La déclaration du 17 janvier 1562 défendait aux protestants d'injurier les catholiques, et, précédemment, nous avons vu la recommandation de ne pas s'invectiver faite aux deux partis, défense et recommandation nécessaires, car on était irrité de part et d'autre, car on ne se ménageait ni les épithètes, ni les allusions, et cela dura longtemps encore, témoin ce passage de l'épître dédicatoire d'un livre catholique publié à la fin du XVIe siècle : Le calvinisme est un esgout des sedimens et fondrilles de toute impiété et un verpot ou tons les pourceaux heretiques qui furent onc, se sont sallement embourbez[1]. Ce sont précisément des injures semblables qui vont amener un événement regrettable, le massacre de Vassy. L'édit de janvier n'avait été enregistré au Parlement qu'après une résistance et des lettres de jussion formelles, répétées ; encore les conseillers accolèrent-ils à l'enregistrement la restriction que leur complaisance n'emportait point approbation. De cette résistance, qui se reproduisit en province, malgré l'envoi de commissaires spéciaux[2], la maison de Guise tira une conclusion : la trêve résultant de l'édit ne serait longue et la guerre civile recommencerait. Persuadée que le parti catholique serait le plus fort, car il était le plus nombreux, elle voulut néanmoins ménager une nouvelle chance en sa faveur, et, dans une conférence tenue à Saverne, le duc de Guise et le cardinal de Lorraine obtinrent du duc de Wurtemberg, et de deux ministres luthériens[3] qui l'accompagnaient, qu'il s'opposerait à l'augmentation du calvinisme en France, par la raison que les catholiques et les luthériens pouvaient mieux s'entendre ; c'était, on le voit, une politique semblable à celle déjà suivie par le cardinal de Lorraine au colloque de Poissy. Revenus de Saverne à Joinville, les princes lorrains y trouvèrent des lettres du roi de Navarre qui les rappelaient à la cour. Inquiets, et prévoyant une rupture avec les réformés, ils montèrent aussitôt à cheval et se mirent en route. Or, à peu de distance de Joinville s'élevait en Champagne
une petite ville du nom de Wassy, dont les habitants étaient presque tous
calvinistes. La mère du duc de Guise désirait que des bornes fussent mises
dans cette cité au nouveau culte, qui attirait une grande affluence ; en
avait-on le droit, aux termes de l'édit ? Un écrivain moderne répond : Ce bourg n'étant point une ville fermée, le prêche y était
légalement ouvert[4]. L'appréciation
est inexacte : pour que l'exercice de la religion réformée fût toléré, il
devait se faire hors des villes, aux
termes des articles 2 et 3 de la déclaration de janvier précitée. Or, le lieu
de réunion paraît avoir été à l'intérieur de
Vassy, puisqu'il contenait 1.200 personnes. De plus, le ministre
calviniste installé à Vassy, en donnant du retentissement à sa parole,
semblait avoir fait de la propagande, contre le vœu formel de la même
déclaration. Il y avait donc certainement à dire contre ce nouveau prêche. Le
duc de Guise vint-il avec l'intention de faire fermer ce temple improvisé et
de disperser ses adhérents, ou bien se présentait-il dans l'espérance qu'on
n'oserait résister au désir d'un grand personnage, escorté d'un nombreux
entourage ? Toujours est-il que le dimanche 29 mars il atteignit Vassy et s'y
fit dire la messe. A ce moment les calvinistes chantaient leurs psaumes ;
suivant Varillas, le duc leur envoya demander un quart d'heure de silence
afin d'entendre sa messe. Les chants des réformés, au lieu de cesser,
augmentèrent et furent, dit-on, mêlés d'injures. Le prince lorrain prit son
mal en patience ; mais, pendant la fin de l'office, les siens, mécontents, le
quittèrent, coururent au prêche et à leur tour injurièrent les calvinistes.
Ces derniers fermèrent les portes de la grange : une lutte s'engagea. Le duc
parut à son tour, dans l'intention d'être défenseur et non agresseur, et de
garder les huguenots d'offense et d'outrage, comme il l'a dit à son lit de
mort. Des pierres furent malheureusement lancées contre sa personne ; il fut
blessé, ainsi qu'un de ses officiers. A la vue de son sang qui coulait, ses
soldats indignés firent feu et sabrèrent ; il y eut 60 morts et 200 blessés.
Suivant Davila, le chef de la maison de Guise aurait dit alors : Patience, mon épée fera bientôt raison de cet édit.
