en même temps d'observer de là tout détachement protestant accourant de la Gascogne. Cette opération s'effectuait quand un paysan vint annoncer que le château de Jarnac se défendait encore. Un cri unanime s'éleva pour marcher de ce côté. Tavannes, sans dévier de son bon sens habituel, assura que c'était une menterie, un piège. Il ne faut pas encore passer l'eau, dit-il ; demain, à l'arrivée des reîtres, nous aviserons. Néanmoins, les plus accoustumez à se haster, Guise et Brissac, se mirent à la tête de six cents chevaux, partirent quêter l'ennemi, et le rencontrèrent à une lieue du camp. Brissac voulut l'atteindre avec les coureurs, mais il fut ramené. Ce fut heureux : l'amiral se tenait embusqué plus loin, et disposait de deux mille chevaux. Son but ressortait clairement. Après le faux bruit qu'il avait semé relativement à Jarnac, car Tavannes avait deviné sa ruse, dont une demoiselle (dame) catholique de très-bonne foi était l'auteur, un émissaire, de la part d'un sien parent habitant Jarnac, étant venu lui confier ce prétendu secret, Coligny devait, ou bien attirer les royalistes vers Jarnac et les surprendre, ou les attirer sur la rive droite de la Charente et alors s'élancer sur la rive gauche devenue libre, puis gagner de la sorte quatre ou cinq marches vers les reîtres protestants, car, ne l'oublions pas, les marches côte à côte, et enfin celle de Châtellerault à Confolens, avaient pour but de barrer le passage aux réformés et de les empêcher de s'étendre vers leur renfort. Les reîtres catholiques étant arrivés, le duc d'Anjou continua sa marche, et, se pressant, atteignit Châteauneuf en deux grandes journées ; le capitaine du château de cette localité se rendit le soir même, pendant que les protestants se retiraient à Cognac, d'où ils étaient déjà partis vers Barbezieux, afin de donner la main à leurs reîtres. Le pont de Châteauneuf était rompu. Rétablir l'arche interceptée, élever un l'avenir d'un autre côté, le garnir d'un enseigne, tout cela dura peu. Tavannes donne ensuite l'ordre à un bourgeois de la ville, nommé Tesseron, de rassembler les pêcheurs des environs pour renflouer les bateaux coulés en cet endroit par l'ennemi et pouvoir en tirer aide, soit pour transporter l'armée entière, soit pour faire descendre des vivres. Ces soins pris, il mena les siens jusqu'à Cognac, voulant voir la contenance de ses adversaires ; à cet effet, il engagea devant cette petite ville une escarmouche qui fut mal soutenue, et pendant laquelle il aperçut nettement l'armée protestante marchant, de l'autre côté de la rivière, droit sur Châteauneuf. Malgré la solidité de son pont et la fortification qui le couvrait., Tavannes revint d'une traite, et avec toute l'armée, coucher à Châteauneuf, qu'il atteignit seulement à 2 heures du matin, ayant fait 8 lieues. Les réformés s'étaient arrêtés à Jarnac. Patience, redit[6] Tavannes au duc d'Anjou, la gloire les ramènera à la pointe de nos épées. L'événement allait se charger de justifier et le mot et les manœuvres accomplies depuis deus jours par le sage et habile mentor du jeune prince. Le pont de Châteauneuf étant insuffisant pour le passage de l'armée catholique entière, Tavannes se jeta avant le jour dans un bateau de pêcheurs, avec le comte de Gayas, sonda la rivière afin de chercher les endroits peu profonds où l'on pourrait installer les chevalets, car on manquait de bateaux, puis chargea son compagnon d'aller auprès du grand maître de l'artillerie[7] quérir un nombre suffisant de charpentiers, lesquels s'embusqueraient en un point favorable et attendraient la nuit pour commencer la construction d'un pont improvisé, ce qui fut fait et fournit de la sorte un second moyen de passage. Une circonstance peu remarquée rendait ce second pont indispensable. Châteauneuf occupe la pointe d'un coude assez prononcé de la Charente, en sorte que l'adversaire, en se portant résolument en avant de cette ville, pouvait appuyer ses deux ailes à cette rivière et s'opposer au développement en plaine de l'armée catholique aussitôt son passage. Le second pont, construit en dehors du pont permanent de la ville, rompait ce dessein, car il jetait les royalistes sur une des ailes des réformés ; de toute façon la tactique n'était pas encore assez perfectionnée, surtout chez les protestants qui apprenaient. la guerre en la faisant, pour qu'un semblable mouvement fût imaginé et promptement exécuté[8]. Il est vrai que le retour subit des catholiques vers Châteauneuf avait trompé sur le véritable point de passage Montgommery, Soubise et la Noue[9], chargés de garder la rivière. L'après-dînée de ce jour, il survint une escarmouche d'une demi-heure entre mille arquebusiers royalistes et la cavalerie protestante qui était venue prendre position sur une éminence en face du pont. Cette escarmouche eut lieu par-dessus la rivière, qui n'était pas beaucoup large, suivant l'expression de Davila, et n'avait, d'autre influence que d'empêcher les deux armées de se joindre. Dès ce soir même, une partie des réformés se logea près de Jarnac, en un lieu nommé Bassac. Le duc d'Anjou fit délibérer sur la question de savoir si l'on gagnerait l'autre rive ; le conseil fut unanime, et le mouvement commença vers 3 heures du matin, par une nuit fort sereine ; dix enseignes furent laissés pour la garde des bagages, puis un détachement lancé à la poursuite et reconnaissance du gros des réformés, qui, après l'escarmouche de la veille, avait pris le chemin de Montagnac. Cette dernière mesure était essentielle ; il ne fallait pas que, durant la bataille, un corps frais vînt à tomber inopinément sur le flanc des catholiques. Le résultat ne se fit pas attendre : la troupe dont on était en peine cantonnait à une lieue de là ce qui occasionna une grande joie, car on était sûr de pouvoir atteindre ce gros et peut-être isolément. Vous serez demain un des princes les plus satisfaits qui se puisse trouver, dit à ce propos au duc d'Anjou le sieur de Tavannes, qui ne varia jamais, on le voit, dans sa conviction que le frère du roi obtiendrait la victoire. Le passage s'effectua heureusement, sans embarrassement quelconque. Le colonel des chevau-légers — M. de Guise — et le chef de notre avant-garde — Martigues, le soldat sans peur — trouvèrent l'ennemi déjà parvenu au sommet de la montagne d'où ils avaient escarmouché, mais se retirant et se postant derrière tin ruisseau. Un engagement les débusqua et les reporta tin kilomètre plus loin, derrière un autre ruisseau et près d'un étang ; leur droite joignait cet étang, mais les catholiques[10] les talonnèrent tellement qu'ils arrivèrent sur eux à peine formés. Néanmoins, c'était s'avancer beaucoup ; en effet, Martigues, vis-à-vis de l'avant-garde culbutée[11], reçut lui-même une charge qui le rejeta en arrière ; sans Tavannes, qui accourut avec les reîtres du rhingrave, il pouvait en résulter du désordre. A ce moment, deux officiers vinrent dire à Tavannes que le ruisseau couvrant le front des ennemis était facile à franchir. C'était le cas d'avancer, mais tout mouvement s'opérait alors à découvert, les deux armées s'apercevant mutuellement. Tavannes pria le rhingrave de modérer son mouvement et de se placer de façon à pouvoir se jeter sur le flanc de l'adversaire. Cette précaution adoptée, Tavannes revint près du duc d'Anjou, ayant pour mission spéciale de combattre aux côtés mêmes du prince. Notre artillerie venait d'arriver, mais tardivement, car elle ne put tirer que deux coups. Cela montre combien l'action fut vive et courte. Les protestants chargèrent les premiers, assez mollement, jusqu'à l'apparition de Condé, qui se mit à la tête des siens et repoussa les sieurs de la Valette, de Guise et de Martigues ; le duc de Montpensier et le prince-Dauphin soutinrent la charge, et peu après le duc d'Anjou arriva avec un tel à-propos que les protestants prirent la fuite. Si les reîtres, dont la seule présence effraya les vaincus, avaient poussé de l'épée sur les derrières du prince de Condé, le désastre eût été plus grand, mais ils allèrent faiblement à la charge. Là périt le prince de Condé. Comme on lui conseillait de se retirer, dépité de la déroute de ses soldats, il s'était précipité avec furie dans la mêlée et avait tout culbuté devant lui, jusqu'au moment où son cheval blessé tomba et le renversa par terre ; seul, abandonné, il ne put ressaisir une seconde monture, et, apercevant deux gentilshommes de sa connaissance, d'Argence et Saint-Jean, qui passaient près de lui, les appela et se rendit à eux sous promesse de la vie ; c'est alors qu'un des combattants[12], qui survenait brusquement, le reconnut, et, sans hésitation, par ignorance sans doute de ce qui venait de se passer, lui cassa la tête d'un coup de pistolet. Telle fut la fin du prince qui a laissé à la postérité la mémoire d'un des plus généreux chefs de son temps ; l'éloge est d'un catholique, de Michel de Castelnau. Si l'action eût duré davantage, l'artillerie catholique aurait repris son tir et probablement procuré la supériorité à son parti, car les réformés manquaient de canons ; mais la victoire fut due au passage savamment combiné de la Charente, à la bataille imposée si brusquement que l'adversaire ne put ni concentrer ses forces[13] ni développer sa cavalerie, à la confiance inspirée depuis longtemps aux troupes. Le duc d'Anjou eut dans cette occasion un cheval tué sous lui ; cette circonstance prouvait son courage, et la gloire de la journée, si habilement préparée par Tavannes, lui revenait comme chef de l'armée. Les contemporains ont longtemps appelé cette action la bataille de Bassac, du nom du village qui servit de cantonnement à l'avant-garde protestante ; le nom de bataille de Jarnac a prévalu depuis. Quant à la date, elle fut livrée le 16 mars 1569. On évalue la perte des vaincus à 700 morts, presque tous gentilshommes et cavaliers de réputation ; celle des vainqueurs fut minime. L'armée protestante se dispersa après la défaite, et des chefs, d'Acier gagna Cognac, d'où il était parti le matin avec 6.000 arquebusiers sans pouvoir arriver assez à temps pour prendre part à la bataille ; Montgommery atteignit Angoulême, l'amiral et d'Andelot coururent jusqu'à Saint-Jean-d'Angély. Le soir même de sa victoire, le duc d'Anjou fit une entrée triomphale dans Jarnac, traînant après lui le cadavre de Condé attaché sur un cheval de bagage, acte d'ostentation inutile et déplacé, surtout vis-à-vis d'un homme de guerre courageux ; traitement qu'un prince du sang aurait dû épargner à son parent[14]. Peu de temps après la bataille, les chefs protestants revinrent pour la plupart à Cognac, notamment la Rochefoucauld et Teligny, voire même l'amiral et d'Andelot. Les affaires de ce parti devinrent