L'expédition
d’Alger décidée en 1830 avait été l’objet de projets si détaillés que la
tâche des exécutants devait être relativement facile. C’est
Napoléon Ier qui eut la première idée de l’expédition, et c’est un de ses
officiers du génie qui en établit le plan. L’Empereur envoya en 1808 le chef
de bataillon du génie Boutin faire la reconnaissance d’Alger. Boutin
s’embarqua le 9 mai sur un brick qui fut attaqué par un vaisseau anglais, dut
relâcher à Tunis, et mouilla à Alger du 24 mai au 17 juillet ; pendant cette
période, le commandant parvint à relever les fortifications de la ville et
les environs. Lors du retour en France, le brick fut attaqué, le 28 juillet,
non loin de Monaco par une frégate anglaise et dut se rendre. Boutin, conduit
à Malte, s’échappa le 1er septembre en s’embarquant comme matelot sur un
bateau ragusais, et rentra en France à la fin
d’octobre[1]. Dans
cette aventure, Boutin avait été obligé de détruire ses croquis, mais avait
conservé ses notes. Il rédigea un rapport « pour servir au projet de descente
et d’établissement définitif en ce pays ». Il définit les différentes phases
de l’opération qui fut exécutée en 1830 : débarquement à Sidi- Ferruch,
marche sur le Fort l’Empereur, « point dominant de toutes les fortifications
», siège et prise d’Alger. Le
commandant Boutin évaluait l’effectif du corps expéditionnaire entre 35.000
et 40.000 hommes, et il donnait les plus judicieux conseils pour
l’administration de la ville, la politique à suivre vis-à-vis des indigènes
et les moyens de développer la colonisation[2]. Ce remarquable travail fut
largement utilisé par les ministres ou les généraux qui, depuis lors,
s’appliquèrent à préparer l’expédition ; il servit de base au rapport du
marquis de Clermont-Tonnerre, établi en 1827, au moment où l’expédition
semblait imminente[3]. Aussi Boutin a-t-il acquis des
titres impérissables à la reconnaissance française, et a-t-il été en quelque
sorte le premier officier de l’armée d’Afrique. A la
suite des insultes faites au consul de France à Alger en avril 1827, puis au
vaisseau-amiral français en août 1829, et sur le refus du Dey de présenter
des excuses à ce sujet, Charles X décida, le 7 février 1830, la mobilisation
de l’armée et de la marine[4]. L’expédition
n’excitait aucun enthousiasme en France : elle était représentée par les
journaux libéraux comme entreprise pour recueillir quelque gloire au profit
d’un gouvernement discrédité ou pour former une armée capable de dompter
l’opposition politique ; elle était attaquée au Parlement dans son principe
même, comme injuste, imprudente et inutile. Le
corps expéditionnaire devait comprendre trois divisions d’infanterie à trois
brigades, de l’artillerie, du génie, un peu de cavalerie et l’intendance. Les
désignations du chef d’état-major et des officiers généraux furent faites
avant même celle du général en chef, sur un rapport présenté par le comte de
Bourmont, ministre secrétaire d’état de la Guerre[5] ; elles portèrent sur des
hommes dont l’origine et le passé étaient très variés. Le
général Desprez, chef d’état-major général, d’un caractère un peu sec, était
un homme instruit et méthodique, mais surtout un théoricien, manquant de la
pratique du métier et de coup d’œil sur le terrain. Les
commandants des trois divisions étaient : le général Berthezène, simple,
froid, dur pour lui-même, qui avait commandé une division de la garde
impériale pendant la retraite de Russie ; le général de Loverdo, d’origine
grecque, impulsif et emporté, qui avait été chargé en 1828 d’établir un
rapport sur l’expédition projetée ; le duc des Cars, dévoué à ses devoirs et
au bien-être de ses soldats, qui avait émigré lors de la Révolution et avait
servi dans l’armée anglaise de Wellington en Espagne. Les
maréchaux de camp qui commandaient les trois brigades de chaque division
étaient pour la plupart d’anciens officiers de l’Empire. Ceux qui servaient
aux ordres de Berthezène étaient Poret de Morvan, Achard et Clouet ; les deux
premiers avaient d’honorables services sous l’Empire, tandis que Clouet, chef
d’état-major de la division de Bourmont en 1815, avait abandonné ses
fonctions devant l’ennemi et accompagné son chef à Gand. Les brigades de la
division de Loverdo étaient commandées par le comte de Damrémont. Monk d’Uzer
et Collomb d’Arcine, qui avaient servi successivement Napoléon et les
Bourbons. Celles de la division des Cars étaient aux ordres de Bertier de
Sauvigny, ancien officier de l’armée de Condé, Hurel et de Montlivault. Le
commandant de l’artillerie, le maréchal de camp Ducos de La Hitte, jeune, vif
et entier, était convaincu des services que pouvaient rendre des pièces
légères et mobiles ; destitué pendant les Cent-Jours, il était protégé par le
Dauphin. Le
commandant du génie, le maréchal de camp de Valazé, ancien combattant
d’Espagne, avait été mis en demi-solde par la Restauration, puis était rentré
au service ; consulté par le Conseil des Ministres sur les difficultés que
présentait le projet d’expédition, il l’avait déclaré parfaitement
réalisable. L’intendant
en chef, le baron Denniée, était plein d’activité, de gaieté et d’entrain ;
il se réserva, grâce à ses fonctions, les moyens d’avoir une table bien
approvisionnée, avec l’espoir d’en faire les honneurs. La
désignation du commandant de la flotte et celle du général en chef furent
assez difficiles. Le vice-amiral Duperré fut choisi uniquement en raison de
ses qualités de travail et d’énergie. L’intrigue joua par contre un large
rôle dans le choix du commandant en chef. De nombreux candidats étaient en
ligne, parmi lesquels Marmont, Clauzel, Gérard, Gouvion Saint-Cyr et Molitor.
Marmont, duc de Raguse, qui avait beaucoup étudié la question d’Alger,
caressait l’espoir d’être désigné ; mais Bourmont, étant ministre de la
Guerre et en excellents termes avec le duc d'Angoulême, avait des facilités
particulières pour triompher de ces candidats ; son nom fut ajouté sur la
liste présentée au Roi, et il fut choisi. Tandis
que le général en chef, ancien émigré et ancien chouan, était entièrement
dévoué aux Bourbons, le vice-amiral placé à la tête de la flotte était acquis
aux idées libérales. Entre Bourmont, beau parleur, intrigant, souriant,
paresseux, et Duperré, taciturne, rigide, bourru, travailleur, il ne pouvait
exister aucune sympathie réciproque. Aussi une ordonnance du 18 avril,
envoyée à l’un et à l’autre, prescrivit qu’en cas de différend capable de
nuire au succès des opérations, Bourmont avait le droit de prendre le
commandement des forces de terre et de mer[6]. Des
ordres successifs et minutieux réglèrent la désignation et la composition des
unités appelées à faire partie de « l’expédition d’Afrique », qui compta plus
de 37.000 hommes. L’infanterie
constitua plus des trois quarts de l’effectif. Il y eut quelques tâtonnements
pour la désignation des régiments d'infanterie de ligne, à deux bataillons,
et pour celle des régiments d’infanterie légère, formés de bataillons qui se
groupèrent deux à deux en régiments de marche[7]. Il fallut ensuite procéder à
une nouvelle répartition des troupes sur le territoire[8]. Les
dix-huit régiments prélevés sur l’Armée furent répartis le 22 mars 1830 entre
les trois divisions à trois brigades ; les mouvements de leurs bataillons
furent prévus par un tableau[9]. La
première division (Berthezène) comprit : la brigade Poret de Morvan, formée du
1er léger de marche (bataillons du 2e et 4e légers) et du 3e de ligne ; la brigade
Achard, formée du 14e et du 37e de ligne ; la brigade Clouet, du 20e et du
28e de ligne. La
deuxième division (de Loverdo) comprit : la brigade de Damrémont, formée des 6e
et 49e de ligne ; la brigade Monk d’Uzer, formée des 15e et 48e de ligne ; la
brigade Collomb d'Arcine, formée des 21e et 29e de ligne. La
troisième division (des Cars) comprit : la brigade de Bertier de Sauvigny, 2e
léger de marche (bataillons des 1er et 9e légers) et 35e de ligne : la brigade Rullière, 17e et 30e
de ligne ; la brigade de Montlivault, 23e et 34e de ligne. Le total de cette
infanterie s’éleva à près de 31.000 officiers et soldats. La cavalerie fut
réduite à 500 chasseurs à cheval, en raison des difficultés rencontrées pour
le transport des chevaux et du fourrage ; elle fut constituée par deux
escadrons du 17e chasseurs à cheval, dont un de lanciers, et un du 13e[10], sous les ordres du colonel
Bontemps-Dubarry. L’artillerie,
forte de 2.300 hommes environ, se composa de 83 pièces de gros calibre,
approvisionnées d’une moyenne de 1.000 coups par pièce, de pièces de montagne
démontables se chargeant à dos de mulet, et de pièces de campagne d’une
mobilité améliorée. Le
génie comprit six compagnies de sapeurs, deux de mineurs et une
demi-compagnie de conducteurs. Il emporta un matériel considérable :
palissades, piquets de gabion, fascines, sacs à terre, chevaux de frise, dont
