Chronologiquement, l'ordonnance d'Orléans ne fut pas acceptée, promulguée, enregistrée aussitôt la tenue des états d'Orléans ; avant même son entérinement il se passa divers événements dont l'exposé servira d'introduction à ce chapitre. Pendant les séances de ces états, le marquis de Beaupréau, fils unique du prince de la Roche-sur-Yon, alors âgé de douze ans, et donnant des espérances, mourut à la suite d'un accident de cheval ; il succombait moins de six semaines après François II, et réduisait ainsi à treize le nombre des princes du sang. Charles IX, durant son règne, en verra encore d'autres quitter cette terre et le précéder dans l'autre monde. La compagnie écossaise, servant à la garde de la personne du roi, fut supprimée[1] à ce moment, et les gages des gentilshommes domestiques de la maison royale réduits de moitié, le tout par mesure d'économie. Charles IX se rendit à Fontainebleau le 5 février 1561, et là manda par devers lui le prince de Condé. Celui-ci se trouvait à la Fère. Il partit en poste pour Paris, puis quitta cette capitale accompagné de cent chevaux et plus. Nous avons déjà vu que c'était l'usage de ce temps, pour donner une idée de son importance politique et du nombre de ses partisans, car le connétable en a usé également quand il est venu auprès de Charles IX, dès la mort de François II ; usage fâcheux et qui se ressent assurément de cette époque troublée et disposée à la rébellion vis-à-vis de l'autorité royale. On voyageait alors lentement, surtout avec un cortège ; Condé n'arriva que vers le milieu de mars à Fontainebleau, en compagnie des seigneurs de la Rochefoucauld et de Sénarpont. Dès le lendemain (13 mars), il assista à une séance du conseil royal. Là il émit plusieurs observations, puis il interpella Michel de l'Hôpital, à l'effet de lui faire déclarer si des informations avaient été faites contre lui ; le chancelier répondit qu'il n'en connaissait pas. Aussitôt le conseil opina unanimement que l'ancienne accusation était suffisamment détruite, et le prince vint prendre en cette réunion sa place accoutumée et le rang auquel sa naissance lui donnait droit. Le roi, en présence de la reine mère, dit ensuite que le prince lui avait fourni des preuves de son innocence, et qu'il se trouvait à cet égard suffisamment informé ; il ordonna à la cour du Parlement de le recevoir, et permit à l'intéressé de poursuivre une plus ample déclaration de sa non-culpabilité. Le conseil décida en outre que ce jugement royal serait publié, enregistré et notifié à nos ambassadeurs auprès des puissances étrangères. Quatre ou cinq jours après le prononcé de cette sentence, le prince de Condé partit pour Paris. Ici une réflexion se présente. Il siégeait dans le conseil du roi des membres qui avaient eu des preuves de sa participation à la conjuration d'Amboise, Catherine de Médicis et les Guises par exemple ; il y en avait un qui était son complice, le roi de Navarre ; le chancelier Michel de l'Hôpital savait, à n'en pas douter, ce que les protestants avaient alors tramé. Comment se fait-il qu'on prononçât cette absolution envers Condé, et à qui une pareille tromperie en imposait-elle ? Que l'oubli du passé fût déclaré, une bonne politique le voulait ; mais certifier publiquement une innocence à laquelle personne n'ajoutait foi, c'était aller trop loin. On voulait contenter les princes du sang et les rallier à l'autorité royale, on sacrifiait tout à cette idée, on donnait déjà des gages au parti protestant ; la reine mère et le chancelier ne s'en cachaient pas. Profitant de cette disposition, le roi de Navarre se plaignit de la prépondérance du duc de Guise, lequel avoit la garde des clefs du chasteau, et en toutes choses luy estoit préféré. Il rappela que voir son ancien adversaire — car leur inimitié datait du règne de Henri II — plus élevé que lui le blessait au cœur ; que s'il avait dissimulé jusque-là, c'était par affection pour la reine, mais que si les choses duraient ainsi, il se retirerait. Catherine de Médicis répondit qu'il était impossible de chasser sans occasion le duc de Guise, mais qu'à l'avenir elle ferait porter les clefs du château dans sa chambre par le capitaine des gardes. Cette demi-mesure ne satisfit pas Antoine de Bourbon, qui ordonna de préparer son départ ; les princes du sang et le connétable se disposèrent à l'accompagner. La reine mère, menacée de demeurer ainsi seule avec les Guises, manda le connétable et lui déclara qu'étant le premier officier de la couronne, le roi avait besoin qu'il fût près de sa personne, et qu'il lui commandait de ne pas l'abandonner dans la conjoncture présente. Ce motif