incertaines. Coligny aspirait à y prendre la première place, mais il avait beaucoup d'ennemis ; la mort de son frère d'Andelot ne tarda pas à l'isoler et à l'amoindrir comme influence. Du reste, il eut l'habileté de conserver la réalité du pouvoir, sans briguer un titre plus brillant, et poussa la reine de Navarre à présenter son fils aux réformés. Celle-ci vint à Cognac, où, sur sa présentation courageuse et adroite, Henri de Navarre fut en effet élu chef de parti et reçut le serment de fidélité des seigneurs, des capitaines, des soldats. On se garda toutefois de le laisser seul à la tête des protestants, ce qui eût blessé le souffle républicain qui animait alors ceux-ci, et moins bien assuré la prééminence de l'amiral. Le fils du défunt prince de Condé lui fut adjoint. Malgré ce biais, qui satisfaisait en partie la masse des influents et contentait même Coligny, il paraît que la reine de Navarre mena cette affaire plus vite qu'il n'eût voulu, en présentant les deux princes, dont l'aîné avait quinze ans. Sous les ordres des princes et vu leur jeunesse, l'amiral reçut du conseil le gouvernement de l'armée ; d'Acier, le commandement des gens de pied ; Genlis, la direction de l'artillerie. On s'arrêta au projet d'occuper et de défendre les principales places. La reine Jeanne demeurant donc dans la Rochelle, les princes et l'amiral se rendirent à Saint-Jean-d'Angély, Piles à Saintes, Montgommery dans Angoulême, Genlis à Loudun ; d'Acier resta dans Cognac. Après trois jours de repos accordés à ses troupes, ce qui était assez, vu que pendant ce temps les royalistes s'occupaient trop du butin, se le partageant et échangeant entre eux les objets qui leur étaient échus, le duc d'Anjou résolut d'assiéger successivement les places où les huguenots s'étaient jetés, afin de traîner la guerre en longueur et de les ruiner ainsi plus sûrement, car, avec leurs soldats improvisés, le prolongement de la lutte leur était nuisible et souvent funeste. Il lui fallut faire venir de Poitiers de grosses pièces d'artillerie, assez puissantes pour battre les murailles, car il n'avait conduit jusqu'alors avec lui, même sur le champ de bataille de Jarnac, que des pièces de campagne ; l'expression se rencontre dans les historiens contemporains et prouve que l'artillerie se partageait déjà en deux espèces suivant ses calibres : l'une plus légère, destinée aux combats ; l'autre plus lourde, destinée aux sièges. Dès que les grosses pièces furent arrivées, l'armée
catholique se porta sur Cognac et y mit le siège : les protestants se
trouvaient préparés à la défendre avec énergie, ce qui indique combien la
défaite les avait peu abattus, et en effet l'action de Jarnac n'avait été
engagée ni contre la totalité de leurs troupes, puisque l'habileté du passage
de la rivière avait ouvert l'action avant qu'ils ne fussent concentrés, ni
entièrement achevée, puisque la mort de Condé devint le signal d'une fuite
complète dont ce malheureux prince avait voulu arrêter le commencement. La
garnison de Cognac comprenait 7.000 fantassins et 600 chevaux, aux ordres de
d'Acier. A peine installés, les régiments de Brissac et de Martigues
s'efforcèrent d'inquiéter les assiégeants ; ceux-ci répondirent
si menu que les plus eschauffez qui les alloient esclairer de trop près, ne retournoient
pas tous sous leurs enseignes. Ce fut surtout en passant devant le
Parc que les catholiques eurent à souffrir d'arquebusiers apostés qui tuèrent
plus de cent des leurs. L'ardeur devint telle parmi les protestants, que
comparant leur grand nombre et se trouvant froissés d'être ainsi enfermés
derrière des murailles, ce qui se comprend d'autant mieux que parmi eux se
trouvaient beaucoup de volontaires appartenant à la petite noblesse de
province, ils voulurent en quelque sorte transporter la lutte à l'extérieur
et effectuèrent de nombreuses sorties, les renouvelèrent avec des troupes
fraîches, empêchèrent de la sorte les royalistes de détruire leurs dehors et
de réaliser aucun progrès. Dès que la défense reprend assez de prépondérance pour aller chercher ses adversaires, dès qu'elle réussit à les vaincre dans chacune de ses tentatives, la première période d'une résistance animée et extérieure se prolonge trop pour que l'assaillant puisse espérer gagner à son tour la supériorité morale, et le siège est bientôt levé ; c'est ce qui arriva dans cette circonstance. Après une perte d'environ 300 hommes, le duc d'Anjou quitta Cognac avec la résolution de courir le pays, de s'attaquer à des villes moins bien gardées, puis, par leur prise successive, d'isoler Cognac et d'en avoir ensuite meilleur marché. La besogne à ce sujet avait été commencée pendant les préparatifs de la journée de Jarnac par les gouverneurs catholiques d'Angers et de Nantes qui, désireux de faire cesser les courses effectuées par les protestants enfermés dans Montaigu, à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de Clisson, avaient rassemblé 3.000 hommes et étaient venus camper devant le château de cette ville dont les fortifications étaient mal entretenues. Le gouverneur protestant s'était plus occupé de pressurer les habitants que de préparer sa défense ; il laissait 20 hommes dans le château, et faisait défaut lui-même, car il mourut le deuxième jour du siège d'un accès de fièvre chaude. Quinze soldats, abandonnant le séjour de Niort, venaient d'atteindre Montaigu. Ces 35 combattants se défendirent contre l'attaque dirigée du côté de la porte Nantaise, et firent même une sortie, mais ils furent contraints de se retirer dans la ville. A peu de distance se trouvait, sur la Sèvre nantaise, Tiffauges, pourvue de 40 hommes de garnison ; c'était une ancienne cité, jadis très-forte, bien fossoyée, peu à peu délaissée et réduite à l'état de bourg. Les murailles tombaient en ruine ; les portes seules subsistaient pour attester l'ancienne splendeur de la ville. Le château était presque intact ; il occupait le plateau entier d'une vaste montagne, et ses fausses braies couraient le long de la pente, flanquées de distance en distance par des tours solides et percées elles-mêmes de meurtrières. La Sèvre baignait le pied de cette montagne, et de l'autre côté un grand étang défendait la place. Une chaussée traversait cet étang, mais elle était merveilleusement protégée par une grosse tour neuve et par la courtine sise en arrière. Des hauteurs inaccessibles gardaient un autre côté de la ville. Enfin une grosse tour sert de donjon ; elle a ses fossés à fond de cuve, maçonnés des deux côtés et remplis d'eau. La porte se trouve garnie d'une triple muraille. D'autres éminences dominent la place, mais, en général, elles sont hors de la distance nécessaire pour canonner la cité, et le pays entier est assez tourmenté pour rendre difficile le transport de l'artillerie. Une position aussi forte ne fut pas, circonstance singulière ! ne fut pas même défendue. Sur la nouvelle que Montaigu était pris par les catholiques — elle allait l'être en effet —, les soldats de la garnison s'enfuirent, et le capitaine Prion, demeuré seul, rendit la place ; la compagnie de royalistes qui y fut laissée brûla le château et le donjon, afin que les protestants ne pussent dorénavant y élire gîte, se contentant pour leur parti des places de Clisson et de Montaigu. Pendant que ses lieutenants réussissaient ainsi à s'emparer de plusieurs localités, pendant qu'après une tentative d'escalade essayée sur Clisson et manquée par les protestants, les gouverneurs catholiques se trouvaient plus libres de courir le pays, le duc d'Anjou visitait successivement la Saintonge, l'Anjou, le Limousin, et prenait plusieurs places. D'abord Aubeterre, qui résista quelques jours ; cette ville, arrosée par la Dronne, n'est pas éloignée de Ribérac. Puis Mucidan ; là se trouvaient les régiments de Brissac, de Montluc et de lies Cars ; plusieurs assauts furent donnés, et tous avec perte. A. l'un deux, Brissac, toujours téméraire, voulut reconnaître la brèche de plus près, et, quoique bien en armes, reçut, dès qu'il avança la tête pour mieux découvrir la brèche, une arquebusade dans la joue, près du nez, eut le cerveau percé et succomba sans pouvoir prononcer un seul mot. Ainsi périt à vingt-six ans un chef d'avenir, déjà chevalier de l'ordre et colonel général de l'infanterie, généralement aimé et regretté. Un assaut furieux vengea sa mort, et, la place enlevée, en dépit des capitulations et des promesses, ni les défenseurs ni les habitants n'obtinrent quartier[15]. Les protestants envoyaient alors le fameux Piles se saisir du fort de Médoc, sis vis-à-vis de Blaye, ce qui fut accompli sans encontre par 2.000 piétons, lesquels passèrent la Gironde en bateaux ; cette île fut saccagée, et les soldats y trouvèrent un riche butin. De là Piles descendit le fleuve jusqu'à Bourg ; mais Montluc avait largement pourvu à la défense de ce point, et déjà une attaque des protestants avait échoué ; d'ailleurs Piles fut rappelé. La situation de l'armée royale laissait à désirer. Castelnau nous la dépeint exactement : Je trouvay, dit-il[16], que le duc d'Anjou n'estoit pas satisfait de beaucoup de capitaines de son armée qui, à faute de payement, demandoient congé de se retirer en leurs maisons, comme quelques-uns avoient fait ; la plupart aussi des soldats se desbandoient tous les jours, tant à faute de payement que pour ce qu'ils avoient grandement paty en l'armée, en partie à cause de l'hyver, qui avoit esté fort grand cette année, et de beaucoup de maladies qu'ils avoient reçues, dont grand nombre estoient morts ; en sorte que l'infanterie estoit réduite à une moitié, la cavallerie au tiers, à qui il estoit den près de trois mois de leurs services ; ce qui donnoit beaucoup de mescontentement au duc, qui recevoit les plaintes d'un chacun ; aussi blasmoitil fort ceux qui esloient du conseil de Leurs Majestez, pour le peu d'ordre qu'ils apportoient de faire venir de l'argent, à quoy, de leur costé, ils estoient assez empeschez, s'estonnant comme les huguenots, qui en devoient bien avoir moins, pouvoient entretenir si longtemps une armée sur pied, et faire venir tant d'estrangers, auxquels il falloit beaucoup d'argent. Les protestants mettaient sans doute plus d'économie dans leur administration ; ils frappaient sur les pays où l'on guerroyait, principalement dans le Poitou, des emprunts volontaires ou forcés ; ilsvendaient les biens ecclésiastiques ; et ces sources où ils s'abreuvaient d'argent n'étaient pas inconnues, seulement on ne s'attendait pas à les voir fournir autant. Un combat indécis sortit les catholiques de cette situation ; c'est le sort commun, et de nos jours nous avons vu souvent ce moyen réussir en politique : quand tout va mal, on frappe un grand coup, on