la plus grande partie ne fut pas utilisée, ainsi que dix blockhaus en bois, à
deux étages, pouvant contenir chacun 50 à 60 hommes. Le capitaine du génie
Duvivier s’occupa activement de l’embarquement de ce matériel, à Toulon[11]. L’intendance
disposa de quatre compagnies d’ouvriers de 200 hommes chacune, de 654
chevaux, 626 mulets, et 256 voitures à quatre roues ou à deux roues. Elle
prépara un approvisionnement énorme. Le baron Denniée a écrit plus tard, en
rentrant en France à la fin d’août : « Je l’ai entreprise, cette tâche, ayant
toujours présentes les paroles de l’amiral de Rigny : « N’allez pas vous
fourrer dans une expédition de ce genre si vous n’emportez pas le double de
tous les moyens nécessaires ; vous ne trouverez rien, absolument rien sur
cette brûlante plage[12]. » L’approvisionnement
individuel ou collectif des troupes lit l’objet de toutes les préoccupations
du commandement. Chaque homme reçut un sac de campement, un bidon en bois
pour le vin, un en fer blanc pour l’eau, un couvre-shako en toile blanche, et
une ceinture de laine. Des denrées de toute nature furent emportées : farine,
biscuits, légumes secs, riz, bœuf salé, lard, vin, eau-de-vie, avoine et
orge, paille, foin pressé, bois, charbon ; elles furent placées dans des
tonneaux, barils ou sacs, dont le total forma plus de 78.000 colis ; les
colis reçurent une double enveloppe imperméable grâce à laquelle ils
pouvaient être jetés à la mer et gagner ainsi le rivage sans détérioration du
contenu. Des fours en fer nécessaires à la cuisson du pain furent fabriqués
et des briques furent emportées pour la construction de fours. Le
service de santé comprit un personnel et un matériel suffisants pour établir
cinq hôpitaux de 300 lits chacun. Une section d’ambulance légère fut attachée
à chaque division[13]. Des démarches furent faites
auprès du Gouvernement espagnol pour l’installation aux îles Baléares d’un
hôpital de 2.300 lits, à Port-Mahon. Les
interprètes destinés à faciliter les rapports avec les populations furent
difficilement recrutés par le colonel de Clermont-Tonnerre : ils furent au
nombre d’une quarantaine, anciens Mameluks, Levantins, et même Juifs
algériens, souvent peu qualifiés par leur passé, leurs connaissances ou leur
classe sociale pour être les porte-paroles des chefs français auprès des
Turcs ou des Indigènes algériens. Afin de
permettre aux officiers du corps expéditionnaire d’avoir quelques
connaissances sur le pays où ils allaient combattre, un livre fut rédigé au
Ministère de la Guerre ; ce fut l'Aperçu historique, statistique et
topographique sur l’État d'Alger, accompagné d’un atlas avec dessins et
cartes[14]. L’expédition
était populaire dans l’armée, où le souvenir des campagnes de l’Empire était
resté très vivant. Les hommes mis en congé d’un an, rappelés pour faire
partie des bataillons, rejoignirent avec joie. Le
lieutenant-général vicomte Castex, commandant la 5e division militaire,
écrivait le 28 mars au Ministre de la Guerre qu’au bataillon du 2e léger «
leur esprit ne le cédait en rien à celui des hommes restés sous les drapeaux,
dans les rangs desquels ils étaient venus se placer comme à l’envi ». Il
ajoutait : « L’enthousiasme du soldat n’a pu être dépassé que par celui des
officiers ; ceux condamnés à rester en France ont envié le sort de ceux
appelés à faire partie de l’expédition. Cet enthousiasme ne s’est pas borné
au 2e léger. Tous les officiers, tous les corps l’ont partagé : nombre
d’officiers ont manifesté le désir de faire la campagne, comme volontaires,
sans traitement. Et cet élan, Monseigneur, n’a pas seulement existé dans la
garnison de Strasbourg, mais dans tous les corps, dans toutes les armes, dans
toute la division ; il s’est manifesté jusque dans la 2e compagnie de
pionniers, dont les soldats ont demandé comme une faveur l’occasion d’une
éclatante réhabilitation[15] ». Les mêmes sentiments
s’étaient manifestés aux 2e et 7e régiments d’artillerie, auxquels six
batteries avaient été demandées : « tout ce qui compose ces régiments aurait
voulu en faire partie[16] ». Les
volontaires se présentaient de tous côtés. De nombreuses demandes d’anciens
militaires, désireux de servir dans l’expédition[17], et même des demandes tendant à
organiser des corps de volontaires[18], parvinrent au Dauphin et au
Ministre de la Guerre. Elles ne purent pas être accueillies. Des
mesures furent prises par le Ministre pour améliorer l’encadrement des
régiments ; certains officiers furent admis à la pension de retraite,
d’autres furent remplacés. Des mutations furent décidées par les maréchaux de
camp commandant les subdivisions, pour ne laisser dans les rangs que des
officiers aptes à faire campagne[19]. De
jeunes enthousiastes permutèrent pour partir : tel le sous-lieutenant de
Mac-Mahon, du 4e hussards, avec le sous-lieutenant Tabuteau-Destouches, du
20e de ligne[20] ; le futur maréchal parvint à
endosser l’uniforme de fantassin dans le corps expéditionnaire en faisant
miroiter aux yeux de son camarade le prestige de la cavalerie et l’élégance
de l’uniforme de hussard, au cours d’un excellent déjeuner qu’il lui offrit[21]. D’autres se firent affecter à
des places vacantes dans les régiments désignés, tels le lieutenant Amédée de
Bourmont, au 30e de ligne et le capitaine de Trobriand au 37e[22]. Des
interventions puissantes eurent lieu pour obtenir certaines désignations. Le
Roi de Suède demanda que son neveu Jean Bernadotte, qui s’était engagé en
1819 et était sous-lieutenant depuis 1826, fût affecté à un corps
d’infanterie faisant la campagne[23]. Le sous-lieutenant Bernadotte
arriva à Toulon le 18 mai ; comme il avait été affecté au dépôt du 14e de
ligne, il dut permuter immédiatement, pour pouvoir partir, avec un officier
d’un bataillon de guerre, le sous-lieutenant Biaise peu apte à faire campagne[24]. Le comte de Bourmont emmena
dans le corps expéditionnaire, à des titres divers, ses quatre fils
officiers, ainsi que le chef de bataillon d’état-major de Trélan, son
aide-de-camp, à qui il portait le plus vif intérêt. L’organisation
des troupes, leur concentration, leur approvisionnement, leur instruction,
leur embarquement, leur débarquement, leur hygiène, furent l’objet de
prévisions minutieuses. La correspondance considérable entretenue à ce sujet
et les rapports de tout genre fournis permettent de s’en rendre compte. C’est
ainsi que le directeur de la comptabilité générale et des pensions, le maître
des requêtes Martineau, établit à la date du 10 avril une « situation
militaire, administrative et financière de l’armée expéditionnaire d’Afrique
» donnant des détails complets sur l’organisation, l’administration,
l’habillement, le campement, les hôpitaux, les équipages militaires, le
matériel d’artillerie, le service topographique, les interprètes[25]. Un
autre travail fixa les « dispositions relatives aux services dépendant de la
direction de l’administration[26] ». Une
circulaire de l’Intendant en chef en date du 3 mai donna des instructions aux
sous-intendants militaires et adjoints à l’Intendance de l’armée d’expédition
d’Afrique. Elle débutait par l’exposé de ces sages principes : « Pour
parvenir au résultat que nous avons la noble ambition d’atteindre, et donner
à l’administration de l’armée une impulsion forte et régulière, il est
par-dessus tout essentiel de se bien pénétrer de la nature de ses
attributions, d’étudier avec réflexion les meilleurs moyens d’exécution, et
enfin de sentir que l’unité, ce principe de force, est ici une première
nécessité. Une surveillance de tous les instants, une assistance mutuelle
quels que soient les services dont on est chargé, des rapports faciles avec
les corps, de la bienveillance et de la sévérité avec les agents de
l’administration, telles doivent être les règles de conduite de tous[27] ». Une
commission fut chargée par le Ministre de la Guerre d’examiner les
précautions à prendre pour maintenir la santé des troupes. Elle recommanda un
certain nombre de mesures telles que la propreté, la sobriété, le choix des
aliments, la protection contre la fraîcheur des nuits. Le lieutenant-général
Desprez réunit ces prescriptions en un ordre qui devait être lu aux troupes
au moins une fois par semaine[28]. L’intendant
en chef Denniée fit imprimer à Toulon une Instruction sur le service des
ambulances et hôpitaux militaires de l’armée d’Afrique, faisant appendice au
règlement du 20 décembre 1824, qui définissait des règles précises pour
l’organisation et le fonctionnement de ce service[29]. Les
dispositions à prendre lors du débarquement furent prévues dans tous leurs
détails. Les soldats ne devaient charger leurs armes qu’une fois arrivés à
terre, afin de ne pas en faire usage sur les embarcations, ce qui risquait de
produire désordre et confusion. Chaque corps, une fois arrivé à terre, devait
se former « par bataillons en colonne par division, à distance de peloton ».