arrêta le connétable qui n'osa partir, malgré les trois invitations successives du roi de Navarre ; sur ce refus, ce dernier renonça à son projet et rappela ses équipages de mulets qui se trouvaient déjà vers Melun, chargés de bagages. Le bruit de ce différend produisit un mouvement d'opinion dans Paris, où l'on crut à nouveau que la reine préférait les Guises aux princes du sang ; or, la population était favorable à ces derniers, et de fait leur race était plus française[2]. Aussitôt les députés nommés pour faire l'assemblée particulière des états dans cette ville se réunirent, sans délai et s'occupèrent du gouvernement du royaume. Non-seulement ils discutèrent, du renvoi et de la nomination de plusieurs grands aux différentes charges du royaume, mais ils reprirent la question de faire rendre compte aux Guises de l'administration des finances de la France sous François II, et en outre de revenir sur les malversations et dons immenses faits sous ou par le roi Henri, posant avant tout le principe que, durant ces recherches, les personnes incriminées ne siégeraient au conseil privé. Or, l'assemblée centrale d'Orléans avait nettement interdit aux réunions provinciales de s'occuper de la gestion du gouvernement, mais les Parisiens le faisaient avec ardeur, espérant entraîner toutes les autres provinces, au moins les villes. C'était une nouveauté grave, car des députés à peine autorisés prenaient sur eux, en l'absence de toute présidence officielle, de traiter entre eux des affaires publiques et d'examiner les abus commis par le pouvoir ; ainsi commencent les révolutions, et les états généraux réunis par Louis XVI ne procéderont pas autrement. La reine mère avertie fut émue, et ne vit d'autre remède à la situation que dans un accommodement plus complet avec le roi de Navarre. Le connétable se chargea de la négociation. Antoine de Bourbon fut déclaré, en sa qualité de lieutenant général du royaume, le représentant de Charles lX dans tous les pays de son obéissance, et la reine promit de ne rien faire sans son avis et consentement : d'autres promesses verbales furent échangées, un accord fut rédigé et signé, tous les membres du conseil contresignèrent, et de ce moment, remarque un contemporain, le duc de Guise se montra plus humble vis-à-vis du roi de Navarre. Cette humilité encouragea-t-elle Antoine de Bourbon, jadis si timide ? Toujours est-il qu'il exprima à peu près à Georges Gluck, envoyé du roi de Danemark, l'espoir de convertir promptement la France au protestantisme et de faire prêcher l'Évangile par tout le royaume devant que l'an fust révolu. Ce propos, quand même il serait exagéré, indique une faible portée politique, car ce n'était pas à l'un des chefs du gouvernement à se prononcer ainsi en un tel moment entre les deux religions[3]. Ce qui peut l'excuser, c'est que la reine mère flottait indécise de l'une à l'autre, et en ce moment penchait plus vers le parti protestant, croyant qu'il fallait donner satisfaction à l'esprit de nouveauté, et que la majorité de la population, restée catholique, laisserait faire par inertie, comme toutes les majorités ; il est vrai qu'en revanche, et sans doute dans une idée de contrepoids, elle voulait maintenir la séparation entre les calvinistes et les protestants de la confession d'Augsbourg, tandis que Antoine de Navarre espérait les réunir un jour et les fondre en un seul parti, et cela malgré l'avis de Gluck, qui l'avait averti de l'hostilité des calvinistes contre la royauté. Nous reviendrons sur ces points. Le connétable s'aperçut de ces dispositions[4], s'en froissa et se rapprocha des Guises. Sans son fils, le maréchal de Montmorency, il abandonnait immédiatement le pouvoir royal, mais celui-ci lui fit comprendre que se séparer du prince de Condé, de ses neveux de Châtillon et du comte de la Rochefoucauld, tous protestants, c'était priver sa maison de solides appuis, sans plaire à la reine mère et au roi de Navarre ; qu'il fallait laisser passer au-dessus de sa tête la lutte entre les maisons de Guise et de Châtillon, tout en gardant ses gages. Il se rendit fort peu, assura qu'un changement de religion amènerait un changement de gouvernement, fit ses pâques à Fontainebleau avec le duc de Guise, reçut ce dernier à dîner et se retira dans ses domaines. Cette rupture, quoique mitigée, n'améliora pas la situation. Comme c'est l'ordinaire, en voyant leurs chefs et seigneurs brouillés, les individus des rangs inférieurs de la société s'agitèrent ; on se traita de huguenots et de papistes, on voulut établir de nouveaux prêches, et il s'éleva des troubles dans plusieurs villes, notamment à