Lorsque
le duc de Rovigo, à la suite de l’avis du Conseil de Santé d’Alger, fut
contraint de s’embarquer pour aller se soigner en France, il passa le 3 mars
1833 le commandement par intérim au maréchal de camp Avizard, le plus ancien
officier général. La continuité de la politique suivie par Rovigo était
assurée par la présence du général Trézel, chef d’état-major, avec qui
Avizard était en excellents termes[1]. Avizard
apprit, dans ses nouvelles fonctions, l’existence d’un « service secret »
chargé de renseigner le commandant en chef sur l’état d’esprit des tribus de
la Régence ; il reçut en effet divers rapports d’interprètes et d’émissaires
résultant de l’organisation adoptée par Rovigo, sur laquelle Trézel lui donna
quelques éclaircissements[2]. L’agha
des Arabes, Mahi ed Dine, ne jouait plus aucun rôle depuis sa rupture avec
Rovigo et devait être en correspondance avec Ahmed bey de Constantine[3]. Pour le remplacer, et suivre
les relations avec les tribus, Avizard institua, sur l’initiative du général
Trézel, « un bureau particulier des affaires arabes[4]. » Cet
organe comprenait un chef de bureau, un ou deux officiers et trois
interprètes ; il était chargé de présenter chaque jour au général en chef un
exposé de la situation du pays et les traductions des principales lettres des
Indigènes. Il devait, suivant l’expression même d’Avizard, « suivre avec
sûreté et succès les relations avec les tribus. » Le
fonctionnement du bureau des affaires arabes reposait en fait sur l’officier
qui avait été mis à sa tête, le capitaine de la Moricière, du bataillon de
zouaves. Avizard écrivait le 10 avril au Ministre de la Guerre : « Le
capitaine de la Moricière, du bataillon de zouaves, par son application et sa
constance, est parvenu à posséder parfaitement l’arabe du pays. Il l’écrit
même, surveille et corrige le travail des interprètes, dont le service
laissait beaucoup à désirer. Au moyen de ces rapports journaliers, ainsi
comparés et vérifiés, je me mets en état de mieux juger de l’ensemble de
cette partie du commandement[5]. » Le
capitaine Pellissier a écrit, au sujet de la nouvelle institution : « Un des
principaux avantages de la création du bureau arabe fut de délivrer
l’autorité de l’obsession des interprètes qui tous voient mal les choses,
pour deux raisons : la première, c’est que presque tous sont dépourvus de
lumières ; la seconde, c’est que la plupart d’entre eux appartiennent à cette
race chrétienne des Echelles du Levant, qui nourrit une haine profonde contre
les Musulmans, parce qu’elle a souvent à s’en plaindre. Le vrai moyen de
s’égarer dans ce pays-ci est de se conduire d’après les conseils des
interprètes, ou même d’accueillir avec trop de confiance les documents
fournis par eux[6]. » Il était temps, selon
Avizard, de reprendre sur les tribus une influence qui déclinait tellement
que plusieurs avaient passé à l’ennemi, et de soutenir efficacement
l’autorité des cheikhs investis par la France ; il fallait même, pour
rétablir la confiance des Indigènes, frapper à l’occasion un grand coup[7]. L’intérim
d’Avizard fut de courte durée, puisque le lieutenant général Voirol, nommé le
16 mars 1833 commandant en second et inspecteur des troupes à Alger, débarqua
le 26 avril et prit aussitôt ses fonctions ; il fut nommé le 29 avril
commandant par intérim du corps d’occupation, dont le commandement nominal
restait toujours au duc de Rovigo. C’était un chef bienveillant et affable,
d’un caractère ouvert et communicatif, qui s’était illustré comme colonel en
1815 à la défense de Nogent et jouissait d’une brillante réputation militaire[8]. Voirol
avait, d’après des instructions du 18 mars, le commandement de toutes les
troupes du corps d’occupation ; mais le général Desmichels, commandant la
division d’Oran, et le général d’Uzer, commandant celle de Bône,
correspondaient directement avec le Ministre de la Guerre : « Vous n’aurez à
entretenir avec eux, écrivait le Ministre à Voirol, que des relations de bon
voisinage et celles qui intéresseraient la sûreté de l’occupation ou la
prospérité de notre établissement en Afrique[9]. » Il avait sous sa haute
direction l’administration civile, confiée à Genty de Bussy. Il entretenait
avec les Consuls étrangers des relations « purement officieuses », ces agents
étant en rapport direct avec le Ministre des Affaires Etrangères. La
mission confiée à Voirol était de « consolider l’établissement français en
Afrique » et de « contribuer efficacement à donner une extension progressive
à l’occupation[10]. » Les
moyens à employer pour atteindre ce but consistaient à vivre en bonne
intelligence avec les chefs indigènes pour les amener à la soumission, et à
châtier ceux qui montreraient de l’hostilité. « Tous
vos actes doivent tendre, écrivait le Ministre, à prouver aux populations
indigènes que nous respectons leur religion, leurs usages et qu’il est de
leur intérêt de se soumettre à la puissance de la France. Avec de la fermeté,
de la droiture, une grande justice, il est facile de gagner à la fois la
confiance des Arabes, l’affection de la colonie, et vous obtiendrez en même
temps l’approbation du Gouvernement[11]. » A
l’arrivée de Voirol, les troupes d’Alger comprenaient trois brigades : la 1re,
maréchal de camp de Trobriand, avec les 1er et 2e bataillons d’infanterie
légère d’Afrique, le bataillon de zouaves et le 1er régiment de chasseurs
d’Afrique ; la 2e, maréchal de camp Avizard, avec le 10e léger et la légion
étrangère ; la 3e, maréchal de camp Bro, avec le 4e et le 67e de ligne. Le
maréchal de camp Danlion, commandant la place d’Alger, avait sous ses ordres
le 2e bataillon de vétérans et les compagnies de discipline. L’effectif des
troupes d’Alger au 15 février était d’environ 15.000 hommes et 1.300 chevaux.
La direction d’artillerie était confiée au lieutenant-colonel Lagrange, celle
des fortifications au lieutenant-colonel Lemercier. L’administration
militaire du corps d’occupation, distincte de l'administration civile,
dépendait toujours de l’intendant militaire Bondurand[12]. Les
troupes fêtèrent, le 1er mai 1833, l’anniversaire de Louis-Philippe. Réunies
dans la plaine de Mustapha, elles assistèrent en colonne serrée a un service
religieux célébré sur un autel dressé pour la circonstance. Voirol arriva à
cheval vers midi avec tout son état-major, leur adressa une courte allocution
qui fut accueillie aux cris de « Vive le Roi ! », puis les passa en revue.
L’après-midi, des jeux pour la population européenne eurent lieu sur le champ
d’exercice, hors la porte de Bab-el-Oued[13]. Des
reconnaissances et sorties furent faites aux environs immédiats d’Alger, soit
pour le châtiment des tribus hostiles qui interceptaient les arrivages de
bétail de l’intérieur[14], soit pour la récolte annuelle
des fourrages destinés à la cavalerie[15], soit pour l’étude du tracé des
routes à construire[16]. Les
troupes étaient réparties entre Alger et ses environs immédiats. A Alger
même, il y avait le 4e régiment de ligne, les compagnies du génie et
d’artillerie, un bataillon de vétérans, trois compagnies de discipline, une
compagnie de pionniers, enfin des compagnies du train d’artillerie et des
équipages ; ces diverses unités étaient bien logées. A l’Agha, quartier de la
cavalerie, étaient l’état-major des chasseurs d’Afrique, un escadron, les
magasins et ateliers ; à Mustapha, le 67e était installé dans une caserne au
pied des collines, tandis que le 10e léger et les unités de la légion
étrangère étaient sur la hauteur, dans des maisons particulières. Deux
escadrons de cavalerie étaient à Hussein-Dey[17]. La
ligne des avant-postes était jalonnée par la Maison Carrée, Kouba, Les
Figuiers, Birkadem, Tixeraïn et Dely-Ibrahim. Chaque poste était en principe
occupé par un bataillon ; mais, en raison de leur insalubrité, un certain
nombre d’entre eux étaient évacués partiellement ou totalement pendant la
période des chaleurs. L’occupation de Blida et Koléa, envisagée par le
Ministre de la Guerre, ne devait être réalisée, d’après Voirol, que si le
dessèchement de la plaine était décidé, car les communications à travers les
marais étaient très difficiles[18]. Pour
préparer cette extension, Voirol faisait continuer les travaux de route,
encouragés par le Ministre[19]. Les troupes se prêtaient
volontiers à ces travaux ; elles étaient d’ailleurs ménagées pendant les
chaleurs, allant au chantier le matin de 5 heures à 9 heures, et l’après-midi
de 4 heures à 7 heures[20]. « Le soldat est content,
écrivait Voirol au Ministre ; c’est à qui terminera le plus tôt sa tâche, et
je n’ai qu’à me louer du zèle des troupes à qui les officiers donnent le
meilleur exemple. Chacun sent l’utilité de ce travail et chacun veut y contribuer[21]. » Les
bataillons de la légion, constitués avec des soldats groupés par nationalité,
étaient répartis entre les trois provinces. Autour
d’Alger, les 1er, 2e et 3e, formés d’Allemands et de Suisses, aux ordres des
commandants Marengo et Kléber, et les quatre compagnies du 7e déjà
constituées avec les Polonais émigrés, aux ordres du commandant Horain, se
consacraient, soit à la récolte pénible et dangereuse des fourrages, soit à
des reconnaissances. Le 5e bataillon, formé d’Italiens, était aussi à Alger.