Les formations à prendre en station ou en marche étaient définies par le
général en chef, de même que la conduite à tenir à l’égard de la cavalerie
ennemie ou de son artillerie de campagne[30]. Le commandement ne paraissait
pas envisager de pertes sérieuses au début de l’opération, puisque le nombre
des infirmiers à mettre à terre avec le premier débarquement fut réduit à 10[31]. Tous
les actes de la vie quotidienne des troupes et toutes les opérations à
exécuter étaient ainsi réglés avec soin et précision. Le
choix du comte de Bourmont comme général en chef avait causé une pénible
impression à de nombreux militaires. Bourmont avait abandonné en 1815 la
division qu’il commandait, trois jours avant Waterloo, pour rejoindre Louis
XVIII à Gand ; puis il avait contribué à faire condamner à mort son ancien
chef, le maréchal Ney. Les soldats, qui savent tous quel crime constitue la
désertion en présence de l’ennemi, ne lui pardonnaient pas cette conduite ;
aussi chantaient-ils, en se rendant à Toulon, où devait s’embarquer le corps
expéditionnaire : Alger
est loin de Waterloo, On
ne déserte pas sur l’eau ; De
notre général Bourmont, Ne
craignons pas la trahison[32]. Les
mouvements exécutés par les troupes pour se rendre de leurs garnisons vers
leur zone de concentration, donnèrent lieu à quelques différends avec les
habitants ou les marchands de vin des localités traversées, sans qu’aucun
incident présentât un caractère d’indiscipline. Le plus grave fut occasionné
par l’attitude de treize soldats du 28e de ligne qui furent arrêtés à Toulon
et conduits au Fort Lamalgue. Le général Desprez
écrivait au Ministre le 18 mai à leur sujet : « On les accusait
d’insubordination et de propos contre le Gouvernement. Depuis leur départ de
Paris, ils avaient exprimé une grande répugnance à faire partie des
bataillons de guerre. Plusieurs avaient brisé leurs fusils[33] ». Leur faute ne parut
cependant pas relever du conseil de guerre ; Bourmont décida qu’ils seraient
seulement renvoyés au dépôt de leur régiment, pour comparaître devant le
Conseil de discipline. Le
rassemblement des troupes s’effectua dans les localités du Midi, d’après une
répartition des cantonnements présentée par le général Desprez. La 1re
division était cantonnée dans la région de Toulon, la 2e dans celle de
Marseille, et la 3e dans celle d’Aix ; l’artillerie, à Toulon, Arles et
Saint-Rémy ; le génie, à Arles ; les gendarmes, à Carpentras ; la cavalerie,
à Tarascon ; les équipages militaires, à Nîmes, Beaucaire et Toulon[34]. Les
troupes s’entraînèrent à des exercices de combat. Toulon, où elles devaient
s’embarquer, avait pris un aspect bariolé et pittoresque : dans les rues de
la ville se croisaient des matelots de toute origine, des marchands, des
touristes, des aventuriers et des femmes légères. Le duc
d’Angoulême vint au début de mai inspecter les forces de terre et de mer. Il
monta à bord du vaisseau amiral La Provence, et passa l’équipage en revue,
tandis que sur les bâtiments pavoisés les marins poussaient les cris de «
Vive le Roi ! ». Il assista à un exercice de débarquement qui fut exécuté
dans des conditions très rapides. Il se fit présenter la division Berthezène,
qui défila devant lui. Il repartit très satisfait. Le
général de Bourmont veillait à l’organisation et à l'entraînement de ses
troupes. Il leur
adressa le 10 mai un ordre du jour dans lequel il eut l’habileté de rappeler
en termes voilés la campagne de Bonaparte en Egypte : « A plusieurs époques,
disait-il, les étendards français ont flotté sur la plage africaine. La
chaleur du climat, la fatigue des marches, les privations du désert, rien n’a
pu ébranler ceux qui vous y ont devancés ; leur courage tranquille a suffi
pour repousser les attaques d’une cavalerie brave, mais indisciplinée. Vous
suivrez leurs glorieux exemples. » Ce passage était bien propre à atténuer
l’antipathie qu’éprouvaient pour Bourmont les nombreux militaires attachés au
souvenir de l’armée impériale. La
proclamation du général en chef exprimait par ailleurs de grandes et belles
idées : « La cause de la France est celle de l’humanité. Montrez- vous dignes
de votre belle mission ; qu’aucun excès ne ternisse l’éclat de vos exploits.
Terribles dans le combat, soyez justes et humains après la victoire : votre
intérêt le commande autant que votre devoir. Trop longtemps opprimé par une
milice avide et cruelle, l’Arabe verra en vous des libérateurs ; il implorera
votre alliance ; rassuré par notre bonne foi, il apportera dans nos camps les
produits de son sol. C’est ainsi que, rendant la guerre moins longue et moins
sanglante, vous remplirez les vœux d’un souverain aussi avare du sang de ses
sujets que jaloux de l’honneur de la France ». L’embarquement
des troupes, qui commença le lendemain 11 mai, fut un spectacle pittoresque
auquel vinrent assister de nombreux touristes. « Tous les soldats
paraissaient s’embarquer avec plaisir, a écrit Kerviler, un des officiers de
l’escadre ; en sortant du port, on entendait souvent des cris de Vive le Roi,
mêlés aux roulements de tambours et au bruit des fanfares. Cela dépendait de
la dose de vin que s’était administrée chaque régiment à la halte qu’il
venait de faire à Toulon[35] ». Un
journaliste décrivait le 12 mai l’embarquement des premières troupes en
termes colorés. Il racontait les adieux des soldats qui partaient à leurs
camarades restant à terre ; des « toasts au bon voyage, à la prise d’Alger,
au prompt retour », marquaient ces séparations. « Des fenêtres du quai, qui
étaient pavoisées de femmes, on voyait, s’étendant à droite et à gauche, les
masses luisantes de fusils et comme des plaines mouvantes de pompons jaunes
et rouges, que le soleil colorait très vivement[36] ». Il ajoutait : « Selon
l’usage, un assez grand nombre de femmes ont accompagné les militaires dans
de petits rafiots ; elles ont pleuré beaucoup en allant ; puis elles ont
séché leurs larmes. Elles entendaient le tambour à terre ; c’était la seconde
division qui arrivait de Marseille ![37] » L’armée
d’expédition d’Afrique était à peu près entièrement embarquée le 16 mai. «
Elle a fait cette opération avec joie, écrivait à cette date le
lieutenant-général comte de Partouneaux, commandant la 8e division militaire.
Elle est très belle, pleine d’ardeur et de bonne volonté ; sa conduite, qui
est parfaite, ne laisse rien à désirer et ne fait que des admirateurs[38] ». L’état
sanitaire à bord était satisfaisant. « La ration de bord paraît suffisante
aux soldats embarqués, écrivait le lieutenant-général Desprez ; peut-être
serait-il à désirer que le nombre des passagers fut
moindre sur quelques bâtiments. Toutefois, il y a eu plus d’encombrement dans
presque toutes les autres expéditions lointaines[39]. » Les
journaux de Paris publiaient de fausses nouvelles et même des ordres du jour
inexacts et contradictoires, au sujet des préparatifs de départ. Le général
Desprez s’en plaignit au Ministre de la Guerre ; il ajoutait que le Moniteur,
en reproduisant ces articles erronés, leur donnait une sorte de caractère
officiel. « On trouve dans celui du 16 mai, écrivait-il, un ordre du jour
assez long sur les dispositions de départ ; il est entièrement controuvé[40]. » Des
officiers étrangers obtinrent l’autorisation de suivre les opérations de
l’armée d’expédition d’Afrique. Parmi eux figurèrent deux officiers anglais,
le lieutenant-colonel Mounthee et le capitaine de vaisseau Mansell. Ce
dernier, qui avait pris part à l’expédition de lord Exmouth contre Alger,
n’embarqua pas sans difficultés, parce qu’il était peu sympathique à Duperré
; cependant, « malgré son habit râpé, son col noir déchiré et sa casquette
crasseuse », il sut gagner à bord d’un bâtiment la sympathie de ses
compagnons de route[41]. Nombre de nations européennes
se trouvèrent représentées : l’Autriche, par le prince Frédéric de
Schwarzenberg, major au régiment des chevau-légers de Hohenzollern[42] ; la Prusse, par le capitaine
Clerc ; la Russie, par le colonel Filosofoff et le lieutenant Dobinski. Ces
personnages causèrent parfois des embarras assez sérieux. C’est ainsi que le
colonel d’état-major Filosofoff, annoncé aux autorités par le Ministre[43], arriva à Toulon le 25 mai au
soir, alors que l’escadre venait de partir. Le Préfet maritime de Toulon, qui
avait reçu des ordres du Président du Conseil, le fit embarquer sur un bateau
à vapeur qu’il chargea de le transporter sur le vaisseau La Provence, où se
trouvaient Bourmont et Duperré[44]. Des
littérateurs et des artistes accompagnèrent aussi l’expédition. Le directeur
du théâtre de la Porte-Saint-Martin, Merle, qui s’attribua par la suite le
titre de secrétaire particulier du comte de Bourmont, embarqua avec l’armée.