Beauvais, Amiens et Pontoise. Après leur apaisement, des lettres patentes, adressées en juillet 1561 à tous les juges royaux, défendirent de s'injurier, mais la rédaction de ces lettres, soit trop prompte, soit dictée dans un esprit qui ne convenait pas à l'opinion publique, prêta le flanc aux remontrances du Parlement ; et cependant son préambule semble indiquer une réunion préparatoire du conseil privé et du Parlement, pour aviser à son contenu. Faut-il croire que cette espèce d'assemblée eut lieu pour la forme seulement, ou que la rédaction qui en sortit fut à peine suivie par le chancelier pour le texte définitif ? Quoi qu'il en soit, les lettres en question enjoignaient : 1° De vivre en union et amitié, de ne s'agresser de fait ou de parole, sous quelque prétexte ou couleur que ce soit de religion ou autre, et ce sur peine de la hart ; 2° De n'user en sermons ou ailleurs de paroles scandaleuses, ou tendantes à exciter le peuple à esmotion. Elles défendaient tous conventicules et assemblées publiques, avec ou sans armes, s'en remettaient à l'édit de Romorantin pour le regard de la simple hérésie, c'est-à-dire abandonnaient aux gens d'église la connaissance dudit crime d'hérésie, et promettaient pardon et abolition — nous dirions aujourd'hui amnistie —, sans excepter personne, de toutes les fautes passées, procédant du fait de la religion, ou sédition provenue à cause d'icelle, depuis le décret de Henri II. Enfin elles répétaient l'interdiction du port des épées, dagues, grands cousteaux et autres armes offensives, à tous autres qu'aux gentilshommes. Nous y avons cherché vainement[5] le terme de papistes vivement reproché par le Parlement, comme voulant faire une secte des catholiques, qui ne sont nullement une fraction, mais la totalité des chrétiens, moins les protestants, qui se sont séparés de leur plein gré de la majorité : peut-être, sans y être effectivement, cette expression apparaissait-elle entre les lignes pour tous les contemporains. Le Parlement envoya d'autres remontrances au roi. La première concernait le mode de publication desdites lettres, qui n'avaient, été ni adressées au Parlement, ni publiées à Paris[6], mais expédiées directement aux baillis et sénéchaux, lesquels, en prêtant leur serinent d'installation, promettaient de garder les ordonnances lues et enregistrées en icelle cour. La deuxième remontrance disait que ces lettres royaux[7] semblaient approuver la diversité de religion dans le royaume, ce que nul souverain n'avait encore fait depuis Clovis, et ce qui pouvait pousser chacun vivre suivant son libre arbitre, à ne plus suivre l'impulsion commune, à moins obéir à l'autorité centrale. La troisième remontrance attaquait l'autorisation de pouvoir vendre ses biens et les emporter hors du royaume, donnée à ceux qui vivraient dorénavant catholiquement, arguant du sens variable qui pouvait être donné à ce mot et surfont des précédentes défenses d'emporter de l'argent hors de France. Cette dernière observation nous paraît aujourd'hui de peu de valeur, vu le progrès des idées économiques ; mais, comme les autres, elle reflète assez bien l'opinion publique du temps, celle de la partie éclairée de la population, dont le Parlement était l'écho. Peu après la cour se rendit à Reims, où eut lieu le sacre du nouveau roi. Dans cette cérémonie Charles IX fut assisté de treize pairs, dont son frère, le duc d'Orléans, quoique enfant, prit la tête ; quant au duc de Guise, il parvint à se placer immédiatement après le roi de Navarre, comme au dernier sacre, et à passer ainsi avant Monsieur de Montpensier, prince du sang. Ces deux tentatives montrent au mieux la situation politique du moment. Catherine de Médicis cherche à mettre plus en évidence la race royale, que les événements semblent vouloir effacer, et les Guises, récemment évincés du pouvoir, essayent d'en saisir encore des lambeaux. A cette occasion le cardinal de Lorraine se plaignit à la reine que les assemblées de la religion nouvelle se faisaient plus ouvertement que par le passé, les juges pensant qu'on les voulait tolérer ; or, qu'il importait de ne rien innover pendant le colloque annoncé pour régler les dissentiments en ce qui concernait la religion, et que le mieux consistait à réunir une assemblée à Paris, pour arrêter à ce sujet des prescriptions inviolables. Ce point de vue admis, les présidents de Thou et Ségnier reçurent l'ordre de présider à la réunion des états de la prévosté et vicomté de Paris, d'y adjoindre plusieurs présidents de chambre et conseillers, afin de maintenir lesdits états dans les limites convenables. Cette assemblée, la quatrième depuis le