Le colonel Bernelle, commandant la légion, jouait un rôle important dans
l’organisation et le commandement des colonnes. Aux environs d’Oran, les
Espagnols du 4e bataillon se comportaient vaillamment sous la conduite du
commandant Gros d’Avenas. A Bône,
les Belges et Allemands du 6e supportaient mal le climat et mouraient en
grand nombre, le poste étant trop malsain pour eux[22]. La légion étrangère était,
dans son ensemble, en voie d’amélioration au point de vue de la discipline
générale, de la cohésion et de l’instruction. Des sanctions sévères avaient
été prises, soit contre des officiers sans valeur ou sans conscience, soit
contre des hommes de troupe indisciplinés[23]. Les
deux bataillons d’infanterie légère d’Afrique avaient de gros effectifs ; le
premier, 1.352 hommes, le second, 1.157. Voirol faisait tous ses efforts pour
élever le moral de leurs soldats, qu’il appelait les « chasseurs à pied
d’Afrique » ; il ne laissait jamais échapper l’occasion de leur parler, « de
les relever à leurs propres yeux » ; il était d’avis de les traiter « avec
justice et énergie, habileté et prudence[24]. » La
réunion à Alger d’un si grand nombre d'hommes ayant mauvais esprit
l’inquiétait néanmoins, et lui faisait désirer la formation d’un 3e bataillon
pris dans les deux premiers, et la répartition des trois bataillons entre
Alger, Bône et Oran[25]. Le Ministre de la Guerre,
entrant tout à fait dans ses vues, fit créer un 3e bataillon par une
ordonnance du 20 juin 1833[26] ; il décida d’envoyer à Oran le
1er bataillon[27]. Ces trois bataillons, dont
chacun devait compter 31 officiers et 1.046 hommes, paraissaient pouvoir rendre
de bons services et décharger l’ensemble des troupes de travaux pénibles et
de postes sévères. L’état
sanitaire devint moins bon à l’époque des chaleurs : le 5 juillet 1833, le
nombre des malades s’élevait à 2.381 hommes, dont 25 officiers. C’étaient la
légion étrangère et les bataillons d’Afrique qui fournissaient le plus grand
nombre de ces malades, presque tous des fiévreux ; la légion avait occupé la
Maison Carrée et le Fort de l’Eau, et les bataillons d’Afrique la Ferme
Modèle, postes considérés comme les plus malsains de la banlieue d’Alger[28]. Voirol estimait que le service
dans les blockhaus était particulièrement funeste aux soldats européens,
puisqu’à la troisième nuit les hommes y tombaient malades ; aussi
projetait-il de les faire occuper par les spahis, et de réserver les troupes
régulières pour des reconnaissances. Au
milieu de juillet, il ne considérait comme disponibles pour le combat que
1.000 hommes du 10e léger, 1.100 du 67e de ligne, 2.400 du 4e de ligne, les
chasseurs d’Afrique et les zouaves[29]. Cette situation peu brillante
ne l’empêcha pas de faire célébrer à Alger avec éclat l’anniversaire des
journées de Juillet 1830, ni de passer à cette occasion une revue des
troupes. Les
fêtes et cérémonies étaient pour le commandant en chef un excellent moyen de
rapprochement avec les Indigènes. A la revue du 30 juillet, passée sur les
terrains de Mustapha, furent conviés les cheikhs des tribus de la plaine avec
des députations ; ils arrivèrent au galop en tirailleurs, en faisant parler
la poudre comme à l’ordinaire, et défilèrent à la suite des troupes. Le soir,
un bal réunit chez le général Voirol 500 personnes, parmi lesquelles les
cheikhs ainsi que des familles maures et juives d’Alger[30]. Le
bureau arabe donnait d’excellents résultats. Dirigé par le capitaine de la
Moricière, « homme plein d’honneur, de mérite et de dévouement », selon
l’expression de Voirol, il correspondait avec les chefs de tribus et tenait
le général en chef au courant de l’état d’esprit des populations : « Ce
bureau a remplacé, écrivait le 7 juin Voirol au Ministre, les intrigues et
les hommes de mauvaise foi dont M. le duc de Rovigo était entouré, et qui
l’eussent souvent compromis par leur cupidité, si sa loyauté et son
désintéressement n’eussent été bien connus. Le duc avait été à même de se
convaincre, avant son départ, de l’abus qu’ils faisaient de leur position et
avait déjà éloigné de toute participation aux affaires plusieurs de ces
intrigants[31]. » Ce
bureau était à la fois un organe de renseignements sur les tribus, un organe
de liaison avec elles, et un organe de propagande auprès d’elles. Grâce à
lui, Voirol envoya au Ministre de la Guerre, au début de juin, un « rapport
sur les relations de l’armée d’Afrique avec les tribus arabes et kabyles de
la Régence d’Alger[32]. » Son lumineux exposé faisait
ressortir les résultats de la politique suivie à l’égard des Indigènes. Dans
la banlieue d’Alger nommée El Fahs, les habitants possédant des armes
s’étaient fait inscrire pour surveiller les voleurs de bestiaux ; d’autres n’ayant
pas d’armes avaient reçu quelques vieux fusils pour le même objet ; enfin,
dans chaque village, quelques cavaliers auxiliaires s’étaient enrôlés selon
les termes de l’ordonnance du 17 novembre 1831. Le
commandant en chef, en présence des excellentes dispositions ainsi
manifestées par les tribus, créa, par un arrêté du 24 juin 1833, les « spahis
d’El Fahs[33]. » Ces spahis étaient choisis
par le chef d’état-major général, sur la présentation du chef du bureau arabe
; ils recevaient des armes, un permis officiel du port de ces armes, une
solde fixe de 0 fr. 50 par jour, plus une indemnité de 2 francs par jour de
service réel ; afin d’éviter des défections, chacun d’eux devait avoir comme
répondants des familles connues. Ils étaient placés à la suite des guides ou
gendarmes maures, et mis à la disposition du grand prévôt. Cette mesure fut
étendue, par un arrêté du 5 août 1833, à trois autres tribus. Enfin, une
milice indigène à pied fut chargée de garder pendant l’été les postes et les
blockhaus, service trop pénible pour les Européens mal acclimatés ; les
hommes recevaient chacun une indemnité de 1 franc par jour. La
politique indigène menée à Bône par le général Monk d’Uzer donnait elle aussi
de très bons résultats. Les troupes d’infanterie européennes, 55e régiment de
ligne et 6e bataillon de légion étrangère (allemand) se trouvèrent au mois de
juillet 1833 dans l’incapacité de participer au service, par suite du nombre
de leurs malades ; n’ayant guère comme disponibles que les chasseurs
d’Afrique, d'Uzer fit assurer la sécurité de la plaine en grande partie par
ses troupes indigènes, cependant peu nombreuses : 110 spahis fournis par deux
tribus, les auxiliaires turcs et les otages indigènes, en tout 325 hommes[34]. Les
anciennes garnisons turques de la province d’Oran étaient utilisées pour le
service de la France. A Mostaganem, les Turcs et les Coulouglis, dont
l’effectif était de 600 à 700 hommes, recevaient un subside d’environ 3.000
francs par mois ; à Tlemcen, ils avaient reçu des secours en argent et en
munitions et tenaient dans le Méchouar ou citadelle ; mais ces deux garnisons
n’étaient pas assez fortes pour exercer de l’influence à l’extérieur[35]. Tout en
apportant un grand esprit de conciliation dans ses relations avec les
Indigènes, Voirol savait montrer la fermeté indispensable. Il répondait le 16
juin 1833 à une lettre de l’ex-agha Hadj Mahi ed Dine : « Il dépend de toi de
te replacer dans de bons rapports avec nous. Nous sommes disposés à entendre
les paroles de paix que tu apporteras, de même que nous sommes prêts à
combattre, si tu veux la guerre. Mais, comme elle entraîne toujours avec elle
la ruine et la destruction des peuples, nous ne la faisons qu’alors que tous