Deux jeunes peintres, Gudin et Isabey, désireux de recueillir des dessins
pris sur le vif, obtinrent la même autorisation ; le commandant Langlois,
peintre militaire, se chargea aussi de recueillir des vues de l’expédition. Les
troupes, dont l’embarquement avait été terminé le 18 mai, restèrent sept
jours à bord sans que fût donné le signal du départ ; on devine leur
impatience ! Duperré ne voulait pas risquer de voir ses bâtiments dispersés
par suite de vents insuffisants ou contraires. Enfin, le 25 mai, la flotte se
mit en route. Une foule énorme, massée sur les hauteurs dominant la rade,
poussait des acclamations, tandis que les musiques des dix-huit régiments
jouaient à bord des airs joyeux. Cinq
jours plus tard, le 30 mai, Duperré décida de relâcher à Palma en raison du
mauvais temps, alors qu’il était en vue de la côte d’Alger. Cet arrêt amena
quelque malaise parmi les troupes, qui se demandaient la raison de ce nouveau
retard. Les militaires des bâtiments mouillés dans la rade même de Palma
pouvaient descendre à terre, où ils étaient cordialement accueillis par la
population ; les autres, la grande masse, les jalousaient, car ils
continuaient à souffrir de la vie monotone et inconfortable du bord, avec la
maigre distraction des concerts donnés par les musiques des régiments. Le
moral baissait. Bourmont essaya de le relever le 7 juin par une proclamation
; il annonça le départ prochain, et évoqua de nouveau la campagne d’Egypte :
« Les soldats français se rappelleront que moins de 10.000 hommes de l’armée
d’Egypte triomphèrent de 70.000 Turcs, plus braves et plus aguerris que les
Arabes dont ils sont les oppresseurs. » La
bonne humeur revint à bord lorsque Duperré remit sa flotte en route le 10
juin. Le mauvais temps ayant réapparu le 12, l’amiral hésitait à se diriger
sur Sidi-Ferruch, lieu fixé pour le débarquement ; concentré et silencieux,
il se promenait sur le pont de La Provence. Bourmont, las de ses
incertitudes, s’approcha de lui et lui dit : « Monsieur l’Amiral, cette fois,
il faut débarquer. » Comme Duperré discutait l’état de la mer : « Monsieur
l’Amiral, la mer n’est pas mauvaise ; vous savez que j’ai le droit de
vouloir, et je veux que nous débarquions. » L’ordre du débarquement fut donné
pour le lendemain. On a
voulu opposer les hésitations de Duperré à l’esprit de décision de Bourmont ;
mais, pour bien juger l’Amiral, il faut se représenter la difficulté de
conduire par mauvaise mer une flotte hétéroclite de 675 bâtiments ayant des
vitesses différentes, et les aléas d’un débarquement effectué avec des
bâtiments manœuvrés à la voile et à la rame ! Le
débarquement, exécuté le 14 juin à 3 heures, réussit parfaitement ; il ne se
passa cependant pas sans quelque désordre, dû à l’impatience des soldats. Si
des Indigènes eussent été embusqués dans les dunes, ils eussent pu causer de
sérieux dommages aux troupes françaises. La division Berthezène, mise à terre
la première, occupa Sidi-Ferruch sans grandes difficultés, et la division de
Loverdo vint progressivement se placer à sa droite, en demi-cercle sur une
ligne de petites collines. Les
soldats purent se faire une idée, par les premiers engagements, de la guerre
d’Afrique : ils estimèrent que les cavaliers et fantassins ennemis,
combattant éparpillés, étaient moins dangereux qu’ils ne se l’étaient
imaginé. Ils éprouvèrent d’ailleurs des pertes peu importantes, occasionnées
en partie par les pièces de canon turques, dont ils s’emparèrent. L’installation
du quartier général et des troupes ne manqua pas de pittoresque. Bourmont
s’établit dans la petite mosquée de Sidi-Ferruch, son quartier général près
de lui, dans des dépendances et sous des tentes. Les troupes formèrent tout
autour un vaste camp, dans lequel se tracèrent progressivement des places et
des rues. Les marchands qui avaient suivi l’armée y établirent des comptoirs
de fortune, sous des toiles à voile ou des abris de branchages, et y
vendirent des vins, des liqueurs et des conserves. Un
témoin oculaire, J.-T. Merle, décrit ainsi l’aspect du camp : « Le soir,
surtout, le coup d’œil était admirable ; des milliers de feux éclairaient la
presqu’île, et donnaient au camp l’éclat d’un jour de réjouissance publique ;
la gaieté française est la plus bruyante de l’Europe ; on riait et on
chantait depuis les avant-postes jusqu’au quartier général ; les
distributions étaient abondantes, et les vins de France et d’Espagne étaient
bons et pas chers, le soldat était aussi bien nourri que l’officier... Si les
soldats avaient leurs guinguettes, les officiers avaient leurs restaurateurs.
Un nommé Hennequin avait chargé à Nantes un brick des comestibles les plus
recherchés, et des vins les mieux choisis... Les officiers y venaient entre
deux combats, boire à la santé du roi et à la gloire des armes de la France ;
on se racontait les exploits de la journée, on y amenait les blessés pour les
distraire[45]. » Le camp
de Sidi-Ferruch fut protégé du côté de l’ennemi par un retranchement et gardé
par des avant-postes. Mais les soldats, entraînés en France aux exercices à
rangs serrés, étaient peu préparés à la guerre d’embuscades ; nombre d’entre
eux se laissèrent surprendre et égorger isolément par les Indigènes qui
rampaient dans la brousse et bondissaient sur eux inopinément ; des
fusillades occasionnées par la méprise d’une sentinelle mettaient pendant la
nuit tout le camp en éveil ; des unités tirèrent même l’une sur l’autre. Les
troupes avaient tout un apprentissage à faire pour adapter leur tactique à
l’adversaire et au pays. Cette
nécessité apparut davantage au cours de la marche de Sidi- Ferruch sur Alger.
Au début de la bataille de Staouëli le 19 juin, des compagnies du 28e de
ligne, ayant reçu l’ordre de céder du terrain à l’ennemi, furent attaquées
par une nuée d’ennemis enhardis par ce mouvement si difficile en Afrique du
Nord, et eussent pu être anéanties sans le secours rapide d’autres unités. L’enlèvement
du camp indigène de Staouëli donna aux troupes autant de plaisir que de
confiance. Les tentes étaient restées dressées, au milieu de ravins émaillés
d’orangers, de palmiers et de lauriers-roses ; elles contenaient des
tentures, des coussins, des burnous, des armes, des Corans, des pipes, des
ustensiles, dont s’emparèrent les premiers arrivés. Des soldats s’affublèrent
des défroques trouvées, donnant libre cours à leur gaieté ; ils plaisantèrent
beaucoup aux dépens des chameaux, qu’on leur avait représentés comme utilisés
par leurs adversaires au combat ! Ils
devaient cependant subir encore de dures épreuves avant d’arriver à Alger.
Ils avaient à marcher et à combattre revêtus d’un uniforme bien peu approprié
au climat africain, la tête enserrée par un haut shako, le cou comprimé dans
un col rigide, le buste sanglé dans un uniforme chargé de buffleteries et
d’une giberne. Pendant le jour, ils étaient brûlés par les rayons du soleil
et torturés par la soif ; pendant la nuit, ils n’avaient pas les moyens de se
garantir contre la fraîcheur en permettant à leurs membres de se délasser. A côté
de ces souffrances, aussi déprimantes pour leur moral que funestes à leur
santé, les dangers de la lutte contre leurs adversaires comptaient peu et
étaient presque considérés comme des distractions. Des incidents nombreux
soulignèrent cependant l'inexpérience des troupes. Le long de la route
construite au fur et à mesure de la progression vers Alger, circulèrent des
détachements trop faibles et des isolés qui se firent égorger comme aux
premiers jours après le débarquement. Des unités de la brigade Hurel
dépassèrent au cours de la nuit du 25 juin des unités de la brigade Clouet,
et furent fusillées à bout portant, perdant 4 tués et 11 blessés. Un
bataillon du 1er léger de marche se laissa surprendre le 26 juin par des
cavaliers ennemis alors qu’il nettoyait ses armes, et eut en peu de temps 150
hommes hors de combat. Des
fautes graves furent commises par le commandement : la manœuvre
d’investissement d’Alger le 28 juin fut profondément troublée par des erreurs
de direction imposées aux divisions ; l’état-major de Bourmont, après avoir
franchi des ravins successifs, se trouva si désorienté qu’il prit la plaine
de la Mitidja, couverte de brouillard, pour la mer ! Si les Turcs et les
Indigènes n’avaient été occupés à mettre leurs femmes et leurs biens à
l’abri, le chassé-croisé des troupes dans les ravins eût pu occasionner de
lourdes pertes ! L’erreur se traduisit par des fatigues supplémentaires qui
eussent dû être évitées. Les
chefs de 1830 n’avaient pas prévu que la guerre d’Afrique était une guerre
spéciale, différente de la guerre européenne à de nombreux points de vue :
climat, terrains, cultures, agglomérations, communications, mœurs, armement,
tactique. Bien d’autres après eux devaient faire leur apprentissage aux
dépens de la vie de leurs hommes. L’infanterie
aurait pu, si elle avait été mieux instruite et mieux dirigée, obtenir le
succès à moindre prix. Non seulement elle se gardait mal et tirait d’une
façon inconsidérée, mais elle n’arrivait pas à établir de bonnes liaisons
entre ses unités et le commandement. Habituée à des manœuvres à rangs serrés,
elle se présentait au combat avec des hommes au coude à coude ; aussi les
Turcs croyaient-ils que les soldats chrétiens allaient
au combat attachés entre eux par des chaînes ! Les
officiers montés restaient à cheval, désignés ainsi aux tireurs ennemis.