C'est là, s'il est authentique, un mot prononcé dans la colère. Un homme
atteint d'une blessure, et froissé que l'on tînt si peu de compte de sa
présence et de sa qualité, peut avoir ainsi un moment d'irritation et
d'oubli, pendant lequel il découvre le fond de sa pensée ; ce fond était
connu, c'était l'opinion même de tous les catholiques, mécontents de la
tolérance officiellement accordée par l'édit. Je n'irai pas jusqu'à désigner
ce regrettable événement par l'épithète de malentendu,
comme Varillas, mais je ferai appel à des souvenirs plus récents[5] et je dirai :
tout le malheur provient de cette pierre lancée par un calviniste contre le
duc de Guise. Certes, ce dernier eût mieux fait de se contenir et d'arrêter
la fougue de ses soldats irrités ; mais que les hommes capables d'agir ainsi,
dans de pareilles circonstances, l'accusent seuls. La conséquence politique du massacre de Vassy fut grave, et cela montre qu'un gouvernement doit éviter, par ses actes, de se mettre en opposition avec l'opinion générale. Charles IX, par la déclaration de janvier, comme par le colloque de Poissy, avait forcé la main aux catholiques, en sorte que sa douceur envers les protestants lui appartient, ou plutôt est l'œuvre de son chancelier, mais elle ne représente pas les tendances de la majorité du pays. Aussi, à la première occasion, dès qu'un conflit surgit, dès qu'une méchanceté individuelle fait commettre, dans une dispute entre catholiques et réformés, un acte agressif contre des gens déjà mal disposés, il en résulte un massacre, et de ce massacre sort une tentative nouvelle de rébellion : les protestants se saisissent d'une ville, Orléans, et s'en font un centre ; c'est ce qu'ils appellent une place de sûreté, un gage pris contre le pouvoir, ou mieux contre les catholiques, jusqu'à ce que le pouvoir royal ait la force de faire respecter ses édits. A partir de ce moment la royauté cesse d'être maîtresse du pays, et la tolérance ne lui réussit pas plus que naguère les rigueurs ; c'est que les passions religieuses et politiques sont trop fortes pour que l'on songe à l'utilité d'un pouvoir central et modérateur ; cela ne viendra qu'après des siècles d'agitation, pendant lesquels la société française aura subi tour à tour l'anarchie de l'émeute et la compression de l'absolutisme. Le jour même du massacre de Yassy, le 29 mars 1562, un temple protestant était inauguré à l'extérieur de Sens, malgré l'opposition du maire de cette ville, qui déclarait aux religionnaires ne pas connaître l'édit, ou du moins leur enjoignait d'attendre et de suspendre l'exécution de l'ouverture du prêche, dont ils sollicitaient de lui l'autorisation, jusqu'à ce qu'ils entendent certainement de nous aussi ce qu'il aura plu au roy par edict qui sera publié en la cour de Parlement, arrêté et ordonné sur le différend de la religion et repos public. Le nouveau prêche contenait 600 personnes. A la sortie, 25 protestants, appartenant à la ville de Courtenay, furent attaqués par des mariniers du faubourg d'Yonne, et portèrent plainte, mais sans être écoutés. Les jours suivants il se produisit encore des attaques contre les huguenots ; enfin, le dimanche 12 avril, à la suite d'une procession et d'un sermon prononcé à l'église de Saint-Savinien, la foule se porta sur le temple, le démolit, s'anima dans cet acte et ne tarda pas à se porter aux plus extrêmes violences. Cent personnes furent égorgées, et leurs cadavres traînés à la rivière, qui en charria plusieurs jusqu'à Paris ; une cinquantaine de maisons furent pillées et des actes de brutalité révoltante accomplis. Les relations de ces atroces journées prenaient, en passant de bouche en bouche, des proportions effrayantes. Le parti protestant s'émut ; à la date du 19 avril, le prince de Condé écrivit à la reine mère une lettre souvent citée, et dans laquelle on lit : Madame, la conesance que jé de vostre bon naturel me donne assurance que, sy estes en liberté comme il plaint à Vostre Majesté de nous le faire entendre, que ne lésérez impuni le fait si hunumain qui s'ait essequté à Sans. Il est besoin de faire connaître à tous vos seugès la faulte qu'ils ont faict de journelement tué vos seugès et rompre vos esditz. Afin de donner satisfaction à cette plainte, la reine transmit l'ordre de commettre deux conseillers du Parlement pour aller dresser à Sens une information sur les actes commis, mais pareille mission n'aboutit pas, le Parlement devenant de plus en plus hostile à l'hérésie, et celle du fonctionnaire nommé en second lieu pour aller se renseigner ne réussit pas davantage. Pendant ce temps, Théodore de Bèze, et d'autres délégués, allaient porter leurs plaintes auprès de Catherine de Médicis et du roi de Navarre, et leur promettaient 50.000 hommes, fournis par les 2.150 églises réformées, pour les soustraire à la domination des Guises. La reine mère hésitait, mais Antoine de Bourbon se rangeait déjà du côté des catholiques en voyant son frère devenir le chef avoué et reconnu des protestants, et en espérant un peu par cette conduite se faire restituer la Navarre. A ce moment de graves nouvelles survinrent de Paris et forcèrent la reine à s'appuyer de nouveau sur les princes lorrains. Le duc de Guise, de retour dans la capitale (20 mars 1562), après le massacre de Vassy, y