les moyens de persuasion ont été infructueux[36]. » Les Français,
ajoutait-il, accueillaient généreusement sur leurs marchés les Indigènes qui
les avaient combattus ; seraient-ils traités de la même façon s’ils allaient « isolément
et désarmés » chez les Indigènes ?... Le
Ministre de la Guerre, qui entretenait avec Voirol une correspondance très
régulière, était tenu fidèlement au courant de la politique suivie. Il crut
bon cependant d’envoyer en Afrique le chef d’escadron d’état-major Le Barbier
de Tinan, pour y recueillir tous renseignements utiles[37]. Cet officier supérieur
accompagna avec le commandant Marey, des chasseurs d’Afrique, le capitaine de
la Moricière envoyé à Bougie par Voirol pour y établir des relations avec les
habitants[38]. Le
capitaine de la Moricière, « dont le mérite, le courage et l’activité étaient
très utiles[39] », était l’âme de la
politique indigène et avait été chargé de l’organisation des spahis. Il était
secondé par des officiers et sous-officiers de grand mérite, tels Vergé et
Allegro. Par contre, le corps d’interprètes qui jouait le rôle
d’intermédiaire avec les Indigènes était fort médiocre ; le Ministre de la
Guerre entendait le réorganiser[40], avec l’aide de Delaporte,
agent consulaire distingué, nommé leur chef par Voirol[41]. La
Moricière avait établi avec les tribus des relations telles qu’il pouvait
faire des reconnaissances seul, accompagné seulement d’une escorte
d’Indigènes[42]. Le Ministre appréciait les
résultats obtenus ; envoyant au mois d’août à Voirol une lettre de
satisfaction pour la Moricière, il ajoutait : « Je suis disposé à approuver
tout ce qu’il proposera en faveur du système de persuasion et de confiance
dans lequel vous êtes entré avec les diverses tribus qui avoisinent Alger[43] » ; il proposait même une
amnistie générale pour les délits contre les Français. Le
Ministre crut devoir suspendre le 27 juillet 1833 l’exécution de l’arrêté
pris par Voirol le 24 juin pour l’organisation des spahis d’El Fahs, alors
que le Gouverneur s’occupait de l’étendre à d’autres tribus. Une telle mesure
entravait le développement des heureux résultats déjà obtenus : « C’est un
pas rétrograde, lui écrivit Voirol le 10 août, qui produira un effet
extrêmement fâcheux parmi les tribus de la plaine et qui me met, en outre,
dans un grand embarras pour la garde du Fort de l’Eau, de la Maison Carrée et
de tous nos blockhaus, que j’avais confiée aux spahis. » Il se trouvait dans
l’alternative ou d’abandonner ces postes ou de les confier de nouveau à des
soldats européens qui y tomberaient malades. Il crut bon de maintenir, pour
la garde de chaque blockhaus, 5 spahis, dont un seul monté ; comme les hommes
à pied ne recevaient que 1 franc et le pain, la dépense était minime[44]. Les
spahis avaient d’ailleurs bien d’autres avantages à ses yeux : ils pouvaient
assurer la police et la sûreté de la plaine, communiquer rapidement avec les
tribus, donner d’utiles avis et renseignements ; enfin, liés aux intérêts
français, ils y associaient aussi leurs tribus dans une certaine mesure,
comme par exemple dans la réparation des ponts de Boufarik, faite par 200
Indigènes. « Cette organisation des spahis, concluait Voirol dans sa lettre
au Ministre, a donc présenté des résultats avantageux dès sa création, et
j’espère que le Gouvernement reconnaissant leur utilité prendra très
incessamment des mesures pour leur organisation définitive[45]. » La
collaboration des Indigènes avec l’armée d’Afrique n’était pas seulement
réalisée dans des formations militaires ; elle se manifestait aussi dans les
travaux tels que le dessèchement des marais de l'Harrach et de la Ferme
Modèle. Voirol faisait surveiller et diriger les travailleurs par des Turcs,
ou par des cheikhs dévoués à la France[46]. Le
commandant en chef ne se faisait cependant pas d’illusions sur la fidélité à
attendre des populations indigènes, si la France ne se décidait pas à occuper
le pays. Au moment où la Commission envoyée en Afrique par le Gouvernement
était appelée à donner un avis sur la colonisation, il tenait à donner le
sien au Ministre de la Guerre ; il lui écrivait : « Pour créer la prospérité,
il n’y a qu’une chose à faire, se rendre maître du pays ; si l’on veut
coloniser, il faut disposer du sol ; si l’on veut civiliser, il faut tenir
les indigènes sous sa domination, sans leur laisser l’espoir de s’en
affranchir : là gît toute la question ; là est le point capital contre lequel
viendront échouer tous les systèmes, tous les plans chimériques qui n’ont
pour base que des idées et non des faits ; qui n’ont pour moyen que la
persuasion et non la force[47]. » Il
était partisan d’une occupation complète du pays et non de « quelques lieues
superficielles de marais ou de terres dont la fertilité était encore en
problème » ; il ajoutait : « L’occupation de quelques points littoraux nous
sera très dispendieuse, sans avantages ni présents, ni futurs » ; cette
occupation n’amènerait suivant lui que luttes et dépenses, et aboutirait
probablement à l’abandon d’« une contrée qui aurait pu enrichir la France et
doubler sa puissance, si l’on avait voulu s’y établir solidement et obliger
les habitants à se soumettre[48] ». Mais il fallait, pour
étendre la conquête, un supplément de quatre régiments d’infanterie et deux
de cavalerie. Le
Gouvernement n’était nullement disposé à entrer dans cette voie, comme le
Ministre de la Guerre le lui déclara en termes assez cassants : « Toutes les
fois que vous me faites part de vos vues, je les reçois avec intérêt ; mais,
lorsque je vous ai mandé à plusieurs reprises que je n’approuvais pas
l’occupation de Blida, ni bien moins encore celle de Koléa, vous devez le
tenir pour dit et ne point y revenir sans de nouveaux motifs. Il en est de
même de l’augmentation de forces que vous me demandez et qui consisterait en
quatre régiments d’infanterie et deux de cavalerie[49]. » Le Ministre n’avait pas
de crédits et le Gouvernement voulait d’ailleurs, avant de prendre toute
décision nouvelle, attendre les résultats de l’enquête faite par la
Commission envoyée en Afrique. La
condition préalable d’une extension de la domination française étant
l’existence de voies de communication, Voirol faisait continuer avec activité
les travaux de route ; il s’attachait à pousser la route de Douèra, à
laquelle furent employées toutes les troupes, sauf celles trop éprouvées par
les fièvres. Il demandait au Ministre, pour les soldats qui s’adonnaient avec
zèle à ces travaux, « une gratification qui pourrait consister en une chemise
et une paire de souliers[50]. » C’était une modeste
récompense qu’il convenait d’accorder, disait-il, si on ne voulait pas
décourager les braves soldats qui usaient et détérioraient leurs effets au
cours de ces besognes, et obéraient ainsi leurs masses individuelles. Malgré
ces travaux et quelques autres dans les camps, les troupes se trouvaient dans
un état sanitaire satisfaisant, puisque le 25 octobre il y avait seulement
1.537 malades dans les hôpitaux, soit 2.500 de moins que l’année précédente[51]. Une des préoccupations de Voirol
était de leur faire construire des abris plus sûrs que les baraques dans
lesquelles l’eau s’introduisait par les temps de pluie, ou dont les toits
étaient enlevés par les ouragans quand ils n’étaient pas en tuiles[52]. La
prise de Bougie par le général Trézel le 29 septembre 1833 occasionna des
mouvements de troupes, par suite de la nécessité d’y envoyer des renforts.
