Lorsqu’au
début de décembre 1831 le général Savary, duc de Rovigo, fut chargé de
remplacer Berthezène, il reçut le titre de « commandant en chef du corps
d’occupation d’Afrique ». Il était chargé de « pourvoir à la conservation, à
la défense et à la sûreté des possessions françaises en Afrique ». Le
commandant de la division d’Oran, placé sous ses ordres, pouvait en cas
d’urgence correspondre directement avec le Ministre de la Guerre, mais devait
envoyer les mêmes rapports au commandant en chef. Le pouvoir civil, séparé du
pouvoir militaire, était confié à un intendant civil dépendant directement du
président du Conseil et des divers ministres. Le
corps d’occupation comptait environ 11.000 hommes et 400 officiers ; en
défalquant un millier d’hommes aux hôpitaux, il se réduisait à 10.000 ; comme
d’autre part le bataillon auxiliaire d’Afrique était inutilisable, l’effectif
disponible ne dépassait pas 9.400 hommes[1]. L’infanterie
venue de la Métropole était dans un état moral satisfaisant, mais comptait
beaucoup d’hommes malades ou affaiblis par le climat. Les corps spéciaux
d’infanterie paraissaient encore peu aptes à rendre de bons services, sauf le
67e s’il était tenu pendant quelque temps « dans une discipline sévère et une
rigoureuse exactitude du service[2] ». La
légion étrangère avait grand besoin d’acquérir de la discipline : « Je
me garderai bien de la réunir, écrivait Rovigo au Ministre de la Guerre,
comme je me le propose pour le 67e, car il ne faudrait qu’une ivrognerie pour
m’amener une scène d’insurrection[3] ». Les
deux bataillons de zouaves, commandés par de bons chefs de bataillons, Maumet
et Duvivier, n’étaient encore « qu’une espérance », en raison des difficultés
auxquelles se heurtait leur organisation[4]. Rovigo n’était nullement
d’avis, comme le projet en avait été formé par le Ministre de la Guerre[5], de les réunir à la légion
étrangère, car leurs officiers, particulièrement Duvivier, avaient pris sur
eux une grande influence. « Ces troupes, écrivait-il le 10 février au
Ministre, n’offriraient plus la même garantie sous des chefs qui n’auraient
point, au même degré, l’art de les commander[6] ». Le
commandant Duvivier, qui s’occupait de ses zouaves avec sollicitude,
recherchait quelle était la meilleure organisation à leur donner. A son avis,
les zouaves devaient être groupés par bataillons s’administrant séparément ;
dans chaque bataillon les ire et 8e compagnies devaient être constituées avec
des Français et les six compagnies intérieures avec des Indigènes et une
escouade française : c’est ainsi qu’il avait organisé son bataillon, qui
comptait un effectif de 462 hommes, et où le nombre des fusiliers français
était à peu près égal à celui des fusiliers indigènes. La principale raison
de cette organisation était d’ordre tactique : au combat, les deux compagnies
françaises étaient destinées à jouer le rôle de réserve pour le bataillon, et
l’escouade française de réserve pour la compagnie engagée isolément. Une
note rédigée par Duvivier contenait des remarques qui s’appliquent encore à
la lettre aux héritiers actuels des premiers bataillons de zouaves, les
bataillons de tirailleurs indigènes, et qui cependant sont encore méconnues
souvent. « Il faudrait, écrivait Duvivier, que les Français fussent tous
jeunes, robustes, bons sujets destinés à donner l'exemple. Il faudrait qu’ils
fussent à hauteur de cette mission. Or, malheureusement, on ne nous a jamais
écoutés. On a versé chez nous des gens abrutis par la boisson, d’anciens
militaires tarés dans le vice, des éclopés ou des infirmes qui ravalent notre
nation aux yeux des indigènes, des hommes qui cherchent à les friponner de
toutes les manières possibles, et qui reculent d’autant nos progrès de
civilisation. Heureusement, ils sont en minorité[7] ». Le rôle des Français
devait consister à servir « de surveillants, de directeurs, de guides[8] ». Quant
au rôle des Indigènes, Duvivier le précisait ainsi : « Où les Arabes
reprennent leur supériorité, c’est dans les combats de tirailleurs, dans les
flanquements de colonne, dans la rapidité des marches, dans les
reconnaissances, dans la connaissance des chemins, des sentiers, dans celle
surtout du caractère hostile ou pacifique des Bédouins qu’ils rencontrent ou
qu’ils aperçoivent, dans leur propriété de pouvoir marcher longtemps sans
vivres, trouvant toujours quelques racines ou herbes sauvages qu’ils mangent
toutes crues, dans leur habitude de supporter le soleil, dans leur vue active
et perçante qui leur fait apercevoir au loin et dans les fourrés ce qu’on
n’eût su y trouver avec une bonne lunette[9]. » Toutes
les questions concernant les zouaves devaient être réglées sur place, par le
chef de corps, parce qu’en France, il était difficile de bien comprendre les
nécessités résultant des mœurs et de la mentalité des Indigènes : « Ils ne
reconnaissent dans leur esprit qu’un seul chef, écrivait Duvivier. Ils n’ont
qu’une faible idée de la divisibilité et de la transmission du pouvoir. A la
moindre querelle, à la moindre cause de plainte, c’est au chef qu’ils vont
recourir ; il faut les écouter, les raisonner, les mettre d’accord : c’est un
tribunal de paix constamment en séance[10]. » Une troupe de ce genre était
tout à fait différente de celles dont le Gouvernement de la Métropole pouvait
avoir à s’occuper. Le
bataillon auxiliaire d’Afrique, fort de 694 hommes, officiers compris, avait
des éléments déplorables comme officiers et comme soldats. Les moins mauvais
étaient 200 ou 300 hommes rejetés par le 67e. Ils vendaient effets, armes et
munitions et étaient à peu près tous destinés, pensait Rovigo, à être
condamnés par le Conseil de guerre. Aussi projetait-il d’organiser pour eux
une « prison flottante » sur de vieux vaisseaux et de les utiliser pour les
travaux publics[11]. Les
compagnies de discipline, formées d’après les instructions du Ministre du 22
octobre 1831 et l’ordonnance royale du 31 octobre suivant, avaient été
constituées définitivement sous le nom de 5e compagnie de fusiliers et 5e
compagnie de pionniers. Le Ministre ne voulait pas que les corps y fissent
passer leurs hommes difficiles à conduire, ni ceux coupables de délits prévus
par les lois, mais seulement les militaires de mauvaise conduite reconnus
incorrigibles, « coupables de fautes et de contraventions nombreuses que la
discipline des corps n’avait plus la force de réprimer. » Les compagnies de
discipline, fusiliers et pionniers, devaient être employées autant que
possible, comme en France, aux travaux des fortifications, plus capables que
les manœuvres de « dominer l’esprit turbulent des hommes qui les composent »
; le gain du disciplinaire travailleur lui revenait sous forme d’amélioration
de l’ordinaire et d’augmentation de sa masse de linge et chaussure[12]. La
cavalerie était en piètre état. Le 12e
de chasseurs à cheval n’avait que 180 chevaux disponibles, qui étaient
d’ailleurs peu aptes à marcher, en raison du manque de fourrages dont ils
avaient souffert. Les
chasseurs d’Afrique en formation comptaient à Alger 250 hommes et 29
officiers, 141 chevaux des troupes et 28 d’hommes montés à leurs frais ; mais
ils manquaient complètement d’équipement. A Oran, ils étaient encore en
nombre infime[13]. Le duc
de Rovigo était tout disposé à favoriser le développement des unités
spéciales, et même à en créer de nouvelles, car il se rendait parfaitement
compte de l’impossibilité de dominer le pays avec un corps d’occupation «
organisé comme on le serait pour faire la guerre en Europe ». Rappelant
au Ministre le régiment de dromadaires d’Egypte, Rovigo lui proposait par
analogie d’employer des mules, n’ayant « pour équipage que leurs bâts
recouverts de la couverture de couchage du cavalier et un licol ». En cas
d’expédition à faire, il aurait ainsi un régiment d’infanterie monté, avec
des vivres pour cinq à six jours et cent cartouches par homme, et n’aurait
plus qu’à y joindre de la cavalerie et quelques petits obusiers de campagne
pour constituer sa colonne. « Tout cela, écrivait-il, ferait facilement 15
lieues (45
kilomètres) par
jour sans laisser de traînards qui, dans ce pays-ci, sont autant d’hommes
perdus ; au moyen de cette organisation, il n’y a pas de tribu arabe
récalcitrante que je ne puisse atteindre avant qu’elle soit prévenue de mon
mouvement[14]. » Des colonnes légères de ce
genre devaient, à son avis, permettre d’assurer la complète domination du
pays. Elles ne furent réalisées qu’après bien des années et de coûteuses
erreurs ! Un
autre projet qui lui était cher consistait à créer « de petits établissements
en faveur des militaires venus en Afrique sur des promesses de colonisation
et de ceux qu’on pourrait fixer par ce moyen à l’époque de leur libération du
service[15]. » C’était la colonisation
militaire, préconisée plus tard si ardemment par Bugeaud. Rovigo,
désireux de mettre en bon état le corps dont le commandement lui était
confié, s’occupa spécialement de la situation matérielle de ses troupes. Pour
éviter à ses soldats les écueils du désœuvrement, il les employa à
transformer des terrains vagues en jardins ; il voyait là le moyen « de leur
donner de l’occupation, les préserver de l’ivrognerie qui les tue et de leur
procurer un petit bien être[16]. » Le
couchage était encore défectueux, malgré les améliorations déjà réalisées.