nouveau règne, puisque, après la session des états à Fontainebleau, les états parisiens s'étaient rassemblés une fois d'eux-mêmes, sur le bruit de la discussion survenue entre le roi de Navarre et le duc de Guise, et que les lettres patentes de juillet 1561 avaient été préparées par une réunion spéciale de seigneurs et de jurisconsultes ; cette quatrième assemblée, disons-nous, dont le chiffre seul témoigne combien le gouvernement de la régente recourait au moyen de consulter le pays[8], n'aboutit pas, la noblesse y ayant protesté, par l'organe d'un avocat, pour insinuer qu'elle était contraire à la liberté accoutumée, puisque l'ordre de la justice devait y présider, ce qui ne s'était jamais vu. Ainsi tomba une réunion dont le cardinal de Lorraine espérait une solution plus certaine qu'au prochain colloque, et dont la cour désirait un règlement pour les dettes du roi ; chacun se borna à exclamer que le clergé devait payer lesdites dettes. En mettant un grand seigneur à la tête de cette assemblée peut-être eût-on mieux réussi, mais il eût fallu qu'il se fût en partie laissé guider par de Thou et Séguier. Le Parlement réussit mieux relativement à une déclaration d'innocence demandée par le prince de Condé, pour corroborer celle à lui accordée par le conseil privé ; il rendit à ce sujet, et après examen de l'affaire, un arrêt définitif complet le 13 juin 1561, qui proclamait le prince pur et innocent des cas à lui imposés. Cet arrêt fut prononcé avec toute la solennité possible, les chambres réunies en robes rouges, et fut ensuite lu et enregistré en les diverses cours souveraines du royaume. Des arrêts semblables accordèrent la même justification aux coaccusés du prince. Le Parlement eut également la satisfaction de voir le roi, la reine mère, le conseil privé se joindre à lui dans le but d'aviser aux mesures à prendre relativement aux différends soulevés par la question religieuse, et ce fut évidemment par l'intention gracieuse du gouvernement de répondre à ses précédentes remontrances et de mieux agir suivant les règles ordinaires. Michel de l'Hôpital, en ouvrant la séance, écarta de la discussion le fait même de la religion, et le plus ou moins de mérite de telle ou telle croyance, cet examen, dans l'esprit de la reine mère et dans le sien, devant être soumis prochainement à une assemblée spéciale, concile ou colloque, déjà publiquement demandée, sinon annoncée ; il pria chacun d'être bref dans son opinion. Tous les conseillers opinèrent. Trois avis se produisirent : le plus extrême demandait la mort comme punition contre la nouvelle religion ; l'autre voulait le renvoi à la juridiction ecclésiastique, avec défense d'assemblées religieuses autres que catholiques, sous peine de la confiscation de corps et de biens ; le troisième demandait l'ajournement des punitions jusqu'à la décision qui serait rendue par le prochain concile. Le deuxième avis passa à la majorité de trois voix, non toutefois sans grandes réclamations de la part des assistants. En conséquence, un édit fut rendu au mois de juillet, et il statua presque de la même manière que les lettres royales dont nous avons parlé. Il semblerait donc que cette assemblée, la troisième tenue depuis le nouvel avènement, n'ait pas avancé la question ; toutefois, il y fut décidé à la fin que les prélats du royaume se réuniraient à Poissy (près Saint-Germain en Laye), à l'effet d'essayer de convaincre les ministres protestants par la parole de Dieu. La totalité des opinants adopta ce point de vue comme un excellent remède aux sollicitations de laisser ouvrir des temples, à cause de la promesse du cardinal de Lorraine de vaincre lesdits ministres par ce moyen, sans vouloir recourir à d'autres armes ; illusion assurément, mais qui ne manque pas d'un certain cachet de grandeur et de générosité. Avant la réunion du colloque de Poissy, les états généraux, longtemps retardés, se tinrent à Pontoise, comme il avait été annoncé à Fontainebleau. ils ouvrirent à la date du 1er août 1561. En même temps se passaient deux faits secondaires, mais que la politique ne peut perdre de vue. Le premier, c'est le départ de la reine douairière Marie Stuart pour l'Ecosse. Revenue de Champagne, où elle avait passé le carême, elle accompagna Charles IX à Saint-Germain, puis alla, sous la conduite de son oncle François de Guise, s'embarquer à Calais ; le sieur de Damville l'accompagna jusque dans son royaume, ce qui déplut au roi de Navarre, parce que celui-ci ne comprit pas qu'il fallait non-seulement continuer les relations de la France avec l'Ecosse, mais qu'il eût été utile de retenir Marie Stuart, quitte à ménager