Voirol désigna un bataillon du 4e de ligne : « Il vient de s’embarquer,
écrivait-il au Ministre de la Guerre le 3 octobre, avec la gaîté naturelle
aux Français lorsqu’ils croient marcher à l’ennemi. Des sous-officiers et des
soldats libérables cette année sont venus demander à rengager pour suivre
leurs camarades[53]. » A ces 400 hommes du 4e de
ligne, Voirol adjoignit 200 hommes du 2e bataillon d’Afrique avec six de
leurs meilleurs officiers, et écrivit au Ministre : « J’utilise les
bataillons d’Afrique, ce qui les relèvera à leurs yeux et prouvera à MM. les
officiers qu’eux aussi doivent participer à la gloire et au danger de
l’armée, ainsi qu’aux récompenses qui en sont la suite[54]. » A la
prise de Bougie, la Moricière avait « montré autant d’intrépidité que de
talent » ; Voirol, qui voulait le faire nommer chef de bataillon, ajoutait :
« Sa place est marquée à la tête des Zouaves, en remplacement du commandant
Kolb qui est trop âgé pour le service auquel ces troupes sont appelées[55]. » Quant au sergent-major
Vergé, du bataillon zouave, détaché au bureau des affaires arabes, il
l’envoya dans la tribu des Beni Khelil afin de conseiller et aider, dans
l’exercice de ses fonctions à Boufarik, leur jeune caïd, fils de celui
assassiné comme ami des Français[56]. Le
Ministre de la Guerre estima qu’un détachement de zouaves était nécessaire à
Bougie, tant pour la défense du poste que pour l’établissement de relations
avec les Indigènes. Il donna l’ordre le 10 octobre à Voirol de faire partir
pour cette destination quatre compagnies du bataillon d’Alger, de les faire
porter à six compagnies au moyen d’engagements volontaires et de former ainsi
un bataillon qui serait aux ordres immédiats du chef de bataillon Duvivier,
nommé commandant supérieur de Bougie. Il y aurait ainsi deux bataillons de
zouaves de six compagnies chacun, l’un à Alger, l’autre à Bougie[57]. Les
quatre compagnies de zouaves destinées à Bougie s’embarquèrent à Alger le 31
octobre, formant un effectif de 11 officiers et 232 sous-officiers et
soldats. Voirol
craignait que le recrutement de ces compagnies ne devînt très difficile ; car
les zouaves, originaires de la banlieue d’Alger, risquaient de se trouver
dépaysés et même d’être tentés de déserter, et les Indigènes des environs de
Bougie ne paraissaient pas disposés à s’engager. Il
était d’ailleurs peu optimiste sur l’avenir même du corps des zouaves, et
écrivait au Ministre : « Quoique cette organisation soit très utile et qu’il
soit très désirable sous plusieurs rapports de la voir se développer, on peut
prévoir qu’elle aura beaucoup de peine à s’étendre et qu’elle est menacée non
seulement de rester stationnaire, mais encore de décroître. » A son avis, les
rengagements seraient peu nombreux s’ils n’étaient pas encouragés par une
prime en argent, « car ces gens-là aiment encore mieux nos espèces que notre
confiance et notre amitié[58]. » L’avenir
devait prouver que si la prime était un moyen nécessaire, et d’ailleurs fort
naturel, pour favoriser les engagements ou rengagements, un facteur non moins
important consistait dans le choix de cadres connaissant l’Afrique,
s’occupant de leurs soldats indigènes, restant de longues années avec eux, et
sachant gagner leur confiance et leur affection. Un chef
de ce genre était le chef de bataillon Duvivier, un des créateurs des
zouaves, commandant de place à Bougie depuis le 6 novembre 1833. Ayant appris
par Voirol que le maréchal Soult avait l’intention de lui retirer ses quatre
compagnies de zouaves, il écrivit directement au Ministre lui-même ces lignes
judicieuses : « Quant aux zouaves, je n’en parlerai pas ici comme soldats ;
les troupes du corps de Bougie sont tranquilles pour les points où elles les
voient. Mais j’en parlerai comme moyens moraux. L'attachement que me portent
ces Musulmans qui combattent à côté de moi est un grand levier contre des
populations musulmanes qui me font la guerre sacrée. C’est une preuve
évidente et de tous les jours, à ces Kabyles si obstinés, que d’autres sont
venus à nous depuis longtemps et que nous les traitons bien[59]. » Ce rôle politique important
des troupes indigènes est resté le même depuis l’époque où Duvivier le
définissait en termes si clairvoyants. Les
récompenses constituaient un levier puissant pour les militaires de l’armée
d’Afrique, à condition de conserver leur valeur, c’est-à-dire d’être
attribuées avec quelque parcimonie et avec une grande équité. Le Ministre de
la Guerre avait prescrit avec raison de ne pas multiplier les citations à
l’ordre[60]. Voirol
était entièrement pénétré de ces sages principes. Il « cédait le moins
possible aux exigences des spéculateurs militaires[61] », qui demandaient à servir en
Afrique « autant par calcul que par dévouement ». Il désirait par contre
donner de l’avancement aux militaires qui rendaient des services
exceptionnels. Les
officiers et sous-officiers les plus actifs et les plus utiles à la cause de
la France en Afrique étaient ceux qui s’occupaient des relations avec les
Indigènes. Le
sergent-major Vergé, des zouaves, était l’un des plus remarquables. Vêtu en
Arabe et accompagné d’un seul gendarme, il allait à 30 ou 40 kilomètres
d’Alger prendre contact avec les gens des tribus. Après avoir rempli sa
mission chez les Béni Khelil, il fut chargé d’une mission analogue dans la
tribu d’El Khachna[62] ; en dépit des craintes
éprouvées à Alger sur son sort, il sut se faire accueillir parfaitement et
envoya des renseignements intéressants. Proposé à plusieurs reprises pour le
grade de sous-lieutenant[63], il était apprécié en ces
termes par Voirol : « Ce jeune homme, par son courage, son dévouement et
son intelligence, mérite d’être nommé officier. Si l’armée d’Afrique avait
beaucoup de sujets comme lui, parlant arabe, nous ferions de rapides progrès
dans l’esprit des Indigènes[64]. » Vergé a été le
précurseur des officiers des affaires indigènes et des officiers de
renseignements qui ont rendu plus tard tant de services à la France. L’idée
d’officiers français agissant directement sur les tribus germait d’ailleurs
dans les esprits. Voirol avait été « sur le point de nommer Vergé, sur sa
demande pressante il est vrai, caïd des Béni Khelil[65]. » Il préféra, pour le moment,
lui donner une cinquantaine de cavaliers indigènes, force suffisante pour
maintenir l’ordre dans la plaine, et le charger de reconnaître les nombreuses
propriétés du beylik échues au domaine français. Il demandait néanmoins au
Ministre de lui faire connaître ses instructions « sur le projet de nommer
caïds M. Vergé et d’autres Français qui, comme lui, connaîtraient la langue
et auraient assez de courage et de dévouement pour accepter de telles
missions[66]. » La
collaboration avec les Indigènes s’affirmait. A Bône,
le général d'Uzer avait été satisfait des troupes indigènes qui avaient
travaillé avec lui en 1833 ; aussi organisa-t-il au début de 1834 deux
escadrons : un d’otages et un de Turcs. Il disposait en outre de ses spahis,
au sujet desquels il écrivait au Ministre : « Les cavaliers spahis nous sont
également de la plus grande utilité : chaque jour ils éclairent la plaine,
font des reconnaissances sur tous les points que je leur indique et quand je
le juge convenable[67]. » Aux
environs immédiats d’Alger, les Béni Khelil exposés aux brigandages des
Hadjoutes, demandèrent à former une sorte de milice appelée à monter la garde
aux points menacés : « J’ai autorisé, écrivait en mars 1834 Voirol au
Ministre, la formation de cette force armée dont j’attends de bons résultats
pour la tranquillité de la Mitidja et qui ne sera point à notre charge, le
service devant rouler sur tous les cavaliers de la tribu et devant être
gratuit[68]. » C’était la première ébauche
du système de partisans indigènes, destiné plus tard à rendre tant de
services en Afrique du Nord. Voirol
estimait qu’une milice de ce genre pouvait être organisée dans d’autres
tribus, et écrivait au Ministre le 28 mars 1834 : « Je suis convaincu que si
l’on pouvait attacher à chaque caïd 25 cavaliers soldés, cette force, dans un
moment où les populations sont assez bien disposées, ferait le plus grand
bien. » Les cavaliers recevraient une solde de 2 francs par jour, obtenue au
moyen d’un impôt sur la tribu et par suite n’occasionneraient aucune dépense
à l’État. « Ils n’auront rien de commun, ajoutait Voirol, avec les spahis
dont la formation fut suspendue l’année dernière et qui n’auraient pas été
comme ceux-ci sans cesse sous la main du caïd[69]. » Il espérait donner ainsi aux
caïds la possibilité de répondre de la sûreté des routes. La
création de ces cavaliers répondait parfaitement à l’intention du Ministre ;
car dans sa lettre du 27 juillet 1833 suspendant l’exécution de l’arrêté du
24 juin sur les spahis, il avait demandé de chercher des moyens de les
remplacer. Voirol
comptait donner le choix aux tribus entre deux solutions : ou entretenir un
certain nombre de cavaliers, ou être responsables de tous les vols qui se
commettraient sur leur territoire[70]. Comme le Ministre de la Guerre
s’inquiétait des répercussions de cette innovation, Voirol lui répondait
qu’elle n’engagerait en rien le Gouvernement et qu’elle coûterait seulement «
quelques fusils et quelques paquets de cartouches[71]. » Le Ministre lui
interdit cependant de continuer pareille distribution, non seulement parce
qu’il ne voyait pas le moyen de la justifier en comptabilité, mais parce
qu’il craignait de voir un jour les Indigènes tourner ces armes contre les
troupes françaises[72]. Cette dernière éventualité
doit toujours entrer en ligne de compte dans les problèmes d’instruction et
d’armement des indigènes aux colonies. Pour
rallier les Indigènes à sa cause, Voirol savait flatter leur goût pour les
manifestations guerrières. Il ne manqua pas de les convier le 1er mai 1834
aux cérémonies organisées à Alger pour l’anniversaire du Roi. A la revue qui
fut passée à Mustapha prirent part, avec les troupes du corps d’occupation et
la Garde Nationale d’Alger, de nombreux cavaliers indigènes, bien montés et
bien armés, qui défilèrent par tribus. Le programme de la journée comprit des
jeux, des joutes sur l’eau et des danses, puis, le soir, un feu d’artifice
tiré par les soins de l’artillerie[73]. On imagine l’effet produit
dans les tribus par les récits des guerriers qui participaient à ces fêtes.