soulève un monde, et l'attention est détournée. C'est plus vrai encore à la guerre : le combat est le moyen de sortir d'embarras[17] ; mais cette fois ce furent les protestants qui y recoururent et répondirent ainsi au besoin secret des catholiques ; ils y recoururent à cause de la pénurie de vivres dont ils souffraient. Il s'agit de l'engagement de la Roche-Abeille[18]. Les royalistes étaient solidement campés sur une éminence, non loin de Limoges et tout près de Saint-Yrieix, quand leurs adversaires vinrent à eux (23 juin 1569). L'amiral donna droit, avec son avant-garde, contre le quartier de Strozzi, et avec sa bataille contre celui des Italiens. Strozzi fut assailli par plus de 4.000 hommes, c'est-à-dire par des forces presque quadruples des siennes ; il réussit pourtant à se défendre en raison des obstacles — arbres et haies — garnissant le terrain qu'il occupait, en raison surtout de ce qu'il dominait l'ennemi et faisait contre lui des décharges plus avantageuses. Si ce chef n'eût quitté cet excellent poste, sans doute les protestants n'eussent pu l'en déloger ; mais, piqué des reproches des Français qui semblaient par leurs regrets en faveur de Brissac, son prédécesseur comme colonel général de l'infanterie, exprimer qu'un chef italien leur convenait peu[19], il cria aux siens de le suivre, descendit dans la plaine, et, par un choc des plus vigoureux, rejeta en grand désordre les arquebusiers qui le pressaient précédemment et, en cet instant, feignaient de fuir pour l'attirer plus loin. A peine en plaine, il fut entouré par la cavalerie de l'amiral, se défendit avec énergie et fut bien secondé ; mais, renversé de cheval et foulé aux pieds, il ne tarda pas à être prisonnier, et, au dire de Davila, fut estimé d'un chacun plus louable pour sa hardiesse que pour sa prudence. C'est ainsi que pour échapper à un désagrément on tombe souvent dans un plus grand ; l'exemple de Strozzi à la Roche-Abeille est frappant. MM. de Guise et de Martigues s'aventurèrent trop aussi avec un gros de cavalerie, et en furent vertement tancés par Tavannes, leur disant devant les troupes : Messieurs, avant d'entreprendre, il faut réfléchir. Suivant un chroniqueur, leur charge intempestive aurait entraîné Strozzi, qui, croyant marcher avec l'aide de la cavalerie, s'en trouva ensuite abandonné. Pareilles témérités coûtèrent 300 hommes aux catholiques et 153 aux protestants. L'amiral eut beau poursuivre les vaincus, ils reprirent position sur la colline, et, une fois en leur premier poste, ne purent plus être débusqués : ils furent aidés à ce moment par les chevau-légers italiens qui, voyant le désastre, mirent pied à terre et escarmouchèrent derrière les châtaigniers. Sur le reste de la ligne, c'est-à-dire là où la bataille des réformés combattait, l'action se prolongea d'une heure, mais la perte y resta minime (120 soldats des deux côtés), parce que les catholiques conservèrent imperturbablement leur poste. Finalement, les protestants furent obligés de se retirer ; ils eussent sans doute obtenu un plus grand succès sans la pluie qui ne cessa de toute cette journée voire en telle largesse qu'il n'y eut personne qui ne s'en retournast bien trempé. Cette pluie, en effet, avait tellement mouillé le bassinet ou humecté la corde et le serpentin des arquebuses à rouet, que la poudre déjà toute moite ne pouvait prendre feu, ce qui annula la supériorité de Coligny en fantassins et empêcha l'effet de tireurs émérites qu'il avait prescrit de placer dans les endroits favorables[20]. Afin d'inquiéter les catholiques, les princes protestants et l'amiral résolurent de camper sur le lieu même qu'ils avaient occupé pendant l'action ; leur idée était que la cavalerie du roi, resserrée sur un terrain peu étendu, devait souffrir. Mais peu de jours suffirent pour les détromper. Logés à l'étroit, en effet, les catholiques se trouvaient à portée de Limoges, et tiraient de cette ville des vivres et des fourrages en abondance ; en outre, la plupart des autres cités leur appartenaient, en sorte que les réformés entretenaient la guerre dans une province peu à leur dévotion, peu productive de sa nature, et où ils étaient obligés de se nourrir et de nourrir leurs alliés les Allemands ; force leur fut de chercher une contrée plus fertile, et ils se rendirent dans le Périgord. A ce moment, la reine mère parut au camp de son fils, récemment accru des forces du duc d'Aumale et du secours amené de Rome par le comte de Santafior[21], passa devant le front de l'armée rangée en bataille et visita toutes les bandes, parlant aux uns, exhortant les autres, louant leur courage et leur fidélité. Cette démonstration adroite et virile, qui cachait peut-être la jalousie de Charles IX n'osant se montrer à son armée aux côtés de son frère vainqueur, dut exciter quelque enthousiasme. Accompagnée des cardinaux de Bourbon et de Lorraine, Catherine de Médicis venait se concerter avec le duc d'Anjou sur la conduite de la guerre, les membres du conseil royal n'étant pas d'accord à ce sujet, et leurs vues concordant peu avec celles des chefs de l'armée et surtout de Tavannes. Elle vint également pour voir quels moyens il y auroit de faire une bonne paix et pour donner courage aux gens de guerre et les contenter par belles paroles et promesses, attendant que partie de la levée fust faite des deniers de la subvention que les ecclésiastiques faisoient à Sa Majesté par la vente et aliénation de leur temporel, jusques à la concurrence de cinquante mille estas de rente, suivant la bulle et permission du pape. Nous avons signalé en son lieu la négociation relative à ces cinquante mille écus ; mais ce qu'il nous faut remarquer ici, c'est moins l'usage à peu près constant de prendre sur les biens du clergé dans les moments où il y a pénurie dans le trésor, que l'indication naïve de ce moyen perpétuel de gouvernement : contenter par belles paroles et promesses ; il est vrai, le diplomate qui parle avait été souvent réduit, faute de mieux, à jouer ce jeu pour le compte de la France, et vis-à-vis des troupes, ainsi que nous l'avons dit plus haut, l'Etat n'avait pu faire autrement. A quoi aboutit cette présence de Catherine de Médicis au milieu de l'armée royale ? On le pressent peu, même en connaissant sa prédilection pour les actes de temporisation et d'atermoiement, car il sortit du conseil de guerre et d'État y tenu la résolution de ne point combattre, d'user les protestants et surtout leurs alliés par la guerre traînée en longueur, par les inconvénients de la chaleur et d'une consommation imprudente des fruits et du raisin. litait-ce le parti le plus viril ? et put-on s'y conformer ? La suite de ce récit le fera voir. Les circonstances devenaient graves. Après avoir opéré leur jonction avec leurs alliés allemands le 23 juin 1569, à Saint-Yrieix, distant de la Roche-Abeille d'une lieue environ, les chefs protestants envoyèrent une requête au roi, an nom de tous leurs coreligionnaires de France, à la lin d'exposer leurs plaintes et de solliciter le libre exercice de leur religion, avec les sûretés requises et sans exception, promettant, si on leur pouvait prouver qu'ils s'éloignaient de la doctrine des apôtres et prophètes, de céder volontiers à l'avis de ceux qui les instruiraient mieux ; en même temps, ils demandaient la convocation d'un concile libre et général. C'était, sous forme de simple pétition, soulever les discussions déjà entreprises à Orléans, à Poissy, et aussitôt abandonnées. L'Estrange, choisi pour député par son parti, se rendit auprès du duc d'Anjou à l'effet d'obtenir un passeport, mais il reçut pour toute réponse un avis que sa demande serait transmise à Sa Majesté. Charles IX, sachant que les réformés voulaient gagner du temps, sans traiter réellement, répondit qu'il n'entendrait aucune remontrance avant que les huguenots n'eussent posé les armes et repris les allures de sujets fidèles. Le maréchal de Montmorency crut devoir écrire en même temps à l'amiral que le roi oublierait tout dès qu'on serait rentré dans la règle. Coligny, en retour, déclara regretter les troubles qui désolaient la France, témoigna être porté pour le service du roi, mais en même temps annonça l'intention de se maintenir, avec tous les protestants de la France, dans le libre exercice de leur religion, malgré la violence de leurs ennemis. On le voit, la scission entre la royauté et les huguenots se manifestait de plus en plus profonde et sérieuse. Pendant que le duc d'Anjou se rendait à Tours et y passait plusieurs jours auprès de sa mère et de son frère, le comte du Lude était obligé, malgré ses efforts, de lever (2 juillet) le siège de Niort, ville à laquelle il avait donné plusieurs assauts, dont un très-brillant, désigné par un auteur sous le nom d'assaut-colonel, mais il avait eu contre lui à l'intérieur la Noue, Téligny et de vaillants défenseurs. Là ne se borna pas le bonheur des protestants ; ils s'emparèrent alors de plusieurs places : à la fin de juin, de Brantôme, où ils entrent par composition, et de deux châteaux, sis dans le Périgord. Ils reviennent ensuite sur la Vienne vers Confolens et Chabanais, fortifications importantes, car elles sont au pied du long plateau qui sépare la Vienne et la Charente, et Chabanais s'élève à un coude de la première de ces rivières. Il y avait à Chabanais un lieutenant de Montluc lequel, espérant être secouru, tint bon et attendit le canon, suivant l'expression du temps, c'est-à-dire ne se rendit qu'après brèche faite à l'une de ses tours, la tour Rochechouart (6 juillet) ; aussi toute la garnison fut-elle mise à mort. Quant au gouverneur, nommé la Planche, il sauva sa vie par une rançon de 10.000 livres et la promesse de rendre la liberté à Virel, ministre de la reine de Navarre, retenu par le terrible Montluc. Ensuite Châtellerault et ses 60 défenseurs catholiques capitulèrent (12 juillet), et une ville peu fortifiée et. de garde difficile, en raison de son étendue, tomba en trois jours au pouvoir des protestants ; nous voulons parler de Lusignan. La description du château nous a été conservée. Assis sur une vaste et haute montagne, il était dominé pourtant de deux côtés par des montagnes plus élevées, mais se défendait sur son pourtour entier par une double muraille, construite de dure estoffe et difficile à battre en brèche ; cette brèche se présentant d'ailleurs trop roide pour pouvoir être franchie sans un soutien spécial. Du côté de la ville, ledit château portait triple muraille, bien flanquée, avec double fossé à fond de cuve. Son armement montait à neuf canons ; il contenait assez de munitions, mais un petit nombre de soldats. Le siège de ce château commença le vendredi 15 juillet 1569 ; ces trois canons[22], d'autres plus faibles et quelques petits sacres, tels que les Allemands en traînaient toujours avec eux, tous logés assez près, sur la pente d'une colline, ouvrirent le feu. Après un tir nourri, ils ne purent abattre que la tour élevée à l'un de ses angles ; il en résulta une brèche telle qu'il eùt fallu des échelles pour la gravir commodément. Le capitaine Piles réclama pour son régiment l'honneur de former la tête de la colonne d'assaut. Avant d'organiser cette colonne, l'amiral envoya deux capitaines effectuer une reconnaissance spéciale de la brèche, ce qu'ils firent ayant chacun le rudache[23] au bras[24]. Un coup de canon malencontreusement tiré par les assiégeants pendant cette reconnaissance, et pointé sur la brèche, la bouleversa au point de terrasser et d'étouffer l'un des capitaines ; l'autre capitaine se tira de cet accident et donna l'avis d'améliorer encore la brèche par le tir du canon. Les salves recommencèrent, augmentées d'un feu très-vif d'arquebuserie ; bientôt les défenseurs cessèrent de se montrer, et enfin menacés d'une double attaque, sans compter une escalade qui se pouvait donner par la ville, ils demandèrent à capituler. On débattit les conditions, et enfin l'accord eut lieu le 20 juillet. 