Des lits de fer, demandés en France par Berthezène, isolaient les soldats du
sol et de l’humidité, mais ils n’avaient pas de matelas ; pour en fabriquer,
Rovigo imposa à la ville d’Alger une contribution de 4.500 quintaux de laine[17] ; cette contribution suscita
tant de réclamations que le Ministre l’annula[18], et se chargea de passer un
marché pour le couchage. Les
postes établis aux environs d’Alger, comme la Ferme Modèle et la Maison
Carrée, furent reliés à Alger et entre eux par des routes. Les
troupes travaillaient sous la direction d’officiers du génie et de sapeurs,
que ce fût dans la banlieue d’Alger[19] ou pour construire une route
entre Oran et Mers-el-Kebir[20]. La dépense était minime : «
quelques verres de vin et un quart de pain distribués sur le terrain des
travaux dans le moment du repos », écrivait Rovigo, qui ajoutait : « Je n’ai
pas eu à réprimer un seul boudeur. Les soldats vont gaiement aux travaux, accompagnés
de leurs officiers qui les en ramènent. Chaque corps a sa tâche, la cavalerie
comprise[21]. » Le jardin de plaisance, dit
du Dey, demeure d’été du Gouverneur, fut consacré à l’établissement d’un
vaste hôpital[22]. Les
bataillons de zouaves et de légion étrangère furent chargés d’occuper les
postes des environs d’Alger, entre lesquels des blockhaus furent établis sur
les routes[23] ; les autres régiments furent
placés en arrière de ces camps, ou dans Alger. La
légion avait à Alger les 1er, 2e, 3e et 5e bataillons, qui au 1er avril 1832
comptaient 78 officiers et 2.669 hommes ; il fallait défalquer de cet
effectif 300 malades, 88 déserteurs en France, 10 déserteurs en Afrique et 36
détenus ou en jugement à Alger. Les trois premiers bataillons étaient
composés en majorité d’Allemands, presque tous originaires de la rive gauche
du Rhin ; le 5e, de Piémontais et d’Italiens[24]. « Les
hommes qui composent cette légion, écrivait Rovigo au Ministre, sont
généralement grands et robustes ; ils offrent, dans leur démarche et leur
tenue, un aspect très militaire... Une centaine de très mauvais sujets,
déserteurs de diverses armées, exigent une surveillance rigoureuse et de
fréquents délits en font traduire un grand nombre en Conseil de guerre. Quelques-uns
ont déserté aux Arabes et font pratiquer leurs camarades pour qu’ils aillent
les rejoindre, en leur écrivant qu’ils auront, comme eux, un cheval, de
l’argent et des femmes. L’expulsion successive de ces mauvais sujets ne
laissera dans la légion que des soldats accoutumés à la discipline et à la
vie militaire, satisfaits de trouver dans notre service une existence
assurée, et disposés à se fixer dans la Colonie. Les officiers montrent
généralement du zèle et de la bonne volonté, et un chef sachant manier les
hommes y créerait bientôt l’esprit de corps[25]. » Les
soldats de la légion étrangère confirmaient les espoirs fondés par Rovigo sur
la colonisation militaire, car ils demandaient « s’il leur serait permis de
coloniser en Afrique », en se chargeant de dessécher eux-mêmes les marais.
Deux chefs de bataillon de la légion, Salomon de Musis et de Moret, étaient «
passionnés pour cette idée de coloniser leurs soldats », et se chargeaient de
les diriger dans leurs travaux. D’ailleurs, ceux de la Maison Carrée avaient,
sous les ordres du commandant Salomon de Musis, assaini les environs en
creusant un canal, et commencé à cultiver[26]. La
légion avait ainsi, dès cette époque, les caractéristiques qu'elle a toujours
conservées depuis. Elle
faisait à ses dépens son apprentissage de la guerre d’Afrique : un petit
détachement de 25 légionnaires, laissé seul un moment, au cours d’une
reconnaissance aux environs de Maison Carrée, le 23 mai 1832, fut entièrement
massacré[27] ; nouvelle preuve que les
petits détachements étaient une erreur ! On apprit peu après que le massacre
était l’œuvre de la tribu des Annaoua, conduite par un déserteur de la légion
nommé Hoé, qui eut l’audace d’écrire à un de ses camarades de venir le rejoindre[28]. Les
trois compagnies espagnoles de la légion qui étaient à Oran n’avaient pas la
même valeur que les bataillons d’Alger. Le général Pierre Boyer n’était pas
sûr de certains de ces légionnaires, qui avaient subi des condamnations ou
qui avaient été longtemps esclaves dans les bagnes turcs d’Alger ; il
préférait en former des ateliers d’ouvriers. Rovigo
passa le 1er avril 1832 une inspection des troupes d’Alger qui lui laissa une
impression satisfaisante. Les
régiments de France étaient en bon état. Le 4e régiment d’infanterie de
ligne, qui formait seul la 1re brigade sous les ordres du général baron
Buchet, donnait toute satisfaction. Le 10e
léger comptait 2.185 hommes « dispos et robustes », et n’avait perdu pendant
l’hiver que 23 soldats sur 300 hospitalisés. Le 67e de ligne était par contre
peu capable de rendre des services. Sur un effectif de 2.555 hommes, il n’en
avait qu’environ 1.800 sous les armes, car il comptait plus de 400 malades
aux hôpitaux ou à la chambre et 150 en prison et en jugement ! Parmi les
autres, 550, âgés de 33 à 55 ans, la plupart mariés et sans aucune
instruction militaire, étaient à réformer pour diverses causes. « Ces hommes,
écrivait le 3 mai Rovigo au Ministre, tirés de la population flottante de
Paris et de Lyon, sont généralement faibles et indisciplinés ». Près de 300
étaient morts dans les hôpitaux depuis le mois de septembre 1831. Cependant
ce régiment était capable, grâce à l’action des officiers supérieurs et des
capitaines qui lui avaient été donnés, et au maintien dans des grades
inférieurs de ses officiers de la première heure, de devenir utilisable : «
il pourra, écrivait Rovigo, entrer en comparaison avec tout autre, lorsque
les hommes à réformer auront été remplacés par des conscrits tirés de nos
bonnes provinces[29]. » Le
Ministre se préoccupa d’améliorer le cadre d’officiers du régiment, en
indiquant à Rovigo les moyens de se débarrasser des mauvais par des enquêtes
ou par des visites médicales et en comblant les vacances[30]. Quant
au bataillon auxiliaire, il fut dissous, tandis que fut créé un « dépôt du
corps d’occupation d’Afrique », dans lequel furent versés la majeure partie
de ses hommes[31]. Les
garnisons turques de Mostaganem et de Tlemcen, désireuses de conserver leur
rôle et leurs avantages, s’étaient ralliées aux Français, nouveaux maîtres de
la Régence. Le général Boyer fit attribuer une solde aux Turcs de Mostaganem
et fit même habiller les célibataires. Il fournit du soufre et du salpêtre à
ceux de Tlemcen, qui occupaient le Méchouar (citadelle), résistant à la pression des
habitants de la ville qui acceptaient la souveraineté du Sultan du Maroc. Une
autre garnison turque, celle de Bône, fut prise à ses ordres par le capitaine
Yusuf, lorsqu’il eut avec le capitaine d’Armandy, par un exploit extraordinaire,
occupé la Casba de cette ville dans la nuit du 26 au 27 mars 1832. L’énergie
que montra Yusuf en faisant fusiller trois soldats turcs disposés à se
révolter contre lui, et en tuant l’un d’eux de sa main[32], assura dès le début son
autorité sur leurs camarades. Il leur fit accorder par Rovigo une solde de 1
fr. 80 par jour. Il disposa d’environ 200 Turcs, dont 80 étaient montés ;
cette troupe rendit les plus grands services dans la résistance contre les tribus
environnantes, en raison de l’état sanitaire déplorable des troupes
européennes de Bône au moment des chaleurs. Les
Turcs fournissaient ainsi un appoint précieux de troupes irrégulières au
service de la France, dans des villes où ils défendaient loyalement sa cause
contre les Indigènes dissidents. La
seule cavalerie régulière était constituée par les chasseurs d’Afrique, le
12e régiment de chasseurs à cheval ayant reçu l’ordre de rentrer en France,
en laissant sur place chevaux et équipements. Ils se développaient
rapidement. Le 1er chasseurs d’Afrique, commandé par le colonel de
Schauenbourg, avait dès le mois de mai 1832 formé quatre escadrons. Il
attirait à lui de brillants jeunes gens désireux d’acquérir de la gloire, «
et auxquels les mains démangeaient de faire quelque chose[33] » ; aussi possédait-il un cadre