Les cavaliers indigènes étaient d’ailleurs invités à faire effectivement
parler la poudre aux côtés des troupes françaises, dans les petites expéditions
dirigées contre les Hadjoutes, qui pillaient les tribus soumises de la
banlieue d’Alger. Au
milieu de mai, par exemple, Voirol réunit à Boufarik près de 500 hommes,
presque tous cavaliers, et se fit aider en outre par les Beni Moussa, pour
aller reprendre aux Hadjoutes des troupeaux volés : « Je tenais beaucoup,
écrivait-il au Ministre de la Guerre, à ce que ces auxiliaires formassent
notre avant-garde, parce qu’ils nous donnaient ainsi un gage de fidélité et
de soumission, gage qui aura une grande influence sur nos opérations futures[74]. » Conformément à ses
instructions, le général Bro essaya de négocier par l’intermédiaire du fils
du marabout Sidi Allai, avant d’employer la force. A la suite de l’avance des
troupes, ce furent le capitaine Pellissier et le sergent-major Vergé qui négocièrent
la soumission. Ainsi intervenaient déjà tous les éléments d’une politique
indigène bien comprise. Le
capitaine Pellissier, aide de camp de Voirol, spécialisé dans les affaires
arabes, accompagnait généralement ces expéditions aux environs d’Alger,
appelées « reconnaissances » ; il était avec celle du commandant de la
Moricière le 22 janvier 1834[75] ; il était encore quelques
jours plus tard avec celle du général Bro, accompagné du sergent-major Vergé,
du sous-lieutenant Allegro et de quinze gendarmes maures. Voirol le
considérait comme « un officier actif, bravé, méritant, et dont on pourra
tirer un très bon parti dans de semblables missions[76]. » Il le proposa pour la
croix d’officier de la légion d’honneur à la suite des reconnaissances du
printemps ; il faisait en même temps l’éloge des sous-lieutenants Vergé et
Allegro, qui allaient seuls au milieu des Hadjoutes « sans autre garantie que
celle de leur courage[77]. » Grâce à
l’ensemble des mesures destinées à établir la sécurité, la banlieue d’Alger,
qui avait été abandonnée par ses habitants indigènes, se repeuplait à vue
d’œil. Les dispositions prises pour l’occupation permanente du camp de Douèra
avaient été approuvées le 6 mai 1834 par le Ministre de la Guerre[78]. Les routes auxquelles
travaillaient les troupes facilitaient ainsi la progression française vers
l’intérieur. Voirol
eût voulu voir la colonisation s’étendre à la suite des troupes. Il estimait
qu’il y avait urgence à régler la question des concessions de terrain, en
attribuant des indemnités aux propriétaires indigènes dépossédés. Les
sacrifices financiers nécessaires seraient, d’après lui, largement compensés
par les bénéfices à retirer de la mise en valeur d’une magnifique contrée[79]. Voirol
pensait ainsi que la pénétration pacifique de proche en proche était le
meilleur moyen de bien servir la France et la colonie : « La pacification de
la plaine, écrivait-il le 6 juin 1834, est un des premiers éléments de la
colonisation... Lorsque nous aurons jeté sur la Mitidja un réseau de postes
militaires permanents et respectables par leur position et leur importance,
que le temps et l’habitude auront imprimé leur cachet à notre autorité, alors
on pourra sans inconvénient réduire peut-être le corps d’occupation.
Jusque-là, la mesure serait funeste au présent et à l’avenir[80]. » Il
envoyait souvent son aide de camp Pellissier au marché de Boufarik, et il l’y
faisait si possible accompagner de quelques Européens, parce que, écrivait-il
au caïd des Hadjoutes le 26 juin, « le commerce était le moyen le plus sûr de
rapprocher les hommes des diverses nations[81]. » Pellissier y fut, au début
de juillet, fort bien accueilli, et le docteur Giscard, chirurgien-major au
bataillon des zouaves, donna ses soins à des malades sur l’emplacement même
du marché[82]. C’étaient là d’excellents
moyens de gagner la confiance des populations et d’agrandir la zone soumise. À la
même époque, Voirol réalisa un projet formé depuis longtemps de fonder un
établissement d’agriculture à la Rassauta, en y installant les Arib, anciens
Sahariens vivant de brigandage et éparpillés dans les diverses tribus. Une
cinquantaine de tentes s’y dressèrent ; les hommes s’engagèrent à faire des
patrouilles de jour et de nuit dans les environs de la Maison Carrée[83]. Le capitaine Pellissier a
écrit à leur sujet : « On leur donna des charrues, et on leur fit des avances
en semences. Le projet du général était d’introduire peu à peu chez eux nos
procédés agricoles et d’en faire une tribu modèle, qui, par le bien-être dont
elle aurait joui, aurait donné aux autres la preuve de l’avantage de nos
méthodes de travail et de la douceur de nos lois. C’était, certes, une belle
et noble pensée... Cependant quelques personnes à idées courtes ne
comprenaient pas comment on pouvait avoir la prétention de faire d’honnêtes
gens de brigands arabes[84] ». Afin
d’améliorer encore les relations avec les Indigènes, Voirol prescrivit en
juillet 1834 de généraliser une mesure qui avait été prise à Mostaganem par
le général de Fitz-James : l’admission dans les hôpitaux français des
Indigènes blessés ou malades graves ; il désirait seulement que les frais
d’hospitalisation fussent réglés par les cheikhs des tribus[85]. Il
décrivait d’ailleurs au Ministre de la Guerre sa politique indigène dans les
termes suivants : « Nous pourrons pénétrer successivement, quoique lentement,
au sein de l’Afrique en nous appuyant sur quelques tribus que, dans leurs
propres intérêts, nous attacherons à notre cause. L’anarchie règne parmi les
Arabes, et il faut savoir nous servir d’eux pour conquérir et occuper le pays[86]. » Il
préconisait ce procédé plutôt qu’une expédition pour arriver à Constantine,
et il en attendait des résultats plus certains et plus durables. Jamais
encore la politique indigène n’avait été conçue et pratiquée avec une telle
largeur de vues. Le
bureau arabe destiné à seconder le commandant en chef dans cette politique
n’avait pas encore été développé comme il le méritait. Cet organe était resté
embryonnaire. Pendant
que La Moricière était à Bougie, Delaporte, ancien consul de France à Tanger,
choisi par Voirol comme chef des interprètes, avait été chargé de la
direction administrative du bureau arabe ; le sergent-major Vergé s’occupait
de la partie active du service, des tournées dans les tribus. En réalité, le
capitaine Pellissier, aide de camp de Voirol, avait pris en mains les
affaires arabes à l’état-major du général, secondé par un petit nombre
d’officiers et de sous-officiers qui opéraient pour ainsi dire
individuellement. Les
interprètes auraient pu jouer un rôle utile dans la politique indigène ; mais
ils avaient pour cela trop peu de valeur technique. Les chefs militaires,
connaissant insuffisamment la langue et les habitudes des Musulmans de la
Régence d’Alger, avaient le tort d’employer comme intermédiaires des hommes
habitués au pays, mais peu estimables, souvent des Juifs algériens. Ainsi le
Juif Ben Duran, nom francisé de Ben Duran, commençait à jouer à Alger un rôle
assez important. A Oran, les Juifs Mouchy Busnach et Mardochée Amar furent
employés par le général Desmichels lors du traité qu’il conclut avec Abd el
Kader le 26 février 1834 ; les deux parties furent trompées[87]. En
désignant le consul Delaporte comme chef des interprètes, Voirol avait espéré
sans doute pouvoir améliorer ce corps. Mais Delaporte partit pour Paris et
s’y fit donner un traitement d’inactivité du Ministère des Affaires
Etrangères, à partir du 1er juillet 1834 ; il demanda au Ministre de la
Guerre le 31 août de ne plus être considéré, à partir de cette date, comme
appartenant au corps d’occupation d’Afrique[88]. Peut-être avait-il jugé que
ses fonctions étaient impossibles à remplir convenablement avec le personnel
dont il disposait. Une nation ne doit mettre en contact avec les Indigènes
que des personnages lui faisant honneur. Les
corps spéciaux de l’armée d’Afrique continuaient à se développer, ce qui
pouvait permettre de réduire l’effectif des troupes envoyées de la Métropole.