25 sortirent aussitôt et furent conduits à 3 lieues au delà pour leur sûreté. Le lendemain, ce fut le tour du gouverneur, de ses gardes et du capitaine La Barre[25], lequel, blessé à Niort, s'était réfugié à Lusignan pour s'y faire soigner ; les autres défenseurs prirent du service dans l'armée des princes, et c'est un fait curieux à noter. On ne dit pas s'il en fut de même des défenseurs protestants des châteaux de Lassay et de la Ferté, appartenant à la province du Maine, dont le gouverneur d'Alençon prit possession en ce même mois de juillet. Les catholiques obtinrent un autre dédommagement de la reddition de Lusignan dans la prise de Regennes-sur-l'Yonne, à 8 kilomètres d'Auxerre[26], où s'était réfugié, après l'engagement de la Roche-Abeille, un gros de protestants qui de là entreprenait des courses dans le pays ; les habitants d'Auxerre, de Joigny et de Villeneuve-le-Roi, ne voulant pas rester avec cette menace suspendue sur leur tête, et si près de leurs familles, d'autant que la contrée environnante se trouvait sous la domination de seigneurs protestants, se réunirent et marchèrent contre le château fort, le canonnèrent, l'enlevèrent en donnant l'assaut (24 août) au moyen des trains de bois flotté qui, déjà à cette époque, descendaient le cours de l'Yonne, et tuèrent tout ce qui leur tomba sous la main. Plusieurs cruautés furent commises[27], à titre de représailles sans doute ; cette action de guerre n'incombe pas comme responsabilité aux troupes, puisque ce furent en partie des citoyens qui la commirent ; je dis en partie, parce qu'il se mêla aux volontaires des détachements accourus des garnisons royalistes voisines. De ce côté de la France, il se passa au même moment un singulier fait. Le château de Noyers avait été abandonné par les 25 hommes de sa garnison, à cause de la peste qui régnait dans la ville ; les protestants, plus courageux, étaient venus l'occuper. Les catholiques purent promptement revenir en force suffisante, et une capitulation ne se fit pas attendre, mais le sieur de Donjon, capitaine de la garnison qui avait déserté son poste, fut mis en jugement. Sur ces entrefaites, l'amiral s'acharnait au siège de Poitiers. Il s'était rendu sous les murs de cette ville, malgré l'avis de ses capitaines, à la date du 24 juillet. Or, le duc d'Anjou s'était occupé d'approvisionner et de munir ladite cité de la façon la plus prévoyante et la plus généreuse[28] ; cette sollicitude se comprend, car Poitiers et Montaigu étaient les deux seules forteresses du Poitou qui ne fussent pas au pouvoir des réformés. Poitiers, bâtie sur des pentes fertiles, plantées en vignes et en blés, au bas desquelles coule le Clain, possédait alors des murailles peu épaisses, mais bien cimentées et solides, munies de tours et aboutissant à un château triangulaire[29]. Une tour garnit chacun des angles de ce château, et ces tours se défendent l'une l'autre, ce qui dénote que leur écartement était basé sur la portée des armes un avant-mur élevé à l'entrée, percé à merveille et convenablement flanqué, augmentait la difficulté de l'approcher. Sans les hauteurs qui la dominent, la cité, protégée par une rivière et un étang profond, se trouvait ainsi à même d'arrêter une puissante armée ; on avait remédié aux inconvénients de cette position, non-seulement par l'amélioration de l'enceinte et par l'augmentation de la garnison, qui se complétait de six compagnies de fantassins levées exprès et d'un grand nombre de volontaires. Cette garnison fut répartie sur les points dangereux, en beaucoup de postes ; douze corps de garde spéciaux furent créés, et certains quartiers confiés à la vigilance des seigneurs de marque. Enfin, le 22 juillet, deux jours avant l'arrivée de Coligny et les débuts du siège, le duc de Guise se jeta dans la place, accompagné du duc de Mayenne son frère. Ce fut un appui moral ; le futur Balafré visita les murailles, intérieurement et extérieurement ; il fit ainsi un certain nombre de prisonniers dont il apprit avec certitude que, sous peu de jours, les protestants camperaient à la vue des défenseurs. L'amiral, une fois devant la ville, rechercha l'extension de ses quartiers, afin de compenser la difficulté de gravir sur les pentes, qui présentaient à l'attaque des échelons successivement défendus, et dans ce but, lequel devait amener le fractionnement des forces des défenseurs, plaça son infanterie sur les deux rives du Clain, la faisant communiquer d'un bord à l'autre par un pont de cordages. Les chefs protestants occupaient le couvent de Saint-Benoît, la porte Saint-Lazare, le faubourg de Pierre-Levée, tandis que la cavalerie, cantonnée dans les villages, atteignait jusqu'à Crustel, sis à 2 lieues. A peine les postes pris par l'assaillant, Sessac, lieutenant du duc de Guise, sortit avec 120 chevaux et chargea la cavalerie placée dans le village de Marne, la trouva en désordre, la défit, et, dans son retour, assaillit furieusement 200 reîtres aux ordres de Briquemaut, et en laissa 40 sur la place, les autres prenant la fuite. Afin d'empêcher de semblables sorties, l'amiral plaça contre la porte dont Sessac était sorti 2.000 piétons qui se retranchèrent en ce lieu et de là arquebusèrent les défenseurs. Pourtant la garde faite par ces 2.000 hommes ne fut pas telle que la garnison de Saint-Maixent, après avoir abandonné cette place beaucoup trop faible, et fait une étape de 9 lieues en six heures, ne réussit à traverser les retranchements élevés sur ce point par les protestants et à pénétrer, au nombre de 600 combattants, dans la ville de Poitiers, qui reçut de la sorte, par cette tentative hardie, un renfort notable. La porte de Poitiers en avant de laquelle se passèrent ces escarmouches se nommait la porte de la tranchée. Une fois le siège formé, il y eut pour ainsi dire trêve durant les premiers jours. Mais ces engagements reprirent, et les protestants eurent beaucoup de peine à élever une batterie de 14 canons, laquelle ouvrit son feu le ter août, du côté de la porte Saint-Cyprian, dont le ravelin et la tour tombèrent abattus. Un assaut fut donné de ce côté, mais il resta infructueux, la brèche étant défavorable. L'amiral ordonna de diriger les canons de cette batterie d'un autre côté, et de faire brèche à une courtine construite le long de la rivière et aboutissant au lieu dit le Pré-de-l'Abbesse. Le 10 août, la brèche se trouva praticable, et un pont destiné à faciliter l'assaut fut jeté, mi-partie sur des bacs, mi-partie sur des tonneaux. Toutefois, une reconnaissance de la brèche ayant été faite, Coligny, sur le rapport qui lui fut adressé, renonça à combattre dans ces conditions, retira ses troupes, puis commanda de dresser un autre pont plus solide sur le tablier duquel la cavalerie même pût passer. La nuit, un stratagème vint à la traverse de ses desseins : pendant que les assiégés se livraient à des démonstrations hostiles, et que l'artillerie de la place tirait à toute salve, afin de détourner l'attention, un soldat romain[30], accompagné de deux excellents nageurs, se glissa dans l'eau, atteignit le dessous du pont et en coupa les cordages. Les défenseurs profitèrent du répit causé par cet événement pour réparer leur brèche et construire en arrière un nouveau rempart plus solide que le premier ; ce travail, accéléré par la vue du duc de Guise portant lui-même la hotte, fut achevé en peu de temps. Le 18 août, l'amiral, qui avait renforcé sa batterie et construit trois ponts, donna à l'enceinte un nouvel et furieux assaut. Ses soldats s'étaient déjà beaucoup avancés quand on découvrit qu'un cavalier avait été élevé au couvent des Carmes, et que les boulets qui en partaient battaient l'emplacement sur lequel se tenaient les troupes d'assaut ; il fallut abandonner cette tentative qui coûta sept capitaines aux réformés ; dans cette action, la Noue fut blessé au bras gauche, qu'il perdit en partie par suite de cet accident[31]. Les défenseurs furent aussi décimés ; parmi leurs morts on compte un capitaine et leur ingénieur, homme de réputation[32]. Les assiégeants renforcèrent leur batterie de huit couleuvrines et se livrèrent à un dernier effort. Peut-être les murailles n'eussent pas résisté et la ville serait devenue intenable, si les catholiques n'eussent réussi par un barrage à contrarier le courant de la rivière, à l'arrêter presque et à gonfler de la sorte tellement ses eaux, que de, ce côté les mines et les travaux de l'assiégeant furent inondés. Coligny, obligé de changer la direction de ses coups, les reporta sur la tour d'où partait le barrage, espérant pouvoir ainsi atteindre et détruire ce dernier : elle se nommait la tour du Rochereuil. Les protestants réussirent en effet à détruire, sur une soixantaine de pas, le mur d'enceinte, auquel, le capitaine de Piles en tête, un assaut fut donné, ainsi qu'à ladite tour. Cet assaut fut vigoureusement reçu ; les capitaines et seigneurs se portèrent en foule à sa rencontre ; là le duc de Guise fit des prouesses. L'attaque fut renouvelée à la nuit, sans son chef précédent qui était gravement blessé, mais il n'eut pas plus de succès, les assiégés ayant construit d'autres fortifications derrière la brèche. Les chaleurs de l'été avaient déjà occasionné des maladies, et les troupes allemandes perdaient beaucoup de soldats. La plupart des chefs protestants s'étaient éloignés. L'amiral, resté presque seul, quoique affaibli par un flux de sang, persista dans ses intentions, et, le 2 septembre, ordonna un dernier assaut qui