Pendant les premières nuits de bivouac, les unités se formèrent en carrés sur
trois rangs : un assis, un debout, l’autre couché, de sorte qu’un homme sur
trois seulement pouvait dormir ! L’infanterie, magnifique d’entrain et de
bravoure, subissait la contrainte de sa rigidité et de son formalisme, et ne
tentait pas assez de s’adapter au pays et à l’ennemi. L’artillerie,
de campagne ou de siège, se montra plus souple au point de vue tactique, et
joua dans l’expédition un rôle de premier plan. Les batteries françaises
imposèrent silence aux batteries turques dès le début de l’affaire du 19 juin
: « On doit ce résultat, écrivait Bourmont le 22 juin, à l’habileté avec
laquelle M. le général de la Hitte les a dirigées, à la bravoure des
canonniers et à la justesse remarquable de leur tir : toute l’armée leur rend
ce témoignage[46]. » C’est
ainsi que, sur le front de la brigade Clouet, le lieutenant Delamarre, qui
commandait deux pièces de 8, fit éprouver aux Turcs des pertes considérables
et décida leur fuite par quatre coups à mitraille. À la division de Loverdo,
la batterie d'obusiers de montagne du capitaine Le Lièvre, qui opérait à
droite, ne mérita pas moins d’éloges : « les mulets destinés au service de
cette batterie n’étant pas encore arrivés, l’ardeur des canonniers y suppléa
: ils portèrent les munitions et traînèrent les pièces à la bricole. » À la
division Berthezène, « le lieutenant Vernier marcha constamment avec ses
obusiers de 24 sur la ligne, et même en avant des tirailleurs[47]. » Ainsi cette artillerie de
campagne accompagnait au plus près l’infanterie dans sa marche en avant. A
Sidi-Khalef, le 24 juin, une batterie de campagne marcha avec la division
Berthezène et une autre avec la première brigade de la division Loverdo. Lorsqu’en
fin de journée l’infanterie arriva au ravin qui la séparait des Turcs, ces
pièces furent des plus utiles : « L’artillerie, écrivit Bour- mont, avait
surmonté avec sa rapidité ordinaire toutes les difficultés du terrain ; elle
se mit en batterie ; et quelques obus lancés avec une grande justesse
dispersèrent les groupes qui se présentaient encore[48]. » L’artillerie
de siège eut aussi sa large part au succès, en amenant avec une grande
rapidité la reddition d’Alger. Aussitôt après l’avance du 29 juin sur le Fort
l’Empereur, les batteries furent commencées ; « construites avec une
étonnante rapidité », elles comprirent 10 pièces de 24, six de 16, quatre
mortiers de 10 pouces, et six obusiers de 8 pouces ; « tout fut prêt le 4
juillet avant le jour[49] » ; à dix heures, les
défenseurs du Fort l’Empereur le faisaient sauter. Le
génie fit preuve d’une ardeur inlassable et du plus grand dévouement. Il
exécuta dans le minimum de temps les travaux destinés à établir et défendre
le camp de Sidi-Ferruch, puis une route destinée à relier ce camp à l’armée
et à la ravitailler. « Depuis le débarquement, écrivait le 22 juin Bourmont à
Polignac, un chemin praticable pour les voitures a été ouvert sous la
direction de M. le général Valazé, entre le camp de Sidi- Ferruch et celui de
Sidi-Khalef. Sa largeur est de 10 mètres, son développement de plus de 8.000.
Les pentes rapides ont été évitées avec soin, et, sous ce rapport, ce chemin
rappelle les routes de l’Europe. Quatre ou cinq jours ont suffi pour le
terminer. Les retranchements destinés à fermer la presqu’île sont entièrement
construits. Vingt-quatre pièces de canon y sont en batterie. Ces heureux
résultats sont dus à l’activité des officiers d’artillerie et du génie, au
zèle et à l’intelligence avec lesquels les soldats de ces deux armes
exécutent les travaux de toute espèce qui leur sont confiés[50]. » Les
travaux qu’exigea le siège d’Alger ne furent pas menés avec moins d’activité
et de succès : « Pendant la nuit même qui suivit le combat du 29 juin,
écrivait Bourmont le 1er juillet, le général Valazé traça les premiers
ouvrages à 250 mètres environ du château de l’Empereur ; les soldats, malgré
les fatigues de la journée, y travaillèrent avec ardeur[51]. » Bourmont
tint à rendre, dans son rapport au prince de Polignac du 5 juillet, un
hommage particulier à l’artillerie et au génie : « L’ardeur et l’intrépidité
qu’ont montrées les troupes de toutes les armes depuis le commencement du
siège, écrivait-il, sont au-dessus de tout éloge. Les officiers et les
soldats d’artillerie et du génie ont soutenu la vieille renommée de leurs
corps. La vigueur et les talents des généraux qui les commandent ont
puissamment contribué à la rapidité de nos succès. Les combats qu’a livrés
l’armée en rase campagne avaient mis hors de doute la supériorité de notre
artillerie de campagne sur celle de Gribeauval. La supériorité de la nouvelle
artillerie de siège n’est pas moins démontrée. Des pièces de 24 ont été
conduites de Sidi-Ferruch au camp du siège avec presque autant de rapidité
que l’avait été l’artillerie de campagne[52]. » Au
point de vue des transports, l’innovation consistant à utiliser des voitures
à deux roues était des plus heureuses et méritait d’être retenue pour
l’avenir : « Les nouvelles voitures à deux roues, écrivait Bourmont le 22
juin, conviennent parfaitement dans le terrain que nos convois auront à
traverser. Je ne puis donner trop d’éloges au zèle des fonctionnaires de
l’intendance et à l’activité infatigable de leurs chefs[53]. » Il semble extraordinaire que
de telles expériences aient pu être oubliées et qu’il ait fallu plus tard
découvrir à nouveau ces véhicules si pratiques ! L’intendant
en chef Denniée ne faisait qu’exprimer la vérité au point de vue de son
service lorsqu’il écrivait le 30 août : « L’administration, dans ses détails
comme dans son ensemble, fut empreinte d’un caractère d’ordre et
d’exactitude... Je suis souvent allé jusqu’à provoquer des dispositions
militaires, non de celles qui ont pour objet le succès des armes, mais de
celles qui, dans un but d’ordre, auraient concouru au mieux-être du soldat,
et par conséquent à sa conservation ; car, il ne faut pas s’y méprendre, il y
a une connexion intime entre toutes les branches du service de l’armée[54]. » L’entr’aide
que se prêtèrent les diverses unités de l’armée d’expédition fut remarquable.
Elle se manifesta aussi généreusement entre les troupes de la Marine et
celles de la Guerre. La flotte alla jusqu’à fournir une partie importante de
la garnison du camp de Sidi-Ferruch, afin d’en assurer la garde pendant que
l’armée avançait vers Alger : « Je fournis, écrivait le vice-amiral Duperré
dans son rapport du 28 juin, trois équipages temporaires, composés chacun de
huit compagnies, pour la garnison du camp retranché. La marine fait des
sacrifices inouïs et au-dessus de ses forces, puisque la plupart des
bâtiments armés en flûte fournissent pour garnison et corvées plus de la
moitié de leurs marins[55]. » Un tel effort occasionna
quelques mouvements d’humeur chez le vice-amiral Duperré, mais sans que sa
collaboration avec Bourmont en souffrît. Après
la destruction du Fort l’Empereur, Bourmont tenait Alger à sa merci. Il sut,
comme il l’avait dit dans sa proclamation de départ, être généreux après la
victoire. Par l’acte de capitulation du 5 juillet, non seulement il accorda
au Dey, à sa famille et à sa milice, liberté, protection et possession de
leurs biens ; mais il prit, vis-à-vis de la population, un engagement d’un
caractère général et permanent : « L’exercice de la religion mahométane
restera libre. La liberté des habitants de toutes les classes, leur religion,
leurs propriétés, leur commerce et leur industrie ne recevront aucune
atteinte ; leurs femmes seront respectées. Le Général en chef en prend
l’engagement sur l’honneur[56]. » C’était une promesse digne
de la France et qui devait être toujours fidèlement tenue. Ce
geste accompli, il fallait gouverner le pays. Bourmont, pour éviter toute
intrigue intérieure et toute intervention extérieure, agit avec un esprit de
décision remarquable : il réussit à faire embarquer le dey Hussein dès le 10
juillet. Il eut tort par contre de chasser d’Alger une grande partie des
Janissaires, qu’il aurait pu utiliser, et de se priver de l’administration
turque, dont il aurait dû conserver provisoirement les rouages. Pour
remplacer les représentants du Dey, il institua une commission présidée par
l’intendant en chef Denniée. Ce fonctionnaire, trop peu éclairé sur les
diverses populations et leurs mœurs, crut que les Maures d’Alger pourraient
être les agents de la France auprès des tribus : « Il y a parmi ces Maures,
écrivait-il le 11 juillet au Ministre de la Guerre, des hommes
essentiellement intelligents, capables de saisir avec promptitude nos formes
administratives, et qui, déjà revêtus de fonctions où leur amour-propre
trouve une distinction flatteuse, vont devenir pour nous des agents actifs et
d’utiles intermédiaires. C’est par eux que ces immenses tribus d’Arabes
seront en peu de temps nos alliés et nos pourvoyeurs[57]. » C’est
en vertu de ces idées que Bourmont désigna un marchand maure d’Alger, Hamdane
ben Amine el Secca, pour remplir les fonctions d’agha des Arabes. Il
ignorait, en faisant un tel choix, que les Arabes dédaignent profondément les
marchands pour leur profession et les Maures pour leur vie citadine. Hamdane,
sans honnêteté et sans bravoure[58], ne connaissant rien des
tribus, était bien incapable d’être agha des Arabes ! Il y
avait là en germe la grave erreur qui a si lourdement pesé sur la politique
indigène des généraux de l’armée d’Afrique pendant les premières années de la
conquête. Les Maures et les Juifs, dont ils firent leurs porte-paroles,
étaient méprisés par les Indigènes algériens, et causèrent beaucoup plus de
tort aux Français qu’ils ne leur rendirent de services. Le
rapport que fournit à la Commission son secrétaire général, Edmond de
Bussière, au sujet de l’organisation provisoire de la justice, contenait par
contre des principes judicieusement formulés : « Dans un pays nouvellement
conquis, écrivait-il, dont on ignore les intérêts et les besoins, et dont la
population, mélange discordant d’éléments hétérogènes, offre tous les
systèmes d’une lutte sourde, mais violente, c’est un parti sage, le seul même
qu’il soit possible d’adopter, que de maintenir ce qui existe, jusqu’à ce que