Les corps formés de soldats difficiles ou d’étrangers étaient destinés aux
postes malsains et aux travaux pénibles, de même que les corps formés
d’Indigènes, mieux habitués au climat, afin de ménager le plus possible les
troupes venues de France. L’organisation
de la légion étrangère en bataillons constitués par nationalités comptait
parmi ses inconvénients celui d’exposer les bataillons à des variations
inopinées et importantes d’effectifs suivant les événements qui se
produisaient dans leur pays d’origine. Le
bataillon espagnol (4e bataillon), stationné à Oran, s’intéressait aux événements
politiques qui opposaient les partisans de la reine-régente Marie-Christine,
gouvernant au nom de la jeune infante Isabelle II, et ceux de Don Carlos.
Comme 300 hommes de ce bataillon étaient libérables en 1834, le Consul
d’Espagne à Alger offrait de les rapatrier à Carthagène aux frais du
Gouvernement constitutionnel, qui avait besoin d’hommes pour combattre
l’insurrection carliste, et qui avait accordé une amnistie à ses émigrés. Le
Ministre de la Guerre envoya pleins pouvoirs à Voirol pour donner au reste du
bataillon espagnol la même destination, si le Consul d’Espagne le désirait[89]. Comme le Consul ne pouvait pas
se charger du transport, le Ministre demanda à la Marine tous les bâtiments
nécessaires pour exécuter aussi rapidement que possible cette opération[90]. Les légionnaires espagnols
furent embarqués à Oran pour l’Espagne le 15 avril 1834, et leurs officiers
français furent affectés aux corps d’Oran. Les
quatre compagnies polonaises déjà constituées avec les émigrés de Pologne
devenaient par contre de très belles unités ; elles avaient été envoyées
d’Alger à Bougie, où elles avaient débarqué le 29 janvier 1834, sous le
commandement du chef de bataillon Horain, et avaient été très appréciées par
le commandant Duvivier. Un détachement de 227 réfugiés polonais en Angleterre
ayant demandé à servir à la légion, Soult décida de joindre ces hommes aux
quatre compagnies existantes et de reconstituer ainsi un 4e bataillon de
légion pour remplacer le bataillon espagnol licencié. Les quatre compagnies
polonaises furent envoyées à Oran au mois de juin, pour y former ce bataillon
polonais, et furent remplacées à Bougie par un autre bataillon de légion[91]. Le
Gouvernement français ne tenait nullement à conserver à la légion étrangère
des hommes peu désireux d’y servir. C’est ainsi que Voirol ayant proposé de
porter à cinq ans le minimum de la durée des engagements, afin d’éviter des
renouvellements trop fréquents et d’avoir plus d’hommes bien instruits, le
Ministre lui répondit le 18 mars : « Comme la légion étrangère a été formée
dans le seul but d’ouvrir un débouché et de donner une destination aux
étrangers qui affluaient en France et qui pouvaient y être un sujet de
perturbation, il n’y a pas lieu d’accueillir votre proposition. Le
Gouvernement ne cherche point à faire des recrues pour cette légion ; ce
corps est tout simplement un asile pour le malheur[92]. » Les
trois bataillons d’Afrique voyaient constamment grossir leurs effectifs,
prouvant ainsi que leur existence répondait à une nécessité. Leurs soldats,
qui étaient généralement appelés « chasseurs d’Afrique[93] », ne demandaient qu’à
participer à des expéditions. Voirol
avait proposé de remplacer à Bougie le bataillon du 4e de ligne par le 2e
bataillon d’Afrique. Le commandant Duvivier paraissant peu favorable à cet
échange, Voirol écrivait le 20 décembre 1833 au Ministre : « Cependant
l’expérience a prouvé que, comme intrépides soldats, les chasseurs d’Afrique
ne laissent rien à désirer. Si, par leur caractère vicieux et leurs passions
ardentes et désordonnées, ils sont plus difficiles à conduire que les soldats
de nos régiments de ligne, il y a quelque mérite à avoir assez d’énergie et
d’habitude pour les bien diriger ; et une telle mission me paraît être digne
du commandant Duvivier[94]. » La permutation des deux
bataillons fut décidée et devait être terminée en janvier 1834[95]. En
raison de l’augmentation des effectifs des bataillons d’Afrique, Voirol
voulait former un 4e bataillon. Le Ministre préféra verser les hommes en
excédent dans des unités appartenant à leur arme d’origine, en désignant par
le moyen de revues bi-annuelles ceux qui se seraient fait remarquer en
expédition ou qui n’auraient pas subi de punitions graves depuis six mois[96]. Les
soldats de ces bataillons devaient, de l’avis de Voirol, être commandés par
des officiers se distinguant par leur vigueur physique et morale : « Il faut
aux bataillons d’Afrique, écrivait-il le 12 avril, des hommes de choix ; plus
les éléments de cette troupe sont vicieux, plus ceux appelés à les commander
doivent réunir les qualités qui constituent les bons officiers[97]. » Il voulait aussi, pour ces
unités, des sous-officiers ayant plus de conduite, de fermeté et
d’instruction[98]. Les
trois régiments de chasseurs d’Afrique n’avaient pas une valeur identique. Les 1er
et 2e régiments contenaient de bons éléments. Le 2e chasseurs d’Afrique
s’était remarquablement comporté le 6 août 1833, au retour d’une petite
expédition aux environs d’Oran, conduite par le colonel Létang, son colonel.