de sous-lieutenants et de maréchaux-des-logis remarquable. Comme il n’avait
malheureusement pas reçu son habillement, Rovigo écrivait au Ministre : « Il
fait peine à voir de si beaux jeunes gens, montés sur de très beaux chevaux
assez bien équipés, habillés de toute couleur et de toutes espèces, coiffés
de bonnets de police ou de casquettes qu’ils ont apportés de France. Il
faudra s’en servir comme ils sont[34]. » La
formation des quatre premiers escadrons étant achevée, le régiment fut
autorisé le 15 mai par le Ministre à constituer de suite les 5e et 6e ; puis,
aussitôt leur organisation réalisée, deux escadrons supplémentaires, les 7e
et 8e. Les 5e et 6e furent rapidement formés. Le régiment achetait avec
facilité des chevaux aux Indigènes, et il avait assez de fourrage pour eux,
grâce aux dispositions prises par Rovigo pour la récolte dans les plaines
autour d’Alger[35]. Pour
hâter la formation des 7e et 8e escadrons, destinés à Bône, le Ministre de la
Guerre décida au début de juillet d’envoyer en Afrique 350 cavaliers tirés
des régiments de France. « Il faut, écrivait-il à Rovigo, que ces corps vous
rendent maître de tout le pays, mais pour cela, il est nécessaire qu’ils
soient dans le meilleur état possible, sous tous les rapports, afin qu’ils
aient confiance en leur propre force[36]. » Tout
alla si bien que les 7e et 8e escadrons purent être formés, armés et équipés
dès la fin de juillet. Rovigo décida de les embarquer pour Bône au début
d’août. Le
commandant en chef avait hâte de mettre fin à l’autorité que Yusuf s’était
attribuée ; il était assez mal disposé à l’égard de cet officier, malgré sa
magnifique bravoure, parce qu’il n’approuvait pas sa prétention aux fonctions
de bey de Constantine ; il estimait que cette désignation risquait
d’indisposer le bey de Tunis, dont Yusuf avait jadis dû fuir le palais[37]. Il n’avait pas grande
confiance dans la fidélité des Turcs de Yusuf, et envisageait de les renvoyer
en Orient ; il les considérait d’ailleurs comme pouvant devenir un instrument
dangereux entre les mains de leur chef ; il donna l’ordre de limiter leur nombre
à 150, et prescrivit au général Monk d’Uzer de remonter les chasseurs
d’Afrique de préférence à eux. « Ce contre-poids, écrivait-il au Ministre,
pourra arrêter l’ambition de Joseph, et j’ordonne du reste qu’à la première
faute de désobéissance, il me soit envoyé sur-le-champ. Le chef d’escadrons
de Chales commandera ces deux escadrons et Joseph lui-même[38]. » De cette façon, Yusuf et ses
cavaliers turcs se trouvaient surveillés. Le 2e
chasseurs d’Afrique, à Oran, se développait moins rapidement que le 1er . Il
avait reçu de France, à la fin de mars 1832, un détachement de 466 officiers
et hommes de troupe destinés à son noyau, et constituait ses premiers
escadrons. La formation de ce régiment avait été confiée au colonel Létang,
ancien officier de l’Empire. Sorti de l’Ecole militaire en 1807, Létang avait
eu la plus brillante conduite au feu et avait reçu dès 1813 la croix
d’officier de la légion d’honneur comme lieutenant aux chasseurs de la garde
impériale ; il était colonel depuis 1829. « C’était, a écrit le général du
Barail, une figure militaire bizarre. Tout petit, les cheveux roux, il avait
l’air d’un gamin, et pour augmenter encore cette apparence juvénile, il
portait la veste ronde et la casquette plate, dont on affublait en ce
temps-là les lycéens[39]. » Malgré ses mérites et son
expérience, il ne parvint pas à imprimer une bonne impulsion à son nouveau
corps. L’indiscipline du régiment était due à son caractère, « violent,
autoritaire, rageur, et substituant sa volonté aux règlements », mais aussi au
fait que « les chasseurs d’Afrique se recrutaient parmi les mauvaises têtes
de France[40]. » Le
colonel Létang avait par exemple puni de prison un brigadier coupable
d’avoir, étant ivre, arraché le voile de la femme du caïd Ibrahim, revenant
du bain maure ; il l’avait envoyé au fort de Mers-el-Kebir, monté sur un âne
et portant, sur sa veste retournée, une pancarte sur laquelle étaient
inscrites sa faute et sa punition. Des chasseurs l’ayant rencontré jugèrent
l’honneur du régiment compromis, et coururent au quartier prévenir leurs
camarades : tous montèrent à cheval, allèrent délivrer le brigadier, et le
ramenèrent en triomphe à Oran. Létang fit rentrer les mutins dans
l’obéissance à force d’énergie, et renvoya le coupable en prison, mais sans
pancarte. De tels incidents étaient déplorables pour la discipline ![41] « Les
chasseurs algériens » montés à leurs frais, comme les appelait Rovigo d’après
une dénomination qui n’était plus usitée dans l’ordonnance du 17 novembre
1831, c’est-à-dire les cavaliers indigènes admis dans les régiments de
chasseurs d’Afrique, lui semblaient « les hommes les plus utiles de notre
cavalerie », à condition qu’ils fussent « laissés sous l’influence de leurs
habitudes et des mœurs nationales ». Il estimait qu’il ne fallait pas tenter
de les soumettre à des règles quelconques, car ce serait « comme si on les
obligeait à se faire Chrétiens ». Il précisait : « L’idée d’aller à la
manœuvre, de se former régulièrement, de marcher en ordre, ne leur entre pas
dans la tête. La pensée de l’ordonnance qui veut qu’on les attache au
régiment, à raison de 36 par escadron ne peut pas s’exécuter. Ce serait
l’équivalent d’une dissolution prochaine du peu d’hommes de cette espèce que
nous avons déjà que de les soumettre à cette organisation. Il faut attendre
encore quelques années avant de les porter à cela[42]. » Rovigo
proposait en conséquence de ne pas se conformer à l’ordonnance : « Je crois,
concluait-il, bien plus utile à nos intérêts de laisser tous ces hommes
réunis sous un même commandement qui serait celui du chef d’escadron Marey
qui s’est identifié avec eux, qui a gagné leur confiance et qui même a pris
leurs mœurs. Si vous me laissez de la latitude à cet égard-là, je les
adjoindrai au régiment de chasseurs dont ils seraient les éclaireurs, étant
aux chasseurs d’Afrique ce que les lanciers sont aux chasseurs de France[43]. » Les «
spahis » apparurent à Bône d’une façon isolée et un peu inattendue au mois de
décembre 1832. Le général d’Uzer réussit à recruter dans la tribu des
Karessa, qui était venue se mettre sous sa protection, 19 cavaliers indigènes
qu’il enrôla conformément aux termes de l’ordonnance du 17 novembre 1831. Ces
19 spahis, rattachés au chef d’escadron de Beaufort, fournirent chaque jour
deux cavaliers chargés de battre la plaine et de venir lui faire leur
rapport. Le général Trézel, chef d’état-major du corps d’occupation, demanda
au maréchal Soult l’autorisation pour d’Uzer d’agir ainsi à l’égard de toutes
les tribus qui viendraient faire leur soumission[44]. L’artillerie
et le génie étaient surtout employés aux travaux, et s’y consacraient avec
ardeur. « L’artillerie et le génie, écrivait le 14 mai 1832 Rovigo au
Ministre, font ici des travaux prodigieux, qui surpassent tout ce que,
raisonnablement, on aurait le droit d’exiger des hommes. Officiers, soldats
et ouvriers, chacun se raidit contre les difficultés et semble s’être inspiré
de les vaincre[45]. » Il ne cessait de demander
pour eux du matériel, principalement du bois et des voitures. Le
général de Caraman, chargé au mois d’avril d’inspecter l’artillerie
d’Afrique, alla dans les divers postes et à Oran étudier les besoins et faire
la répartition des pièces disponibles[46]. Au milieu de mai, il y avait à
Alger 14 pièces d’artillerie bien attelées[47]. La situation matérielle des
troupes n’était pas très brillante : les canonniers garde-côtes qui avaient
amené leurs femmes et leurs enfants étaient dans le dénuement ; d’autre part,
dans le casernement des troupes d’artillerie, « des femmes habitaient au
milieu des chambrées avec leurs maris, quelques-unes véritablement mariées,
d’autres ne l’étant pas[48]. » Le général de Caraman
proposait de porter remède à cette situation par une autre répartition des
locaux. Trois
compagnies d’ouvriers auxiliaires du génie avaient été formées avec les
ouvriers tirés des volontaires parisiens, et rendaient de grands services.