dura plusieurs heures et lui coûta, dit-on, sept cents hommes tués ou blessés, tant les assiégés mirent d'ardeur et d'énergie à le repousser. Néanmoins, son opiniâtreté et celle de son armée ne semblèrent pas faiblir. Alors les assiégés s'adressèrent au duc d'Anjou, et lui demandèrent de leur porter secours. Ce cri fut entendu. Déjà la reine avait été avertie que les chefs catholiques se plaignaient de leurs fatigues, qu'il faudrait aux uns de la santé, comme à Tavannes — il souffrait des poumons[33] —, à tous du repos ; elle savait aussi que l'irrégularité de la solde nuisait au maintien de la discipline, et portait les soldats à quitter l'armée ; et ainsi prévenue, elle guettait les événements. L'argent était rare ; il devenait de plus en plus difficile d'en trouver, mais on pouvait envoyer d'autres chefs, sinon pour remplacer les plus fatigués, au moins pour les aider. On tint un conseil royal sous la présidence du roi lui-même, que le duc d'Anjou était venu trouver pour rendre compte de ses- opérations et de sa situation. Le discours par lequel il remplit ce devoir avait été préparé par Tavannes ; il insistait sur la situation critique du duc de Guise dans Poitiers. On ne s'accorda pas dans la première séance, parce que Tavannes émit ce point de vue qu'il ne fallait pas tout sacrifier au désir de secourir Poitiers, et que c'était à force de patience qu'on réduirait les huguenots. Mais, dans un conseil restreint et séparé, le roi déclara sa volonté : il fallait secourir Poitiers. J'y perdrai plutôt mon royaume, dit-il. Alors Tavannes imagina le siège de Châtellerault, qui devait tourner à la honte de l'amiral en cas de succès, et très-probablement le porter à quitter Poitiers[34]. Cette dernière supposition se réalisa. Le 5 septembre, les catholiques atteignirent Ingrande, localité éloignée d'une bonne lieue de Châtellerault ; le lendemain la ville fut reconnue et les logements pris, mais à une certaine distance, les faubourgs ayant été brûlés. Le 7 septembre, déjà une batterie des assiégeants tirait près de la porte Sainte-Catherine et dirigeait des projectiles vers la porte Saint-Jean : le feu dura, chaque jour, de l'aube à 2 heures ; on l'entendait de Poitiers. Malgré les préparatifs des défenseurs, malgré leurs amas de sacs à terre et de fascines pour remparer la brèche, ils savaient du nouvel ingénieur envoyé par l'amiral que ce dernier viendrait à leur secours, avec toute son armée, dès que le danger apparaîtrait pour eux. Et en effet, aussitôt la canonnade commencée, le camp protestant retira son canon et quitta Poitiers (15 septembre) ; à ce moment même, un puissant renfort catholique pénétrait dans la ville. L'approche de l'armée ennemie n'empêcha pas les royalistes de donner un assaut à Châtellerault, dès que la brèche fut jugée praticable. Là, rapporte le Frère, il y eut quelque différend entre les fantassins françois et italiens, chacun desirant auoir la pointe[35] sur l'autre nation, comme est surtout coustumier le François, qui ne veut estre secondé par quelque nation qui se puisse presenter, soit en assaut, soit en bataille. Les Italiens quereloient cest auantage, considéré mesmement, que pour estre venus de si Loing, ils auoient tant enduré pour soustenir le party des catholiques. En fin le sort vuida ce différend, et. tomba la faveur sur les Italiens ; avec les quels se ioignirent plusieurs braues, et signalez cavalliers de leur nation, secondez par quelques trouppes d'arquebusiers et piquiers françois, qui asseuroient toute l'armée d'emporter la ville du premier assaut. Tous marchoient fort bravement, et d'vne asseurance grande iusques dedans la bresche, faisant pleuuoir vue infinité d'arquebuzades, les quelles ne portèrent comme point, pour ce que personne ne s'y presents. Une fois dans la brèche et fiers déjà d'y avoir planté quinze enseignes, ces Italiens souffrirent beaucoup des feux de mousqueterie de la défense, parce que les assiégés avaient eu soin de garnir la plate-forme couronnant. cette trouée de barricades et en outre de créneler les maisons voisines, en sorte que force protestants, et les plus adroits, se trouvaient embusqués derrière ces obstacles : en outre, ces protestants sortirent parfois de leurs gabionnades, en sorte que les bandes italiennes furent décimées ; fort peu revinrent de cette action sans blessure, et pareilles blessures devenaient mauvaises, vu que les balles employées par leurs adversaires étaient, assure-t-on, empoisonnées. Les Français catholiques qui marchaient en queue firent leur possible pour soutenir les Italiens, mais sans grand succès. Le lendemain, 8 septembre, Tavannes apprend l'arrivée de l'armée protestante, commandée par l'amiral, sur les bords de la Vienne : aussitôt il replie son artillerie, ses assiégeants, ses bagages, et de fait, après l'insuccès des Italiens, c'est ce qu'il y avait de mieux à faire. Le duc d'Anjou, croyant les fols, c'est-à-dire les jeunes, les téméraires, ceux dont son mentor se plaignait souvent, car il était pour la fougue uniquement sur le champ de bataille et à point nommé, quand son emploi pouvait devenir favorable, le duc d'Anjou, disons-nous, voulut s'arrêter 2 lieues plus loin et y coucher, mais Tavannes le rabroua par ces mots : Demeurez si vous voulez ; je m'en vay avec ceux qui aiment le salut de la France. Dans deux heures vous aurez l'ennemi sur les bras. Monsieur — on nommait ainsi le prince — se résignait assez aux avis de Tavannes, malgré leur brusquerie[36] ; il deslogea fasché, mais délogea et suivit l'armée entraînée par Tavannes ; les catholiques vinrent passer la Creuse au port de Piles, près de son confluent avec la Vienne, et garnirent si bien ce point de passage d'arquebusiers et de chevau-légers que l'amiral se vit obligé de venir à Laselle — Jean de Tavannes dit Selle —, position défendue par la rivière, des marais et les retranchements du bourg. Mais ne trouvant pas son adversaire disposé à combattre, il se rendit à Faye-la-Vineuse. Cette temporisation et aussi l'échec de Poitiers, les maladies et la famine, diminuaient l'armée protestante ; beaucoup de volontaires la quittaient. Aussi dès que les catholiques s'approchent, il s'éloigne et gagne le bas Poitou ; l'ardeur qu'il remarque chez l'ennemi le fait hésiter ; acceptera-t-il on non la bataille ? Tavannes, devin ordinaire par son entendement[37], suivant l'expression de son fils, marche à l'ennemi et cherche à lui couper les chemins, aussitôt qu'il remarque combien cela contrarie ses projets. Il le rencontre enfin et le surprend non loin de Moncontour, l'attaque et lui tue trois cents hommes ; résiste peu, gagne du temps et change de position à la nuit. Tavannes cherche à gagner la source d'un ruisseau, afin de couper la retraite aux huguenots, qui se décident à ne plus refuser la bataille. On arrive ainsi sur la rive gauche de la Dive, dans la plaine vulgairement dite de Moncontour, c'est-à-dire dans le lieu où se livra l'action. Les catholiques disposent de 16.000 fantassins, 8.000 chevaux, 15 canons ; les huguenots ont un millier de chevaux et 4 canons de moins. Si ces chiffres, empruntés aux Mémoires de Gaspard de Tavannes, sont vrais, la différence entre les deux armées était minime, et les renforts souvent cités comme récemment reçus par le duc d'Anjou se bornaient presque au résultat de l'égalisation des deux armées ; il faut donc surtout les considérer comme ayant doté les catholiques de troupes fraîches, tandis que les protestants se trouvaient fatigués, mal approvisionnés, malades. Les armées sont si bien égales que Tavannes, qui sera ici, comme à Jarnac, le principal acteur, pense que son armée sera, homme pour homme, plus forte que celle de ses adversaires, à cause de la noblesse catholique ; et il en est d'avis parce que l'on va combattre en plaine, terrain propice à la cavalerie. Dès qu'il a su que les huguenots faisaient halte à Airvault pour y passer le Thouet et atteindre la plaine de Moncontour, il a été les reconnaître sur un cheval d'Espagne emprunté au duc d'Anjou, a remarqué combien leurs escadrons marchaient avec décousu, combien aussi les piques des lansquenets se choquaient entre elles, et les a jugés en peur ; aussi, de retour, il donne bon espoir aux siens. Avouez que si tout cela provient d'une feinte, elle est vraiment bien jouée et digne d'un grand capitaine. Cet espoir fait adopter pour mot de ralliement : Marchons au nom de Dieu ! expressions dont il se sert en l'annonçant. Il arrive par la route d'Assais, étend sa gauche afin de barrer le chemin d'Airvault, et ne forme qu'une ligne, mais en ayant soin de se constituer une réserve. Les protestants sont également sur une seule ligne. Tavannes, par un souvenir de Jarnac et du sort du connétable, ne laisse pas son avant-garde charger trop tôt. Il lui permet seulement de partir quand déjà la canonnade a commencé l'action[38]. L'infanterie suit les escadrons, et la lutte de cavalerie dégénère bientôt en mêlée générale. Le duc d'Anjou court des dangers et a un cheval tué sous lui[39] ; Coligny est blessé à la mâchoire. A ce moment les Suisses, placés an centre des catholiques et un peu en avant de leur front, donnent vigoureusement et percent tout, protégés qu'ils sont par le feu d'arquebusiers postés sur le côté et abrités derrière des chariots. Voyant ce succès, Tavannes ébranle sa réserve, qui enfonce aisément les cavaliers huguenots dénués de lance et rangés sur un seul rang. Battus à l'avant-garde, enfoncés sur le centre et culbutés par la réserve, les protestants fuient sur la route de Parthenay et sont poursuivis durant 2 lieues jusqu'à Airvault : la nuit favorise leur retraite. Dans cette bataille, tout dépend de la prévoyance de Tavannes ; il n'attaque pas trop tôt, se procure un appui de flanc par des arquebusiers postés derrière une ligne de chariots, et emploie une réserve ; aussi la lutte dura-t-elle une demi-heure après la canonnade et ne fut-elle guère douteuse (3 octobre 1569). Cependant l'un des pages de l'amiral — on nommait ainsi par moquerie les deux princes chefs du parti protestant —, le prince de Béarn, avait saisi un instant favorable, lors de la lutte des deux avant-gardes, et, voyant les siens obtenir momentanément la supériorité, s'était écrié en chargeant : Donnons ! donnons ! voilà le point de la victoire, déjà ils branlent. Mais on ne suivit pas son avis, et son signal fut non avenu. Sauf cet incident, la victoire demeura entière aux catholiques. Des cieux côtés, un grand courage fut déployé, et les capitaines coururent les mêmes dangers que les soldats ; les témoignages des contemporains sont unanimes et formels à ce sujet. Le chiffre élevé des chefs blessés ou prisonniers[40] le prouve surabondamment. Quant