avait été acclamé. On s'était soulevé contre les huguenots ; il suffisait d'en désigner un ostensiblement à la foule pour qu'il fût tué, et déjà le projet d'un massacre général de la totalité des réformés français se laissait entrevoir. Et notez que François de Guise s'était dirigé sur Paris malgré une lettre de la reine qui le rappelait ! C'est que le triumvirat, c'est-à-dire l'alliance entre le duc de Guise, le connétable et le maréchal de Saint-André, était formé, alliance exclusivement catholique, et décidée à montrer autant d'audace et d'initiative que les protestants. Un fait le prouve : le 5 avril 1562, le connétable s'était rendu aux faubourgs Saint-Jacques et Popincourt, afin d'y abattre les bancs et la chaire qui servaient au prêche. Catherine de Médicis eut un moment cruel d'hésitation, et se livra trop au prince de Condé, lui écrivant secrètement pour implorer son secours, et ouvertement pour qu'il s'éloignât de la cour. Ce double jeu recélait ses dangers, car, après de telles avances, comment abandonner un allié sans l'irriter davantage ? Et cependant c'est ce qu'elle fit. Elle se laissa entraîner à Paris par les Guises, en compagnie du roi de Navarre, et se remit ainsi entre les mains du triumvirat. Exalté par ce succès — c'en était un dans les circonstances, puisque cela mettait la légalité de son côté —, le parti catholique se porta à de nouvelles extrémités, et, sous la conduite du connétable, brûla les autres prêches établis dans les faubourgs de Paris[6], bientôt même un incendie ayant éclaté à l'Arsenal, l'opinion publique en accusa les huguenots, et 800 succombèrent sous le courroux trop prompt et trop vindicatif de la populace. Cette quasi-justice s'exerça même si rapidement que, dans la confusion, cinq ou six catholiques furent pris pour des protestants et massacrés également, comme le rapporte Claude Haton. Le prince de Condé, aidé des deux frères Coligny[7], appela son parti aux armes ; des soulèvements eurent lieu ; une foule de villes telles que Rouen, Tours, Blois, Angers, Poitiers, Bourges, Valence, Lyon, Autun, furent prises, et de cruelles représailles exercées. Des prêtres, des magistrats, des femmes subirent d'atroces traitements. De part et d'autre on semblait hors de son caractère, la guerre civile était commencée, et, pis encore, la haine portée à un point qu'il semblait difficile d'éteindre. Dans leur fureur, les lingue-nets avaient saccagé les églises, détruit les œuvres d'art, et même à Orléans, où se concentrait leur armée, jeté bas le monument de Jeanne d'Arc. Etait-il temps encore d'arrêter les mains fratricides prêtes à commettre tant de meurtres ? Les préparatifs terminés de part et d'autre, les chefs semblèrent songer à cette possibilité, une tentative fut faite dans ce sens. Une entrevue eut lieu au début de juin à Thoury, en Beauce, entre la reine mère, assistée du roi de Navarre, et entre Condé, accompagné de Coligny : là, les chefs du gouvernement déclarèrent que les deux religions ne pouvaient vivre côte à côte, tous les catholiques s'étant soulevés et ayant pris les armes en haine de l'édit de janvier. Cette déclaration mettait la vérité au grand jour : il n'y avait plus d'arrangement possible que par la soumission des huguenots, trop forts maintenant pour se soumettre. La guerre civile ressortait donc de la situation ; elle éclatait comme un moyen de décider la question, et ce triste remède semblait ne pas effrayer les acteurs ; il est vrai que les combattants devaient recueillir pour eux les profits, surtout en cette série de petites actions et de coups de main qui composent la guerre locale et de représailles, profits prélevés sur les populations qui étaient destinées, et pour longtemps, au rôle de victimes. A ce jeu, des catégories d'habitants disparaîtront du sol, notamment celles qui occupent des bâtiments isolés, la catégorie des petits nobles, par exemple : c'est par ces condamnés sans jugement que va commencer cette Saint-Barthélemy de vingt-six ans qui dépose sur l'histoire de France une trace de deuil si longue et si profonde. |
[1] Le Tombeau des heretiques, par GEORGE L'APOSTRE, où le faux masque des Huguenots est descouvert : Et les 150 heresies du ministre la Bansserie sont refutées, par le texte de la Bible, des Conciles et des Pères, 2e édition, Caen, 1599, in-16. Un anagramme placé à la fin de l'avant-propos interprète le nom de Gilles le Gaultier par De rag' il tu' l'Eglise.
[2] Lisez : Commission expediée par le Roy pour envoyer par les Provinces de ce Royaume certains commissaires pour faire entretenir l'Edict et traicté sur la pacification des troubles advenus en iceluy. En laquelle sont plus à plein declarez et exposez les articles contenus audict traité de pacification. A Paris, par Robert Estienne, imprimeur du Roy, 1563, de 14 pages.
[3] Jean Brente et Jacques André.
[4] Histoire des guerres du calvinisme et de la Ligue dans l'Auxerrois et le Sénonais, par M. CHALLES. Auxerre, 1863, t. Ier, p. 46.
[5] Le coup de fusil tiré, en février 1848, du ministère des affaires étrangères, et dont le républicain Lagrange a depuis été reconnu l'auteur.
[6] On n'avait pas encore ajouté à l'édit de janvier la clause portant que les prêches ne pourraient s'établir à moins d'une lieue de Paris.
[7] L'amiral et d'Andelot.