Lorsque le bataillon auxiliaire fut dissous, elles subsistèrent ; comme elles
ne pouvaient, malgré le désir du directeur du génie, s’administrer séparément
sous son autorité, elles firent partie du dépôt du corps d’occupation
d’Afrique. Mais la formation de ce dépôt n’étant qu’une mesure transitoire,
le Ministre décida de verser dans les régiments les hommes propres au
service, et de congédier les autres successivement, soit pour rester dans la
colonie comme ouvriers, soit pour rentrer en France par petits détachements[49]. Ces unités étaient, parmi
celles formées avec les volontaires parisiens, celles qui avaient rendu le
plus de services. Les
troupes régulières ou irrégulières dont l’ensemble constituait le corps
d’occupation d’Afrique n’avaient rien de comparable avec les troupes de
France, en ce sens qu’elles étaient à peu près toutes en formation, en
transformation, en mouvement. Le
maréchal Soult, estimant que le commandant en chef avait besoin d’être
secondé dans leur surveillance et leur direction, avait fait nommer le 11 mai
1832 le lieutenant-général comte d’Alton inspecteur général permanent des
troupes du corps d’occupation d’Afrique. Ce général pouvait, suivant les
ordres de Rovigo, le remplacer suivant le cas soit à Alger s’il allait en
expédition, soit à la tête d’une expédition s’il restait à Alger. Il devait «
donner aux détails d’organisation, d’instruction, de service intérieur, de
discipline et d’administration toute la rectitude et l’ensemble nécessaires,
tant à l’égard des troupes régulières que des troupes irrégulières et hors
ligne[50]. » L’hygiène
des troupes avait besoin d’être attentivement surveillée. Rovigo prenait de
judicieuses dispositions pour éviter aux hommes les atteintes du climat. Il
les obligeait à rester à l’abri du soleil de 10 à 15 heures, et ne faisait
exécuter les relèves qu’à 18 heures. Il faisait la chasse aux cabarets et aux
marchands de vin. Il affranchissait les soldats des parties les plus gênantes
de leur équipement ; il les laissait monter la garde en casquette, en bonnet
de police et sans col[51]. L’état
sanitaire commença cependant à devenir mauvais dès la première quinzaine de
juillet 1832. Les deux postes de la Maison Carrée et de la Ferme Modèle, très
malsains, avaient dû être évacués par les troupes, qui avaient été reportées
en arrière, et seules les garnisons des blockhaus avaient été laissées sur la
ligne[52]. Néanmoins les hôpitaux
s’emplirent, plutôt d’hommes fatigués que de malades graves. C’étaient les
Allemands de la légion étrangère et les chasseurs d’Afrique qui en
fournissaient le plus grand nombre, tandis que les trois régiments français
d’infanterie n’en avaient presque pas. Tous les hommes des bataillons qui
avaient occupé la Maison Carrée et la Ferme Modèle étaient successivement
hospitalisés[53]. Le
nombre des malades à la fin de juillet était de 2.230, la plupart pour fièvre
bénigne[54]. Comme le service dans les
blockhaus était incriminé, Rovigo prescrivit au général Buchet de diminuer le
nombre des hommes de garde, sans les supprimer, en raison de l’incendie
possible par les Indigènes de ces blockhaus en bois : « Nous avons affaire à
de jeunes troupes, lui écrivait-il ; il faut que notre expérience les dirige.
Les positions des camps ne sont pas malsaines, vous n’avez de mauvais que les
blockhaus. Eh bien ! il faut les garder avec le moins de monde possible ![55] » Des doses de quinine
préventive furent imposées aux hommes placés dans les blockhaus et dans les
postes malsains ; des distributions régulières de ce médicament furent
prescrites[56]. Le nombre des malades
s’élevait à 2.834 le 4 août ! « J’ai des bataillons entiers à l’hôpital[57] », écrivait Rovigo, en faisant
allusion à celui du 4e de ligne revenu de Bône. Le 10 août, on comptait 3.100
malades, avec un total d’entrées aux hôpitaux l’emportant sur celui des
sorties de 20 à 50 par jour[58]. Le 2 septembre, il y avait
3.715 malades, dont 1.570 en voie de convalescence[59] ; le 6 septembre, 3.900[60] ; le 15 septembre, plus de
4.000, et environ 2.000 convalescents[61]. Cependant, avec la disparition
des grandes chaleurs, les hôpitaux se vidèrent peu à peu, si bien que le 26
décembre, ils ne contenaient plus que 1.860 malades[62]. Examinant
la situation au début de 1833, Rovigo constatait que, sur un effectif de
16.871 hommes, il y avait eu 24.261 entrées à l’hôpital dans l’année ! La
mortalité en officiers et soldats était de 1.415. C’étaient la légion
étrangère, le 10e léger et le 67e de ligne qui avaient été le plus éprouvés ;
le fait n’était pas étonnant, remarquait Rovigo, pour la légion et le 67e, en
raison de l’intempérance des hommes ; pour le 10e léger, « régiment bien tenu
et sage », il devait être attribué à ce qu’un bataillon avait été trop près
de l’Harrach. Par contre, les pertes au 4e de ligne avaient été
insignifiantes, quoique ce régiment eût eu plus de service de garde et de
travaux que les autres : « A la vérité, écrivait Rovigo, ce régiment est
paternellement et sévèrement mené, et je crois que sa discipline est pour
beaucoup dans la bonne santé qu’il a conservée[63]. » Rovigo
désirait ardemment éviter toute lutte armée avec les Indigènes ; dans ce but,
il adopta dès son arrivée une attitude aussi ferme que conciliante à leur
égard. Il écrivait le 3 janvier 1833 à Ben Zamoun, chef de la tribu des
Flissa : « Vous pourrez bien reconnaître un jour, et peut-être trop
tard, que la guerre ne rapporte jamais autant qu’elle coûte. Ce sera alors
que vous vous repentirez de l’avoir continuée[64]. » « L’agha
des Arabes », le marabout de Koléa Mahi ed Dine es Seghir ben Embarek, chargé
des relations du commandant en chef avec les Indigènes, paraissait de son
côté convaincu que la force ne devait être employée qu’à défaut de tout autre
moyen. Il écrivait en janvier à Rovigo : « Vous pensez que je suis un brave
homme et fidèle Français. Vous ne vous êtes pas trompé sur mon compte, Dieu
en est témoin. Mon intention est de continuer à faire le bien selon mes
capacités. Ce que je ne pourrais faire, vous S’entreprendrez vous-même, ayant
la force en main[65]. » Il donnait ainsi une
définition du rôle de la politique indigène telle que l’a plus tard comprise
le maréchal Lyautey, la force n’intervenant qu’en cas d’échec de la
diplomatie. Il ajoutait : « Vous m’avez chargé de dire aux Arabes que votre
intention était de les rendre heureux. Je me suis acquitté de la commission[66]. » Dans
des lettres fréquentes, il rendait compte des événements survenus chez les
indigènes et de leur état d’esprit et prenait soin de protester de sa loyauté
et de son dévouement. La
politique de conciliation avec les tribus préconisée par Rovigo prit une
rapide extension. Des relations établies par mer avec Cherchell et avec
Bougie firent baisser le prix des denrées. « Nos marchés prennent de la vie,
écrivait Rovigo le 25 avril ; l’abondance y règne et ne peut qu’augmenter. Je
dois donc me féliciter d’avoir adopté la ligne politique que je suis, tant
avec les habitants d’Alger qu’avec les Arabes du dehors ; toutes les tribus
qui m’entourent sont venues me faire de nouvelles soumissions[67]. » Le
commerce naissant lut entravé par les Juifs, désireux de réaliser de plus
gros profits ; ils firent répandre le bruit que les Musulmans étaient
insultés au marché d’Alger, espérant grâce à ce moyen acheter leur bétail à
bon compte hors de la ville et le revendre cher aux Chrétiens. Rovigo dut
adresser une proclamation « aux Arabes de la plaine » pour leur dire que les
lois françaises protégeaient les hommes de toute religion, et le petit comme
le grand[68]. La
justice équitable impressionnait d’ailleurs favorablement les Indigènes. « La
manière dont nous rendons justice aux Arabes, écrivait Rovigo au Ministre,
produit beaucoup de sensation et est très propice à faire faire des progrès à
notre domination... Ils sont très sensibles à ce qu’on les juge avec la même
impartialité que les Français[69]. » La
bonne harmonie qui tendait à s’établir entre les troupes françaises et les
Indigènes fut malheureusement troublée par de louches intrigues et par des
maladresses administratives. Rovigo,
qui avait conservé certaines habitudes du temps où il était ministre de la
Police impériale, aimait à écouter les rapports d’agents secrets ; certains
de ces agents ayant desservi auprès de lui l’agha Mahi ed Dine es Seghir, il
tint ce fonctionnaire en suspicion et négligea de prendre ses avis, pourtant
utiles. Une ambassade d’un chef du Sud venue à Alger fut dépouillée au retour
sur le territoire de la tribu des Oufia, non loin de la Maison Carrée ;
Rovigo envoya aussitôt ses troupes massacrer la petite tribu et fit juger et
exécuter son chef, sans que la complicité de ces Indigènes dans l’agression
fût certaine. Ce massacre ne fut pas étranger à un soulèvement qui de proche
en proche gagna Koléa, ville de Mahi ed Dine ; Rovigo envoya une colonne qui
battit les dissidents près de Boufarik, puis fit arrêter les cousins de Mahi
ed Dine à Koléa. L’agha
des Arabes, malgré les invitations qui lui étaient faites de revenir auprès
de Rovigo, restait à distance d’Alger, et même de Koléa. Dans une lettre
reçue le 14 octobre par Rovigo, il se plaignait de l’arrestation de ses
cousins et ajoutait : « Parmi tous les généraux en chef qui ont commandé à
Alger, lequel m’a jamais manqué de respect ? Aucun, si ce n’est vous. Quant à
moi, ma conscience est pure de tout reproche, car je n’ai fait aucun mal.