au nombre des soldats tués, Davila l'estime à 10.000 du côté des protestants ; le chiffre paraît exagéré pour une bataille qui a duré si peu de temps, quoique, par un souvenir du combat de la Roche-Abeille, les Suisses se soient montrés impitoyables vis-à-vis des Allemands ; on peut le réduire à 5.0500 d'après Castelnau, qui était présent à la bataille. Cet. exact écrivain se prononce d'une façon indécise au sujet de la perte des catholiques : Le duc d'Anjou, dit-il, perdit peu d'infanterie, mais de sa cavalerie plus de cinq cens. Le vainqueur resta maître du champ de bataille, de 200 drapeaux[41], de 900 charrettes de vivres, des bagages et de l'artillerie ennemie, mais il ne coucha pas sur le lieu du combat, et alla loger le soir même à Saint-Genez. De là un officier fut dirigé sur Tours et envoyé au roi pour lui apprendre le succès de son armée ; ce fut Albert de Gondy, comte de Retz, l'un des Florentins venus à la suite de la reine mère, qui apporta la bonne nouvelle ; la cour se réjouit, et avis en fut donné sans délai au Saint-Père et aux monarques catholiques de l'Europe. Les chefs protestants retirés à Parthenay se trouvèrent dans une situation critique. Comment ne pas se sentir découragés en se voyant cantonnés en un coin du royaume, dénués d'argent, presque d'amis, n'ayant pour eux que l'espérance d'un revirement ? L'amiral, malgré sa blessure, sa joue percée, ses quatre dents cassées, eut l'énergie de rassurer les esprits, de montrer les ressources qui restaient, de conseiller la temporisation. Après son discours, on dépêcha des envoyés en Allemagne et en Angleterre, à l'effet de réclamer des secours, et l'on résolut de s'en tenir aux places de la Rochelle, de Saint-Jean-d'Angély et d'Angoulême, assez fortes pour être défendues et suffisantes pour leur permettre d'attendre un sort plus favorable, d'y. laisser de solides garnisons et de se retirer dans les montagnes de la Gascogne, de l'Auvergne, du Languedoc, vers Montgommery, un des leurs, qui semblait prédestiné à relever leur parti, et vers le maréchal de Damville, dont les opinions catholiques s'effondraient, et qui nourrissait de grandes inclinations vers le parti protestant, dont il entrevoyait pouvoir devenir le chef après Coligny. Les princes et l'amiral marchèrent donc vers Niort, y laissèrent Movy et les fantassins échappés au désastre de Moncontour ; puis, accompagnés de 100 cavaliers seulement, ils s'éloignèrent rapidement. Les leurs se débandèrent, puis atteignirent la Rochelle fort amoindris. Ils y laissèrent le comte de la Rochefoucauld et la Noue — ce dernier, mal gardé, venait de s'échapper —, et, confiants dans Piles, placé à Saint-Jean-d'Angély, et dans le sieur de Pontivy, chargé du commandement d'Angoulême, prirent le chemin de Montauban. Après s'être emparé de Parthenay, Châtellerault et Saint-Maixent, le duc d'Anjou posa le siège devant Niort ; Movy, gouverneur de cette cité, ayant été tué par un des siens, pendant la rentrée d'une sortie, la reddition ne se fit pas attendre. Saintes, Cognac et les autres places suivirent cet exemple ; il ne resta aux protestants que les trois villes récemment pourvues par eux, à savoir : la Rochelle, Saint-Jean-d'Angély et Angoulême. Le roi, la reine mère vinrent à l'armée, effectuèrent à Niort une entrée victorieuse, tinrent dans cette ville conseil de guerre. On proposa dans ce conseil de poursuivre les princes avec l'armée royale triomphante depuis un an ; mais la pensée que la France se trouvait troublée sur tous les points fit préférer de conserver une position centrale pour le gros des forces, et de confier la poursuite de l'amiral au maréchal de Damville et à Montluc. En conséquence, le duc d'Anjou parut devant Saint-Jean-d'Angély, ville située sur la Boutonne et la deuxième en importance de la Saintonge, que Piles remit après une vaillante défense riche de quarante-six jours de durée ; Charles IX fut présent à ce siège et y déploya de l'activité et du courage, mais sans prendre lui-même le commandement. L'armée royale tourna dès lors ses vues vers la Rochelle, mais sous les ordres du prince-Dauphin, fils du duc de Montpensier, le généralissime étant tombé malade par suite de fatigues, et s'étant retiré avec la famille royale dans Angers, à la fin de s'y reposer et de s'y guérir (1er janvier 1570). Son éloignement de l'armée donnait-il de l'espoir et du courage aux protestants ? toujours est-il que bientôt leurs affaires prirent meilleure tournure en Saintonge, en Aunis et dans le bas Poitou, en un mot sur l'échiquier même du théâtre principal de la guerre depuis la reprise des hostilités. Déjà le siège de Saint-Jean-d'Angély, par ses difficultés, avait désorganisé et affaibli l'armée catholique ; les Italiens voulaient se retirer. Cependant, après plusieurs succès partiels et l'occupation des îles de Saintonge — sauf l'île de Ré, encore défendue par les réformés —, la Rochelle se trouva bloquée par terre et par mer ; on augmenta la fermeture de ce dernier côté au moyen d'une croisière exécutée par le capitaine Landereau, devenu, en récompense de ses services, vice-amiral du Poitou, et par le fameux baron de la Garde. Les effets de cette croisière furent arrêtés par l'arrivée de la Noue, qui fit embusquer des soldats près de Tonnay-Charente, et s'empara de la sorte d'une des galères remontées jusque-là ; les autres galères lui échappèrent ; il en profita pour se livrer à des opérations plus importantes, surprit la garnison de Marans, s'empara de Luçon, de Mareuil, et, attaquant les Sables d'Olonne par terre et par mer, y entra, massacra les 400 hommes qui occupaient cette ville, et prit à la fois 4 navires et Landereau lui-même[42]. Comme cette place se trouvait éloignée des autres postes protestants, son château et ses retranchements furent rasés et abandonnés. Sur ces entrefaites, Puy-Gaillard reparut à la tête de 4.000 catholiques, reprit Luçon et d'autres postes. Ces attaques entraînèrent des rencontres ; tout fut sanglant, et comme les forces augmentèrent avec la fin des froids du premier trimestre de l'année 1570, le carnage s'effectua de part et d'autre sur une grande échelle. Une tentative de ce corps catholique sur Tonnay-Charente échoua ; la Noue, ce résultat obtenu, se porta contre un fort récemment bâti devant Luçon. Là les catholiques espéraient le surprendre, mais il parvint à ranger ses troupes avant eux, à les charger brusquement ; les officiers catholiques, jaloux de Puy-Gaillard, devenu leur chef de son état premier de simple gentilhomme, ne soutinrent pas leurs soldats étonnés ; ce fut une panique ; l'infanterie abandonnée, malgré ses tirailleurs habilement postés, fut culbutée, et laissa 500 tués et 800 prisonniers. A la suite de ce succès, la Noue s'empara de Fontenai ; il eut encore le bras gauche cassé dans cette affaire, et cette fois il fallut le lui couper. Pendant ce temps, l'armée des princes avait atteint Montauban, dans un état pitoyable ; sans la mésintelligence de Damville et de Montluc, sa jonction avec Montgommery devenait impossible. Ce dernier occupait Condom, de l'autre côté de la Garonne. Après avoir ravagé les rives de ce fleuve, de Toulouse à Agen, et cela pour nourrir leurs reîtres qu'ils étaient dans l'impossibilité de payer, ils vinrent à Port-Sainte-Marie[43], en aval d'Agen, et là construisirent un pont, sans se priver de courses jusque dans le Bordelais. Montluc, réfugié dans Agen, réconforta les habitants et se tint prêt à supporter un siège ; on n'osa l'attaquer. Toujours est-il qu'il jugeait le pont de Sainte-Marie dangereux, d'autant qu'on le perfectionnait et consolidait chaque jour ; un soir, il prit sur lui de faire détacher un moulin, celui appartenant au président Sevin, qui venait d'abandonner la ville, et ce moulin, venant choquer fortement les bateaux du pont, les enleva, quoique solidement amarrés, et détruisit ce point de passage, malgré les huit canons et le millier d'arquebusiers qui le gardaient. Ce grand résultat fut acclamé dans la ville de Bordeaux, quand un petit bateau poussé par 7 rameurs, et envoyé par Montluc à son frère l'évêque de Valence, en apporta la nouvelle ; ce dernier expédia sur-le-champ un courrier à la cour, mais cela ne para nullement le mal que le dire de ses ennemis avait fait auprès de Charles IX à Blaise de Montluc, car il fut incontinent séparé du maréchal de Damville et envoyé en Béarn, presque sans moyen d'action. Froissé légitimement, il eut cependant le mérite fort louable, et des plus désintéressés, de suppléer à l'ingratitude de la cour ; il emprunta, se fit suivre de la noblesse qui aimait son caractère fougueux et gai, et alla mettre le siège devant Rabasteins, place de Bigorre. Chacun étant découragé, il fit merveille, ranima les cœurs, planta son artillerie avec talent et ouvrit une brèche suffisante. Au premier assaut, son fils Fabien fut blessé au menton. Il mena lui-même le second, non sans quelque pressentiment, mais bravement inspiré, s'écriant : Mes amis les gentilshommes, il n'y a combat que de noblesse... nous ne saurions choisir mort plus honorable. Monsieur de Gobas, nous allons combattre ensemble : si je suis tué ou blessé, ne vous en inquiétez pas et poussez outre. Comme il luttait contre des barricades sises dans la brèche, il reçoit une arquebusade en plein visage ; le sang lui sort par toutes les issues de la tête, mais lui, futur maréchal, se montre au-dessus des circonstances : Au combat ! dit-il aux siens ; je n'ai point de mal ; suivez. La douleur le force enfin à s'éloigner : Je m'en vais me faire panser, avoue-t-il ; vengez-moi si vous m'aimez. Arrivé à son logis, on lui arrache les os des joues et on lui coupe en partie les chairs du visage. Durant ce temps, les siens sont vainqueurs et passent la garnison au fil de l'épée. Les opérations de Montluc arrêtèrent les progrès des protestants. Ne pouvant plus songer à s'emparer de Bordeaux et ne trouvant plus à vivre dans cette province, ils durent gagner Nîmes et de là le Dauphiné ; c'était se rapprocher de la frontière et tendre la main aux renforts étrangers, s'il devait leur en arriver. Cette longue marche ne fut pas exempte de combat. L'amiral, après quelques jours de maladie, rejoignit les siens, remonta jusqu'au Beaujolais, pénétra dans la Bourgogne et se saisit d'Arnai-le-Duc. Une armée royale, commandée par le maréchal de Cossé, ne tarda pas à paraître vers ce point ; elle comprenait 10.000 fantassins et 3.000 ou 4.000 chevaux. Le lent Cossé laissa ses adversaires prendre une position avantageuse, sur une colline située devant la ville ; des chemins creux coupaient cette colline, et deux étangs joints par un ruisseau occupaient la vallée qui se trouvait en bas. L'amiral posta 400 