L’armée
d’Afrique est le nom qui a communément désigné dès l’origine le corps
expéditionnaire d’Alger ; il a continué à s’appliquer par la suite aux
troupes qui ont conquis, pacifié et occupé l’ancienne Régence d’Alger. En
1830, « l’Afrique » était, aux yeux de beaucoup de Français, la terre faisant
face aux côtes méridionales de la France. Le mot Algérie, apparu par
intermittence dans la correspondance officielle depuis la fin de 1837, a été
employé parfois au Parlement en 1838, et dans l’ordonnance du Roi sur
l’administration civile de l’Algérie du 31 octobre 1838 ; puis il a été
officiellement adopté, pour remplacer les dénominations de Possessions
françaises dans le Nord de l’Afrique ou de Ancienne Régence d’Alger, par
décision du Ministre de la Guerre du 14 octobre 1839. Ce nouveau terme
symbolisait l’unité des établissements français dans le Nord de l’Afrique et
limitait leur emplacement géographique dans le continent africain. Depuis
l’époque de la conquête algérienne, le domaine africain de la France s’est
accru non seulement de la Régence de Tunis et de l’Empire du Maroc, mais
aussi d’immenses régions peuplées de race noire. Néanmoins, la dénomination
d’armée d’Afrique ne s’est étendue qu’aux troupes de Tunisie et du Maroc,
analogues à celles d’Algérie ou même tirées de leur sein. Le
terme « armée d’Afrique » est donc impropre, puisque l’armée coloniale
occupe les grandes colonies noires du continent africain et Madagascar, et
détache même des unités en Algérie, en Tunisie et au Maroc. Il a du moins le
mérite d’être issu d’une tradition historique, et l’excuse d’être consacré
par l’usage. Actuellement, il désigne les unités françaises et indigènes
stationnées en Afrique du Nord, ainsi que les unités indigènes
nord-africaines stationnées en France, qui toutes sont les héritières en ligne
directe des troupes de la conquête. Cet
ouvrage se propose d’étudier les troupes d’Afrique pendant la période de 1830
à 1852. Il évite de donner un récit complet des opérations, des entreprises
et des travaux des troupes, cette épopée ayant fait l’objet du volume Conquête
et Pacification de l’Algérie[1]. Il cherche à exposer les
transformations successives de l’armée d’Afrique, la composition et l’allure
particulière des corps français ou indigènes créés pour ses besoins,
l’existence menée par les militaires dans les villes et dans les camps, la
tournure d’esprit et les sentiments des chefs de tout grade, les habitudes et
la discipline des soldats, la conduite en campagne et l’attitude au combat de
l’ensemble des troupes. Il vise ainsi à établir une sorte de biographie de
l’armée d’Afrique considérée comme personne morale. Une
telle étude ne peut pas être basée uniquement sur la consultation des
Archives officielles, comme l’a été la Conquête et Pacification de
l’Algérie. Il est
certainement indispensable de recourir aux documents des grands dépôts
d’Archives. Ceux du Ministère de la Guerre sont pour la plupart énumérés dans
l’Inventaire sommaire des Archives historiques (archives
modernes)[2] et sont à la portée des
travailleurs métropolitains ; ceux du Gouvernement général de l’Algérie sont
d’un accès plus lointain pour eux. Les principaux documents de ces deux
dépôts ont été imprimés dans les précieux volumes publiés par Gabriel Esquer
et Georges Yver, grâce au Gouvernement général de l’Algérie, avec le titre
général : Collection de documents inédits sur l’Histoire de l’Algérie
après 1830[3]. Ces
sources d’origine officielle peuvent seules fournir des précisions sur la
création ou la modification de corps tels que les zouaves, la légion
étrangère, les tirailleurs, les chasseurs d’Afrique, les spahis, les bureaux
arabes, et permettre d’éviter les inexactitudes et les erreurs si fréquentes
à leur sujet. Mais il n’est possible de bien connaître les sentiments intimes
et la vie quotidienne des troupes que par des documents d’ordre personnel,
lettres individuelles, journaux de route, souvenirs, mémoires. Les
sources d’origine personnelle ne doivent être utilisées qu’après un examen
critique attentif. Si en effet une lettre écrite au bivouac ou le soir d’un
combat donne des impressions captivantes et fait mieux vivre les personnages,
elle est parfois inexacte sur des événements dont le rédacteur n’a pas été
témoin ; de même, si des souvenirs et des mémoires fournissent un exposé
attachant des faits, ils les dénaturent souvent au profit de l’auteur ou de
ses amis. Les renseignements puisés dans ces documents sont donc plutôt
destinés à donner le reflet des sentiments répandus dans l’armée qu’à
préciser le détail des événements. Les volumes ou brochures imprimés sont
brièvement cités et seront aisément retrouvés grâce à la Bibliographie
militaire de l’Afrique française du Nord[4] ; les manuscrits, tirés de
diverses archives, sont indiqués par des références. L’armée
d'Afrique n’a jamais été étudiée dans son ensemble. Des volumes de valeur
inégale ont été écrits sur les différents corps qui la composent, par des
militaires leur ayant appartenu ou par des historiens occasionnels ; ils ont
généralement envisagé un aspect particulier de la question et ont fréquemment
reproduit des erreurs. Le tableau à peindre est très attirant, en raison des troupes originales et bigarrées qu’il représente, des paysages variés et pittoresques qui en forment le fonds, des populations ardentes et fières au milieu desquelles les troupes au service de la France évoluent. Affranchi du contrôle sévère qu’exerce le document officiel, il peut comporter des couleurs plus vives qu’un tableau astreint à représenter avec exactitude un événement précis ; ce sont les couleurs de l’époque qui ont été employées, celles des témoins oculaires qui peignaient d’après nature. |
[1]
Général Paul Azan. Paris, Librairie de France, 1931, in-4°, illustré.
[2]
Paris, Imprimerie Nationale, 1905, in-4°, p. 108 à 111 et 152.
[3]
Volumes publiés chez : Jourdan, Carbonel, à Alger ; Geuthner, Champion, à Paris.
[4]
Publiée par le Service Historique de l’Armée, Paris, Imprimerie Nationale,
1930-1935.