Cette charge à laquelle je me suis abaissé a été une cause réelle de
déconsidération aux yeux des gens de la Régence, parce qu’ils prétendaient,
par rapport à ces fonctions, que j’étais l’ami des Français. J’ai supporté
tous les désagréments de ma charge par amour des devoirs qu’elle m’imposait.
Actuellement, je suis retourné à la vie privée, bien décidé à ne m’occuper de
rien, et il vous est libre d’agir comme il vous plaira[70]. » C’était là une
déclaration de rupture non déguisée. Les
relations de Rovigo avec les Indigènes s’aggravèrent encore du fait de
l’arrestation à Alger de deux chefs douteux, à qui il avait fait remettre un
sauf-conduit pour venir auprès de lui, et qu’il fit juger et exécuter en
février 1833 au mépris de toute loyauté[71]. Les
interprètes auraient pu jouer un rôle important dans la politique indigène ;
mais ils étaient peu nombreux et peu instruits. Rovigo se plaignait de ne pas
pouvoir en adjoindre un à chacune de ses reconnaissances, ce qui l’empêchait
d’obtenir les renseignements qu’il désirait. Il les considérait d’ailleurs
comme n’étant ni sûrs ni discrets[72]. Sur les 21 dont il disposait
pour les services de l’armée, un seul savait écrire l’arabe ![73] Comme il recevait un grand
nombre de lettres en arabe, il était forcé « d’emprunter le secours d’hommes
du pays pour les lire à ses interprètes qui les écrivaient en français[74] », système très médiocre à tous
points de vue. Rovigo fit prévenir au mois d’août les interprètes qu’au 1er
janvier 1833 il ferait descendre d’une classe tous ceux qui ne sauraient pas
lire l’arabe[75]. Le
désir d’amener à la France les populations musulmanes n’empêchait pas Rovigo
et ses subordonnés de comprendre le danger de tentatives prématurées
d’assimilation. C’est ainsi qu’en octobre 1832 un Maure d’Alger du nom de Ben
Marabet ayant demandé à obtenir la qualité de citoyen français, l’Intendant
civil et le duc de Rovigo jugèrent bon d’ajourner indéfiniment leur réponse :
« Je partage entièrement votre manière de voir, écrivit le 30 novembre le
Ministre à Rovigo. Dans l’état actuel des choses, il y aurait encore de
l’imprudence à donner aux Indigènes, quelle que soit leur religion, quelle
que soit l’influence dont ils jouissent parmi les leurs, des droits qui
pourraient devenir entre leurs mains une arme contre nous[76]. » Ces lignes de Soult, écrites
il y a plus d’un siècle, méritent encore d’être méditées aujourd’hui. La
propagation du christianisme chez les populations musulmanes semblait
désirable à Rovigo, mais ne pouvait, à son avis, être recherchée en
autorisant des missions. Il écrivait au Consul général d’Angleterre en
octobre 1832, au sujet d’une demande concernant un membre de la Société
Biblique de Londres, Ewald, qui voulait prêcher l’Evangile : « Quoique
disposé que soit mon Gouvernement à appuyer la propagation du Christianisme,
il serait cependant contraire à la tolérance et à la liberté religieuse qu’il
professe de prescrire ou d’autoriser en pareille matière une mission
quelconque[77]. » Le
Ministre de la Guerre approuvait d’ailleurs pleinement cette manière de voir,
puisqu’il lui répondait : « Tout en désirant que la propagation des principes
du Christianisme seconde nos efforts pour les progrès de la civilisation, je
ne saurais trop vous prémunir contre les dangers d’une propagande avouée et
soutenue publiquement par l’autorité. Elle ne pourrait que nous aliéner les
populations musulmanes, trop portées déjà par leur croyance à s’inquiéter de
l’établissement au milieu d’elles d’un culte étranger. La tolérance
religieuse, qui est dans nos lois et dans nos mœurs, est aussi à Alger dans
les intérêts de notre politique[78]. » Il y
avait ainsi complète unité de vues entre Soult et Rovigo, pour une politique
faite de bienveillance, de fermeté et de justice à l’égard des Indigènes,
destinée à les amener progressivement à la France. L’autorité
du commandant en chef, déterminée par les ordonnances et par les instructions
reçues, n’était pas toujours facile à exercer. La
séparation du pouvoir civil et du pouvoir militaire avait été effectuée par
l’ordonnance du 1er décembre 1831, prise lorsque le remplacement de
Berthezène par Rovigo avait été décidé ; elle avait placé, aux côtés du
commandant en chef, un intendant civil résidant à Alger, ayant la haute main
sur les services civils et financiers et sur la justice, et dépendant
directement du président du Conseil et des divers ministres intéressés. Or
cet intendant civil, le baron Pichon, n’avait les mêmes idées que Rovigo ni
sur la politique indigène, ni sur la colonisation. La mésentente entre Rovigo
et Pichon, qui s’accentua rapidement[79], montra le défaut du système
prématurément adopté : elle amena le Gouvernement à remettre, par une
ordonnance du 12 mai 1832, l’intendant civil sous les ordres du commandant en
chef, et à remplacer le baron Pichon par Genty de Bussy. Dans
l’exercice même de ses fonctions militaires, Rovigo rencontrait des
difficultés, créées par l’état d’esprit de ses subordonnés immédiats : le
maréchal de camp Monk d’Uzer, commandant à Bône, et le lieutenant général
Pierre Boyer, commandant à Oran. Le
général Monk d’Uzer à Bône entendait jouir d’une certaine indépendance au
point de vue de la conduite des opérations. Il écrivait à ce sujet le 25
juillet à Rovigo : « Mes courses ont eu le double avantage de faire connaître
les Arabes à mes soldats, de les habituer à la marche, à la fatigue, et de
prouver aux tribus que nous sommes assez forts pour les aller trouver toutes
les fois que leur conduite envers nous m’y obligerait... Je ne peux pas
comprendre qu’à 80 lieues de distance, le général en chef ne me laisse pas la
latitude d’agir suivant les circonstances. J’écris au Ministre de la Guerre
pour lui donner connaissance de vos dernières lettres, et le prie d’envoyer à
ma place un autre officier général qui puisse obtenir de meilleurs résultats,
en restant enfermé dans la place de Bône[80]. » Il ne pensait pas, ajoutait-il,
que le commandement de la province de Bône fût considéré par le Ministre
comme celui d’un commandant de brigade. Monk
d’Uzer voulait se mettre en rapports avec les Indigènes, et estimait que le
capitaine Yusuf devait être l’intermédiaire avec eux, comme l’agha était
celui du commandant en chef à Alger. Il voulait donc faire confiance à Yusuf,
et non lui substituer pour cette mission les personnages que Rovigo lui
envoyait d’Alger ; il pensait même que Yusuf était tout désigné pour être bey
de Constantine si l’expédition s’effectuait. Il défendait auprès de Rovigo sa
politique en ces termes : « Quel est le but que l’on se propose ? N’est-ce
pas celui d’attirer les Arabes à nos marchés, de les mettre en relations avec
nous, de leur créer des besoins ? Tout cela est obtenu[81]. » Rovigo
n’acceptait pas la conception de son subordonné. Il envoya en septembre 1832
le général Trézel à Bône pour « s’assurer des sentiments personnels du
général d’Uzer et de ses intentions », et arriver à préciser leur situation
réciproque. Il écrivait à Trézel : « Bône m’appartient comme le Bouzaréa. Je
sais bien qu’il est une foule de détails pour lesquels le maréchal de camp
qui commande doit avoir carte blanche, mais tout ce qui est politique
extérieure ou intérieure, tout ce qui est communications d’office aux régions
voisines, tout cela doit venir de moi[82]. » Il n’admettait pas
l’autorité accordée à Yusuf, ni la demande pour lui de frais de
représentation s’élevant à 12.000 francs, tandis que le général en chef de
l’armée n’en avait que 10.000 ; il disait à son sujet : « Quant à Joseph, il
doit être, et je veux qu’il ne soit qu’un soldat[83]. » Il priait Trézel de veiller