son mariage avec Charles IX. Outre son douaire, on accorda 20.000 livres de pension à cette princesse ; quoique le trésor fût pauvre, ce fut assurément bien peu. Le second fait concerne encore le prince de Condé. Non content d'être absous, comme nous l'avons relaté, il se réconcilia avec le duc de Guise ; on a dit que l'initiative appartint à ce sujet à ce dernier, ou même au roi ; ce fut même en présence de Charles IX, de la reine mère, des princes du sang, de plusieurs membres du conseil privé, que l'accord eut. lieu. Sur l'invitation royale, François de Guise dit au prince : Monsieur, je n'ay ni ne voudrois avoir mis en avant aucune chose qui fust contre votre honneur, et n'ay esthé autheur, motif, ne instigateur de vostre prison. — Monsieur, riposta Condé, je tiens pour meschans et malheureux celuy et ceux qui en ont esté cause. Guise reprit : Je le crois ainsi ; cela ne me touche en rien. Puis ils s'embrassèrent et promirent de rester bons amis, ce dont procès-verbal fut dressé. Malgré ces protestations, l'historien, après le narré de cette scène, est en droit de demander : Qui trompait-on en agissant ainsi ? On voulait donner le change à l'opinion publique, mais elle ne le prit pas ; Condé et Guise, les événements surtout, y aidèrent d'ailleurs puissamment et promptement. Les états de Pontoise semblent avoir eu leur séance d'ouverture dans la grand'salle du château de Saint-Germain, d'où les députés du clergé se rendirent à Poissy, et ceux de la noblesse et du tiers état à Pontoise[9]. Cette première séance ne se passa pas sans contestation. Le roi, la reine mère, les princes du sang, tous ceux qui remplissaient de grandes charges à la cour ou dans le conseil privé, se trouvaient là On critiqua d'abord le duc de Guise qui, en sa qualité de grand chambellan, n'avait pas de siège spécial, mais se plaçait sur le marchepied du roi ; on le critiqua de ce qu'il tenait son bâton de commandement entre ses jambes, au lieu de le porter droit et haut comme il convenait pour un pareil insigne. Ensuite, les princes du sang ne voulurent souffrir les cardinaux au-dessus d'eux, à moins qu'ils n'appartinssent à la maison royale, comme le cardinal de Bourbon : au lieu de céder à cette exigence, les cardinaux de Tournon, de Lorraine et de Guise se retirèrent. Le chancelier rappela que la nouvelle assemblée continuait la précédente, et proclama que chaque personne présente se trouvait autorisée à librement proposer ce que bon lui semblerait. Diverses harangues furent prononcées ; analysons celle dite, au nom du tiers état, par M. Bretaigne, représentant d'Autun ; analysons-la d'après le texte qui nous en a été donné par Pierre de la Place. Après une invocation à l'Esprit-Saint, des vœux pour la prospérité du roi, et l'expression du désir que l'union de la reine mère, du roi de Navarre et des princes du sang continue pour le bien et la conservation du repos public, l'orateur s'exprima en ces termes : Telle entreprinse de discourir et ramener devant vous les abus qui règnent en vostre royaume ne peult estre que saincte et louable, combien qu'elle soit de difficile exécution : je rapporterai succinctement ce que nous, vos très humbles subjects du tiers estat, en avons appris par longue habitude. L'histoire nous apprend que les
Estats ont péri parce que les monarques ont substitué leur volonté aux lois.
En France, les estats se composent de trois ordres, dont l'union ne sera
personnelle que si chascun membre fait aussi l'office et devoir auquel il est
appelé. Cet appel à l'accomplissement du devoir, l'orateur le développe en ces termes : Premièrement, l'estat qui se vendique[10] et attribue le nom d'ecclésiastique doit estre de bonnes vie et mœurs, aux sainctes lettres bien versé, entendu et érudit, et non affectionné aux biens et possessions. La sincérité de conscience et doctrine est plus que nécessaire. Les prestres doivent fuir et éviter le vice d'ignorance comme une peste, mère nourrice d'erreurs, car ils sont obligés non-seulement d'enseigner la parole de Dieu, mais de réfuter ceux qui se trompent. Voilà les lois, Sire, qui font reluire en toute splendeur l'estat ecclésiastique. Venant au poinct et chef principal concernant les possessions et chevances, il leur conviendra se contenter d'un seul bénéfice ou dignité. Ils seront convaincus de faune dans l'administration des dicts biens, dont les deux tiers doivent estre convertis à œuvres pitoyables et bonnes, car à telle faveur les biens y affectés ont esté donnés et départis, non pour que les ministres de l'Église en jouyssent comme à eux appartenans. Sire, vous sentirez sans doute raisonnable, pour vous soulager et subvenir en vos affaires, de remonter à l'origine de cet amas de biens ecclésiastiques, qui ne s'aliènent jamais, comme ceux des deux autres ordres. Le second estat, compris soubs le
