RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

APPENDICE DU LIVRE II.

 

 

I. — LA FORTUNE DE RICHELIEU.

Donation au Roy du Palais-Cardinal, le 1er juin 1636, comme aussi d'une chapelle de diamants, d'un grand diamant et d'un grand buffet d'argent blanc ciselé[1].

Par devant nous, ....  etc.

Lequel (cardinal de Richelieu) ayant très-humblement supplié Sa Majesté d'ajouter aux immenses bienfaits dont il lui est redevable, la faveur d'agréer qu'il lui donne quelques marques de son ressentiment, qui, bien que très-petites à comparaison des infinies obligations qu'il a à un si bon maitre, témoigne au moins à la postérité, que ce n'est point par le manque d'affection, mais la disproportion si extrême qu'il y a d'un sujet à son souverain, et au premier Roy du monde, qui l'empêche de rendre plus grande preuve de sa reconnaissance ; et Sa Majesté lui ayant fait l'honneur de recevoir avec sa bonté accoutumée cette très-humble prière, elle avait accepté la donation que ledit Seigneur Cardinal désire lui faire aux conditions ci-après déclarées :

C'est à savoir que ledit Cardinal donne à Sa Majesté, par donation entre-vifs, pure, simple, perpétuelle et irrévocable... son hôtel de Richelieu, sis en cette ville de Paris, rue Saint-Honoré, avec tout ce qui en dépend, consistant en bâtiments, cours, jardins, fontaines et eaux, sans aucune chose en excepter....

Le Cardinal en conservait l'usufruit sa vie durant, réservant seulement à ses successeurs, ducs de Richelieu, la charge de capitaines et concierges[2] dudit hôtel, et le logement qui leur sera désigné à cet effet.

Ses successeurs devaient avoir également la propriété de toutes les rentes de bail d'héritages, constituées sur les places et maisons qui seraient construites au dehors, joignant et à l'entour du jardin dudit hôtel.

Que ledit hôtel demeurera à jamais inaliénable à la couronne, sans même pouvoir être donné à aucun prince, seigneur ou autre personne, pour y loger sa vie durant et à temps. L'intention dudit seigneur cardinal étant qu'il ne serve que pour le logement de Sa Majesté, quand elle l'aura agréable, ses successeurs rois de France, ou héritiers de la couronne seulement, et non autre ; ne s'étant porté à bâtir cette maison avec tant de dépense, que dans le dessein qu'elle ne servirait qu'à la première, ou au moins à la seconde personne du royaume...

Plus, ledit seigneur Cardinal donne aussi à Sa Majesté, à la même condition d'être inaliénable à la couronne : sa chapelle de diamants, consistant en une grande croix d'or émaillée, enrichie de diamants ; plus un calice avec sa platine enrichie de diamants ; plus deux chandeliers, deux burettes, une figure de Saint-Louis, le tout en or enrichi de diamants ; plus un ciboire d'or enrichi de rubis et de quelques diamants, plus une paix d'argent doré enrichie de perles et de rubis...

Et son grand buffet d'argent blanc ciselé, pesant trois mille marcs[3] ; et son grand diamant en forme de cœur pesant vingt carats et plus, etc.

La minute est signée par Claude de Bouthillier, surintendant des Finances, Sublet secrétaire d'État, et le cardinal de Richelieu.

 

II. — ÉTAT SERVANT DE MÉMOIRE ET INSTRUCTION.

Baillé par les sieurs Perrignet et Laissé, en conséquence de ta certification à eux faite le 9 du présent mois de juillet 1613, par M. de Charron, conseiller du Roi en ses conseils, intendant des Finances de Sa Majesté, et procureur général de la Reine[4].

Premièrement : douze coffres pleins, que l'on tient être sacs d'or et d'argent, qu'on a vus tirer et sortir de nuit du Petit Luxembourg, conduits et portés dans la rue Garancière, qui est vis-à-vis l'hôtel où demeure Madame d’Aiguillon[5], et qui sont entrés par la porte de derrière du jardin de la maison où demeure Madame dit Vigean[6] dont la principale entrée est dans la rue de Tournon, lequel transport a été fait depuis la mort du feu Roi Louis XIII, que Dieu absolve.

Six chariots, pleins de coffres et autres meubles, qu'on a vus entrer dans les Carmélites de la rue Chapron, à diverses fois, où que l'on tient qu'il y a divers sacs d'argent.

Plus deux carrosses, chargés de coffres et paquets, que l'on a vus entrer dans ledit couvent de la rue Chapron, lesquels on tient être remplis de sacs d'or et d'argent.

Quatre chariots pleins de coffres dans lesquels il y a quantité d'autres meubles, argent et vaisselle d'argent, que l'on a vus entrer dans les Carmélites du faubourg Saint-Jacques.

Parmi les susdits meubles, se doivent trouver les titres de l'acquisition faite par ladite dame, d'un droit de 39.000 livres de revenu à prendre sur la pêche de Marseille.

Il sera proposé diverses personnes, et produits témoins qui parleront pertinemment des circonstances ci-dessus, outre lesquels l'aumônier de ladite darne d'Aiguillon, et l'un de ses serviteurs domestiques de présent à Paris, savent tout ce que dessus, et où l'or et l'argent est caché, et ils en ont plus de connoissance que ladite dame même, attendu que ce sont eux qui ont fait les caches.

Fait à Paris, 10 juillet 1643[7].

 

 

 



[1] Extrait des manuscrits Godefroy, CXXXII, fol. 57. (Bibliothèque de l'Institut.)

[2] On sait qu'au dix-septième siècle, ce mot n'avait pas la signification qu'il a aujourd'hui. La conciergerie des palais royaux appartenait à des personnes de distinction.

[3] Valant, par conséquent, au poids, environ 80.000 livres en 1636.

[4] Extrait des Mss. Godefroy, CXXX, fol. 384.

[5] Marie-Madeleine de Vignerod, fille d'une sœur de Richelieu, mariée en 1620 à Antoine de Beauvoir de Grimoard du Roure, sieur de Combalet, neveu de Luynes, capitaine au régiment de Normandie, tué en 1622 devant Montpellier. Elle se retira auprès de son oncle le Cardinal qui l'aimait beaucoup et la fit duchesse d'Aiguillon en 1634. On l'appelait la princesse nièce. Elle refusa toujours obstinément de se remarier. — Son frère, le sieur de Pont-Gourlav, était général des galères.

[6] Intime amie de la duchesse d'Aiguillon ; elle avait épousé Isaac de Ségur Pardailhan, sieur du Vigean, capitaine au régiment de Champagne.

[7] Voir aussi pour la fortune de Richelieu son testament, publié à la suite de ses Mémoires. (Édit. Michaud, p. 353.)