au licenciement de tout effectif dépassant 150 hommes de troupe aux ordres de
Yusuf et d’envoyer ce surplus éventuel au général Boyer, pour Mostaganem et
Mascara. Monk
d’Uzer répliquait à Rovigo avec une belle franchise qu’il n’avait nullement
l’intention de ne pas le reconnaître comme général en chef, mais qu’il
défendait ses propres attributions, et que, ne paraissant pas avoir sa
confiance, il renouvelait sa demande de rappel au Ministre de la Guerre[84]. Finalement, les deux généraux
eurent une loyale explication, qui les amena à se réconcilier. Le
lieutenant général Pierre Boyer à Oran avait des attributions parfaitement
déterminées par les instructions du Ministre, il avait commandé une division
à Alger sous les ordres de Clauzel, et avait été ensuite le candidat de cet
officier général pour sa succession au commandement en chef ; il avait
accepté, après la nomination de Berthezène, « le commandement de la ville et
du territoire d’Oran ». Le Ministre de la Guerre lui avait écrit, en le
désignant, le 25 juin 1831 : « Vous serez sous les ordres du lieutenant
général Berthezène, commandant le corps d’occupation d’Alger. Vous établirez
en conséquence avec lui une correspondance régulière et suivie. Néanmoins,
vous m’adresserez des rapports toutes les fois que le bien du service
l’exigera[85]. » Arrivé
au milieu de septembre 1831, il avait pris dans sa correspondance le titre de
gouverneur de la province d’Oran ; le Ministre l’avait autorisé le 15
novembre à prendre à l’avenir celui de « commandant en chef à Oran », mais en
ajoutant : « L’unité de vue, d’action et d’intérêts exige que, quoique vous
correspondiez directement avec le Ministre de la Guerre, vous adressiez
toujours copie de vos rapports au général commandant le corps d’occupation et
que vous restiez en relations directes de service avec lui, conformément à
vos premières instructions[86]. » La
nouvelle organisation définie pour le corps d’occupation d’Afrique en
décembre 1831, lors du remplacement de Berthezène par Rovigo, avait précisé
que le général d’Oran, placé sous les ordres du commandant en chef, prenait
le titre de « commandant la division d’Oran ». Boyer était donc subordonné à
Rovigo, tout en ayant une certaine initiative. Cependant les relations entre
les deux lieutenants généraux s’étaient peu à peu envenimées. Rovigo
n’était pas satisfait de la manière dont le général Boyer traitait les
Indigènes, et en particulier les faisait exécuter sans jugement[87] ; il avait le tort de prescrire
au colonel Marion à Oran de faire une enquête sur les agissements de son chef[88]. Il reprochait aussi à Boyer un
discours adressé au bataillon espagnol de la légion à propos d’une tentative
de don Pedro en Espagne, et lui faisait grief de ses mauvaises relations avec
les consuls d’Angleterre ou d’Espagne. Malgré les efforts que fit le Ministre
pour lui inspirer de meilleurs sentiments à l’égard de Boyer[89], il cessa à partir du 5
novembre 1832 de correspondre directement avec lui, confiant ce soin à
Trézel, son chef d’état-major général[90]. Il se plaignait de son
subordonné, dans ses lettres au Ministre de la Guerre, à qui il écrivait par
exemple le 26 décembre 1832 : « Le général Boyer ferait bien mieux de
remonter son régiment, d’organiser ses dix pièces d’artillerie de campagne,
et, en un mot, de tâcher de rendre ses tribus abordables que de se faire des
querelles avec les consuls[91]. » Rovigo s’étonnait qu’un
homme ayant un si beau passé « n’ait pas vu à faire à Oran quelque chose de
plus important et de plus glorieux que de décrier sans cesse et même outrager
celui auquel il doit obéir[92]. » Une
situation aussi tendue ne pouvait durer. Aussi le Ministre de la Guerre,
jugeant que l’un des deux devait rentrer en France, rappela le général Boyer. Le duc
de Rovigo avait eu peut-être tort de prendre au tragique l’exécution de
quelques traîtres indigènes, et les réclamations de consuls étrangers peu
intéressants. Tous
ces dissentiments ne tenaient pas uniquement au caractère un peu difficile
des personnages en présence et au choc de leurs idées relatives aux méthodes
de commandement et aux procédés d’organisation. Elles tenaient aussi au fait
que l’éloignement des possessions de Bône et d’Oran et la difficulté de leurs
communications avec Alger tendaient à rompre l’unité du « corps d’occupation
d’Afrique. » Les
opérations militaires n’avaient pas grande envergure et présentaient plutôt
un caractère défensif ; mais elles permettaient cependant aux troupes de se
familiariser avec le pays, de s’aguerrir, et d’adapter leurs procédés de
sécurité et de combat à la tactique de leurs adversaires. Les
environs immédiats d’Alger étaient infestés de bandes de pillards qui
volaient les troupeaux et se précipitaient sur des isolés. Les soldats
étaient toujours victimes des mêmes imprudences : « Ce n’est pas la hardiesse
qui manque à nos jeunes gens, écrivait Rovigo au Ministre, c’est le
savoir-faire dans cette petite guerre d’embuscade[93]. » Dans
une expédition au-delà de Blida, le 22 novembre 1832, les zouaves « se firent
remarquer par une extrême agilité et une grande intelligence du terrain[94]. » A Oran,
le marabout de Mascara, Mahi ed Dine, avait déclaré la Guerre Sainte aux
Chrétiens, et venait avec son fils Abd el Kader inquiéter la ville. Lors
d’une de ses tentatives, le 11 novembre 1832, Boyer exécuta une sortie où
chasseurs d’Afrique, partie à cheval, partie à pied, légionnaires et
fantassins se distinguèrent. Comme
les opérations intermittentes et les services de garde ou de protection des
postes n’absorbaient qu’une partie des effectifs et du temps, les troupes
étaient largement employées à la construction des routes et à l’édification
des camps. Elles s’adonnaient avec ardeur à ces travaux, en n’imposant que
des dépenses minimes à l’Etat. Rovigo demanda au Ministre d’accorder comme
gratification une paire de souliers, une chemise et un pantalon de toile à
chacun des travailleurs militaires, pour compenser l’usure de leurs effets ;
il remarquait à ce sujet : « Les résultats que nous avons obtenu sont
immenses et ne coûteront pas cher, lors même que vous accorderiez la
gratification que je sollicite. La journée de travail n’a coûté qu’une valeur
de 0 fr. 10 pour une demi-ration de vin, un quart de ration de pain[95]. » Le Ministre ne jugea
cependant pas utile d’accorder la gratification en effets demandée ; il fit
remarquer à Rovigo que les troupes d’Afrique recevaient les vivres de
campagne, que les travailleurs obtenaient des suppléments en vivres et en
liquides, et qu’une troupe n’avait pas de gratification à recevoir pour des
travaux ayant comme but soit de la préserver des effets du climat, soit de la
loger, couvrir et défendre[96]. Malgré
cette décision égoïstement bureaucratique, les soldats accomplissaient leur
pénible tâche avec ardeur et conscience ; ils allaient à ces travaux,
écrivait Rovigo, « comme à l’exercice[97] », jetant par leur labeur les
fondements de la colonie future. Le
Ministère de la Guerre, par incompétence ou par indifférence de ses bureaux,
ne paraissait pas apporter beaucoup d’attention aux besoins du corps
d’occupation d’Afrique en matériel ou en personnel. Les troupes envoyées de
France n’étaient pas toujours munies de l’équipement nécessaire. C’est ainsi
que celles arrivées au général Boyer à Oran dans la première quinzaine de mai
étaient « sans couvertures, ni bidons, ni marmites, ni effets, ni sacs de
campement[98]. » Les
cadres des unités étaient toujours incomplets. Certains officiers se
faisaient désigner pour l’Afrique en raison des avantages accordés au corps
d’occupation ; « après quoi, écrivait Rovigo au Ministre, ils obtiennent des