Comme l’infanterie, accablée par la chaleur et la fatigue, sans vivres et
sans eau, se laissait aller au découragement, les chasseurs avaient supporté
à eux seuls les assauts des Indigènes, et sauvé par leur vaillance la petite
colonne[99]. Le 3e
régiment se formait progressivement. Le lieutenant-colonel de Chabannes, son
commandant provisoire, demandait que deux de ses escadrons fussent armés de
fusils, deux autres de mousquetons, et les deux derniers de lances. Le
Ministre hésitait à prendre pareille mesure, par crainte d’enlever aux
cavaliers leur confiance dans l’arme blanche et de les empêcher d’aborder
franchement l’ennemi ; il désirait avoir à ce sujet l’opinion des généraux et
chefs de corps intéressés[100]. Le
manteau blanc piqué de bleu porté par les chasseurs d’Afrique les exposait à
être confondus avec des cavaliers indigènes ennemis ; aussi le général baron
Desmichels, à la suite d’une confusion qui avait failli être fatale à un
escadron du 2e régiment, demanda-t-il que ces manteaux fussent teints en
garance ; le Ministre préférait le drap bleu ou vert, moins voyant que le
garance[101]. Les
quatre compagnies de canonniers garde-côtes d’Afrique, organisées en 1831, ne
suffisant plus à assurer la garde et le service des batteries, deux nouvelles
compagnies avaient été créées par l’ordonnance du 17 octobre 1833[102]. Pour compléter et organiser
ces compagnies, des renforts arrivèrent de France en janvier 1834. La 1re et
la 2e compagnies étaient à Alger ; la 3e à Oran ; la 4e, aussitôt
réorganisée, devait aller à Bône[103] ; la 5e et la 6e devaient être
formées à Alger et envoyées, la 5e à Bougie, la 6e dans les places de la
province d’Oran où elle paraîtrait le plus utile. L’effectif total de ces six
compagnies devait être de 900 hommes[104]. Le 1er
bataillon de vétérans ayant été dissous le 1er janvier 1834, d’après une
décision royale du 27 octobre 1833, le seul bataillon de vétérans qui se
trouvait en Afrique du Nord prit la dénomination de « bataillon de vétérans
», sans numéro[105]. L’effectif des trois
compagnies détachées à Bône diminua rapidement, si bien qu’il fut question de
les fondre en une seule, et de voir si la même mesure ne serait pas opportune
pour les trois compagnies stationnées à Alger. Le Ministre demandait
d’ailleurs à Voirol « quel parti prendre à l’égard du bataillon[106] » ; à la suite des
renseignements qu’il reçut, il décida de rappeler à Alger les compagnies
détachées à Bône et à Oran[107]. Les
gendarmes maures, placés sous les ordres du commandant de la gendarmerie,
Carrelet, se montraient actifs et dévoués. Ils commençaient à exercer leur
contrôle à une plus grande distance d’Alger, et exécutaient des patrouilles
dans la plaine, concurremment avec un petit nombre de gendarmes français[108]. Voirol demandait au Ministre
une augmentation d’une cinquantaine de gendarmes, indigènes ou français, pour
assurer la sécurité[109]. Des
erreurs furent commises dans leur recrutement, et réagirent sur la valeur
générale de leur corps, d’après le témoignage du commandant Cavaignac : « On
les choisit, écrivit-il en 1839, non chez les Arabes, mais dans la population
même d’Alger. Ce sont des hommes peu guerriers, connaissant imparfaitement le
pays. Jamais ils n’ont rendu qu’un service passif... Bien plus, et attendu
que si les Arabes se bornaient quelquefois à dévaliser les Européens qu’ils
attaquaient sur les routes, ils tuaient ordinairement les gendarmes indigènes
qu’ils rencontraient isolés, ces derniers craignirent bientôt de s’aventurer
au dehors, et, s’ils le font encore, ils ont souvent soin de laisser chez eux
leur costume distinctif, et cela pour n’avoir rien à démêler avec les voleurs,
contre lesquels ils sont donc des protecteurs illusoires[110]. » Si le jugement est un peu
sévère pour l’ensemble des gendarmes maures, il donne du moins une impression
basée sur des observations personnelles. Les
anciens miliciens turcs désireux de servir la France subissaient des
vicissitudes diverses ; ils ne pouvaient plus avoir, dans l’organisation des
forces militaires, la situation privilégiée qu’ils avaient sous les deys,
n’étaient pas assez nombreux pour constituer des corps spéciaux indépendants,
et se trouvaient humiliés d’être assimilés ou même accouplés aux Indigènes
dont ils avaient jadis été les maîtres craints et respectés. Les
Turcs de la province d’Oran transportés à Bougie devaient y constituer une
compagnie. Un effectif de 52 d’entre eux, dont deux officiers, deux femmes et
deux enfants, y était arrivé au mois de juin[111]. De l’avis de Voirol, ces
auxiliaires recevaient des indemnités fort insuffisantes pour une ville
ruinée où tout était très cher, et ils devaient être incorporés dans les
zouaves[112]. Le lieutenant-colonel Duvivier
voulait les considérer comme auxiliaires des compagnies de zouaves et les
former en une compagnie sous le nom de « compagnie franche de Bougie. » Le
Ministre n’entendait pas créer de nouvelle unité, estimant que « le nombre de
ces petits corps en Afrique était déjà trop considérable » ; il préférait
constituer, avec eux, une compagnie indigène du bataillon de zouaves encore
loin de son effectif réglementaire, leur faire contracter l’engagement de
trois ans prévu par l’ordonnance du 7 mars 1833 relative aux zouaves, et leur
adjoindre au besoin un certain nombre de zouaves[113]. Il ne faisait ainsi aucune
différence entre les Turcs et les Indigènes, qu’il était cependant, à cette
époque, bien difficile d’associer étroitement. Quelques-uns d’entre eux
désertèrent pour rejoindre le bey Ahmed à Constantine. Les
travaux destinés à favoriser la colonisation du pays étaient poursuivis d’une
façon régulière. Le
dessèchement des marais de la Mitidja était entrepris méthodiquement, sous la
direction d’officiers du génie. A cet effet, deux compagnies de discipline
étaient installées à la Maison Carrée[114]. Quelques centaines de
condamnés aux travaux publics arrivés à Alger au début de janvier[115] furent installés à la Ferme
Modèle en février et mars, et se mirent à la besogne. Enfin plusieurs
centaines d’Indigènes étaient eux aussi employés au dessèchement et à la mise
en culture[116]. Ces Indigènes, qui étaient
payés à raison de 26 sous par jour, se présentèrent en si grand nombre que
les crédits ouverts ne suffirent plus à les rétribuer ; le directeur du génie
fut obligé de les renvoyer[117]. Le 9 mai, toutes les
compagnies de discipline furent réunies à la Ferme Modèle pour terminer
rapidement le dessèchement d’un marais situé près de cette Ferme et qui était
la principale cause de son insalubrité[118]. Les
travaux de routes et les améliorations à l’intérieur d’Alger étaient
continués avec activité[119]. Les travaux de routes avaient
le triple avantage de faciliter les déplacements militaires nécessités par la
pacification, d’ouvrir des voies à la colonisation et de maintenir dans les
troupes la santé et la discipline[120]. Le
dévouement des travailleurs militaires ne parvenait pas à émouvoir les
bureaux parisiens. Le Ministre de la Guerre craignait de ne pouvoir leur
accorder, à titre de gratification, la paire de souliers, la veste et le
pantalon de treillis demandés instamment par Voirol, par suite de l’«
impossibilité absolue d’admettre aucune nouvelle cause de dépense[121]. » Les troupes d’Afrique,
qui peinaient au loin, étaient, comme il arrive souvent en pareil cas,
sacrifiées les premières quand il s’agissait de comprimer les dépenses
budgétaires. La
suppression, au mois de juin 1834, par mesure d’économie, de certains
suppléments de solde et de vivres accordés jusqu’alors à l’armée d’Afrique[122] fit mauvais effet sur les
troupes. Elle provoqua du découragement, « surtout, écrivait Voirol, dans les
corps spéciaux destinés à rester en Afrique » ; mais il n’y eut à Alger aucun
symptôme de désordre. Par contre, à Oran eut lieu le 7 juillet au 2e régiment
de chasseurs d’Afrique, toujours indiscipliné, une tentative de rébellion, à
laquelle les autres troupes de la garnison ne prirent aucune part[123]. L’état
sanitaire de l’armée était, en 1834, bien meilleur que l’année précédente. De
sérieuses précautions furent prises pour éviter les maladies : dès le 1er
juin, les postes malsains de la banlieue d’Alger et les blockhaus furent
occupés par des Indigènes[124]. Grâce à ces mesures, le
chiffre des malades à la fin de juillet variait seulement entre 1.200 et 1.300,
avec une mortalité peu considérable[125]. Les
garnisons de Bougie et de Bône comptaient beaucoup de malades. A Bougie, le
lieutenant-colonel Duvivier attribuait les maladies au fait que nombre
d’hommes devaient coucher par terre ; Voirol décida d’expédier des hamacs
pris dans les magasins d’Alger, et de faire partir pour ce poste quelques
chirurgiens aides ou sous-aides[126] ; il envoya en même temps le
chef de bataillon de Bourgon suppléer le lieutenant-colonel Duvivier, qui
était lui-même malade[127] ; il fit à nouveau, en
septembre, embarquer pour Bougie des chirurgiens et des médicaments[128]. Il prenait toutes les mesures
possibles en faveur de ce poste, considéré alors comme le plus malsain dans
lequel on pût résider. Le
général Voirol resta commandant en chef par intérim depuis le 26 avril 1833
jusqu’au 26 septembre 1834, jour du débarquement du général Drouët d’Erlon,
nommé gouverneur général. Pendant
ces dix-sept mois, il n’agrandit pas beaucoup les possessions de la France ;
mais il pratiqua une politique indigène visant à gagner de proche en proche
les populations à sa cause, et capable d’obtenir des résultats plus heureux
qu’une conquête violente. Sa
méthode de pénétration pacifique a été incomprise par beaucoup de ses
contemporains, et il a été souvent considéré, bien à tort, comme peu
favorable à l’extension des possessions françaises en Afrique. Il a pratiqué
« l’occupation restreinte » parce qu’elle lui a été imposée par le
Gouvernement français, surtout par raison d’économie. N’ayant ni
l’autorisation ni les moyens de s’avancer dans le pays les armes à la main,
il a cherché à gagner les Indigènes par la justice, la bienveillance,
l’association, l’amitié, tout en laissant à l’occasion apparaître sa force.