arquebusiers contre la digue de l'étang le plus voisin de ses troupes, et occupa de la même façon un moulin plus rapproché de la cité. Sa cavalerie formait 6 escadrons à rangs épais, le prince de Navarre dirigeant l'escadron le plus avancé. Une position défensive si habilement prise indiquait un grand tact militaire et permettait de résister à des forces quadruples et à du canon. Après avoir commis la faute de la laisser à l'ennemi, le maréchal de Cossé comprit qu'on ne la quitterait pas dans le but de venir l'attaquer, et attaqua lui-même. En escarmouchant et en traversant le ruisseau, ses enfants perdus furent repoussés. Son détachement, lancé contre la chaussée ou digue de l'étang, reçut un feu terrible de mousqueterie et une charge de cavalerie. Le poste du moulin soutint aussi bravement le choc ; appuyé à temps, il poursuivit les catholiques repoussés, et une action générale allait s'engager, quand Coligny, par prudence et vu le petit nombre dés siens, prescrivit de s'arrêter. Cette série de combats dura sept heures et coûta de part et d'autre bien du monde. Le lendemain, il sembla un instant que la lutte allait recommencer ; mais le maréchal, désespéré de voir les réformés si invariablement postés, les salua d'une canonnade et se retira. Telle fut l'affaire d'Arnay-le-Duc. Ce fut la dernière de cette troisième guerre civile. Déjà l'on négociait, et ce fait mérite d'autant mieux d'être remarqué que la tête de l'amiral avait été mise à prix avant la journée de Moncontour, par un arrêt du parlement de Paris et pour crime de lèse-majesté, moyennant la somme de 50.000 écus. Dès cette victoire, Castelnau avait été envoyé auprès de la reine de Navarre par Catherine de Médicis ; cette dernière offrait des conditions honnestes aux protestants, lorsque, comme bons et fidèles sujets, s'estant mis à leur devoir, ils voudroient entrer en quelque demande et requeste raisonnable. Jeanne d'Albret répondait : qu'elle avoit, et tous ceux de sa religion, beaucoup de sujets de se défier d'aucuns du conseil, des quels elle disoit l'intention estre bien éloignée de la paix. Néanmoins, et malgré la connaissance par les réformés des négociations de la cour, ou tout au moins du cardinal de Lorraine et de ses partisans, avec le pape et le duc d'Albe, en vue de mieux abattre leur parti, les négociations continuèrent, et bientôt le maréchal Cossé fut chargé de les poursuivre et d'examiner les sûretés désirées. Le point principal des négociations porta sur le nombre de places de sûreté accordées aux réformés. Catherine de Médicis consentait à deux[44], à condition qu'elle entretiendrait dans chacune d'elles un gouverneur auquel ils seraient tenus d'obéir, sauf en ce qui concerne la religion, pour laquelle ils jouiraient d'une liberté entière. La reine mère exigeait en même temps la remise de toutes les autres places en leur pouvoir, le licenciement de leurs troupes et la rentrée des chefs chez eux. Malgré les témoignages d'affection qu'elle prodigua aux négociateurs, les protestants demeuraient en défiance, ne sachant si cette amabilité ne cachait un piège ou un funeste projet pour l'avenir. D'ailleurs Charles IX cherchait à prendre plus d'autorité par lui-même, et une partie des courtisans lui attribuait l'intention de faire la paix quand même, malgré sa mère, malgré son conseil, et l'on disait que déjà il désignait le traité à intervenir sous le nom caractéristique de sa paix. Sa dissimulation naturelle, excitée par les soucis et les difficultés qui abreuvaient sa situation royale, cachait-elle le même projet que chez la reine mère, ou bien ce monarque de vingt ans voulait-il eu réalité s'affranchir de tutelle et chercher à gouverner par lui-même ? 11 en eut la velléité, dont les diplomates protestants profitèrent pour lui promettre la prompte visite des princes, si les Guises étaient éloignés de la cour. Ces diplomates adressèrent également au roi d'autres demandes, par exemple le rappel de Michel de l'Hôpital aux affaires ; ils désiraient deviner ses intentions d'après ses réponses. Mais déjà Charles IX, reconquis par sa mère, reprenait un rôle moins accusé : il refusa l'éloignement des Lorrains, au moins pour l'instant, déclara l'Hôpital trop âgé, laissa difficilement l'administration du comté d'Armagnac entièrement libre à la reine de Navarre, enfin gagna du temps sur la question de conserver le gouvernement de la Guyenne au marquis de Villars. La paix fut signée à Saint-Germain en Laye le 5 août 1570. Elle défendait l'exercice de la religion réformée à la cour et dans un rayon de 2 lieues autour de sa résidence, mais elle accordait quatre places de sûreté. Au mois de novembre suivant, Charles IX se rendit à Mézières, où le 26 son mariage fut célébré avec Elisabeth d'Autriche, fille de l'empereur Maximilien. Huit ans auparavant, le maréchal de Vieilleville, notre ambassadeur à Vienne, avait proposé, comme nous l'avons dit précédemment, cette union à l'empereur existant, oncle de la future reine de France. Cette ouverture avait été bien prise ; ce projet dura jusqu'en 1570, à cause de l'opposition de l'Espagne qui craignait une alliance trop intime entre les souverains de la France et la branche allemande de la maison d'Autriche. Il fut repris dans l'intervalle, nous en possédons un témoignage irrécusable. Melvil nous rapporte en effet : La régente songea alors tout de bon à marier Charles IX avec la fille de Maximilien. Elle s'adressa à l'électeur palatin, à qui elle députa un de ses secrétaires nommé Villot pour le prier de mettre cette affaire sur le tapis. Cette princesse, qui ne voulait pas faire inutilement les premières démarches, crut devoir pressentir auparavant l'empereur sur ce mariage. Elle pria donc l'électeur d'en porter les premières paroles à Maximilien, comme de son propre mouvement, et d'envoyer en France le portrait de sa fille, s'il pouvait l'avoir. L'électeur s'employa pour cette affaire avec beaucoup de chaleur. Il me députa en France pour en rendre compte à la régente et pour lui porter le portrait de la princesse. Les deux époux firent leur entrée solennelle à Paris le mardi 6 mars[45]. Un deuxième mariage, celui de la princesse Marguerite, sœur du roi, avec le prince de Béarn, signala l'année 1571. Charles IX le désirait, suivant plusieurs auteurs[46], pour mieux attirer les protestants à sa cour ; il profita d'observations relatives au dernier édit de pacification pour envoyer le maréchal de Cossé à la Rochelle et porter à la reine de Navarre les premières propositions. La princesse était belle et aimable ; ses frères, à en croire plus d'un bruit, ne le savaient que trop. Cela n'engageait guère Henri de Béarn, instruit d'ailleurs de la préférence de Marguerite pour le duc de Guise. Néanmoins, le parti des réformés trouvait tant d'avantages dans cette union, désirée par Coligny avant la paix de Saint-Germain, et dont le projet, si nous ajoutons foi à Claude Haton, contribua tant à cette pacification, car il constituait pour elle un véritable gage, qu'elle fut acceptée et Biron envoyé au roi. Bientôt même la reine de Navarre consentit, malgré sa répugnance, à se rendre à Paris pour les préparatifs des noces, au milieu de ces Parisiens, si hostiles à la huguenoterie. Charles IX, satisfait, voulut également attirer l'amiral ; ce fut difficile, mais le bruit d'une guerre possible avec l'Espagne, au sujet des Pays-Bas, dont une partie reviendrait sans doute à la France victorieuse[47], et l'annonce que le commandement de cette expédition lui serait confié, déterminèrent cet esprit clairvoyant[48], malgré le peu de propension de la reine mère pour cette guerre[49] ; il fut d'ailleurs admirablement reçu et comblé de grâces. Le mariage eut lieu le 18 août : est-il vrai que la princesse ne prononça pas le fameux oui, et qu'un mouvement de tête, occasionné par son frère qui la poussa, tint lieu de son consentement ? toujours est-il qu'elle fut mariée[50]. Les fêtes qui suivirent se distinguèrent par leur magnificence et firent oublier aux protestants qu'ils avaient vu appendus à Notre-Dame, pendant la cérémonie du mariage, les drapeaux conquis sur eux. Un événement vint attrister ce milieu. Le vendredi 22 août, en sortant du jeu de paume du roi, l'amiral, en train de lire une requête, reçut d'une fenêtre un coup de feu qui lui enleva le second doigt[51] de la main droite et le blessa au bras gauche[52]. Le coupable se nommait Charles de Louviers, sieur de Maurevel ; il parvint à s'enfuir quoique poursuivi, et même serré de fort près, par Saint-Auban, l'un des seigneurs qui se trouvaient auprès de Coligny lorsqu'il fut blessé[53]. Le roi Charles, raconte la nouvelle mariée dans ses mémoires, se doublant bien que le dict Maurevert avoit fait ce coup à la suscitation de monsieur de Guise, son père, que le dit amiral avoit fait tuer de même façon par Poltrot, il en fust en si grande colère contre monsieur de Guise, qu'il jura qu'il en feroit justice. Et, si monsieur de Guise ne se fust tenu caché tout ce jour-là le roy l'eust faict prendre. Charles IX, qui avait d'abord fait adopter quelques mesures défensives au Louvre, en sortit quand il sut que cette tentative d'assassinat ne mettait pas les armes aux nains des protestants, alla rendre visite au blessé, et lui promit une vengeance dont il serait satisfait. Les deux mariages et l'intention meurtrière dont nous venons de parler ne furent pas les seuls événements qui remplirent les temps écoulés depuis la paix de Saint-Germain jusqu'à la Saint-Barthélemy. La reine de Navarre était morte avant le mariage de son fils, non sans soupçon de poison. Les préparatifs pour l'expédition de Flandre continuaient ; le maréchal de Montmorency en Angleterre, et le comte de Schomberg en Allemagne, recherchaient des alliances pour cette éventualité, tandis que l'amiral se rendait à Châtillon, de l'aveu du roi, pour y régler ses affaires domestiques avant de partir sur nos frontières et d'entreprendre cette guerre, qui plaisait à ses vues politiques, et dont la poursuite avait failli le brouiller avec le maréchal de Tavannes. La faveur de Coligny se maintenait ; Charles IX lui accordait toutes ses demandes. ll en profita pour faire gracier plusieurs de ses coreligionnaires et attirer sur les protestants de la Savoie, vis-à-vis du duc Emmanuel, la protection du roi de France. Il essaya de rétablir une certaine organisation parmi les forces militaires de la France, organisation dont nous essayerons de donner une idée dans l'un des derniers chapitres de cette histoire. |
[1] Dans la guerre de Sept ans, Frédéric oublia encore ce précepte, ce qui faillit le compromettre, notamment à Kollin (1757) ; il est vrai qu'il comptait sur la qualité manœuvrière de ses troupes.