congés en France et emploient ce temps à solliciter une permutation dans un
autre corps[99]. » Les
chefs et les officiers qui s’intéressaient au pays s’occupaient par contre de
leurs hommes et cherchaient les moyens de leur rendre le séjour moins
pénible. Le
shako porté par la plupart des troupes d’Afrique était d’un usage incommode
et exposait les soldats à des congestions cérébrales. Il fut progressivement
remplacé, sans consultation du Ministre de la Guerre à ce sujet, par une
casquette qui avait déjà été substituée au bonnet de police, et qui devint la
coiffure unique. Ainsi le général d’Alton, inspecteur général, autorisa le
1er bataillon d’infanterie légère d’Afrique, lors de sa formation, à
confectionner, en remplacement du shako, une « casquette à large visière[100]. » Le
Ministre de la Guerre semblait tout disposé à approuver cette mesure, mais
désirait seulement éviter la diversité des modèles pour les différents corps
; il pria Rovigo d’en choisir un et de le lui expédier[101]. On commençait à s’apercevoir
que l’uniforme avec lequel les troupes du corps expéditionnaire de 1830
avaient débarqué à Sidi-Ferruch n’était pas adapté aux campagnes d’Afrique. Il
fallait éviter aux officiers et aux soldats les atteintes de la nostalgie, maladie
morale capable de tant de ravages. Un des meilleurs moyens a toujours été de
faciliter la rapidité, la régularité et l’exacte distribution du courrier. Ce
service du courrier était confié à un petit nombre d’employés qui, pour
assurer le bon accomplissement de leur besogne, s’imposaient souvent un
surmenage accablant. Le payeur Solle, de Bône, mourut à la tâche en janvier
1833 : « Il est victime de son zèle et de son dévouement à remplir les
fonctions dont il était chargé, écrivait le général Monk d’Uzer ; il ne
voulait jamais être en arrière de son travail. Chargé seul de la solde, de la
comptabilité et de la poste aux lettres, il voulait que tout fût à jour. Il
était déjà malade lorsque le dernier bâtiment arriva. Il nous portait 43
courriers arriérés. M. Solle passa 48 heures à expédier son travail. Cela fut
au-dessus de ses forces ; il y a succombé. Il est de toute impossibilité
qu’il n’y ait pas deux employés à Bône pour cette partie si importante[102]. » L’exemple
de ce fonctionnaire mort pour assurer la distribution d’un courrier
indispensable au maintien du moral n’est-il pas aussi digne d’admiration que
celui du militaire se sacrifiant sur le champ de bataille ? C’est avec des
hommes de cette trempe que les services d’une armée sont sûrs de fonctionner,
et permettent aux troupes de rester fortes pour triompher. Les
différents corps spéciaux créés par Clauzel et Berthezène s’augmentèrent,
sous le commandement du duc de Rovigo, d’un corps nouveau : les bataillons
d’Afrique. Une
ordonnance du 3 juin 1832 prescrivit la création en Afrique de deux
bataillons d’infanterie légère, qui seraient formés successivement et à
raison des besoins, sous la dénomination de 1er et 2e bataillons d’Afrique.
Le Ministre de la Guerre prescrivit à Rovigo de demander dans les régiments
d’infanterie du corps d’occupation des volontaires pour constituer les cadres
de ces bataillons, et de choisir parmi eux les meilleurs[103]. Au
début de juillet, le Ministre fit diriger sur Toulon un certain nombre
d’officiers, sous-officiers et caporaux destinés au cadre, et environ 400
hommes sortant des compagnies de discipline et des ateliers de condamnés,
afin que Rovigo pût organiser le 1er bataillon. Comme il ne comptait pas
envoyer, avant la fin de 1832, plus de 200 ou 300 hommes à ce bataillon, ce
qui ne permettait pas d’atteindre son complet, il remit la formation du 2e
bataillon à plus tard[104]. Le 1er
bataillon d’Afrique ayant été constitué plus rapidement que le Ministre
n’avait prévu, le 2e put entreprendre sa formation avant la fin de l’année.
Au début de 1833, il commençait à être nombreux et donnait satisfaction : «
Ce sont bien les plus mauvaises têtes que l’on ait jamais vu réunies,
écrivait Rovigo au Ministre le 13 janvier ; du reste très bons soldats et
particulièrement propres au service de ce pays-ci[105]. » Les
chasseurs d’Afrique prenaient un développement rapide. Le 1er régiment était
à la fin de 1832 « dans une tenue et une organisation parfaites[106]. » Pour le maintenir dans cet
état, Rovigo jugeait que l’effectif devait être constamment de 1.000 hommes ;
car en tenant compte du déchet inévitable occasionné par les grandes
chaleurs, il comptait avoir ainsi en été de 650 à 700 hommes en état de travailler,
chiffre nécessaire, puisqu’un seul chasseur ne pouvait soigner trois chevaux. L’affluence
des engagés était telle à ce beau régiment que Rovigo put envisager la
constitution d’un 3e régiment de chasseurs d’Afrique. Au mois
de décembre 1832, il demanda en France les hommes et les harnais nécessaires
à la formation de deux escadrons de cavalerie à Bône ; il pria Monk d’Uzer de
former, avec ces deux escadrons, avec les deux supplémentaires du 1er
chasseurs qu’il avait déjà et avec les cavaliers turcs de Yusuf, le noyau du
3e chasseurs d’Afrique. Ayant remarqué l’impression de terreur produite sur
les Indigènes par les lances dont étaient armés certains escadrons du 1er
chasseurs d’Afrique, il comptait armer deux des escadrons de lances et deux
de mousquetons[107]. Les
trois compagnies auxiliaires du génie, formées avec des détachements de « Parisiens
», rendaient de très bons services au directeur des fortifications : « Un
esprit de corps s’y est formé, écrivait Rovigo ; ils sont connus dans l’armée
sous le nom de petit génie, et, bien qu’on en puisse rire, cela les flatte[108]. » Rovigo
passa le 20 janvier 1833 à Alger la revue de quelques corps et fut très
satisfait de tout ce qu’il vit. Le bataillon de zouaves avait 938 hommes, et
était fort bien tenu ; le bataillon d’infanterie légère d’Afrique, les
chasseurs d’Afrique, l’artillerie mobile, les troupes du génie et leur
matériel, le train des équipages militaires, ne méritaient que des éloges.
Quant au « carlisme », que certains journaux prétendaient prêt à se
manifester, il n’était pas à craindre à Alger[109]. La
garde nationale d’Alger avait été instituée par un arrêté du général en chef
que le Ministre de la Guerre considérait comme illégal, parce qu’une troupe
de ce genre ne pouvait être créée qu’en vertu d’une ordonnance royale ;
cependant Soult approuva provisoirement cette formation en octobre 1832[110]. L’établissement
des troupes et des services avait trop souvent été fait au détriment des
habitants ; la transformation des maisons mauresques en bâtiments utilisables
par les soldats était difficile ; quant à l’utilisation des mosquées comme
dépôts et magasins, elle était d’un effet déplorable. L’intendant
militaire Bondurand, du corps d’occupation, ayant proposé en décembre 1832
d’affecter quelques mosquées, et particulièrement la Grande Mosquée d’Alger,
au logement des approvisionnements, n’obtint pas l’assentiment du duc de
Rovigo. Le
Ministre de la Guerre partagea l’avis du Général en chef, parce que l’exemple
du procédé employé dans les guerres européennes, en Allemagne, en Italie, en
Espagne, était invoqué à tort. « En Afrique, lui écrivit-il, notre occupation
est autre chose que le passage d’une armée en pays ennemi. Elle a de
l’avenir... Il importe donc d’éviter toutes les mesures contraires aux mœurs
et aux habitudes religieuses, afin de ne pas nous aliéner tout à fait
l’esprit naturellement ombrageux des habitants. La profanation des mosquées,
de celles surtout qui, comme la Grande Mosquée, sont l’objet d’une vénération
particulière, est une des mesures les plus dangereuses sous ce rapport.