Si son commandement n’avait pas été un commandement par intérim, Voirol eût
pu suivre une politique plus large et plus sûre. Il eût aussi exercé un plus
grand ascendant sur l’intendant civil Genty de Bussy, qui affectait d’agir à
sa guise dans les questions d’administration ; après avoir subi longtemps son
intendant, il finit par se brouiller avec lui, à propos de la prétendue
conversion d’une Mauresque au catholicisme. Genty de Bussy ne fit pas partie
du gouvernement général organisé par Drouët d’Erlon. Voirol,
dans le domaine restreint qu’il s’attacha à exploiter, avec les moyens
limités dont il disposa, obtint de très bons résultats au point de vue de
l’influence française. S’il avait été mieux appuyé par Paris, il eût sans
doute agi avec plus de fermeté dans certains cas, en soutenant vigoureusement
le parti français dans des villes comme Médéa et Cherchell, au lieu de
l’abandonner. Malgré quelques hésitations, son commandement correspond à une étape importante dans l’histoire coloniale française, parce qu’il marque, avec le bureau arabe et l’organisation des spahis auxiliaires, la première ébauche véritable de la méthode qui devait plus tard faire ses preuves avec Galliéni et Lyautey, sous le nom de « politique indigène ». |
[1]
Le général Avizard au Ministre de la Guerre, d’Alger, 10 mars 1833.
[2]
Le général Avizard au Ministre de la Guerre, d’Alger, 10 avril 1833.
[3]
El Hadj Mahi ed Dine, ex-agha, au général Voirol, 26 avril 1833.
[4]
El Hadj Mahi ed Dine, ex-agha, au général Voirol, 26 avril 1833.
[5]
Le général Avizard au Ministre de la Guerre, d’Alger, 10 avril 1833.
[6]
Capitaine E. Pellissier, Annales algériennes, tome II, 1836, pages
72-73.
[7]
Le général Avizard au Ministre de la Guerre, d’Alger, 10 avril 1833.
[8]
Capitaine E. Pellissier, Annales algériennes, tome II, 1836, page 75,
note 1.
[9]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 18 mars 1833 (minute).
[10]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 18 mars 1833 (minute).
[11]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 18 mars 1833.
[12]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 18 mars 1833.
[13]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 2 mai 1833.
[14]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 4 mai 1833.
[15]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 8 mai 1833 et 2 juin 1833.
[16]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 14 juin 1833 et 6 juillet
1833.
[17]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 24 juin 1833, lettre et
rapport joint.
[18]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 24 juin 1833, lettre et
rapport joint.
[19]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 25 juin 1833.
[20]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 27 juin 1833.
[21]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 6 juillet 1833.
[22]
Bernelle et Colleville, Histoire de l'ancienne légion étrangère, née en
1831, licenciée en 1838. Paris, 1850, pages 40 à 59.
[23]
Bernelle et Colleville, Histoire de l'ancienne légion étrangère ...,
pages 37-38.
[24]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 27 juin 1833.
[25]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 2 juillet 1833.
[26]
Journal militaire officiel, 1er semestre 1833, pages 369-371.
[27]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 11 juillet 1833.
[28]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 6 juillet 1833.
[29]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 17 juillet 1833.
[30]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, le 31 juillet 1833.
[31]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 7 juin 1833.
[32]
Joint à la lettre précédente.
[33]
Moniteur algérien du 5 juillet 1833, p. 1.
[34]
Voir : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, 1931,
pages 74-75.
[35]
Rapport joint à la lettre du général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger,
7 juin 1833.
[36]
Le général Voirol à El Hadj Mahi ed Dine, ex-agha des Arabes, d’Alger, 16 juin
1833.
[37]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 17 mai 1833.
[38]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 8 juillet 1833.
[39]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 25 juillet 1833.
[40]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 15 juillet 1833.
[41]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 25 juillet 1833.
[42]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 2 août 1833.
[43]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 22 août 1833.
[44]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, le 10 août 1833. — L’ordre
du Ministre suspendant l’arrêté n’existe pas aux Archives du Ministère de la
Guerre, ni dans la Correspondance du général Voirol publiée par Gabriel
Esquer. Sa date n’est pas donnée dans la lettre du 10 août le discutant ; mais
elle figure dans une lettre de Voirol au Ministre du 18 avril 1834 (Gabriel
Esquer, page 535).
[45]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 10 août 1833.
[46]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 22 août 1833.
[47]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 26 septembre 1833.
[48]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 26 septembre 1833.
[49]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 10 octobre 1833.
[50]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 23 octobre 1833.
[51]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 25 octobre 1833.
[52]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 10 novembre 1833.
[53]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 3 octobre 1833.
[54]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 11 octobre 1833.
[55]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, lettre du 3 octobre citée.
[56]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, lettre du 11 octobre
citée. — Le général Voirol au caïd et aux gens de Beni Khelil.
[57]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 10 octobre 1833.
[58]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 31 octobre 1833.
[59]
Voir dans : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie,
pages 72-73, d’autres passages de cette lettre.
[60]
Le général Voirol aux généraux commandant à Oran, Bône et Bougie, d’Alger, 15
novembre 1833.
[61]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 19 novembre 1833.
[62]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 23 novembre 1833.
[63]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 29 novembre 1833.
[64]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 21 décembre 1833.
[65]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 21 décembre 1833.
[66]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 21 décembre 1833.
[67]
Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, page 75.
[68]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, mars 1834.
[69]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 28 mars 1834.
[70]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 18 avril 1834.
[71]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 9 mai 1834.
[72]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 5 juin 1834.
[73]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 2 mai 1834.
[74]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 23 mai 1834.
[75]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 24 janvier 1834.
[76]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 30 janvier 1834.
[77]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 10 juin 1834.
[78]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 6 mai 1834.
[79]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 11 décembre 1833.
[80]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 6 juin 1834.
[81]
Le général Voirol au caïd des Hadjoutes, d’Alger, 26 juin 1834.
[82]
Le général Avizard au Ministre de la Guerre, d’Alger, 5 juillet 1834.
[83]
Le général Avizard au Ministre de la Guerre, d’Alger, 5 juillet 1834.
[84]
Capitaine E. Pellissier, Annales algériennes, tome II, 1836, pages
123-124.
[85]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 9 juillet 1834.
[86]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 12 juillet 1834.
[87]
Voir : Colonel Paul Azan, L'Emir Abd el Kader, Paris, 1925, pages 24 à
29.
[88]
Le Ministre de la Guerre à Voirol, de Paris, 9 septembre 1834.
[89]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 14 février 1834.
[90]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 11 mars 1834.
[91]
Voir : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, 1931,
page 73.
[92]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 18 mars 1834.
[93]
Cette appellation de « chasseurs d'Afrique » donnée aux chasseurs des
bataillons d’infanterie légère d’Afrique a occasionné, chez certains écrivains,
des confusions entre ces fantassins et les cavaliers des régiments de «
chasseurs à cheval d’Afrique », auxquels est resté le nom de chasseurs
d’Afrique.
[94]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 décembre 1833.
[95]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 8 janvier 1834.
[96]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 21 janvier 1834.
[97]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d'Alger, 12 avril 1834.
[98]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 6 mai 1834 (original),
commentant le rapport confidentiel joint au rapport d’inspection de Voirol.
[99]
Récit détaillé et pittoresque par le capitaine E. Pellissier, Annales
algériennes, tome II, 1836, pages 152-155.
[100]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 9 septembre 1833.
[101]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 20 janvier 1834.
[102]
Journal militaire officiel, 2e semestre 1833, p. 185-186.
[103]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 18 janvier 1834.
[104]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 21 juin 1834.
[105]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 21 janvier 1834.
[106]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 12 juin 1834.
[107]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 19 août 1834.
[108]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 juin 1834.
[109]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 13 juin 1834.
[110]
Commandant Eugène Cavaignac, De la Régence d‘Alger, Paris, 1839, pages
95-96.
[111]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 25 juin 1834.
[112]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 24 juin 1834.
[113]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 23 juillet 1834.
[114]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 23 novembre 1833.
[115]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 8 janvier 1834 ; et
d’Alger, 18 janvier 1834.
[116]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 8 mars 1834.
[117]
Capitaine E. Pellissier, Annales algériennes, tome II, 1836, page 80.
[118]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 9 mai 1834.
[119]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 1er février 1834.
[120]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 18 avril 1834.
[121]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 17 juin 1834.
[122]
Le Ministre de la Guerre au général Voirol, de Paris, 16 juin 1834.
[123]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 26 juillet 1834.
[124]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 6 juin 1834.
[125]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 2 août 1834.
[126]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 25 juillet 1834.
[127]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 19 août 1834.
[128]
Le général Voirol au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 septembre 1834.