l’expérience ait révélé les moyens de le modifier ou de le remplacer avec
avantage[59]. » Bien des erreurs eussent été
et seraient encore évitées à l’Algérie si ces lignes avaient été et étaient
relues, comprises, mises en pratique... La
politique indigène de Bourmont évolua d’ailleurs avec une rapidité et une sûreté étonnantes, puisqu’il écrivait dès le 2 août à
Polignac : « N’oubliez pas que ce pays est accoutumé à une justice rapide et
que des formes lentes paraîtraient un signe de faiblesse ; il faudra que le
grand prévôt soit assisté de deux assesseurs pour prononcer le jugement et le
faire exécuter sur le lieu même du flagrant délit. Nos lois ne conviendraient
point aux peuples de ces contrées ; gardons-les pour nous, mais gardons-nous
de les introduire trop tôt en Afrique[60]. » Il
exprimait encore à Polignac, quelques jours plus tard, des idées fort
différentes de celles exposées par Denniée dans son rapport du 11 juillet : «
Les Maures et les Arabes, écrivait-il, paraissent contents d’être délivrés de
l’autorité des Turcs ; mais il ne s’ensuit pas que, dans les montagnes
surtout, les Kabyles montrent le désir de se soumettre à l’autorité française[61]. » La
nécessité d’établir des relations avec les populations de l’intérieur apparut
bientôt sous son aspect pratique. Le lieutenant-général de police à Alger,
d’Aubignosc, adressa à Bourmont le 12 août une « Note pour servir de base à
un traité avec la nation zouave ». La
tribu des Zouaoua fournissait aux Turcs des soldats, enrôlés par
l’intermédiaire de leur représentant à Alger. Ce représentant ayant offert
ses services aux Français, d’Aubignosc proposa à Bourmont la constitution
d’un corps qui serait « immédiatement enrôlé au service de la France contre
les habitants des campagnes non soumis[62]. » Bourmont donna audience au
chef des Zouaoua, l’accueillit fort bien, et chargea d’Aubignosc de
s’entendre avec lui. Dès le 14 août, le Lieutenant-général de police remit au
Commandant en chef un mémoire exposant « les conditions auxquelles Hadj
Abrachman Kenni offrait un corps auxiliaire de 2.000 zouaves » ; il proposait
de mettre Kenni à la tête des zouaves, avec le titre d’agha des zouaves,
et précisait l’organisation, l’habillement, l’armement, la solde et la
nourriture de cette troupe[63]. Le projet entra rapidement
dans la voie de la réalisation, puisque Bourmont écrivait le 23 août au
Ministre de la Guerre : « Il existe dans les montagnes situées à l’est
d’Alger une peuplade considérable qui donne des soldats aux gouvernements
d’Afrique qui veulent les soudoyer. Les hommes dont elle se compose se
nomment Zouaves. Deux mille m’ont offert leurs services ; cinq cents sont
déjà réunis à Alger. J’ai cru devoir suspendre leur organisation jusqu’à
l’arrivée de mon successeur[64]. » Le
capitaine du corps d’état-major Maumet, qui avait été attaché à l’ambassade
de France à Constantinople au début de 1830, avant d’être affecté le 1er juillet
à l’armée d’Afrique[65], fut chargé de l’étude de cette
question ; il se préoccupa aussitôt, d’accord avec l’agha des zouaves,
des moyens d’habiller les 500 premiers zouaves enrôlés. D’Aubignosc estimait
que la mise sur pied du nouveau corps serait rapide. Il faut
admirer sans réserve la perspicacité et la souplesse avec lesquelles Bourmont
avait fait évoluer sa politique, et lui accorder l’idée première des troupes
indigènes, qui devaient rendre dans l’avenir tant de services à la France. Le
Général en chef avait mené sa campagne avec beaucoup de sagesse et de
pondération ; il n’avait voulu avancer sur Alger, malgré certaines
impatiences manifestées autour de lui, que d’une manière progressive, après
avoir assuré le débarquement d’approvisionnements suffisants et la sécurité
de sa base, et en se faisant immédiatement suivre par une route ; il n’avait
ensuite voulu entreprendre l’investissement d’Alger que lorsqu’il avait pu
disposer de son artillerie de siège. Il avait ainsi atteint son but en vingt
jours, avec le minimum de pertes, ce qui constitue pour lui un impérissable
titre de gloire. Il reçut le bâton de maréchal. Il
apporta par contre trop peu d’attention à la discipline de ses troupes,
surtout lorsque le succès eût été acquis. Déjà,
au camp de Staouëli, un certain désordre avait régné : « La seule vue de ce
camp, écrit Rozet, annonçait le peu d’ordre qui existait dans l’armée : les
soldats couraient partout ; les débris des bestiaux tués pour les troupes
étaient amoncelés entre des murs ruinés, dans de vieilles citernes, ou
traînaient au milieu du camp, sans qu’on eût la précaution de les couvrir de
terre ; les morts, mal enterrés, répandaient une odeur infecte ; plusieurs, déterrés
par les chacals, étaient à moitié découverts ; on aurait dit que personne
n’était chargé de la police de l’armée[66]. » C’est
le commandement à qui, en pareil cas, incombe toujours la responsabilité du
désordre. Il
montra manifestement son insuffisance dans l’organisation de l’entrée des
troupes à Alger. Certaines unités furent en retard ; d’autres au contraire,
comme l’artillerie, encombrèrent les chemins longtemps avant l’heure fixée.
Aucun détachement précurseur ne fut envoyé, ni pour reconnaître les
itinéraires, ni pour occuper les postes principaux. Des militaires
pénétrèrent isolément dans la ville ; le général de La Hitte, après avoir
attendu longtemps, crut Bourmont déjà passé, et y entra avec deux compagnies
d’artillerie. Les ordres avaient été donnés comme si les troupes devaient
suivre des routes et des rues, alors qu’il fallut couper des aloès pour faire
passer les voitures, et mettre les hommes à la file indienne. Lorsque
des militaires isolés et des artilleurs arrivèrent les premiers à la Casba,
abandonnée par le dey Hussein, les Juifs et les Maures qui la pillaient
abandonnèrent des paquets prêts à être emportés ; les soldats les ramassèrent
: ainsi se créèrent de fausses légendes sur le pillage du trésor des deys par
les troupes françaises. Ce
trésor était resté intact, sous la surveillance du khaznadji (trésorier). Cependant des officiers de
haut grade, poussés par des sentiments de jalousie, s’accusèrent mutuellement
; le général de Loverdo dut demander la convocation d’un jury d’honneur pour
se disculper. Il fallut même plus tard une enquête à Alger, par les soins du
général Clauzel, pour faire disparaître les bruits calomnieux mis en
circulation ! Nul
enseignement tactique n’avait été tiré des incidents survenus pendant la
marche sur Alger. La petite colonne commandée par le général Hurel,
accompagnée par Bourmont et le duc des Cars, qui alla le 24 juillet occuper
Blida, se garda mal, et se fit surprendre au repos par les Kabyles ; il en
résulta des pertes, entre autres la mort du chef de bataillon de Trélan, aide
de camp de Bourmont, et un échec moral, qui eussent pu être facilement
évités. Le
relâchement de la discipline s’accentua progressivement. Beaucoup d’officiers
et de soldats étaient venus en Afrique avec l’espoir d’une expédition de
courte durée. Dans leur esprit, la Régence d’Alger était, non pas tant un
pays où les esclaves chrétiens étaient les victimes de corsaires inhumains,
qu’un royaume où de riches pachas gouvernaient du fonds de palais
magnifiques, et se récréaient dans des harems délicieux que la victoire
allait ouvrir aux vainqueurs. Leur déception fut grande quand ils cheminèrent
à Alger dans un dédale de ruelles tortueuses, sombres et sales, et quand ils
s’aperçurent que la Casba elle-même était fort peu confortable pour des
Français. La
période pénible dans une campagne coloniale est généralement, après les
combats intéressants et glorieux, celle de l’occupation inconfortable des
régions conquises. A ce moment les militaires venus par un calcul égoïste,
que ce soit recherche de l’avancement ou désir de recueillir des impressions,
n’ont plus qu’une pensée : laisser à d’autres le soin de « monter la garde ». Or non
seulement Alger devenait ville de garnison ; mais Bône et Oran,
successivement occupées, allaient le devenir aussi. Devant cette perspective,
nombre de militaires songeaient au retour ! Bourmont
voyait la lassitude et la nostalgie gagner ses troupes ; il constatait que,
parmi les officiers généraux, Berthezène, Achard et Monk d’Uzer étaient les
seuls désireux de rester ! Aussi envisageait-il le rapatriement de nombreux
régiments, et désirait-il pouvoir annoncer, à ceux chargés d’occuper Alger,
Bône et Oran, leur relève ultérieure par d’autres ! Les
troupes ne se seraient pas trouvées dans un pareil état moral si elles
avaient été mieux commandées. Réparties dans des bâtiments publics et dans
les environs immédiats d’Alger, elles commirent dans les propriétés
d’innombrables dégâts, quelquefois contre leur propre bien-être ; les hommes
perçaient les tuyaux amenant l’eau aux fontaines, pour remplir leurs bidons ;
ils brisaient les conduites d’aqueducs, pour faire boire leurs animaux ; ils
coupaient les arbres des jardins ou démolissaient la charpente des maisons,
pour alimenter leurs feux. Ces
abus eussent pu être empêchés par une surveillance plus active des officiers
et des sous-officiers et par des sanctions plus sévères contre les
responsables à tous les échelons. Les
généraux et les chefs de corps ne s’occupaient pas assez de leurs hommes et
les laissaient trop souvent dans une oisiveté malsaine. Ils s’en
désintéressèrent davantage encore lorsque la chute de Charles X vint
réveiller chez eux des préoccupations politiques. La
nouvelle officielle de la Révolution de Juillet arriva le 11 août à Bourmont
par une lettre du nouveau Ministre de la Guerre, qui était le général Gérard,
son ancien chef direct à la veille de Waterloo, au moment où il avait déserté
! Bourmont
réunit le lendemain et le surlendemain les généraux pour délibérer sur la
conduite à tenir ; l’embarquement de 12.000 hommes pour Toulon, où se
trouvait encore la division de réserve, fut envisagé. Mais Duperré, favorable
au nouveau régime, n’entendait pas se prêter à l’exécution de pareil projet ;
et sans lui, aucun mouvement n’était possible. Il adressa dès le 14 août un
ordre du jour à la flotte pour lui faire connaître l’abdication de Charles X.