nom de noblesse, doit sçavoir et sentir ses forces, et selon icelles vous
offrir. Ne peuvent vos très humbles subjects du tiers estat remonstrer autre
chose pour leur regard, sinon qu'ils désirent les voir vivre en la craincte
de Dieu, amour de leur prochain, et suyvre la vertu qui est vray lustre,
ornement et source de noblesse. Ainsi le tiers état frappait sans merci sur la puissance ecclésiastique, tandis qu'il ménageait encore la noblesse ; c'est que l'esprit d'examen et de liberté s'attaquait d'abord à l'autorité la plus ancienne, la plus absolue, au moins pendant une certaine période du moyen âge ; c'est surtout que cette autorité possédait des richesses sur lesquelles on pouvait prélever des ressources. Triste expérience assurément qui se produisait à trois siècles déjà de nous, et qui eût dû éclairer les ordres religieux et les porter à employer dans le présent, au profit des malheureux, plutôt qu'à conserver pour l'avenir ; à moins d'une prescience les avertissant en secret que leurs accumulations deviendraient un jour utiles à la royauté et sauveraient la patrie. L'orateur du tiers état entame ensuite le chapitre de la magistrature, à laquelle il lance aussi les reproches populaires. Quant à la justice, s'écrie-t-il, plusieurs plainctes et remonstrances ont esté faictes à Vostre Majesté aux estais tenus en vostre ville d'Orléans, et surtout vous a esté remonstré et faict cognoistre comme ignorance, ambition et amour de deniers y sont entrés, chose réprouvée et prohibée de droict divin et humain. D'un mot l'orateur montre pourquoi la magistrature vend ses arrêts : c'est qu'elle achète ses charges : Les premières et principales faultes de telle ambition et avarice proviennent du faict de ceux qui, indifféremment reçoivent, toutes personnes moyennant finances, laquelle seule domine, maistrise et ouvre la porte aux estats et offices. Puis il ajoute : Vostre peuple et subjects du
tiers estat se ressentent grandement de l'injure du temps et calamité des
années passées, ayant été affligés d'infinis subsides, tant ordinaires que
extraordinaires. Au moyen des dictes charges insupportables, se trouvent vos
pauvres subjects tant languides, exténués et affaiblis, qu'à présent, Sire,
ne leur reste autre chose à vous offrir et présenter, qu'une bonne et loyale
volonté. Était-ce un cri de détresse ? C'était un cri de refus, qui
indique combien on se trouvait à bout : Se sont vos
subjects à diverses fois examinés et fondés tous leurs pouvoirs aux affaires
de Vostre Majesté, mais à grand regret se trouvent desnués du moyen de vous
aider et secourir. Attendez pour cela une circonstance plus favorable ; nous
serons d'ici là sobres, industrieux, et le bon traitement que nous recevrons
de vostre gouvernement nous mettra sans doute à même de faire plus tard
quelque chose pour vous. Ainsi finissait d'une façon peu rassurante
cette portion du discours, car l'assistance populaire ne semblait promise
qu'en échange d'une conduite paternelle du pouvoir, ce qui sans doute est de
droit, mais aussi dépend d'une satisfaction générale, résultat qui était
alors et restera constamment difficile vis-à-vis des hommes. La discussion à laquelle se livra ensuite l'orateur soulevait nombre de doutes gros d'orages. Vos subjects, en substance, ne se peuvent persuader que vous soyez resté redevable d'une si forte somme ; jamais monarque n'a été grevé par ses luttes armées autant que vostre père. Tout l'or possédé par les particuliers de vostre royaume auroit peine à solder une pareille somme. Nous ne croyons pas que cette somme soit entrée dans vos coffres ; vos prédécesseurs ne l'ont pas touchée. Pour empêcher le retour d'une semblable situation, ordonnez à vos financiers de rendre compte de leur administration devant les députés de vos estats. Quant au fait de la religion, le tiers état réclamait la cessation des persécutions et la convocation d'un concile national : il semblait pencher vers une tolérance partielle et se prononçait nettement en faveur de la permission pour les protestants de s'assembler dans nos temples, permission qui devait, suivant lui, éteindre toute sédition populaire. Et la conclusion du discours fut celle-ci : Je conclueray, prince souverain, que toute réformation sera bien et deuement faicte si les ministres de l'Église se contiennent en leurs offices, exécutent leurs charges et fonctions, preschent et annoncent la parolle de Dieu en sa