L’irritation produite par les envahissements qui ont déjà eu lieu, en est la
preuve[111]. » Les
relations de Rovigo avec le corps consulaire d’Alger n’étaient pas moins
bonnes qu’avec la population indigène. Les consuls, au nombre de neuf,
décidèrent même de donner le 11 janvier un bal à la duchesse de Rovigo, et
demandèrent instamment au commandant en chef d’y assister, quoiqu’il se fût
jusqu’alors dérobé à toute invitation[112]. Mais
déjà la terrible maladie contre laquelle luttait Rovigo faisait de rapides
progrès ; elle allait l’obliger au début de mars 1833 à partir pour la
France, où il mourut trois mois plus tard. Aucun fait militaire bien saillant n’avait marqué son commandement ; par contre de grands travaux de routes et d’installations avaient été accomplis par l’armée, sans dépenses pour l’Etat, pour le plus grand profit de la colonie naissante. |
[1]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 4 janvier 1832. Deux
lettres.
[2]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 4 janvier 1832, 2e lettre.
[3]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 4 janvier 1832, 2e lettre.
[4]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 4 janvier 1832, 2e lettre.
[5]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 31 décembre 1831.
[6]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 10 février 1832.
[7]
Notice sur le 2e bataillon de zouaves et sur l’utilité et l’organisation à
donner à ces corps, par le chef de bataillon Duvivier. Ferme Modèle, 6
février 1832.
[8]
Notice sur le 2e bataillon de zouaves et sur l’utilité et l’organisation à
donner à ces corps, par le chef de bataillon Duvivier. Ferme Modèle, 6
février 1832.
[9]
Notice sur le 2e bataillon de zouaves et sur l’utilité et l’organisation à
donner à ces corps, par le chef de bataillon Duvivier. Ferme Modèle, 6
février 1832.
[10]
Notice sur le 2e bataillon de zouaves et sur l’utilité et l’organisation à
donner à ces corps, par le chef de bataillon Duvivier. Ferme Modèle, 6
février 1832.
[11]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 4 janvier 1832, 2e lettre.
[12]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 19 mars 1832.
[13]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 4 janvier 1832, 1re lettre.
[14]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 12 février 1832.
[15]
Le duc de Rovigo au baron Pichon, d’Alger, 16 février 1832.
[16]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 3 janvier 1832.
[17]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 25 janvier 1832.
[18]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 13 avril 1832.
[19]
Le duc de Rovigo au lieutenant-colonel Lemercier, d’Alger, 7 janvier 1832.
[20]
Le duc de Rovigo au général Boyer, d’Alger, 23 janvier 1832.
[21]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 27 mars 1832.
[22]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 27 mars 1832.
[23]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, 15 février 1832.
[24]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 3 mai 1832.
[25]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 3 mai 1832.
[26]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 28 mars 1832.
[27]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 24 mai 1832.
[28]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 28 mai 1832.
[29]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 3 mai 1832.
[30]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 27 juin 1832.
[31]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 19 mai 1832.
[32]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 16 avril 1832.
[33]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 17 mai 1832.
[34]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 17 mai 1832.
[35]
Le duc de Rovigo au baron Bondurand, d’Alger, 22 mai 1832.
[36]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 9 juillet 1832.
[37]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 23 juillet 1832.
[38]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 4 août 1832. — Le même au
général Monk d’Uzer, d’Alger, 6 août 1832.
[39]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome Ier, page 21.
[40]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome Ier, page 21 et 22.
[41]
Général du Barail, Mes souvenirs, tome Ier, page 22.
[42]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 4 août 1832.
[43]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 4 août 1832.
[44]
Le général Trézel au Ministre de la Guerre, d’Alger, 10 janvier 1833
(original).
[45]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 14 mai 1832.
[46]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 3 mai 1832. — Le même au
même, d’Alger, 17 mai 1832.
[47]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 17 mai 1832.
[48]
Le général de Caraman au duc de Rovigo, d’Alger, 21 juin 1832.
[49]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 11 juillet 1832.
[50]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 25 mai 1832.
[51]
Le duc de Rovigo au général Monk d’Uzer, d’Alger, 27 mai 1832.
[52]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 17 juillet 1832.
[53]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 juillet 1832.
[54]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 30 juillet 1832.
[55]
Le duc de Rovigo au général Buchet, d’Alger, 1er août 1832.
[56]
Le duc de Rovigo au général de Faudoas, d’Alger, 3 août 1832.
[57]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, le 4 août 1832.
[58]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, le 10 août 1832.
[59]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, le 2 septembre 1832.
[60]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, le 6 septembre 1832.
[61]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, le 15 septembre 1832.
[62]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, le 26 décembre 1832.
[63]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, le 13 janvier 1833.
[64]
Le duc de Rovigo à Ren Zamoun, d’Alger, 3 janvier 1833.
[65]
L’agha des Arabes au duc de Rovigo, janvier 1832.
[66]
L’agha des Arabes au duc de Rovigo, janvier 1832.
[67]
Le duc de Rovigo au Président du Conseil, d’Alger, 25 avril 1832.
[68]
Le duc de Rovigo aux Arabes de la Plaine, d'Alger, 4 mai 1832.
[69]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 26 juin 1832.
[70]
L’agha des Arabes au duc de Rovigo, reçue le 14 octobre 1832.
[71]
Capitaine E. Pellissier, Annales algériennes, 1836, tome II, pages
38-39.
[72]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 3 janvier 1832.
[73]
Le duc de Rovigo au général Pelet, d’Alger, 6 janvier 1832.
[74]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 22 mai 1832.
[75]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 août 1832.
[76]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, le 30 novembre 1832.
[77]
Le duc de Rovigo au Consul général d’Angleterre, d’Alger, 12 octobre 1832.
[78]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, le 27 novembre 1832.
[79]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 18 mai 1832. — Le même au
même, d’Alger, 29 mai 1832.
[80]
Le général Monk d’Uzer au duc de Rovigo, de Bône, 25 juillet 1832.
[81]
Le général Monk d’Uzer au duc de Rovigo, de Bône, 25 juillet 1832 (2e lettre).
[82]
Le duc de Rovigo au général Trézel, d’Alger, 10 septembre 1832.
[83]
Le duc de Rovigo au général Trézel, d’Alger, 10 septembre 1832.
[84]
Le général Monk d’Uzer au duc de Rovigo, de Bône, 18 septembre 1832.
[85]
Le Ministre de la Guerre au lieutenant-général Boyer, 5 juin 1831.
[86]
Le Ministre de la Guerre au lieutenant-général Boyer, 15 novembre 1831.
[87]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 5 juin 1832. — Le colonel
Marion au duc de Rovigo, d’Alger, 4 juin 1832.
[88]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 30 juillet 1832 (minute).
[89]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 2 novembre 1832.
[90]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 5 novembre 1832.
[91]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 22 décembre 1832.
[92]
Le duc de Rovigo au général Trézel, d’Alger, 22 janvier 1833.
[93]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 20 septembre 1832.
[94]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 24 novembre 1832.
[95]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 21 août 1832.
[96]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 13 septembre 1832.
[97]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 19 décembre 1832.
[98]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 18 mai 1832.
[99]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 27 novembre 1832.
[100]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 22 octobre 1832.
[101]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 8 novembre 1832.
[102]
Le général Monk d’Uzer au duc de Rovigo, de Bône, 17 janvier 1833.
[103]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 13 juin 1832.
[104]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 10 juillet 1832.
[105]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 13 janvier 1833.
[106]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 14 janvier 1833.
[107]
Le duc de Rovigo au général Monk d’Uzer, d’Alger, 26 décembre 1832.
[108]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 14 janvier 1833.
[109]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 21 janvier 1833.
[110]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Paris, 14 octobre 1832.
[111]
Le Ministre de la Guerre au duc de Rovigo, de Lille, 9 janvier 1833.
[112]
Le duc de Rovigo au Ministre de la Guerre, d’Alger, 9 janvier 1833.