Bourmont dut se résoudre le 16 août à publier un ordre du jour annonçant à
l’armée les événements et ordonnant de substituer la cocarde et le pavillon
tricolores à la cocarde et au pavillon blancs. Les
troupes accueillirent ces nouvelles plutôt avec satisfaction ; il y avait
dans leurs rangs beaucoup d’anciens combattants de l’Empire, qui voyaient
avec joie revenir les couleurs sous lesquelles ils avaient glorieusement
combattu. Les soldats firent flotter un peu partout des petits drapeaux
tricolores pour célébrer l’événement. Parmi les officiers généraux, un
certain nombre estimèrent ne pouvoir servir le nouveau régime, comme des
Cars, Bertier de Sauvigny et Clouet ; d’autres demandèrent leur rentrée en
France pour raison de santé, comme Valazé, Denniée, Montlivault et Poret de
Morvan. Bourmont
avait déjà décidé de regrouper l’armée, en rappelant les détachements de Bône
et d’Oran, de manière à pouvoir faire face à tous événements ; il estimait
d’ailleurs cette mesure nécessaire en raison des vides occasionnés dans les
rangs par les pertes, les maladies et les départs. Il
décrivait le 21 août l’état physique et moral de l’armée d’Afrique au
Ministre de la Guerre dans les termes suivants : « Depuis que les chaleurs
sont vives et presque continues et surtout que le repos a succédé à une
grande activité, un grand nombre des militaires de l’armée a été atteint de
la diarrhée. Les officiers n’y ont pas plus échappé que les soldats. Cette
maladie, en général, n’est pas dangereuse. Un régime sévère est un moyen de
cure presque infaillible ; mais l’affaiblissement moral et physique qui
résulte de cette affection produit presque toujours la nostalgie[67]. Cette disposition s’accroît
encore en raison de la triste existence des officiers et de l’impossibilité
de toute espèce de relation avec les habitants. Aussi depuis un mois, les
demandes de rentrer en France sont-elles devenues extrêmement fréquentes.
J’en ai accueilli quelques-unes, j’ai écarté les autres en laissant ceux qui
les avaient faites espérer que bientôt l’organisation d’un corps d’occupation
permettrait de diminuer le nombre des officiers. « Je suis convaincu qu’il
est dans l’intérêt du Gouvernement de ne refuser que rarement l’autorisation
de partir, et de faire remplacer ceux qui ont fait la campagne par d’autres
qui arriveraient pleins de force et d’ardeur. Pour ceux-ci même, il serait
nécessaire de créer quelques moyens de distraction comme des cabinets de
lecture, des concerts, et même, s’il était possible, des représentations
théâtrales[68]. » Ces
lignes montrent comment, dans le domaine de la discipline intérieure de
l’armée comme dans celui de la politique indigène, le maréchal de Bour- mont
discernait les meilleures solutions. Il eût peut-être hâté la pacification de
l’Algérie s’il n’avait été arraché à l’accomplissement de sa tâche par les
événements politiques. L’annonce de son remplacement par le général Clauzel
ne pouvait pas l’inciter à s’occuper de ses troupes plus qu’il ne l’avait
fait jusque-là. Il continua à remplir ses devoirs, mais dans des conditions
qu’un officier de marine décrivait ainsi dans son journal, à la date du 30
août : « Le général Clauzel est attendu ici avec la plus grande impatience
par l’armée de terre, et surtout par nous, pour qui son arrivée sera, à peu
de jours près, celui du départ... L’armée a le plus grand besoin d’un chef.
Il ne part pas un bâtiment qui ne soit encombré de malades, et surtout
d’officiers qui abandonnent leur régiment ; le désarmement des forts va très
lentement ; les travaux languissent ; les munitions, les approvisionnements
se gaspillent plus qu’à l’ordinaire ; les soldats souffrent ; enfin tout se
ressent de la mollesse des chefs et de la fausse position dans laquelle ils
se trouvent[69]. » Le
maréchal de Bourmont quitta Alger le 3 septembre, le lendemain même de
l’arrivée de son successeur. Comme il ne voulait pas se risquer en France, où
son passé politique et militaire pouvait lui attirer de sérieux ennuis, il
s’embarqua pour Mahon sur un petit bateau marchand, avec deux de ses fils ;
le troisième était allé porter à Paris les drapeaux pris à l’ennemi, et le
quatrième, Amédée, était mort des blessures reçues au cours de la marche sur
Alger. Il s’éloigna, sans autres honneurs qu’une salve de 21 coups de canon,
de la terre qu’il avait conquise à la France. Il
était peu regretté par l’armée. L’enseigne de vaisseau Kerviler exprimait
assez bien le sentiment général lorsqu’il écrivait dans son journal à la date
du 3 septembre : « Ce départ précipité et obscur d’un homme qui venait
d’occuper les plus hauts grades de l’Etat, qui la
veille commandait encore à 30.000 baïonnettes, qui avait perdu deux de ses
fils dans la campagne, car M. de Trélan était au moins son fils adoptif,
présentait un caractère d’infortune qui me fit d’autant plus d’impression et
de peine que M. de Bourmont était regardé par tous ceux, même d’une opinion
conforme à la sienne, qui ont pu le voir de près, comme un homme faible et
sans énergie, coupable de la désorganisation de l’armée, mais incapable
d’avoir fait le moindre tort à personne[70]. » Trop d'officiers oubliaient, dans leurs appréciations, que Bourmont avait conduit l’armée d’Afrique avec prudence et sagesse à la conquête d’Alger, et avait pleinement réussi. Les troupes avaient réalisé cette conquête sans avoir été suffisamment préparées à une guerre très différente de la guerre européenne. Mais déjà dans leurs rangs, particulièrement dans le génie et dans l’artillerie, de jeunes officiers observaient et travaillaient ; déjà des gradés subalternes et des soldats tiraient de l’expérience des premières semaines de combats et de séjour des enseignements utiles. Ils allaient peu à peu former le noyau d’une nouvelle armée, mieux instruite et mieux équipée pour les luttes éventuelles à soutenir, et mieux adaptée à la tâche pacificatrice et civilisatrice de la France. |
[1]
Le commandant Boutin à Decrès, 4 novembre 1808. Archives Nationales.
[2]
Reconnaissance de la ville et des forts d’Alger, Afrique, 3e trimestre 1808,
par le chef de bataillon au corps impérial du génie, chevalier de la légion
d’honneur Boutin ; manuscrit original de 39 pages. Publié par Gabriel Esquer,
Paris, Champion, 1927 (Collection de documents inédits sur l’histoire de
l’Algérie).
[3]
Rapport au Roi sur Alger, Paris, 14 octobre 1827. Publié par le général Paul
Azan, dans Revue Africaine, n° 340-341, Alger, 1929 (Tirage à part).
[4]
Le volume le plus complet sur cette expédition est celui de Gabriel Esquer : La
prise d'Alger, 1830. Paris, Larose, 1929. — Voir aussi : Général Paul Azan.
L'expédition d'Alger, Paris, Plon, 1929.
[5]
Rapports au Roi du 21 février 1830 (ampliations).
[6]
Voir biographies de Bourmont et Duperré, par le général Paul Azan, dans Les
grands soldats coloniaux, Paris, Jonquières, 1931, pages 73 à 99.
[7]
Note du bureau de l’infanterie pour le bureau de la correspondance générale et
du mouvement des troupes, Paris, 3 mars 1830 (original). — Note du directeur
général Brahaut pour la correspondance générale, Paris, 3 mars 1830 (original).
[8]
Notes pour le Ministre, signées F. Mazoïer, Paris, 5 mars 1830 (original), 8
mars 1830 (original), etc.
[9]
Projet de mouvement des bataillons destinés à faire partie de l’armée
d’expédition d’Afrique approuvé par le Ministre le 22 mars 1830.
[10]
Note du colonel Blin, chef du bureau de la cavalerie au Ministère de la Guerre,
du 23 mars 1830, pour Mazoïer, maître des requêtes, chargé de la correspondance
générale et du mouvement des troupes.