pureté, sans y substituer mercenaires... Pareillement commanderez que tous gentilshommes se comportent en toute modestie et douceur avec vos autres subjects. Que tous magistrats et juges ne se laissent vaincre et corrompre d'ambition, vaine gloire et présens. Ferez aussi rejetter et débouter tous poursuyvans estats et offices par moyens indeus, ne souffrant qu'ils soient venaulx, et principalement de judicature, ny conferez à ignorans de mauvais nom et conscience, en cela confirmant la voye d'eslection jà par vous accordée à vos derniers estats. Le cahier présenté par le tiers état complétait le précédent discours, principalement en ce qui concernait les dettes du roi. Le moyen recommandé, M. Bretaigne vient de nous le dire, consistait à faire rendre compte à tous les comptables et ordonnateurs, si élevés qu'ils fussent, quitte à les éloigner momentanément du conseil privé du roi, s'ils en faisaient partie. On devait surtout éclaircir le rendement des deniers levés extraordinairement sur le peuple, savoir les emprunts dits de 8, 6, 4 et 2 écus et 20 livres pour clocher, du taux de leur émission, ou les impôts exigés pour munitions, vivres et fournitures quelconques d'étape, ou encore les deniers levés sur les villes closes. On devait répéter les deniers des pensions excessives et donations immenses, sans excepter personne, fors la reine mère. Ou devait diminuer le nombre des serviteurs de la maison du roi. Il fallait prendre le revenu entier de tous les offices, bénéfices et dignités ecclésiastiques non desservis actuellement et en personne par les titulaires, sauf ce qui était nécessaire pour l'entretien des bâtiments et des aumônes, suivant les fondations. Il fallait prendre aussi le quart du revenu des bénéfices de 500 à 1.000 livres dont les bénéficiers résidaient, le tiers des mêmes bénéfices de 1.000 à 3.000 livres, la moitié sur ceux de 3.000 à 6.000 livres, les deux tiers sur ceux de 6.000 à 12.000 livres[11], et laisser 4.000 livres seulement à ceux qui dépassaient 12.000 livres. Quant aux moines, qu'on leur enlevât tout, à la réserve de l'indispensable pour leur entretien et pour leurs aumônes, puisque leur règle leur défendait le surplus. Si cela ne suffisait pas, qu'on vendit les maisons et terrains sis dans les villes et appartenant aux ecclésiastiques. Enfin, que tontes les rentes foncières, ou autres redevances dues aux gens d'église sur maisons de villes ou faubourgs, fussent déclarées rachetables. A ces divers moyens proposés au roi par le cahier du tiers pour qu'il eût à choisir, on ajoutait des moyens extrêmes : 1° Vente des vases, pierreries et ornements précieux d'or et d'argent, déposés dans les églises du royaume. 2° Bailler les bénéfices à ferme, au plus offrant et dernier enchérisseur, en préférant lesdits bénéficiers et autres du clergé, à condition qu'ils payassent semblable prix à celui du plus haut et dernier enchérisseur. 3° Vendre le temporel des gens d'église, en admettant la même préférence, lequel temporel pouvait monter à un revenu annuel de 4 millions de livres, soit 120 millions de capital[12]. Afin de ne rien faire perdre au clergé, 48 millions seraient prélevés sur ces 120, et placés an denier 12, de façon à produire à leur profit les 4 millions susdits de revenu, et de la sorte, par une diminution des intérêts payés aux banques — c'était là l'illusion, car en temps de troubles surtout il est dans la nature des choses que ces intérêts augmentent —, on obtiendrait encore pour le roi un total de 72 millions de livres. De ces 72 on pourrait en employer 42 pour éteindre les dettes du domaine, les 30 restant étant placés en rente chez les sujets du roi, pour les 500.000 livres de revenu annuel être employées aux fortifications des places frontières et à la solde de la gendarmerie. 4° Tout en exprimant le désir que les tailles revinssent au taux qu'elles avaient sous le roi Louis XII, le cahier demandait la suppression des bureaux de la foraine, et l'entrée et la sortie libres pour toutes les marchandises, par rapport aux frontières du royaume. 