[2] Relation de la bataille de Jarnac dans les Mémoires de Gaspard de Tavannes, collection Petitot, t. III. p. 64.
[3] Ce verglas dura quatre jours, et plus de 400 gentilshommes s'y blessèrent. Un critique remarquerait que dans ce fait tout procède par le chiffre 4 ; c'est ainsi que commencent les légendes historiques.
[4] C'est-à dire vers les sources de cette rivière.
[5] Tirez une ligne droite de Verteuil à Confolens, elle passera à très-peu près par Champagne : il s'agit de Champagne-Blanzac, dans les environs de Cognac.
[6] Il avait depuis un certain temps déjà parlé dans ce sens : Le sieur de Tavannes quoy qu'envié, prophétise la bataille dans 15 jours ; ses ennemis s'en mocquent. Il déclare le secret à M. d'Anjou. Mémoires de Gaspard de Tavannes, collection Petitot, t. III, p. 40.
[7] Le sieur de la Bordaisière.
[8] C'est celui des Autrichiens à Essling (1809).
[9] Ne confondez pas le fameux de la Noue dont nous avons esquissé le portrait en un livre de notre jeunesse (1853), avec le seigneur de la Loue ; tous deux appartiennent au parti protestant, tous deux combattaient à Jarnac, tous deux devinrent prisonniers ; la Loue évita la mort en se faisant passer pour la Briche, enseigne de Martigues ; la Noue fut échangé contre un lieutenant du duc de Guise.
[10] Le Frère les désigne ici par l'épithète de croisés.
[11] Le sieur de la Valette commandait cette pointe.
[12] Montesquiou.
[13] L'infanterie huguenote était trop éparpillée le long de la rivière, faute capitale et sur laquelle l'attention des guerriers a été maintes fois depuis appelée par des faits saillants de l'histoire des guerres.
[14] Le cadavre fut ensuite remis au duc de Longueville, et le prince de Navarre le fit ensevelir à Vendôme.
[15] Davila et le Frère le disent tous deux.
[16] Livre VII, chapitre VI.
[17] Le combat amène une décision, et tous les généraux heureux ont employé ce moyeu pour compléter leur œuvre. Voyez la page 91 de nos Commentaires sur Clausewitz.
[18] Des contemporains écrivent la Roche-la-Belle et la Roche-Veille ; beaucoup de cartes portent aujourd'hui la Roche-l'Abeille.
[19] Les Italiens ont joué un grand rôle sous les trois règnes des fils de Catherine de Médicis, et l'histoire montrera peut-être un jour que leur influence a été alors funeste, principalement en faisant agir la cour en dehors du caractère français, et en nous apportant des vices de plus.
[20] Henri de Navarre accomplit ses premières armes dans ce combat.
[21] 3.000 fantassins et 1.200 chevaux.
[22] L'un s'appelait chasse-messe.
[23] Rondache ou bouclier.
[24] Vraye histoire des troubles et guerres civiles, par LE FRÈRE, t. I, verso du folio 361.
[25] Il était de Laval. Peut-être était-ce lui qui commandait en 1563 une compagnie d'arquebusiers à cheval, comme nous l'avons indiqué à la page 41 du mémoire intitulé : l'Art militaire pendant les guerres de religion.
[26] Sur l'Yonne qui l'entourait de trois côtés, et non sur la Cure, comme le dit le Frère ; le fossé du quatrième côté pouvait recevoir les eaux de la rivière.
[27] On alla jusqu'à griller et même manger le cœur d'un guerrier connu sous le nom de Cœur de Roi ; c'est la Noue qui fournit ce détail, et de Thou le confirme.
[28] L'artillerie seule manquait, neuf pièces à peine figurant sur les fortifications de la ville ; la poudre était en petite quantité ; quant à la farine, pour l'avoir plus fraiche, on avait échangé celle des magasins contre le blé récolté cette année même par les habitants.
[29] Cette forme se présente rarement en fortification, soit dans les temps anciens, soit dans les temps modernes ; en effet, elle étrangle trop l'espace intérieur.
[30] Amené par le comte de Santafior ; il se nommait Blaise Capicucci.
[31] Et d'une autre blessure reçue plus tard au siège de Fontenay en 1570 de là son bras de fer et son surnom.
[32] Il se nommait Cerason.
[33] Tavannes mourut d'une pleurésie.
[34] Sept grandes lieues séparent Châtellerault et Poitiers.
[35] La tête de la colonne d'assaut, c'est-à-dire le premier rang au combat. le poste le plus dangereux.
[36] En cas de dissentiment, Tavannes devait avoir le commandement (à lui secrètement déféré), son propos l'indigne.
[37] Ce trait nous montre Tavannes utilisant adroitement le moindre symptôme, comme nous l'avons fait voir dans le mémoire sur l'Art des indices.
[38] Le P. Daniel assure que cette canonnade dura quatre heures, sans qu'on en vint aux mains, jusqu'à 2 heures après midi.
[39] Le marquis de Villars le releva.
[40] La Noue, toujours malheureux, Biancon et d'Acier comptent parmi les prisonniers.
[41] Vingt-six de ces drapeaux furent remis aux troupes italiennes et envoyés par elles à Rome.
[42] Cet amiral eût été mis à mort par les calvinistes, si le roi n'avait pro mis de traiter le baron de Real, prisonnier, absolument comme il serait traité à la Rochelle.
[43] De Port-Sainte-Marie à Condom, le chemin de fer projeté, qui suit la vallée de la Bayse, compte aujourd'hui 39 kilomètres.
[44] Dernier chapitre des Mémoires de Michel de Castelnau.
[45] Pierre Bosquet a publié en 1572 même, chez Olivier Codore, à Paris, un Bref sommaire recueil de cette entrée, qui est un des beaux livres de l'époque.
[46] Par exemple Davila.
[47] Si Guillaume le Taciturne ne prêta pas la main à ce projet de partage, son frère Louis de Nassau, régent de la principauté d'Orange, récemment rendue par Charles IX, et l'un des appuis du parti protestant en France, s'en fit l'instigateur dans les conférences de Lumigny (en Brie). Lisez à ce sujet Essai sur les projets de partage des Pays-Bas, par TH. JUSTE, Bruxelles, 1856, p. 33 et suivantes. Charles IX rendit encore d'autres services à la famille de Nassau relativement à la principauté d'Orange ; une lettre à lui adressée, le 10 mai 1571, par Guillaume le Taciturne, en fournit la preuve.
[48] Montluc le blâme de cette démarche et assure que ce fut une faute qui lui coûta la vie.
[49] Catherine avait d'abord approuvé ce projet ; la crainte de déplaire à Philippe II, qui convoitait la Toscane, l'en détourna ; alors, comme au début de la négociation, son fils se cacha d'elle et dirigea seul cette affaire, ayant pris pour secrétaire le sieur de Sauve, auquel il fit defence d'en parler à homme vivant, non pas mesure à la Roine, à peine de lui donner de la dague dans la gorge. Cependant de Sauve révéla tout à la reine mère (voyez notre chapitre sur les Causes de la Saint-Barthélemy), et obtint néanmoins son pardon.
[50] Elle assista seule à la messe de mariage, son époux s'étant retiré la cérémonie de l'anneau parachevée par le cardinal de Bourbon.
[51] Si nous en croyons d'Aubigné (Histoire universelle, tome II, in-folio, 1618, chap. Ier), Ambroise Paré se reprit à trois fois en coupant le doigt blessé dans lequel il avait reconnu un commencement de gangrène : cet auteur nomme le doigt perdu le grand doigt de la main droite ; c'est bien en effet le second doigt après le pouce qui fut atteint.
[52] C'était une funeste année pour Coligny. A la fin de mai, il avait été saisi à Saint-Etienne d'une fièvre telle que Baudichon, célèbre médecin du temps, l'avait saigné ‘trois fois’ le même jour. Son énergie morale survivait néanmoins.
[53] Reportez-vous aux mémoires de Jacques Pape, seigneur de Saint-Auban, mémoires très-courts qui parlent de cet événement, puis des années 1586 et 1587.