[11]
Le maréchal de camp de Valazé, commandant le génie à l’armée d’expédition
d’Afrique, au capitaine du génie Duvivier, à Toulon, de Paris, 26 mars 1830
(original). — Lettres d’envoyeurs divers.
[12]
Denniée au baron ***, du Lazaret de Marseille, 30 août 1830 (Dossier Denniée).
Il a d’ailleurs répété dans son ouvrage, en des termes légèrement différents,
le conseil qui lui avait été donné par l’amiral de Rigny : « Si vous faites jamais cette expédition, souvenez- vous que
cette côte stérile n’offrira pas même de litière à vos chevaux, et que la mer,
si capricieuse dans ces parages, submergera plus d’une fois vos embarcations ».
(Précis historique et administratif de la campagne d‘Afrique, Paris,
Delaunay, 1830, p. 4).
[13]
Le lieutenant-général Desprez, chef d’état-major général, au lieutenant-général
duc des Cars, commandant la 3e division, de Toulon, 24 avril 1830 (original).
[14]
Aperçu historique, statistique et topographique sur l’Etat d’Alger à l’usage
de l’Armée expéditionnaire d’Afrique, Paris, Ch. Picquet, 1830.
[15]
Le lieutenant-général vicomte Castex, commandant la 5e division militaire, au
Ministre de la Guerre, de Strasbourg, 28 mars 1830 (original).
[16]
Le lieutenant-général vicomte Castex, commandant la 5e division militaire, au
Ministre de la Guerre, de Strasbourg, 28 mars 1830 (original).
[17]
Les Archives Historiques du Ministère de la Guerre fourmillent de lettres de ce
genre, dont plusieurs fort curieuses.
[18]
Le comte de Métivier de Vais au Dauphin, de Paris, 31 mars 1830 (original),
etc.
[19]
Le maréchal de camp commandant la 3e subdivision de la 12e division militaire
au Ministre secrétaire d’État de la Guerre, de La Rochelle, 27 mars 1830
(original).
[20]
Note du chef du bureau de l’Infanterie, du 26 mars 1830 (original). Cette pièce
porte par erreur le sous-lieutenant de Mac-Mahon au 5e hussards, tandis qu’il
était au 4e.
[21]
Mémoires du maréchal de Mac-Mahon, Paris, Plon, 1932, p. 1 et 2.
[22]
Note du chef du bureau de l’Infanterie, du 27 mars 1830 (original).
[23]
Le lieutenant-général Desprez au lieutenant-général Berthezène, de Toulon, 18
mai 1830 (original).
[24]
Le lieutenant-général Desprez au lieutenant-général Berthezène, à bord de La
Provence, 19 mai 1830 (original).
[25]
Situation militaire, administrative et financière de l’armée expéditionnaire
d’Afrique, manuscrit de 150 pages in-folio (original).
[26]
Dispositions... 16 février-9 avril 1830.
[27]
Circulaire lithographiée, Marseille, 3 mai 1830.
[28]
Ordre de l’armée d’Afrique intitulé : Précautions à prendre pour conserver la
santé des troupes en Afrique, signé du lieutenant-général Desprez, au Q. G. à
Toulon, 8 mai 1830 (imprimé).
[29]
Instruction donnée au Q. G. de Toulon, le 12 mai 1830. Toulon, Imprimerie
Duplessis Ollivault, 1830, 20 pages et tableaux, in-folio.
[30]
Le lieutenant-général comte de Bourmont au lieutenant-général duc des Cars,
commandant la 3e division de l’armée d’Afrique, de Toulon. 14 mai 1830
(original).
[31]
Le lieutenant-général Desprez au lieutenant-général baron Berthezène,
commandant la 1re division, à bord de La Provence, 20 mai 1830 (original).
[32]
Journal du maréchal de Castellane, Paris, Plon, 1895, tome II, page 340.
[33]
Le lieutenant-général Desprez au Ministre de la Guerre, de Toulon, 18 mai 1830
(original).
[34]
Le lieutenant-général Desprez au Ministre de la Guerre, de Paris, 29 mars 1830
; état des cantonnements joint. — Idem ; état du 31 mars 1830.
[35]
Joseph Kerviler, Souvenirs d’un vieux capitaine de frégate, tome II,
page 54.
[36]
Le Moniteur universel, jeudi 20 mai 1830. Partie non officielle, page
555. (Extrait d’une correspondance envoyée de Toulon à un journal le 12 mai).
[37]
Le Moniteur universel, jeudi 20 mai 1830, page 555.
[38]
Le lieutenant-général comte de Partouneaux, commandant la 8e division
militaire, au Ministre secrétaire d’Etat de la Guerre, de Toulon, 16 mai 1830
(original).
[39]
Le lieutenant-général Desprez, chef d’état-major de l’armée d’expédition
d’Afrique, au Ministre secrétaire d’Etat de la Guerre, de Toulon, 17 mai 1830
(original).
[40]
Le lieutenant-général Desprez au Ministre secrétaire d’Etat de la Guerre, à
bord de La Provence, 22 mai 1830. Cette lettre montre à quelles erreurs sont
exposés les historiens qui utilisent la collection du Moniteur, au lieu de
recourir aux documents originaux.
[41]
J.-T. Merle, Anecdotes historiques et politiques pour servir à l'histoire de
la conquête d'Alger en 1830, Paris, 1831, p. 43 à 51.
[42]
Il publia à Vienne en 1837 des mémoires intéressants sur l’expédition.
[43]
Note du 13 mai 1830.
[44]
Le Préfet maritime de Toulon au Président du Conseil, de Toulon, 26 mai 1830
(original).
[45]
J.-T. Merle, Anecdotes historiques et politiques pour servir à l'histoire de
la conquête d'Alger en 1830. Paris, Dentu, 1831, p. 104-106.
[46]
Le comte de Bourmont au Président du Conseil, du camp de Sidi-Ferruch, 22 juin
1830. Annales maritimes et coloniales, page 855.
[47]
Le comte de Bourmont au Président du Conseil, du camp de Sidi-Ferruch, 22 juin
1830. Annales maritimes et coloniales, page 855.
[48]
Le comte de Bourmont au Président du Conseil, du camp de Sidi-Khalef, 25 juin
1830. Annales maritimes et coloniales, p. 865.
[49]
Le comte de Bourmont au Président du Conseil, du camp de Sidi-Khalef, 5 juillet
1830, 3 heures après-midi. Annales maritimes et coloniales, p. 881.
[50]
Le même au même, du camp de Sidi-Ferruch. 22 juin 1830. Reproduit en fac-similé
dans : Général Paul Azan, Conquête et Pacification de l'Algérie, page
15.
[51]
Le comte de Bourmont au Président du Conseil, du camp devant Alger, 1er juillet
1830. Annales maritimes et coloniales, page 873.
[52]
Le comte de Bourmont au Président du Conseil, de la Casauba, 5 juillet 1830, à
3 heures après-midi. Annales maritimes et coloniales, pages 883-884.
[53]
Le comte de Bourmont au Président du Conseil, du camp de Sidi-Ferruch, 22 juin
1830. Annales maritimes et coloniales, page 856.
[54]
L’intendant Denniée au baron ***, du Lazaret de Marseille, 30 août 1830
(dossier Denniée).
[55]
Rapport du commandant en chef de l’armée navale, du vaisseau La Provence, baie
de Sidi-Ferruch, 28 juin 1830. Annales maritimes et coloniales, p. 871.
[56]
Convention entre le Général en chef de l’Armée française et Son Altesse le Dey
d’Alger (copie conforme par le lieutenant général Desprez). Archives des
Affaires Etrangères.
[57]
L’intendant en chef baron Denniée, président de la Commission, au Ministre
secrétaire d’Etat de la Guerre, d’Alger, 11 juillet 1830. Denniée, Précis,
pages 150-152.
[58]
Capitaine E. Pellissier, Annales algériennes, 1836, tome I, page 99.
[59]
L’intendant en chef baron Denniée, président de la Commission, au Ministre
secrétaire d’Etat de la Guerre, d’Alger, 11 juillet 1830. Denniée. Précis,
page 153.
[60]
Le comte de Bourmont au prince de Polignac, d’Alger, 2 août 1830.
[61]
Le comte de Bourmont au prince de Polignac, d’Alger, 9 août 1830.
[62]
Voir Gustave Gautherot, La conquête d’Alger, 1830, Payot, Paris, 1929,
pages 190-195 : Les premiers zouaves.
[63]
Voir Gustave Gautherot, La conquête d’Alger, 1830, ouvrage cité.
[64]
Le comte de Bourmont au Ministre de la Guerre, d’Alger, 23 août 1830.
[65]
Dossier du colonel Pierre-Achille Maumet, né le 1er décembre 1797, décédé le 22
août 1848.
[66]
Rozet, Relation de la guerre d’Afrique pendant les années 1830 et 1831,
tome I, Paris, Firmin-Didot, 1832, page 194.
[67]
Cette appréciation est exactement confirmée par un rapport très intéressant du
chirurgien en chef de l’armée d’Afrique, Mauricheau Beaupré, daté d’Alger, 2
septembre 1830 (copie).
[68]
Le maréchal comte de Bourmont au Ministre de la Guerre, d’Alger, 21 août 1830
(original).
[69]
Joseph Kerviler, Souvenirs d'un vieux capitaine de frégate, tome II,
pages 123-124.
[70]
Joseph Kerviler, Souvenirs d'un vieux capitaine de frégate, tome II,
page 126.