5° On réclamait la promesse qu'aucune guerre offensive ne fût entreprise sans le consentement des états. Au résumé, le tiers état prenait soigneusement ses garanties ; notre analyse montre l'attention avec laquelle il avait étudié ses propres intérêts et ceux du pays. Il semble même qu'il ait remontré beaucoup afin d'obtenir un peu ; c'est là en général le caractère de ces assemblées. Les députés, ceux surtout qui les ont éclairées et ont préparé les cahiers provinciaux, possèdent le degré de culture nécessaire pour une vie politique plus avancée — on le voyait déjà sous François II et même antérieurement — ; le pouvoir résiste modérément, mais il se trouve entouré de tant de difficultés, il a si peu d'énergie et d'intuition qu'il est hors d'état de diriger le mouvement en le maitrisant ; pour cela il faudra un grand homme. Ces efforts de la vie publique au milieu du XVIe siècle sont néanmoins très-curieux. Les cahiers des trois ordres furent déposés, pour y être conservés, au chef-lieu de chacun des treize gouvernements qui partageaient alors la France, avec les réponses faites par le conseil du roi ; en même temps il fut sursis à la publication desdites réponses ; Pierre de la Place nous l'apprend. Mais déjà il avait été tenu compte de plusieurs des observations nouvelles des états, lesquelles se trouvaient d'ailleurs en petit nombre, dans l'ordonnance de janvier 1560, dont nous avons donné l'analyse au précédent chapitre, et qui s'élaborait alors, car elle ne fut publiée qu'après les états de Pontoise, tout en étant avant tout l'expression des opinions émises aux états d'Orléans, qu'elle représente spécialement. La principale conséquence de l'assemblée de Pontoise fut la continuation offerte par le clergé du payement de 4 décimes employés à l'acquittement des dettes du roi, les autres disent un don de 15 millions de francs, fait par ce même clergé ; et aussi un impôt de 5 sols par muid de vin entrant dans toute ville fermée, impôt établi pour six ans et non plus. Ce furent donc le clergé et le peuple qui vidèrent pour le moment leur bourse. Quant à la noblesse, un pareil sacrifice lui était inconnu, faute grave, aussi grave pour elle que de n'avoir voulu, dès le XIIe siècle, introduire de ses membres parmi les légistes du roi. La véritable réforme en ce moment, réforme efficace si elle eût été librement consentie, était, l'égalité de tous devant l'impôt, car alors les revenus de l'État augmentaient, même en dégrevant en partie le tiers état ; les dettes royales se payaient, la solde des troupes était alignée, et tout rentrait dans l'ordre. Mais cette égalité, on n'y songeait pas encore, ou l'on n'osait la proposer ; les cahiers les plus avancés du troisième ordre n'en parlent pas. Il y eut peu d'événements dignes de l'histoire entre les états de Pontoise et le colloque de Poissy. La reine mère, qui songeait à fomenter les divisions des grands, afin de s'élever sur leurs ruines, suivant un témoignage contemporain[13], agit peu, durant cet intervalle, dans le sens indiqué par cette appréciation de son caractère et de ses tendances. Les états venaient de s'occuper de la composition du conseil de régence, d'approuver l'union et l'accord des princes du sang avec le roi, en un mot, de donner leur approbation à la conduite de la reine mère ; ce n'était donc guère le moment de varier à cet égard et d'essayer l'emploi d'autres tempéraments, d'autres négociations. Toutefois, un événement survint qui enleva un lien entre Catherine de Médicis et le roi de Navarre ; nous voulons parler de la mort (28 août) de la duchesse de Montpensier[14], femme entendue, perspicace, s'entendant aux affaires d'État, aimée et écoutée de la reine, et dont le roi de Navarre était l'obligé[15]. |
[1] Reportez-vous à notre chapitre sur l'armée.
[2] Sous Henri III ce sera l'inverse, et les Parisiens seront pour les Guises : mais ceux-ci auront été plus adroits et sous Charles IX el sous Henri III, en sorte qu'un revirement se sera opéré en leur faveur.
[3] C'était plutôt le jeu de l'amiral de Coligny, qui n'occupait pas alors une position officielle aussi en évidence ; on le signale en effet comme tenant les mêmes propos.
[4] Il fut surtout frappé de voir chacun faire gras, à sa volonté, durant le carême.
[5] Nous nous servons du texte reproduit par MM. JOURDAN, DECOUSY et ISAMBERT, dans leur Recueil général des anciennes lois françaises, t. XIV, p. 109.
[6] Voyez les Commentaires de PIERRE DE LA PLACE.
[7] On écrivait alors ordonnances et lettres royaux (sic) ; les manuscrits et les imprimés du temps en font foi.
[8] Moyen constitutionnel, suivant l'expression actuelle, mais qui le fut toujours, car la convocation des états généraux parait constamment avoir été de principe.
[9] C'est l'opinion à laquelle s'arrête un écrivain compétent, M. RATHERY, dans son Histoire des états généraux.
[10] Cette forme existe encore dans revendiquer.
[11] Ainsi le revenu de 5.800 se réduisait à 2.000, et celui de 6.300 à 2.100 ; voilà où conduisent les règles absolues.
[12] A 3 fr. 33 %, ce que l'on appelait au denier 30.
[13] Mémoires de MELVIL, t. I, p. 109.
[14] Jacqueline de Longwy.
[15] Reportez-vous à l'Histoire de François II, p. 214, 215.